Après Domitien, Nerva, après Commode, Pertinax. L’empire se répète, et le jeu des révolutions fait succéder les contraires. Ce qui change peu, c’est la bassesse des grands. Si Commode eût vécu un jour de plus, il eût été salué par les acclamations solennelles du sénat. Il était mort ; les sénateurs le chargèrent sans péril d’interminables malédictions[1]. Le compliment préparé pour Commode par les consuls qui inauguraient l’année nouvelle servit pour Pertinax. Des panégyriques officiels, il en était comme des statues impériales dont, en certaines villes, aux nouveaux avènements, on changeait les têtes pour épargner le temps et les frais. Publius Helvius Pertinax était un homme nouveau, sorti de rien, et qui s’était élevé peu à peu par son industrie et son mérite. De mœurs simples et graves, sévère pour lui-même et pour les autres, il avait passé presque toute sa vie dans les camps, II avait soixante-six ans, et depuis plus de trois ans occupait la préfecture de Rome, la pins haute charge de l’État. Il appartenait à la génération des anciens serviteurs de Marc-Aurèle, et s’étonnait à tel point d’avoir été épargné, que lorsque Lætus, le chef des prétoriens, avec un groupe de soldats, vint dans la nuit du 31 décembre lui offrir la pourpre, il crut tout d’abord que Commode l’envoyait tuer. Il passa sur le trône comme une ombre. Les hommes de plaisir et les prétoriens aimaient Commode, qui les gorgeait et les laissait faire a leur guise. Pertinax était économe, parlait d’abus à réformer, professait le goût du bon ordre et de la discipline[2]. Il avait les lèvres prodigues, promettait beaucoup, donnait peu. Une troupe de prétoriens mutinés envahit le palais en armes. Le vieil empereur s’était trouvé dans une crise pareille en Bretagne : il harangua les révoltés ; mais les plus ardents interrompirent l’éternel donneur de paroles, se jetèrent sur lui, le tuèrent, et, mettant sa tête au bout d’une lance, rentrèrent dans leur camp. Ceci se passait le 28 mars 193. On sait les scènes qui suivirent : la tristesse impuissante des bons citoyens, le peuple en partie grondant autour des soldats, indifférent en partie à ces tragédies, le palais attendant un nouveau maître, le sénat craignant tout et n’osant rien, les prétoriens enfermés et retranchés dans leur camp, souhaitant de n’avoir pas commis un crime gratis, se sauvant de la peur par l’extrême audace, mettant l’empire romain aux enchères ; Sulpicianus dans le camp et Didius Julianus au pied du retranchement, se le disputant à prix d’argent, et ce dernier se le voyant adjuger, à la an, au pris de six mille francs par tête de soldat[3]. Dans les annales du monde, cette page est unique. Le sénat courba le dos : le peuple de Rome montra plus de fierté et protesta à sa manière[4]. Il y eut des cris et des rixes. En plein cirque, d’une seule voix on fit appel aux armées de la République et particulièrement à Pescennius Niger, qui commandait les légions de Syrie[5]. De trois côtés des libérateurs armés se levèrent en même temps : Pescennius Niger en Syrie, Septime Sévère en Illyrie et Clodius Albinus en Bretagne refusèrent de reconnaître le honteux marché qui avait donné l’empire à Julianus, et la guerre civile commença. Plus voisin de l’Italie, plus actif et plus résolu, Septime Sévère, stimulé par l’ambitieuse Julia Domna, sa femme, se mit aussitôt en marche, persuadé que le pouvoir était le prix de la course, et que le premier qui aurait Rome aurait l’empire. Il déboucha des Alpes par Aquilée, et bientôt il campait à trois jours de Rome[6]. Le malheureux Julianus, après de bruyants préparatifs de résistance et de vaines tentatives, soit pour faire assassiner Sévère, soit pour partager avec lui, abandonné comme un jouet par les prétoriens, fut mis à mort par l’ordre du sénat impatient de se soumettre à la fortune[7]. Son rêve d’empereur avait duré soixante-six jours. Le vieillard imbécile, avant de tendre le cou au bourreau, demandait ce qu’il avait fait (2 juin 193)[8]. Ils restaient trois : Sévère tenait Rome, avait le sénat dans la main, était reconnu, consacré, investi de tous les titres de la souveraineté. Dès le premier jour il faisait voir que l’empire avait un maître. Les deux autres étaient sérieux, populaires, à la tête d’armées solides ; mais ils ne pouvaient s’unir, vu qu’ils étaient aux deux bouts de l’empire et rivaux. Au reste, pendant que Niger, à Antioche, perdait son temps en fêtes, en vaines réceptions d’ambassades et en stériles discours, Sévère le prévint, désarma et s’attacha Albinus en le faisant déclarer César, et n’ayant rien à craindre du côté de l’Occident marcha sur l’Orient. Il fallut trois batailles pour écraser Niger. Des proscriptions suivirent contre les partisans du vaincu, villes ou personnes. Cette guerre et ses suites retinrent Sévère trois ans dans les provinces asiatiques. Albinus avait la partie belle pendant ce temps. Plusieurs lui conseillaient de mettre la main sur Rome. Il n’en fit rien, dormit sur la foi des traités. Libre du côté de l’Orient pacifié, Sévère se retourna contre Albinus. Pouvait-il, quand il avait des enfants, partager l’empire avec un étranger ? L’empire pouvait-il avoir deux têtes ? Attendrait-il que le rival qu’il avait élevé, et qui comptait des partisans dans le sénat et parmi les plus grandes familles, fût assez fort pour le renverser ? Il fallait ou céder la place ou la prendre tout entière. Voilà ce que répétait l’ambitieuse Julia Domna. Sévère, persuadé, tenta d’abord la voie des embûches secrètes et envoya des assassins. Ce dessein ayant échoué et ouvert les yeux au César menacé, et celui-ci armant pour se défendre, Sévère leva le masque, le fit déclarer ennemi public, donna le titre de César à son fils aîné et engagea la guerre, d’abord par ses lieutenants qui subirent quelques échecs, puis en personne. La bataille donnée a Trévoux fut sanglante et quelque temps incertaine. Albinus, à la fin, fut vaincu et tué, et son armée poursuivie jusqu’à Lyon, qui fut pris, saccagé et brûlé en partie. La faction d’Albinus eut à subir de cruelles représailles. Sévère savait mal pardonner. Ce fut une terreur à Rome, où beaucoup, dan» le sénat et parmi les grandes familles, penchaient pour son rival. Le sang coula a flots ; vingt-neuf, d’autres disent quarante et un sénateurs, furent exécutés, Maître unique et incontesté du pouvoir, Sévère l’exerça pour le bien et la grandeur de l’empire. Nul ne prit ses fonctions de souverain plus a cœur ni plus au sérieux. Le dernier mot qu’il laissa comme testament à ses fils : Travaillons, fut perpétuellement la devise de sa vie. L’histoire, depuis Trajan, ne peut nommer un prince plus soucieux de ses devoirs, un gardien plus actif et plu» ferme de la fortune et de la dignité de Rome. Il n’étendit pas les frontières, mais il les affermit partout 06 elles paraissaient chanceler. Aux deux bouts du monde romain, sur les rives de l’Euphrate comme dan» les âpres forêts de la Calédonie, il sut imposer le respect des armes romaines. Au dedans il se montra juge exact et intègre, administrateur vigilant et scrupuleux, économe pour lui-même, large jusqu’à la magnificence pour les cités qu’il set décorer de superbes édifices. A juste titre il put se glorifier en mourant de ce qu’ayant trouvé l’empire déchiré par les guerres civiles et étrangères, il le laissait prospère, florissant, jouissant d’une paix profonde, honorable et universelle. Le mot qu’on loi attribue, qu’il faut satisfaire le soldat et ne point se soucier du reste[9], fut peut-être dit en façon de boutade d’après dîner. C’était, après tout, l’expression d’un secret d’État connu depuis longues années, et on avait vu récemment combien peu pesaient sénat, peuple et porteurs de toges en face d’une poignée de prétoriens. Mais ce mot brutal s’applique mal, ce semble, au règne de Sévère. Prendre pour fondateur du militarisme un prince qui avait nommé préfet du prétoire Papinien, le plus illustre jurisconsulte que l’empire ait connu, qui comptait Ulpien et Paul parmi ses conseillers intimes, qui savait goûter les doctes entretiens des lettres et des philosophes, qui donnait tant de soin a l’administration de la justice et s’inquiétait si vivement de l’ordre civil, c’est méconnaître étrangement le caractère de l’homme et l’esprit de son gouvernement. Dans l’œuvre législative de la période impériale jusqu’à Constantin, il n’est pas de règne qui tienne une plus grande place que celui de Sévère, où, après les crises civiles des premières années, l’ordre et l’empire des lois aient été mieux assurés. Ce qui est vrai, e’est que, par suite de l’absence de toute loi fixe réglant la transmission du pouvoir, par suite aussi de l’abaissement des caractères, de l’extinction des grandes familles, de. l’intrusion d’étrangers dans le sénat, de l’affaissement des mœurs publiques et du délaissement croissant des croyances anciennes, minées par les religions orientales, et mal défendues par des princes sceptiques, indifférents ou étrangers aux traditions romaines, l’élément militaire commença à prendre le pas sur l’élément civil. Des assises de la grandeur romaine, une seule demeurait, à la fois soutien et péril public, l’armée. Dans les sociétés qui naissent, comme dans celles qui s’en vont, la force s’impose et est la seule chose devant laquelle tous s’inclinent. Une surprise de la force avait abattu Pertinax. La force habilement conduite mit Sévère sur le trône. On sait que son premier acte, dès son avènement, fut de casser les prétoriens. Mais il les remplaça par une garde impériale plus nombreuse, composée non plus seulement de Romains et d’Italiens, mais d’une élite de soldats de tous pays, tirés de toutes les légions, sorte d’armée du palais destinée a la défense du prince, mais capable aussi de le renverser. Après Sévère, le sénat aura dans la nomination des empereurs un rôle de plus en plus effacé. Le gouvernement impérial devait nécessairement et par la force des choses aboutir au pur despotisme militaire. Une série de princes exceptionnellement honnêtes, et universellement populaires pendant près d’un siècle, de l’avènement de Trajan à la mort de Marc-Aurèle, ajourna ce danger public. Dès Commode, et surtout après lui, il éclata. Septime Sévère, bien qu’il ait donné aux contemporains l’illusion du règne des lois, ne releva pas le gouvernement civil. Son origine pesait sur lui. Il était une créature des soldats. La paix intérieure conquise, il ne fut pas inférieur à son rang et à sa tâche, et sut imposer au dedans et au dehors la terreur ou le respect. Mais il avait systématiquement écrasé ou annulé tout ce qui pouvait soutenir son autorité en lui faisant contrepoids. Sa volonté énergique et droite et son activité laborieuse furent, en somme, les seules institutions de son règne. Après lui, et jusqu’à Constantin, malgré quelques éclaircies et l’exception d’intentions honnêtes, on vit se succéder sur le trône une suite de personnalités exotiques pour la plupart, violentes ou grotesques, tour à tour créées et brisées par les soldats. L’empire devient un théâtre de drames et de bouffonneries mêlées. Le tragique et le burlesque s’y coudoient comme sur une scène romantique. De fait, rien de plus heureux pour le progrès et la paix de l’Église que cet amoindrissement des institutions civiles, cette dislocation continue et croissante des liens de l’ancienne discipline, et cette mainmise de l’année sur la chose publique. Une secte qui, sans l’avouer encore très haut, aspirait a tout envahir et à tout renouveler, croyances, mœurs et lois, ne pouvait que se réjouir de voir insensiblement se dissoudre les cadres de la vieille société, et se faire par la force des choses la table rase dont elle avait besoin pour fonder l’avenir. Quand donc Sévère passait son niveau de fer sur toutes les résistances, décimait l’aristocratie mécontente ou suspecte, resserrait partout la centralisation à son profit personnel, ouvrait le sénat terrorisé et tous les rangs de la hiérarchie à des hommes nouveaux, on peut dire que, sang le vouloir, à son insu, indirectement, il travaillait pour le christianisme. En effet, tout ce qui était de nature à affaiblir l’ancien