CHAPITRE XI. — Examen de la
Genèse en particulier.
POUR rendre à Moïse ce qui peut lui appartenir dans cette
composition, il faut la diviser en deux parties ; l’une, la partie religieuse
et législative, contenant les ordonnances de rites et de cérémonies, les
préceptes, commandements et prohibitions qui constituent. la loi de Moïse, et
que l’on trouve répandus dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres
et le Deutéronome ; l’autre, la partie purement historique et chronologique
qui expose les faits, leur série, la manière dont ils sont arrivés ; et
celle-là dont le début est au Ier chapitre de l’Exode, est le travail du
grand-prêtre Helqiah, qui en a fait la rédaction d’après les écrits et
monuments anciens dont il a pu disposer. Le livre de la Genèse se trouve
ici dans un cas particulier ; car, bien qu’il soit un livre historique, on ne
saurait le considérer comme appartenant aux Juifs, ni comme un livre
national, puisque son sujet comprend un espace de temps où ce peuple n’existait
pas ; où il n’avait point d’archives, et ne pouvait rien conserver.... Or, si
depuis Moïse, dans toute la période des juges, les Juifs en corps de nation n’ont
point eu ou n’ont point su conserver d’annales ; si avant Moïse, le temps de
leur séjour en Égypte, dans un état de servitude qui exclut tout autre soin,
est resté dans une profonde obscurité faute de monuments, comment se
pourrait-il qu’ils eussent conservé des annales Intérieures, surtout des
annales aussi détaillées que celles des anecdotes de la vie : de Joseph, de
son père Jacob et d’Abraham leur souche commune ? Et quand ce point serait
accordé, alors qu’Abraham, de leur aveu, naquit Chaldéen, tout ce qui précède
cet homme, vrai ou fictif, n’est-il pas un récit chaldéen, uniquement fondé
sur les traditions et les monuments des Chaldéens ? La Genèse, du moins au-dessus
d’Abraham, n’est donc pas une histoire juive, mais un monument que les Juifs
ont emprunté d’un peuple étranger, qu’ils ont reconnu pour leur aïeul.....
Or, comment a pu se faire une telle naturalisation, surtout lorsqu’un article
de ce livre paraît contraire à la loi de Moïse ? Voilà un problème absolument
inexplicable dans le système des opinions reçues, mais il s’explique
naturellement dans le nôtre.
Le grand-prêtre Helqiah ayant conçu le projet de ranimer
la ferveur des Juifs, de retremper leur esprit national, en ressuscitant la loi
de Moïse, dut croire que son dessein, ne serait pas assez rempli ; s’il ne publiait
que le code des rites et ordonnances des 4 livres. C’était la
mode alors d’avoir des cosmogonies, et d’expliquer l’origine de toutes choses
; celle des nations et celle du monde ; chaque peuple avait son livre sacré ;
commençant par une cosmogonie : les Grecs avaient la Cosmogonie d’Hésiode
; les Perses, celle de Zoroastre ; les Phéniciens, celle de Sanchoniaton ;
les Indiens avaient les Vedas et les Pouranas ; les Égyptiens avaient les 5 livres d’Hermès,
portés solennellement dans la procession d’Isis, que décrit Clément d’Alexandrie.
Helqiah voulant donner aux Juifs un livre qui leur servît d’étendard, et,
pour ainsi dire, de cocarde nationale, trouva nécessaire d’y joindre une cosmogonie.
L’inventer de son chef eût compromis tout l’ouvrage ; son peuple d’origine
chaldéenne, avait conservé plusieurs traditions maternelles ; Helqiah, qui comme
Jérémie, son agent, penchait politiquement pour la Chaldée de préférence à
l’Égypte, adopta avec quelques modifications la cosmogonie babylonienne ;
voilà la source vraie et radicale de la ressemblance extrême que l’historien
juif, Josèphe, et les anciens chrétiens ont remarquée entre les 11 premiers,
chapitres de la Genèse
et les antiquités chaldaïques de Bérose, sans que ces auteurs aient élevé le
moindre soupçon de plagiat. Le droit d’aînesse des Chaldéens et l’antiquité
de leurs monuments étaient alors trop notoires pour que personne imaginât qu’un
peuple aussi puissant, aussi fier de ses arts et de ses sciences que les
Babyloniens, eût emprunté les traditions mythologiques d’une petite tribu qu’il
regardait comme schismatique et rebelle, et qu’il avait rendue son esclave.
Aujourd’hui que par la bizarrerie des révolutions humaines, toute la gloire
de Babylone a disparu comme un songe, et que Jérusalem couverte de ruines, de
chaînes et de mépris, voit l’univers soumis à ses opinions, il est devenu
facile de récuser des témoins qui n’ont plus de représentants, de réfuter des
écrits dont il ne reste plus que des morceaux incohérents : cependant, si l’on
recueille et confronte ces morceaux, on y trouve encore de quoi persuader
tout esprit impartial de l’identité des cosmogonies juive et chaldéenne ; et
de faire sentir que le système faussement attribué à Moïse, a été un système
commun à beaucoup de peuples de l’ancien Orient, et dont on retrouve des
traces jusqu’au Thibet et dans l’Inde.... Nous ne prétendons point
approfondir ce sujet, qui serait la matière d’un gros volume ; mais par
quelques exemples nous voulons prouver jusqu’à quel point une analyse exacte
pourrait porter l’évidence.... Citons d’abord le témoignage de l’historien
Josèphe, qui, vu son caractère, est du plus grand poids dans cette question.
CHAPITRE XII. — Du Déluge.
D’ABORD, dans la défense du peuple juif contre les
attaques d’Apion[1],
recueillant les témoignages répandus dans les écrits de diverses nations, maintenant, dit-il, j’interpellerai
les monuments des Chaldéens, et mon témoin sera Bérose, né lui-même Chaldéen,
homme connu de tous les Grecs qui cultivent les lettres, à cause des écrits
qu’il a publiés en grec, sur l’astronomie et la philosophie des Chaldéens.
Bérose donc, compulsant et copiant les plus anciennes histoires, présente les
mêmes récits que Moïse, sur le déluge, sur la destruction des hommes par les eaux,
et sur l’arche dans laquelle Noux[2] [Noé ] fut sauvé et qui s’arrêta sur les montagnes d’Arménie ;
ensuite, exposant la série généalogique des descendants de Noux, il fixe le
temps où vécut chacun d’eux, et il arrive jusqu’à Nabopolassar,
etc.
Ainsi l’histoire de Noé, du déluge et de l’arche, est une
histoire purement chaldéenne, c’est-à-dire que les chapitres 6, 7, 8, 9, 10
et 11, sont tirés des légendes sacrées des prêtres de cette nation, à une
époque infiniment reculée. Il est très fâcheux que le livre de Bérose ne nous
soit point parvenu ; mais la piété des premiers chrétiens le regardant comme
dangereux[3], paraît l’avoir
supprimé de bonne heure. Josèphe en cite un texte positif sur le fait du
déluge, dans ses Antiquités Judaïques, livre 1er, chap. 6.
De ce déluge,
dit-il, et de l’arche font mention tous les
historiens asiatiques ; Bérose, entre autres, en parle ainsi : On prétend qu’une
partie de cette arche subsiste encore sur les monts Korduens (Kurdestan) en Arménie ; et quelles dévots en retirent des morceaux
de bitume, et vont les distribuant au peuple, qui s’en sert comme d’amulettes
contre les maléfices. Josèphe continue.... Hiérôme, l’Égyptien, qui a écrit sur les antiquités phéniciennes,
en parle aussi de même, que Mnaseas et plusieurs autres. Nicolas de Damas
lui-même, dans son livré 96e, dit :
Au-dessus de Miniade, en Arménie,
est une haute montagne appelée Baris ; où l’on raconte que beaucoup de
personnes se sauvèrent au temps du déluge, qu’un homme, monté sur un
vaisseau, prit terre au sommet, et que longtemps les débris de ce vaisseau y
ont subsisté. Cet homme pourrait être celui dont parle Moïse, le législateur
des Juifs.
On voit que Josèphe est loin d’inculper Bérose et les
autres historiens, d’un plagiat envers Moïse, qu’il croit auteur de la Genèse ; qu’au contraire
il invoque les monuments chaldéens, phéniciens, arméniens, comme témoins
premiers et originaux, dont la
Genèse n’est qu’une émanation ou un pair.
Quant au détail du déluge, nous les trouvons, 1° dans un
fragment d’Alexandre Polyhistor, savant compilateur du temps de Sylla, dont
le Syncelle nous a transmis plusieurs passages précieux : 2° dans un fragment
d’Abydène, autre compilateur qu’Eusèbe nous représente comme ayant consulté
les monuments des Mèdes et des Assyriens[4] ; ce qui explique
pourquoi il diffère quelquefois de Bérose, dont le Syncelle l’appelle le copiste,
avec Alexandre Polyhistor[5]. Ce que la Genèse raconte de Nouh
ou Noé, ces auteurs le racontent de Xisuthrus, avec des
variantes qui prouvent la diversité des monuments antiques, d’où émanaient
ces récits. Un tableau comparé des textes sera plus éloquent que tous les
raisonnements.
Monuments chaldéens, copiés par Alexandre Polyhistor, en son second livre[6].
Xisuthrus fut le 10e
roi (comme
Noé fut le 10e patriarche) :
sous lui arriva le déluge.... Kronos (Saturne) lui ayant apparu en songe, l’avertit que le 15 du mois
Dœsius, les hommes périraient par un déluge : en conséquence il lui ordonna
de prendre les écrits qui traitaient du commencement, du milieu, et de la fin
de toutes choses ; de les enfouir en terre dans la ville du soleil, appelée
Sisparis ; de se construire un navire, d’y embarquer ses parents, ses amis,
et de s’abandonner à la mer. Xisuthrus obéit ; il prépare toutes les provisions,
rassemble les animaux quadrupèdes et volatiles ; puis il demande où il doit
naviguer ; vers les Dieux, dit Saturne, et il souhaite aux hommes toutes
sortes de bénédictions. Xisuthrus fabriqua donc un navire long de cinq stades
et large de deux ; il y fit entrer sa femme, ses enfants, ses amis et tout ce
qu’il avait préparé. Le déluge vint, et bientôt ayant cessé, Xisuthrus lâcha
quelques oiseaux qui, faute de trouver où se reposer, revinrent au vaisseau :
quelques jours après il les envoya encore à la découverte ; cette fois les
oiseaux revinrent ayant de la boue aux pieds ; lâchés une troisième fois, ils
ne revinrent plus : Xisuthrus concevant que la terre se dégageait, fit une
ouverture à son vaisseau, et comme il se vit près d’une montagne, il y
descendit avec sa femme, sa fille et le pilote ; il adora la terre, éleva un
autel, fit un sacrifice, puis il disparut, et ne fut plus vu sur la terre
avec les trois personnes sorties avec lui.... Ceux qui étaient restés dans le
vaisseau ne les voyant pas revenir, les appelèrent à grands cris : une voix
leur répondit en leur recommandant la piété, etc., et en ajoutant qu’ils
devaient retourner à Babylone, selon l’ordre du destin, retirer de terre les
lettres enfouies à Sisparis, pour les communiquer aux « hommes ; que’ du
reste le lieu où ils se trouvaient était l’Arménie. Ayant ouï ces paroles,
ils s’assemblèrent de toutes parts, et se rendirent à Babylone. Les débris de
leur vaisseau, poussés en Arménie, sont restés jusqu’à ce jour sur les monts
Korkoura ; et les dévots en prennent de petits morceaux pour leur servir de
talismans contre les maléfices. Les lettres ayant été retirées de terre à
Sisparis, les hommes bâtirent des villes, élevèrent des temples, et
réparèrent Babylone elle-même.
Récit du livre hébreu, la
Genèse.
