Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne

 

 

CHAPITRE XVIII. — Examen du chapitre 10 de la Genèse, ou système géographique des Hébreux.

Un dernier exemple choquant de ce genre d’invraisemblances est la prétendue généalogie du dixième chapitre de la Genèse ; l’auteur y suppose que les enfants de Noé dès la troisième génération occupèrent l’immensité du pays qui s’étend depuis la Scythie jusqu’à l’Éthiopie ou Abyssinie, d’une part ; depuis la Grèce jusqu’à l’Océan qui borde l’Arabie, d’autre part ; et qu’ils y devinrent chacun la souche des peuples que l’on y dénombrait de son temps. Le tableau généalogique et la carte géographique que nous joignons ici, pré sentent son système sous un coup d’œil facile à saisir. Quelques savants, tels que Samuel Bochart[1], dom Calmet[2], Pluche[3], Michaëlis[4], qui se sont occupés à éclaircir les difficultés de géographie, ont bien senti l’impossibilité du sens littéral, mais les préjugés dominants ne leur ont pas permis d’en faire sentir les inconséquences. Il est vrai qu’on peut excuser l’auteur, en disant que par une métaphore naturelle aux langues orientales, et usitée chez les Grecs et chez les Latins, donnant à chaque peuple un nom collectif, il lui a aussi donné l’apparence d’un individu : ainsi, sous le nom d’Ioun, il désigne les Ioniens ; sous celui d’Ishour, les Assyriens ; sous celui de Canaan, les Phéniciens ; sous celui de Koush, les Éthiopiens ou Abyssins. L’invraisemblance consiste à nous dire que Ioun, Ashour, Canaan, Koush, Sidon, etc., furent des individus pères et auteurs des peuples de leurs noms ; mais cet abus se retrouve chez les Grecs, qui nous disent que Pelasgus fut père des Pelasgues ; que Cilix fut père des Ciliciens ; Latinus, père des Latins, etc. Il paraît qu’en général les anciens, lorsqu’ils voulurent remonter aux origines, et qu’ils n’eurent aucun monument précis, employèrent cette formule, et donnèrent au premier auteur le nom de la chose ; et parce que la nature même du langage les conduisit à personnifier tous les êtres, il en résulta que tout effet résultant d’une cause, fut censé engendré par elle, en fut appelé le fils, le produit, comme elle-même en fut appelée la mère ou le père ; ainsi, parce que la terre alimente le peuple qui l’habite, qu’elle semble en être la nourrice, la mère, ce peuple fut appelé, et l’est encore en arabe, enfant de cette terre, de ce pays, Beni-masr, les enfants de l’Égypte ; Beni-sham, les enfants de Syrie ; Beni-fransa, les enfants de la France. Avec cette explication fondée en raison et en fait, tout entré dans l’ordre, et alors tout le dixième chapitre doit se considérer comme une nomenclature géographique du monde connu des Hébreux à l’époque où écrivit l’auteur ; nomenclature dans laquelle les peuples et les pays figurent sous des noms individuels, tantôt au singulier et tantôt au pluriel ; comme Medi, les Mèdes ; Masrim, les Égyptiens ; Rodanim, les Rhodiens, etc., et dans laquelle les rapports d’origine par colonie, où d’affinité par mœurs et par langage, sont exprimés sous la formé d’engendrement et de parenté. L’écrivain juif semble lui-même écarter le voile, lorsque après chaque branche de famille, ou chaque division de pays, il ajoute cette phrase : Voilà les enfants de Sem, de Cham de Japhet, selon leurs tribus, selon leurs langues, leurs pays et leurs nations. Ces expressions : selon leurs langues et leurs pays, sont d’autant plus remarquables, qu’après avoir placé chaque peuple selon les meilleures indications géographiques, nous les trouvons tous distribués dans un ordre méthodique de voisinage et de contiguïté, et que ceux de chaque branche ont un système commun de langage : par exemple, chez tous les peuples de Japhet, la source du langage est cet idiome scythique appelé sanscrit, que des études récentes nous ont appris avoir jadis régné depuis l’Inde jusqu’à la Scandinavie, et que nous trouvons aujourd’hui être un des éléments de l’ancien grec et de l’ancien latin. Chez les enfants de Sem, la langue mère est l’idiome arabique commun aux Élyméens, aux Assyriens, aux Araméens (les Syriens). Chez les enfants de Cham, c’est encore ce même idiome que parlèrent les Phéniciens et les Éthiopiens : les Égyptiens eurent un système à part.

Le dixième chapitre offre encore cette particularité, que tous les peuples étant placés dans leurs pays respectifs l’on se trouve avoir trois grandes divisions du monde connu des Hébreux, qui ont une analogie sensible aux trois grandes divisions du monde connu des anciens ; aux trois divisions de la terre, par Zoroastre, en pays de Tazé ou Arabes ; pays de Mazendran ou Nord, et pays de Hosheng ; et au partage du monde entre les trois dieux, Jupiter, Pluton et Neptune ; notez que Cham ou plutôt, Ham, qui signifie noir, brûlé, et qui se traduit en grec asbolos, couleur de suie, est le synonyme de Pluton. Mais commençons par établir tous les noms de la liste sur la carte, afin de rendre plus palpables nos propositions. Nous n’entrerons point dans tous les détails de discussion qui ont occupé Samuel Bochart, dom Calmet et Michaëlis ; en profitant de leur travail, nous insisterons seulement sur quelques articles, où notre opinion diffère de la leur. Japhet, a pour descendants, ou pour dépendants :

GMR, qui, étant écrit sans voyelles, peut se prononcer Gomer ou Gamr, ou Gimr (prononcez Guimr) ; nous préférons cette dernière lecture, et nous disons avec l’historien Josèphe, que Guimr représente les Kimr ou Kimmériens, de l’Asie mineure et de la Chersonèse Kimmérienne ou Kimbrique. Hérodote parle de leurs incursions à l’époque même de Helqiah, lors de l’incursion des Scythes en 625 ; ils en avaient fait une autre sous Ardys, et encore antérieurement ; et ils avaient fini par établir des colonies, que Josèphe confond avec les Galates, et que la Genèse désigne sous les noms d’Ashkenez, Riphat et Togormah.

Ashkenez a des traces dans la province d’Arménie, appelée par Strabon, Asikins-ene, et qu’il place entre la Sophène et l’Akilisène.

Riphat est l’altération facile de Niphates, mont et pays arménien, dont l’r a été prononcé nasalement.

Togormah est reconnu par Moïse de Chorène (page 26), pour être le nom d’un peuple qui habitait un autre canton montueux appelé Harch, dans, la grande Arménie : ces trois peuples nous sont donc indiqués ici comme des colonies des Kimmériens ou Kimbres, fondées à une époque inconnue.

2° Le second peuple de Japhet, appelé Magog, représente les Scythes, de l’aveu unanime des auteurs grecs et arabes. On ne fait point mention ici de Gog ou Goug, qu’Ezéchiel associe à Moshk, Roush[5], et Toubal, et qui doit être encore un peuple scythique : dans Strabon, le pays dit Gogarene est voisin des Moschi. Dans l’ancien grec et latin, goug-as signifie géant, et les légendes grecque et chaldéenne placent toujours les géants dans le nord comme les Scythes. Justin, au début de son histoire, observe que les Scythes, dans des temps anciens, antérieurs même à Sésostris (1350), dominèrent sur l’Asie pendant 1.500 ans. Cela cadre bien avec l’étendue de leur langue (le sanscrit).

3° Le troisième peuple est Medi, nom pluriel des Mèdes : Hérodote en compte sept nations ; il ajoute que jadis leur nom était Arioi, les braves[6] : les livres parsis n’en citent pas d’autre à l’époque de Zoroastre. Ne peut-on pas inférer que le nom des Mèdes ne se serait introduit que depuis 14 conquête de ces peuples par Ninus et les assyriens ?

4° Le quatrième peuple est Ioun, l’Ionien ou Grec de l’Asie mineure. Selon les auteurs grecs, la colonie des Ioniens ne vint s’établir en Asie que 80 ans après la guerre de Troie[7]. Les Grecs les appèlent Pélasgues aigialéens (c’est-à-dire pécheurs) aussi longtemps qu’ils habitèrent l’Achaïe[8] ; Strabon (lib. VI) dit que l’Ionie, avant eux, était occupée par les Cariens et les Lelèges : les Pélasgues les ayant chassés, reçurent des barbares, selon quelques auteurs, le nom de Ioun et Iaoun[9] (dont on a fait Iavan) : selon d’autres, c’était le nom d’une tribu athénienne, qui d’abord faible, devint ensuite prépondérante dans le lieu de son émigration. De ces Ioniens vinrent ou descendirent Elishah, Tarshish, Ketim et Rodanim.

Elishah est l’Ellas, ancien nom de la Grèce ou Péloponnèse ; il pourrait aussi être l’Elis, très ancienne portion de ce pays qui en aurait pris le nom chez les Phéniciens. Mais ici les Grecs sont en contradiction avec l’auteur de la Genèse, puisqu’ils soutiennent que c’est de l’Ellas que sont venus les Ioniens et les autres colonies citées.

Ketim est le nom pluriel des Kitiens, peuple ancien et prépondérant de l’île de Cypre, qui paraît en avoir pris le nom : ce nom se trouve aussi appliqué à la côte de Cilicie. (Isaïe, c. XIII.)

Rodanim sont les Rhodiens.

Tarshish est la ville et pays de Tarsous, sur la côte de Cilicie, en face de Cypre. Tous ces pays sont contigus sur la carte, comme dans la liste de l’auteur ; et tous sont maritimes ou insulaires ; ce qui sans doute lui fait dire que par eux furent partagées les îles des nations.

Isaïe, ch. LXVI, associe, dans un même récit, Phul, Loud, Ketim, Tarshish, Ioun, Moshk et Tubal. Phul est la Pam-phulie ; Loud est la Lydie. La contiguïté est bien observée.

5° Le cinquième peuple de Iaphet est Toubal, que Josèphe dit représenter les Ibériens. La capitale de ce pays, nommée Tebl-is et Teflis, offre quelque analogie au mot Tebl ; mais les peuples Tubar-eni, sur le rivage de l’Euxin, pourraient ici être désignés, et rempliraient mieux l’indication d’Isaïe.

6° Le sixième peuple est Moshk, qui représente les habitants des Moschici montes, au nord de l’Arménie.

7° Enfin le septième peuple est Tiras, que l’on regarde comme le représentant des Thraces établis dans la Bithynie. Moïse de Chorène dit à ce sujet[10] : Nos antiquités s’accordent à regarder Tiras non comme fils propre de Iaphet, mais comme son petit-fils. Ceci indique des sources communes où a puisé Helqiah.

Si l’on examine la carte, l’on voit que tous ces peuples de Iaphet sont situés au nord du Taurus, comme le remarque Josèphe, ayant pour limites la Grèce à l’ouest, la Scythie au nord, et au nord-est ; ce qui nous donne de ce côté les bornes du monde connu des Hébreux, dans lequel Iaphet représente le continent ou le climat du nord.

En opposition, le midi est occupé par Ham ou Cham, qui effectivement signifie brûlé, noir de chaleur. L’épithète de ammonia, que les Grecs donnent à quelques parties de l’Afrique, n’est que le mot phénicien-hébreu privé de son aspiration H.

Les dépendances de Ham sont Canaan, Phut, Masrim et Kush. Sous le nom collectif de Canaan sont compris les peuples Phéniciens, au nombre de onze, dont les positions sont connues : l’on peut s’étonner de ne point y voir les Tyriens compléter le nombre sacré douze ; mais si, comme le disent plusieurs auteurs anciens, Tyr ne fut fondée que 240 ans avant le temple de Salomon par des émigrés de Sidon, Helqiah n’a point dû placer cette colonie posthume dans le tableau primitif ; et ce silence, joint au mot d’Isaïe, qui appelle Tyr, fille de Sidon, vient à l’appui de l’opinion que nous indiquons.

Tous lès auteurs grecs s’accordent à dire que la nation phénicienne avait émigré des bords de la mer Érythrée ou Rouge, à raison du bouleversement de leur pays par des volcans. Ceci nous indiquerait son siége ancien et primitif sur la côte frontière de l’Iemen, dans le Téhama, en face des îles volcaniques de Katombel, de Foosth, de Gebel-Tar, de Zékir ; tout ce local, jusqu’à l’autre rive où est Dahlak porte des traces de combustion et de tremblements de terre. Par cette raison géographique, les Phéniciens se trouvent être un peuple arabique ; leur langue nous en est garant ; et parce que nous allons voir le foyer présumé de leur origine occupé par une branche d’Arabes qui nous sont désignés comme les plus anciens de tous, nous avons lieu de les classer dans cette branche. A quelle époque se fit cette émigration ? L’histoire n’en dit rien, et, c’est une preuve de son antiquité. La fondation du temple d’Hercule à Tyr, en même temps que l’on fondît cette ville[11], 2760 ans avant notre ère, nous montre les Phéniciens déjà établis ; mais ils ont pu être arrivés bien antérieurement.