ordre de choses était favorable à l’Église, comme tout ce qui tendait à le restaurer ou à le fortifier lut était contraire. De même l’esprit de cosmopolitisme religieux qui commence à souffler à la cour sous le premier Sévère, et s’accroît sous ses successeurs, esprit dont le roman de Philostrate, né dans le cercle académique de Julia Domna, est à la fois le témoignage et le produit, fut aussi sans doute fort propice à la cause chrétienne. En contribuant à détendre les âmes, à les détacher des formes particulières du culte, en répandant l’indifférence en matière de religion, cet esprit adoucissait les mœurs, désarmait les haines et apprenait le support mutuel des opinions diverses, c’est-à-dire la tolérance. Lorsque Constantin l’écrivit dans la loi, elle était depuis longtemps imprimée dans les esprits et dans les âmes. La mort de Commode put être regardée par les fidèles comme un malheur domestique. Il avait été facile et clément à leur égard, et après lui, c’était l’inconnu et peut-être une réaction violente contre tout ce qu’il avait fait ou laissé faire. Marcia restait, mais sans pouvoir, sans influence désormais, fort exposée au contraire, car ceux mêmes qui profitent des trahisons et des complots, se défient des traîtres et des conspirateurs, et les brisent au moins pour l’exemple. Pertinax avait sans cesse à la bouche les mots mal sonnants pour les chrétiens d’ordre et de réforme. Il n’eut pas le temps d’avoir une politique. La guerre civile, qui commença aussitôt après l’odieuse plaisanterie de l’élection de Julianus, déchira l’empire pendant près de quatre ans et fit couler des flots de sang en Orient et en Occident, soit sur les champs de bataille, soit par les vengeances et les représailles exercées sur les partisans des deux partis successivement vaincus, fut moins pour les chrétiens un sujet d’effroi qu’une causé de sécurité. Ils n’étaient pas engagés dans ces luttes d’ambition. Ils en jouissaient comme d’an spectacle. Plusieurs, à n’en, pas douter, voyaient la main divine dans ces déchirements publics. Tertullien protestait qu’on ne pouvait les accuser d’avoir été ni avec Niger en Syrie, ni avec Albinus en Bretagne et en Gaule. Ils n’étaient avec personne. Leur petite patrie ici-bas était l’Église. La grande, qui prenait le meilleur de leur âme, n’était pas du monde. Or, pendant le désarroi de ces longues luttes armées, chaque fonctionnaire s’occupait de soi, tremblait pour soi, avait l’œil fixé sur le jeu de la fortune ; nul n’avait le loisir de songer aux chrétiens, à leurs réunions secrètes, a leurs menées, ni aux dangers lointains qu’ils faisaient courir à l’État. A ce moment même, ils avaient aussi leurs divisions et leur guerre intestine. Nous ne parlons pas des disputes doctrinales, des prédications des ébionites et des gnostiques qui çà et la troublaient les esprits, des querelles des aloges, des dithéistes et des partisans de l’unité divine ou de la monarchie. Le christianisme ne s’était pas établi dans le monde à titre de science. Il était plutôt l’œuvre des simples de cœur et des ignorants que des savants. Depuis un demi-siècle il recevait l’utile, mais périlleux secours de la philosophie. Il fallait bien que les doctes intervinssent pour définir, expliquer et constituer le symbole de la foi nouvelle. Ce travail se faisait confusément par les efforts séparés de plusieurs qui, sans entente ni mandat, dogmatisaient et s’improvisaient docteurs. Mais la conscience du plus grand nombre n’était guère entamée dans son fond par les hardiesses des sectaires philosophants. En façon de question préalable, on leur opposait la tradition. Eux prétendaient l’interpréter. L’orthodoxie se cherchait dans le conflit des affirmations téméraires et des négations hautaines. Lentement, par de nombreux tâtonnements et de prudentes éliminations, s’élaboraient les matériaux d’où plus tard les grandes assemblées ecclésiastiques devaient tirer les tables d’airain de la loi chrétienne. Au moment où, libre du côté de l’Orient, Septime Sévère se tournait contre Albinus en Occident, une question de discipline, qui près de cinquante ans auparavant avait déjà divisé les Églises, et que très sagement alors on avait laissée sans solution, était remise sur le tapis. A défaut de l’unité doctrinale, espoir encore prématuré, ne pouvait-on point établir l’unité liturgique et disciplinaire ? La paix des âmes semblait un leurre, si celle-ci du moins ne l’assurait. Il s’agissait de la célébration de la pâque, du jeûne qui solennisait la mémoire de la passion, et de la fête qui rappelait la résurrection du Sauveur. Toutes les Églises de l’Occident et plusieurs même en Orient célébraient la pâque le dimanche qui suivait le quatorzième jour de la lune de mars. Mais dans la province proconsulaire d’Asie, les Églises suivaient la coutume juive du quatorzième jour de la lune, quel qu’il fût. Des deux parts on attestait une tradition remontant à l’âge apostolique. Contre Anicet, évêque de Rome, songeant déjà à établir l’unité de pratique, Polycarpe, évêque de Smyrne, avait su défendre l’usage traditionnel des Asiatiques, et nul n’avait pensé que cette liberté fût un scandale, ni que la variété en cette matière compromit l’unité de l’Église chrétienne. On ignore à quelle occasion cette controverse se réveilla. Les rapports plus fréquents des Églises suscitaient l’idée d’une fraternité plus étroite. Or, quel meilleur moyen d’assurer l’union que d’établir l’unité ? Si pour le dogme elle était encore fort incertaine, et, en l’absence d’une autorité incontestée et passivement obéie partout, impossible, ne pouvait-on pas se mettre d’accord pour la commémoration solennelle du grand événement évangélique qui avait fondé la foi commune ? N’y avait-il pas lieu de rompre le dernier lien avec le judaïsme ? N’était-il pas choquant que quelques Églises eussent l’air de demeurer en communion avec les ennemis les plus acharnés et les plus intraitables du nom chrétien ? Ces idées apparemment étaient communes à beaucoup, et trouvaient çà et là plus d’un interprète. Qui le premier se mit en mouvement et provoqua, ou pour mieux dire renouvela a ce sujet l’agitation parmi les Églises ? On ne le sait. Eusèbe ne dit pas que ce fut Victor, l’évêque de Rome. Il y eut des conférences d’évêques en divers pays ; des conventions suivirent, et des lettres furent échangées. Le plus grand nombre s’entendait pour célébrer le dimanche le mystère de la résurrection. On a encore aujourd’hui, dit Eusèbe, la lettre que les évêques de Palestine, auxquels Théophile de Césarée et Narcisse de Jérusalem présidaient, écrivirent sur ce sujet. On a aussi celle de Rome, signée par Victor, évêque de cette ville[10]. On a celle des évêques du Pont, auxquels Palmas présidait comme le plus ancien. On a celle des Eglises des Gaules, qui étaient gouvernées par Irénée. On a celle des pays d’Osrhoène et des pays d’alentour. On a, outre cela, celle de Bacchylos, évêque de Corinthe, et de plusieurs autres qui, étant du même avis, portèrent le même jugement[11]. Les évêques de l’Asie proconsulaire, qui avaient été conviés aussi à délibérer sur cette question[12], décidèrent avec Polycrate, évêque d’Éphèse, qui paraît avoir joui à cette époque d’une influence personnelle, analogue a celle de Polycarpe, cinquante ans auparavant, qu’ils garderaient l’usage traditionnel. Le mécontentement de l’Occident et certaines menaces apparemment émises par l’évêque de Rome, qui, chef de la principale Église, et de sang un peu chaud en sa qualité d’Africain, prit alors la tête du mouvement et crut pouvoir parler haut au nom de la majorité des Églises, n’effrayèrent pas Polycrate et ses tenants. La dissidence, après tout, ne portait que sur une affaire de forme, et quels étaient au juste les dissidents ? Si l’on compte les voix, c’étaient les Asiatiques. Si l’on regarde l’antiquité de la tradition, c’étaient peut-être les Occidentaux. Ainsi du moins l’entendait et l’affirmait Polycrate, qui dans sa lettre a l’évêque de Rome attestait l’usage suivi de tout temps depuis le commencement, invoquait l’autorité de saint Jean, le disciple aimé du Seigneur, celle de l’apôtre Philippe et, après nombre d’autres, celle des martyrs Polycarpe et Sagaris, et celle de Méliton de Sardes, et semblait taxer de nouveauté la pratique qu’on voulait introduire ; et fort, lui aussi, de l’accord de ses collègues, déclarait qu’il ne fléchirait pas, ne se laisserait pas intimider[13], aurait le courage d’avoir raison même contre la majorité, et se souviendrait d’une vieille maxime que les pères de la foi avaient jetée dans le monde qu’il vaut mieux obéir a Dieu qu’aux hommes. La querelle semblait se resserrer entre Victor, évêque de Rome, interprète des évêques d’Occident, et Polycrate, évêque d’Ephèse, porte-parole des Églises asiatiques. Le premier, trop ardent et trop prompt, entreprit, dit Eusèbe, de retrancher de la communion catholique les Églises de l’Asie proconsulaire et des environs, comme étant engagées dans une doctrine contraire a la vraie foi. A cet effet, il écrivit des lettres dans lesquelles il déclarait tous les frères de ces contrées séparés de l’unité de l’Église. C’était dépasser toute mesure, et en tout cas aller plus loin que ne voulaient les évêques d’Occident. Us le firent bien voir, blâmèrent l’excommunication prématurément lancée, et invitèrent Victor a prendre plus de souci de l’union, de la paix et de la charité. On a encore, ajoute Eusèbe, les lettres dans lesquelles ils le gourmandaient vivement[14]. Irénée, le pacifique, intervint particulièrement et écrivit à l’impétueux pontife pour lui rappeler que ses prédécesseurs, tout en pratiquant et en faisant observer la coutume qu’il défend relativement au jour de la fête de Pâques, n’avaient voulu ni entreprendre sur la liberté de ceux qui, dans la simplicité de leur cœur, suivaient une autre discipline, ni rompre avec eux. Il fallut bien que Victor cédât. Il n’avait pas le pouvoir d’agir en son seul nom, et ses collègues occidentaux non seulement ne le suivaient pas, mais condamnaient décidément son zèle intempestif. L’excommunication fut ou retirée ou réputée lettre morte. La variété dans le jour de la célébration de la pâque dura officiellement jusqu’au concile de Nicée, et au-delà même après la décision conciliaire. Ces débats, dont les adoucissements des plumes ecclésiastiques nous dérobent à peine la vivacité, agitaient l’Église chrétienne en 196. A ce moment, dans presque toutes les provinces de l’empire, les évêques s’assemblaient, conféraient et correspondaient librement. C’est donc que l’autorité non seulement n’exerçait aucune persécution, mais encore fermait les yeux. Il y a une frappante contradiction a soutenir à la fois la libre tenue de conciles en Palestine, à Rome, dans la province du Pont, en Gaule, en Achaïe, dans l’Osrhoène, dans l’Asie proconsulaire et jusqu’en Mésopotamie, et l’intolérance effective et agissante de l’autorité. De fait, en 196, les chefs élus des Églises tentaient de constituer l’unité ecclésiastique : l’un d’eux, le chef de l’Église de Rome, semblait s’attribuer le rôle de pouvoir exécutif au sein de la communauté, et s’arroger l’office de souverain pontife[15]. Or Sévère, maître incontesté partout, excepté peut-être en Gaule, Sévère, qui avait en main la loi et la force, ne donnait nul signe de vie, ne mettait nul obstacle a ce mouvement qui était plus qu’une agitation d’idées, et où l’on pouvait voir comme l’effort d’un État qui se dressait et s’organisait dans l’État. Certes, il n’est pas un gouvernement moderne, si respectueux qu’il soit de la liberté individuelle, qui en semblable circonstance pousserait si loin l’indifférence et l’abstention. C’est de deux choses l’une : ou qu’Eusèbe et les écrivains postérieurs ont grossi -outre mesure les faits ecclésiastiques que nous venons de rappeler, ou que, par suite des absorbantes préoccupations dé la guerre civile qui se préparait en Occident, et dont l’issue était encore douteuse, le laisser-aller du pouvoir et de ses agents alla au dernier point, et que très habilement les chrétiens surent profiter du relâchement momentané des lois. Les deux choses sont sans doute vraies a la fois. La persécution ne fut promulguée, dit-on, qu’un peu plus tard, lorsque l’ordre était partout rétabli, cinq ans après la défaite d’Albinus et la destruction de son parti. En traversant la Palestine, Sévère donna plusieurs lois, dit Spartien. Il défendit sous des peines sévères de se faire juif et fit la même ordonnance relativement aux chrétiens[16]. Ce double édit parait avoir vu le jour en 202. 