Et les dieux (Elahim) dit à Noh
: Fais-toi un vaisseau, divisé en cellules et enduit de bitume : sa longueur
sera de 300 coudées, sa largeur de 50, sa hauteur de 30. Il aura une fenêtre
d’une coudée carrée. Je vais amener un déluge d’eau sur la terre ; tu
entreras dans l’arche, toi, tes fils, ta femme et les femmes de tes fils ; et
tu feras entrer un couple de tout ce qui a vie sur la terre, oiseaux,
quadrupèdes, reptiles : tu feras aussi des provisions de vivres pour toi et
pour eux. Noh fit tout ce que Dieu (Elahim) lui
avait ordonné : et Dieu (Iahouh) dit encore : Prends sept
couples des animaux purs, et deux seulement des impurs ; sept couples aussi
des volatiles.... Dans sept jours je
ferai pleuvoir sur terre pendant 40 jours et 40 nuits : et Noh fit ce qu’avait
prescrit (Iahouh) ; il entra dans l’arche âgé de 600 ans ; et après sept
jours, dans le second mois, le 17 du mois, toutes les sources de l’Océan
débordèrent, et les cataractes des cieux furent ouvertes ; et Noh entra dans
le vaisseau avec sa famille et tous les animaux ; et la pluie dura 40 jours
et 40 nuits ; et les eaux élevèrent le vaisseau au-dessus de la terre ; et le
vaisseau flotta sur les eaux ; et elles couvrirent toutes les montagnes qui
sont sous les cieux, à 15 coudées de hauteur ; et tout être vivant fut
détruit ; et les eaux crurent pendant 50 jours ; et Dieu (Elahim) se ressouvint de Noh ; il fit souffler un vent ; les eaux
se reposèrent ; les fontaines de l’Océan et les cataractes du ciel se
fermèrent, et la pluie cessa ; et les eaux s’arrêtèrent au bout de 150 jours,
et le 7e mois, au 17e jour, l’arche se reposa sur le
mont Ararat en Arménie, et les eaux allèrent et vinrent diminuant jusqu’au 10e
mois ; et le 10e mois au 1er jour, on vit les cimes des
montagnes ; 40 jours après (le 10e du 11e mois), Noh ouvrit la fenêtre du vaisseau, et lâcha le corbeau,
qui alla volant jusqu’à ce que les eaux se retirassent ; et Noh lâcha la
colombe qui, ne trouvant point où reposer le pied (les cimes étaient pourtant
découvertes), revint au vaisseau, et après
7 jours (le
17 du 11e mois), Noh la renvoya
encore, et elle revint le soir portant au bec une feuille d’olivier ; et 7
jours après (le
24 du 11e mois), il la lâcha
encore, elle ne revint plus. L’an 601 de Noh, le 1er du mois, 7
jours après le dernier départ de la colombe, la terre fut sèche, et Noh leva
le couvercle du vaisseau, et il vit la terre sèche, et le 27e du
second mois, la terre fut sèche ; et Dieu (Elahim)
lui dit de sortir avec toute sa famille et tous les animaux ; et Noh dressa
un autel et y sacrifia des oiseaux et des animaux purs ; et (Iahouh) Dieu en respira l’odeur avec plaisir, et dit : Je n’amènerai
plus de déluge ; et il donna des bénédictions et des préceptes à Noh : ne pas
manger le sang des animaux (précepte de Moïse : l’âme
est dans le sang) ; de ne pas
verser le sang des hommes, etc. ; et il fit alliance avec les hommes ; et
pour signe de cette alliance, je placerai, dit-il, un arc dans les nues (l’arc-en -ciel), et en le voyant, je me souviendrai de mon alliance avec
tout être vivant sur la terre, et je ne les détruirai plus.... ; et Noh en
sortant du vaisseau avait trois enfants, et il se livra à la culture de la
terre et il planta la vigne, etc.
Nous ne transcrivons point le récit d’Abydène qu’Eusèbe a
conservé dans sa Préparation évangélique (liv. IX, chap. 12), parce qu’il est infiniment
abrégé, et qu’il ne diffère que dans deux circonstances. Dans son récit tiré
des monuments mèdes et assyriens, Xisuthrus lâche les oiseaux 3 jours après
que la tempête se fut calmée ; ils reviennent 2 fois, ayant de la boue aux
ailes et non aux pieds ; à la troisième fois ils ne reviennent plus.
Ces textes seraient la matière d’un volume de commentaires
: bornons-nous aux remarques les plus nécessaires pour tout homme sensé : lès
deux récits sont un tissu d’impossibilités physiques et morales ; mais ici le
simple bon sens ne suffit pas ; il faut être initié à la doctrine
astrologique des anciens, pour deviner ce genre de logogriphe, et pour savoir
qu’en général tous les déluges mentionnés par les Juifs, les
Chaldéens, les Grecs, les Indiens, comme ayant détruit le monde sous Ogygès, Inachus,
Deucalion, Xisuthrus, Saravriata, sont un seul et même événement
physico-astronomique qui se répète encore tous les ans, et dont le principal
merveilleux consiste dans le langage métaphorique qui servit à l’exprimer.
Dans ce langage, le grand cercle des cieux s’appelait mundus, dont l’analogue mondala signifie encore cercle en
sanscrit : l’orbis des
Latins en est le synonyme. La révolution de ce cercle par le soleil,
composant l’année de 12 mois fut appelée orbis,
le monde, le cercle céleste. Par conséquent, à chaque 12 mois,
le monde finissait, et le monde recommençait ; le monde était détruit, et le
monde se renouvelait. L’époque de cet événement remarquable variait selon les
peuples et selon leur usage de commencer l’année à l’un des solstices ou des
équinoxes : en Égypte, c’était au solstice d’été. A cette époque, le Nil
donnait les premiers symptômes de son débordement, et dans 40 jours, les eaux
couvraient toute la terre d’Égypte à 15 coudées de hauteur. C’était et
c’est encore un océan, un déluge. C’était un déluge destructeur
dans les premiers temps, avant que la population civilisée et nombreuse eût
desséché les marais, creusé des canaux, élevé des digues, et avant que l’expérience
eût appris l’époque du débordement. Il fut important de la connaître, de la
prévoir : l’on remarqua les étoiles qui alors paraissaient le soir et le
matin à l’horizon : Un groupe de celles qui coïncidaient fut appelé le navire
ou la barque, pour indiquer qu’il fallait se tenir prêt à s’embarquer
; un autre groupe fut appelée le chien, qui avertit ; un troisième
avait le nom de corbeau ; un quatrième, de colombe[7] ; un cinquième s’appelait
le laboureur, le vigneron[8] ; non loin de lui
était la femme (la vierge céleste)
: tous ces personnages qui figurent dans le déluge de Noh et de Xisuthrus
sont encore dans la sphère céleste ; c’était un vrai tableau de calendrier
dont nos deux textes cités ne sont que la description plus ou moins fidèle.
Au moment du solstice et au début de l’inondation, la planète de Kronos ou Saturne, qui avait son domicile dans le cancer, ou plutôt le génie ailé, gouverneur de cette
planète, était censé avertir l’homme ou le laboureur de s’embarquer. Il
avertissait pendant la nuit, parce que c’était le soir ou la nuit que l’astre
était consulté. Le calendrier des Égyptiens et leur science astrologique
ayant pénétré dans la Grèce
encore sauvage, ces tableaux non appropriés au pays y furent mal. compris, et
ils y devinrent les fables mythologiques de Deucalion, d’Ogygès et d’Inachus,
dont le nom est Noh même, écrit en
grec Noch et Nach. La Chaldée
avait aussi son déluge, par les débordements du Tigre et de l’Euphrate, au
moment où le soleil fond les neiges des monts Arméniens. Mais ce déluge avait
un caractère malfaisant, par la rapidité et l’incertitude de son arrivée. Ce
pays, d’une fertilité extrême, par conséquent peuplé de toute antiquité, dut
avoir son calendrier propre ainsi que ses légendes : cependant les historiens
nous assurent que les rites de l’Égypte y furent introduits avec une colonie
de prêtres, peut-être par le moyen de Sésostris qui, vers l’an 1350, traversa
ces régions en conquérant ; peut-être par la voie des Ninivites ou, plus
anciennement, ce put être déjà une cause de variantes dans les légendes
chaldéennes. Les déluges du Nil et de l’Euphrate n’arrivaient pas aux mêmes
époques ; une autre cause fut la précession des équinoxes qui, tous, les 71
ans, change d’un degré la position du soleil dans les signes. Enfin les
physiciens ayant étendu leurs connaissances géographiques, et ayant constaté
que l’hémisphère du nord était comme noyé de pluies dans l’intervalle
hybernal des cieux équinoxes, il en résulta que l’idée et le nom de déluge furent appliqués au semestre d’hiver,
tandis que le nom d’incendie fut
donné au semestre d’été, ainsi que nous l’apprend Aristote. De là l’expression
amphibologique que le monde éprouvait des révolutions alternatives d’incendie
et de déluge ; de là aussi une nouvelle source de variantes adoptées par l’écrivain
juif, lorsqu’il fait durer la pluie 150 jours (près de 6 mois), après avoir dit qu’elle n’en
dura que 40 ; il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des discordances entre
les divers compilateurs des monuments, puisqu’il a dû s’en introduire très
anciennement entre les monuments eux-mêmes et entre les calendriers tant
indigènes qu’étrangers.
La différence la plus remarquable entre le récit chaldéen
et le récit hébreu, est que le premier conserve le caractère
astrologico-mythologique, tandis que le second est tourné dans un sens et
vers un but moral. En effet selon l’hébreu, dont nous n’avons donné qu’un
extrait, puisque le texte contient plus de 100 versets, le genre humain s’étant
perverti, et des géants, nés des anges de Dieu et des filles des hommes, exerçant toutes
sortes de violences, Dieu se repent d’avoir créé l’espèce ; il se parle, il
délibère, il se fixe au parti violent d’exterminer tout ce qui a vie. Cependant
il aperçoit un homme juste, il en a pitié ; il veut le sauver : il lui fait
part de son dessein, il lui annonce le déluge, lui prescrit de bâtir un
navire, etc. Quand le déluge a tout détruit, l’homme fait un sacrifice d’animaux purs (selon la loi de Moïse)
; Dieu en est si touché, qu’il promet de ne plus faire de déluge ; il donne
des bénédictions, des préceptes, un abrégé de loi ; il fait alliance avec
tous les êtres vivants ; et pour signe de cette alliance, il invente l’arc-en-ciel
qui se montrera en temps de pluie, etc. ; tout cela chargé de redites avec
quelques contradictions. Par exemple, la
pluie dura 40 jours.... ; les eaux crûrent 150 jours, un vent souffla, et
la pluie cessa. Le premier jour du dixième mois, l’on
vit les cimes des monts ; 40 jours après, la colombe ne trouve pas où poser le
pied, etc.
Tout ce récit n’est-il pas un drame moral, une leçon de conduite
que donne au peuple un législateur religieux, un prêtre ? Sous ce rapport, on
pourrait l’attribuer à Moïse ; mais le nom pluriel Elahim, les dieux, très
mal traduit au singulier, Dieu, ne saurait se concilier avec l’unité dont
Moïse fait la base de sa théologie. Le Dieu de Moïse est Iahouh : on ne voit
jamais que ce nom dans ses lois et dans les écrits de ses purs sectateurs,
tels que Jérémie. Pourquoi l’expression Elahim, les dieux, se trouve-t-elle
si souvent et presque uniquement dans la Genèse ? Par la raison que le monument est
chaldéen, et parce que dans le système chaldéen comme dans la plupart des
théologies asiatiques, ce n’est pas un Dieu seul qui créait, c’étaient les
dieux, ses ministres, ses anges, et spécialement les décans et les génies des
12 mois qui créèrent chacun une partie du monde (le cercle de l’année). Le grand-prêtre
Helqiah empruntant cette cosmogonie, n’a osé y changer une expression
fondamentale qui peut-être avait cours chez les Hébreux, depuis leurs
relations avec les Syriens ; il est même possible qu’il n’ait rien ajouté de
son chef à ce texte, quoique les animaux purs (selon la loi), et le nombre 7, indiquent
une main juive, avec d’autant plus de raison, que le nom de Iahouh y est
joint.
Longtemps avant Helquiah ; la Grèce avait l’apologue de Ioupiter irrité contre les géants et contre la
génération coupable, lui annonçant la fin du monde, submergeant la terre de
torrents qui se précipitent des cataractes du ciel, etc. (Voyez Nonnus, Dionysiaq.,
lib. VI, vers. 230.)
Tout le système du Tartare et de l’Élysée tenait à cette
théologie d’origine égyptienne et d’antiquité assez reculée, puisqu’elle
était la base des mystères et des initiations : ce fut dans ces mystères que
la science astrologique prit un caractère moral qui altéra de jour en jour le
sens physique de ses tableaux hiéroglyphiques, etc.
Selon l’hébreu, après le déluge, Noh cultive la terre
; plante la vigne ; en cela, il est Osiris et Bacchus qui tous
deux sont le soleil dans la constellation Arcturus ou le Bouvier qui, après
la retraite du Nil, annonçait au plat pays le temps de semer ; et sur les
coteaux du Fayoum, le temps de vendanger.
Ici les fragments de Bérose et de ses copistes ont une lacune
qui correspond au chapitre X de la
Genèse, où l’auteur juif décrit le partage de la
terre entre les trois prétendus enfants de Noh, et donne la nomenclature de
leurs prétendus enfants, selon leurs langues et nations : nous disons prétendus,
parce que toute cette apparente généalogie est une véritable description
géographique des pays et des peuples connus des Juifs à cette époque ;
description dans laquelle chaque nation est désignée, tantôt par un nom
collectif, selon le génie de la langue, tantôt par un nom pluriel ; et cela,
dans un ordre méthodique de localités contiguës et d’affinités de langage.
Imaginer que les noms pluriels de Medi, les Mèdes, Saphirouim,
les Saspires, Rodanim, les Rhodiens, Amrim, les Amorrhéens, Aradim,
les Aradiens, Masrim, les Égyptiens, Phélastim, les Philistins,
etc., etc., soient des noms d’individus, et imaginer que ces individus
fussent la troisième ou quatrième génération de trois familles qui seules sur
le globe s’en seraient fait le partage, est un excès de crédulité et d’aveuglement
qui passe toutes bornes ; mais ce sujet nous écarterait trop : nous le traiterons
dans un article particulier.
