HISTOIRE DE LA PROCÉDURE CIVILE CHEZ LES ROMAINS

 

CHAPITRE XII. — Des Procuratores et des Advocati.

 

 

Au temps des legis actions, il n’était pas permis à un citoyen d’agir en justice pour autrui[1] ; dans la procédure formulaire, cette représentation devint possible quand le demandeur, par des paroles solennelles, prononcées injure, en présence de son adversaire, désigna la personne qui devait le remplacer. Ce représentant, ainsi constitué, se nommait cognitor[2]. Il figurait dans la litiscontestation comme demandeur, mais pour la chose d’autrui[3]. L’intentio était prise de la personne du demandeur véritable, du dominus litis, et dans la condemnatio seule figurait la personne du cognitor[4] ; mais une fois le jugement rendu, on sortait de la fiction, et le judicatum avait des effets directs pour et contre le dominus litis, car le cognitor n’était que son représentant[5].

Plus tard on admit comme représentants légitimes les tuteurs, les curateurs, le procurator, nommés sans les formes solennelles qui présidaient au choix du cognitor[6], et même, suivant l’opinion de quelques-uns, le simple negotiorum gestor[7]. Cette opinion néanmoins ne fit jamais règle[8]. Ces negotiorum gestores n’étaient du reste admis qu’en certains cas privilégiés[9]. Quand un procurator figurait au litige, la formule était rédigée comme si c’était un cognitor qui fût chargé du procès[10] ; mais comme pour assurer la qualité de ce représentant on n’avait pas l’aveu formel du dominus, le procureur, dans la rigueur du droit, agissait à ses risques et périls ; et tandis que le cognitor était considéré pendant toute la durée du litige comme le simple représentant du demandeur, qu’il était toujours domini loco, comme parle Gaius, le procureur au contraire devenait par la litiscontestation véritable maître du litige, dominus litis[11], et le judicatum engendrait actio et exceptio pour ou contré lui, et non plus pour ou contre le demandeur originaire[12]. Cette rigueur formaliste s’adoucit par degrés. D’abord on admit les tuteurs et les curateurs à poursuivre en justice les droits afférents à leur pupille[13], et dans ce cas, le judicatum profita ou nuisit directement au mineur[14]. Plus tard on assimila au cognitor le procurateur nommé apud acta : nam, disent les FRAGMENTA VATICANA, cum apud acta non nisi a presente domino constituatur, cognitoris loco intellegendus est[15]. Enfin, et pour le procureur[16], et même pour le simple negotiorum gestor qui faisait ratifier après coup sa gestion[17], on décida que ces représentants avaient mission de suivre l’instance (rem in judicium deducere) pour le compte d’autrui, et l’actio judicati fut attribuée non plus au représentant, mais au représenté. Cette modification acceptée, on cessa d’établir des cognitores, dont la nomination était astreinte à certaines formes[18], et dans les Pandectes on a interpolé les passages des anciens jurisconsultes pour remplacer leur nom par celui de procuratores. En même temps on fit disparaître tous les passages où l’on rappelait la distinction que la loi établissait, entre le procurator d’un absent et le procurator d’une personne présente[19].

Quand c’était un cognitor qui in tentait l’action, son caractère le dispensait de donner caution pour la ratification de son mandat ; tous les autres représentants devaient donner cette caution de rato ; car dans la rigueur du droit, le dominus litis pouvait agir de nouveau, comme n’ayant point été partie dans l’instance[20]. C’était une règle générale, en ce point, que nemo defensor in aliena resine satisdatione idoneus esse creditur. Quand on modifia la dureté des anciens usages on dispensa les tuteurs de cette formalité[21] ; les procureurs constitués apud acta par le dominus litis jouirent du même privilège[22]. Dans le droit Justinien, il n’y a plus que le procureur d’une personne qui ne comparaît pas, ou le negotiorum gestor agissant sans mandât, à qui soit imposée l’obligation de donner caution ratam rem dominum habiturum[23].

