RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE PREMIER. — LE ROI ET LA CONSTITUTION.

LA MONARCHIE ABSOLUE.

CHAPITRE II. — LA PRATIQUE.

 

 

Rasement des forteresses, suppression des grandes charges militaires. — Violation des droits généraux et particuliers. — Mépris des formes de la justice : l'illégalité érigée en légalité. — Mépris de l'équité, crime de lèse-majesté. — Les procès politiques. — Haine du gouvernement.

 

La révolution de 1789 était accomplie dans les idées, avant d'être commencée dans les faits ; la révolution de 1624 fut exécutée en même temps dans les faits et dans les idées. Richelieu joignit l'acte à la parole. Pour prouver que le Roi était au-dessus de la justice, on se joua comme à plaisir de toutes les formes judiciaires. Pour prouver que le Roi disposait de la vie de ses sujets, on fit mourir des innocents. Pour prouver qu'il n'y avait plus d'autre droit que le sien, on viola, on anéantit tous les autres.

L'histoire officielle et banale, dont les enseignements routiniers ont été répétés de bouche en bouche jusqu'à nos jours, a mal jugé l'œuvre du Cardinal, faute de définir suffisamment son but et de distinguer ses moyens. Richelieu, disent ses historiens, voulut et réalisa la ruine politique de la noblesse, et sa soumission au Roi. Ils ajoutent : La noblesse l'assaillit de conspirations, mais elle ne put lasser sa vigilance. Puis ils énumèrent pêle-mêle l'exécution de Chalais, celle de Bouteville, de Marillac, de Montmorency, de Cinq-Mars, l'exil de la Reine mère et quelques emprisonnements notoires. On se figure alors la royauté, faible et misérable, sans cesse sur le point de disparaître, et la coalition des gentilshommes, terrible, menaçante, toujours en armes, tenant la campagne et rançonnant le pays. Richelieu apparait, semblable au génie tutélaire, qui va tout faire rentrer dans l'ordre. L'engeance abominable des nobles jure la perte de cet homme de bien. Une lutte héroïque s'engage entre ce cardinal, isolé, mais énergique, et ces milliers d'hommes de guerre factieux ; c'est la lutte du progrès et de la réaction, de l'avenir et du passé ; heureusement la victoire reste au premier, c'est-à-dire à Richelieu, et la France est sauvée. Dans l'ardeur du combat, quelques têtes sont tombées, quelques-unes même sont tombées à tort, c'est là un détail regrettable, mais enfin ce n'est qu'un détail. La fin est si grande qu'elle justifie les moyens. II s'agissait, dit-on, d'abattre la féodalité ; dans une opération aussi vaste et aussi compliquée, comment ne commettrait-on pas quelques erreurs ?

Voilà en quelques mots ce qu'on lit partout, et ce qui n'est nullement exact. Nous nous occuperons plus loin de la noblesse[1], mais nous devons constater dès maintenant que ce corps était tout à fait dévoué au Roi, et parfaitement paisible ; que le Roi était respecté et servi par les gentilshommes comme par tous les Français. Ce n'est pas parce que quatre princes et trois ducs, assistés de quelques douzaines de domestiques[2], se montrent turbulents et rebelles, que l'on peut rendre solidaires de leurs mutineries plus de cinquante mille individus qui n'y ont pas pris part. Si la noblesse eût été aussi indisciplinée qu'on s'est plu à le répéter, Louis XIII et son ministre n'en auraient pas eu aussi facilement raison. Quelques intrigues de cour, plus ou moins timides, une révolte ouverte d'un gouverneur de province, tentée malgré cette province, un traité coupable signé par un favori de vingt ans, avec l'assentiment du frère du Roi ; tout cela ne prouve pas que la noblesse de France, dans son immense majorité, fût d'une humeur bien difficile. Au contraire, presque chaque année éclatent des insurrections populaires sur tous les points du royaume, dans les campagnes et dans les villes, et personne, croyons-nous, n'a ouï dire que le peuple fût à cette époque naturellement porté à la sédition.

C'est qu'en vérité la noblesse s'en allait d'elle-même, sous l'influence de causes multiples ; qu'elle était déjà bien affaiblie quand Richelieu parvint au ministère, et qu'il eut peu à faire pour lui porter le dernier coup. Ce qu'il fit même fut médiocrement efficace, puisque, malgré ses fameux édits sur les duels, on se battit sous son règne presque autant qu'avant, et que le duel ne disparut que plus tard, insensiblement, avec le changement des mœurs. Il ne s'attaquait pas plus à la noblesse qu'à toute autre institution ; ce qu'il voulait, c'était l'absolutisme du Roi. Ce n'était donc pas la noblesse, c'était la patrie qui était en danger. Pour atteindre son but, en effet, il lui fallait tout saper et tout détruire : autorité des parlements, puissance des états provinciaux, franchises des villes, indépendance du clergé, tout, jusqu'à cette innocente autonomie communale qui fait la force d'un pays libre. Aussi, dans cette entreprise gigantesque, n'a-t-il pas tenté une réforme, n'a-t-il pas fait disparaître un abus[3]. S'il est l'ennemi de la noblesse, il est aussi l'ennemi du tiers état, l'ennemi du peuple. Il n'a rien fait pour personne, mais il a tout fait pour le monarque. Ce dévastateur est l'homme du Roi, ce n'est pas l'homme de la France[4]. Pour la noblesse, par exemple, il n'a touché ni aux dîmes, ni aux corvées, ni aux exemptions d'impôt, ni à rien de ce qui préjudiciait au peuple, mais il ordonné le rasement des forteresses, parce qu'elles pouvaient préjudicier au Roi. Cette question de la démolition des forteresses, dont on a exagéré la portée, avait du reste un double aspect. Les places fortes donnaient puissance aux seigneurs sur le Roi, mais elles assuraient aussi la puissance du Roi sur les seigneurs. Richelieu répondait en 1626 à ceux qui conseillaient cette mesure : Si tous les Français étaient toujours dans le chemin de leur devoir, il y aurait beaucoup de places à raser dans le royaume, auxquelles maintenant il ne faut pas toucher[5]. Les forteresses étaient de trois sortes, celles qui appartenaient au Roi et dans lesquelles il tenait garnison ; celles qui appartenaient aux seigneurs, mais où la garnison était payée par le Roi ; enfin celles où la garnison était à la charge de leurs propriétaires. Ces dernières étaient naturellement peu redoutables. Fort mal entretenues, gardées par deux ou trois hommes, elles ne pouvaient se défendre pour la plupart plus de vingt-quatre heures contre une petite troupe munie de canons. A son arrivée aux affaires, le Cardinal proposa d'ôter toutes les garnisons particulières, d'augmenter les troupes que le Roi avait sur pied, et tour à tour en envoyer dans les places et châteaux particuliers, en les changeant de temps en temps, ce qui ferait que bien que les gouvernements fussent à des grands, ils y seraient plus de nom que de fait[6]. On peut se demander jusqu'à quel point il est conforme aux règles d'une bonne administration de conserver des agents qui existent plus de nom que de fait, mais c'était le système de Richelieu de donner à l'un la fonction et à l'autre le titre. Deux ans plus tard, on ordonna le rasement des villes et châteaux non situés sur les frontières[7]. C'était un grand jour, dit M. Caillet, que celui où le pouvoir se sentait enfin assez fort pour faire tomber à terre ces sombres murailles, ces redoutables forteresses qui, pendant une longue suite de siècles, avaient abrité tant de meurtres et de brigandages. C'est justement parce que ces sombres murailles n'abritaient plus rien de semblable, que le pouvoir fut assez fort pour les faire tomber[8]. En effet, ces vestiges du moyen âge disparaissaient d'eux-mêmes, avec l'état de choses qui les avait rendus nécessaires. Les seigneurs étaient les premiers à démolir ces châteaux pour leur commodité personnelle, et nul ne songeait à en bâtir de nouveaux dans le même style[9]. Cependant, si le souverain avait le droit de détruire ceux qui lui appartenaient, et d'ôter les garnisons de ceux qu'il ne possédait pas, son ordre était purement tyrannique quand il touchait à des habitations privées, dont les possesseurs n'étaient coupables d'aucun délit, et auxquels on infligeait de sang-froid, par précaution, une peine sévère et imméritée. Les mesures arbitraires, effectuées au nom du salut public, sont le caractère de ce gouvernement, et l'histoire a le devoir étroit de les flétrir d'autant plus durement, qu'elles sont le masque habituel de toutes les injustices. Cette destruction se poursuivit avec plus ou moins de rigueur selon les provinces, jusqu'à la mort de Louis XIII, mais elle ne joue qu'un rôle épisodique dans l'établissement de la monarchie absolue.

Il en est de même de la suppression des charges de connétable et d'amiral, l'une par extinction, l'autre par rachat. Si nous en parlons ici, c'est parce qu'on y a vu bien à tort un acte politique de haute conséquence. En 1626, dit Richelieu, vaqua par la mort de Lesdiguières cette grande charge autrefois si utile à la France, lorsqu'elle était dans la nouveauté de son établissement, mais qui depuis a été très-dommageable par l'abus de l'absolue autorité qu'elle donnait des armes du Roi. Le Cardinal fit agréer au Roi qu'il fût le dernier des connétables de France[10]. Cette charge était réellement moins considérable que celle de colonel Général de l'infanterie qui fut maintenue. Elle correspondait à peu près à celle de chef d'état-major général, telle qu'on la comprend aujourd'hui en Allemagne, en Autriche ou en Angleterre. Elle devait être remaniée sous Louis XIII, mais son existence était utile ; la preuve, c'est qu'elle continue à subsister de fait sous d'autres noms. Richelieu fit fonction de connétable pendant toute sa vie, sous le titre nouveau de généralissime ; Mazarin agit de même, Turenne en fit la charge sous le nom de maréchal général, enfin les secrétaires d'État à la guerre s'en emparèrent.

En même temps que le connétable, Richelieu fit supprimer l'amiral. On remboursa cet office au duc de Montmorency, qui en était titulaire, moyennant 1.200.000 livres. L'amiral était, dit le premier ministre, aussi puissant sur la mer que le connétable sur la terre. L'amiral l'était même bien davantage, puisqu'il n'avait à compter ni avec des maréchaux, ni avec des colonels généraux, d'une susceptibilité peu endurante. Mais, continue-t-il, parce que n'y ayant point d'amiral, il était nécessaire que quelqu'un eût le soin de la marine, tant pour le trafic que pour les vaisseaux de guerre, le Roi donna au Cardinal le même pouvoir[11], sous le titre de grand maitre, chef et surintendant général de la navigation et commerce de France, c'est-à-dire qu'il eut deux charges au lieu d'une, et qu'à la marine il joignit le commerce. II reprochait à l'amiral d'être inamovible, il fit mieux, il rendit sa propre charge héréditaire dans sa famille, et la légua à son neveu de Maillé, avec le duché de Fronsac[12]. Ce sont là des mesures administratives médiocrement heureuses, mais elles n'excédaient en rien le droit du souverain.