2° Sous le nom pluriel de Masrim sont désignés les Égyptiens, dont le pays et la capitale sont encore aujourd’hui appelés par les Arabes Masr.

Leurs enfants, c’est-à-dire les peuples compris dans leur territoire, sont :

1° Les Loudim, qu’il ne faut pas confondre avec les Lydiens d’Asie. Jérémie, chap. LXVI, en les associant aux Libyens et à d’autres peuples du Nil, ne permet pas qu’on les écarte de ce local ; ils doivent être les habitants du pays de Lydda ou Diospolis, l’une des villes anciennement populeuses et puissantes de la Haute-Égypte.

Les Aïnamim n’ont pas laissé de trace apparente, non plus que les Nephtahim et les Kasalhim.

Les Phatrousim sont les habitants du nome ou pays de Phatoures, près Thèbes, comme l’a très bien prouvé Bochart[12], dont les arguments démontrent que la division de l’Égypte, en haute et basse (Said et Masr), telle que la font encore les Arabes, a dû être usitée chez les Juifs, leurs frères à tant d’égards.

Les Lehabim doivent être les Libyens : Ézéqiel est le seul qui ait parlé d’un pays de Qoub dans ce désert ; les Cobii de Ptolémée en remplissent l’indication.

Les Philistins nous sont indiqués ici comme un peuple émigré d’Égypte, et l’histoire nous dit qu’effectivement des dissensions religieuses chassèrent souvent des peuplades de ce pays. Les Kaphtorim peuvent être les habitants de Gaza, mais en aucun cas ceux de Cypre, comme l’a cru Michaëlis.

Isaïe, Jérémie et d’autres écrivains hébreux parlent de quelques villes d’Égypte qu’il est bon de placer.

Sin est Péluse ; Taphnahs est Daphnas d’Hérodote ; Tsan est Tanis dans le lac Menzâlé.

Nouph est L’O-nuph-is de Ptolémée plutôt que Memphis.

Na-amoun, ville comparée à Ninive, pour la splendeur, ne peut être que Thèbes, ainsi que l’on en est d’accord d’après les raisons de Bochart.

On ou Aoun est connu pour être Héliopolis.

Quant à la division de Phut, elle n’a pas de trace, à moins de la voir, avec Josèphe, dans le fleuve Phutes en Mauritanie.

Le quatrième peuple de la division de Cham est Kush, dont Josèphe nous déclare que le nom correspond, chez les Asiatiques, au mot Éthiopien chez les Grecs. Par conséquent Kush[13] désigne les peuples noirs à cheveux plats, habitant l’Abyssinie en général, spécialement le pays d’Axoum, où paraît avoir été l’ancienne capitale de Kush ; il faut distinguer ces noirs à cheveux plats, des noirs à cheveux crépus (les nègres) : cette distinction est exprimée chez les Grecs par l’expression d’Éthiopiens occidentaux et Éthiopiens orientaux. Dans Homère[14], ceux-ci sont proprement les peuples de l’Abyssinie dont les rois conquirent plusieurs fois l’Égypte ; par la suite le nom d’Éthiopiens s’étendit aux peuples noirs que les Persans appelaient Hind, ou Hindous ; et ce nom de Hindous ou Indiens, au temps des Romains, revint aux peuples de l’Iémen, qui étaient effectivement des hommes noirs, des Éthiopiens. Hérodote, dans sa description de l’armée de Xerxès, joint les Arabes aux Éthiopiens Abyssins, et tous les montre réunis sous un même chef, ce qui indique une affinité étroite de constitution et de langage. Cette affinité se trouve confirmée par l’auteur de la Genèse, lorsqu’il dit : Les enfants de Kush sont Saba, Haouilah, Sabta, Sabtaha et Ramah.

C’est-à-dire que ces cinq peuples étaient aussi des hommes noirs de race kushite, ou éthiopienne abyssine : il s’agit de trouver leur emplacement.

Bochart veut que Saba soit le pays de Mareb, appelé synonymement par les Arabes, Saba-Mareb ; mais l’identité ne peut s’admettre, parce que ces mêmes Arabes placent à Mareb la reine de Saba qui visita Salomon, et que les Hébreux, en parlant de cette femme, ne la disent point reine de Saba par s (ou Sameck), tel qu’est écrit notre, Saba kushite ; mais reine de Sheba par sh (ou Shin), tel qu’ils écrivent Sheba, fils de Ieqtan, qui, à ce moyen, est le Saba homérite des Arabes ; et remarquez que Saba par s n’a point dans l’arabe moderne, le sens de lier et faire captif, que les Arabes disent lui appartenir, tandis que Sheba par Shin a ce sens dans l’hébreu ; ce qui prouve que la véritable orthographe est Sheba-Mareb. Une meilleure représentation nous semble se trouver dans une autre ville de Saba, située au pays de Tehama, laquelle nous est désignée par les Grecs, comme l’entrepôt ancien et très actif du commerce de l’or et des aromates de l’Arabie. La circonstance d’être placée, sur l’une des éminences qui bornent le plat pays de Tehama, nous fait reconnaître cette ville dans celle que les Arabes modernes nomment encore Sabbea : si, comme tant d’autres cités de l’Orient, elle est réduite à un état presque misérable, l’on en trouve les causes, palpables dans la dérivation qu’a subie le commerce de l’Inde, et dans les ensablements qui, sur cette place, repoussent la mer à près de 1.200 toises par siècle.

Sabtah n’en fut pas éloigné, si, comme nous le pensons, il est le Sabbatha-metropolis de Ptolémée[15], placé par le géographe nubien Edrissi, entre Danzar et Sanaa[16].

Sabtaka est rejeté par Josèphe dans l’Éthiopie abyssine, par Bochart dans la Caramanie persique, sous prétexte de rassembler à Samydake : ces deux hypothèses nous paraissent vagues et sans preuves : Sabtaka n’a pas de trace connue.

Haouilah, mal prononcé Hevila, et bien représenté par les Chavelœi de Pline, et Chavilatœi de Strabon, que ces auteurs s’accordent à placer entre les Nabatéens et les Agréens, ou Agaréens. Le pays de ces derniers doit être le Hijar ou Hagiar moderne[17], par le 27e de latitude, dans le Hedjaz, à environ 40 lieues est de la mer Rouge... Par conséquent Haouilah, qui a le sens de pays aride, dut être dans le sol réellement aride, dans le désert au nord de Hijar, au pied de la chaîne des rocs où vivaient les Tamudeni. Ce local remplit bien l’indication du livre de Samuel qui nomme Haouilah comme borne extrême de l’expédition de Saül contre les Amalékites[18] ; et cette situation d’une tribu kushite convient d’autant mieux en cet endroit, que, d’une part, elle se trouve appuyée au mont Shefar, appartenant aux tribus ieqtanides, et désigné par Ptolémée pour être la borne de l’Arabie heureuse ; tandis que d’autre part elle est contiguë au pays de Tamoud, l’une des 4 anciennes tribus arabes qui paraissent avoir été réellement kushites, et au pays des Madianites qui certainement l’étaient, ainsi que le prouve l’anecdote de Séphora, femme de Moïse, à laquelle sa belle-sœur Marie reprochait d’être une noire (une kushite) ; ce genre de population subsistait encore au temps de Zarah, roi de Kush, qui vint avec une armée immense, attaquer Asa, roi de Juda, vers l’an 940 avant notre ère[19], et qui avait pour résidence, du moins temporaire, la ville de Gerara, dans le pays d’Amalek ; Taraqah qui, au temps d’Ézékiaq, et de Sennachérib, fut aussi un roi de Kush, sortit également, avec une autre nuée de soldats, de cette même contrée. Il paraît donc certain que la côte arabique de la mer Rouge, depuis l’Arabie pétrée jusqu’à Sabtah, c’est-à-dire, les deux pays appelés Hedjaz et Téhamah, appartenaient aux Éthiopiens, et formaient un même état ou une même population avec l’Abyssinie, placée sur l’autre rive de cette même mer. Cela se conçoit d’autant mieux, qu’au moyen des îles, la communication des deux rivages est extrêmement facile, et que la ligne de séparation d’avec les tribus ieqtatides, se trouve être une chaîne de rocs et de montagnes qui borne le grand désert de la péninsule vers ouest, depuis le mont Shefar jusqu’à l’Iémen[20].

Une autre dépendance de Kush est encore Ramah, que les Grecs écrivent Regma. Strabon dit que ce mot en syrien signifie détroit ; et Ptolémée, avec Étienne de Byzance, place une ville de Regma sur la côte arabe du golfe Persique, non loin du fleuve Lar ou Falg moderne. Par cette situation, séparée et distante de Kush, tel que nous venons de le décrire, Rama s’indique pour être une colonie d’Éthiopiens ou Kushites ; Busching place en ce parage une ville de Reamah, peuplée de noirs très commerçants. A son tour, Reamah semble avoir produit près de lui deux autres colonies qui sont Sheba et Daden.

Daden est la petite île Dadena, sur la côte arabe qui mène au golfe Persique. L’ouvrage intitulé Oriens Christianus[21], nous apprend que cette île, appelée en syrien Dirin, dépendit de l’évêché de Catara ou Gatara.

Sheba montre sa trace dans les pays montueux des Asabi, que Ptolémée place à la pointe arabe du détroit ; ces trois positions, qui se touchent, remplissent très bien l’indication d’Ézéqiel, dans son chapitre XXVII, où il dit : O ville de Tyr, les marchands de Sheba et de Ramah sont tes courtiers ; ils te fournissent l’or, les parfums et les perles : Daden t’envoie les dents d’éléphant et les bois d’ébène.

Le voyageur Niebuhr observe que depuis Rasel-had jusqu’à Ras-masendom, il n’y a de sables qu’entre Sîb et Sehar ; que tout le pays dépendant de Maskat est montueux jusqu’à la mer, et que deux bonnes rivières y coulent toute l’année ; l’on y cueille en abondance du froment, de l’orge, du dourah, des lentilles, des dattes, des légumes, des raisins ; le poisson est si abondant, que l’on en nourrit le bétail ; Séhar, ruinée, est une des plus anciennes villes de l’Orient, de même que Sour (Tyr), située non loin de Maska. Voyez Niebuhr, Description de l’Arabie, page 255.

Avec de tels avantages de sol, favorisés d’un beau climat, sur une superficie égale à toute la Syrie, l’on conçoit qu’il put jadis exister eu cette contrée des peuples industrieux et riches, surtout lorsque le commerce de l’Inde y avait sa route principale vers l’occident ; et puisque les habitants d’alors portaient le nom de Sabéens (Sheba), il ne faut plus s’étonner qu’ils aient enrichi par leur or et par leur commerce les Phéniciens de Tyr, ainsi que le disent expressément les Grecs qui ont pu les confondre avec les autres Sabéens de l’Iémen et du Téhama. (Voyez Bochart, Phaleg., lib. IV, chap. VI, VII et VIII.)

La Genèse continue : Or l’Éthiopie engendra ou produisit Nemrod qui commença d’être fort (ou géant) sur la terre : il fut un grand chasseur devant le Seigneur, et les chefs-lieux de sa domination furent Babylon, Arak, Nisibe et Kalané dans le pays de Sennaar.

De quelque manière que Nemrod vienne d’Éthiopie, ou qu’il en dépende, nous avons ici une indication que les pays de sa domination appartiennent à la division de Kush, et que par conséquent leurs habitants furent des hommes noirs à cheveux longs. Ceci s’accorde très bien avec le témoignage d’Homère, d’Hérodote, de Strabon, de Diodore, et en général des anciens auteurs qui nous dépeignent tels les peuples de la Babylonie et de la Susiane. Ce furent là les Éthiopiens de Memnon, fils de l’Aurore et de Titon, auxquels les Asiatiques durent donner le nom de Kushéens, prononcé, en dialecte chaldaïque, Kuhéens. Ce même nom se représente dans le Kissia de Ptolémée, pays voisin de Suse. Les auteurs arabes désignent également les peuples de ces contrées par le terme de Soudan, c’est-à-dire, les noirs : ainsi les colonies éthiopiennes ou kushites s’étaient répandues dans tout l’Iraq-Arabi, jusque dans la  Perse, et ceci nous rappelle l’ancien monument arabe cité par Maséoudi, selon lequel les tribus de Tasm et de Djodaï possédèrent l’Iraq-Arabi et la Perse limitrophe : ces tribus primitives auraient donc été des kushites, parentes des Cananéens ou Phéniciens qui, issus de Cham, et émigrés du Téhamah, auraient réellement eu une même origine.