Il en fut de la défense comme de la demande ; on admit d’abord la représentation par cognitor, puis on reçut plus tard les autres représentants dont nous venons de parler[24]. On admit même, dans l’intérêt public, un défenseur se présentant sans mandat pour un intimé absent[25]. La formule fut modifiée dans ce sens de la représentation, et l’intentio restant prise de la personne du défendeur, la condemnatio porta sur la personne du mandataire[26]. L’actio judicati n’eut d’abord d’effet direct contre le défendeur qu’autant qu’un cognitor l’avait représenté[27]. Plus tard, il en fut de même quand ce fut un procureur[28] ou un tuteur[29] qui se chargea de la défense. Alors même qu’un défenseur sans mandat s’était présenté devant le juge, le défendeur profitait de l’exceptio, car le droit du demandeur était consommé, quia adversus defensorem qui agit, litem in judicium deducit[30]. Mais le judicatum ne donnait point d’action contre le défendeur absent, car il n’était point partie au litige. Sed et si defensor meus satisdederit, in me ex stipulatu actio non datur, quia nec judicati mecum agi potest[31].

Du reste, toutes les fois qu’on se défendait par autrui, il fallait donner caution judicatum solvi ; c’était le dominus litis qui fournissait caution quand son représentant était un cognitor ; dans le cas contraire, c’était le mandataire lui-même qui donnait cette garantie[32]. Dans le dernier état du droit, où le point qui nous occupe est à peu près le seul où l’on exige encore cette caution[33], la loi distingue. Quand c’est le dominus litis qui vient en justice constituer un procureur, c’est lui aussi qui donne caution ; mais s’il ne comparaît pas ; c’est à celui qui prend le rôle de défenseur de fournir cette sûreté[34]. En certains cas, le représentant doit aussi donner caution ratam rem dominum habiturum[35].

Il y avait certaines personnes à qui l’édit défendait de se faire. représenter par un cognitor, et certaines autres que le préteur déclarait incapables de cette fonction ; ces dispositions furent appliquées aux procuratores[36] ; les infâmes, par exemple, ne pouvaient ni instituer, ni être institués procureurs[37], du moins jusqu’à l’époque où Justinien abolit cette prohibition, ne dum de his altercatur, ipsius negotii disceptatio proteletur[38] ; mais par un trait caractéristique de l’époque, Valentinien défendit, comme méséant aux personnes de haute condition, de comparaître en personne devant la justice, et ce, sous peine de perdre leur procès[39].

Au temps de la république on appelait un jurisconsulte pour décider la marché du procès qu’on voulait intenter[40]. Quant aux plaidoiries, on en chargeait quelque orateur (patronus), que l’amitié ou l’amour de la gloire décidait à entreprendre cette tâche difficile de la parole[41] ; c’était un service rendu sans espoir de salaire, et la loi Cincia, de l’an 550, avait même sévèrement défendu toute espèce de rémunération en argent pour un service que l’honneur seul et l’estime publique pouvaient dignement payer[42]. Mais quand se perdit la noblesse de ces premiers sentiments, le patronatus devint un métier lucratif, et après des efforts inutiles pour rétablir les anciennes prohibitions, Claude finit par permettre d’accepter des honoraires qui ne pouvaient toutefois, sous peine d’être poursuivi- comme concussionnaire, dépasser la somme de dix mille sesterces ou cent aurei[43]. A cette époque s’éteignit l’éclat de l’éloquence judiciaire, et les anciens orateurs furent remplacés par des avocats (causidici, advocati, patroni)[44]. Les jurisconsultes en renom ne se donnèrent plus à la direction des procédures, et se bornèrent à donner des consultations.

Du reste, la postulation était libre et permise à tous ceux que l’édit ne déclarait pas incapables ; cette incapacité frappait principalement les femmes, à cause de leur sexe, et les personnes tachées d’infamie[45]. Le magistrat avait aussi le droit de prononcer l’interdiction des fonctions d’avocat[46]. Dans les derniers temps la profession d’avocat fut organisée sur une base beaucoup plus restreinte : il y eut près de chaque tribunal un nombre limité[47] d’avocats dont on avait d’avance éprouvé la naissance, les études et les connaissances acquises[48]. Ceux qui se trouvaient en dehors du nombre limités les surnuméraires, devaient attendre une vacance[49] Les avocats inscrits formaient un collège ayant tous les droits d’une corporation[50]. Ils jouissaient de privilèges personnels assez étendus[51], mais étaient soumis à une discipline particulière pour ce qui concernait les devoirs de leur état[52].