Ce qui passait les bornes de ce droit, c'est la manière nouvelle de gouverner, l'abaissement systématique des cours souveraines, l'obéissance absolue exigée des grands et des petits, les peines infligées aux individus et aux compagnies à la moindre velléité d'opposition[13]. Ce qui révoltait le sentiment national, c'était la confiscation du pays par le Roi, c'était le Parlement que l'on contraignait à s'humilier à tout propos, le premier président de Gourgues, auquel le Roi commandait de parler à genoux, contre tous les usages, et qu'il prenait par sa robe pour le forcer à obéir[14] ; les états provinciaux de Dauphiné qui demandaient au Roi d'être ouïs en leurs justes plaintes, et auxquels le Roi allait jusqu'à défendre sous peine d'amende de former opposition à son conseil[15]. Des faits innombrables prouvent le parti pris de la monarchie nouvelle de ne jamais demander l'avis de la nation, et d'empêcher la nation de donner les avis qu'on ne lui demande pas. Il ne faut pas que la haine de la noblesse aveugle les esprits à  ce point qu'on en vienne à se réjouir de voir tout le monde esclave, parce que les nobles le deviennent aussi. Un mouvement irrésistible entrainait la noblesse vers sa chute, elle était condamnée à se transformer ou à périr. Ce qui était vivace, c'était le vieil esprit libéral avec ses exigences si minimes, désirant seulement voir suivre les usages, écouter les remontrances, ménager les esprits avec douceur[16]. C'est ce vieil esprit qui résista, qui succomba sous Louis XIII[17]. Le règne suivant lui porta le dernier coup. Il s'est trouvé jusque dans les temps modernes des panégyristes de cette crânerie brutale de Louis XIV entrant au Parlement, à vingt-deux ans, pour y tenir le langage que l'on sait. Cette scène est simplement déplorable. Henri IV, qui savait si bien faire châtier son fils, eût fait châtier son petit-fils bien davantage s'il eût vécu, et qu'il eût pu prévoir les dévergondages de despotisme auxquels se livra ce jeune prince ignorant de nos traditions, qui voyait notre histoire à travers la Fronde. L'aïeul, témoin de vingt batailles rangées, auprès desquelles le combat du faubourg Saint-Antoine était, on en conviendra, une assez pauvre équipée, pouvait par son exemple donner à son descendant de profitables conseils. L'un était de ceux qui rajeunissent les dynasties, l'autre était de ceux qui les épuisent.

Révolutionnaire dans son but, Richelieu le fut nécessairement dans ses moyens. Parmi ces nombreux procès politiques qui signalent son ministère, beaucoup furent iniques, mais tous furent illégaux. Il n'en est pas un où les formes de la justice aient été respectées. De toutes les branches de l'administration, la justice était pourtant la mieux organisée, celle qui fonctionnait le plus régulièrement. Les degrés de juridiction étaient nombreux et variés, trop nombreux et trop variés même ; mais enfin cet excès-là vaut mieux que l'autre. Le respect du magistrat, qui est la garantie des peuples et la gloire des gouvernements, était dans toute sa force ; le cardinal eut le triste courage de le fouler aux pieds. Il créa une justice à son image, précaire et violente : les commissaires.

Ministre en 1617, il écrivait au nom du Roi : Sa Majesté fera advouer à tout le monde que la justice est la règle de ses actions qu'on ne verra jamais accompagnées d'aucune violence[18]. Conseiller de la Reine mère en 1620, il demandait : que Sa Majesté ait agréable de faire observer les ordonnances judiciaires, et de trouver bon que nulle commission ne puisse être envoyée dans les provinces sans être premièrement vérifiée aux parlements[19]. L'opinion s'était toujours prononcée très-hautement contre les commissaires, qu'elle nommait les juges de tyrannie. La voie ordinaire (celle des offices) était favorable, la voie extraordinaire (celle des commissions) était odieuse[20]. François Ier, voyant le tombeau de Montaigu dans l'abbaye de Marcoussis, dit qu'il avait été condamné par justice. — Non, Sire, répondit un moine, il fut condamné par commissaires[21].

Ce fut de commissaires choisis et révoqués par lui à sa guise, que le Cardinal se servit exclusivement. Dans tous les procès qu'il fit faire, ces juges sans autorité eussent pu être récusés. aussi leur première précaution est-elle toujours de se faire admettre par l'accusé, pour le décider à leur répondre. Ils employaient, pour obtenir cette reconnaissance préalable, toutes les séductions. Civilités, promesses, excuses, adresses oratoires, rien n'était épargné. Tantôt des maigres des requêtes comme Machaud et Laffemas[22], munis de pouvoirs discrétionnaires, parcouraient la France, jugeant sans aucune règle, où il leur plaisait, assistés de qui ils voulaient ; tantôt des chambres de justice, tribunaux spéciaux dont les membres étaient soigneusement triés, étaient chargés de procéder à des jugements sommaires, où l'arrêt était connu d'avance[23].

Tant s'en faut, disait-on, que l'autorité du Roi s'augmente par l'établissement de ces nouveaux juges ; au contraire, ils servent au peuple de pierre d'achoppement, d'occasion de scandale et d'affectation de violence[24]. Le Parlement ne se borna pas à des protestations stériles. Par arrêt de 1631, il défendit à tous officiers et ministres de la justice d'obéir aux commissaires, ni d'exécuter leurs jugements, déclara les procédures faites par eux nulles et de nulle valeur, les menaça de répondre des dommages-intérêts en leur propre et privé nom, ainsi que leurs héritiers. Malgré son audace, Richelieu s'inquiète ; il craint, dit-il, que l'on ne fasse croire aux plus grossiers que ce qui était justice était pure violence[25]. Il reconnaît que certaines exécutions ont été faites un peu tard dans la nuit[26]. Mais il n'en conserve pas moins ses procédés, qui égalent et dépassent parfois ce que l'on vit de plus fort en ce genre sous la Terreur. En 1610, un des commissaires envoyés à Rouen avec Séguier[27] pour juger les chefs de la révolte des Nu-Pieds écrivait : On a commencé justice par l'exécution de cinq séditieux... condamnés par le chancelier seul, sans autres juges ni assesseurs, ni autre formalité que celle des informations, sans avoir vu ni ouï les condamnés, et sans avoir donné autre arrêt que verbal[28]. Et quand un historien ajoute : Du moins cette rigueur impitoyable fut égale pour tous[29], nous répondons qu'elle n'est pas pour cela moins coupable. Un seul déni de justice, la mort d'un seul innocent doit peser devant la postérité sur la mémoire de son auteur ; mais que dire de celui qui éleva le déni de justice à la hauteur d'un principe ? L'illégalité érigée en légalité, tel est le régime que nous le voyons inaugurer. Par suite de ce régime, les condamnations même les plus équitables ont une apparence d'assassinats juridiques ; la vindicte publique prend l'aspect d'une vengeance particulière. En soustrayant l'accusé à ses juges naturels, comme pour Montmorency, en improvisant des magistrats suspects de partialité, comme pour Cinq-Mars, Richelieu semble non plus punir un coupable, mais terrasser un adversaire malheureux ; au lieu d'exciter l'indignation qu'il mérite, le coupable, devenant opprimé, inspire la compassion.

Quelle différence entre le procès de Biron, sous Henri IV, et celui de Montmorency, sous Louis XIII ! La faute du premier était cependant moins patente que celle du second[30]. Tous deux avaient trahi, mais le crime de l'un n'avait pas encore été consommé, tandis que l'autre avait été pris en pleine révolte. Henri IV fait arrêter Biron, et aussitôt se désintéresse de l'affaire, laissant la justice suivre son cours. Le Parlement de Paris, seul capable de le juger, est convoqué. Les pairs y prennent séance, — les pairs, c'est-à-dire les premiers des nobles, ces soi-disant factieux, — aucune pression, liberté entière et condamnation à mort du maréchal à l'unanimité par cent vingt-sept voix. En 1632, Montmorency fut pris les armes à la main ; personne ne douta tout d'abord qu'il ne fût conduit à Paris pour y être jugé par le Parlement des pairs[31]. En effet, le jugement des pairs au Parlement était une des lois fondamentales de la monarchie. Depuis près de six cents ans de règne des Capétiens, on n'avait vu que quatre officiers de la couronne auxquels les Rois avaient fait faire leur procès par juges extraordinaires[32]. Richelieu ordonna que le procès de Montmorency fût fait à Toulouse, nonobstant le privilège de pairie dont Sa Majesté le déclara indigne et déchu[33]. Il avait agi de même pour le duc de Rohan, chef des calvinistes en 1628, et avoua que plusieurs en murmurèrent. Il reconnaît que le privilège existe, mais il déclare que ceux qui en jouissent le perdent par certains crimes, ipso facto ; que dans ce cas on ne doit plus les considérer comme pairs, mais comme personnes privées. On ne peut, dit-il, les renvoyer devant les juges de leur privilège, même pour juger s'ils en sont déchus[34]. Cette théorie d'un droit qui ne pourrait servir à son possesseur que lorsqu'il n'en a pas besoin, et dont il est nécessairement privé lorsqu'il peut lui être utile, est un amer sophisme que le bon sens réprouve. L'opinion publique en fut choquée dans toute la France, et le Parlement de Toulouse en particulier refusa de se prêter au rôle qu'on voulait lui faire jouer. On le contraignit d'obéir[35], et on le fit présider, pour la circonstance, par le garde des sceaux Châteauneuf, autre abus contre lequel ce corps réclama eu vain. Richelieu présidait lui-même sous le nom de sa créature, et rédigeait selon son habitude un acte d'accusation occulte, sous forme de notes et de mémoires. Il allait jusqu'à prétendre que le maréchal avait lâchement trahi en 1629, en donnant contre nous un avis aux ennemis[36] ; il l'accusa de marcher sur les traces de ses ancêtres pour la destruction de cette monarchie ; il dresse contre les feux connétables un véritable réquisitoire, reproche au grand-père de l'accusé d'avoir perdu sous Henri II la bataille de Saint-Quentin, et ternit comme à plaisir la gloire de ses aïeux[37]. Il mit tant d'animosité à obtenir par voies obliques cet arrêt qui eût été rendu tout seul, et auquel Montmorency s'attendait, que d'un criminel d'État, il fait en quelque sorte sa victime particulière[38]. Il en fut de même pour Cinq-Mars[39]. Le fils du maréchal d'Effiat, que la littérature a embelli, est devant l'histoire fort peu digne d'intérêt. Parvenu, par l'influence de Richelieu, à ce poste de favori d'un roi qu'il n'aima jamais, mais qu'il exploita longtemps, il se livrait avec emportement à toutes les jouissances du luxe. De somptueux équipages, des vêtements magnifiques, les profusions d'une table délicate, les soirées du Marais, les nuits de Marion de Lorme, et vingt ans ! La tête lui tourna. Il essaya de lutter avec son ancien protecteur, puis rêva de le remplacer. Ce jeune présomptueux, qui n'était encore bon qu'à faire un gentil page, se crut apte à gouverner la France, et commença par y appeler l'étranger. Il signa le honteux traité que l'on connaît, et l'issue d'un procès où figurait une semblable pièce n'était pas douteuse. Mais au lieu d'être traduit au Parlement de Paris, comme le prescrivait la loi, l'accusé comparait devant une commission composée exprès par Richelieu d'éléments divers, mais dociles[40]. Cinq-Mars essaya vainement de s'y soustraire, puis, se voyant perdu, il préféra ne pas marchander sa vie ; mais pour lui comme pour Montmorency, l'équité du jugement est altérée par la qualité des juges. Le cardinal enlève à la loi toute sa force morale, en la faisant appliquer par ses agents personnels. Richelieu, dit M. Gaillet, porta l'idée de la loi plus haut qu'elle n'avait jamais été en France, par les supplices illégaux qu'il ordonna[41]. C'est une naïveté ou un dangereux paradoxe. On n'élève pas une chose en la violant. L'illégalité engendrant le respect de la loi, voilà un problème difficile à résoudre ; à moins de supposer que si le cardinal a porté haut l'idée de la loi, c'est que les peuples ont conçu pour elle un amour d'autant plus vif qu'ils en étaient privés davantage.