CHAPITRE XIII. — De la tour de Babel ou pyramide de Bel à Babylone.
VIENNENT ensuite dans le chapitre XI, la séparation des
familles, l’entreprise de la tour de Babylone et la confusion des langues.
Nous trouvons l’équivalent de ce récit dans un fragment de Polyhistor. (Voyez le Syncelle,
p. 44, et Eusèbe, Prœpar. evang., lib. IX, c. XIV) : la Sibylle porte ce texte :
Lorsque les hommes parlaient (encore) une seule langue, ils bâtirent une tour très élevée, comme
pour monter au ciel, mais les dieux (Elahim)
envoyèrent des tempêtes qui la renversèrent, et ils donnèrent à chaque (homme) un langage : de là est venu le nom de Babylone à cette
cité. Après le déluge, existèrent Titan et Prométhée, etc.
Ici, dit le Syncelle, Polyhistor oublie que selon ses
auteurs, existait depuis des milliers d’années cette ville de Babylone, dont
le nom n’est donné qu’à cette époque. Le même Syncelle poursuit son récit par
ce fragment d’Abydène, qui porte, p. 44 : Il
y en a qui disent que les premiers hommes nés de la terre, se fiant en leur
force et en leur taille énorme, méprisèrent les dieux, dont ils voulurent
devenir les supérieurs ; que dans ce dessein, ils bâtirent une tour très
haute, mais que les vents, venant au secours des dieux, renversèrent l’édifice
sur ses auteurs ; et les décombres prirent le nom de Babylone : jusqu’alors
le langage des hommes avait été un et semblable, mais de ce moment il devint
multiple et divers ; ensuite survinrent des dissensions et des guerres entre
Titan et Saturne, etc.
En nous offrant plusieurs versions, ces fragments nous
montrent qu’il existait diverses sources dont le récit juif n’était qu’une
émanation, sans être le type primitif, comme on le voudrait établir.
Quelle fut cette sibylle citée par Polyhistor ? On ne nous
le dit point ; ruais nous pensons la retrouver dans Moïse de Chorène, dont les
premiers chapitres se lient à notre sujet, de manière à prouver l’authenticité
et l’identité des sources communes. Cet écrivain, qui date du cinquième
siècle avant J.-C., établit d’abord comme faits notoires : Que les anciens Asiatiques, et spécialement les Chaldéens
et les Perses ; eurent une foule de livres historiques ; que ces livres
furent partie extraits, partie traduits en langue grecque, surtout depuis que
les Ptolémées eurent établi la bibliothèque d’Alexandrie, et encouragé les littérateurs
par leurs libéralités ; de manière que la langue grecque devint le dépôt et
la mère de toutes les sciences. Ne vous étonnez donc pas,
continue-t-il, si pour mon histoire d’Arménie, je
ne vous cite que des auteurs grecs, puisqu’une grande partie des livres
originaux a péri (par l’effet même
des traductions). Quant à nos antiquités,
les compilateurs ne sont pas d’accord sur tous les points entre eux, et ils
diffèrent de la Genèse
sur quelques autres : cependant Bérose et Abydène, d’accord avec Moïse,
comptent dix générations avant le déluge ; mais selon eux, ce sont des princes,
et des noms barbares avec une immense série d’années, qui diffèrent non
seulement des nôtres (qui ont 4
saisons), et des années divines, mais
encore de celles des Égyptiens, etc. Abydène
et Bérose comptent aussi 3 chefs illustres avant la tour de Babel ; ils exposent
fidèlement (c’est-à-dire
comme la Genèse) la navigation de Xisuthrus en Arménie ; mais ils mentent,
quant aux noms, (c’est-à-dire qu’ils diffèrent de la Genèse).... Je préfère donc de commencer mon récit d’après ma
véridique et chérie, sibylle bérosienne, qui dit : Avant la tour et avant que
le langage des hommes fût devenu divers, après la navigation de Xisuthrus en
Arménie, Zérouan, Titan et Yapétosthe gouvernaient la terre : s’étant partagé
le monde, Zérouan, enflammé d’orgueil, voulut dominer les deux autres : Titan
et Yapétosthe lui résistèrent, et lui firent la guerre, parce qu’il voulait
établir ses fils rois de tout. Titan dans ce conflit s’empara d’une certaine
portion de l’héritage de Zérouan : leur sœur Astlik, en se mettant entre eux,
apaisa le tumulte par ses douceurs. Il fut convenu que Zérouan resterait chef
; mais ils firent serment de tuer tout enfant mâle de Zérouan, et ils
préposèrent de forts Titans à l’accouchement de ses femmes.... Ils en tuèrent
deux ; mais Astlik conseilla aux femmes d’engager quelques Titans à conserver
les autres, et de les porter à l’orient, au mont Ditzencets ou Jet des Dieux,
qui est l’Olympe.
Le lecteur voit qu’ici nous avons une sibylle, comme dans
Polyhistor ; et elle est appelée Bérosienne. Les anciens nous
apprennent que Bérose eut une fille dont il soigna beaucoup l’éducation, et
qui devint si habile, qu’elle fut comptée au rang des sibylles. N’avons-nous
pas lieu de voir ici cette femme savante, surtout quand il s’agit d’antiquités
de son pays ? Le fragment cité à une analogie marquée avec le Sem, Cham
et Iaphet de la Genèse,
et c’est par cette raison que le dévot auteur arménien le préfère aux
récits de Bérose et d’Abydène ; mais ce fragment nous reporte, comme les
autres, à des traditions mythologiques qu’il nous importe de multiplier pour
en éclaircir le. sens. Notre Arménien en rapporte une très ancienne de son
pays, qui dit :
Un livre qui n’existe plus, a dit de Xisuthrus et de ses
trois fils : Après que Xsisutra eût navigué en
Arménie, et pris terre, un de ses fils, nommé Sim, marcha entre le couchant
et le septemtrio ; et arrivé à une petite plaine sous un mont très élevé, par
le milieu de laquelle les fleuves coulaient vers l’Assyrie, il se fixa deux mois
au bord du fleuve, et appela de son nom Sim, la montagne ; de là il revint
par le même (chemin), entre orient et midi,
au point d’où il était parti ; un de ses enfants cadets, nommé Tarban, se
séparant de lui avec 30 fils, 15 filles et leurs maris, se fixa sur la rive
du même fleuve.... ; d’où vint à ce
lieu le nom de Taron, et à celui qu’il avait quitté, le nom Tseron, à cause
de la séparation qui s’y était faite de ses enfants.
Or, les peuples de l’Orient
appellent Sim, Zerouan, et ils montrent un pays appelé Zaruandia[9]. Voilà ce que nos anciens Arméniens chantaient dans leurs
fêtes ; au son des instruments, ainsi que le rapportent Gorgias, Bananus,
David, etc.
Nous touchons ici aux sources où a puisé l’auteur juif.
Notre Arménien cite un autre écrit plus intéressant par son origine et ses
développements ; c’est le volume que le Syrien Mar I Bas trouva dans la bibliothèque d’Arshak,
80 ans après Alexandre, et qui portait pour titre :
Ce volume a été traduit du
chaldéen en grec. Il contient l’histoire vraie des anciens personnages
illustres, qu’il dit commencer à Zerouan, Titan et Yapetosth ; et il expose
par ordre la série des hommes illustres nés de ces 3 chefs.
Le texte commence : Ils
étaient terribles et brillants, ces premiers des dieux, auteurs des plus
grands biens, et principes du monde et de la multiplication des hommes.... D’eux
vint la race des géants, au corps robuste, aux membres (ou bras) puissants (ou vigoureux),
à l’immense stature, qui, pleins d’insolence, conçurent le dessein impie de
bâtir une tour. Tandis qu’ils y travaillaient, un vent horrible et divin, excité
par la colère des dieux (Elahim), détruisit cette nasse immense,
et jeta parmi les hommes des paroles inconnues qui excitèrent (ou causèrent) le tumulte et la confusion : parmi ces hommes, était le Iapétique
Haïk, célèbre à vaillant gouverneur (præfectus), très habile à lancer les flèches et à manier l’arc[10]. Ce Haïk, beau, grand, à chevelure brillante, aux bras
puissants, à l’œil perçant, plein d’hilarité, se trouvant l’un des géants les
plus influents, s’opposa à ceux qui voulurent commander aux autres géants, et
à la race des dieux, et il excita du tumulte contre l’impétueux effort de
Belus. Le genre humain, dispersé sur la terre, vivait au milieu des géants,
qui, mus de fureur, tirèrent leurs sabres les uns contre les autres, et
luttèrent pour le commandement. Belus ayant eu des succès, et s’étant rendu
maître de presque toute la terre, Haïk ne voulut pas lui obéir, et après
avoir vu naître son fils Armenak dans Babylone, il alla vers le pays d’Ararat,
placé au nord, avec son fils, ses filles et des braves, au nombre de 300,
sans compter des étrangers qui s’y joignirent : il se fixa ou s’assit au pied
d’un certain mont très étendu dans la plaine, où habitaient quelques-uns des
hommes dispersés. Haïk le soumit et y établit son domicile, etc.
Voilà donc un livre original chaldéen qui, à raison de sa
célébrité, excita la curiosité d’Alexandre, et qui, par ce léger fragment,
nous prouve 1° l’antiquité réelle des traditions recueillies par Bérose, par
Abedène, par la Sibylle
; 2° l’analogie de ces traditions avec celles du livre juif appelé la Genèse. Cette
analogie est sensible dans ce qui concerne le, déluge, l’homme sauvé dans un
navire ; les trois princes ou chefs du genre humain issu de cet homme ; la
séparation de leurs enfants ; l’entreprise de la tour de Babel, la confusion
qui en résulte, etc. ; enfin dans ces géants, nés des enfants des dieux (Elahim) et des
filles des hommes, géants grands de corps et
fameux de nom dans les temps anciens (Genèse, ch. VI, v. 2 à 5) ; ce sont les
propres expressions de la
Genèse. Leur entreprise de monter aux cieux est la même que
celle des géants chantés par les mythologues, grecs, et cette ressemblance
vient confirmer l’origine chaldéenne de toutes ces allégories, dont l’explication
nous écarterait trop de notre sujet[11]. Nous nous
bornerons à remarquer ; que ces mêmes allégories se trouvent dans les récits
cosmogoniques, des sectateurs de Budha, réfugiés au Thiliet ; et qui,
sous le nom de Samanéens, étaient une secte indienne célèbre et déjà ancienne
: au temps d’Alexandre. Leur cosmogonie qui, sous d’autres rapports,
ressemble singulièrement à celle de la Genèse, parle comme ce livre, de la corruption
des hommes, de la colère de Dieu, des déluges dont il punit le genre humain ;
et ils tournent dans un sens moral tout ce que les mythologues grecs présentent
sous un aspect astrologique. Or, si l’on considère que les récits des Grecs
se rapportent à une époque où la constellation du taureau, ouvrait l’année et
la marche clés signes, c’est-à-dire au delà de 4000 ans avant notre ère, tandis
que les récits, des Juifs et des Perses indiquent l’agneau ou bélier
comme réparateur, l’on pensera que les Grecs ont mieux gardé le type
originel, parce qu’ils sont plus anciens que lés antres, et que les autres l’ont
altéré, parce qu’ils sont venus plus tard en sorte que le système moral et
mystique, dans lequel il faut comprendre l’Élysée, le Tartare, et, toute la
doctrine des mystères, n’aurait pas une origine plus reculée que 2500 à 2300
ans avant notre ère, et ce serait de l’Égypte et de la Chaldée que se seraient
répandues dans l’Orient et dans l’Occident toutes ces idées, comme s’accordent
à le témoigner tous les anciens auteurs grecs et même les arabes, qui ont eu
en main d’anciens livres échappés aux ravages des guerres et du temps. Il est
remarquable qu’un de ces livres, cité par le Syncelle sous le nom de livre d’Énoch,
présente l’histoire des géants, nés des anges et des filles des hommes,
presque dans les mêmes termes que les livres de Boudhistes du Thibet, et le
livre de la Genèse
; sans doute le livre d’Énoch est apocryphe quant au nom que lui a donné l’auteur
anonyme, pour imprimer le respect, mais non quant à sa doctrine qui est
chaldéenne et de haute antiquité. Revenons à nos confrontations.