Quant aux pays dépendants de Nemrod, Arak est Arekka, que Ptolémée place près de la Susiane.

Akad ou Akar est l’ancien nom de Nisibe, selon le témoignage de l’ancien traducteur de la Genèse[22]. Kalaneh, qu’Étienne de Byzance écrit Telané, est une ancienne ville du pays de Sennaar, que cet auteur dit avoir été le berceau de Ninus.

Ainsi la race noire kushite s’étendit jusqu’au revers méridional du Taurus, conformément au témoignage de Strabon, qui dit que les peuples Syriens sont divisés en deux grandes branches ; les Syriens blancs, au nord du mont Taurus ; et les Syriens noirs, au sud du Taurus ; tous ayant un même fonds de mœurs, de coutumes et de langage : en effet, les dialectes des Abyssins, des Arabes, des Phéniciens, des Hébreux, des Assyriens, des Araméens ou Syriens, sont tous construits sur les mêmes bases de grammaire, de syntaxe et d’écriture.

À l’égard de Nemrod, Cedrenus et la Chronique paschale nous avertissent que ce héros ou géant n’est autre chose que la constellation d’Orlon, devenue une divinité importante pour les Babyloniens, à raison, de ses influences supposées à l’époque de l’année où elle culmine pendant le jour avec la constellation du Chien, époque qui a pris le nom de canicule. Le voisinage de ce chien a procuré le titre de chasseur à Orion, qui d’ailleurs, comme grande divinité, eut aussi le nom de Bel[23]. Sous ce nom les légendes grecques lui donnent la même parenté que la Genèse. Bélus, disent-elles, fut fils de Libye et de Neptune. N’est-ce pas précisément la phrase hébraïque ? Nemrod fut engendré par l’Éthiopie ; ce nom de Nemrod qui n’a aucun sens dans l’hébreu qui n’a pas même les formes de cette langue, s’explique assez bien dans la langue pehlevi : Nim en pehlevi, dit le traducteur du Zend-Avesta, signifie côté, portion, moitié ; rouz signifie midi[24] ; en sorte que Nimrouz bien identique à Nemrod, est l’astre de l’Éthiopie, le fils de la saison brûlante.

Jusqu’ici l’on voit que, sous des formes généalogiques, nous avons une véritable géographie dont toutes les parties observent un ordre régulier et systématique. Ce même caractère continue de se montrer dans la troisième division, celle de Sem.

 

 

CHAPITRE XIX. — Division de Sem.

LES PEUPLES dépendants de Sem, contenus dans son territoire, sont : 1° Aïlam, nom collectif des Elyméens, bien connus pour habiter les montagnes de la Perse à l’orient de la Chaldée ;

Ashour ou Assur, nom collectif des Assyriens, qui d’abord ne furent que les habitants de l’Atourie, où Ninus bâtit Ninive, mais dont le nom, après ce conquérant, s’étendit aux Babyloniens et même aux Syriens.

Ici se présente une remarque sur la traduction vulgaire de ce verset célèbre de la Genèse (ch. 10) : De la terre de Sennar est sorti Assur, qui a bâti Ninive.

Il semblerait qu’Assur fût un nom d’homme alors il désignerait Ninus, et c’est l’opinion de beaucoup de savants ; mais dans ce cas il sera, et il est en effet, une nouvelle preuve de la posthumité de la Genèse ; puisque Ninus, selon Hérodote, ne régna pas avant l’an 1237, environ 200 ans après Moïse. La vérité est qu’ici, comme partout, Assur est un nom collectif qu’il faut traduire selon le génie de notre langue, l’Assyrien ou les Assyriens. Parcourez tous les livres hébreux, spécialement Isaïe, Jérémie, les Rois, surtout au livre IV, jamais vous ne trouverez le pays ou le peuple assyrien désigné autrement que par Assur.

Assur viendra comme un torrent ; Assur s’élèvera comme un incendie ; le Seigneur suscitera Assur contre Moab, contre Ammon, contre Juda, contre Israël : or, personne ne pensera qu’Assur, Moab, Ammon, Israël, soient des individus : bien plus, on trouve cent fois répétée cette autre expression encore plus incompatible :

Le roi d’Assur, la terre d’Assur, les forts d’Assur ; Phal, roi d’Assur, vint contre Manahem ; Achaz appela Teglat-Phal-Asar, roi d’Assur, etc.

II est donc évident qu’Assur est toujours un nom collectif, employé selon le génie des langues orientales, dont les Arabes et les Syriens de nos jours sont un exemple subsistant.

Loud, nom collectif des Lydiens, ayant en syriaque le sens de sinuosités, qui convient très bien au fleuve Méandre. Selon les Grecs, avant la guerre de Troie, les Lydiens s’appelaient Ma-Iones, nom composé d’Ionie. Le nom de Lydiens, leur vint-il des Assyriens, dont Ninus les rendit sujets ?

4° Le quatrième peuple dépendant de Sem est Aram qui en syriaque signifie nord (relatif aux Phéniciens) ; c’est la Syrie des Grecs, ainsi nommée par abréviation d’Assyrie.

Les Hébreux divisent l’Aram ou Syrie en plusieurs districts, 1° l’Aram-Nahrim, l’Aram des deux fleuves (Tigre et Euphrate), traduit en grec Meso-potamos (entre les fleuves.)

2° L’Aram propre, ou pays de Damas et confins.

3° L’Aram Sobah sur lequel on n’est pas d’accord. Josèphe le prend pour la Sophène en Arménie. Bochart[25] lui donne pour limites à l’est le cours de l’Euphrate ; à l’ouest, la Syrie de Hamah, d’Alep et de Damas ; en sorte que, selon lui, Sobah aurait été ce qui depuis fut le royaume de Palmyre. Michaëlis[26] veut que Sobah soit Nisibe, à trente-cinq lieues sud-ouest de Ninive ; mais les auteurs tardifs dont il s’appuie sont si peu instruits sur cette matière, que traduisant le livre de Samuel, à l’article des guerres de David contre les rois de Sobah, ils n’ont pas même su lire correctement le texte hébreu ; car tandis que ce texte dit[27] que l’Araméen (Syrien), de Damas vint pour secourir Hadad-azer, roi de Sobah ; que David battit cet Araméen, lui tua 22.000 hommes, et mit garnison à Damas : les deux traducteurs arabe et syriaque, au lieu de l’Araméen[28], ont lu l’Iduméen, sans apercevoir l’inconvenance de lier Damas à l’Idumée, située sur la mer Rouge ; et, de plus, l’Arabe a pris sur lui d’appeler roi de Nasbin (Nisibe) le roi de Sobah. Michaëlis, en adoptant cette erreur, et voulant la confirmer par saint Ephrem, etc.[29], n’a pas pris garde que le texte, qui parle ailleurs des rois de Sobah au nombre pluriel[30], indique que Sobah était un pays et non une seule ville. Ce même texte dit encore, que David battit le roi de Sobah en allant pour étendre sa main ; c’est-à-dire son pouvoir sur l’Euphrate ; Michaëlis veut que ce soit le roi de Nisibe qui alla vers l’Euphrate ; mais relativement à l’écrivain juif placé à Jérusalem, le mot aller ne peut convenir qu’à David. Si le roi de Sobah fût venu de Nisibe, il eût amené avec lui les Syriens d’au delà l’Euphrate : il les fit venir à lui, selon le propre texte ; donc il résidait en deçà de l’Euphrate : seulement, il avait sur l’autre rive des sujets ou alliés qu’il fit venir, mais non pas venir de Nisibe, séparée du fleuve par un désert très aride de quarante lieues d’étendue.

Il est encore dit que le roi de Hamah avait eu des guerres fréquentes avec le roi de Sobah ; et les chroniques donnent à Hamah l’épithète de Sobah (Hamat-Soba) : ces deux pays étaient donc limitrophes. Or, si Hamah, séparée de Nisibe par un désert de 90 lieues, était bornée au sud par Damas, et à l’ouest par les Phéniciens, le Sabah devait être situé ou au nord vers Alep, ou à l’est vers l’Euphrate ; et c’est précisément ce qu’atteste Eupolème[31] lorsqu’il dit que David subjugua les Syriens qui habitaient la Commagène et le pays adjacent à l’Euphrate (où furent situées les villes de Hiérapolis et de Ratsaf, comme l’observe Bochart, qui peut-être a raison d’y joindre Taïbeh et Tadmor.)

David, dit le texte, revenant de battre les Araméens (les Syriens), s’illustra (par une nouvelle victoire) dans la vallée des Salines.

Il y a deux vallées de ce genre : l’une dans laquelle est situé le lac de Gabala à 25 lieues nord-nord-est de Hamah ; l’autre où se forme la lagune salée de Zarqah, 15 lieues nord-est de Hamah : ces deux positions sont également sur la route de David, revenant soit du nord, soit de l’est. S,i comme l’a cru Fl. Josèphe, Sobah eût été la Sophène, province d’Arménie, les Juifs nous eussent parlé du passage de l’Euphrate, qui eût été une opération inouïe pour eux. — David enleva une immense quantité d’airain des villes de Betah et de Birti, appartenantes au roi de Sobah. Betah n’est connue de personne, et vouloir, avec Michaëlis, que Birta soit la ville phénicienne de Beryte, est une inconvenance inadmissible. Elle serait plutôt Birta (aujourd’hui Bir), à l’est de l’Euphrate, sur la route d’Alep en Assyrie ; mais il faudrait que David eût passé le fleuve, à moins qu’à cette époque il n’y eût sur la rive ouest de l’Euphrate une ville de Birta, ruinée ensuite et remplacée par celle du même nom qu’Alexandre bâtit sur la rive orientale. Tout confirme l’opinion de Bochart ; et concourt à étendre le royaume de Sobah le long de l’Euphrate jusqu’aux montagnes de la Cilicie.

Remarquons en passant, que cette existence des États araméens de Sobah, Hamah et Damas, qui se continue depuis et avant Saül, jusqu’au temps d’Achaz, confirme l’assertion d’Hérodote qui restreint l’empire des Assyriens ninivites à la haute Asie, pendant 500 ans, et qui par là les exclut de l’Asie basse, c’est-à-dire de l’Asie-Mineure et de la Syrie. Les chroniques juives s’accordent avec lui, en nous montrant l’ouest de l’Euphrate indépendant de leur puissance, et en n’y laissant apercevoir son extension qu’au règne de Phul, vers l’an 770. Alors commence, de la part des sultans de Ninive, un système d’agrandissement de ce côté qu’ils poursuivent jusqu’au temps de Sardanapale. Le discours de Sennachérib au roi Ézéqiah, indique très bien cet état de choses. Les dieux des nations, dit ce prince, ont-ils délivré les pays ravagés par mes pères, les pays de Gouzan, de Haran, de Ratsaf ; et les enfants d’Aden qui sont en Talashar ? où est le roi de Hamah et d’Arfad ? où sont les rois des Sapires, de Ana, de Aoua ? etc.[32]

Nous avons le pays de Gouzan, Gauzanitis, de Ptolémée, près de la rivière de Khaboras en Sennaar ; celui de Haran ou Charrœ, près d’Edessa en Mésopotamie. Ratsaf ou Resapha est situé au sud de l’Euphrate et au nord de Palmyre. Aden est Adana, ville puissante, près de Tarsus ou Tarsis en Cilicie ; et puisque Aden est en Talashar, il faut que Talashar soit la Cilicie, qui, par les Arabes, serait prononcé Tchilitchia. Hamah est bien connu sur l’Oronte. Arfad, toujours nommé avec Damas et Hamah[33], ne saurait en être écarté plus loin qu’Aradus, appelé aussi Arvad. Les Sapires sont au nord de l’Arménie. Ana est une île de l’Euphrate ; Aoua, un canton de la basse Babylonie.