Ce ne fut pas seulement la loi écrite qui fut audacieusement violée, ce fut aussi la loi naturelle. Ce ne fut pas telle ou telle de nos lois françaises, mais la justice éternelle et générale. La justice n'est pas une utopie, son domaine n'est pas chimérique, mais bien défini dans la conscience de tous. Quand Montesquieu posait ce beau principe que les lois ne doivent se charger de punir que les actions extérieures, il rappelait une vérité oubliée depuis plus d'un siècle, mais non inconnue à nos aïeux[42]. Bodin écrivait sous Henri III : C'est une incongruité bien lourde en matière d'État, et d'une suite dangereuse, d'enseigner aux princes des règles d'injustice pour assurer leur puissance par tyrannie, qui toutefois n'a point de fondement plus ruineux que celuy-là... Le prince dépravé, d'opinions tyranniques, fait passer l'amende devant l'accusation, et la condamnation devant la preuve, qui est le plus grand moyen qu'on puisse imaginer pour ruiner les princes et leurs États[43]. Richelieu, au contraire, écrira : Il y a des crimes où il faut punir et puis informer[44]. A lui appartient la répression préalable. Je rognerai, disait-il, les ongles si courts à ceux dont on a lieu de se garder, que leur mauvaise volonté sera inutile[45]... Je me suis perdu chez la Reine, pour ne pas défaire les cabales en leur naissance. Si l'on veut se sauver, il faut prendre le contre-pied. Il vaut mieux, pour une telle fin, faire trop que trop peu... Par trop peu on se met au hasard de se perdre, et quand même on ferait quelque chose de trop, il n'en peut arriver inconvénient, et on s'assure tout à fait, n'y ayant rien qui dissipe tant les cabales... que la terreur et la crainte[46]. Richelieu parle bien du seul bon système qui, maniant la rigueur avec une juste satisfaction de ceux qu'on gouverne, aboutit à récompense des bons et punition des mauvais, seulement il ne dit pas à quoi il reconnaît les bons et les mauvais ; quand on punit les gens, on dit toujours qu'ils sont mauvais. Acteur dans les révoltes de 1620, il sait fort bien faire grande différence entre ce qu'on fait à mauvais dessein pour troubler le repos de l'État, et ce qu'on fait pour sa sûreté, et pour se garantir d'oppression[47]. D'autres essayeront de faire à leur tour la même distinction durant son ministère, mais il leur en coûtera cher : Jusques à ce que toute la chrétienté, dira alors le premier ministre, soit persuadée que le Roy ne saurait ny aimer, ny souffrir ceux qui n'aiment pas le Cardinal, on n'estimera point que la France soit en état de consistance ferme et assurée[48]. Pour célébrer la clémence du Roi, un écrivain officieux[49] fait remarquer que des coupables qui étaient sur le point de commettre un crime, sont surpris entre la pensée et l'exécution, et se voient réduits à une chambre à la Bastille. Cette extrême bonté qui fait le procès à la pensée lui parait admirable. Il loue le Roi de s'être servi de la douceur de ces préservatifs... il a trouvé cet excellent tempérament entre la peine et l'impunité ; il a pris ce milieu entre la rigueur et l'indulgence. La prison perpétuelle, la confiscation des biens sans aucune forme de procès, ne sont donc que de doux préservatifs. Ne vaut-il pas mieux, ajoute-t-il, empêcher ainsi les innocents de faillir, qu'estre réduit à cette triste nécessité de condamner des coupables ? N'est-ce pas, la plupart du temps, conserver des gens qui se veulent perdre ? Le Comité de salut public, en 1793, tenait le même langage en appliquant la loi des suspects. Tous les despotismes sont frères. On punissait des innocents, de peur d'avoir un jour à punir des coupables. On tentait de démontrer à ceux dont on tranchait la tête que c'était uniquement pour leur bien qu'on les condamnait à mort. Sur un simple soupçon, dit le même auteur, sur une légère défiance, sur un songe qu'aura fait le prince, pourquoi ne lui sera-t-il pas permis de s'assurer, de ses sujets factieux en leur donnant pour peine leur propre repos (en prison) ?... Pourquoi même un fidèle serviteur lue souffrira-t-il pas avec quelque joie sa détention ?... Cette apologie est si terrible qu'elle ressemble vraiment à une satire, et qu'on a besoin, pour être fixé sur son véritable sens, de se souvenir que l'auteur en fut récompensé par une pension de deux mille livres, et par un brevet de conseiller d'État. Plus loin, il exalte ainsi les doctrines à la mode : Il faut que la prudence soulage la justice de beaucoup de choses, qu'elle courre où celle.ci qui va trop lentement n'arriverait jamais... La justice s'exerce seulement sur les actions des hommes, mais la prudence a droit sur leurs pensées et sur leur secret. Elle s'étend bien avant dans l'avenir, elle regarde l'intérêt général. Elle pourvoit au bien de la postérité. Et pour cet effet elle est contrainte ici et ailleurs d'employer des moyens que les lois n'ordonnent pas[50], mais que la nécessité justifie, et qui ne seraient pas entièrement bons s'ils n'étaient rapportés à une bonne fin... L'utilité publique se fait souvent du dommage des particuliers... Le vent du nord purge l'air en déracinant les arbres et en abattant les maisons... Ne croit-on pas entendre dans Tacite les mignons de Néron ou l'affranchi de Tibère ? Comme en termes galants ces choses-là sont mises ! Et quel parti ne tirera pas la monarchie absolue de cette distinction ingénieuse entre la justice qui est le droit commun, et la prudence qui est l'arbitraire ?

Pour Richelieu, tous les moyens sont bons, les plus rapides sont les meilleurs ; il cite des assassinats politiques commis à l'étranger, et dit, sans en être nullement choqué, que l'Angleterre et Savoye ont accoutumé de se faire raison par telles voyes[51]. Il excuse ingénument Concini d'avoir fait assassiner le sergent Prouville : Ce ne serait pas une question peu problématique, de disputer qu'un sergent-major d'une place comme la citadelle d'Amiens qui a intelligence avec les ennemis de celui qui l'a mis en charge, puisse être justement traité du poignard[52]. Un homme qui savait comme le cardinal conformer si bien ses actes à ses idées, pouvait être soupçonné de mettre en pratique de pareilles maximes. L'historien ne peut se faire l'écho de bruits publics dont il ne saurait vérifier l'exactitude. Il est frappé cependant de la rapidité avec laquelle meurent certains personnages, peu de temps après leur emprisonnement : d'Ornano en 1624, le grand prieur de Vendôme 1626, Marillac en 1632, Puylaurens en 1634, tous dans l'année de leur incarcération, et trois d'entre eux à Vincennes[53]. Pour nous, nous refusons de croire à ces crimes clandestins, Richelieu a prouvé qu'il n'hésitait pas à les commettre en plein jour[54]. Il en est de même de la mort du comte de Soissons à la Marfée (1641). On ignore encore comment il y succomba. Il regardait de loin la déroute des Français, marchant au petit pas, au milieu des siens, et entouré de ses domestiques, quand il tomba de son cheval roide mort, sans que jamais on ait pu savoir d'où cela était venu. Ceux qui étaient auprès de lui dirent seulement qu'ils ouïrent un coup, et qu'ils virent un cavalier passer, leur maitre en même temps tomber, et qu'ils lui trouvèrent le coup dans le front[55]. Mais lors même que le ministre de Louis XIII eût donné l'ordre de tuer ce prince, ce n'est pas sur des faits de cette nature que nous voulons le juger. Trop d'autres montrent son mépris de l'équité. Cet homme qui délibère (en 1627) pour savoir si l'on châtiera les pères dont les enfants sont dans les crimes de rébellion[56] avait moins de scrupules que ses agents les plus osés. Un individu convaincu de complot contre la duchesse de Savoie ayant été condamné à mort, d'Emery refusait de le faire exécuter, parce qu'il lui avait promis la vie pour lui faire avouer la vérité. Richelieu lui manda de passer outre... parce que les juges ont accoutumé, en pareilles rencontres, de se servir de cette adresse pour tirer la vérité de la bouche des criminels[57].

Le droit imprescriptible de propriété ne trouve pas grâce devant lui. Sous prétexte que le Roi doit prendre soin des familles de ses sujets comme leur père commun, il interdit par lettres patentes à la duchesse d'Elbœuf la disposition de ses biens, et révoque tous les actes qu'elle pourrait avoir fait dans ce sens, bien que par les coutumes des lieux, ladite dame en pût disposer. Le motif invoqué était qu'elle voulait avantager le duc d'Elbœuf, son fils aîné, nonobstant sa rébellion contre nous, au lieu de le priver de ses bonnes grâces et de sa succession, pour en revêtir notre cousin le comte d'Harcourt, son second fils, qui nous a toujours fidèlement servi.... Et tandis que le Roi forçait le Parlement à enregistrer ces lettres abusives, Bignon ne pouvait s'empêcher de dire : Les maximes de la justice nous apprennent qu'un des principaux droits de propriété consiste en la disposition de son bien[58].

