HISTOIRE DE LA PROCÉDURE CIVILE CHEZ LES ROMAINS

 

CHAPITRE II. — Du mode et de la forme des Procédures.

 

 

Dans l’enfance de la législation, quand te droit était tout entier dans la main des pontifes, la procédure judiciaire était emprisonnée dans des formes étroites et mêlée de certains actes symboliques qui traduisaient à l’esprit l’idée dominante du procès. Il y avait cinq formes légitimes, cinq legis actiones, pour introduire régulièrement une procédure : le sacramentum, la postulatio judicis, la condictio, la manus injectio et la pignoris captio[1] Les quatre premières actions de loi avaient cela de commun qu’elles ne pouvaient avoir lieu que devant le magistrat, in jure (par conséquent seulement dans les jours fastes), et en présence de l’adversaire. Ces conditions n’étant point exigées pour la pignoris captio, c’était un sujet de doute pour duelgpes jurisconsultes de savoir si cette forme judiciaire était une legis actio[2].

La legis actio per sacramentam consistait en une espèce de gageure (sponsio) que les parties faisaient sur l’objet du litige, devant le tribunal et suivant une formule déterminée[3]. C’était ensuite aux centumvirs ou au judex de connaître de l’affaire. La loi des Douze Tables fixait le taux de la sponsio à 500 as pour les contestations de 1.000 as et au-dessus, à 50 as pour les litiges de moindre valeur[4]. Du reste cette somme n’appartenait pas à la partie qui gagnait le procès ; elle tournait au profit de l’ærarium et servait aux sacrifices[5]. Cette forme du sacramentum était générale et servait d’introduction à toutes les demandes pour lesquelles il n’y avait point de legis actio déterminée[6].

La legis actio per postulationem avait, elle aussi, une sphère assez étendue et pouvait en certains cas remplacer l’action par sacramentum[7]. Nous parlerons plus loin des trois autres formes dont l’application était plus restreinte.

La nécessité d’observer strictement et à la lettre ces formules les rendit avec le temps tout à fait odieuses ; aussi furent-elles abolies par la loi Æbutia ainsi que par deux lois Julia. La procédure nouvelle qui remplaça ces legis actiones consista principalement dans une formule écrite que le préteur rédigeait d’après-les explications et Ies demandes des deux parties, et qu’il transmettait au juge pour lui servir de règle dans ses recherches et dans sa décision[8]. Néanmoins pour les procès qui se portaient devant la juridiction centumvirale, les anciennes formes de procédure furent conservées ; les parties se provoquaient par sacramentum devant l’un des deux préteurs, et ce sacramentum saisissait ce tribunal comme eût fait une formule[9]. On pouvait aussi lege agere au cas de damni infecti. Quelle de ces legis actiones employait-on alors, c’est ce qu’on ne peut dire avec quelque certitude[10].

La procédure par formules ne fut point une institution toute nouvelle et comme indépendante des anciens usages ; elle se rattachait aux legis actiones en ce sens que la formule, par une fiction, mettait l’instance au point où elle se serait trouvée si elle avait été réellement engagée par une legis actio. Peu à peu, il est vrai, et à mesure que de nouveaux besoins l’exigèrent, l’édit introduisit des formules nouvelles calculées sur les nécessités du jour[11] et tout à fait indépendantes des legis actiones ; mais la formule conserva la trace de cette distinction originaire. Quand l’obligation du défendeur découlait du droit civil, la formule qui saisissait le juge était conçue en termes généraux et, comme disaient les jurisconsultes, in jus concepta[12]. Quand au contraire l’action se fondait sur le droit prétorien, la formule était in factum concepta, c’est-à-dire qu’elle énonçait simplement le fait avec les conséquences que lui attribuait l’édit[13]. En plusieurs actions civiles, il y avait dans l’album du préteur doubles formules, l’une in jus, l’autre in factum concepta[14]. Le but de cette dernière était probablement de permettre d’agir aux personnes en puissance d’autrui[15]. Quand le procès portait sur Une question que l’édit n’avait pas prévue, le préteur, s’il trouvait la demande admissible[16], rédigeait librement une formule calculée sur la nature du fait en litige. Quand l’action reposait sur une fiction ou sur une analogie[17], on employait la- formule directe convenablement modifiée[18].