La charge d’avocat du fisc, établie par Adrien, avait une relation étroite avec cette organisation. Cette charge, dans le tribunal du préfet de l’Orient, appartenait aux deux plus anciens du collège, et en récompense, après une année d’exercice, ils étaient appelés à un rang plus élevé[53]. Dans les autres tribunaux, un seul avocat était chargé de cette fonction, et ce n’était qu’après deux années d’exercice qu’on l’élevait à un titre de dignité plus élevé[54].

 

FIN.

 

 

 



[1] GAIUS, IV, 82. — Le Pr., Inst., de iis per quos agere, IV, 10, joint à ces deux causes privilégiées le pro tutela ; on ne sait pas au juste quelle était cette exception.

[2] GAIUS, IV, 83. — Interpret. ad l. 7, C. Th., de Cognit., II, 12. — Fragm. Vat., § 318, 319. FESTUS, Cognitor. — ASCON., in Divin., 4.

[3] CICÉRON, pro Rosc. comœd., c. 18.

[4] GAIUS, IV, 86.

[5] GAIUS, IV, 96-98. Fragm. Vat., § 317. — PAUL, Sent, I. 2, § 4. (Tit. de Cognitoribus.). — L. 7, C. Th., de Cognit., II, 12.

[6] GAIUS, IV, 82, 83, 84. — PAUL, I, 3, § 1. (ASCON.) in Divin., 4. Frag. Vat., § 335.

[7] GAIUS, IV, 84.

[8] L. 6, § 12, D., de Neg. gest., III, 5. — L. 5, § 4, D., Prœsc. verbis, XIX, 5.

[9] L. 35, pr., D., de Proc., III, 3. — L. 40, § 4, ibid. l. 41. — L. 8, pr., de Neg. gest., D., III, 5. Id., l. 31, § 6.

[10] GAIUS, IV, 86. THÉOPHILE, IV, 10, § 2.

[11] GAIUS, IV, 97. — L. 11, pr., D., de Doli exe., XLIV, 4. — L. 4, § 5, D., de App., XLIX, 1. — L. 22, 23, C., de Procur., II, 13.

[12] Fragm. Vat., § 317.

[13] L. 22, D., de Adm. et pede. tut., XXVI, 7. — L. 17, § 2, D., de Jurej., XII, 2.

[14] L. 2, pr., D., de Adm. et peric. tut., XXVI, 7. — L. 6, D., quando ex facto, XXVI, 9. — L. 11, § 7, D., de Exc. rei jud., XLIV, 2. — L. 1, C., quando ex facto, V, 39.

[15] Frag. Vat., § 317, 331, 332. — L. 7, C. Th., de Cognit., II, 12.

[16] L. 11, § 7, D., de Exc. rei jud., XLIV, 2. — L. 28, D., de Proc., III, 3. — L. 6, § 3, D., quod. Cujusc. univ., III, 4. — L. 86, D., de Solut., XLVI, 3.

[17] L. 56, D., de Judic., V, 1. — L. 27, pr., de Proc., III, 3. — L. 66, ibid. — L. 25, § 2, D., de Exc. rei jud., XLIV, 2. — L. 21, C., quib. res jud., VII, 56.

[18] Tit. Inst., de iis per quos agere, IV, 10.

[19] Comparez, par exemple, les § 228, 332 des Fragm. Vatic. avec la loi 67, D., de Procur., III, 3.

[20] GAIUS, IV, 97, 98 Pr., Inst., de Satisd., IV, 11.

[21] GAIUS, IV, 99. — L. 23, D., de Adm. et per., XXVI, 7. — THÉOPH., IV, 11, pr. — L. 1, C., de Procur., II, 13.

[22] Fragm. Vat., § 317, 333.

[23] § 3, Inst., de Satisd., IV, 11.

[24] GAIUS, IV, 82-84.

[25] L. 33, § 2, D., de Proc., III, 9. — L. 1, D., de Neg. gest., III, 5.

[26] GAIUS, IV, 87. — THÉOPH., IV, 10, § 2. — L. 1, C., de Sent., VII, 45.

[27] Frag. Vat., § 317-332. — PAUL, Sent., I, 2.