Pour qualifier les nouveaux délits qu'il avait inventés, il se servit d'une formule vague, mais terrible : le crime de lèse-majesté. Il donna à ce crime de merveilleux développements ; il en fit ce qu'il voulut. Criminels de lèse-majesté ceux qui avaient parlé du gouvernement avec un peu trop de liberté, ceux qui avaient fait assemblées publiques ou secrètes sans permission du gouvernement[59]. Criminels de lèse-majesté ceux qui avaient cherché à supplanter le Cardinal, ceux qui auraient vu sa chute avec plaisir. Montesquieu rappelant les idées de Richelieu en cette matière, et la façon dont il les mit en pratique, ajoute : Quand la servitude elle-même viendrait sur la terre, elle ne parlerait pas autrement[60]. Par décision sommaire, le Roi sans jugement, sans preuve, sous les prétextes les plus frivoles, déclarait tel ou tel, souvent tout un groupe d'individus, convaincu de ce crime qui pouvait entraîner la mort[61]. Le crime de lèse-majesté, disait le premier ministre, est si important que même celui qui en est coupable par une simple pensée est digne de punition[62]. A fortiori, celui qui, ayant connaissance du crime d'autrui, ne s'en faisait pas le délateur. En vertu de ce principe, de Thou fut condamné à perdre la tête. L'ami de Cinq-Mars, apprenant son projet, interrompit celui qui lui en parlait, lui déclarant qu'il ne s'en voulait point mêler, qu'il était ennemi du sang, et que par son ministère il ne s'en répandrait jamais. J'ai su la conspiration, dit-il aux juges, j'ai fait tout mon possible pour l'en dissuader ; il m'a cru son ami unique et fidèle, et je ne l'ai pas voulu trahir[63]. Il existait, il est vrai, une ordonnance de Louis XI, issue des plus mauvais jours de ce triste souverain, par laquelle la non-révélation était punie comme le crime[64]. Séguier l'ignorait, ou feignit de l'ignorer, car il déclara à Richelieu, après l'interrogatoire, qu'il ne voyait pas matière à condamnation. Celui-ci, surpris de ce discours, s'en entretint avec quelques-uns des commissaires, et Laubardemont eut la bonne fortune d'exhumer la loi de Quisquis. Le chancelier douta de sa validité, parce qu'elle n'était pas en usage au Parlement de Paris, mais il fallut obéir[65]. Deux juges pourtant refusèrent d'opiner à la mort : MM. de Sautereau et de Miromesnil ; ce sont des noms que la postérité doit conserver[66].

Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage de raconter un à un les procès par lesquels Richelieu mit ses idées en pratique. Nous relèverons seulement les principaux motifs de leur iniquité, absence d'instruction, prévarication des juges, inanité des accusations. Le Cardinal supprime la justice, et quand il en tolère encore les apparences vaines, c'est par une pure bonté, puisqu'il a le droit d'infliger sans jugement toutes les peines, non-seulement à ceux qu'il dit coupables, mais aussi à ceux qu'il reconnaît hommes de bien, de peur que ces derniers ne fassent un jour quelque mal.

Pour prouver la culpabilité du duc de Vendôme, il raconte très-sérieusement qu'un prévôt de Saumur ouït dire au cocher du duc en passant lorsqu'il venait : N'a-t-on pas bien rasé Louis le Fainéant ? Ce qui montre qu'il y avait quelque dessein bien épandu dans la maison[67]. Ce qu'on punit en lui par une longue captivité, ce fut de penser seulement aux prétentions qu'il avait sur la Bretagne[68]. Pour justifier l'exil de Baradas, ce jeune homme venu en une nuit comme un potiron, qui pensait être mieux aimé du Roi que le Cardinal, et qui, dernier terme de la folie, l'osait dire à Sa Majesté, Richelieu rapporte un mot de ce favori qu'il avait appris ainsi : Le Plessis dit au Cardinal que le cardinal de la Vallette avait su de M. de Bellegarde que Baradas avait dit à la Reine. Le propos avait donc, en admettant sa véracité, passé par cinq bouches et cinq oreilles successives, et l'on ignore même comment et de qui la première le tenait. Le premier ministre a d'ailleurs un rare talent de procureur royal et même de policier. Quand un homme le gêne, qu'il veut faire un exemple, il se met à relever ses fautes, ses plus légères imperfections, accueille toutes les accusations, provoque de tous côtés des mémoires, ne rejette ni ne dédaigne rien, prompt à saisir, à interpréter, comme un chasseur qui guette sa proie, à l'affût, en silence. Il encadre les moindres mots, les coordonne, les rapproche, les commente ; tout lui sert, l'art de faire un coupable n'a pour lui aucun secret[69]. Après cette étude partiale et souvent haineuse, les têtes tomberont, les adversaires disparaitront dans quelque forteresse ; heureux ceux qui pourront, au prix de leurs biens, de leurs charges, conserver la liberté en pays étrangers. Il traite beaucoup de choses préjudiciables au service de Sa Majesté et au repos de son État. Telle est la formule consacrée pour faire pendre et exécuter les gens[70]. Quand on précise, quand on cherche la pensée sous ces commérages vides, absurdes, et souvent sans vraisemblance, on ne la trouve pas ; on se demande où est la faute capitale dans ces petites circonstances qu'une accumulation laborieuse a réunies, et on ne la voit pas. On reproche à d'Ornano de ne pas empêcher Monsieur d'entrer dans les cabales avec des grands, et d'adhérer à toutes ses débauches et saletés pour lui plaire ; jusque-là que peu ne s'en faut que le frère du Roi ne prenne quelque mauvaise maladie avec une femme abandonnée à toute la cour[71]. A Châteauneuf[72] on impute des desseins particuliers pour son intérêt et sa passion, qui ne se rapportaient pas entièrement au service du Roi[73]. Voilà les crimes de haute trahison que le Cardinal alléguait, et auxquels il ne croyait guère en son particulier, pas plus qu'il ne croyait à la sorcellerie d'Urbain Grandier. Aussi plaisante-t-il fort les diables de Loudun, neuf mois après qu'on les a pris assez au sérieux pour condamner le malheureux curé de cette ville à être brûlé vif[74]. Au fond, presque tous ces ennemis de Richelieu dont il fit ses victimes, sont peu intéressants. Ambitieux, amoureux, intrigants, écervelés, ce n'est point eux que nous défendons, c'est la grande cause du droit. Châteauneuf, par exemple, ce triste sire qui avait, sans rougir, condamné à mort Marillac, et qu'une femme comme la duchesse de Chevreuse a pu faire tourner si aisément, n'est nullement sympathique ; mais si l'absence de courage civil et la versatilité devaient être châtiées comme les délits les plus graves, bien peu d'hommes politiques seraient morts dans leur lit[75]. Veut-on un spécimen des procédés ministériels, qu'on examine l'affaire de Chalais.

Dès le commencement de l'année, dit le Cardinal, c'était un bruit commun qui courait par la cour, qu'il s'y formait une grande cabale.... Ce bruit qui court, cet on dit, on affirme, on assure, tout le monde juge, c'est sa formule. On est son grand accusateur[76]. L'un rapporte qu'un autre lui a dit qu'un propos aurait été tenu par celui-ci ou celui-là qu'on n'interroge pas ; mais on enregistre le dire, et c'est avec cela qu'on rédige les arrêts. Donner à Monsieur le conseil de ne venir point où était le Roi, ains de s'en aller de la cour ; donner ce conseil et méditer là-dessus est si notoirement crime, que pour la même chose Coconas et La Môle furent exécutés à mort du temps de Henri III. L'exemple est bien choisi. Le colonel d'Ornano dit à la Reine[77] que si on ne mettait Monsieur au conseil, il ferait une escapade ; si de telles menaces ne sont crimes en matière d'État, rien ne le peut être... Et il ajoute, mais sans le prouver : Étant certain que par là, il exprimait son désir, et non celui de Monsieur. L'affaire de d'Ornano est ainsi liée à celle de Chalais. Il suppose, il induit, il hasarde, et les juges condamneront. Le duc de Guise raconte que M. le Prince lui dit qu'il était bien aise que Monsieur n'eût point d'enfants à son préjudice. Nouveau crime de Chalais, selon Richelieu ; puis, pêle-mêle, une innombrable quantité de petits faits et de cancans, dont il conclut avec un sérieux sinistre : Voilà la plus effroyable conjuration dont jamais les histoires aient fait mention, qui allait à abaisser la personne du Roi. La preuve, c'est qu'on savait que les conjurés en parlaient avec mépris, particulièrement madame de Chevreuse ; que des confesseurs du jubilé, innomés, disent que des personnes s'étaient accusées à eux comme d'un grand crime, d'un grand dessein qu'il y avait pour élever Monsieur. L'affaire reste ainsi jusqu'à la fin dans le vague, et la culpabilité de Chalais en particulier ne se trouve nullement démontrée ; mais, dit Richelieu, en pareille affaire, il est difficile d'avoir des preuves plus concluantes que les susdites. En matière de conspiration, il est presque impossible d'en avoir de mathématiques... mais quand les conjonctures sont pressantes, les autres doivent en tenir lieu, lorsqu'on les juge telles... Il en prend aisément son parti. Cette appréciation élastique de preuves peu concluantes lui suffit, car souvent on n'a l'entier éclaircissement d'une conspiration que par l'événement ; il juge préférable de punir de mort un individu dont les intentions sont suspectes. Quand Napoléon fit exécuter le duc d'Enghien, il ne se justifia pas autrement. Le coup de maître est de faire au Roi une opinion, et de paraître ensuite le laisser juge, tout en lui disant que si l'on n'use pas de rigueur, les mécontents pourront en une occasion favorable révolter la moitié de la France, si bien que le prince arrive à s'imaginer qu'il sera lui-même victime, si d'avance il n'est pas bourreau. Chalais fut condamné à avoir la tête tranchée, sa tête mise au bout d'une pique, son corps mis en quatre quartiers, chaque quartier attaché à des potences, et auparavant l'exécution mis à la torture[78]. Richelieu craint-il quelque intrigue, soupçonne-t-il quelque trame secrète dans le but de lui ravir son poste, il choisit au hasard une tête et la coupe, pour faire un exemple. L'individu que l'on supprime importe peu ; ce qui importe, ce sont ceux qui assistent à son supplice, et qui vont trembler pour eux-mêmes. Et nunc erudimini !... On veut terroriser les indépendants, comme on voudra, un siècle après, terroriser les réactionnaires. Ilien de plus frappant en ce genre que le procès du maréchal de Marillac. Le Roi malade et presque mourant en 1630 s'est laissé arracher la promesse de renvoyer son ministre. Le ministre a tenu bon, et a reconquis sa faveur. Il reprend son pouvoir et la comédie de la journée des Dupes se tourne en drame ; à ce drame il faut une moralité sanglante. Puisque le Roi a été assez faible pour promettre une fois la disgrâce du Cardinal, puisqu'il pourrait la promettre encore, il n'y a qu'un moyen d'empêcher le retour d'un engagement pareil, c'est de montrer à ceux qui seraient tentés de le solliciter à nouveau, ce qu'il leur en coûtera s'ils ne réussissent pas à le faire tenir. Malheur à ceux qui auraient à l'avenir de semblables idées en tête, si le succès ne justifie pas leurs cabales. En cette circonstance, le choix de la victime est malheureux ; Marillac, frère du garde des sceaux, est un soldat vaillant et intègre. Peut-être sait-il les menées hostiles, mais il n'y prend aucune part. Cependant ordre est donné à son collègue Schomberg de l'arrêter à la tête de ses troupes. Marillac avait levé en Champagne, par ordre du Roi, sept mille hommes que commandaient ses amis ou ses proches ; rien ne lui eût été plus facile que de provoquer une guerre civile, mais il est admirable de résignation et de fidélité au Roi[79]. Il pouvait s'enfuir, il n'y songe pas et se laisse conduire à Paris sans résistance. Voilà bien un rebelle, un des membres de cette féodalité si ombrageuse.