On distinguait quatre parties dans la formule : la demonstratio, c’est-à-dire l’indication du fait qui servait de base à l’action, — Aulus Agerius a vendu un esclave à Numerius Negidius — ; l’intentio, qui énonçait la prétention du demandeur, le point dont le juge avait à rechercher le bien ou le mal fondé — s’il est prouvé que, sur cet esclave, Aulus Elgerius avait le droit de propriété quiritaire — ; l’adjudicatio, qui, en certains cas, autorisait le juge à faire le partage entre les parties, donnant à l’une, ôtant à l’autre ; enfin la condemnatio, qui attribuait au juge le droit de condamner ou d’absoudre suivant le résultat de ses recherches — que le juge condamne Numerius Negidius à payer dix mille sesterces à Aulus Agerius ; si la chose n’est pas prouvée, qu’il le renvoie de la plainte[19] —. Ces quatre parties ne se rencontraient pas nécessairement toutes ensemble dans une même formule[20]. Le plus ordinairement on trouvait réunies la démonstration, l’intention et la condamnation[21]. Dans les formules in factum conceptæ, la démonstration se confondait dans l’intention[22].

Quelquefois, suivant les circonstances, on faisait précéder la formule de certaines demandes ou de certaines réserves ; cette indication préliminaire se nommait prescriptio[23] parce qu’elle était écrite en tête de la formule.

Disons enfin que la procédure formulaire était en vigueur en dehors de Rome dans les villes qui avaient le droit de cité[24], et qu’on l’employait également devant les magistrats romains qui dans les provinces exerçaient la juridiction[25].

 

 

 



[1] GAIUS, IV, 11, 12. L. 2, § 6. de O. J. D., l. 2.

[2] GAIUS, IV, 29.

[3] GAIUS, IV, 13.

[4] GAIUS, IV, 14.

[5] VARRO, de Ling. lat., IV, 36. — FESTUS, Sacramentum.

[6] GAIUS, IV, 13, sup., n. 3.

[7] Arg. GAIUS, IV, 20.

[8] GAIUS, IV, 30.

[9] GAIUS, IV, 31. — PLINE, Ep., V, 1. GELL., XVI, 10.

[10] Il semble qu’on pourrait induire du passage de Gaius que nous venons de citer, qu’en-ce cas on agissait par sacramentum.

[11] GAIUS, IV, 10, 32, 33. — CICÉRON, pro. Roscio comœd., c. 8.

[12] GAIUS, IV, 45. — Ibid., 60, 106, 107. — C’est pour cela que dans le civilis in factum actio la formule était non pas in factum, mais bien in jus concepta, l. 6, D., de Præsc. verbis, XIX, 5.

[13] GAIUS, IV, 46. Ibid., 60, 106, 107. — THEOPH., 12. — l. 25. § 1. D, de obl. et act., XLIV, 7.

[14] GAIUS, IV, 47. Ibid., 60 ; sup., n. 12.

[15] L. 9, D., de obl. et act. D., XLIV, 7. — l. 13, ibid.

[16] L. 7, § 2, D. de Pact., II, 14. — l. 16, § 1, D, de præscript. verb., XIX, 5.

[17] C’est ce qu’on nommait une actio utilis. l. 11, l. 21, D, præscrip. verb. XIX, 5. l. 7, § 1 ; D., de Relig., XI, 7. l. 5, § 12. D., de his qui effud., IX, 3. L’actio præscriptis verbis se nomme aussi utilis in factum actio, l. 26, § 3, D., de Pact. dotal., XXIII, 4.

[18] GAIUS, IV, 34-38. — Frag. Vat., § 90. — Paul nous apprend que cette distinction des actions directes et utiles n’eut de valeur que dans la seule procédure formulaire. l. 47, § 1, D., de Negot. gest., III, 5.

[19] GAIUS, IV, 33, 40, 42, 43.

[20] GAIUS, IV, 44.

[21] Voyez par ex. GAIUS, IV, 47 (sup., n. 14), 136. L. Rubria de Gallia Cisalp., c. 20.

[22] GAIUS, IV, 46, 47, 60 (Sup., n. 12).

[23] GAIUS, IV, 130-132. — Voyez des exemples de ces præscriptiones, l. 18, § 2. D. Famil. ercis., X, 2. — I. 18, D. de Don., XXXIX, 5. — l. 2, § 2. l. 19, § 2. D. de Prec., XLIII, 26. CICÉRON, de Or., I, 37.

[24] C’est ce que prouve la loi Rubria, qui détermine en certains points les procédures à suivre dans la Gaule Cisalpine.

[25] CICÉRON, Divin., 17 ; in Verr., III, 22, 28.