Après le déluge de Noh ou de Xisuthrus, le
partage de la terre entre 3 personnages puissants et brillants, dont Titan
est un, ressemble beaucoup à ce que les Grecs nous disent des 3 frères,
Jupiter, Pluton et Neptune[12]. La construction
de la tour de Babylone semblerait prendre un caractère plus historique, et
lorsqu’on se rappelle que pour bâtir cette ville et la pyramide de Bel aux
sept étages (comme
les sept sphères), Sémiramis employa deux millions d’hommes tirés de
tous les peuples de son empire, par conséquent parlant une multitude de
dialectes divers, on serait tenté de croire que cette confusion de langage a
donné lieu à une tradition ensuite altérée. Mais Sémiramis était trop récente
pour être oubliée et méconnue ; l’événement porte un caractère mythologique beaucoup
plus ancien : et comme en langage astrologique, le zodiaque s’appelait la grande
Tour Burg, en grec, pyrg-os, la partie de cette tour, composée
de six signes ou six étages, qui, depuis le solstice d’hiver
jusqu’à celui d’été, s’élevait vers le nord où était le mont Olympe (Ararat et Merou),
était censée élevée ou bâtie par les géants, c’est-à-dire par les
constellations ascendantes de l’horizon au zénith. Il faudrait connaître tous
les détails de ces mystères chaldéens, pour expliquer tous ceux du récit.... Il
est du moins évident que le repeuplement de la terre en 5 ou 6 générations,
est une rêverie au physique comme au moral. Par suite de cette impossibilité,
l’on ne peut admettre, à la onzième génération, l’apparition d’Abraham comme
homme et comme personnage historique ; et les soupçons s’accroissent lorsqu’on
lit ce qu’en rapportent Bérose, Alexandre Polyhistor et Nicolas de Damas.
CHAPITRE XIV. — Du personnage appelé Abraham.
BÉROSE, dit Josèphe[13], en supprimant le nom d’Abraham, notre ancêtre, l’a
cependant indiqué par ces mots :
A la dixième génération après
le déluge, exista chez les Chaldéens, un homme juste et grand, qui fut très
versé dans la connaissance des choses célestes.
Effectivement, dans la généalogie juive, Abraham se trouve
à la dixième génération depuis le déluge, et cela prouve, l’identité continue
et l’origine commune des deux récits.
Josèphe ajoute : Hécatée a écrit
sur Abraham un volume entier. Nicolas de Damas, au quatrième livre de son
recueil d’histoire, dit : Abraham régna à Damas ; c’était un étranger venu du
pays des Chaldéens ; au-dessus, de Babylone, à la tête d’une armée[14]. Peu de temps après, il quitta le pays avec tout son
monde, et il émigra dans la contrée appelée alors Canaan, aujourd’hui Judée.
D’autre part, Alexandre Polyhistor, citant Eupolème, dit[15] : Qu’Abraham naquit à Camarine, ville de la Babylonie, appelée
Ouria, ou ville des Devins ; cet homme surpassait tous les autres en naissance
et en habileté. Il inventa l’astrologie et la chaldaïque[16] ; par sa piété il fut agréable à Dieu. Les Arméniens
ayant attaqué les Phéniciens, Abraham les chassa (comme le dit la Genèse). Il eut en Égypte de longs entretiens avec les prêtres
sur l’astrologie.
Artapan, écrivain persan, cité par Eusèbe (l. 9, chap. 18),
parlait également de ce séjour d’Abraham en Égypte, où il enseigna pendant 20 ans l’astrologie ; il ajoutait qu’Abraham
se rendit ensuite à Babylone chez les géants, qui furent exterminés par les
dieux, à cause de leur impiété.
Enfin Josèphe parle, comme tous ces auteurs, de la grande
connaissance qu’Abraham avait des changements qui
arrivent dans le ciel ; et de ceux que subissent le soleil et la lune
(les éclipses),
etc.[17] ; ce qui
signifie, en mots décents, qu’Abraham était versé en astrologie.
En examinant ces récits, l’on s’aperçoit que, semblables à
ceux sur le déluge, ils viennent d’une source antique où la Genèse a puisé ; mais
parce qu’ils ont mieux conservé le caractère mythologique qu’ils avaient
originairement, ils suscitent plus de doutes et de soupçons sur l’existence d’Abraham,
comme individu humain. En effet, dès lors que le déluge chaldéen n’est qu’une
fiction astrologique, que peuvent être les personnages et les générations mis
à la suite d’un événement qui n’a pas existé ? Si un déluge détruisait
aujourd’hui la race humaine, à l’exception d’une famille de 8 personnes,
cette famille, isolée et faible, accablée de tous ses besoins, ne vaquerait
qu’aux soins pressants de sa conservation ; et avant 3 générations, sa race
serait retombée dans un état sauvage, qui ne permettrait ni écriture, ni conservation
de souvenirs anciens. Chez les peuples policés eux-mêmes, personne, sans l’écriture,
n’a idée de la 6e génération antérieure ; comment donc la
prétendue généalogie d’Abraham eût-elle pu se conserver ; surtout chez les
Juifs, qui n’ont conserver aucun monument régulier et suivi, ni de la période
des juges ; ni du séjour de leurs ancêtres en Égypte ? cette généalogie ne
leur appartient point ; ils l’ont empruntée des Chaldéens ; elle est toute
chaldéenne. Or chez les Chaldéens elle est du temps mythologique, comme le
déluge et comme les géants avec qui Abraham eut des relations ; c’est pour cette
raison que tous les détails ont tant de précision. Dans l’habitude où nous
sommes de regarder Abraham comme un homme,
il est choquant, au premier aspect de dire que ce personnage est fictif et
allégorique, et qu’il n’est que le génie personnifié d’une planète ;
cependant tel est le cas d’une foule de prétendus rois, princes et
patriarches des anciennes traditions de l’Orient. Qui ne croirait qu’Hermès a
été un sage, un philosophe, un astronome éminent chez les Égyptiens ? et
néanmoins Hermès analysé, n’est que le génie personnifié, tantôt de l’astre
Sirius, tantôt de la planète Mercure. Qui ne croirait que chez les Indiens,
les 7 richis ou patriarches ont été de
saints pénitents qui ont enseigné aux hommes des pratiques dévotes encore
subsistantes ? et cependant les 7 richis ne sont que les génies des 7 étoiles
de la constellation de l’ourse, réglant la marche des navigateurs et des
laboureurs, qui la contemplent. Du moment que par la métaphore naturelle de
leurs langues, les anciens Orientaux eurent personnifié les corps célestes, l’équivoque
introduisit un désordre d’idées, qui s’accrut de jour en jour, et par l’ignorance
d’un peuple crédule, superstitieux, et par l’usage mystérieux, énigmatique,
qu’en firent les initiés à la science, et par la tournure poétique que lui
donnèrent des écrivains à imagination. Il ne faudrait donc pas s’étonner si
Abraham, roi, patriarche et astrologue chaldéen, analysé
dans ses actions et son caractère ; ne fût que le génie d’un astre ou, d’une
planète.
D’abord tout génie d’astre est loi : il gouverne une
portion du ciel et de la terre soumise à son influence ; ses images on idoles
portent toujours une couronne, emblème de son pouvoir suprême[18] : Abraham, nous dit-on, avait régné à Damas ; son nom y était resté. S’il
n’eût été qu’un chef d’armée passager, il n’eût pas laissé une impression si
durable. Il était allé en Égypte et y avait enseigné l’astrologie ; il l’avait
même inventée, dit Eupolème, ainsi que la chaldaïque.
Un étranger enseigner l’astrologie aux Égyptiens, et cela
16 ou 17 siècles avant notre ère, quand les Égyptiens étaient, depuis tant d’autres
siècles, les maîtres et les inventeurs de cette science ! cela est
inadmissible et décèle la fable : Abraham a ici les caractères de Thaut
ou Hermès, qui inventa l’astrologie et les lettres de l’écriture[19] ; surpassa tous
les hommes dans la connaissance des choses célestes et naturelles ; qui fut
un sage et un roi, mais qui, dans son type originel, n’est que le génie de l’astre
Sothis ou Sirius, qui annonçait l’inondation du Nil, etc.
Abraham, dans le sacrifice homicide de son fils unique,
retrace une autre divinité également célèbre par sa science.
Écoutons Sanchoniaton, qui écrivit environ 1300 ans avant
notre ère.
Saturne, que les Phéniciens
nomment Israël, eut d’une nymphe du pays, un enfant mâle qu’il appela Iêoud,
c’est-à-dire un et unique. Une guerre survenue, ayant jeté le pays dans un
grand danger, Saturne dressa un autel, y conduisit son fils paré d’habits royaux,
et l’immola.
Or Saturne avait été roi en Phénicie, ayant pour
secrétaire Thaut ou Hermès, et après sa mort on lui avait
consacré l’astre de son nom.
Dira-t-on que Sanchoniaton, qui consulta un prêtre
hébreu nommé Ierombal, à défiguré le récit de la Genèse ? Nous disons, au
contraire, que les récits de cet écrivain tendent à prouver qu’elle n’existait
pas de son temps, vu leur différence absolue. La vérité est que les
Phéniciens, périple bien plus ancien que les Hébreux, ont eu leur mythologie
propre et particulière, à laquelle ce trait appartient, et qu’ils ne l’ont
pas emprunté des Juifs, qu’ils haïssaient : pourquoi donc cette ressemblance
? Parce qu’une tradition semblable existait chez les Chaldéens, peuple d’origine
arabique, comme les Cananéens ; mais l’écrivain juif, auteur de la Genèse, a pris à tâche d’effacer
tout ce qui retraçait l’idolâtrie, pour donner à son récit le caractère
historique et moral convenable à son but.
L’analogie ou plutôt l’identité
d’Abraham et de Saturne ne se borne pas à ce trait. Les plus savants auteurs
persans, dit le docteur Hyde[20], assurent que dans les anciens livres chaldéens, Abraham
porte le nom de Zerouan et Zerban, qui signifie riche en or, gardien de l’or
(il est remarquable
que la Genèse
appelle Abraham, très riche en or et en argent[21] ; elle l’appelle aussi
prince très puissant[22], ce qui se retrouve dans
les anciens livres où il est appelé roi) ;
ces mêmes livres l’appellent encore Zarhoun et Zarman[23], c’est-à-dire vieillard décrépit. Les Perses lui
appliquent l’épithète spéciale de grand, et il est de tradition antique que l’on
voyait son tombeau à Cutha en Chaldée : Sa réputation ne se bornait pas à la Judée, elle était dans
tout l’Orient.
Maintenant rappelons-nous que le nom de Zerouan se trouve
dans la Sibylle
bérosienne, et dans le fragment de Mar I
Bas, cités au 5e siècle de notre ère, par Moïse de Chorène, et
copiés par le livre chaldéen traduit par ordre d’Alexandre. Déjà la bonne
information des auteurs persans est prouvée : ajoutons qu’une autre
sibylle, dans la même circonstance, au lieu de Zerouan, nomme Saturne ; qu’Abydène
associe Saturne au lieu de Zerouan à Titan[24] ; l’identité
de Saturne, de Zerouan et d’Abraham devient palpable. Les accessoires cités
complètent la démonstration : Abraham est nommé Zerouan, Zerban, riche en or.
Saturne fut le roi de l’âge d’or : Abraham est nommé Zarhoun et Zarman,
vieillard décrépit ; Saturne, dans les légendes grecques, est un vieillard,
emblème du temps que sa planète mesure par la marche la plus lente et la
carrière la plus longue de toutes les planètes. L’on a donné à ce vieillard
le caractère habituel de son âge ; on l’a peint avare, aimant l’or et
entassant l’or : on lui a aussi donné la faux, parce qu’il moissonne tous les
êtres, et qu’il fait mourir tout ce qu’il fait naître ; c’est sous ce rapport
que, de temps immémorial ; les Arabes et les l’erses l’ont appelé l’ange de
la mort, Ezrail : or Israël,
chez les Phéniciens, était le nom de Saturne, dit Sanchoniaton : l’une des
épithètes d’Abraham, en Bérose, est Mégas[25], grand ; son
épithète spéciale chez les Perses, est Buzoug,
qui signifie aussi grand. Sa femme Sarah portait primitivement
le nom d’Ishkah, signifiant belle et
beauté : la Genèse
en fait la remarque spéciale (chap. 12, v. 14) ; et dans le fragment de Sanchoniaton[26], Saturne épouse
la beauté que son père avait envoyée pour le séduire. Enfin le nom primitif d’Abram[27] désigne Saturne
; car il est composé de deux mots, Ab-ram,
signifiant père de l’élévation ; et dans l’hébreu, comme dans l’arabe, c’est
la manière d’exprimer le superlatif très élevé, très haut, tel qu’est
Saturne, la plus élevée, la plus distante des planètes.
Tout s’accorde donc à démontrer qu’Abraham n’a point été
un individu historique, mais un être mythologique, célèbre sous divers noms
chez les anciens Arabes que nous nommons Phéniciens et Chaldéens, et chez
leurs successeurs, les Mèdes et les Perses. Si l’auteur juif de la Genèse en a fait un
personnage purement historique, c’est parce que voulant faire remonter l’origine
de sa nation jusqu’aux temps les plus reculés, il a, sciemment ou par
ignorance, commis une méprise qui se retrouve à d’autres égards chez la
plupart des historiens de l’antiquité.
Mais, nous dira-t-on, si l’histoire d’Abram-Zérouan n’est
réellement qu’une légende astrologique, comme celle d’Osiris, d’Hermès, de Ménou,
de Krishna, etc., l’histoire de son fils Isaak, de son petit-fils Jacob, et
même des 12 fils de celui-ci, tombera dans la même catégorie ; alors où s’arrêtera
la mythologie des Hébreux ? à quelle époque commencera leur histoire
véritable, et comment expliquerez-vous la tradition immémoriale d’après
laquelle ils se sont appelés enfants de Jacob, d’Israël et d’Abram ?