11 est fort regrettable que le texte exact et complet n’en soit pas venu jusqu’à nous. Dion, non plus qu’Hérodien, n’en fait mention nulle part. Spartien le résume et en donne le sens et non la teneur. Si l’on raisonne sur cette sèche indication, on ne pourra s’empêcher de remarquer que les chrétiens, bien qu’ils y soient distingués des juifs, sont traités de la même manière et mis en quelque sorte sur le même pied, comme si la condition légale des uns et des autres était la même. De là semble suivre que, sans qu’aucune autorisation expresse fût intervenue, bien plus, malgré l’interdiction explicite contenue dans le rescrit non abrogé de Trajan, en dépit des haines publiques, des violences particulières et de plusieurs condamnations légales, par la seule vertu du temps et par l’effet combiné de la vitalité de la secte chrétienne et de la facilité du pouvoir, et dans nombre de pays de l’apaisement de l’opinion, une certaine tolérance de fait s’était établie en faveur des chrétiens, laquelle tenait lieu d’une autorisation tacite. Par ennui de les frapper, et par sentiment peut-être de l’impuissance des rigueurs, on les laissait vivre, croître et s’étendre. Leur grand nombre les défendait, et l’humilité de leur fortune et le manque absolu de foi religieuse chez leurs adversaires. Cependant ils croissaient et multipliaient par la double source des naissances et des conversions, et surtout par ces dernières, comme l’atteste Tertullien[17]. Le judaïsme, bien que plus fermé et moins prompt a s’offrir, et n’ayant pas même force d’expansion, ne dédaignait pas les âmes qui se donnaient. Si l’on prend à la lettre le mot de Spartien, l’empereur Sévère, par son édit, se proposa uniquement d’arrêter le progrès inquiétant des sectes juive et chrétienne. La loi, en effet, leur interdit uniquement la propagande ; elle ne vise pas ceux qui sont juifs ou chrétiens, ou le deviennent par la voie de la naissance et de la transmission du sang. L’empereur, accorde que chacun garde les coutumes dans lesquelles il a été nourri et y élève ses enfants. Il accepte les faits accomplis, mais entend en même temps que les deux religions réputées suspectes et subversives du bon ordre demeurent chacune dans sa sphère, sans déborder indiscrètement au dehors, ni chercher à étouffer les autres par une conquête pacifique en apparence, mais hostile par son esprit et son but. Les chrétiens, pour ne parler que d’eux, ne se faisaient pas tout seuls, par illumination soudaine et éclosion spontanée. Ils étaient le prix d’un travail incessant, d’un apostolat souterrain fécond en artifices, en séductions, en promesses, en menaces. N’appartenait-il pas au pouvoir gardien de l’ordre et de la discipline sociale de venir au secours des esprits faibles, de les défendre contre les prestiges, de ne pas laisser un charlatanisme dangereux se donner carrière, s’étendre à loisir, envahir toutes les classes par tous les moyens, corrompre les âmes, les affoler et désapprendre le respect des plus vieilles et des plus respectables institutions ? Voilà sans doute comme on parlait dans l’intime entourage de Sévère, et il est à croire qu’on n’eut pas grande peine a persuader le prince, qui ne péchait guère par mollesse. Il ne paraît pas que, dans le milieu d’où sortit la vie d’Apollonius de Tyane, on nourrît nul sentiment de haine contre la religion chrétienne, ni un attachement fort étroit à la religion proprement romaine. Julia Domna, l’inspiratrice de Philostrate, était Syrienne et philosophe. Elle semble avoir songé à combattre la secte chrétienne, en lui opposant un paganisme assez large pour réunir les âmes à la fois libres et religieuses, assez épuré pour plaire aux consciences éprises de moralité, assez voisin du christianisme pour arrêter dans leur manie de désertion ceux qui étaient fatigués jusqu’au dégoût des vieilles cérémonies. Il n’y a nulle raison de croire qu’elle eût conseillé l’emploi de la violence pour étouffer le christianisme. Une loi qui bornait la société chrétienne aux conquêtes déjà faites était assurément une atteinte portée a la liberté de conscience, laquelle implique, avec le droit de croire, le droit de répandre sa foi. On ne peut cependant, sans en changer le caractère, considérer cette loi comme un édit de persécution. Sous les règnes précédents, des juifs ardents et zélés avaient gagné des païens au judaïsme, les avaient faits juifs complets d’âme et de corps. Des citoyens romains ou des esclaves avaient été circoncis. Antonin le Pieux s’était cru obligé de rappeler dans un rescrit que les juifs peuvent circoncire leurs enfants, mais non des hommes qui ne sont pas de leur religion, et que, s’ils se le permettent, ils encourront la peine prononcée contre ceux qui font des eunuques, à savoir la peine de mort[18]. Un peu plus tard, l’interdiction qui pesait sur les faiseurs de juifs atteignit ceux qui se laissaient circoncire. Dans les Receptœ Sententiœ de Julius Paulus, jurisconsulte du temps des Sévère, on lit : Les citoyens romains qui se laissent circoncire, eux ou leurs esclaves, selon le rite des juifs, après avoir vu leurs biens confisqués, seront relégués dans une île à perpétuité. Les médecins qui auront prêté leur office seront punis de mort. Les juifs qui auront circoncis des esclaves qui ne sont pas de leur race seront ou déportés ou punis de mort[19]. Peut-être cette loi est-elle la première moitié de l’édit de Sévère, que Spartien a résumée. L’expression fieri judæos est à double entente. Elle veut dire à la fois faire des juifs et se faire juif, et la loi du jurisconsulte Paul se rapporte aux deux cas. Cette loi entrave évidemment la liberté de la propagande juive, car l’opération qu’elle interdit était réputée une formalité indispensable et le signe même de l’accession a la communion juive. On ne voit pas cependant que cette loi ait été regardée comme un acte de persécution effective, et, bien que Constantin l’ait renouvelée en 335, bien que Constance (357) et ses successeurs aient défendu, sous peine de confiscation, de déportation ou de mort civile, qu’aucun chrétien se fit juif[20], et qu’ils aient au contraire encouragé et protégé le passage du judaïsme au christianisme, Théodose, aux premières lignes d’une de ses lois, croyait pouvoir écrire en 393 : « Il est constant pour tous que la secte juive n’a jamais été défendue par aucune loi[21]. » Mais si, en défendant de faire des juifs, le gouvernement de Sévère entendait renouveler la loi d’Antonin le Pieux et prohiber l’opération de la circoncision sur des hommes étrangers à la race juive, pourquoi les chrétiens, qui répudiaient cette pratique et n’en avaient pas d’analogue, subirent-ils l’injure- de se voir interdire toute propagande ? A cette question nous n’avons pas d’autre réponse que les considérants que nous avons supposés à cette loi. Les conquêtes des chrétiens à tous les étages de la société, les conversions qu’ils opéraient au sein des familles parleurs prédications secrètes, et les divisions qui en résultaient, purent paraître un danger digne d’arrêter les regards des hommes d’État. En défendant la propagande chrétienne, on prétendit venir au secours de l’ordre en péril plutôt que de l’ancienne religion, encore que, pour les conservateurs du temps, celle-ci fût réputée un des éléments essentiels de celui-là. D’un autre côté, la contrefaçon d’Évangile qu’on ruminait alors et la concurrence philosophico-religieuse qu’on voulait tenter avaient peut-être besoin de l’appui de l’autorité. Si les âmes détachées plus ou moins décidément du paganisme étaient empêchées par la loi d’aller jusqu’au christianisme, il fallait leur donner une satisfaction semblable, et, puisqu’on leur retirait un aliment, leur en fournir un autre qui pût y suppléer et les remplir. On se trompait ici de deux manières : d’abord en croyant que des menaces légales étoufferaient l’esprit de prosélytisme et arrêteraient les conversions ; ensuite en imaginant qu’il en est de la nourriture spirituelle comme de l’autre, et que l’État peut dispenser les croyances religieuses aussi facilement qu’il distribue le pain, l’huile et les spectacles. Nous ignorons quelle était la peine dont Sévère punissait les convertisseurs et les convertis, juifs ou chrétiens. On peut croire que cette peine n’était pas plus rigoureuse que celle qui, sous les empereurs chrétiens, un siècle et demi plus tard, frappait ceux qui du christianisme passaient ou retournaient au paganisme. L’évolution ne fut pas rare au temps de Maxence, de Licinius et de Julien, à cette époque où tant de consciences tournaient selon le vent qui soufflait à la cour, et où, suivant l’expression d’un contemporain, beaucoup adoraient la pourpre plus que Dieu. A prendre la loi de Sévère dans les termes mêmes où elle nous est donnée, on ne saurait donc y voir un édit de persécution ni contre le judaïsme, tout le monde l’accorde, ni contre le christianisme, pour deux raisons. La première, c’est que les chrétiens y sont traités de la même manière que les juifs, et que si l’ordonnance de Sévère ne peut être prise pour un édit de persécution contre ceux-ci, on ne peut y voir non plus un acte de proscription contre ceux-là. La seconde, c’est que la lettre de la loi ne contient pas la condamnation formelle de la profession chrétienne. Le pouvoir s’y montre respectueux des faits accomplis, accordant Y esse et interdisant seulement le fieri, proclamant l’uti possidetis, défendant seulement l’extension de la religion par voie de conquête et de conversion, n’exigeant nulle part ni de personne l’abjuration, le reniement, le retour aux traditions délaissées, mais prétendant seulement circonscrire la secte chrétienne comme la secte juive dans ses limites, et empêcher son recrutement par voie de propagande. Vainement on citerait, en guise de commentaire de l’ordonnance de Sévère, deux textes qu’on trouve au Digeste, dans le premier desquels le préfet de Rome est chargé d’instruire contre les sociétés ou collèges illicites[22], et dont le second charge delà même surveillance et de la même répression les présidents provinciaux en Italie et hors de l’Italie. Ces deux ordonnances, assurément, ont pu atteindre les chrétiens ; mais rien ne prouve qu’elles aient été édictées spécialement contre eux. D’autre part, elles sont de date incertaine, et par conséquent rien ne serait plus arbitraire que de les rattacher a l’édit de 202, qui interdit les prosélytismes juif et chrétien. Enfin, la sévérité contre les sociétés secrètes et les associations non autorisées n’était point un fait nouveau dans l’histoire de la politique impériale. Septime Sévère, par ces ordonnances, n’innovait point. Il renouvelait seulement d’anciennes lois, sans les aggraver en aucune manière. Il s’en faut tant que Sévère, encore qu’animé contre les juifs dont il- avait éprouvé l’esprit indiscipliné, ail songé à proscrire leur religion, qu’il leur accorde l’accès aux charges publiques, en ayant égard même aux règles particulières de leur loi. Une ordonnance insérée dans le Digeste en témoigne. Le divin Sévère et Antonin (Caracalla), y lit-on, ont permis a ceux qui suivent la superstition judaïque d’obtenir des charges publiques, en les exemptant des nécessités qui pourraient blesser leur conscience religieuse[23]. Il est donc bien malaisé, selon nous, de transformer l’édit mentionné par Spartien et promulgué par Sévère, au temps où il faisait route d’Antioche vers Alexandrie, l’année où il partageait son troisième consulat avec son fils aîné, Antonin Caracalla, consul pour la première fois (202), en édit de persécution générale. Les termes y répugnent. Prise à la lettre, c’est une loi de protection en faveur du paganisme, où l’ardeur chrétienne faisait trop facilement