Il est vrai que celui-ci est fort de sa conscience : De quoi peuvent-ils me convaincre, sinon d'avoir toujours très-fidèlement servi le Roi ? Des commissaires sont chargés d'instruire l'affaire. Le Parlement[80] leur défend de poursuivre l'information ; le maréchal de son côté récuse ces magistrats suspects. La chambre de justice constituée à Sainte-Menehould[81] est révoquée, et transférée à Verdun, dans l'espoir qu'au milieu de populations supposées aigries contre l'accusé, le jugement sera plus rigoureux. Quelques mois après, l'affaire ne marchait pas mieux à Verdun ; plus de cent témoins avaient été entendus, c'est un esprit de lenteur insupportable. La commission est dissoute, une nouvelle est organisée ; il faut prendre garde à la composition des juges. On exclut tous ceux qui dans les premiers actes du procès avaient été favorables au maréchal. On les remplace par ses ennemis personnels. Richelieu ne se fait pas scrupule d'aller visiter tous les commissaires les uns après les autres ; menaces, promesses, sont employées tour à tour. Bientôt il fait siéger ce soi-disant tribunal à Ruel, dans sa propre maison, et ce fut là que, malgré ces triages répétés et cette pression sans exemple, fut prononcée, à la majorité d'une voix seulement, la condamnation à mort. Barillon déclarait la veille encore qu'il n'y avait aucune preuve de crime. Si la Reine mère se fuit réconciliée avec le Cardinal, Marillac était sauvé. Elle quitta la France, il perdit la vie[82]. Je mourrai de glaive ou de poison, dit-il ; celui qui est fâché contre moi ne m'épargnera pas[83]. Pour la première fois, en 1632, Richelieu déclare avoir fait arrêter Marillac, à cause de malversations. L'histoire a fait justice de cette accusation forgée après coup[84]. Cette fable d'exactions et de péculat est puérile. Avec la comptabilité militaire de l'époque, ou mieux avec l'absence de comptabilité, tout honnête homme pouvait passer pour fripon si l'on voulait le poursuivre. A cette infamie, Richelieu en ajoute une autre qui lui est Familière : un dénigrement violent des prétendus coupables. Ceux qui lui ont rendu le plus de services, ceux que lui-même en retour a protégés, il veut prouver qu'ils n'ont cessé d'être des coquins, des traitres ou des imbéciles ; qu'ils n'ont rien mérité de ce qu'ils ont obtenu. Il reprend leur vie fait par fait, et démontre qu'ils sont peureux, ineptes, voleurs, qu'ils ont tous les vices, et que leur existence tout entière n'est qu'un tissu des plus noires horreurs. Pense-t-il se justifier pour Marillac en invoquant les iniquités les plus notoires des siècles anciens : Enguerrand de Marigny, Olivier de Clisson et le connétable de Saint-Paul ? Le Cardinal, qui prend si bien le crime à son compte dans les Mémoires qu'il destinait à la postérité, n'eut pas le même courage devant les contemporains. Il gouailla fort agréablement les juges, quand ils vinrent lui faire leur compliment en corps : Dieu donne d'autres lumières aux juges qu'aux autres hommes. C'est une belle qualité que d'être bon juge et incorruptible. Et là-dessus il leur tourna le dos pour aller à la promenade. Les juges de Marillac ne savaient pas que le premier ministre avait écrit, à propos de la maréchale d'Ancre, qu'il ne faut point, sous la promesse d'un favori, outrepasser la ligne de la droiture dans les jugements[85].

Marillac fut la plus illustre victime de cette intrigue, il ne fut pas la seule. Certes la Reine mère est une figure sans intérêt. Cette femme qui n'a su ni commander ni obéir, qui laissait toujours échapper le pouvoir quand elle le tenait, et tentait toujours de le ressaisir après l'avoir perdu, est une des souveraines les plus médiocres de notre histoire. Cependant on ne peut s'empêcher de regretter la nature des procédés dont le Cardinal usa envers elle. La mère du Roi vit son existence s'éteindre dans de longues souffrances, sans qu'un seul mot de tendresse de la part de son fils vint les adoucir, et au milieu des trahisons dont l'environnait encore celui qui lui devait sa fortune. Le traitement qu'elle subit est peu de chose auprès des rigueurs déployées contre ses serviteurs et ses partisans : Les contentions, les jalousies, l'ambition entre les personnes d'autorité, desquelles naissent souvent plusieurs inconvénients, ne sont néanmoins pas imputées à crime de trahison contre l'État[86]. Ainsi parlait en 1619 l'évêque de Luçon ; le cardinal de Richelieu tiendra un autre langage. Les amis de ses ennemis sont ses ennemis, et non-seulement leurs amis, mais ceux qui de près ou de loin entretiennent avec eux quelques relations. Chanteloube et Saint-Germain[87] étaient dévoués à la Reine mère, ils ne furent pas longtemps sans être condamnés à mort ; on y condamna également un nommé Tonnelier, qui avait intelligence avec Chanteloube, et une dame de Gravelle, qui était en rapport avec Tonnelier, eut pour sa part la prison perpétuelle[88]. C'était un long chapelet de supplices et de procès qui s'engendraient l'un l'autre, et que le ministre égrenait selon les besoins de sa politique.

Il fait trancher la tête à La Louvière, uniquement parce qu'il s'était chargé de porter une lettre de la Reine mère au gouverneur d'Ardres. Il envoie à la Bastille le sieur de Leuville et le commandeur de Jars, dont le crime était, disait-on, d'avoir traité de faire passer de Flandres en Angleterre la Reine mère et Monsieur[89]. Deshayes de Courmenin[90], coupable d'avoir accepté une mission du duc d'Orléans près de l'Empereur, pour recouvrer de l'argent sur les pierreries de la Reine mère, est pris par ordre de Richelieu en pleine Allemagne, amené à Hernanstein, puis à Metz, enfin à Béziers, où il est décapité[91]. Sous ce gouvernement, on se passait aisément des traités d'extradition ; les plus simples notions du droit des gens étaient méconnues. Sans parler de Montaigu, ministre d'Angleterre, appréhendé sur le territoire lorrain par des soldats français, on voit un religieux enlevé par nous dans le même pays et amené en France avec escorte suffisante[92]. Pour juger le baron de Clausel, accusé d'entretenir des rapports avec l'Espagne, on députe un maitre des requêtes en Suisse, on s'empare du présumé coupable, on lui fait son procès séance tenante et on l'exécute chez nos voisins[93].

 La nation était tellement pacifique, que personne ne songeait à secouer le joug, on se résignait. Mes compagnons tenaient pour certain, dit un prisonnier à la Bastille, que dans peu je serais expédié[94]. On prenait gaiement son parti de ce qui se passait. Saint-Géran disait en mourant en : On ne me reconnaîtra pas en l'autre monde, car il y a longtemps qu'il n'y est allé de maréchal de France avec sa tête sur ses épaules[95].

Il se produisait seulement une résistance passive, lors des actes judiciaires les plus scandaleux, du procès du duc de la Vallette, par exemple[96], fait au Louvre par des commissaires, dans le cabinet, et sous la présidence du Roi, qui dirigeait les débats en personne. La Vallette s'était trouvé blessé de servir sous le prince de Condé dont il prisait peu le génie militaire, qui était malveillant à l'endroit de sa famille, et dont le commandement était impérieux et difficile. Avec de telles dispositions et sa fierté de caractère, La Vallette put être aisément porté à l'insubordination, en un temps où c'était la plaie de toute l'armée. Richelieu transforma une faute militaire en un crime politique, crime de haute trahison et de lèse-majesté, grâce à l'accumulation des petits détails, au sens donné à une parole ou à un sourire. Il composa de sa main un acte d'accusation de douze ou quinze pages. Deux ans avant, au conseil de guerre qui condamna le baron du Bec à être écartelé, pour avoir rendu la Capelle, le duc de la Vallette avait opiné que ce gouverneur n'avait point forfait à l'honneur, en rendant une place en si mauvais état que celle qu'il défendait, après avoir résisté sept jours. Richelieu dans son factum rappelle cet avis d'un juge impartial, comme il rappellerait un crime : Celui qui a été une fois convaincu d'un crime doit toujours être présumé coupable de mêmes fautes, lorsqu'il en est accusé de nouveau. Le duc ne peut être au siège de Fontarabie jugé innocent d'infidélité, puisqu'il n'y a que deux ans qu'il fut convaincu de la plus noire qui ait jamais été contre l'État[97]. Voilà ce qu'il en coûtait en ce temps de juger une fois selon sa conscience.