Ces difficultés puisent leur solution dans la nature même
des choses.
D’abord il est dans le génie des langues arabiques, dont l’hébreu
est un dialecte, que les habitants d’un pays, les partisans d’un chef, les
sectateurs d’une opinion, soient appelés enfants de ce pays, de cette
opinion, de ce chef : c’est le style habituel de tous leurs récits, de toutes
leurs histoires.
2° Chez les anciens, comme chez les modernes, un usage
presque général fut que chaque peuple, chaque tribu, chaque individu eussent
un patron ; et ce patron fut le génie d’un astre, d’une constellation on d’une
puissance physique quelconque. Tous les clients ou sectateurs de cette
divinité tutélaire étaient appelés et se disaient ses enfants ; la Grèce, dans ses origines
soi-disant historiques, offre dé nombreux exemples de ce cas.
En troisième lieu, l’origine des anciens peuples est généralement
obscure, comme celle de tous les êtres physiques, parce que ce n’est qu’avec
le temps que ces êtres ; d’abord petits et faibles, font des progrès et
acquièrent un volume ou une action qui les font remarquer. D’après ces
principes, combinant lés récits divers sur le0lébreux avec les faits avérés,
nous pensons que ce peuplé dérive d’une secte on tribu chaldéenne qui, pour
des opinions politiques ou religieuses, émigra de gré ou de force de la Chaldée, et vint, à la
manière des Arabes, camper sur la frontière de Syrie, puis sur celle de l’Égypte,
où elle trouvait à subsister. Ces étrangers durent être appelés par les
Phéniciens, Eberim, c’est-à-dire gens d’au delà, parce qu’ils venaient d’au
delà du grand fleuve (l’Euphrate),
et encore béni Abram, béni Israël, enfants d’Abram et d’Israël,
parce qu’Abram et Israël étaient leurs divinités patronales. Ce que l’Exode
raconte de leur servitude sous le roi d’Héliopolis, et de l’oppression des
Égyptiens, leurs hôtes, est très vraisemblable : là commence l’histoire ;
tout ce qui précède, c’est-à-dire le livre entier de la Genèse, n’est que
mythologie et cosmogonie. Les chances de la fortune voulurent qu’un individu
de cette race fût élevé par les prêtres égyptiens, fût instruit de leurs
sciences, alors si secrètes, et que cet individu fût doué des qualités qui
font les hommes supérieurs. Moïse, ou plutôt Moushah, selon la vraie
prononciation, conçut le projet d’être roi et législateur, en affranchissant
ses compatriotes ; et il l’exécuta avec des moyens appropriés aux circonstances
et une force d’esprit vraiment remarquable. Son peuple, ignorant et
superstitieux, comme l’ont toujours été et le sont les Arabes errants, croyait
à la magie dont est encore infatué tout l’Orient ; Moïse exécuta des prodiges,
c’est-à-dire qu’il produisit des phénomènes naturels, dont les prêtres
astronomes et physiciens avaient, par de longues études et par d’heureux
hasards, découvert les moyens d’exécution.... Quand on lit comment des feux
lancés du tabernacle s’attachèrent aux séditieux qui le voulaient lapider au
retour des espions, et comment ces feux les dévorèrent, on touche au doigt et
à l’œil ce feu grégeois, composé de naphte et de pétrole, qui d’époque en
époque s’est remontré dans l’Orient. On pourrait ramener à un état naturel
tous les miracles dont Moïse sut grossir les apparences ; mais il faudrait
écarter de leur récit les circonstances exagérées et fausses dont lui-même ou
les écrivains posthumes ont entouré les faits réels. Ainsi l’on verrait le
passage de la mer Rouge fait par les Hébreux à gué et à basse marée, comme il
se fait encore ; tandis que les Égyptiens voulant passer au moment du flux,
en furent surpris, comme ils le seraient encore, car à peine le
connaissent-ils. On verrait le passage du Jourdain, projeté par Moïse,
exécuté par Josué, en dérivant cette petite rivière, comme Krœsus dériva l’Halys ;
les murailles de Jéricho renversées par une mine pratiquée, et par le feu mis
aux étançons dont on les avait étayées ; on verrait Coré, Dathan et Abiron
engloutis dans une fosse recouverte, où des combustibles cachés prirent feu
par leur chute ; et enfin l’on verrait que cette vois qui parlait dans le
propitiatoire[28],
et que l’on croyait être la voix de Dieu causant avec le prophète, n’était
que la voix du jeune Josué, fils de Noun, qui[29] ne sortait point
du tabernacle où il servait Moïse, et qui fut son successeur plus habile et
plus heureux que ne fut Ali, le Josué de Mahomet. Mais ce sujet curieux nous
écarterait trop de notre sphère ; qu’il nous suffise de dire que Moïse a dû
être le véritable créateur du peuple hébreu, l’organisateur d’une multitude confuse
et poltronne[30],
en un corps régulier de guerriers et de conquérants. Le séjour dans le désert
fut employé à cette œuvre difficile. La division en douze corps ou tribus fut
très probablement son ouvrage ; mais lors même qu’elle eût existé auparavant,
elle ne prouverait point encore la réalité de l’histoire de Jacob et de ses
enfants ; d’abord, parce que nous n’avons qu’un seul témoin déposant, l’auteur
juif, qui, après toutes les déceptions que nous avons vues sur d’autres
articles, ne peut mériter notre confiance ; et ensuite parce que la légende
de Jacob porte des détails du genre fabuleux, tels que sa vision des anges
montant au ciel avec des échelles, ses conversations avec Dieu, sa lutte
contre l’homme divin qui lui paralysa la cuisse, et lui donna le nom d’Israël, tout à fait suspect en cette occasion.
Si l’on nous eût transmis sur Jacob des détails vraiment chaldéens, comme sur
Abraham, nous y trouverions sûrement la preuve de son caractère mythologique
déguisé par le rédacteur juif. Mais revenons aux analogies de la Genèse avec la cosmogonie
chaldéenne.
CHAPITRE XV. — Des personnages antédiluviens.
CES ANALOGIES que nous avons vues se suivre depuis le
déluge, se continuent au delà, et remontent jusqu’à l’origine première, dite
la création. Les anciens auteurs, chrétiens en ont tous fait la remarque,
en se plaignant d’ailleurs de l’altération, c’est-à-dire de la différence des
noms et des âges que les livres chaldéens donnent aux personnages
antédiluviens appelés par nous patriarches,
et rois par les Chaldéens. Le
Syncelle[31]
nous a rendu le service d’en conserver la liste, copiée d’Alexandre
Polyhistor ou d’Abydène, copistes eux-mêmes de Bérose.
Patriarches antédiluviens selon la Genèse
|
|
Rois chaldéens antédiluviens selon Bérose
|
Noms
|
Âges
en années
|
|
Noms
|
Âges
en sares
|
En
années
|
Adam
|
930
|
|
Alor
|
10
|
36
000
|
Seth
|
912
|
|
Alaspar
|
3
|
10
800
|
Énos
|
905
|
|
Amélon
|
13
|
46
800
|
Kaïnan
|
910
|
|
Aménon
|
12
|
43
200
|
Mahlaléel
|
862
|
|
Metalar
|
18
|
64
800
|
Iared
|
895
|
|
Daôn
|
10
|
36
000
|
Énoch
|
365
|
|
Evedorach
|
18
|
64
800
|
Mathusala
|
969
|
|
Amphis
|
10
|
36
000
|
Lamech
|
777
|
|
Otiartes
|
8
|
28
800
|
Noé
|
950
|
|
Xisuthrus
|
18
|
64
800
|
|
|
|
Total
|
120
|
432 000
|
Voilà les prétendus rois que les Chaldéens disaient avoir
régi le monde pendant 120 sares, équivalant à 432.000 ans. Ce calcul seul
nous montre qu’il s’agit ici d’êtres astronomiques ou astrologiques
; et le Syncelle lui-même nous en avertit, lorsque, page 17, il dit que les Égyptiens, les Chaldéens et les Phéniciens se donnent
une antiquité extravagante ; au moyen de certaines supputations astrologiques.
L’Arménien Moïse de Chorène, environ 300 ans avant le Syncelle, avait fait
les mêmes remarques. L’origine du monde,
dit-il (chap. 3), n’est pas exposée par nos saints livres, de la même
manière que par les historiens ; j’entends le très savant Bérose et Abydène ;
dans, Abydène, les chefs de famille diffèrent quant au temps et aux noms (mais non quant
au nombre qui est également de 10). Ces auteurs
présentent même le chef du genre humain, Adam, sous un autre caractère que la Genèse, car ils disent :
Dieu très prévoyant fit Alorus pasteur et directeur du peuple, et il régna 10
sares, qui sont 36.000 ans. De même, ils donnent à Noyi (Noé), un autre nom (Xisuthrus) et un temps immense, d’accord d’ailleurs sur la corruption
des hommes, et la violence du déluge. Ils établissent dix chefs (ou rois) avec Xisuthrus ; et leurs années diffèrent, non seulement
de nos années qui ont quatre saisons, et des années divines, mais encore ils
ne comptent point les levers de lune comme les Égyptiens, ni les levers dont
le nom se tire des dieux (les constellations personnifiées). Néanmoins les auteurs qui les prennent pour des années (ordinaires), les adaptent aux calculs grecs, etc.
On voit que les Chaldéens nous ont donné une sorte de
logogriphe à résoudre ; il ne faut pas s’étonner s’il a été mal compris de
beaucoup d’auteurs anciens et même modernes, puisque sa solution exige la
connaissance d’une doctrine astrologique assez compliquée, et qui, longtemps
tenue secrète, a été trop négligée depuis qu’elle a perdu son empire. Pour
donner quelques idées claires sur cette énigme, il faut les reprendre à leur
origine.
Lorsque l’expérience eut fait connaître aux anciens peuples
agricoles, les rapports intimes qui se trouvent entre la production des
substances terrestres et la marche du soleil dans le cercle céleste, un
premier système astronomique et physique fut organisé, conforme aux besoins
de l’agriculture, et aux phénomènes des corps célestes les plus remarquables
: Ce système, inculqué dans tous les esprits, par l’éducation civile et
religieuse, et par l’habitude, devint la base de tous les raisonnements, le
type de toutes les hypothèses qui firent naître ensuite des idées plus
étendues. Le grand cercle céleste avait été divisé en douze maisons (les douze signes du zodiaque),
d’après les lunes qui se montraient tandis que le soleil le parcourait ;
chacune de ces maisons était subdivisée en 30 parties (ou degrés), d’après les jours de
chaque lune. Les étoiles, individuellement et en groupes, avaient reçu des
noms tirés des opérations de l’homme ou de la nature pendant la révolution
solaire ; et le ciel astronomique était devenu comme un miroir de réflexion
de ce qui se passait sur la terre. Cet ordre de choses, si intéressant pour
le peuple, en fut d’abord bien compris ; mais par le laps du temps plusieurs
causes introduisirent dans les idées une confusion qui eut des suites à la
fois ridicules et graves. Une classe d’hommes, livrés spécialement à l’observation
des astres, était parvenue à découvrir le mécanisme des éclipses, à en
prédire les retours. Le peuple, frappé d’étonnement de cette faculté de
prédire, imagina qu’elle était un don divin qui pouvait s’étendre à tout : d’une
part, la curiosité crédule et inquiète, qui sans cesse veut connaître l’avenir
; d’autre part, la cupidité astucieuse, qui sans cesse veut augmenter ses
jouissances et ses possessions, agissant de concert, il en résulta un art
méthodique de tromperie et de charlatanisme que l’on a appelé astrologie,
c’est-à-dire, l’art de prédire tous les événements de la vie par l’inspection
des astres et par la connaissance de leurs influences et de leurs
aspects. La véritable astronomie étant la base de cet art, ses difficultés le
restreignirent à un petit nombre d’initiés, qui, sous les divers noms de voyants,
de devins, de prophètes, de magiciens, devinrent une
corporation sacerdotale très puissante chez tous les peuples de l’antiquité.
Quant aux influences des corps célestes, leur préjugé dut sa naissance
aux premiers observateurs, qui, remarquant un rapport habituel entre le lever
et le coucher de tel astre, avec l’apparition de tel phénomène ou de telle
substance terrestre, supposèrent une action secrète de cet astre, par un
fluide subtil, tel que l’air, la lumière ou l’éther. Ce préjugé devint le
grand levier de toute l’astrologie ; les astres étant censés les moteurs et régulateurs
de tout ce qui arrive dans le monde, le mortel qui connut leurs lois, put
tout connaître, et par conséquent tout prédire.
Ces lois semblèrent d’abord assez simples, parce que l’on
crut que le ciel avait un état fixe, comme il semble au premier aspect. Mais
lorsque des observations séculaires eurent montré des changements
considérables dans le premier ordre arrangé, il fallut inventer de nouvelles
théories, que les progrès des sciences mathématiques rendirent plus savantes
et plus compliquées.