brèche par ses prédications et mille influences occultes. Le législateur vient ici au secours de la faiblesse des foyers domestiques, trop facilement entamés : il prétend arrêter l’essor d’une société qui, non contente d’être, veut encore conquérir et s’étendre, et sous le nom de liberté affecte et revendique comme un droit la domination universelle. Sévère, après avoir établi l’ordre en écrasant les partis, assuré les frontières, réappris en Orient le respect du nom romain, tournant ses regards et sa sollicitude vers l’administration et la paix civile, aperçut-il le ver rongeur qui menaçait la civilisation gréco-romaine sous la forme de cette association, partout vivante et organisée, humble en apparence, altière au fond et d’ambition immodérée ? On en peut douter. S’il eût vu dans le christianisme un danger pressant et sérieux, il n’avait pas l’habitude des ménagements : il eût frappé avec une énergie dont nous verrions les traces, et la question de savoir s’il a oui ou non promulgué un édit de persécution générale contre les chrétiens ne pourrait pas être posée ; on ne serait pas réduit à subtiliser autour d’un texte maigre et équivoque, recueilli en passant par un chroniqueur de peu d’autorité. La loi parlerait elle-même haut et clair, et les historiens contemporains ne seraient pas muets comme ils le sont sur ce point. En effet, ni Dion ni Hérodien ne prononcent une seule fois le nom des chrétiens dans leur récit du règne de Sévère, et ne laissent deviner qu’aucune mesure de coercition ou de répression ait été prise contre eux par ce prince. Et remarquons que Photius rend à Hérodien ce témoignage, que dans son histoire il n’a rien omis de nécessaire[24]. A défaut des historiens profanes, les anciens auteurs de l’histoire ecclésiastique sont-ils beaucoup plus explicites ? Eusèbe, Sulpice Sévère et Paul Orose[25] marquent d’une manière générale que la persécution sévit sous Septime Sévère ; mais Lactance ne compte pas ce prince parmi les ennemis de l’Église. Suivant lui, après Domitien, et jusqu’au règne de Trajan Dèce, l’Église jouit de la paix, et, grâce à la facilité des bons princes qui se succédèrent dans ce long intervalle, l’Église put étendre en toute liberté ses bras en Orient et en Occident. Et le poète Prudence, après Néron, cite immédiatement Dèce qui, d’une orgie de sang coulant des gorges ouvertes, assouvit sa rage insensée. II n’y a pas précisément discordance entre les historiens profanes et les historiens ecclésiastiques ; cependant le témoignage affirmatif de ceux-ci peut-il prévaloir, et dans quelle mesure, contre le silence absolu de ceux-là ? Le silence de Dion et d’Hérodien ne prouve point qu’il n’y ait pas eu çà et là de poursuites légales ni de violences populaires exercées contre les fidèles, mais seulement que ces historiens n’ont pas connu ces faits ou les ont jugés indignes d’être relevés. De même les assertions d’Eusèbe, de Sulpice Sévère et d’Orose, qui écrivent, comme on sait, un siècle et demi et plus après les événements, ne prouvent pas que l’État, sous Sévère, ait engagé une sorte de duel contre la société chrétienne, ait mis en jeu pour l’exterminer tous les ressorts du gouvernement, ait par de nouvelles lois excité et échauffé partout le zèle de ses agents. Si la chose eût eu ces proportions et fait quelque bruit, Dion et Hérodien en eussent parlé, encore que la question chrétienne, qui est capitale pour Eusèbe et les auteurs ecclésiastiques, fût pour eux simple affaire de police. Il semble donc que nous puissions déjà conclure que sous Sévère, qui prétendait continuer le gouvernement régulier des Antonins, et serrer même un peu plus les liens de la discipline civile, la politique de surveillance armée au besoin, qui s’était relâchée sous Commode, fut reprise et retendue, si l’on peut dire, et que les chrétiens en plusieurs lieux, selon les dispositions particulières et locales des gouverneurs ou de l’opinion, en ressentirent les effets à leurs dépens. Les lois anciennes suffisaient pour cela, sans qu’il y ait lieu de supposer de nouveaux décrets impériaux dont il n’y a pas trace, s’il est vrai qu’on ne puisse naturellement et sans en forcer les termes interpréter dans ce sens la loi mentionnée par Spartien. Deux écrivains ecclésiastiques contemporains, Tertullien et Clément d’Alexandrie, attestent fort précisément la persécution dont l’Église fut victime sous le règne de Sévère : le premier dans son traité Ad Martyres et dans son Apologétique ; le second dans ses Stromates. Eusèbe rapporte la composition de ce dernier ouvrage au règne de Sévère[26] et infère légitimement cette indication chronologique de ce que, dans la supputation des temps, Clément d’Alexandrie prend comme terme extrême la mort de Commode. Il est même possible, en se fondant sur cette raison, de supposer que le premier livre des Stromates et le second, qui dut le suivre d’assez près, furent composés dans les premières années du règne de Sévère. Or, dans le second livre, on trouve une évidente allusion à la persécution. Zénon, écrit Clément d’Alexandrie, disait justement, en parlant des Indiens, que l’aspect d’un seul Indien au milieu des flammes enseignait mieux à supporter la douleur que toutes les démonstrations du monde. Et nous, chaque jour, nous voyons de nos yeux couler a torrents le sang des martyrs brûlés vifs, mis en croix et décapités. La crainte de la loi, qui, à la façon d’un maître, les a tous conduits au Christ, leur a appris a attester leur foi, même au prix de leur sang. A la rigueur, on pourrait dire que l’expression : nous voyons chaque jour de nos yeux, n’est rien qu’une forme oratoire ; que l’auteur parle ici de façon générale, et ne vise aucune circonstance de temps et de lieu particulier ; que les exemples de courage et les spectacles de fermeté qu’il rappelle ne regardent pas nécessairement le moment où il écrit. Cependant, comme l’Église avait été généralement en paix pendant le règne de Commode, il est à croire que Clément d’Alexandrie faisait allusion a des faits qui se passaient au moment même où il écrivait ses Stromates. Le témoignage de Tertullien est plus précis. Il est moins philosophe, comme on sait, et plus homme d’action. Or, plusieurs de ses écrits sentent la bataille et paraissent inspirés par elle. Le petit traité Ad Martyres est comme une exhortation à ceux qui, déjà en prison, sont désignés en quelque sorte pour le supplice. On ne trouve dans cet écrit aucune indication de lieu. Il est probable que les fidèles que le docteur africain encourage sont emprisonnés à Carthage ou dans quelque ville voisine. Quant au temps, qui nous intéresse particulièrement, il est marqué assez clairement à la fin de ces courtes pages par une allusion manifeste aux proscriptions qui suivirent immédiatement la défaite d’un compétiteur et la ruine de son parti. Pescennius Niger avait été battu et tué en 194, Albinus en 197. Après Tune et l’autre victoire, il y eut, comme on sait, beaucoup de sang versé en Orient et en Occident, et de nombreux sénateurs, compromis ou suspects, furent exécutés, surtout après la défaite d’Albinus. L’écrit Ad Martyres est donc très vraisemblablement de cette année 197. D’où l’on peut conclure que, cinq ans avant l’édit donné en Palestine et rapporté par Spartien, il y avait des poursuites exercées contre les chrétiens. Le traité Ad Nationes et l’Apologétique fournissent la même conclusion. Ces deux écrits contiennent les mêmes allusions aux événements contemporains. Dans l’un et l’autre, il est question de la défaite de Niger et de celle d’Albinus, ce qui prouve qu’ils ont été composés l’un et l’autre après le 19 février 197, date de la défaite d’Albinus[27]. Or, au moment où Tertullien écrivit son livre Ad Nationes et son Apologétique, il n’est pas contestable que des procès criminels fussent faits aux chrétiens. L’année précédente, il avait donné son exhortation Aux Martyrs. Alors il s’adressait a l’opinion publique, aux magistrats et aux gouverneurs de province. Là défense, et une défense aussi chaude, suppose l’attaque. Les textes où l’auteur parle des supplices auxquels les chrétiens sont en butte abondent dans Y Apologétique. Le grand ennemi signalé, c’est la foule hurlante des cirques et des amphithéâtres ; mais les magistrats sévissent à sa suite, les uns s’inspirant de leurs passions personnelles, les autres alléguant l’autorité des lois. De quelles lois s’agit-il ? Des vieilles lois sans doute, car le docteur africain ne mentionne nulle part de nouveaux édits portés par Sévère. Nulle part l’empereur régnant n’est mis en cause par Tertullien, et les Antonins mêmes sont explicitement rayés par lui de la liste des persécuteurs. Tertullien défend saris doute tous les chrétiens. L’Église entière souffre partout où quelques-uns des fidèles sont opprimés. Mais si le spectacle de violences locales suffit pour expliquer et autoriser l’intervention de l’orateur africain, on ne saurait, du seul fait de cette intervention, conclure légitimement que la persécution fût générale, et que dans toutes les provinces de l’empire des ordres de répression émanés du pouvoir central eussent été envoyés et fussent partout appliqués rigoureusement. A Rome, sous Commode, grâce à Marcia et à l’entourage du prince, l’Église était bien en cour. Au lieu de condamnations prononcées, nous avons signalé une amnistie au moins partielle et qui dut avoir quelque retentissement. Nous avons rappelé que l’évêque Victor, en 196, avait une liberté suffisante pour correspondre avec les communautés chrétiennes de Gaule et d’Asie-Mineure. L’année suivante, il s’éteignait, et, en dépit d’une tradition très postérieure, il n’y a pas de sérieuse raison de croire qu’il soit mort martyr. Cette même année, Zéphyrin succédait à Victor sur le siège de Rome, et non seulement le nouvel évêque traversait en pleine sécurité cette année 197 où la raison d’État fit tant de victimes, mais il gouvernait paisiblement l’Église de Rome pendant dix-huit ou dix-neuf ans. Il paraît bien cependant que, dans l’hypothèse d’une persécution générale ; l’évêque de Rome, en sa qualité de chef, était le plus exposé, celui que la police devait saisir et la loi frapper le premier. Et l’on ne peut dire, dans l’espèce, que Zéphyrin dut Sa sûreté a l’obscurité volontaire où il s’ensevelit, au silence qu’il sut faire autour de sa personne et a son inaction. Le pontificat de Zéphyrin compte parmi les plus longs, les plus importants et les plus actifs des trois premiers siècles. Nous ne parlons pas seulement des controverses dogmatiques, qui furent très vives a ce moment, Ces débats intérieurs, a cause de leur caractère, pouvaient échapper aisément a l’inquisition de l’autorité civile, et quelque part qu’y prît l’évêque de Rome, ils ne le mettaient pas nécessairement en vue. Mais sous Zéphyrin, et par ses soins, la société chrétienne fut mise alors sur un nouveau pied. L’unité du corps des chrétiens s’affirma plus fortement que par le passé. Une loi de Sévère permettait aux gens de petit état de former des collèges sous certaines conditions déterminées[28]. La société chrétienne semble avoir profité de cette loi pour prendre le caractère de collège funéraire, et à ce titre posséder une caisse alimentée par les offrandes volontaires et un cimetière de droit commun. C’est Zéphyrin qui fonde le cimetière chrétien et en confie l’administration a son premier diacre, qui est justement Calliste, affranchi par le fait de sa condamnation, devenu libre depuis l’amnistie obtenue par Marcia, et grâce an choix de Zéphyrin élevé à la dignité d’économe, d’administrateur et de dispensateur des deniers de l’Église de Rome. Les fidèles de Rome, dans le second siècle et au commencement du troisième, dit M. de Rossi, avaient plusieurs cimetières, désignés par les noms des propriétaires du sol sous lequel les sépulcres avaient été creusés, comme celui de Priscilla, de Maxime près la via Salaria ; d’Ostrianus, près la Nomentana ; de Lucine, près la via Ostiensis ; de Prétextat, près l’Appia ; de Domitilla, près l’Ardéatina. Un cimetière cependant, au temps de Zéphyrin, fut fondé près de la voie Appienne, sur les terres de la famille