Le Roi, la parole dure et le geste emporté, s'acharna à la condamnation de son beau-frère, et usa sans pudeur de son autorité royale, pour contraindre les commissaires à opiner en sa présence : Sire, dit le conseiller Pinon, doyen de la Grand'Chambre, il y a cinquante ans que je suis dans le Parlement, je n'ai point vu d'affaires de cette qualité ; M. de la Vallette est pair de France, je vous supplie de le renvoyer au Parlement. — Je ne le veux pas, reprit le Roi, ce n'est pas là opiner. — Sire, un renvoi est un avis légitime. Les présidents de Novion et de Bellièvre allèrent plus loin. C'est une chose étrange, dit ce dernier, de voir un Roi donner son suffrage au procès criminel d'un de ses sujets. Votre Majesté, Sire, pourrait-elle soutenir la vue d'un gentilhomme sur la sellette, qui ne sortirait de votre présence que pour aller à l'échafaud ? Cela est incompatible avec la majesté royale. — Opinez sur le fond, dit le Roi. — Sire, reprit Bellièvre, je n'ai pas d'autre avis. Matthieu Molé, procureur général, à qui fut remis l'arrêt de condamnation pour faire exécuter le contumace en effigie, refusa de le faire, et l'on trouva difficilement un magistrat inférieur qui voulut s'y résoudre[98]. Montesquieu, un siècle plus tard, visait ce procès insensé quand il écrivait : Le prince ne peut juger lui-même dans les monarchies, autrement la constitution serait détruite, les pouvoirs intermédiaires dépendants, anéantis[99].

Et malgré cette tyrannie, malgré ce régime de fer et de sang, les hautes classes restent calmes. Entre le peuple qui se révolte parce qu'il meurt de faim, et les quelques intrigants qui complotent parce qu'ils sont avides de pouvoir, la grande masse de la noblesse et de la bourgeoisie demeure indifférente. Étrangère aux révoltes et aux complots, elle n'essaye pas même de faire entendre un cri de liberté ; elle se plaint, elle gémit en silence, elle n'oserait se lever hardiment contre le ministre, tellement ce pouvoir royal était respecté, même dans ses abus.

La vie même du Cardinal n'est pas une seule fois sérieusement menacée ; il a beau s'écrier qu'on y attente par assassinat et par poison l'histoire n'en est pas dupe. A part la conspiration de Montrésor qui s'est évanouie comme une ombre, au moment de l'exécution, et dont Richelieu ne se douta jamais, tous ces soi-disant attentats, dont le Cardinal nous entretient dans ses Mémoires, n'ont pas la plus légère apparence de réalité. Un Gabriel Lavenard, condamné à être roué et brûlé vif pour s'être offert d'attenter à sa vie moyennant 20.000 francs ; Blaise Roufet, qui feignait se nommer Chavagnac, condamné à mort ; Nicolas Gargant et A. Bouchard, prêtre, condamnés au feu pour sortilèges ayant pour but la mort du Cardinal, ces prétendus criminels ne furent nullement convaincus[100]. Il n'y a rien de sérieux dans leurs procès, ni l'accusation ni la preuve ; il n'y a de sérieux que la condamnation, qui ne manquait pas d'être exécutée. Nous n'écrivons pas d'ailleurs l'histoire des cinquante malheureux, parmi lesquels on trouverait cinq ou six coupables, qui servirent, en portant leur tête sous la hache, à la démonstration de principes nouveaux et à l'inauguration d'une politique nouvelle[101].

Un homme qui fait si bon marché de la vie d'autrui ne doit pas avoir grand scrupule à emprisonner ou à exiler ceux qu'il suppose être ses adversaires. Beaucoup s'exilaient d'eux-mêmes ; c'était une espèce d'émigration. Je suis ici pour ne pas être , écrivait de Florence le duc de Guise au maréchal de Bassompierre enfermé dans la Bastille. Je ne pouvais m'imaginer, dit ce dernier, que l'on me veuille mettre prisonnier, n'ayant rien fait, ni m'y retenir quand on ne trouvera aucune charge contre moi[102]. Le Roi lui fait dire qu'il le tient son bon serviteur, et qu'il ne l'a pas fait arrêter pour aucune faute qu'il ait faite, mais de peur que l'on ne le portât à mal faire. Richelieu, si inventif à charger ses ennemis, ne reproche rien à celui-ci ; il parle de sa mauvaise langue, mais sans aigreur, car il entretient des relations avec lui, lui envoie un chapelet en se recommandant plaisamment à ses prières, ou lui emprunte sa maison de Chaillot, et accepte d'être traité gratis par ses gens, sans que cet échange de bons procédés rende au maréchal sa liberté. Peut-être le Cardinal y mettait-il de l'amour-propre, et l'ayant fait emprisonner sans motif, n'osait-il ni s'en dédire ni l'en tirer ; peut-être l'appréhendait-il ne le trouvant pas aussi souple et aussi soumis qu'il voulait que le fussent ses amis[103]. Même traitement au comte de Cramail, l'un des plus honnêtes hommes du temps. De l'aveu du Cardinal, il n'a commis aucune faute, et ne mérite pas une réprimande ; il demeura pourtant à la Bastille plus de sept ans : On ne lui fera aucun mal, on le tiendra seulement là pour empêcher qu'il n'en fasse[104]. Cramail s'était émancipé à dire au Roi dans des conversations familières ce que le Cardinal ne voulait pas qu'il sût[105]. C'en est assez pour qu'on le supprime, la légèreté à parler étant un crime, là où la parole même mesurée est déjà un délit.

Les histoires remarquent pour les plus heureux règnes ceux où il se trouve plus de menaces que de supplices, plus de prisons que d'échafauds[106]. L'observation est due à Richelieu dans sa jeunesse ; il fut à même d'en vérifier l'exactitude avant de mourir. Non-seulement le Cardinal était en haine et en horreur à raison de ses violences[107], mais le Roi aussi était devenu odieux à son peuple. Il fuyait le monde et surtout Paris... On ne criait presque point : Vive le Roi ! quand il passait[108], tandis que dès 1631, sur le passage du duc d'Orléans, on commençait à dire : Vive Monsieur et la liberté du peuple ![109] Il y avait dans les cœurs, c'est le Cardinal qui l'avoue, une haine secrète contre le gouvernement ; de sorte qu'il y en avait presque autant en notre armée qui eussent désiré que l'ennemi eût emporté l'avantage sur nous, qu'il y en avait à souhaiter le succès du Roi[110]. Beau résultat d'un despotisme qui conduit les citoyens à voir d'un œil sec les défaites de la patrie, dans l'espérance qu'elles amèneront la chute du gouvernement qui l'opprime.

Le ministre et le prince entrèrent dans l'éternité à peu de distance l'un de l'autre, chacun parfaitement satisfait de soi-même, ce qui prouve non pas que leur œuvre fût bonne, mais que peut-être ils l'accomplirent de bonne foi. La France qui avait pris tout entière le deuil de Henri IV, la France si royaliste, si attachée à ses maîtres, si indulgente à leurs fautes, se réjouit non-seulement de la mort de Richelieu, mais aussi de celle de Louis XIII. Le sentiment de soulagement est unanime. On ne voit pareil exemple que pour les derniers Valois. On alla à l'enterrement du Roi comme aux noces[111]. Dans sa dernière maladie, on connaissait dans le visage des courtisans l'état de sa santé, car tout le monde était triste dès qu'il se portait mieux, et dès qu'il empirait, la joie se remarquait dans les yeux d'un chacun[112]. Et ce n'est pas seulement l'affliction de la cour qui est médiocre, mais celle de la bourgeoisie, où la mémoire du Cardinal est fort décriée et fort odieuse, celle du bas peuple des villes et des campagnes, bien ignorant, bien peu raisonneur, mais qui, à la mort de Henri IV, sentait d'instinct avoir perdu quelque chose, tandis qu'à celle de Louis XIII, il juge au contraire qu'une délivrance lui est advenue.

Officiers et serviteurs des Rois prendront le deuil à leur décès, mais la nation ne le prendra plus jusqu'à la fin de la monarchie. Louis XIV, Louis XV, s'en iront à Saint-Denis au milieu de l'indifférence ou de l'hostilité de leurs sujets.

 

 

 



[1] La Noblesse et sa décadence. (Voyez plus loin.)

[2] Nous employons toujours ce mot dans l'ancien sens qu'il avait encore sous Louis XIII, de familiers, de clients...

[3] Nous étudierons ces différents faits à l'Administration générale, provinciale et municipale. On pourra se convaincre par la partie des Finances que nous n'avons pas porté un reproche sans fondement.

[4] A l'intérieur, bien entendu.

[5] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 320.

[6] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 298.

[7] Déclaration du 31 juillet 1626.

[8] Il en est de ces forteresses comme de la Bastille, que le peuple ne détruisit que lorsqu'il n'y avait plus personne dedans.

[9] La destruction ordonnée ne s'effectua pas toutefois aussi vite qu'on pourrait le croire, puisqu'en 1629, le premier ministre émettait encore l'avis de raser toutes les places qui n'étaient pas frontières, ou ne servaient point de bride aux Grandes villes mutines et fâcheuses. (Mémoires, t. I, p. 576.)

[10] Mémoires, t. I, p. 424. On supprima la charge par une déclaration de 1643. Jusque-là elle avait été sans titulaire, mais non supprimée. (Voyez TALON, Mémoires, p. 88.)

[11] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 437.

[12] Armand de Maillé, fils du duc de Fronsac, marquis de Brézé, fils d'Urbain de Maillé et de Nicole du Plessis-Richelieu, sœur du Cardinal, né 1619 ; grand maître de la navigation 1642 ; tué en 1648, à la tête de l'escadre française.

[13] Arrêt du conseil d'État du 31 juillet 1638. Il s'agissait de la création d'une cour des aides à Vienne, contre laquelle le Parlement et les Conseils de Grenoble, la noblesse et le clergé de la province protestaient avec énergie.

[14] Marc-Antoine de Gourgues, premier président du parlement de Bordeaux, membre de l'assemblée des notables de 1626, avait eu, ainsi que le Parlement tout entier, un démêlé avec Servien, intendant de justice. Il fut si outré du traitement qu'on lui fit subir, qu'il mourut de chagrin quelques jours après son entrevue avec le Roi ; il s'était pourtant justifié. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 434.)

[15] Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. VI, p. 576 ; et Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 955.

[16] TALON, Mémoires, p. 57.