Lors donc que Sennachérib, pour effrayer le roi juif, lui dit que ses pères ont ravagé tous ces pays, sans doute il n’entend pas une vieille conquête faite par Ninus, 1400 ans auparavant (selon Ktésias) ; mais une conquête récente dont nous suivons la trace dans Salmanasar, qui subjugua les états phéniciens, dont Arvad fut un ; 2° dans Teglat, qui conquit Damas, et en déporta les habitants au pays de Qir[34] ; 3° dans Phul enfin, qui le premier paraît au sud de l’Euphrate, sans doute après avoir soumis Adana : il semblerait que Tarsus, port de mer puissant, ne fut conquis qu’au temps de Sardanapale, qui selon une inscription hyperbolique, l’aurait rebâti en un jour[35].

Avant cette conquête des Assyriens, c’est-à-dire avant l’an 770 ou 780 au plus, les Syriens n’étaient connus que sous leur nom d’Araméens ; Homère et Hésiode, qui écrivirent vers ce temps, n’en citent pas d’autre. Il s’étendait à la Phrygie brûlée, qu’ils nomment Arimaïa ; à la Cappadoce, dont les habitants étaient nommés Arimeéns blancs, et descendaient, selon Xanthus de Lydie, d’un antique roi Arimus, le même que l’Aram hébreu. (Voyez Strabon, lib. XIII.)

Aram a encore pour dépendances, Aouts, Houl, Gatar et Mesh.

Aouts est connu pour l’Ausitis de Ptolémée, pays avancé dans le désert de Syrie vers l’Euphrate. Les Arabes Beni-Temin, d’origine iduméenne, ont occupé ce pays ; c’est à eux que Jérémie dit[36] : Réjouissez-vous, enfants d’Edom, qui vivez dans la terre d’Aouts. Là est placée l’anecdote de Job, dont le roman offre sur Ahriman ou Satan, des idées zoroastriennes que l’on ne trouve dans les livres juifs que vers le temps de la captivité de Babylone.

Houl n’a pas de représentants.

Gatar est la ville et le pays de Katara sur le golfe Persique. (Voyez Ptolémée.)

Mesh doit être voisin, et convient aux Masanites de Ptolémée, à l’embouchure de l’Euphrate et non loin de Katara : le système de contiguïté continue toujours de s’observer.

Un cinquième peuple de Sem est Araf-Kashd, représenté dans le canton Arra-Pachitis de Ptolémée, qui est le pays montueux, au sud du lac de Van, d’où se versent le Tigre et le Lycus ou grand Zab. Ce nom signifie borne du Chaldéen, et semble indiquer que les Chaldéens, avant Ninus, se seraient étendus jusque-là.

Cet Araph-Kashd, selon Josèphe, fut père des Chaldéens ; selon l’hébreu, il produisit Shelah, dont la trace, comme ville et pays, se retrouve dans le Salacha de Ptolémée. Shelah produisit Eber, père de tous les peuples d’au delà de l’Euphrate ; mais si nous le trouvons en deçà, relativement à la Judée, nous avons droit de dire que cette antique tradition vient de la Chaldée.

D’Eber sont issus Ieqtan, père de tous les Arabes-Syriens, et Phaleg, d’où l’on fait venir Abraham père des Juifs et d’une foule de tribus arabes, par ses prétendues femmes, Agar et Ketura. Mais si dès le siècle de Moïse, quatre générations seulement après Abraham, ces tribus présentent une masse de population et une étendue de territoire inconciliables avec les probabilités physiques ou morales, nous aurons une nouvelle raison de rejeter l’existence d’Abraham comme homme ; et si l’auteur de la Genèse, au ch. XV, v. 19, suppose que Dieu promit à Abraham de livrer à sa postérité, parmi plusieurs peuples, celui de Qenez, lequel Qenez naquit seulement quatre générations après lui ; nous pourrons encore dire que cet auteur se trahit lui-même par un anachronisme choquant. Il est plus naturel de penser que toutes ces petites tribus, d’origine incertaine, et répandues dans le désert de Syrie jusqu’à l’Arabie Pétrée, ont appelé Ab-ram, leur père commun, parce qu’il fut leur divinité patronale ; et en disant qu’elles vinrent primitivement de Sem, l’on commettrait un pléonasme, puisque, selon le livre chaldéen de Mar-Ibas, Sem est le même que Zerouan, qui est aussi le même qu’Abraham ; nous n’insistons pas sur le site de toutes ces tribus, parce qu’il est assez bien connu.

De Ieqtan, supposé homme, l’auteur fait venir treize peuples arabes, dont il pose distinctement les limites en disant :

1 ° Que les enfants d’Ismaël habitèrent depuis Haouilah jusqu’à Shour, qui est dans le désert en face de l’Égypte, sur le chemin d’Assyrie (par Damas) ;

Que les enfants de Ieqtan habitèrent depuis Mesha jusqu’à Shefar, montagne orientale.

Shefar est une montagne du désert arabe, par les 29 degrés de latitude, à environ, 55 lieues est de la mer Rouge, et à l’orient d’hiver de Jérusalem : elle fut le campement le plus reculé des Hébreux conduits par Moïse[37] : Ptolémée y pose la limite extrême de l’Arabia Felix, au nord. Là commencent l’Arabie Pétrée et les dépendances de Kush, dont Haouilah fait la frontière. Tout se trouve d’accord de ce côté, qui est l’occident de Ieqtan.

Mesha, qui est sa borne à l’orient, est le Mascinites fluvius, l’une des branches de l’Euphrate, vers son embouchure dans le golfe Persique : une ligne tirée de Shefar sur Mesha, est donc la borne des Arabes Ieqtanides, vers le nord.

L’Océan, ou mer Érythrée, est leur borne au sud.

Vers le couchant, qui est la mer Rouge, si l’on tire une ligne de Shefer sur Sabtah, frontière de Kush, cette ligne laisse tous les peuples de Ieqtan dans le désert à l’est, et tous les Kushites dans le Hedjaz et dans le Téhamah, vers l’ouest ; avec cette circonstance, qu’elle suit une chaîne de montagnes, rocailleuses et stériles, qui, en font une limite naturelle. Le pays de Ieqtan occupe donc tout l’orient de la péninsule arabe, depuis le canton de Saba-Mareb, jusqu’à l’embouchure du golfe Persique, où les tribus kushites de Ramah, Daden et Sheba, possèdent un territoire qui fait exception. Il s’agit de placer les tribus dont les géographes grecs nous retracent, plusieurs noms reconnaissables.

Al-Modal ne l’est pas très bien dans les Alumaiotœ de Ptolémée ; mais Shelaph l’est parfaitement dans les Salupeni du même auteur.

Hatsar-Môt est sans contredit les Chatramotitœ de Strabon, le Hadramaut actuel des Arabes.

Ierah se trouve bien dans les Iritœi ;

Adouram dans Adrama, au pays de Iemama, qui, selon les monuments cités par Pocoke[38], fut la borne de l’empire assyrien en ces contrées.

Auzal est l’Auzara de Ptolémée, près le pays d’Oman, sur le golfe Persique. Dans Ézéqiel (chap. 27), Dan est joint à Ion d’Aouzal, et Giggeius place en ces cantons une ville de Ion. (Voyez Bochart.)

Deqlah est inconnu ; Aoubal doit être le Hobal du géographe Edrissi, ou l’Obil anéanti des traditions arabes.

Ambi-mal représente l’un des quatre cantons aromatifères de Théophraste, qui le nomme Mali.

Iobab, par l’altération du second b en p grec, qui est l’r latin, a fait Iobaritœ, en Ptolémée.

Le nom de Sheba se retrouve dans Shebam, château fort sur les montagnes, à l’ouest du Hadramaut, et peut-être mieux encore dans la ville de Saba, ou plutôt Sheba-Mareb, c’est-à-dire, la capitale de Sheba, le mot mareb ayant cette signification en arabe.

Haouilah offre le plus de difficultés, parce que ce nom n’a point laissé de traces, et qu’un passage de la Genèse impose à ce local des conditions contradictoires.

Ce livre dit (chap. II, v. 10 et 11) : Et le fleuve (du jardin d’Eden) se divisait en quatre autres fleuves, dont le premier s’appelle Phishoun ; celui-ci entoure tout le pays d’Haouilah, où se trouve l’or ; et l’or de cette terre est bon (or fin) : là aussi est le Bedoulah (Bdellium) et la pierre de Shahm (l’onyx).

Nous avons vu ci-dessus un premier pays de Haouilah, appartenant à la division de Kush, réclamer sa situation dans un désert où l’on ne connaît aucune rivière : ce second Haouilah, appartenant aux Ieqtanides, exige de ne pas sortir de leurs limites ; par conséquent il nous faut trouver dans la péninsule arabe, une rivière arrosant un pays où se trouvent l’or, le bdellium et l’onyx.

Les Grecs[39] nous indiquent un premier petit fleuve venant du mont Laëmus, au sud-est de la Mekke, traversant un pays riche en sources, en verdure, et de plus, roulant des paillettes d’or : là vivaient les Arabes Alilæi et les Gassandi, chez qui se trouvaient des pépites d’or en abondance. Au delà, sur la frontière du désert, vivaient les Debœ, riches en paillettes d’or, d’où leur venait leur nom : tous ces peuples, sans arts, ne savaient employer l’or à rien, et ils le prodiguaient aux navigateurs étrangers, pour des marchandises de peu de prix.

Si l’on supposait que le nom Alilœi fût une corruption de Haouilah, chose très possible de la part des Grecs, il y aurait ici de grandes convenances ; mais encore serions-nous dans le territoire de Kush ; et de plus nous n’y trouvons pas la pierre d’onyx, et surtout le bdellium que l’on s’accorde à croire être la perle.

Cette dernière condition nous appelle sur le golfe Persique : là nous trouvons deux rivières ; l’une au pays de Iemama, ayant son embouchure en face des îles de Barhain, où se termine le grand banc des perles ; l’autre, appelé Falg par les Arabes, sur la même côte du golfe Persique, ayant son embouchure à l’autre extrémité du même banc, sur la frontière du pays d’Oman. Le voyageur Niebuhr assure que l’onyx n’est pas rare en ces contrées : voilà plusieurs conditions remplies ; mais nous ne voyons aucun nom retraçant Haouilah ; et parce que le récit de la Genèse tient à la mythologie, peut-être la recherche d’un fleuve joint à ce nom est-elle idéale ?

Un dernier pays nous reste à trouver, celui d’Ophir qui, jusqu’ici, a été la pierre philosophale des géographes : successivement ils l’ont cherché dans l’Inde, à Ceylan, à Sumatra ; dans l’Afrique, à Sofala ; enfin jusqu’en Espagne, où ils ont voulu que Tartesse représentât la ville de Tarsis. Chacune de ces hypothèses a combattu l’autre par des raisons de vraisemblance et d’autorité ; mais toutes ont péché contre une condition essentielle à laquelle on n’a point donné assez d’attention. Cette condition est que l’auteur du dixième chapitre, ayant observé, dans toute sa nomenclature, un ordre méthodique de positions et de limites, il n’est pas permis de violer ici cet ordre : dans le cas présent, le pays d’Ophir étant assigné à la division de Ieqtan, il n’est pas permis de le chercher hors de la péninsule arabe, où cette division est restreinte.

Une hypothèse récente a été mieux calculée, en plaçant Ophir dans les montagnes du Iémen, à 12 ou 14 lieues nord-est de Lohia, en un lieu nommé Doffir[40] ; mais il reste douteux que ce local, voisin des Sabéens kushites, ait pu appartenir aux Ieqtanides ; d’ailleurs l’addition d’une consonne aussi forte que le D, qui aurait changé Ophir en Doffir, est une altération dont l’idiome arabe n’offre pas d’exemple : enfin l’on ne conçoit pas comment les vaisseaux de Salomon auraient employé à faire un voyage de 400 lieues au plus (tout louvoiement compris), un temps aussi long que celui dont le texte donne l’idée, en disant que ces vaisseaux partaient chaque troisième année pour Ophir, c’est à dire, qu’ils étaient un an à se rendre, un an à revenir, et ils n’auraient fait que 400 lieues par an !

Après avoir médité ce sujet, il nous a semblé qu’un plus grand nombre de convenances historiques et géographiques se réunissaient pour placer Ophir, sur la côte arabe, à l’entrée du golfe Persique : établissons d’abord le texte qui doit être notre premier régulateur.

Salomon fit construire des vaisseaux à Atsiom-Gaber (sur la mer Rouge près d’Aïlah), et Hiram, roi de Tyr, lui envoya des pilotes connaissant la mer, pour conduire ses vaisseaux ; et ils allèrent à Ophir, d’où ils apportèrent beaucoup d’or. (Rois I, c. 9, v. 10.)

Et la reine de Sheba ayant entendu, parler de Salomon, le vint voir : (Ibid., ch. 10, v. 1er.)