[28] L. 4, pr.. D., de Re jud., XLII, 1. — L. 28, D., de Proc., III, 3. Ibid. L.31, 40, § 2, 61.

[29] L. 1, § 2, pr., D., de Adm. et per., XXVI, 7. — L. 7, D., quand. ex fact., XXVI, 9. L. 15, D., si quis caut., II, 11. L. 4, §, § 1, D., de Re jud., XLII, 1 ; l. 1, C., quand. ex fact., V, 39.

[30] L. 11, § 7, D., de Exc. rei jud., XLIV, 2.

[31] L. 28, D., de Proc., III, 3. — L. 61, ibid.

[32] GAIUS, IV, 101 ; Frag. Vat., 317.

[33] Chap. 7, n. 42.

[34] § 4, 5, Inst., de Satisd., IV, 11. La l. 10, D., judic. solvi, XLVI, 7, a été évidemment interpolée pour la rendre conforme aux nouvelles dispositions de la loi ; dans la première phrase le mot cognitor devait remplacer le mot procurator.

[35] L. 6, D., rat. rem habit., XLVI, 8. — L. 39, § 5, 67. L. 40, § 2, D., de Proc., III. 3.

[36] Frag. Vat., 322-323. — GAIUS, IV, 124.

[37] PAUL, Sent., 1, 2, § 1. — Frag. Vat., 320, 321, 324.

[38] § 11, Inst., de Except., IV, 13. — THÉOPH., IV, 13, § 11.

[39] L. 25, C., de Proc., II, 13. — Nov. 71.

[40] CIC., pro Murena, 12 ; Topic., c. 17.

[41] (ASCON.) in Divin., 4. CIC., pro Quint., 8 ; pro Cluent., 40 ; de Orat., III, 33.

[42] TACITE, Ann., XI, 5. CICÉRON, de Orat., II, 71 ; de Senect., c. 4.

[43] DIO CASS., LIV, 18. TACITE, Ann., XI, 6, 7 ; XIII, 5, 42, et les notes de BURNOUF. — SUET., Nero., 17. — PLINIUS, Ep., V, 4, 14, 21. — LAMPRID., Alex. Sev., 44. — L. 1, § 10-13. D., de Extraord. cogn., 413.

[44] TACITE, de Causis corr. eloq., c. 1. — D., de Postul., III, 1.

[45] L. 1, pr., § 1, 3, 6, 7, 8, 11. D., de Postul., III, 1.

[46] L. 6, § 1. — L. 8, D., de Postula, III, 1. L. 9, pr., D., de Panis, XLVIII, 19. Ibid., § 1-8.

[47] L. 2, C. Th., de Postul., II, 10. — L. 8, 11, 13. C., de Adv. div. judicior., II, 7. — L. 3, 5, pr., 1.7 ; pr., C., de Adv. div. jud., II, 8.

[48] L. 11, C., de Adv. div. judicior., II, 7, § 1. — L. 17, pr.

[49] L. 11, § 1, C., de Adv. div. judicior., A, 7. Ibid. l. 13. — Nov. Theod., tit. XVI (éd. Ritter).

[50] L. un, C., de Incert. person., VI, 48.

[51] La l. 3, C., de Adv. div. judicior., II, 7, les exempte des fonctions municipales, la plus lourde oppression du Bas-Empire ; la loi 6 au même titre les exempte d’une foule de contributions : Nulla logatis inspectio, nulla peræquatio ingeratur, nulla operis constructio, nulla discussio, nullum ratiocinium imponatur, etc. Nov. Theod., tit. XVI, éd. Ritter.

[52] L. 7, § 2, 3, de Adv. div. jud., II, 8. Trois ans d’absence les faisaient rayer du tableau. — L. 12, C., de Exc., VIII, 36. Voyez encore l. 13, § 9, C., de Judic., III, 1, qui permet au juge de punir l’avocat d’une amende de deux livres d’or, quand le procès est retardé par son fait, et les l. 5, 7, C., de Postul., II, 6, et l. 4, C. Th., de Postul., II, 10.

[53] L 8, 10, C., de Adv. div. judic., II, 7. — L. 4. § 1 ; C., de Adv. div. jud., II, 3.

[54] L. 12, 13, 16. C., de Adv. div. judicior., II, 7. — L. 3, 5, C., de Adv. div. jud., II, 8.