des Cécilii, et eut la prééminence sur tous les autres. Pendant de longues années il porte et garde le nom, non du propriétaire du sol, ni de Zéphyrin, son fondateur, ni d’aucun martyr dont il contenait les restes, mais celui de Calliste[29]. Le livre des Philosophumena l’appelle le cimetière. C’est assez dire que c’était un bien de société et non un domaine privé, qu’il appartenait aux chrétiens pris en corps et non à l’un d’entre eux. Calliste qui y préside est donc, par le fait, vis-à-vis de la législation païenne, l’actor ou le syndicus de la communauté chrétienne, bien que ce soit de fait et non de droit, et seulement par tolérance tacite, que le collège chrétien existe, possède et administre ses revenus. Ce fait est de grande importance pour la question qui nous occupe. A Carthage, des forcenés crient : Areœ christianorum non sint, c’est-à-dire : plus de lieu de sépulture pour les chrétiens. La et ailleurs, dans la chaleur des passions hostiles, la foule déchaînée envahit, viole et disperse les tombes chrétiennes. Mais ce cri et cette irruption signifient que les chrétiens possédaient en commun des cimetières qu’on savait appartenir en propre à leur société, et profitaient de la loi qui déclarait les lieux d’inhumation inviolables et sacrés[30]. Or, n’est-il pas étrange de soutenir qu’à l’heure même où Zéphyrin, par la fondation d’un cimetière à Rome, donnait a la société chrétienne une cohésion qu’elle n’avait point encore, et presque un état civil, cette société était plus particulièrement poursuivie ? L’institution du cimetière de Calliste aux derniers jours du second siècle ne marque-t-elle pas, au contraire, une extrême facilité de la part du pouvoir, surtout quand on voit que ni Zéphyrin, son fondateur, pendant son long pontificat, ni Calliste, le vice-pontife, le conseiller et le bras droit de Zéphyrin, ne sont recherchés, ni inquiétés ? Celui que la communauté entière avait choisi pour évêque ne pouvait être ignoré, et Calliste aussi devait être assez connu à Rome. Il avait comparu naguère, après un scandale public, devant le préfet de Rome Fuscianus, dont la mémoire n’était point oubliée ; il avait été frappé d’une condamnation très sévère, et, bien que gracié depuis, il n’était pas plus inviolable que ne le sont chez nous les repris de justice. Or Calliste gère les affaires, surveille le personnel, administre les finances de la communauté, centralise les collectes, distribue les aumônes de l’Église, sans que les prétendus persécuteurs songent à sévir contre lui, au centre même des lois et de la force publique. Il faut avouer que la police est bien aveugle pour ne les point voir, singulièrement maladroite pour ne les point trouver ; que le pouvoir est bien inconséquent, s’il ordonne la persécution des chrétiens, de ne point faire arrêter d’abord leurs chefs, ou plutôt que du haut en bas de l’échelle on demeure indifférent et les yeux fermés. Soutenir, en effet, que les chrétiens furent cruellement persécutés a Rome sous le règne de Sévère, et reconnaître en même temps, comme on est bien forcé de le faire, que Zéphyrin et Calliste, leurs chefs connus, traversèrent ce règne sans courir aucun péril appréciable, c’est risquer une contradiction devant laquelle nous reculons. II est vrai que la logique est une chose, et l’histoire une autre ; que quand on parle de persécution on ne veut pas dire extermination universelle ; que la loi peut être violente et sans pitié, et les juges humains et doux ; que les violences populaires et légales ont pu sévir à la façon de ces orages d’été, qui ravagent un petit coin de terre, pendant que le soleil brille tout auprès ; que la fantaisie et l’arbitraire ne se laissent ni mesurer au compas, ni peser à la balance, et que le hasard et le bon plaisir eurent, à n’en point douter, une grande part dans la situation qui fut faite aux chrétiens pendant les trois premiers siècles. Tout cela est vrai et explique la variété des traitements en divers lieux, à la même époque. Mais pour ce qui est de Rome, notre raisonnement subsiste et garde toute sa force, surtout quand on ne peut lui opposer des faits précisément constatés, mais seulement des protestations oratoires et des éclats d’indignation qui, en somme, ne coûtèrent la vie ni à Clément d’Alexandrie, ni à Tertullien, car tous deux, comme on sait, survécurent a Septime Sévère, et les diatribes de Tertullien, telles que le traité Des spectacles, le traité De l’idolâtrie et le petit livre De la couronne du soldat, qui sont tous les trois antérieurs à l’an 202, et où il s’emporte jusqu’aux plus vives attaques et va jusqu’à prêcher la sécession à l’intérieur, demeurèrent ignorées ou impunies. Il serait certes fort téméraire d’affirmer que, pendant tout le règne de Sévère, personne ne fut à Rome poursuivi ni condamné pour cause de christianisme ; mais nous n’avons nul indice, nul témoignage assuré et précis dont nous puissions conclure que la condition des fidèles de l’Église romaine ait été plus précaire ou plus misérable sous le règne de Sévère que sous celai de Commode. Peut-être le martyre de Félicité et de ses sept fils, insoutenable, croyons-nous, au commencement du principat de Marc-Aurèle, est-il de ce temps. Cependant cet épisode de l’histoire de l’Église souffrante, tel du moins qu’il est raconté dans les Acta sincera de Ruinart, demeure suspect à nos yeux, encore que l’existence historique de sainte Félicité soit peu douteuse. Il est impossible, dans le récit en question, de faire le départ exact de ce qui appartient a l’histoire et de ce q«i a été ajouté pour l’édification ; et d’un autre côté les points d’attache manquent, qui permettent de déterminer exactement la date des faits. Et alors même qu’il se serait passé à Rome quelque chose d’analogue à ce qu’on raconte au sujet de Félicité et de ses fils, on n’en saurait rien inférer sur la politique générale et les pratiques -permanentes du règne. Il reste toujours, en effet, que le respect de la vie de Zéphyrin et de Calliste est un problème dans l’hypothèse d’une persécution spécialement édictée et sévèrement appliquée partout. Bien plus, dans le palais, dans la domesticité de Sévère, il y a des chrétiens. Ceux qui faisaient partie de la maison de Commode continuent à faire partie de celle de Sévère. Les césariens, esclaves ou affranchis, passaient en héritage d’un prince a celui qui lui succédait, comme le mobilier du palais. C’était comme un fief de cour. Ils ne gardaient pas toujours, il est vrai, la faveur et l’influence dont ils avaient joui précédemment. Il dépendait de l’industrie et de l’adresse de chacun d’eux de se faire sa place. A ceux-là venaient se joindre ceux que le nouveau prince amenait à sa suite, quand changeait la dynastie. Tertullien rapporte que Caracalla, né en 188, avait eu une nourrice chrétienne, et Spartien nous dit qu’il y avait un chrétien parmi les compagnons de son enfance et de 6es jeux. Peut-être est-ce à cette première influence qu’il faut attribuer même la douceur et les bons instincts qu’il montra au commencement, et dont le chroniqueur de l’Histoire Auguste témoigne. Sévère, dans une maladie, avait trouvé du soulagement dans les lotions d’huile qui lui avaient été faites par un chrétien nommé Proculus Torpacion. On rapporte que Sévère, devenu empereur, le fit chercher et le garda auprès de lui dans son palais jusqu’à sa mort. Ce Proculus nous est donné comme l’intendant d’Evhode. S’il faut lire, en effet, Evhodi procuratorem dans le texte de Tertullien, et non Evhodeœ, et si cet Evhode est le même césarien riche, influent, bien vu de Caracalla, qui eut quelque part a la chute et à la mort de Plautien, on pourrait aussi le nommer parmi les chrétiens de la maison de Sévère. Marcia avait été tuée en 193 ; mais l’eunuque Hyacinthe, Prosenès et Carpophore, assurément chrétiens et césariens, étaient vraisemblablement encore de la maison impériale dans les dernières années du second siècle. Dans les temps de péril, nulle part, mieux que dans le palais, un chrétien n’était à l’abri. Tertullien nous fournit encore un autre témoignage des sentiments d’humanité et de bienveillante tolérance de Sévère relativement aux chrétiens, quand il écrit : Nombre de personnages, hommes et femmes, de rang sénatorial, Sévère, les connaissant pour être de notre secte, non seulement ne leur fit aucun mal, mais encore porta témoignage en leur faveur et sut résister en face à la fureur du peuple déchaîné contre nous[31]. On ne saurait dire précisément de quels personnages parle Tertullien, ni où se passa cette scène ni à quelle époque. Ces clarissimes, sont-ce des membres du sénat de Carthage et des femmes de leur famille ? On l’a supposé[32]. Cette émeute populaire devant laquelle Sévère refuse de fléchir, plus peut-être par sentiment de dignité que par sympathie personnelle pour les chrétiens, eut-elle lieu en Afrique, au temps où Sévère était légat proconsulaire de cette province, c’est-à-dire dans les dernières années du règne de Marc-Aurèle ? Se produisit-elle a Rome même, à l’époque où Sévère y rentra, après la défaite d’Albinus, c’est-à-dire en 197 ? Il est malaisé de le décider. Avec M. de Rossi, nous placerions plus volontiers cet épisode à Rome, à la date de 197, avant le départ de Septime Sévère pour l’Orient[33]. Tertullien, si bien au courant des lois, savait sans doute la valeur des termes du langage officiel, et que l’épithète de clarissime était exclusivement réservée aux personnes de rang sénatorial et ne convenait pas aux décurions d’une ville de province. Nous ne connaissons, il est vrai, de science certaine, aucun membre siégeant au sénat de Rome à ce moment qui fût chrétien ; cependant le témoignage d’Eusèbe sur la montée extraordinaire du christianisme dans les premiers rangs de l’aristocratie romaine, pendant le règne de Commode, est formel, et d’autre part des inscriptions tirées des cryptes de Lucine et des parties les plus anciennes du cimetière de Calliste, nous fournissent plusieurs noms de familles illustres, par exemple celui du consulaire Iallus Bassus, légat des deux Augustes Marc-Aurèle et Lucien Verus, et gouverneur de la Mysie inférieure en 164 ; celui de Catia Clementina, sa femme, de la famille desquels est à n’en pas douter Sextus Catius Clementinus, consul ordinaire en 230 ; celui d’Ialla Clementina, leur fille, et d’Ælius Clemens, leur petit-fils[34]. Ces deux derniers personnages vivaient certainement dans les dernières années du second siècle et au commencement du troisième, Qui empêche de croire qu’ils étaient de ces clarissimes que Sévère à Rome, en 197, couvrait de sa toute-puissante protection et en faveur desquels il porta alors témoignage ? Or, s’il y a eu des cris poussés contre les chrétiens à Rome dans quelqu’une des fêtes publiques de cette année, et que l’empereur non seulement n’en ait tenu nul compte, mais encore ait protesté que ceux et celles contre lesquels les passions fanatiques se déchaînaient étaient gens paisibles et irréprochables, cela prouve bien qu’à ce moment au moins la persécution ne sévissait pas à Rome, que Victor n’y était pas martyrisé, ce que nul auteur ancien n’a dit, du reste. Supposer que le sénat, aussitôt que l’empereur fut loin, se hâta de condamner clandestinement, de sa propre autorité, et de faire périr des hommes que Sévère avait personnellement garantis de6 fureurs populaires et déclarés innocents, c’est oublier l’ordinaire docilité du sénat à se soumettre aux désirs du prince. Le sénat savait par expérience que Sévère n’aimait pas les résistances, qu’il brisait sans hésitation tout ce qui ne pliait pas sous sa volonté. à nous semble qu’on ne peut, sans quelque contradiction, soutenir en même temps que Sévère protégea personnellement les chrétiens contre la fureur populaire en 197 et que le sénat, la même année ou peu après, institua contre eux des poursuites, fût-ce sans bruit et en secret[35]. C’est prêter au sénat une indépendance, une audace qu’il n’avait guère et que vraisemblablement il ne devait guère être tenté de prendre après les cruelles exécutions dont Sévère l’avait frappé. De l’état de l’Église dans les Gaules, en ce même temps, et en