Et elle lui apporta en présent une quantité prodigieuse d’or, d’aromates exquis et de pierres précieuses : (v. 10.)

Et les vaisseaux de Hiram qui apportèrent de l’or d’Ophir, en apportèrent aussi des bois appelés almogium (que l’on croit le sandal) et des pierres précieuses. (v. 11.)

Et Salomon, tira beaucoup d’or des rois, d’Arabie : (v. 15.)

Et les vaisseaux de Tarsis (appartenant) au roi, allèrent avec ceux de Hiram, chaque troisième année ; et ces vaisseaux de Tarsis apportèrent de l’or, de l’argent, des dents d’éléphant, des singes et des paons. (v. 22.)

Josaphat fit construire des vaisseaux de Tarsis, pour aller à Ophir ; mais ils périrent dans le port même d’Atsiom-Gaber. (c. 22, v. 49.)

Pesons bien les circonstances et même les mots de ce récit : 1° Des vaisseaux partent d’Atsiom-Gaber ; ils vont à Ophir ; ils en apportent beaucoup d’or ; et Salomon tira beaucoup d’or des rois d’Arabie.

Ici Ophir ne figure-t-il pas en synonyme avec Arabie ?

Et la reine de Sheba ayant entendu parler de Salomon, le vint voir.

Cette princesse ne sera pas venue sur un ouï-dire ; elle aura questionné les gens mêmes de Salomon ; elle les aura fait venir ; elle ne l’aura pu qu’autant qu’ils auront relâché dans un de ses ports. Les ports du Téhama ne lui appartenaient point, ils étaient aux Kushites. Le port le plus voisin de sa résidence, qui devait le mieux lui appartenir, était celui que les Grecs appelèrent par la suite Arabia felix, aujourd’hui Hargiah, à l’embouchure de la rivière à Sanaa. Ce port, disent les Grecs, fut l’entrepôt, où les marchandises de la mer Rouge et celles du golfe Persique et de l’Inde se rencontraient, avant qu’une navigation directe se fût établie de l’Égypte dans l’Inde.

Selon les monuments arabes, la reine de Saba, nommée Balqis, vivait à Mareb, c’est-à-dire dans la capitale du pays de Saba. Le Hadramaut était dans sa dépendance ; il est la contrée des aromates. Les singes qu’elle y joignit, sont nommés en hébreu qouphim, dont l’analogue subsiste au Malabar, dans le mot kapi, venu du sanscrit kabhi : les paons, appelés en hébreu toukim, s’appellent encore au Malabar tougui[41]. Voilà des produits indiens : les dents d’éléphant en sont un aussi ; mais l’Abyssinie et l’Afrique ont pu en produire également. Si les bois almoguim, dont Salomon fit des instruments de musique, sont, comme on le croit, le bois de sandal (si rare, dit le texte, que depuis cette époque on n’en vit plus), ils sont une nouvelle preuve d’un commerce indien. Selon nous, les Tyriens qui furent les pilotes de Salomon, et à qui appartenait spécialement ce commerce, ne se bornaient point au port d’Arabia felix ; ils prolongeaient la côte arabe jusqu’au pays actuel de Maskat : là, nous trouvons, près du cap Ras-el-hal, une ancienne ville écrite Sour, avec les mêmes lettres que Tyr : toute cette contrée, jusqu’au détroit Persique, nous est dépeinte par Niebuhr comme un pays abondant en toute denrée, et méritant le nom de heureux et riche ; là étaient les villes ou pays de Sheba, Bamah et Daden, dont Ézéqiel nous dit que les habitants étaient les associés ou courtiers des Tyriens, à qui ils fournissaient les dents d’éléphant, les aromates et l’or (chap. 27). Sur cette côte existe encore une ville de Daba, dont le nom signifie or ; et il est prouvé par une foule de passages des anciens, qu’a recueillis Bochart, en sa Géographie sacrée (liv. II, chap. 17), que cette contrée fut jadis aussi riche en or que le sont de nos jours le Pérou et le Mexique.

Eupolème[42], qui fut instruit dans l’histoire des Juifs, dit que David envoya des vaisseaux exploiter les mines d’or d’une île appelée Ourphê, située dans la mer Erythrée, qui est le nom de l’Océan arabique jusque dans le golfe Persique.

Ici Ourphê semble n’être qu’une altération d’Ophir, altération d’autant plus croyable que le même texte fait partir les vaisseaux du port d’Achana, au lieu d’Aïlana : mais Eupolème n’a-t-il pas eu en vue une île célèbre de ces parages, appelée par Strabon Tyrina (l’île tyrienne), où l’on montrait, sous des palmiers sauvages, le tombeau du roi Erythras (c’est-à-dire, du roi Rouge), qui, disait-on, avait donné son nom à l’Océan arabique, parce qu’il s’y noya ? Nous avons ici un conte phénicien, dont le vrai sens est que le soleil brûlant et rouge, qui chaque soir se noyait dans la mer, reçut un culte des navigateurs qui la traversaient, et qui, en action de grâces d’un voyage heureux, lui élevèrent un monument de la même espèce que celui d’Osiris, roi, soleil, comme Erythras. En désignant ce tombeau comme un tumulus pyramidal considérable, Strabon nous fait soupçonner un autre motif utile, celui d’avoir élevé sur cette côte plate un point dominant propre à diriger les marins.

Si nous pénétrons dans le golfe Persique, nous trouvons, sur la côte arabe, une rivière appelée Falg, dont le cours nous conduit à une ancienne ville ruinée qui porte le nom de Ophor[43], lequel, vit l’insignifiance de la seconde -voyelle, représente matériellement le nom que nous cherchons, et qui le montre en tin lieu convenable s’il est vrai que ce local n’est point une île, comme le dit Eupolème ; mais il faut observer que dans tous les dialectes de l’arabe, y compris l’hébreu, un même mot signifie île et presqu’île. Or, la pointe d’Oman, où nous trouvons Ophir, est une véritable presqu’île, surtout à raison des rivières qui coupent sa base. Quant au site propre de la ville actuelle, il a dû changer, en ce que les atterrissements considérables de cette côte ont éloigné la mer, et par cela même ont fait perdre au port et à la ville d’Ophir son activité et sa renommée.

A l’embouchure de la rivière qui avoisine les restes d’Ophir, commence le grand banc des perles, foyer très ancien d’un riche commerce ; à l’extrémité de ce banc se trouvent encore deux îles qui jadis portèrent le nom de Tyr et Arad, et qui eurent, dit Strabon (lib. 16), des temples phéniciens : leurs habitants se prétendaient la souche de ceux de Tyr et Arad sur la Méditerranée ; mais si l’on considère qu’ils n’étaient que de pauvres pêcheurs sur un sol d’ailleurs aride, l’on sentira que la vraie souche de population fut aux bords fertiles de la Phénicie, et que ce récit n’est qu’une inversion qui néanmoins indique encore le commerce et. la fréquentation des Tyriens, dont nous venons de rassembler un assez grand. nombre de preuves.

On objecte que le circuit de l’Arabie est trop considérable pour la science nautique de cet ancien peuple ; nous répondons que le vrai degré de cette science n’est pas très bien connu, ne l’a peut-être pas même été parles Grecs, venus à une époque tardive : en outre, l’analysé semble prouver, que ce circuit n’excéda réellement pas les moyens des anciens. Leurs géographes s’accordent à nous dire qu’une journée moyenne de navigation équivalait à 14 ou à 15 de nos lieues marines, c’est-à-dire ¾ de degré[44]. La largeur de la mer Rouge est d’environ 320 lieues : supposons 400 à raison des caps et des baies, que les anciens tournaient ; la distance du détroit de Bab-el-mandel au cap Raz-el-had, passe 360 ; supposons 430, nous avons 830 : ajoutez 120 jusqu’au golfe Persique, plus 50 jusqu’à la rivière Falg ; pour ces deux branches, supposons 200 : la totalité sera de 1030 lieues ; pour compté rond, supposons 1050.

Les vaisseaux ont eu cent cinquante jours, c’est-à-dire, cinq mois de très bon vent pour franchir cet espace : en effet à la fin de mai commence la mousson de nord-ouest, qui dure jusqu’à la fin d’octobre. 1050 lieues, divisées par 150 jours ne donnent que 7 lieues à chaque journée : les navigateurs purent donc employer 75 jours, c’est-à-dire la moitié du temps, à des relâches : la mousson de sud-est, qui les eût ramenés, commence en novembre et finit en avril ; mais ils ne pouvaient en profiter, parce qu’ils n’auraient pas eu le temps de faire leur négoce : seulement, ils purent employer les vents variables du mois qui la termine, à sortir du golfe Persique à caboter sur la côte de Maskat ; et leur retour au port d’Atsiom-Gaber put être effectué à la mi-janvier de l’année seconde du départ ; alors une nouvelle expédition avait le temps de se préparer pour partir à la fin de mai, qui commençait l’année troisième.

Dira-t-on que les Tyriens ont exploité le commerce du golfe Persique par un moyen qui a encore lieu aujourd’hui ? c’est-à-dire, par les caravanes des arabes, se rendant à travers le désert, soit à l’Euphrate, soit directement au golfe ? Il est vrai que plusieurs passages des psaumes de David, des prophètes, et surtout d’Ézéqiel, indiquent que les Tyriens surent tirer ce parti des Bédouins, en tout temps, dévoués à celui qui les salarie ; mais la voie du désert n’offrait guère moins d’obstacles que celle de la mer, en ce que les Tyriens étaient obligés de traverser les pays, souvent hostiles, des Juifs, des Syriens de Damas, et surtout de prolonger le pays des Babyloniens, dont les rois furent leurs ennemis acharnés. La cause de cette haine, comme de celle des Ninivites leurs prédécesseurs, s’explique même en faveur de notre hypothèse, en disant que, jaloux des richesses que les Phéniciens tiraient du commerce de l’Inde, par le golfe Persique, ils leur coupèrent d’abord la voie du désert ; puis, lorsque l’industrie tyrienne eut imaginé la voie de la mer Rouge et le circuit de l’Arabie, ils l’attaquèrent dans son foyer même, pour extirper cette dérivation du commerce indien, et le ramener en son lit ancien et naturel, le cours du Tigre et de l’Euphrate, où il fût la véritable cause de la splendeur successive de Ninive, de Babylone et de Palmyre.

On nous oppose l’opinion de plusieurs écrivains grecs qui ont nié que personne eût navigué au delà du pays de l’encens avant l’époque d’Alexandre ; ce sont les expressions d’Ératosthènes en Strabon (lib. XVI, page 769) : mais le témoignage d’Hérodote est d’un plus grand poids, lorsque, sur l’autorité des savants égyptiens et perses qu’il consulta, il raconta, qu’environ 40 ans avant lui, le roi Darius Hystaspes eut la curiosité de connaître le cours de l’Indus ; que pour cet effet il confia des vaisseaux à des hommes sûrs et véridiques, entre autres à Scylax de Kariandre, lesquels vaisseaux, après avoir descendu l’Indus depuis la ville de Kasphtyre, firent route dans l’Océan vers l’ouest, et arrivèrent, le trentième mois, au fond du golfe d’Héroopolis d’Égypte[45].

Comment Eratosthènes et d’autres anciens ont-ils négligé ce fait ? Nous répondons, avec de savants critiques : 1° parce que les anciens ont en général dédaigné les prétendus contes d’Hérodote, et nous ajoutons, 2° parce qu’ils ont été imbus d’un préjugé formellement avoué par Arrien : cet auteur, parlant des efforts inutiles d’Alexandre pour faire sortir ses vaisseaux du golfe Persique, nous dit en substance : On était persuadé à Babylone, que le golfe Persique et le golfe Arabique ayant leurs embouchures dans l’Océan, il devait exister un passage libre par mer, entre Babylone et l’Égypte ; mais personne n’était encore parvenu à doubler les caps méridionaux de l’Arabie : cette entreprise passait pour impossible, à cause de l’excessive chaleur qui dans ces latitudes rend la terre inhabitable. Arrien ajoute : Si la côte extérieure au golfe Persique eût été navigable, ou si l’on eût soupçonné la possibilité de s’en approcher, je ne doute pas que l’extrême curiosité d’Alexandre ne fût parvenue à faire reconnaître le pays par mer ou par terre[46].

L’excessive chaleur rendant la terre inhabitable ; voilà le préjugé qui a égaré presque tous les anciens, et dont ne fût pas exempt Hérodote lui-même ; avec cette différence, honorable à son caractère, qu’il n’eut point la présomption de soumettre les faits à sa théorie, et qu’au contraire, en plusieurs occasions, il a eu la candeur de nous dire : Voilà ce qu’on m’assure cela ne me paraît pas croyable ; mais peut-être d’autres le croiront. Nous verrons bientôt que cette bonne foi l’a mieux dirigé que ses censeurs.