Une première école d’astronomie avait divisé le grand
cercle céleste (le
zodiaque) en douze parties, subdivisées chacune en 30 degrés, faisant
au total 360, et ce nombre avait été regardé comme suffisant aux horoscopes
du calendrier. Une seconde école d’astronomes plus raffinés, le trouva
insuffisant aux horoscopes bien plus nombreux de la vie humaine : elle divisa
chaque signe zodiacal en douze sections, dites dodécatémories, puis
chacune de ces sections en soixante particules ou minutes, partagées
elles-mêmes en soixante secondes, etc. Cette division avait l’inconvénient de
couper les 30 degrés de chaque signe par une première fraction de 2 ½. Une
troisième école voulut y remédier en y appliquant un calcul décimal ; et elle
partagea chaque signe en trois sections ou décatémories, comprenant chacune 10
degrés ; puis chaque section en soixante minutes, et chaque minute en soixante
secondes, etc. Ptolémée, qui nous apprend ce fait, ajoute que cette dernière
méthode est chaldaïque, c’est-à-dire qu’elle fut inventée par les Chaldéens ;
de là ne semble-t-il pas résulter que les Arabes de Chaldée sont les inventeurs
des chiffres qui la constituent, et qui portent le nom d’Arabes ; tandis que
la méthode duodécimale appartiendrait aux astronomes égyptiens. Quoi qu’il en
soit, la méthode chaldaïque, en donnant dix sections à chaque signe, divise
le cercle zodiacal en 120 parties ; et parce que chaque section se subdivise
en soixante multiplié par soixante, il en résulte une subdivision de 3.600
parties pour chacune, et une somme de 432.000 pour la totalité du cercle.
Maintenant il est remarquable que ce nombre 432.000 est précisément l’expression
de la période antédiluvienne, c’est-à-dire du temps écoulé entre le
commencement du monde et sa destruction par le déluge ; et que les parties
élémentaires de ce nombre sont exactement les sares, les sosses
et les nères mentionnés par le chaldéen Bérose. En effet, selon lui,
le sare vaut 3.600 ans ; et nous voyons que la section décutémorie
vaut 3.600 secondes : le nère valait 600 ans, et nous trouvons que
chaque signe contient 600 minutes, savoir, 10 sares, de 60 minutes
chaque : selon Bérose, le sosse, qui est la moindre période, vaut
60 ans ; et nous trouvons que 60 secondes sont la dernière sous division du
sare. On voit que le logogriphe commence à se dévoiler ; mais d’où vient
cette conversion du zodiaque mathématique en valeurs chronologiques ? Pour
expliquer ceci, il faut savoir ou se rappeler que chez les anciens, le mot
année, qui signifie un cercle, un anneau[32], une orbite, ne
fut point restreint à l’année solaire, mais qu’il fut étendu à tout cercle
dans lequel un astre, une planète quelconque, exécute, une révolution ; bien
plus, il devint chez les astronomes l’expression des révolutions simultanées
de plusieurs astres partis d’un même point du ciel, et s’y retrouvant après
une longue série de leurs mouvements inégaux : ainsi ayant, appelé année de
Mars, la révolution de cette planète, qui dure deux ans solaires ; année de
Jupiter, celle qui dure 12 ans ; année de Saturne, celle qui dure 31 ans ;
ils appelèrent encore année de restitution, et grande année, l’espace
de temps que le soleil, les planètes et les étoiles fixes employaient ou
étaient censés employer à revenir et à se trouver tous ensemble à un point
donné du ciel ; par exemple, au premier degré d’Aries, d’où ils
étaient partis. Cette dernière idée ne put avoir lieu que lorsque le phénomène
de la précession des équinoxes eut été connu, et que l’on eut vu l’ordre du
premier planisphère dérangé de plusieurs degrés, par l’anticipation que fait
le soleil dans le cercle zodiacal à chacune de ses révolutions. Cette grande
année fut d’abord estimée 25.000 ans, puis 36.000, puis enfin 432.000. Et
voilà ces années divines dont nous venons de voir l’indication dans Moïse de
Chorène, et dont les livres indous nous ont conservé une mention clairement
détaillée, en disant : qu’une année de Brahma est
composée de plusieurs années des nôtres, et qu’un jour des dieux est
précisément une année des hommes[33], etc.
Ce premier équivoque n’a pu manquer d’occasionner beaucoup
de confusions d’idées ; un second vint compléter le désordre. Dans la langue
des premiers observateurs, le grand cercle s’appelait mundus et orbis,
le monde. Par conséquent, pour décrire l’année solaire, ils disaient
que le monde commençait, que le monde naissait dans le signe du
Taureau ou du Bélier ; que le monde finissait, était
détruit dans un tel autre signe ; que le monde était composé de 4 âges (les 4 saisons) ; et
parce que leur année commençait, selon l’ordre rural, au printemps où tout naît,
et finissait en hiver où tout dépérit, ils disaient que ces âges allaient en
se détériorant ; que le. monde allait de mal en dis. Ces idées naturelles et
vraies, au sens physique, s’imprimèrent dans tous les esprits : Lorsque
ensuite par le laps de temps, par les progrès ou l’altération du langage, les
mots année et monde prirent un sens plus précis, les idées attachées à l’un ne
se détachèrent pas de l’autre, et les astrologues et les moralistes
profitèrent de l’équivoque pour dire que le monde
subissait des naissances et des destructions successives ; que la méchanceté
des hommes était la cause de ces destructions ; que, dans les premiers âges,
les hommes étaient bons, mais qu’ensuite ils se pervertirent ; et
ils ajoutèrent que le monde périssait tantôt par des incendies, tantôt par
des déluges ; parce que, selon que nous l’apprend Aristote, la saison
brûlante de l’été avait été appelée incendie, et que la saison
pluvieuse de l’hiver avait été appelée déluge[34] ; or le monde,
c’est-à-dire, l’année ayant eu son commencement tantôt au solstice d’été,
comme chez les Égyptiens, tantôt au solstice d’hiver, on avait dû dire que sa
fin arrivait dans ces saisons.
Ainsi c’est par l’équivoque des mots, et par l’association
vicieuse des idées, que le Zodiaque matériel fut converti en Zodiaque
chronologique, et que l’on supposa pour durée infinie du monde, ce qui
ne fut primitivement que la durée limitée d’une révolution circulaire. Voilà
toute l’illusion du calcul chaldéen et le mot de son logogriphe. Les 432.000
ans de Bérose ne sont qu’un calcul fictif de la grande période qui, selon les
mathématiciens, devait rétablir toutes les sphères célestes dans un premier
état donné. Cette grande période avait d’abord été supposée de 36.000 ans ;
mais l’observation avant fait connaître que le concours de toutes les sphères
n’était pas parfait, qu’il restait des intervalles et des fractions, les
mathématiciens, pour atténuer ces fractions et les rendre insensibles,
imaginèrent de les reverser sur plusieurs révolutions ; multipliant 36.000
par 12, ils obtinrent le nombre cité 432.000. Ils ne s’en sont pas tenus là ;
il paraît que leur doctrine s’étant introduite dans l’Inde, à une époque plus
ou moins reculée, leurs successeurs, dans cette contrée, ont voulu ajouter un
nouveau degré de précision, et ont, pour cet effet, multiplié ces 432.000 par
10, ce qui leur a produit les 4.320.000 qu’aujourd’hui les Indous nous
présentent comme durée du monde, avec des circonstances semblables à celles des
Chaldéens ; car ils terminent cette durée par un déluge, et ils remplissent
le prétendu temps antérieur par dix avatars ou apparitions de Vishnou, qui répondent
aux dix Rois antédiluviens. Ces analogies sont remarquables et mériteraient d’être
approfondies ; mais elles nous écarteraient trop de notre sujet ; il doit
nous suffire, pour terminer cet article, de dire que les 432.000 ans étant
une fiction, les dix prétendus Rois en sont une autre du même genre : chacun
d’eux doit désigner une période partielle ; et en effet, Alor et Dâon nous en
offrent un exemple connu dans leur nombre 36.000, qui est une période
élémentaire de 432.000 ans. Par cette analyse, les 10 patriarches de la Genèse, identiques aux 10
rois de Bérose, se trouvent jugés ; mais pourquoi portent-ils tous des noms
et. des chiffres différents ? ne serait-ce pas que cette légende serait plus
ancienne que celle de Bérose, et qu’elle aurait été faite avant l’ampliation
décimale des nombres ? D’ailleurs les écoles arabe et chaldéenne étant
diverses, chacune d’elles a pu avoir son système particulier calqué sur un
fond commun. Celui qu’a préféré l’auteur de la Genèse doit être
antérieur à Moïse, puisque le dogme des 7 jours qui se lie à l’histoire d’Adam,
se trouve consacré dans la législation de ce réformateur : le nom même d’Adam
se trouve dans son cantique[35], en admettant
cette pièce comme autographe. Si les détails des légendes nous fussent
parvenus sur chacun des t o rois et patriarches ; nous y eussions trouvé le
monde leurs énigmes respectives[36] ; nous en sommes
dédommagés par l’histoire d’Adam, d’Ève et de leur serpent, dont le caractère
astrologique est d’une évidence incontestable.
CHAPITRE XVI. — Mythologie d’Adam et d’Ève.
En effet, prenez une sphère céleste dessinée à la manière
des anciens ; partagez-la par le cercle d’horizon en deux moitiés : l’une
supérieure, qui sera le ciel d’été,
le ciel de la lumière, de la chaleur, de l’abondance, le royaume d’Osiris,
dieu de tous les biens ; l’autre moitié sera le ciel inférieur (infernus), le ciel d’hiver, le séjour des ténèbres ;
des privations et des souffrances, le royaume de Typhon, dieu de tous les
maux. A l’occident et vers l’équinoxe d’automne, la scène vous présente une
constellation figurée par un homme tenant une faucille[37], un laboureur
qui chaque soir descend de plus en plus, dans le ciel inférieur, et semble
être expulsé du ciel de lumière ; après lui vient une femme, tenant un rameau
de fruits beaux à voir et bons à manger : elle descend aussi chaque soir et
semble pousser l’homme, et causer sa chute : sous eux est le grand serpent,
constellation caractéristique. des boues de l’hiver, le Python des Grecs, l’Ahriman
des Perses, qui porte l’épithète d’Aroum dans l’hébreu. Près de là est le
vaisseau attribué tantôt à Isis, tantôt à Jason, à Noé, etc. ; à côté se trouve
Persée, génie ailé, qui tient à la main une épée flamboyante, comme pour
menacer : voilà tous les personnages du drame d’Adam et d’Ève, qui a été
commun aux Égyptiens, aux Chaldéens, aux Perses, mais qui reçut des
modifications selon les temps et les circonstances. Chez les Égyptiens, cette
femme (la Vierge du Zodiaque)
fut Isis, mère, du petit Horus, c’est-à-dire du soleil d’hiver qui, languissant
et faible comme un enfant, passe 6 mois dans la sphère inférieure pour
reparaître à l’équinoxe de printemps, vainqueur de Typhon et de ses géants :
Il est remarquable que dans l’histoire d’Isis, c’est le Taureau qui figure
comme signe équinoxial, tandis que chez les Perses, c’est le Bélier ou l’Agneau,
sous l’emblème duquel le dieu Soleil vient réparer les maux du inonde : de là
naît l’induction que la version des Perses est postérieure au vingt et unième
siècle avant notre ère, dans lequel le Bélier devint signe équinoxial ;
tandis que là version des Egyptiens peut et doit remonter à près de 4200 ans,
époque où le Taureau devint signe de l’équinoxe du printemps[38].
L’auteur juif, qui sans cesse écarte les indices de l’idolâtrie,
et substitue un sens moral au sens astrologique, a supprimé ici plusieurs
détails ; mais il a conservé un trait qui forme un nouveau lien dé sa version
à celles des Égyptiens et des Perses ; lorsqu’il fait dire à Dieu, maudissant
le serpent : J’établirai la haine entre la
race de la femme et entre la tienne, et son rejeton écrasera ta tête[39]. Ce rejeton est l’enfant
que dans les anciennes sphères célestes, la vierge (Isis, Ève) portait dans ses bras ;
et dont l’histoire, prise en contresens, est devenue si célèbre dans le
monde. Le lecteur qui désirera plus de détails sur ce sujet, en trouvera de
démonstratifs dans l’ouvragé de Dupuis, aux articles Apocalypse et Religion
chrétienne. Et nous bornant au récit de la Genèse, relativement à
Adam et au lieu de délices où il fut placé ; nous observons que deux des
fleuves mentionnés comme y ayant leur source, savoir, le Tigre et l’Euphrate,
indiquent encore une origine chaldéenne, car ils appartiennent spécialement à
la Chaldée. Le
troisième, appelé Gihoun, est sans
contredit le Nil, puisqu’il entoure la terre de Kus, qui est l’Éthiopie ou l’Abyssinie.