général pendant le règne de Sévère, nous ne savons presque rien. En 196, Irénée, l’évêque de Lyon, s’était entremis entre Victor, l’âpre et impérieux évêque de Rome, et les Églises d’Asie au sujet du jour de la fête de Pâques, et avait fait prévaloir a ce propos des idées de tolérance mutuelle et de concorde. Les conférences tenues alors parmi les évêques et les prêtres sont exclusives de toute persécution violente. Au commencement de l’année suivante, la province romaine s’emplit du bruit des armes. L’empire allait se jouer sur les champs de bataille entre Sévère et Albinus, et la fortune décider quel était le factieux. Albinus, qui tenait les Gaules et la Bretagne, fut, comme on sait, défait et tué, et l’armée victorieuse, après la sanglante journée de Trévoux, entra dans la ville de Lyon. Celle-ci avait embrassé le parti d’Albinus ; elle subit le sort de la guerre. Le fer et le feu ravagèrent la malheureuse cité. Le pillage et le meurtre s’y donnèrent carrière, comme dans une place prise d’assaut. Les chrétiens, on peut le dire, y étaient nombreux. Tertullien, a deux reprises, déclare qu’ils n’avaient pris parti ni en Orient pour Niger, ni en Gaule pour Albinus. Cette affirmation très générale vaut-elle beaucoup, et doit-elle être prise à la lettre ? Tertullien était-il bien placé pour être sûrement informé ? Si l’Église en corps, ce qui est infiniment vraisemblable, ne s’était pas engagée dans ces querelles civiles, connaissons-nous, et Tertullien savait-il précisément les opinions secrètes des chrétiens de l’Orient et de la Gaule pris individuellement ? Beaucoup ne partageaient-ils pas les sympathies que Niger et Albinus s’étaient conciliées ? En tout cas, ils se trouvaient dans la ville qui avait servi de quartier général au rebelle. Ils pouvaient passer, aux yeux de ceux qui ignoraient leurs sentiments, pour avoir, comme les autres, favorisé la cause du vaincu. Leur sang coula sans doute, mêlé au sang des partisans d’Albinus et de beaucoup d’innocents. C’eût été miracle que, dans le déchaînement des violences que Sévère autorisa ou laissa faire, les chrétiens eussent été épargnés. Il ne paraît pas qu’alors ils furent frappés comme une faction sui generis, et pour leurs opinions religieuses. La soldatesque n’a pas coutume de s’informer, dans des cas semblables, des croyances de ceux qu’elle pille et qu’elle égorge. A ce moment, Irénée disparaît de l’histoire. Il est fort présumable qu’il périt avec d’autres fidèles dans la confusion du carnage qui eut lieu à Lyon. Quatre cents ans plus tard, on en fit un martyr, et on inventa une persécution, où pêle-mêle, sans instruction ni forme de procès, une multitude de chrétiens furent massacrés. L’imagination des hagiographes s’ingénia en d’étranges détails. Sévère aurait, pour cette exécution, fait entourer les remparts de la ville d’un cordon de gladiateurs : dix-neuf mille chrétiens auraient été égorgés avec leur évêque, et celui-ci avec des raffinements particuliers. Le sang chrétien aurait coulé en ruisseaux par les rues de la ville. Le plus ancien témoignage et la source, on peut dire, de cette histoire se trouvent dans un passage de Grégoire de Tours. La persécution survint, écrit-il ; le démon excita par les mains du tyran de telles guerres dans ce pays, et l’on y égorgea une si grande multitude de personnes pour avoir confessé le nom du Seigneur, que le sang chrétien coulait en fleuves par les places publiques. Nous n’avons pu en recueillir ni le nombre, ni les noms ; mais le Seigneur les a inscrites sur le livre de vie. Le bourreau ayant fait en sa présence souffrir divers tourments à saint Irénée, le consacra par le martyre à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Après Irénée succombèrent quarante-huit autres martyrs, dont le premier fut, dit-on, Vettius Epagathus[36]. L’auteur de l’Historia Francorum est ici l’interprète de la tradition ; mais on voit aisément combien cette tradition est trouble et mêlée. La persécution de 177 et le martyre des quarante-huit, la guerre civile excitée dans le pays par Albinus, — c’est évidemment le tyran auquel Grégoire de Tours fait allusion, — les torrents de sang versés dans la bataille et qui, suivant Dion, rougirent les eaux du fleuve, et le carnage fait à Lyon après cette sanglante journée, tout cela est confondu dans le récit. Quelques détails ajoutés plus tard par les auteurs des Actes d’Irénée, comme l’investissement des remparts de Lyon par des gladiateurs, sont des faits réels transformés par l’imagination populaire. Ces gladiateurs, exécuteurs des basses œuvres du prince, c’est l’armée victorieuse autour de Lyon, l’armée de Sévère avide de vengeance, après un triomphe chèrement acheté. Les dix-neuf mille chrétiens égorgés sans jugement, c’est le massacre d’une population désarmée, livrée à une soldatesque sans merci, et tuant au hasard. De toutes les victimes difficiles à compter, et parmi lesquelles se trouvaient assurément des chrétiens, on fit des fidèles. Le nombre de dix-neuf mille, marqué très postérieurement dans une inscription du Xe siècle, nous ignorons d’où il vient. La rumeur grossit singulièrement d’ordinaire le nombre des morts dans les catastrophes publiques, les batailles et les sacs de villes. Dans une récente histoire d’Irénée où la fantaisie a ck et la une grande place, on prétend que le passage très brouillé de Grégoire de Tours implique chez l’auteur la connaissance des actes originaux du martyre d’Irénée. On allègue l’inscription du Xe siècle qui parle des dix-neuf mille chrétiens égorgés ; on appelle cette inscription antique, et, sans preuve, on déclare qu’elle est la reproduction d’un titre antérieur et presque contemporain de l’événement. On se tait sur la confusion faite par Grégoire de Tours entre la persécution de 177 et celle où aurait péri Irénée avec une foule d’autres. On efface les traits qui se rapportent à la guerre civile des premiers mois de 197 qui se dénoua aux portes de Lyon, et, séparant ce que l’auteur de l’Histoire des Francs a mêlé, on met arbitrairement la persécution, qui dans son récit flotte entre 177 et 197, six ans plus tard, en 205, un an après l’ordonnance promulguée en Syrie. On cite sous trois formes des Actes dont on reconnaît qu’ils furent écrits au VIIe siècle et qu’on déclare, sans preuve, rédigés sur des documents vraiment antiques qui auraient été perdus. Enfin on s’appuie sur des traditions locales, d’ancienneté vénérable, il est vrai, mais sans autorité historique[37]. Il n’y a pas ici une seule raison qu’on puisse s’arrêter à discuter. La nullité absolue de la démonstration vient de l’indigence des textes et de l’absence de témoignages sérieux. Cette nullité laborieuse prouve à elle seule combien la persécution de Septime Sévère à Lyon et dans les Gaules, au commencement de 197 ou en 203, est douteuse. Il est très certain qu’on n’en trouve pas trace dans l’ancienne littérature. Nul auteur ancien avant la fin du VIe siècle n’en a fait mention. Nous ne parlons pas seulement des écrivains profanes, comme Dion Cassius, Hérodien et les chroniqueurs de l’Histoire Auguste, fort indifférents en général aux choses chrétiennes, mais qui, dans l’espèce, eussent sans doute fait au moins allusion a un massacre organisé, dans lequel tant de milliers d’hommes auraient péri ; nous parlons aussi des écrivains ecclésiastiques. Tertullien, dans son Exhortation aux martyrs, écrite en 197, dans son traité aux Nations et dans son Apologétique, où il fait mémoire de la guerre civile d’Albinus et des vengeances de Sévère qui les suivirent, et où il disculpe en passant les chrétiens de toute ingérence dans ces factions, ne dit pas un seul mot d’où l’on puisse inférer que l’Église de Lyon ait alors subi la moindre persécution. On répondra peut-être que ces ouvrages parurent avant 203 et que Tertullien n’y pouvait parler d’événements qui eurent lieu plus tard. Mais sur quelle ombre de raison s’appuie l’hypothèse de l’extermination des chrétiens de Lyon en 203 ? La Lettre à Scapula est indubitablement postérieure à cette date : c’est à propos de la persécution qu’elle a été écrite ; c’est de la persécution qu’elle traite. Tertullien y relève et y rappelle nombre de faits de détail. Il ne dit rien de ce grand égorgement de la population entière d’une grande ville. De pareils faits, quand ils avaient lieu, retentissaient d’un bout de l’empire à l’autre parmi les fidèles, qui les publiaient comme des victoires. On ne peut donc arguer de l’ignorance de Tertullien. Est-il admissible qu’il sache qu’un fidèle a été condamné et exécuté dans un coin de la Cappadoce, et qu’il ignore qu’a Lyon des fleuves de sang chrétien ont coulé ? Il ne sait rien de la persécution lyonnaise de 197 ou de 203, par la raison que c’est une pure légende née beaucoup plus tard. De même il connaît bien Irénée : il cite son nom dans un de ses traités polémiques[38]. Il ignore son prétendu martyre. L’auteur du livre des Philosophumena, qui cite aussi deux fois le nom d’Irénée et connaît de près son ouvrage sur les hérésies, l’ignore également. Le silence d’Eusèbe est bien plus grave. Eusèbe écrivait en pleine sécurité, après le triomphe de l’Église. Il a porté une attention particulière à relater les épreuves douloureuses qu’elle a traversées. Sur nul point il n’a appuyé davantage. Il a recueilli avec une curiosité scrupuleuse les témoignages et les traditions. Il était entouré de renseignements de toute espèce : sa bibliothèque était immense. S’il pèche par quelque endroit, ce n’est point, on le sait, par la hardiesse de la critique et de la négation. C’est à lui que nous devons de connaître un passage de Méliton de Sardes où il est question des vexations et des violences auxquelles les chrétiens étaient en butte en Asie-Mineure vers la fin du règne de Marc-Aurèle. C’est lui qui nous a conservé la fameuse lettre des Églises de Lyon et de Vienne aux Églises d’Asie et de Phrygie, et tant d’autres documents sur la persécution chrétienne. Or les scènes de Lyon en 177 ne sont qu’un jeu auprès du massacre universel de 203, et Eusèbe n’en saurait rien ! Cela est tout à fait insoutenable. Il en est de même du martyre d’Irénée. De cela seul qu’Eusèbe, qui connaît Irénée et nous en parle longuement, n’en a point fait mention, il suit que ce martyre n’est pas réel. Si Irénée était mort martyr et surtout enveloppé dans une sorte d’exécution en masse telle qu’on n’eu trouve pas une semblable dans l’histoire des persécutions de l’Église, Eusèbe l’aurait su et raconté. Or, il n’en a pas dit un mot. C’est donc qu’il l’ignore, et cette ignorance prouve non seulement que la chose n’a pas eu lieu, mais qu’au moment où l’historien tenait la plume, la légende du martyre d’Irénée n’était pas encore formée. Même silence sur la persécution lyonnaise et le martyre d’Irénée chez Lactance et saint Jérôme. Le premier des deux ne compte pas même Sévère au nombre des persécuteurs de l’Église, comme nous l’avons dit. Le second, qui a naturellement donné une place à Irénée dans son Catalogue des écrivains ecclésiastiques, ne parle pas de sa mort. Dans cet article cependant, Jérôme nommant Polycarpe ajoute à son nom prêtre et martyr. De même dans sa lettre à la veuve Théodore, Jérôme citant Irénée l’appelle homme des temps apostoliques, disciple de Papias, auditeur de Jean l’évangéliste, évêque de l’Église de Lyon. Saint Jérôme eût-il oublié le plus beau titre d’Irénée, s’il eût su qu’il avait versé son sang pour la foi ? Cependant ; dans un de ses écrits d’exégèse biblique, dans son Commentaire sur Isaïe, parlant des étranges imaginations des anciens hérétiques, saint Jérôme écrit : De ces aberrations avec grande exactitude traite Irénée, homme apostolique, évêque de l’Église de Lyon et martyr. Cette dernière mention, partout ailleurs absente dans les écrits de Jérôme, parait suspecte. On peut l’expliquer de deux manières, soit par une glose postérieure d’un copiste, plus tard introduite dans le texte, comme due à la plume même de l’auteur ; soit par la formation de la tradition du martyre d’Irénée au moment où il composait son commentaire d’Isaïe dans les premières années du Ve siècle, plusieurs années après