Pour revenir à notre question, nous disons que la persuasion où l’on était à Babylone. de la possibilité du circuit de l’Arabie, avait pour. cause quelques traditions confuses ou dissimulées des anciennes navigations : leur souvenir dut s’obscurcir même chez les Orientaux, parce que les guerres continues depuis Salmanasar jusqu’à Nabuchodonosor, après avoir longtemps distrait, finirent par détruire les Tyriens et les Iduméens, agents de ces navigations, et plongèrent dans le trouble et l’ignorance, les générations qui leur succédèrent. A plus forte raison, les Grecs d’Alexandre, venus deux siècles et demi après que Tyr eut été dévastée par Nabuchodonosor, puis par Cyrus et ses successeurs, durent-ils ignorer des faits qui, par eux-mêmes, n’étaient pas éclatants ; surtout lorsque nous voyons ces mêmes Grecs peu et mal instruits dans toute l’histoire des rois ninivites et babyloniens, de qui ces faits furent contemporains.

Mais enfin, dira-t-on, ce petit peuple tyrien, séparé de la mer Rouge, par un espace de 90 lieues communes (de 2.500 toises) qu’occupaient quatre ou cinq nations souvent en guerre ; comment put-il entretenir les communications nécessaires à son commerce, et surtout comment put-il former et alimenter le matériel d’une marine soumise à beaucoup de casualités, c’est-à-dire, se procurer les métaux, les chanvres, les bois de construction, etc., quand il est avéré que les bords de la Méditerranée sont tellement dénués de ces objets, que, selon Strabon, Diodore et Pline, les indigènes n’y exerçaient la navigation qu’au moyen de grands paniers tissus de joncs ou de feuilles de palmiers, recouverts de peaux ou cuirs cousus et goudronnés ?

Sans doute ce sont là des difficultés, mais un examen attentif des faits sait les résoudre.

D’abord, quant aux communications, ce qui se passa entre Hiram et Salomon nous montre ce qui dut se passer avant et après ces princes ; il est sensible que les Tyriens durent avoir tantôt avec les Philistins, tantôt avec les rois de l’Idumée, des traités semblables à ceux qu’ils eurent avec David et Salomon, maîtres accidentels de cette contrée.

Quant au passage matériel des choses, il put se faire entièrement par terre, dans les cas d’alliance avec les Juifs et les Philistins ; mais en d’autres cas, il dut se faire par des moyens plus convenables à l’esprit d’économie d’un peuple.

Ce peuple de Tyr étant, comme l’on sait, maître de la mer de Syrie, il dut user de cet avantage pour se procurer un entrepôt rapproché, autant que possible, de la mer Rouge. Parmi plusieurs, la côte de Gaza lui en offrit un éminemment commode dans le lieu appelé El-arish qui, situé sur une plage déserte, loin des regards jaloux de tout gouvernement, avait le double mérite de la sûreté et du secret ; joignez-y un torrent d’eau douce (dit le torrent d’Égypte), à la vérité temporaire, et quelques sources saumâtres ombragées de palmiers. Ce havre, encore praticable, dut jadis être meilleur, quand les atterrissements continus de cette plage ne l’avaient pas ensablé ; sa distance au port d’Atsiom-Gaber est d’environ 45 lieues communes, c’est-à-dire de 5 à 6 journées de caravane. Le désert intermédiaire, très aride, ne peut se traverser qu’avec l’agrément des Arabes qui le parcourent ; il fut facile à un peuple riche, de mettre à sa solde des Bédouins toujours affamés ; leurs chameaux transportèrent tout ce que les Tyriens voulurent débarquer. Des discussions accidentelles avec les Iduméens, maîtres naturels d’Atsiom-Gaber, durent s’élever pour motifs d’intérêt et de péage ; elles, durent susciter l’idée de chercher ailleurs un établissement plus indépendant ; la plage au couchant du mont Sinaï, en offrait de tels ; les Phéniciens en profitèrent, de l’aveu exprès des historiens grecs, qui nomment, comme leur appartenant, une ville au local d’Elim, et un port, qui, chez les Arabes, conserve encore le nom d’El-Tor, mot identique à celui de Sour et Tyr. Ce lieu, favorisé de bonne eau douce et de palmiers dattiers, dut surtout fixer les Tyriens, qui, protégés par leurs vaisseaux, purent y être à l’abri des caprices des Arabes, leurs hôtes.

Mais ces vaisseaux, comment se trouvent-ils construits-là ? Nous répondons que les Tyriens firent alors ce qui se fait encore aujourd’hui, ce que l’histoire nous apprend s’être fait de tout temps : ils firent fabriquer sur la Méditerranée tous les agrès et les carcasses même des vaisseaux, et ils les transportèrent à dos de chameau d’un rivage à l’autre ; c’est ainsi que les Turks ont entre tenu leur marine à Suez[47], depuis Sélim ; que,Soliman, en 1538, y fit passer une flotte entière de 76 bâtiments, fabriqués à Constantinople et sur la côte de Cilicie. C’est ainsi qu’Ælius Gallus, sous le règne d’Auguste, fit passer une autre flotte de 80 galères, à 2 et 3 rangs de rames, etc.

Mais de quelle espèce étaient ces vaisseaux tyriens ? Nous l’apprenons clairement d’Ézéqiel, en son intéressant chapitre XXVII, lorsqu’il dit : O Tyr ! tes enfants (ou tes constructeurs) emploient les sapins de Sanir à faire les planches (pour les bordages ou les ponts) de tes vaisseaux ; ils emploient les cèdres du Liban à faire tes mâts ; les aunes de Bazan à faire tes rames ; les buis de Ketim, incrustés d’ivoire, à faire les bancs de tes rameurs ; les fines toiles d’Égypte bariolées, à faire tes voiles ; l’hyacinthe et la pourpre des îles de Hellas, à teindre les tentes qui ombragent (tes nautoniers) : tu dis : Je suis d’une beauté parfaite...

Nous voyons, dans ce texte, que les vaisseaux de Tyr étaient à voiles et à rames, c’est-à-dire, du genre des galères dont l’usage est immémorial sur la Méditerranée ; par conséquent cette voile fût triangulaire. Celle que l’on appelle voile latine, qui a le mérite précieux de serrer le vent au plus près.

Le texte ne spécifie pas que les vaisseaux fussent pontés ; mais cet attribut des galères nécessité par la grosse mer, est une suite indispensable.

Maintenant d’où vient, dans le texte du livre des Rois, l’expression de vaisseaux de Tarsis, construits par Salomon et par Josaphat ? Les commentateurs en ont cherché l’explication au bout du monde : elle nous semble placée sous la main, et offerte par un état de choses encore présent à nos yeux.

En effet, nous voyons qu’en matière de constructions, chaque peuple et ci-devant chaque ville maritime, par certaines raisons de calcul ou de routine, ont donné et donnent encore à leurs vaisseaux des formes particulières, d’où leur sont venus des noms distincts. Ainsi l’on distingue les vaisseaux de Hollande, par leurs hanches plus larges, par leurs quilles plus aplaties ; les vaisseaux d’Angleterre, par leurs flancs plus effilés, par leurs quilles plus tranchantes ; les vaisseaux de Venise et de Gênes (quand ces villes furent républiques), par d’autres caractères particuliers ; en sorte que de très loin en mer, un œil expert sait de quel pays et même de quel chantier est un vaisseau. Hé bien, chez les anciens cet état de choses dut avoir lieu, et alors les différences durent être d’autant plus marquées que les peuples, dans un état habituellement hostile, avaient moins de rapports. Les vaisseaux de Carthage, ceux de Syracuse, d’Athènes, de Milet, durent avoir des caractères distincts ; or parmi les anciennes villes qui eurent une marine, et par conséquent des chantiers de construction, il s’en présente une célèbre qui eut tous les moyens de construire des vaisseaux désignés par son nom. Cette ville appelée Tarsus par les Grecs, la même que notre Tarsis des Hébreux, était située sur la côte de Cilicie, la plus riche de la Méditerranée en bois de marine, et le foyer perpétuel d’une navigation active, portée jusqu’à la piraterie.

Tarsus, nous dit le savant Strabon (liv. XIV, p. 673), doit son origine aux Argéens qui, sous la conduite de Triptolème, cherchaient Io (c’est-à-dire que cette origine se perd dans les temps fabuleux). Solin, compilateur d’auteurs anciens, l’attribue à Persée (ch. XXXVIII, autre signe d’antiquité) : il ajoute qu’on l’appelait la mère des villes ; que ces peuples (les Ciliciens) avaient jadis commandé depuis la Lydie jusqu’à l’Égypte ; qu’ils furent dépossédés par les Assyriens, etc. Ceci cadre bien avec le discours de Sennachérib, disant à Ézéqiah que ses pères ont récemment conquis la ville de Adana (près de Tarsus) ; et avec l’anecdote de Jonas qui, sous le règne de Jéroboam II, environ 65 ans avant Sennachérib, s’enfuit à Tarsus, pour éviter de se rendre à Ninive : n’a-t-on pas droit de conclure qu’alors Tarsus était indépendante de Ninive ? L’épitaphe de Sardanapale, qui suppose que ce prince bâtit en un jour Tarsus et Anchialé, indique seulement qu’il répara, et qu’alors ces deux villes dépendaient des Assyriens. Le dixième chapitre de la Genèse en nommant Tarsis comme enfant, c’est-à-dire colonie de Ion, dépose dans le même sens que les Grecs en faveur de son antiquité. Quant à son industrie, Strabon continue : La rivière Kydnus traverse Tarsus, et forme au-dessous d’elle un marais navigable, qui jadis fut un port spacieux, ayant son embouchure dans la mer par un col étroit appelé Regma, c’est-à-dire rupture. Cette, ville est populeuse et a le rang de métropole ; ses citoyens ont une telle passion pour les sciences physiques et mathématiques, qu’ils ont surpassé en ce genre les écoles d’Athènes, d’Alexandrie et de toute autre ville savante qu’on pourrait nommer : il y a ceci de notable, qu’à Tarsus ce sont les indigènes qui sont les savants et les studieux ; il y vient peu d’étrangers. Ces indigènes, au lieu de rester dans leurs foyers, se livrent aux voyages pour acquérir ou perfectionner leurs connaissances ; et ces voyageurs s’expatrient volontiers pour s’établir ailleurs ; il n’en revient qu’un petit nombre : c’est le contraire des autres villes, si j’en excepte Alexandrie, etc.

Avec un tel caractère moral, et avec l’avantage des forêts de son voisinage et des métaux dont l’Asie-Mineure fut toujours riche, l’on a droit de croire que Tarsis eut très anciennement des chantiers actifs ; que par cette activité, ses constructeurs ayant acquis la science qui naît de la pratique, ils imaginèrent des formes de vaisseaux mieux calculées que celles de leurs voisins, et qui reçurent la dénomination de vaisseaux de Tarsis. Salomon, qui nous est dépeint comme un prince curieux en tout genre d’arts et de sciences, voulant avoir des vaisseaux sur la mer Rouge, et se trouvant obligé de les y construire de toutes pièces, sans être dirigé par aucune routine antérieure de son pays et de sa nation, Salomon a dû désirer de les construire sur le modèle le plus renommé, le plus parfait : il aura choisi celui de Tarsus ; et parce qu’il fallut que ces vaisseaux fussent transportés de toutes pièces par terre, pour être refaits à Atsiom-Gaber, pays sauvage et dénué d’ouvriers, ce prince habile les aura fait fabriquer ou acheter tout faits au chantier de Tarsus, opération, en pareil cas, toujours la plus économique et la plus sûre. Il est même probable que les Tyriens, dont le pays fertile, mais très petit, n’avait que des arbres fruitiers, prirent de bonne heure le même parti, et achetèrent des vaisseaux de Tarsis. Tel est le sens le plus naturel, et telle est sûrement l’origine de cette expression, vaisseaux de Tarsis, qui s’adapte très mal aux autres sens que les commentateurs lui ont donnés.

Selon les uns, Tarsis signifierait la mer, par analogie au mot grec θαλάσση ; mais plusieurs passages des écrivains juifs repoussent cette explication : par exemple Jérémie dit : On apporte de l’argent de Tarsis et de l’or d’Ophaz (c. X, v. 9). Ophaz n’est ici qu’une altération d’Ophir, causée par la ressemblance de l’r et du z dans l’alphabet chaldaïque : en tout cas, Ophaz comme Ophir, étant une ville, Tarsis qui est mise en comparaison, ne peut qu’en être une autre ; il serait ridicule de dire : L’on apporte de l’argent de la mer et de l’or d’Ophaz.