[17] En 1661, Richelieu fit violemment expulser de l'assemblée du clergé, et renvoya dans leurs diocèses, tous les prélats qui lui semblaient hostiles à ses vues, pour y faire, disait-il, pénitence de leurs fautes, c'est-à-dire de leur opposition. Il s'agissait d'an subside sur le chiffre duquel on n'était pas d'accord ; l'exécution se fit publiquement. D'Hémery, porteur de l'arrêt, entra dans la salle des séances, et s'adressant à ceux qui étaient frappés : Vous, leur dit-il, qui avez malicieusement contrarié les justes intentions du Roi, et qui, snobe prétexte de zèle avantageux à l'Église, avez voulu arrêter recours de ses victoires par le refus du secours qu'il demande... le Roi vous commande de sortir es cette heure, et de me suivre ; et si un fait opposition ou autre chose semblable coutre le service du Roi, vous en répondrez sur vos têtes. L'archevêque de Sens répondit qu'il recevait avec respect tout ce qui venait de la part du Roi, même les paroles injurieuses. L'Assemblée ne fonctionna que lorsqu'elle fut exclusivement composée de députés du Cardinal, et non plus de députés du clergé.

[18] Lettres et papiers d'État, t. I, p. 306.

[19] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 222.

[20] BODIN, République, p. 388.

[21] VOLTAIRE, Histoire du Parlement, t. I, p. 38.

[22] Isaac de Laffemas, né 1580, † 1657, fils d'un valet de chambre de Henri IV ; d'après d'autres, fils d'un tailleur de cour nommé Beausemblant. Avocat au Parlement, puis intendant en Champagne, commissaire dans le procès Marillac. On l'avait surnommé le Bourreau du Cardinal. — Maitre des requêtes, malgré ce corps, qui s'était opposé à sa réception comme d'une personne indigne ; procureur général de la chambre de justice, lieutenant civil au Châtelet, 1637. La Porte l'appelle le grand gibecier de France. Despeisses le définit : Vir bonus, strangulandi peritus. D'après Tallemant, il disait en voyant une belle journée : Ah ! qu'il ferait beau pendre aujourd'hui ! Il faisait des vers burlesques sous le pseudonyme de Nicolas Le Duc. (Bibliogr. des Mazarinades.) La Milliade dit de lui :

Mais quels insignes attentats

Ont fait Machaud et Laffemas...

Les bourreaux de qui les souhaits

Sont de peupler tous les gibaits...

En décapitant ils se jouent,

Ils sont encor plus gais s'ils louent...

[23] Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 332 et 490.

[24] TALON, Mémoires, p. 8.

[25] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 387.

[26] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 334.

[27] Pierre Séguier, 1588-1672. Petit-fils d'un avocat général au Parlement sous François Ier, neveu d'un ambassadeur à Venise, conseiller au Parlement, maitre des requêtes, intendant de Guyenne, président à mortier 1624, garde des sceaux 1633, chancelier 1635, fut chargé du procès de Cinq-Mars, 1642. Il resta en charge jusqu'à sa mort. II avait épousé Madeleine l'abri, fille du seigneur de Champauzé. Ses deux filles épousèrent, l'une le marquis de Coislin, puis le marquis de Laval, l'autre le duc de Sully, puis le duc de Verneuil, fils naturel de Henri IV. Madame Seguier eut pour amant le comte d'Harcourt. Tallemant accuse Séguier d'être grand voleur. Talon dit qu'il s'était extraordinairement enrichi. Séguier, homme d'un triste caractère, fut le serviteur docile du premier ministre. Séguier, dit la Milliade,

Est un esclave volontaire,

Il est valet de Richelieu

Il ne croit point d'illustre ouvrage

Que de s'enrichir davantage...

[28] Bibliothèque nationale, anc. collect. Dupuy, fol. 548-550. — Le 7 janvier 1640.

[29] M. Chéruel.

[30] Henri II, quatrième duc de Montmorency, comte de Damville, fils de Henri Ier de Montmorency et de Louise de Budos de Fortes. Il était filleul de Henri IV, né 1595, † 1632. En 1612, fut amiral de France et de Bretagne, puis vice-roi de la Nouvelle-France, gouverneur de Languedoc, 1630 maréchal de France. En 1617, fut l'amant de madame de Sablé. Il avait épousé en 1614 Marie-Félice des Ursins, fille du duc de Bracciano, d'une famille fort répandue en France, à laquelle appartenait aussi la vicomtesse d'Auchy. Le duc de Montmorency avait une sœur germaine, Charlotte, mariée au prince de Condé, et deux sœurs consanguines nées du mariage de son père avec une Bouillon La Marck, dont la première était la duchesse de Ventadour et l'autre la duchesse d'Angoulême. Son père, le dernier connétable de ce nom, avait épousé en troisièmes noces une demoiselle de Clermont-Montoison, qui vécut jusqu'en 1654. Le duc de Montmorency était, dit Tallemant, demeuré maître de son bien à dix-neuf ans. Il parlait difficilement, mais avait fort bonne mine et grand succès parmi les femmes. Il donnait beaucoup aux pauvres et était très-aimé.

[31] PONTIS, Mémoires, p. 575. Le duc reconnaissait lui-même, d'ailleurs, que si le Roi ne lui faisait grâce, tous les juges devaient le condamner.

[32] Le grand maitre de Montaigu, l'amiral Chabot, les maréchaux de Gié et de Biez.

[33] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 408.

[34] Voyez Lettres et papiers d'État, t. III, p. 176, et Mémoires de RICHELIEU, t. I, p. 493. L'argumentation du Cardinal est absurde et ne sert qu'à montrer l'antiquité de la loi qu'il combat. L'histoire tout entière en prouve la fausseté. Il suffit de citer Robert d'Artois (1306-1338), le duc de Guyenne (1337), le duc d'Alençon (1456), le duc de Bretagne (1464, 1472, 1487), le duc d'Anjou (1475), le duc de Bourgogne (1478), le duc d'Orléans (1487), le comte de Flandres (1505), etc., etc. — Voyez Archives nationales, K, 616.

[35] Voyez Lettres et papiers d'État, t. III, p. 395.

[36] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 399.

[37] Voyez Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 357.

[38] Voyez PONTIS, Mémoires, p. 579. Brienne dit (Mémoires, p. 61) que Richelieu empêcha Sa Majesté de faire un acte de clémence que toute Ii cour eut acheté de son sang. Il est certain, du reste, qu'avant sa révolte, Montmorency était an mieux avec le Cardinal, et que son action n'a pas l'excuse d'un ressentiment personnel. Il ne se passait pas de semaine qu'il ne collationnât le soir en particulier avec Richelieu, chez lequel il avait ses entrées â toute heure. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 421.)

[39] Henri Coiffier (dit Ruzé) d'Effiat, marquis de Cinq-Mars, comte de Dampmartin (1620-1642), maitre de la garde-robe et grand écuyer de France. Depuis 1633 (voyez la Gazette) il était lieutenant du Roi en Bourbonnais, il la place de son père. Cinq-Mars était le second fils du marquis d'Effiat, surintendant des finances ; son frère aisé était mort fou. Le troisième, l'abbé d'Effiat, était nommé abbé du Mont-Saint-Michel en 1642, usais on révoqua le brevet qu'on lui avait donné. Cet abbé, dit Richelieu, était un mauvais petit esprit qui ne vivait pas selon Dieu. Cinq-Mars aima Marion de Lorme, Chémerault, fille d'honneur de la Reine, et enfin la princesse Marie de Gonzague, fille du duc de Mantoue, plus tard Reine de Pologne. Il espérait l'épouser.

[40] Elle siégea à Lyon, et se composait de Séguier, du président, et de quelques conseillers du Parlement de Grenoble, de plaire conseillers d'État, et d'un maitre des requêtes. — Six maîtres des requêtes avaient été adjoints en 1632 au Parlement de Toulouse pour juger Montmorency.

[41] CAILLET, l'Administration en France sous le cardinal de Richelieu.

[42] Esprit des lois, p. 285 (édition Didot).

[43] BODIN, République, Préface. — Il faut se rappeler que Bodin est un conservateur qui réprouve fortement la licence.

[44] Lettres et papiers d'État, t. III, p. 176.

[45] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 271.

[46] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 65.

[47] RICHELIEU, Mémoires, t. p. 216.

[48] Lettres et papiers d'État, t. VII, p. 165.

[49] BALZAC, le Prince, p. 97.

[50] Et même qu'elles réprouvent.

[51] Lettres et papiers d'Etat, t. II, p. 266. (A propos du duc de Lenox, de Rairre, d'Hamilton et de son médecin.)

[52] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 169.

[53] Quelques-uns prétendent après avoir mangé des champignons, ce qui fit dire que les champignons du bois de Vincennes étaient bien vénéneux.

[54] Pour Marillac, le ministre n'a été l'objet d'aucune accusation ; il n'en est pas de même des autres. Rohan dit : D'Ornano était mort de la pierre, ce qui n'empêcha pas divers discours de courir sur icelle. (Mémoires, p. 558.) Richelieu donne cette singulière explication : que le vertigo dont il était travaillé tourna en haut mal. (Mémoires, t. I, p. 399.) Du grand prieur, Fontenay-Mareuil dit : Quelques-uns, mal affectionnés au Cardinal, ont dit qu'il avait été empoisonné, mais M. le Comte, dont le médecin et le chirurgien le soignèrent, ne s'en plaignit pas. (Mémoires, p. 179.) Richelieu donne de son côté de grands détails pour se justifier de l'accusation qu'on lui imputait. (Mémoires, t. I, p. 591.) Pour Puylaurens, qui mourut dans la force de l'âge après quatre mois de détention, Richelieu dit simplement : Sa bonne fortune le retira de ce monde. (t. II, p. 57S.) Montrésor dit : On publia qu'il était mort du pourpre, mais il est à remarquer que le poison fait de mêmes effets, et qu'aucun des siens n'eut la liberté de le voir durant sa maladie, ni après sa mort. (Mémoires, p. 197.) Tous les Mémoires sont malheureusement suspects, à cause de l'amitié ou de la haine que leurs auteurs avaient pour le Cardinal.

[55] MONGLAT, Mémoires, p. 107. (Monglat est un des plus impartiaux.) L'abbé Arnaud (Mémoires, p. 506) conte sur cette mort une anecdote assez mystérieuse, qui laisse supposer un assassinat. Puységur nous apprend (Mémoires, t. I, p. 287) que le Cardinal tenait extrêmement à ce qu'on ne fit pas le procès au corps de M. le Comte qui aurait pu faire jaillir quelque lumière indiscrète. Il aimait mieux le silence. (Voyez GRIFFET, Histoire de Louis XIII, t. III, p. 363, qui résume les diverses relations, et Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 827.)

[56] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 543.

[57] RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 283.