Le quatrième, appelé Phishoun ou Philon, n’est
point aussi facile à désigner, parce que la terre d’Hevila, qu’il entoure,
n’a pas une position claire, ainsi que nous le dirons bientôt ; seulement on peut
assurer qu’il n’y a point de raison solide à le prendre pour le Phase de
Colchide. D’ailleurs lorsque le texte nous dit que ces quatre fleuves
sortaient d’une même source, il nous avertit qu’il y a encore ici de l’allégorie,
puisque rien de tel n’existe dans la géographie connue, à moins qu’il n’ait
voulu indiquer, pour cette source l’Océan, duquel les anciens peuples ont souvent
cru que sortaient les fleuves et les rivières ; mais ici le mot de l’énigme est
plus compliqué, plus ingénieux : il faut, le trouver dans cette même
doctrine astrologique qui vient de nous en éclaircir d’autres. Or dans cette
doctrine, et conformément au génie oriental, qui exprime tout par figures, il
paraît que les adeptes représentèrent le Zodiaque sous l’image d’un fleuve
dont le cours entraîne tous les événements du ciel et de la terre. Pour
exprimer ce qui se passe pendant la saison d’été, ils peignirent au bord de
ce fleuve, à la porte, c’est-à-dire à l’équinoxe du printemps qui ouvre
labelle saison, ils peignirent un arbre, vêtu de ses feuilles, emblème
sensible de la végétation, ce fut l’arbre de vie, le lignum vitæ de l’Apocalypse, portant 12
fruits, un pour chaque mois. Jusqu’à l’automne le jardin où étaient ce fleuve
et cet arbre, était un lieu de délices ; mais venait ensuite le semestre d’hiver,
saison de ténèbres, de souffrances, empire du mal. L’homme qui goûta les
fruits de cette seconde période, acquit l’expérience des deux états ; il eut
la science du bien et du mal ; et lorsqu’il revint à la porte du printemps, l’arbre
de vie ne fut plus que l’arbre de cette science. Ce texte fut trop riche pour
être négligé par les prêtres moralistes ; en suivant cette première idée
du Zodiaque, devenu fleuve, le monde se trouva entouré de l’Océan ; par la
raison que Océan et fleuve s’expriment par un seul et même mot chaldéen arabe,
Bahr. De là cette antique
opinion exprimée par Hésiode et par Homère, que l’Océan est comme une
ceinture autour de la terre ; ici nous avons la sphère terrestre (la géographie)
confondue avec la haute sphère : cette confusion dont nous voyons un trait
dans les quatre fleuves de la
Genèse, est devenue un système complet dans les livres non
moins anciens des sectes indiennes de Bouddha. Tout ce que ces livres,
conservés au Thibet, à Ceylan, au Birmah et dans l’Inde ; nous disent du
monde entouré de 7 montagnes ; de 7 mers entre ces 7 montagnes, formant 7
grandes îles ; chaque mer et chaque montagne avec un nom distinct et des qualités
relatives aux métaux, l’or, l’argent, etc., et aux couleurs, rouge, vert,
etc. ; aux pierres précieuses ; tout ce qu’ils disent de la division du monde
en quatre parties, et des quatre faces du mont Righel ou Merou (qui est l’Olympe) :
tout cela, qui au sens littéral est absurde et sans type physique, devient
raisonnable et vrai, quand on le prend pour une description du monde céleste
et de ses divisions physiques, selon les systèmes anciens. Il ‘y a cette
particularité dans la cosmogonie du Thibet, que près d’un grand arbre ; qui
est la figure du monde, sont placés 4 rochers, desquels sortent quatre
fleuves sacrés, dont l’un fait face à l’orient, l’autre au midi, le troisième
au couchant, et le quatrième au nord ; c’est-à-dire qu’ils sont placés aux
quatre portes du cercle zodiacal (les 2 solstices et les 2 équinoxes) ; et afin que l’on ne s’y
trompe point, chacun de ces 4 fleuves est caractérisé par la tête d’un animal[40] qui, dans le
Zodiaque lunaire indien, est affecté à l’un de ces points du cercle céleste.
Nous avons ici une analogie sensible avec les quatre fleuves de la Genèse qui, chez les
Chaldéens comme chez les Indiens, ont été la figure des influences célestes s’écoulant
du grand fleuve Zodiaque par les quatre portes du ciel, c’est-à-dire par les coupures
des solstices et des équinoxes qui ouvraient chaque saison et. déterminaient
son caractère. Il est à remarquer que l’historien Josèphe, qui, en sa qualité
de prêtre, ne fut pas étranger à la doctrine secrète, dit que le fleuve
Phison est le Gange, ce qui indique une sorte de parenté entre les deux
systèmes : il ajoute que chacun de ces fleuves a un sens moral ; que l’Euphrate
signifie dispersion (il
a voulu dire division, séparation, pharat)[41] ; le Tigre,
rapidité ; le Phison, multitude ou abondance ; et le Gihoun, venant d’Orient.
Ne serait-ce point ici la cause des noms de ces 4 fleuves qui, par l’effet du
hasard, se seraient trouvés avoir le nom des qualités attribuées aux époques
des influences. Au reste les Indiens ont aussi leur paradis, et les 4 fleuves
qui en sortent, viennent également d’une source commune, placée au point de
partage des eaux de l’Indus, de l’Oxus (appelé Gihoun
par les Arabes) et de deux autres rivières. Chaque peuple a dû
chercher et trouver chez lui ces fleuves d’un monde primitivement fictif, et
la ressemblance des noms qu’ils portent est un indice de la source commune de
toutes ces idées. Prétendre, avec les missionnaires chrétiens, que cette
source est dans les livres de Moïse, d’où elle se serait répandue chez tous
les peuples, est une hypothèse insoutenable, surtout quand ces livres sont
une énigme qui ne s’explique que par les livres des autres peuples. La vérité
est que le petit peuple hébreu, plus obscur chez les anciens que les Druses
chez les modernes, a pris sa part des idées que le commerce et la guerre
répandirent dès la plus haute antiquité, et rendirent communes aux grandes
nations civilisées, telles que les Égyptiens, les Chaldéens, les Assyriens,
les Mèdes, les Bactriens, et les Indiens, qui tous eurent leurs collèges de
prêtres astronomes et astrologues, livrés aux mêmes travaux, par conséquent
soumis aux mêmes révolutions de découvertes, de disputes, d’erreurs de
perfectionnement que nous voyons dans tous les siècles agiter les corps
savants et même ignorants. Plus on a pénétré, depuis 30 à 40 ans, dans les sciences
secrètes, et spécialement dans l’astronomie et la cosmogonie des Asiatiques
modernes, les Indous, les Chinois, les Birmans, etc., plus on s’est convaincu
de l’affinité, de leur doctrine avec celle des anciens peuples nommés
ci-dessus[42]
; l’on peut dire même qu’elle s’y est transmise plus complète à certains
égards, et plus pure que chez nous, parce qu’elle n’a pas été aussi altérée
par des innovations anthropomorphiques qui ont tout dénaturé... Cette
comparaison du moderne à l’ancien est une miné féconde, qui n’attend que des
esprits droits et dégagés de préjugés pour fournir une foule d’idées
également neuves et justes en histoire ; mais, pour les apprécier et les
accueillir, il faudra aussi des lecteurs affranchis de ces mêmes préjugés
ennemis de toute idée nouvelle, etc.
CHAPITRE XVII. — Mythologie de la création.
POURSUIVONS nos recherches sur la Genèse, et montrons
que son récit de la création se retrouve, comme les précédents presque
littéralement exprimé, dans les cosmogonies anciennes, et toujours
spécialement dans celles des Chaldéens et des Perses. Notre traduction va
être plus fidèle que celles du grec et du latin :
Au commencement, les dieux (Elahim) créa (bara)
les cieux et la terre. Et la terre était (une masse) confuse et déserte, et l’obscurité (était) sur la face de la terre.... Et le vent (où esprit) des dieux s’agitait sur la face des eaux. Et les dieux
dit : Que la lumière soit ! et la lumière fut ; et il vit que la lumière
était bonne ; et il la sépara de l’obscurité. Et il appela jour la lumière, et
nuit l’obscurité ; et le soir et le matin furent un Premier jour.
Et les dieux dit : Que le vide
(Raqîa) soit (fait) au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux des eaux ;
et les dieux fit le vide séparant les eaux qui sont sous le vide, des eaux
qui sont sur le vide ; et il donna au vide le nom de cieux ; et le soir et le
matin furent un second jour ; et les dieux dit : Que les eaux sous les cieux
se rassemblent en un seul lieu, et que la terre sèche se montre ; cela fut
ainsi ; et il donna le nom de terre à la sèche, et le nom de mer à l’amas d’eaux
; et il dit : Que la terre produise les végétaux avec leurs semences ; et le
soir et le matin furent un troisième jour, etc.
Et le quatrième jour, il fit
les corps lumineux (le soleil et la lune),
pour séparer le jour de la nuit, et pour servir de signes aux temps, aux
jours et aux années.
Au cinquième jour, il fit les
reptiles d’eau, les oiseaux et les poissons.
Au sixième jour, les dieux fit
les reptiles terrestres, les animaux quadrupèdes et sauvages, et il dit : Faisons
l’homme à notre image et à notre ressemblance, et il créa (bara) l’homme à son image ; et le créa (bara) à son image ; et il les créa (bara) mâle et femelle ; et il se reposa au septième jour, et il
bénit ce septième jour.
Or, il ne pleuvait point sur
la terre ; mais une source (abondante) s’élevait de la terre, et arrosait toute sa surface.
Et il avait planté le jardin d’Éden
(antérieurement ou à l’Orient) ; il y plaça l’homme. Au milieu du jardin
était l’arbre de vie : et l’arbre de la science du bien et du mal. Et du
jardin d’Éden sortait un fleuve qui se divisait en 4 têtes appelées le
Phison, le Gihoun ; le Tigre et l’Euphrate.
Et Iahouh-les-dieux[43] dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; et il lui
envoya un sommeil, pendant lequel il lui retira une côte, de laquelle il
bâtit la femme, etc., etc.
Si un tel récit nous était présenté par les brahmes ou par
les lamas, il serait curieux d’entendre nos docteurs contrôler ses anomalies.
Voyez, diraient ils, quelle étrange physique ! Supposer que la lumière existe
avant le soleil, avant les astres, et indépendamment d’eux ; et ce qui est plus
choquant, même dans le langage, dire qu’il y a un soir et un matin, quand le
soir et le matin ne sont que l’apparition ou disparition de l’astre qui fait
le jour ! Et ce vide produit au milieu des eaux, qui suppose qu’au-dessus du ciel
visible, il y a un amas d’eaux subsistant ! aussi cette physique nous
parle-t-elle des cataractes du ciel ouverte au déluge ; et l’un de ses
interprètes ne craint pas de nous dire que la voûte du ciel est de cristal[44]. Et cette terre sans pluies, sans nuages, par conséquent,
sans évaporation, ayant une seule source qui arrose sa face ! et cet homme
créé tout seul et cependant mâle et femelle ! en vérité ces Indous avec leurs
Shastras et leurs Pouranas nous font des contes arabes.
Nous le pensons comme nos docteurs ; mais parce que ce
côté de la question est jugé pour tout esprit de sens rassis et non imbu des
préjugés de l’enfance, nous allons nous borner à considérer le côté
allégorique, et à développer le sens : Tout lecteur aura été choqué de notre
traduction les dieux créa ; néanmoins telle est la valeur du texte, de. l’aveu
dé tous les grammairiens. Pourquoi. ce pluriel gouvernant un singulier ?
parce . que le rédacteur juif, pressé par deux autorités contradictoires ; n’a
vu que ce moyen de sortir. d’embarras. D’une part, la loi de Moïse
proscrivait la pluralité des dieux ; d’autre part, les cosmogonies sacrée,
non seulement des Chaldéens, mais de presque tous les peuples, attribuaient
aux dieux secondaires, et non à ce grand Dieu unique, l’organisation du
monde. Le rédacteur n’a osé chasser un mot consacré par l’usage. Ces Elahim
étaient les décans des Égyptiens, les génies des mois et des planètes chez les
Perses et les Chaldéens, génies-dieux cités sous leur propre nom par l’auteur
phénicien Sanchoniaton, lorsqu’il dit : les compagnons d’Il ou El
qui est Kronos (Saturne), furent appelés Eloïm ou Kroniens[45] et on les disait
les égaux de Kronos.
Or Kronos ou Saturne est, comme on sait, l’emblème du temps,
mesuré par la planète de, ce nom : ses égaux furent donc naturellement
des génies de la même espèce. La lettre h
manquant à l’alphabet grec, le mot Eloïm
a rendu le mieux possible le phénicien arabe Elahim,
pluriel hébreu de Elah, Dieu.
Mais pourquoi leur attribuait-on l’organisation de la création du monde ? Par
la raison simple et naturelle, que le monde dans son sens primitif fut le grand
orbe des cieux, et spécialement l’orbe ou cercle du Zodiaque. Or, comme à partir
de l’équinoxe du printemps les êtres terrestres, engourdis et comme morts
pendant l’hiver, prenaient une vie nouvelle ; que la production des feuilles,
des fleurs et de tout le règne végétal, semblait être une véritable création,
les génies qui présidaient à chaque signe du Zodiaque furent considérés comme
les auteurs et moteurs de tout ce mouvement de vie ; et parce que cette
période de vie, d’abondance et de délices, ne durait que jusqu’à l’équinoxe d’automne,
la création fut dite ne durer que six mois, qui, par d’autres équivoques, ont
été appelés dans les diverses cosmogonies tantôt des jours, tantôt des mille,
etc.