Ézéqiel, en son chapitre XXVII, dit à la ville de Tyr : Les vaisseaux de Tarsis sont tes voituriers dans tes navigations. — Que signifierait, les vaisseaux de la mer ?

Le sens ne serait pas moins disparate dans les menaces d’Isaïe (chap. XXIII), à l’époque où Salmanasar réduisit Tyr aux abois (vers l’an 727) : Malheur à Tyr ! Jetez des cris de deuil, vaisseaux de Tarsis ! la maison où ils venaient (le port de Tyr) est (ou sera) renversée[48]. On les avait taillés (ou transportés) de la terre de Ketim pour eux (Tyriens). — Habitants des îles, faites silence : ce qui a été entendu sur l’Égypte (cris de deuil à l’occasion de la conquête par l’éthiopien Sabako), Tyr l’entendra (sur elle-même). — Passez à Tarsis, jetez des cris de deuil, habitants des îles ! O fille de Tarsis (Tyr) ! écoule-toi sur la terre comme un ruisseau (de pluie).

Dans tout ce passage, si, au lieu de Tarsis, on introduit le mot mer, l’on n’a point de sens raisonnable : Passez à la mer, habitants des îles, etc. Au contraire, Tarsis convient partout à la ville de Tarsus ; et cette convenance se confirme par son adjonction, 1° au pays de Ketim, qui chez les Hébreux désigne Cypre et la côte de Cilicie ; 2° aux îles qui chez eux désignent également Rhodes et l’Archipel. — Notez qu’Isaïe appelle ici Tyr fille de Tarsis (tirant d’elle sa puissance), comme ailleurs il l’appelle fille de Sidon (tirant d’elle sa naissance).

Il dit encore (ch. 2, v. 16) : Dieu manifestera sa grandeur sur tout ce qui est orgueilleux, sur tout ce qui est élevé, sur les vaisseaux de Tarsis, et sur tout ce qui est beau à la vue. » Cette comparaison des vaisseaux de Tarsis à ce qui est beau à la vue, n’indique-t-elle pas que les vaisseaux de cette ville étaient pour ces temps-là, et surtout pour les Hébreux, montagnards ignorants, un objet d’art étonnant, qui mérita une dénomination spéciale ? Cette même comparaison de beauté se trouve dans Ézéqiel, lorsqu’au chapitre 27 ; après avoir dépeint les vaisseaux de Tarsis, il fait dire, à Tyr : Je suis d’une beauté parfaite.

Mais, objectent encore les commentateurs, on lit dans le livre des Paralipomènes[49], que les vaisseaux du roi allèrent à Tarsis, et que Josaphat fit construire des vaisseaux à Atsiom-Gaber ; pour aller à Tarsis.

Cette difficulté a été insurmontable pour ceux qui ont attribué une infaillibilité sacrée aux livres hébreux ; mais tout lecteur qui, libre de préjugé, se rappellera les erreurs chronologiques où nous avons surpris et où nous surprendrons encore l’auteur tardif et négligent des Paralipomènes ; tout lecteur qui remarquera qu’en cette occasion, comme dans plusieurs autres, il n’a tiré ses informations que du livre des Rois, qu’il n’en est même ici que le copiste littéral, à l’exception du mot aller[50], pensera qu’il a été trompé par l’expression vaisseaux de Tarsis, et que, selon l’erreur de son siècle, ayant cru qu’on les envoyait dans ce pays, il a, de son chef, introduit le mot aller : voilà l’unique base sur laquelle repose l’hypothèse qui veut que les vaisseaux de Salomon, et par suite ceux des Tyriens, aient fait habituellement le tour de l’Afrique, pour arriver à Tartesse, supposée Tarsis ; trajet si inconcevable pour tous les anciens, que Hérodote même qui, sur la foi des prêtres égyptiens, en a cité un exemple extraordinaire, paraît en douter, et que tous les anciens l’ont considéré comme une fable[51].

L’on sent que nous parlons du voyage de ces Phéniciens qui, sous Nekos, roi d’Égypte, firent voile du fond de la mer Rouge, et qui, ayant navigué pendant deux années, doublèrent à la troisième année les colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) ; et revinrent en Égypte (Hérodote, lib. IV). Cette troisième année n’a pas laissé de contribuer à l’erreur, par la fausse ressemblance avec le verset qui dit que les vaisseaux de Salomon allaient chaque troisième année. Récemment on a voulu substituer à cette hypothèse celle du voyageur Bruce, qui a,prétendu trouver un pays de Tarshish, en Abyssinie ; mais quiconque a connu Bruce, ou qui a lu son livre avec attention, sait que les assertions systématiques et présomptueuses de cet écrivain, ne peuvent être reçues sans preuves positives. Terminons cet article par une dernière remarque.

Selon d’anciens monuments arabes recueillis et cités aux neuvième et dixième siècle de notre ère., par les Musulmans, il existait d’autres versions, d’autres traditions que celle de la Genèse sur les origines arabes. Le plus savant de leurs historiens, Maséoudi[52], déclare, d’après des auteurs respectés, que les plus anciens peuples de la péninsule furent quatre tribus appelées Aad, Tamoud, Tasm et Djodaï (ou Djedis).

Aad habita le Hadramaut.

Tamoud habita le Hedjaz et le rivage de la mer de Habash (le Téhama).

Tasm habita les Ahouaz et la Perse méridionale.

Enfin Djodaï habita le pays de Hou, qui est le Iémama.

Or, ces Arabes, ajoute-il, soumirent l’Iraq (la Babylonie), et y habitèrent.

Il y a ici une analogie marquée avec la Genèse : le pays de Hedjaz ou Téhama, l’Iraq et le midi de la Perse, sont les mêmes pays que le livre juif attribue aux peuples noirs venus de Kush, soit immédiatement, soit médiatement par Nimrod ; ces premiers Arabes seraient donc les Kushites de la Genèse (les Arabes noirs), et cette conséquence est appuyée par un monument arabe qui, parlant du puits de Moattala, chez les Madianites, comme de l’une des merveilles du monde, remarque que les Madianites descendaient des deux tribus Aad et Temoud (voyez Notice des manuscrits orientaux, tome II). Or, nous savons par les Hébreux que les Madianites, dont Moïse épousa une femme, étaient des Kushites, des Éthiopiens.

Ces premiers Arabes furent attaqués et finalement expulsés par une autre race se prétendant issue de Sem, et parente des Assyriens et des Chaldéens ; sur quoi l’historien Hamza observe qu’il y avait une autre manière de raconter l’histoire de ces tribus, lorsqu’il dit :

Tel est le récit des Iamanais sur leur origine ; mais j’ai lu dans des écrivains qui s’autorisent d’Ebn-Abbas, que les vrais Arabes, au nombre de dix peuples, comptaient leurs années à dater d’Aram, et que ces dix peuples ou familles étaient Aad, Tamoud, Tasm, Djedis, Amaleq, Obil, Amim, Ouabsar, Djasem et Qahtan : ces familles désignées par le nom d’Arman, avaient déjà péri en partie, quand, les derniers coups furent portés par Ardouan, roi (de la dynastie perse) des Ashganiens.... Jusque-là ces Arabes comptaient leurs années à dater d’Aram. Enfin elle furent entièrement détruites par Ardeshir Babeqan (vers les années 130 de notre ère et suivantes).

Il est fâcheux que les Arabes ne nous aient pas donné l’époque de cet Aram. Au reste, pour raisonner sur ce récit, il nous faudrait entrer dans trop de détails. La principale conséquence que nous en voulons tirer, est que les Arabes ayant eu des opinions diverses sur leurs antiquités, la version adoptée par Helqiah n’a pas le droit d’être préférée sur parole et sans aucune discussion, surtout lorsqu’aux neuf, dix et onzième siècles, il existait encore en Orient beaucoup de livres d’origine perse et chaldéenne, dont la composition première pouvait être contemporaine des monuments où puisa Helqiah. Le résultat le plus probable qui nous semble indiqué par tous ces récits, est qu’effectivement à une époque reculée, l’Arabie eut deux races d’habitants, les uns ayant la peau et des yeux noirs avec les cheveux longs, c’est-à-dire vrais Éthiopiens ; comme leurs voisins d’Axoum et de Méroë[53] ; les autres plus ressemblants aux Assyriens, du pays desquels ils peuvent être venus ; les uns et les autres parlant un langage identique dans ses principes et dans ses règles de grammaire et de construction. Cette circonstance indique qu’originairement ils sortirent d’une même souche, dont une branche habitant le midi, reçut l’impression du soleil africain ; l’autre s’étant répandue plus au nord, prit une constitution adaptée à son climat. En remontant plus haut, cette souche première est-elle née en Abyssinie, ou en Arabie, ou en Assyrie ? C’est un problème que nous n’entreprendrons point de résoudre : seulement nous dirons que si, selon la remarque des anciens, la péninsule arabe, et spécialement son grand désert, n’ont jamais été conquis, ses habitants ne doivent point avoir été le produit d’une invasion subite d’étrangers qui n’y auraient trouvé ni subsistances, ni appât du pillage ; tandis que ces mêmes habitants dressés à la vie guerrière par la dureté de leur climat, par la nécessité journalière de supporter la soif et la faim, par le besoin de changer chaque jour de site et de campement, ont eu sans cesse les motifs, et de temps à autre les moyens de se porter sur les pays riches de leurs voisins, par des irruptions semblables à. celles de leurs sauterelles ; et lorsque d’autre part ces mêmes anciens nous assurent que. tous les peuples répandus de l’Euxin aux sources Au Nil, de la Perse à la Méditerranée, leur offraient un même fonds de constitution physique, de lois, (le mœurs et surtout de langage, l’on adroit de conclure qu’à des époques inconnues de l’histoire, de telles irruptions ont eu lien, alors que des hommes à talent, tels que Mahomet et Moïse, eurent l’art de rassembler les diverses tribus arabes sous un seul drapeau, en détournant leurs passions et leurs jalousies vers un même but. Par cette raison, l’Abyssinie ou Éthiopie, pays abondant et fécond en majeure partie, devrait avoir été envahie par des Arabes qui en chassèrent les, nègres crépus, avant que, par un retour subséquent, ces émigrés arabes, devenus nombreux et puissants, eussent reporté leur action sur la mère patrie[54] ; mais ce sont là des conjectures de raisonnement ; et nous n’avons pas à leur appui des faits positifs fondés sur des monuments.

 

Résumé.

Maintenant, si nous résumons les résultats que nous ont fournis ces derniers, nous pensons avoir établi comme vraies les propositions suivantes

1° Que le livre appelé la Genèse est essentiellement distinct des quatre autres qui suivent ;

2° Que l’analyse de ses diverses parties démontre qu’il n’est point un livre national des Juifs, mais, un monument chaldéen, retouché et arrangé par le grand-prêtre Helqiah, de manière à produire un effet prémédité, à la fois politique et religieux[55] ;

3° Que la prétendue généalogie mentionnée au dixième chapitre ; n’est réellement qu’une nomenclature des peuples connus des Hébreux à cette époque, formant un système géographique dans le style et selon le génie des Orientaux ;

4° Que la prétendue chronologie antédiluvienne et postdiluvienne, si invraisemblable, si choquante même, n’est, jusqu’au temps de Moïse, qu’une fiction allégorique des anciens astrologues, dont le langage énigmatique ; comme celui des modernes alchimistes, a induit en erreur, d’abord le vulgaire superstitieux, puis, avec le laps de temps, les savants mêmes ; qui perdirent la clef des énigmes et de la doctrine secrète ;

5° Que la véritable chronologie n’a dû, n’a pu commencer qu’avec la véritable histoire de la tribu juive ; c’est-à-dire à l’époque où son législateur Moïse l’organisa en corps de nation ;

6° Que néanmoins à cette époque même aucun calcul, régulier ne se montre dans les livres hébreux ; que, c’est seulement à dater du pontificat de Héli, douze siècles avant notre ère, que l’on parvient à saisir une chaîne continue de temps et de faits méritant le nom d’Annales ;

7° Enfin, que ces annales ont été rédigées avec tant de négligence, copiées avec tant d’inexactitude, qu’il faut tout l’art de la critique pour les restaurer dans un ordre satisfaisant.