[58] TALON, Mémoires, p. 42. — Bouthillier mandait de son côté à Richelieu qu'il ne voyait aucune coutume de France qui autorisât cet acte (Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 15), dont le but était de faire épouser an comte d'Harcourt une cousine de Richelieu. — Henri de Lorraine, comte d'Harcourt (1601-1666), surnommée Cadet-la-Perle, grand écuyer de France, général en Piémont en 1639, battit les Espagnols, secourut Casai et prit Turin, 1641 ; il fut gouverneur du Guyenne, puis de Normandie. Il épousa Marguerite du Cambout de Pontchâteau, veuve du duc de Puylaurens et sœur de la duchesse de la Vallette et du marquis de Coislin. En sa jeunesse, dit Tallemant, il a fait une vie de filou, on du moins de goinfre. Il devint dans son âge mûr un des plus célèbres capitaines de son temps.

[59] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 313.

[60] Esprit des lois, p. 284.

[61] Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 324.

[62] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 407. — Le chancelier disait : que les conséquences en sont périlleuses et difficiles, qu'il aboutit à la subversion des Etats, et qu'en pareil cas la clémence est inhumaine. (TALON, Mémoires, p. 20.)

[63] FONTRAILLES, Mémoires, p. 250 et 262.

[64] Du 22 décembre 1477.

[65] Voyez BRIENNE, Observations sur les Mémoires de La Châtre, p. 300.

[66] Richelieu se rencontrait sans le savoir avec Louis XI, car il disait en 1626 de Chaudeborme : Il est coupable pour n'avoir pas averti du dessein qu'il savait qu'on tramait au préjudice du Roi et de l'État. (Mémoires, t. I, p. 382.)

[67] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 405.

[68] BRIENNE, Mémoires, p. 56. Le grand prieur, qui fut jugé par commission, ne pouvait l'être valablement que par le Parlement.

[69] Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 298.

[70] MONTRÉSOR, Mémoires, p. 198. (A propos de Puylaurens.)

[71] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 376.

[72] Charles de l'Aubespine, marquis de Châteauneuf, fils du baron de Châteauneuf, ambassadeur en Angleterre,1550-1653, d'une dés meilleures familles de Paris, abbé de Préaux et sous-diacre, conseiller au Parlement, 1633 ; ambassadeur en Hollande, 1609 ; en Allemagne, 1620 ; à Venise et aux Grisons, 1626 ; en Angleterre, 1629 ; chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, garde des sceaux, 1630 ; destitué et emprisonné en 1633 jusqu'en 1643, fut de nouveau garde des sceaux en 1650 ; amant de la marquise d'Hamilton, puis de la duchesse de Chevreuse. Il avait fait, dit Tallemant, bien des folies avec madame de Puisieux. En voyage, on le voyait à la portière du carrosse de la Reine, où elle était, à cheval, en robe de satin et faisant manège. — Sa sœur avait épousé le sieur de Vausselas.

[73] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 1,52.

[74] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 16.

[75] Châteauneuf, juge de Montmorency, lui demande son nom et s'attire du duc cette réponse : Monsieur, vous le savez bien, vous avez été nourri et élevé page dans la maison de mon père.

[76] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 376.

[77] Jean-Baptiste d'Ornano, comte de Montlor (dont il est parlé plus haut), colonel des Suisses, maréchal de France, fils d'Alphonse Corse dit d'Ornano, et petit-fils du célèbre colonel San-Pietro, gouverneur de Gaston, avait épousé Marie de Raymond, comtesse de Montlor, veuve de Philippe d'Agoult. En 1626, où il fut emprisonné à Vincennes, il était vieux et le plus laid homme de France. Les Princesses venaient lui rendre visite familièrement dans son lit. Un de ses frères était grand maitre de la garde-robe de Monsieur.

[78] Henri de Talleyrand, comte de Chalais, † 1623, avait épousé mademoiselle Jeannin de Castille, veuve du comte de Chancy. Il était grand maître de la garde-robe. Sa femme, dit Tallemant, accepta les galanteries de d'Ecquevilly et de la Meilleraye. Sa famille était pauvre. Son frère était le marquis d'Excideuil, qui fut envoyé en Sibérie. (Voyez sur lui la Duchesse de Chevreuse, par COUSIN. — MOTTEVILLE, p. 21. — LA ROCHEFOUCAULT, p. 382, et FONTENAY-MAREUIL, p. 183.)

[79] PUYSÉGUR, Mémoires, t. I, p. 95.

[80] PONTIS, Mémoires, p. 572.

[81] Voyez Lettres et papiers d'Etat, t. VIII, p. 84.

[82] Lettres et papiers d'Etat, t. VII, p. 656. (La Barde à son cousin Bouthilliers.)

[83] PUYSÉGUR, Mémoires, t. I, p. 110.

[84] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 374 à 378, et 308.

[85] RICHELIEU, Mémoires, I. I, p. 163. — Du procès Barbin il disait : Luynes espérait venir à bout de raire porter le jugement selon sa passion ; il pressait le procès quand il pensait avoir assez de juges gagnés, l'arrêtait quand le jugement lui paraissait incertain... On sollicitait les juges de la part du Roi, on demandait gain de cause et non justice. (Ibid., p. 182.)

[86] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 203, et t. II, p. 184.

[87] Jacques d'Apchon, dit le Père de Chanteloube, issu d'une bonne famille du Forez, gouverneur de Chinon, avait pris l'état militaire après le religieux, entra (1621) dans la congrégation de l'Oratoire (1630), sortit de la retraite et suivit la Reine Marie. Mort en 1641 aux Pays-Bas. Richelieu conte sur sa naissance des particularités calomnieuses. — Matthieu de Mourgues, sieur de Saint-Germain, né 1582, † 1670. D'abord Jésuite, quitta la Compagnie, devint aumônier de Marguerite de Valois, puis de Louis XIII et de Marie de Médicis (1621). Pamphlétaire âcre et violent, d'abord à la solde de Richelieu, fut sur le point d'obtenir l'évêché de Toulon (1626), puis passa à l'opposition et attaqua le Cardinal. Il fut par la suite au service de Mazarin.

[88] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 203, et t. II, p. 184.

[89] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 453.

[90] Il était gouverneur de Montargis en survivance de son père, et avait été chargé en 1630 d'une mission du Roi près du Grand-Duc de Moscovie. Son père avait été député à la Rochelle en 1620, et en 1621 avait fait un voyage en Terre Sainte en passant par Vienne, la Hongrie et Constantinople. Il y avait une rivalité de métier entre Deshayes et Charnacé, et ce fut ce dernier que l'on chargea de prendre son collègue.

[91] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 404 et 419. — Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 351.

[92] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 519.

[93] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 638.

[94] LA PORTE, Mémoires, p. 26.

[95] TALLEMANT, t. IX, p. 31. — Jean-François de La Guiche, comte de Saint-Géran et de la Palice, né 1569, † 1632. — Fit ses premières armes en 1588, fut plus tard un des dix-sept seigneurs. Gouverneur du Bourbonnais et chevalier des Ordres, il fut fait maréchal de France en 1619, pour l'empêcher de criailler quand on fit M. de Luynes connétable. Il épousa : 1° Anne de Tournon, dame de la Palice ; 2° Suzanne aux Espaules, daine de Sainte-Marie du Mont, veuve de Jean de Longaunay. Un de ses fils fut tué en duel, étant cadet aux gardes ; un autre épousa mademoiselle de Longaunay.

[96] Bernard de Nogaret, marquis, puis duc de la Vallette, 1592, † 1661. Troisième fils du duc d'Epernon, épousa Gabrielle Angélique, fille légitimée de Henri IV et de la marquise de Verneuil († 1627), puis mademoiselle de Pontchâteau, cousine de Richelieu. Fut envoyé en 1636 contre les Espagnols, en 1638 contre les insurgés de Guyenne (Croquants), prit part au siège de Fontarabie, sous les ordres du prince de Condé. Condamné à mort par contumace, 1639.

[97] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 194.

[98] Voyez Mémoires de Bassompierre, p. 359 ; — TALON, p. 64 ; — ISAMBERT, p. 506, etc.

[99] Esprit des lois, p. 229. Lui-même est la partie qui poursuit les accusés ; il a souvent les confiscations ; s'il jugeait lui-même, il serait le juge et la partie.

[100] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 455, 525, etc.

[101] On en compte quarante-sept qui furent exécutés ; on en trouverait plus de cent cinquante par contumace. Voyez CHÉRUEL, Administration monarchique, t. I, p. 297.

[102] BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 322-324.

[103] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 233. — BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 318-334. — Lettres et papiers d'État, t. IV, p, 219 ; t. V, p. 334. — François de Bassompierre (en allemand Betstein), né 1579, † 1646. Mestre de camp du régiment des gardes suisses, colonel général des Suisses, 1617 ; maréchal de France, 1622. Sa mère était une demoiselle d'Angerveiller (ou Orgevillier), sœur des comtesses de Croy et de Salm ; il eut deux sœurs, la maréchale d'Espinay Saint-Luc et la comtesse de Tilières. Enfermé à la Bastille en 1630, il y demeura jusqu'à la mort du Cardinal, en 1641. Bassompierre fut l'un des plus beaux hommes de son temps ; il fut l'amant de mademoiselle d'Entragues, sœur de la marquise de Verneuil, puis épousa secrètement la princesse de Conti, dont il eut un fils qui porta le nom de La Tour. Il n'en parle qu'une seule fois dans ses Mémoires. (Voyez TALLEMANT, t. IV, p. 196.)

[104] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 317. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 643. — Adrien de Montluc, comte de Carmaing (on prononçait Cramail) 1568-1646. — Prince de Chabanais, conseiller d'État, membre de l'assemblée des notables, 1626 ; gouverneur du comté de Foix. Ce fut un des dix-sept seigneurs sous la Régence. Petit-fils du maréchal de Montluc, il épousa l'héritière de Carmaing, grande maison de Gascogne qui tenait à la maison de Foix. Il n'eut qu'une fille, mariée au marquis de Sourdis (d'Escoubleau). La Reine Anne d'Autriche songeait à lui pour le poste de gouverneur de Louis XIV quand il mourut. II publia les Jeux de l'inconnu, dont les allusions sont aujourd'hui bien émoussées.

[105] MONGLAT, Mémoires, p. 33 ; — LA PORTE, Mémoires, p. 36.

[106] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 450.

[107] MONTRÉSOR, Mémoires, p. 203.

[108] TALLEMANT, Historiettes, t. III, p. 76.

[109] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 323.

[110] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 641.

[111] TALLEMANT, t. III, p. 80.

[112] MONTGLAT, Mémoires, p. 137. Voyez TURENNE, p. 352 ; MONTRÉSOR, p. 241, et madame DE MOTTEVILLE, p. 42. — Pour le Cardinal, BRIENNE, p. 75, et G. PATIN, Lettres, t. I, p. 98.