la composition de son catalogue des écrivains ecclésiastiques et de sa lettre à Théodora. Les faits supposés, comme les faits réels, ont une date dans l’histoire. En tant qu’idées, ils ne sont pas à tel moment et apparaissent à tel autre. Ce qui permettrait d’admettre cette hypothèse, c’est que dans l’ouvrage du pseudo-Justin intitulé Quœstiones et responsiones ad orthodoxos, lequel est vraisemblablement du Ve siècle, on trouve après le nom d’Irénée la même mention, martyr et évêque de Lyon. Dès lors la tradition est fondée et introduite dans le courant des idées communes. Cette tradition cependant est nue et demeure fort incertaine, comme nous le voyons par le passage de Grégoire de Tours essayant de la faire rentrer dans l’histoire et de placer le fait prétendu dans un milieu réel. Du récit de Grégoire de Tours sont ensuite sortis, sous trois formes diversement amplifiées, les Actes d’Irénée que Ruinart n’a pas admis dans son recueil, et que la critique la plus complaisante ne peut faire autrement que de déclarer apocryphes et sans aucune valeur historique. Nous n’avons pas à nous occuper des témoignages postérieurs. Ils ne valent que par leurs sources, et nous avons fait voir combien celles-ci sont pauvres ou étrangement troubles. On peut remarquer cependant encore que Photius, dans l’article de sa bibliothèque qu’il a consacré a Irénée, ne mentionne pas son martyre, bien qu’au IXe siècle on n’ignorât point sans doute la tradition courante sur ce point. Nous pouvons donc conclure sans témérité que cette tradition repose sur la base la plus fragile, et que, comme nous l’avons dit, rien n’est plus douteux que la persécution de l’Église dans- les Gaules en général et à Lyon en particulier, sous Septime Sévère et par ses ordres. Il est probable, encore une fois, que plusieurs chrétiens périrent ou furent maltraités et pillés, lors du sac de la ville qui suivit la bataille de Trévoux. Irénée apparemment fut au nombre des victimes. Pourquoi et comment, nous l’ignorons. Il fut tué peut-être comme tant d’autres, au hasard et sans raison. Les violences que purent subir alors les chrétiens furent des faits de guerre. La question religieuse n’y eut nulle part. Lyon, du reste, quoique ayant grandement souffert, se rétablit vite. Deux mois et demi plus tard, la grande cité déployait ses pompes religieuses au profil de l’élu de la fortune. Un magnifique taurobole était offert pour le salut de l’empereur Lucius Septime Sévère, pieux, heureux, Pertinax, Auguste, et de Marc-Aurèle Antonin César, empereur désigné, et de Julia Augusta, mère des camps et de toute leur maison divine, et pour la conservation de l’auguste colonie Claudia Lugdunensis[39]. Pendant quatre jours, du 3 au 7 mai 197, le feu brilla sur les autels. La réconciliation était scellée entre les populations gauloises et la dynastie nouvelle désormais incontestée. Les chrétiens, remis des communes alarmes, rejoignaient leurs tronçons mutilés et reprenaient à petit bruit leurs travaux et leur propagande sous un nouveau chef. On ne voit nulle part qu’ils aient été sérieusement troublés par des poursuites judiciaires, pendant toute la durée du règne, ni que l’ordonnance promulguée en Palestine en 202 ait mis contre eux le glaive des lois aux mains des agents du pouvoir. Peut-être cependant serait-il dur de rayer d’un trait de plume sommaire toutes les traditions locales. Plusieurs martyres sont mentionnés en divers endroits de la Gaule vers ce temps : le martyre d’Andéolus chez les Helviens, dans un bourg nommé Bergoïatum, sur le Rhône, près de Viviers ; ceux d’Andochius à Autun et de Benignas à Dijon ; d’antres encore a Valence et à Besançon. Mais les détails qu’on trouve sur ces personnages chez les hagiographes sont si incohérents, si invraisemblables et si puérils, les légendes parasites ont si bien envahi et couvert ces obscures mémoires, que la critique n’y peut rien démêler. Les dates sont impossibles à déterminer, aussi bien que les circonstances réellement historiques. On raconte par exemple que Sévère, ayant rencontré le sous-diacre Andéolus qui remplissait son ministère de prédicateur de l’Évangile, lui fit fendre la tête en quatre avec une épée de bois. Sévère n’a été en Gaule qu’en 197, pour la guerre contre Albinus, et en 208, lorsqu’il conduisait une armée en Bretagne. A qui fera-t-on croire qu’à l’une ou l’autre de ces deux époques il s’amusât à de pareils jeux ? D’un autre côté, faut-il dire qu’il n’y a jamais eu un chrétien du nom d’Andéolus, condamné en effet près de Viviers et exécuté par les ordres de Sévère ou d’un de ses agents ? Ce serait un autre excès. Les légendes poussent vite ; quand les faits manquent, on les fabrique. La piété et la vanité locale s’y donnent large carrière. Mais aux légendes, comme aux pousses du lierre, il faut quelque chose de solide où s’étendre. L’imagination populaire illustre les personnages, mais ne les crée pas de toute pièce. Il est donc possible qu’Andéolus, Andochius, Bénignus et quelques autres soient morts pour la foi. En tout cas, la rareté des noms de martyrs cités ne contredit pas notre thèse. La persécution fut absolument insignifiante en Gaule sous le règne de Septime Sévère, et n’eut pas le caractère d’une mesure politique rigoureusement ordonnée et exactement suivie. On en peut dire autant des Églises d’Asie. Celles-ci, beaucoup plus denses et par suite plus remuantes que dans les Gaules, étaient dès les dernières années du second siècle singulièrement agitées de divisions intestines. Les nouveautés montanistes qui étaient, a proprement parler, un réveil de l’exaltation des premiers jours, produisaient en Asie-Mineure et en Phrygie un désordre profond. Les prédications frénétiques, les prophéties sinistres, les scènes d’extase ou de magie étaient communes et publiques. On parlait couramment de la fin du monde, des catastrophes prochaines et des vengeances divines, et ces sombres prédictions chez les apôtres du deuil volontaire étaient en même temps des vœux ardents. Les esprits forts, apparemment, souriaient de ces sottises ; les esprits faibles, qui forment le plus grand nombre, étaient troublés. On ne voit pas cependant que le pouvoir se soit grandement ému, ni qu’il ait eu recours à des mesures exceptionnelles pour réprimer ces manies prophétisantes et remettre l’ordre dans le pays. Parfois l’autorité mit quelqu’un des énergumènes en prison. Dans la grande Église ou parmi les sectaires, selon le parti, on en faisait un martyr, et d’un côté ou de l’autre aussi on lui contestait ce glorieux titre. Avec un peu d’argent, l’emprisonné se dégageait. Ainsi avaient fait Thémison, et à Ephèse même, quelques années auparavant, le montaniste Alexandre, duquel les chrétiens anti-montanistes disaient, en alléguant les pièces officielles du greffe, qu’il avait été incarcéré pour cause de vol. Praxéas, fougueux adversaire des montanistes, tâta de même un instant de la prison. Thraséas aussi, de la grande Église, fort engagé contre les cataphryges, eut, on ignore à quelle date précise, à quelle occasion et dans quelle mesure, les honneurs de la persécution. Il faut beaucoup fouiller pour trouver, à la fin du second siècle et au commencement du troisième, cinq ou six noms de chrétiens punis en Asie, au milieu d’une population chrétienne très nombreuse, très envahissante, et animés de sentiments paraissant tout à fait subversifs. Ce petit nombre de condamnations citées parmi les chrétiens des provinces orientales, sous Septime Sévère, exclut l’idée d’une persécution générale. A n’en pas douter, les agents de l’autorité, étrangers à toute dévotion fanatique, et pour la plupart, au contraire, sceptiques ou incrédules, fermaient en général les yeux et répugnaient à combattre avec l’épée de la loi ce qui leur semblait l’explosion d’un innocent charlatanisme. Vraisemblablement, ils n’agissaient contre les chrétiens qu’en cas de grave désordre, ou peut-être quand ils avaient la main forcée par l’opinion publique, ou que, mis en demeure par une accusation formelle, ils ne pouvaient se dérober. Parfois, comme dans les incendies, quand ils regardaient devant eux, ils étaient pris par derrière, et trouvaient le christianisme installé à leur foyer, leurs esclaves, leurs femmes ou leurs enfants gagnés. C’est ce qui était arrivé, dit-on, à Lucius Claudius Herminianus, gouverneur de Cappadoce. Il sévit cruellement contre les séducteurs, contraignit plusieurs fidèles à l’apostasie, puis tomba malade, revint à des sentiments plus doux et, à la fin, se convertit à demi, à ce que rapporté Tertullien[40]. On sait quelles sourdes et furieuses haines couvent dans le cœur des mécontents et des sectaires contre l’ordre établi, qu’ils ne connaissent que par ses sévérités et ses défiances. Le mot de Martianus Capella en 196, après la prise et le sac de Byzance, assiégé depuis trois ans par les troupes de Sévère : Réjouissez-vous, chrétiens, put être dit par d’autres, après toutes les calamités qui, depuis Néron, ravagèrent l’empire. Peut-être, dans ce cas particulier, des mauvais traitements justifiaient-ils les sentiments que Capella prêtait aux chrétiens du pays. Nous n’avons aucune donnée précise sur ce point. En Asie, à plusieurs reprises, si l’on en croit Eusèbe ou les écrivains qu’il cite, et bien que les pièces qui nous ont été transmises à ce sujet soient, au moins dans leur forme, d’authenticité douteuse, le pouvoir impérial était intervenu en faveur des chrétiens. Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux, Marc-Aurèle, avaient écrit aux gouverneurs de ne pas céder aux sommations tumultueuses de la foule, et d’attendre pour condamner des accusations sérieuses et formelles, des violations expresses de la loi, des délits qualifiés, des crimes de droit commun. Une tradition de douceur relative et de laisser faire s’était établie insensiblement. Les excès de zèle qui troublaient la province étaient blâmés et rares sans doute parmi les fonctionnaires, et d’autre part l’appétit du martyre était une exception parmi les fidèles. A part donc l’Afrique et peut-être l’Egypte, où les haines plus récentes et plus fraîches paraissent avoir été plus agissantes, et les condamnations prononcées contre les chrétiens un peu plus nombreuses, nous ne trouvons guère trace de persécution sous le règne de Sévère. A ce moment, à Rome et sans doute ailleurs, la société chrétienne se constitue, s’organise, s’établit de fait comme un corps, sans être en droit reconnue en cette qualité, asseoit sa hiérarchie jusqu’alors à demi-flottante. Nulle part la persécution n’arrête ses progrès, ni n’entrave sa marche ascendante. li y a toujours le même manque d’équilibre entre la tradition et l’histoire. La tradition compte sous Sévère, les uns disent la cinquième, les autres disent la sixième persécution, c’est-à-dire un de ces épisodes déterminés, mais eu partie aussi légendaires que la cinquième ou sixième plaie d’Égypte. Quand et où commença le fléau ? Quelles circonstances l’amenèrent ? Quels en furent les antécédents et les causes ? L’histoire n’a pas de réponse précise à ces questions. On dit que les chrétiens jouirent de la tolérance jusqu’à l’an 202, et on met l’édit de persécution la dixième année de Sévère. Rien ne semble plus arbitraire que de couper de la sorte en deux parties le règne de Sévère, pour affirmer que les chrétiens furent tolérés dans la première et persécutés dans la seconde. Les textes les plus historiques qui attestent la persécution appartiennent à la période qui précède 202, car la Lettre aux martyrs, le traité Aux Nations et l’Apologétique ont été certainement écrits avant cette date. Il n’y a donc pas lieu de distinguer la seconde période de la première. Mais deux actes législatifs intervinrent en 202 : le premier par lequel il était défendu de faire des juifs et de se faire juif ; le second par lequel il était défendu de faire des chrétiens et de se faire chrétien. Nous l’avons marqué déjà. Il est évident que cette double loi ne signifie pas que les juifs et les chrétiens doivent cesser d’être ce qu’ils sont et changer de croyance. Comment décréter que le juif cessât d’être juif ? Autant lui demander