De toutes ces données il résulte avec évidence que les livres du peuple juif n’ont point le droit de régir les annales des autres nations, ni de nous éclairer exclusivement sur la haute antiquité ; qu’ils ont seulement le mérite de nous fournir des moyens d’instructions sujets aux mêmes inconvénients, soumis aux mêmes règles de critique que ceux des autres peuples ; que c’est à tort que jusqu’ici l’ont a voulu faire de leur système le régulateur de tous les autres ; et que c’est par suite de ce principe erroné que les écrivains se sont trouvés pris dans un filet inextricable de difficultés, en voulant. forcer tantôt les événements anciens de descendre à des dates tardives, tantôt des événements récents de’ remonter à des temps reculés : ce genre de désordre qui a surtout eu lieu dans l’histoire des Empires de Ninive et de Babylone, va devenir pour nous une raison d’eu faire un nouvel examen, et de fournir une nouvelle preuve de la bonté de notre méthode.

 

 

 



[1] Phaleg et Canaan.

[2] Commentaires sur la Bible.

[3] Histoire du Ciel.

[4] Geographiœ Hebrœorum exterœ spicilegium.

[5] Roush montre sa trace dans l’Erusheti de Danville, canton à l’ouest de Gokia.

[6] Hérodote, liv. VII.

[7] Selon la plupart chronologistes modernes, 1130 ans avant J.-C. , comment concilient-ils cette date avec la composition de la Genèse par Moïse 300 ans avant ?

[8] Hérodote, lib. VII.

[9] Scholiaste Aristophanus in Acharn.

[10] Page 49.

[11] Hérodote, lib. II, § XLIV.

[12] Phaleg., lib. IV, chap. 27.

[13] Le nom de Kush semble s’être conservé dans guiz ou guis, qui est le nom antique du langage éthiopien ; l’idiome guiz.

[14] Odyssée, lib. I, v. 22. Strabon entend ce vers d’Homère des Éthiopiens sur la rive ouest, et des Arabes sur la rive est du golfe arabique, et c’est l’idée de la Genèse.

[15] Voyez Ptolémée, Geog. in fol., Tabula Asiæ sexta.

[16] Danville, carte d’Asie première.

[17] Voyez Danville, carte d’Arabie ; hagiar ou hagar signifie pierre, pierreux, et tels sont les rochers de Hidjar.

[18] Samuel, lib. I, chap. 15, v. 7.

[19] Paralipomènes, liv. II, chap. 14.

[20] Strabon aurait donc eu raison d’interpréter en ce sens le vers d’Homère qui partage les Éthiopiens en deux pays (par la mer).

[21] Tome II, col. 1239 et 1240. Voyez aussi Assemani, Biblioth. syriac., tom. III, pars II, page 744.

[22] Hieronym., Quest. in Genes., cap. 10, n°. 10.

[23] Plusieurs divinités chez les Chaldéens ont eu le nom de Bel ou Baal, qui signifie Dieu et Seigneur. Alexandre Polyhistor parle de Bélus l’ancien, appelé Kronos (ou Saturne), de qui naquirent un second Bélus ou Bélus le jeune, ayant pour frère Canaan. Il ajoute que Canaan fut père des Phéniciens et eut pour fils Chum, appelé par les Grecs Asbolos, c’est-à-dire couleur de suie, lequel Chum eut pour frère Mesraim, père des Éthiopiens et des Égyptiens : l’on voit ici une même version des mêmes idées, des mêmes traditions que la Genèse. Voyez Eusèbe, Præpar. evang., lib. IX, chap. 17. Dans la Chronique d’Alexandrie, page 17, un premier Bélus est Saturne ; après lui Picus règne 30 ans ; après Picus un second Bélus règne 2 ans : celui-ci est la planète de Mars, dont la révolution dure effectivement 2 ans ; c’est par erreur que l’auteur attribue les 30 à Picus-Jupiter, puisqu’ils appartiennent à Saturne, dont la révolution dure cet espace de temps.

[24] Zend-Avesta, tome II, pages 402 et 456 ; et tome I, partie II, page 272, note 3.

[25] Phaleg. et Chanaan, lib. II, cap. 6.

[26] Geographia Hebrœorum extera, page 114.

[27] Samuel, lib. II, cap. 8, v. 5 et 6.

[28] Le psaume LX a commis la même faute.

[29] Voyez Assemani, Biblioth. syriac., tome I, pages 533 à 539 ; tome III, part. I, page 3.

[30] Samuel, lib. I, chap. 14, v. 4.

[31] Eusèbe, Præpar. evang., lib. IX, chap. 30.

[32] Rois II, cap. 18.

[33] Jérémie, chap. 49, v. 23.

[34] Ce pays de Qir, prononcé Koïr par les Arméniens, doit être celui du fleuve Kur, au nord de l’Arménie : à moins que l’on ne préfère le pays des Karhi, peuples belliqueux, mentionnés par Polybe, lib. V, chap. 10, comme habitant les vallées de l’ouest du lac de Van. Isaïe, chap. 22, et Amon, ch. I, v. 5, parlent de Qir au grand bouclier.

[35] Peut-être un jour des dieux (un an).

[36] Jérémie, chap. 39 et 49.

[37] Nombres, 33, v. 23.

[38] Specimen historiæ Arabum.

[39] Agatharchides, de mari Rubro, page 59 ; Artemidorus in Strabone, lib. XVI ; Diodore Sicul., lib. III, § XLV.

[40] Recherches sur la Géographie des anciens, par M. Gosselin, in-4°, tome I, page 121.

[41] Mémoire de M. Tychsen, De commercii et navigatione Hebrœorum, page 165.

[42] Eusèbe, Præpar. evang., lib. IX, cap. 30.

[43] M. Seetzen, dans la Correspondance de M. le baron de Zach, nomme celui-ci Ophir, en toutes lettres, et énonce la même opinion d’identité. (Note communiquée).

[44] C’est la valeur des 540 stades allégués par Hérodote, lib. II, § CVI, de l’espèce de ceux dont on comptait 1620 entre Héliopolis et la mer Scylax, qui compte un jour et demi de navigation entre la Corse et l’Italie, nous donne la même mesure, puisqu’il y a 23 lieues.

[45] Hérodote, lib. IV, § XLIV : ce Scylax est l’auteur même du Périple qui porte son nom, comme l’a démontré Sainte-Croix.

[46] Arrien, Rerum Indicarum, chap. 43 ; et De expeditione Alexandri, lib. 7, chap. 20 : il est étonnant qu’Arrien, homme d’esprit, n’ait pas vu que la prétendue impossibilité alléguée de sortir du golfe Persique eut la même cause que le découragement qui, sur les bords de l’Indus, s’opposa à ce que le conquérant poussât plus loin les expéditions guerrières dont son armée était excédée.

[47] Voyez Thévenot, Voyage, liv. II, chap. 24 ; Niebuhr, Voyage, tome I, page 172 : et Volney, Voyage en Syrie, t. I ; tous témoins oculaires de ces transports.

[48] L’hébreu autorise également le futur et le présent.

[49] Liv. II, chap. 9, v. 22 ; chap. 20, v. 36.

[50] Et aussi du mot Almogim, qu’il altère en Algomim, comme il a fait Argoun au lieu d’Argmoun dans Ézéqiel, chapitre 28. Un autre exemple d’altération et d’erreur de la part des Paralipomènes, est le pays de Parvaim ou Pherouim, dont ils vantent l’or. Quelques paraphrastes n’ont pas craint d’y voir le Pérou ; nous y voyons tout simplement l’altération du mot Sapherouim, dont l’s initial a disparu, et qui désigne l’un des peuples cités par Sennachérib, et connu des Grecs sous le nom de Sapires et Saspires, voisin de la Colchide, et riche en or natif recueilli dans les torrents.

[51] Des savants modernes sont du même avis. En rendant hommage à leur talent, nous ne pouvons souscrire à cette opinion, parce que ses principaux motifs pèchent dans leurs bases. Les Phéniciens, dit Hérodote, ayant navigué dans la mer australe, quand l’automne fut venu, abordèrent à l’endroit de la Libye où ils se trouvèrent, et ils semèrent du blé. Ils attendirent le temps de la moisson, et après la récolte ils se remirent en mer.

L’on attaque ce récit : on nie que les Phéniciens aient connu l’état des saisons de l’autre côté de l’équateur ; et qu’ils aient pu semer en temps opportun : l’on veut même que cette expression de semer en automne, prouve un mensonge de leur part.

Laissons à part leurs connaissances possibles qui sont des conjectures : quant aux mots semer en automne, ils ne viennent pas des Phéniciens, mais d’Hérodote qui, écrivant 150 ans après eux sur le récit des prêtres, et qui n’ayant aucune idée de ce qui se passait de l’autre côté de la ligne, y a supposé l’ordre physique et rural de celui-ci : il a même supposé qu’ils semèrent du blé, et cela par le préjugé des Européens, qui croient qu’on ne vit pas sans blé, tandis que chez les Asiatiques, tels que les Égyptiens et les Syriens, il n’est qu’une près petite portion des comestibles : l’on peut assurer que les navigateurs qui ont eu l’idée d’une telle entreprise, auront préféré, toute autre espèce de grain, exigeant le moins de temps possible pour être récolté, tel que les lentilles, les pois, les haricots, le doura, le maïs et l’orge, auxquels 2 ou 3 mois de terre suffisent, et sur la convenance desquels les Phéniciens auront eu des connaissances préliminaires acquises dans leurs voyages antérieurs sur les côtes d’Éthiopie et d’Arabie.

A leur retour en Égypte, ils racontèrent qu’en faisant voile autour de la Libye, ils avaient eu le soleil à leur droite. Ce fait, ajoute Hérodote, ne me paraît pas croyable : peut-être le paraîtra-il à quelque autre.

L’on veut que cette circonstance soit une preuve de fausseté, parce que, dit-on, les Phéniciens ne pouvant se guider que par les étoiles de l’un ou de l’autre pôle, n’ont pu avoir le soleil qu’au visage ou au dos, et que pour l’avoir à main droite, il aurait fallu qu’ils prissent leur point de direction au couchant, ce qu’on ne peut admettre. Nous pensons, tout au contraire, voir ici une preuve de vérité d’autant plus lumineuse qu’Hérodote n’y croit point. Cet auteur, comme tous les Grecs, a cru que l’on ne pouvait passer sous la ligne à cause d’une prétendue chaleur excessive ; il a donc conçu que les Phéniciens avaient fait le tour de l’Afrique sans avoir passé l’équateur ; que dans ce cas, naviguant vers l’occident, ils ont dû avoir toujours le soleil sur leur gauche ; mais puisque les Phéniciens traversèrent l’équateur, alors ils arrivèrent au cap de Bonne-Espérance ; forcés par la direction de cette côte de se diriger au couchant pendant plusieurs semaines, ils eurent réellement le soleil sur leur droite ; et toutes ces circonstances, combinées avec le temps suffisant qu’ils employèrent, nous paraissent mettre leur navigation hors de doute.

[52] Notice des manuscrits orientaux, tome I, extrait du Moroudj-el-Dahab, page 28.

[53] Si les Phéniciens sont vraiment originaires du Tehama, ils seraient de cette race, et cela est indiqué par la parenté de Canaan avec Kush.

[54] Le mot Éthiopie n’est point connu des Arabes, qui le remplacent par le mot Habash, dont les Européens ont fait Abyssin, Abyssinie ; mais ce mot Habash a précisément le sens du mot Arab, car l’un et l’autre signifient mélange d’hommes divers. En hébreu Arab signifie turba mixta, en arabe Habash aussi turba mixta. Voyez les Dictionnaires.

[55] L’on ne saurait douter qu’à l’époque où écrivit Helqiah, 620 ans avant notre ère, les livres sacrés des Indiens désignés sous le nom de Pouranas, ne fussent connus des Assyriens, qui avaient des relations de commerce avec la Syrie. Or, il est vraiment remarquable que les conditions établies, pour la composition d’un Pourana se trouvent exactement observées dans le Pentateuque. Les savants Brahmes (dit Sr. W. Jones, tome VI de ses Œuvres, in-4°, page 445) disent que cinq conditions sont requises pour constituer un véritable Pourana :

1° Traiter de la création de la matière en général ;

2° De la création ou production des êtres secondaires matériels et spirituels ;

3° Donner un abrégé chronologique des grandes périodes du temps ;

4° Un abrégé généalogique des grandes familles qui ont régné dans le pays ;

5° Enfin l’histoire de quelques grands personnages en particulier.

N’est-ce pas là précisément le sommaire de la Genèse et des quatre autres livres ; et n’est-il pas probable que le grand-prêtre a été guidé et encouragé dans son travail par des modèles accrédités et par le succès de tout livre de ce genre ?