de cesser d’être homme. La loi veut dire que les juifs doivent s’interdire désormais de vicier, comme on croyait, les corps et les esprits de ceux qui ne sont pas de leur nation ; que leur religion doit s’enfermer parmi ceux qui l’ont reçue avec le sang. Il en est de même des chrétiens. A ces derniers on reconnaît donc une sorte d’existence légale ; on leur concède un titre que les juifs tiennent de l’antiquité de leur race et de leur noblesse historique. Assurément, prétendre enchaîner par la force juifs et chrétiens dans leur domaine et interdire toute propagande, c’était vouloir imposer des barrières a ce qu’il y a de plus insaisissable, de plus libre et de plus spontanément contagieux, la flamme vivante de l’esprit et de la foi. C’est un acte de tyrannie, non tout à fait une persécution. On prétendait faire la part du feu et parquer juifs et chrétiens dans leurs croyances comme dans un lazaret, tracer des frontières aux idées, d’une main étouffer les effusions des croyants, de l’autre les besoins des âmes avides et empressées à s’offrir. L’entreprise était chimérique et sans fruit possible. Elle était en même temps pleine d’embarras dans la pratique. Comment, en effet, vérifier l’âge des croyances, distinguer les chrétiens par naissance des chrétiens par conversion, les chrétiens antérieurs à la publication du décret de 202, lesquels, suivant cette loi même, sont innocents, et ceux qui, venus à la foi après ce décret, tombent sous le coup de la loi ? Et si ces distinctions sont possibles, faut-il frapper les convertisseurs et les convertis ? N’y a-t-il pas nombre de cas où ceux-ci se sont donnés d’eux-mêmes, et ont été non séduits, mais reçus seulement ? Et les chrétiens reconnus, et s’avouant tels, faudra-t-il les punir simplement après la constatation de leur qualité de chrétiens, ou, comme Tertullien ne cesse de s’en plaindre, les forcer a nier ce qu’ils confessent et les contraindre par les supplices à l’abjuration ? Nous ne savons si, après l’ordonnance impériale de 202, quelque gouverneur hésitant et timoré adressa à l’empereur Sévère quelque consultation, comme Pline le Jeune avait fait à Trajan près d’un siècle auparavant ; mais, comme on le voit, les difficultés étaient nombreuses et de nature a troubler la conscience d’un honnête homme. On ne s’étonne pas qu’Asper ait déclaré à ses assesseurs que rien ne lui était plus désagréable que d’avoir a juger de semblables affaires. La plupart des gouverneurs n’y regardaient pas de fort près et tranchaient a leur guise. La loi pouvait-elle condamner le chrétien du jour et amnistier celui de la veille ? Chacun démêlait cette contradiction selon son caractère ou sa fantaisie. A tous il apparaissait en fait que la profession chrétienne était illicite et condamnée ; mais à quel titre précis et dans quelle mesure ? Cela était moins clair. De la des procédures et des conduites fort diverses de la part des juges. L’un, considérant les chrétiens comme des brouillons et des trouble-cités (tumultuosum civibus suis), les renvoyait avec de vertes semonces. Tel autre, régulièrement saisi, faisant semblant de comprendre qu’il s’agissait d’une accusation de péculat, et personne ne se présentant pour la soutenir, déchirait le libelle d’accusation et faisait mettre l’homme en liberté. Celui-ci fournissait au prévenu une réponse qui pût le tirer d’affaire ; celui-là se contentait d’une légère correction et n’imposait pas l’obligation de sacrifier[41]. Mais d’autres, plus durs ou plus zélés, poussaient l’affaire à fond, s’acharnaient à arracher l’abjuration et l’accomplissement d’actes idolâtriques, s’irritant de la résistance et s’échauffant dans ce duel jusqu’à oublier l’humanité et la loi même qui interdisait, ce semble, d’aller au-delà du glaive[42]. Nombre d’actes de martyrs nous représentent de la sorte comme un combat singulier entre le fidèle devant le tribunal ou sur le chevalet, et le juge avec ses bourreaux : le premier faisant la leçon, provoquant et menaçant ; le second d’abord plein de modération, puis perdant patience et sang froid, usant des plus cruels supplices pour dompter la fermeté qui se raidit et le brave, et succombant à la fin dans la lutte, la mort de la chair ayant ôté de ses mains et délivré l’esprit victorieux. Au reste, ces diverses manières d’agir n’impliquent pas nécessairement la publication de la loi portée par Sévère en Palestine. Rien ne montre, dans aucun des actes des martyrs, que ni les juges ni les accusés l’aient connu. Personne n’en fait mention, ni les uns pour s’autoriser, ni les autres pour se défendre. Tertullien, dans sa Lettre à Scapula, où elle avait une place si naturelle, puisqu’on en pouvait tirer des arguments de défense ou tout au moins s’en servir pour embarrasser la conscience des juges, ne la rappelle point. Eusèbe, qui signale la recrudescence de la persécution sous Sévère, ne la cite pas. Qu’on efface dans Spartien les deux lignes où elle est rapportée, et il n’y aura pas plus de vide dans l’histoire des rapports de l’Église et de l’État sous Sévère que sous Antonin le Pieux. Si elle fut donnée, et comment en douter ? Spartien ne l’aurait pas inventée ; et si le chroniqueur l’a résumée exactement, ce qui est fort présumable, on doit croire qu’elle fut prise comme une pure et simple prohibition de la profession chrétienne, et interprétée comme un ordre de répression en cas de scandale. Quel autre moyen d’arrêter la propagande, que de supprimer ceux qui la font ? Cependant les idées d’humanité avaient fait de tels progrès, et le nombre des coupables ou des malades, dont s’effrayait déjà Pline le Jeune cent ans plus tôt, était tel alors, qu’une répression effective et une extermination en masse étaient impossibles. Le législateur se défendait de l’exiger. Il songeait plus à préserver l’avenir qu’à corriger le passé. Or, de l’avenir peu se souciaient. L’empire vivait au jour le jour : le sénat, l’administration, les grands conseils de l’État étaient pleins d’hommes nouveaux. Le sang des grandes familles était appauvri ou tari. Qui était sûr du lendemain, avait à cœur d’amender le présent, se passionnait pour la cause des dieux à demi-délaissés ? Plus d’un homme de sens, du cercle académique même de l’impératrice Julia Domna, souriait sans doute des idées de réforme religieuse dont s’amusait la docte princesse. La loi de Sévère, en somme, était commode aux gouverneurs indifférents et d’humeur débonnaire. On pouvait en effet l’interpréter comme un ordre de Laisser les populations tranquilles ; elle était commode aux politiques plus ardents et qui avaient pris parti contre les chrétiens. Elle était un ordre implicite d’immédiate et sévère répression. Or, là où la persécution avait été déjà vainement essayée, là où les passions étaient peu éveillées, les chrétiens plus nombreux, mieux assis parmi la population, on fit très peu de chose, et la loi de Sévère resta à peu près lettre morte : ainsi en Italie, en Gaule et en Asie. Il faut croire qu’en Afrique l’excitation contre les chrétiens était plus vive ou plus générale, ceux-ci plus nouveaux, moins bien acceptés ou plus entreprenants, car les faits de persécution, assez rares partout ailleurs, y sont signalés en plus grand nombre. |
[1] Dion, 73, 2. Cf. Aurelius Victor, Césars, 17-10 ; Eutrope, VIII, 15 ; Lampride, Commodus, 18,19 ; Hérodien, II, 5. — Un mot de Tacite s’impose ici à l’esprit, et s’applique : Et vulgus eadem pravitate insectabatur interfectum qua, foverat viventem. (Hist., III, 85.)
[2] Dion, 73, 1, 8. Cf. Capitolin, Pertinax, 5 ; Hérodien, II, 4.
[3] Dion, 73, 11. Cf. Hérodien, II, 6 ; Spartien, Did. Julianus, 2, 4.
[4] Dion, 73, 13 ; Capitolin, Pertinax, 14 ; Spartien, Julianus, 3.
[5] Dion, 73, 13 ; Spartien, Did. Julianus, 4 ; Hérodien, II, 7.
[6] Hérodien, II, 11 ; Dion, 73, 15.
[7] Dion, 73, 16.
[8] Dion, 73, 17.
[9] Ce mot est rapporté par Dion comme un on dit. (Dion, 76, 45.)
[10] Il convient de remarquer ici que non seulement l’évêque de Rome n’est pas signalé comme le promoteur de la question et le convocateur de ces assemblées locales appelées trop pompeusement conciles, mais que, dans la liste qu’il nous donne des lettres qui suivirent les délibérations provinciales, l’historien ne lui donne pas un rang à part et ne le nomme même pas le premier. Victor est présenté ici comme unus multorum.
[11] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 23.
[12] L’expression de la lettre de Polycrate (dans Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24) à Victor, οΰς ύμεΐς ήξιώσατε μετακληθήναι ύπ' έμοΰ, exclut plutôt qu’elle n’implique ce qu’on appelle la convocation du concile de Polycrate par l’évêque romain. Le pluriel ήξιώσατε se rapporte évidemment aux évêques d’Occident, et non au seul Victor.
[13] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24.
[14] Eusèbe, Hist. ecclés., V, 24.
[15] La preuve que Victor, en excommuniant les Églises asiatiques, agit de sa propre autorité, c’est qu’il fut formellement désavoué ; et, d’autre part, ce fait du désaveu énergique des collègues de Victor est une preuve suffisante que les Églises ne lui attribuaient pas alors le droit de juridiction souveraine qu’il semblait s’arroger.
[16] In itinere Palæstinis plurima jura fundavit. Judœos fleri sub gravi pœna vetuit. Idem etiam de Christianis sanxit. (Spartien, Severus, 17.)
[17] Fiunt non nascuntur christiani. (Apologétique, 18.)
[18] Circumcidere Judœos filios suos tantum rescripto Divi Pii permittitur : in non ejusdem religionis qui hoc fecerit castrantit pœna irrogatur. (Digeste, XLVIII, 8, 11.)
[19] Cives Romani qui se judaico ritu vel servos suos circumcidi patiuntur, bonis ademptis in insulam perpétua relegantur : medici capite puniuntur. Judœi si alienœ nationis comparatos servos circumeiderint, aut deportantur aut capite puniuntur. (Jul. Pauli, Recept. Sentent., V, 22, 3 et 4.)
[20] Code Théodosien, XV, 9,1 ; XVI, 8,7.
[21] Judœorum sectam nulla lege prohibitam satis constat. (Code Théodosien, XVI, 8, 9.)
[22] Divus Severus reacripsit eos etiam qui illicitum collegium coisse dicuntur apud prœfectum urbi accusandos. (Digeste, I, 12, § 14.)
[23] Eis qui judaïcam superstitionem sequuntur D. Severus et Antoninus honores adipisci permiserunt, sed et nécessitates eis imposuerunt quœ superstitionem eorum non lœderent. (Digeste, L, 5, chap. 2, § 3.)
[24] Photius, Bibliothec. grœca, cod. 99, p. 276.
[25] Eusèbe, Hist. ecclés., XI, 1 ; Sulpice Sévère, Chronic., II, 32 ; Orose, Hist., VII, 17.
[26] Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 6.
[27] C’est un point que nous essaierons d’éclaircir dans un autre chapitre.
[28] Digeste, XLVII, 22, 1. Cf. de Rossi, Bullet. di arch. crist., ann. 1866, p. 10 et suiv.
[29] Bullet. di arch. christ., ann. 1866, p. 10.
[30] Digeste, De sep. viol., 47, 12, g 4. Cf. Hœnel, Corp. leg., p. 137.
[31] Sed et clarissimas feminas et clarissimos viros Severus aciens hujus sectœ esse, non modo non lœsit verum et testimonio exornavit et populo furenti in nos palam reslitit. (Ad Scapulam, IV.)
[32] Fred. Münter, Primordia Eccl. africanœ, in-4°, p. 172, écrit : Tradit porro (Tertullianus) clarissimas feminas et clarissimos viros hoc est senatores, haud dubie Carthaginienses, eo forte tempore quo legatus proconsulis Africœ fuit. (Severus.)
[33] Bullet. di arch. crist., ann. IV, p. 19.
[34] De Rossi, Bullet. di arch. crist., III, 77-79.
[35] Il popolaccio alzzato contro i cristiani in Roma medesima circa il 197, cioè circa il primo anno appunto di Zephyrino chiese con furibunde grida la morte dei piu illustri personnagi, che avevano abdicato l’idolatria ; ma Settimio Severo a fronte scoperta resiste. Egli parti nell’ anno citato alla volta dell’ Oriente ; e tosto, o poco dopo, il senato romano incominciò la persecuzione, sensa strepito pero e con giudizi segreti. (De Rossi, Bullet. di arch. cristiana, anno IV, p. 19.)
[36] Hist. francor., I, 27.
[37] André Gouilloud, Saint Irénée et son temps, ch. IX et X, passim.
[38] Adversus Valentinianos, V.
[39] De Boissieu, Inscriptions de Lyon, p. 38.
[40] Tertullianus, Ad Scapulam, 3.
[41] Tertullien, Ad Scapulam, 4.
[42] Gladio tenus. Tertullien, Ad Scapulam, 4.