Avec le progrès des connaissances, les astronomes
physiciens ayant considéré le monde sous un point de vue plus vaste, des
esprits subtils raisonnèrent sur l’origine de tous les êtres visibles ; et
alors naquirent ces systèmes plus ou moins extravagants qui de l’Inde et de la Chaldée passèrent dans l’ancienne
Grèce, et qui, commentés par Pythagore, par Thalès, par Platon, par Zénon,
par Aristote, ont donné naissance à d’autres systèmes que l’on peut appeler
des délires organisés. Quant au mot création, pris dans ce sens de produire
de rien, de tirer du néant des substances solides et sensibles, il est douteux
que cette idée abstraite, due à l’exaltation des cerveaux jeûneurs des pays
chauds, ait été connue ou reçue par les anciens juifs ; ce qu’il y’a de
certain, c’est que le mot bara ;
traduit par (les
dieux) créa, ne comporte
point ce sens, puisqu’on le trouve en beaucoup d’occasions employé comme dans
le sens de fabriquer, former : nous en avons trois exemples dans
le morceau cité, où il est dit que Dieu créa l’homme à son image, qu’il les
créa mâle et femelle, etc. Le limon rouge dont l’homme fut formé existait ;
et la distinction du sexe n’est qu’une disposition de la matière déjà formée
: il n’y eut donc point là une création dans le sens de tirer du néant,
de produire quelque chose avec rien.
Nous avons dit que les six mois de la création furent considérés
sous des rapports et sous des noms divers, selon les divers systèmes des
anciens astrologues. Leurs livres, chez les Perses et chez les Étrusques,
nous en offrent deux exemples d’une analogie sensible avec la Genèse.
Un auteur toscan très instruit,
dit Suidas[46],
a écrit que le grand Démi-ourgos, ou architecte de
l’univers, a employé 12.000 ans aux ouvrages qu’il a produits, et qu’il les a
partagés en 12 temps distribués dans les 12 maisons du soleil (les 12 signes du Zodiaque).
[Notez
que ce grand architecte, ou son type originel, est le soleil, qui dans toutes
les premières théogonies, est le créateur, le régulateur du monde supérieur
et inférieur.]
Au premier mille, il fit le
ciel et la terre. Au deuxième mille, il fit le firmament (le grand vide) qu’il appela le ciel.
Au troisième mille, il fit la
mer et les eaux qui coulent dans la terre.
Au quatrième, il fit les deux
grands flambeaux de la nature.
Au cinquième, il fit l’âme des
oiseaux, des reptiles, des quadrupèdes, des animaux qui vivent dans l’air,
sur la terre et dans les eaux.
Au sixième mille, il fit l’homme.
Cette distribution des ouvrages est d’une telle
ressemblance, qu’on ne peut douter qu’elle ne vienne de la même source. Or,
et si l’on considère, d’une part, que tout ce que nous connaissons des arts
et de la religion étrusques, a une analogie frappante, avec les arts et la
religion de l’Égypte[47] ; d’autre part,
que Moïse a imité une foule d’institutions de ce dernier pays, l’on sera
porté à y placer l’origine de ces idées, surtout lorsqu’elles se lient à l’institution
de la semaine qui est attribuée aux Égyptiens et qui date de la plus haute
antiquité. Dans la citation que nous venons de faire, nous avons des mille à
la place des jours ; mais il ne faut pas oublier que les anciens théologues
ou cosmologues ont donné des acceptions très diverses aux mots jours et
années.
Le soleil, dit l’ancien
livré indien attribué à Mènou, cause la division
du jour et de la nuit qui sont de deux sortes, ceux des hommes et ceux des
dieux. Le mois (où temps d’une lune) est un jour
ou nuit des Richis (ou Patriarches). La moitié
brillante est destinée à leurs occupations, et la moitié obscure à leur
sommeil. Une année est un jour et une nuit des dieux (censés habiter le pôle ou mont
Merou) ; leur jour a lieu quand le soleil
se meut (de
l’équateur) au nord (en effet le pôle nord est éclairé,
six mois) ; (de l’équateur) au midi
(ou pôle
sud) ; or 4.000 années des dieux,
composées de tels jours, font un âge appelé krïta, etc.[48]
Quant aux mille employés ici comme synonymes des mois et
des signes du Zodiaque ; nous avons vu et nous allons voir encore que cette
division décimale de chaque signe fut usitée par les Chaldéens, sans
néanmoins prétendre en exclure les Égyptiens. Avec un tel langage et de
telles acceptions de mots, l’on sent que les mystiques anciens et modernes
ont pu se faire un dictionnaire très embarrassant pour ceux qui n’en ont pas
la clef. En cette occasion, elle nous donne le moyen de reconnaître entre les
six jours des Hébreux et les six mille des Étruriens, une synonymie difficile
à contester. L’auteur étrurien ajoute que les six
premiers mille ans ayant précédé la formation de la race humaine, elle semble
ne devoir subsister que pendant les six mille autres qui complètent la
période de douze mille ans au bout desquels le monde finit.
Ici nous avons la source de l’Opinion des millénaires si
célèbres dans les premiers siècles du christianisme, et qui fut commune à
presque tout l’Orient : en même temps nous voyons l’effet bizarre produit par
l’équivoque du monde ou orbe zodiacal avec le monde pris pour une durée
systématique de l’univers.
D’un autre côté, cette durée de douze mille, et cette
création pendant six, se retrouve chez les Parsis, successeurs des anciens
Perses, et dans leur Genèse intitulée Boun Dehesch.
Le temps, dit ce
livre ancien, page 420, est de douze mille ans ;
il est dit dans la loi que le peuple céleste fut trois mille ans à exister,
et qu’alors l’ennemi (Ahriman) ne fut pas dans le monde. Kaïomorts et le
Taureau furent trois autres mille ans dans le monde, ce qui fait six mille
ans....
Les mille de Dieu parurent
dans l’Agneau, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion et l’Épi, ce qui
fait six mille ans. (Ici l’allégorie est sans voile.) Après
les mille de Dieu, la Balance
vint ; Ahriman (ou le mal) courut dans le monde (l’hiver commença.)
Idem, page 345. Le temps (ou destin) a
établi Ormuzd, roi borné pendant l’espace de douze mille ans.
Page 348. Des productions du
monde, la première que fit Ormuzd fut le ciel. La deuxième fut l’eau ; la
troisième fut la terre ; la quatrième furent les arbres ; la cinquième furent
les animaux ; la sixième fut l’homme. »
Page 400. Ormuzd parlant dans
la loi dit encore, j’ai fait les productions du monde en 365 jours ; c’est
pour cela que les 6 gahs gahanbars (les mois) sont
renfermés dans l’année.
Enfin, dans l’origine de toutes choses, l’auteur dit, page
344 et suivantes, que les ténèbres et la lumière
étaient d’abord mêlées et formant un seul tout ; qu’ensuite étant séparées
par le temps (ou
destin), elles formèrent Ormuzd et Ahriman,
etc.
Ces passages nous offrent, d’une part, l’explication la
plus claire de la période de douze mille ans, supposée devoir être la durée
physique du monde ; d’autre part, une analogie marquée avec le récit que la Genèse fait de la
création : la différence principale est que, dans l’hébreu, le premier œuvre
est la séparation de la lumière, tandis que dans le Parsi, c’est la formation
du ciel ; mais abstractivement de l’ordre numérique, l’un et l’autre placent
d’abord le chaos ténébreux, puis la séparation de la lumière, et l’auteur
juif semble faire une allusion directe aux idées zoroastriennes, quand il dit
que la lumière fut bonze : néanmoins, comme le dogme du bien et du mal existe
également dans le système égyptien d’Osiris et de Typhon, cette allusion ne
peut faire preuve pour la date de la composition.
Une comparaison suivie de la Genèse juive avec la Genèse parsie,
multiplierait les exemples d’analogie ; mais ce travail nous écarterait trop
de notre but ; nous nous bornerons à remarquer avec le traducteur (Anquetil du Perron)
que le Boun Dehesch[49] est une
compilation évidente de livres anciens dont il s’autorise, et que cette
compilation, quoiqu’elle cite dans ces trois derniers versets les dynasties
Sasanide, Aschkanide, et le règne d’Alexandre, doit néanmoins remonter à une
époque antérieure : ces trois versets ont dû être ajoutés après coup, comme
il est arrivé aux livres de l’Inde. On a droit de croire, vu l’analogie de
plusieurs de ses passages avec certaines citations des anciens auteurs grecs,
et entre autres de Plutarque, que le compilateur eut sous les yeux quelques
livres de Zoroastre ; mais en lisant le Boun Dehesch avec attention,
nous y trouvons d’autres citations singulières qui ne peuvent venir de cette
source. Par exemple, à la page 400, ch. XXV, il est dit : que le plus long jour de l’été est égal aux deux plus
courts de l’hiver ; et que la plus longue nuit d’hiver est égale aux deux
plus courtes nuits d’été.
Un tel état de choses n’a lieu que par le 49e
degré 20 minutes de latitude, où le plus long jour de l’année est de 16 heures 10 minutes, et le plus
court, de 3 heures 5
minutes. Or cette latitude est d’environ 12 degrés plus nord que les villes
de Bactre ou Balhh et Ourmia, où l’histoire place le théâtre des actions de
Zoroastre. Cette latitude sort infiniment au delà des frontières de l’empire
persan, à quelque époque qu’on le prenne. Elle tombe dans la Scythie, soit au nord du
lac Aral et de la
Caspienne, soit aux sources de l’Irtisch, de l’Ob, du Ienisseï
et de la rivière Selinga : elle se trouve dans le pays des anciens grands
Scythes (ou
Massagètes), qui disputèrent d’antiquité avec les Égyptiens, selon
Hérodote. Aurait-il donc existé dans ces contrées, à ce parallèle, un ancien
foyer d’observations astronomiques, chez un peuple policé et savant ? ou l’observation
citée par le Boun Dehesch
serait-elle tirée de temps plus modernes ? Ammien Marcellin nous apprend avec
Agathias, que, postérieurement à Zoroastre, le
roi Hystasp ayant pénétré dans certains lieux retirés de l’Inde supérieure,
arriva à des bocages solitaires dont le silence favorise les profondes
pensées des Brames. Là, il apprit d’eux, autant qu’il lui fut possible, les
rites purs des sacrifices, les causes du mouvement des astres et de l’Univers,
dont ensuite il communiqua une partie aux mages. Ceux-ci se sont transmis ces
secrets de père en fils, avec la science de prédire l’avenir ; et c’est
depuis lui (Hystasp) que dans une longue suite de siècles jusqu’à ce jour,
cette foule de mages composant une seule et même race (ou caste), a été consacrée au service des temples et au culte des
dieux.
Ce passage nous indique clairement une réforme ou, une
innovation introduite par Hystasp dans la religion de Zoroastre. Quel fut,
cet Hystasp ? Ammien Marcellin dit que ce fut le père du roi Darius ; mais
Agathias, auteur instruit, dit que cela n’était point clair chez les Perses :
et Hérodote, presque contemporain de Darius, atteste que ce prince, promu à
la royauté par l’élection, était le fils d’un simple particulier ou seigneur
persan. N’est-il pas à croire que le roi Hystasp est Darius lui-même, appelé
par abréviation, du nom de son père Hystasp ? L’innovation indiquée lui
conviendrait par bien des raisons : lorsqu’il fut élu roi, les mages de Zoroastre
subirent un massacre général dans tout l’empire perse, en vengeance de la
tromperie du mage Smerdis, usurpateur du trône de Cambyse. Darius, qui
organisa le gouvernement, jusqu’alors purement militaire, qui partagea l’empire
en vingt satrapies, qui fit battre une monnaie générale et régla les tributs
de chaque peuple, qui établit une police et des lois, porta sûrement son
attention sur le culte qui n’avait plus de ministres et qui partageait leur
discrédit ; il voulut, comme tous les rois, donner cet appui à son trône : Hérodote,
garant de tous ces détails, nous apprend que la vingtième satrapie, la plus
riche de toutes[50],
était celle des Indiens (des
sources de l’Indus ou Pendjab) : n’est-il pas probable que Darius
Hystasp visita cette partie de ses sujets, et que le fait cité par Ammien
date de cette époque. Ce prince aurait donc alors consulté les Brahmes ou
plutôt les Bouddhistes-Samanéens, dont la doctrine était dominante. Or, en
examinant la cosmogonie des Bouddhistes réfugiés à Ceylan, telle qu’elle est
exposée dans le tome septième des Asiatik researches[51], nous trouvons
plusieurs traits de ressemblance entre cette cosmogonie d’origine indienne et
celle des Perses ; ce qui est surtout frappant,, c’est que des quatre dieux
ou anges qui gardent et surveillent les quatre coins du monde, l’un en Parsi,
s’appelle Tashter, et en Bali, ou
langue sacrée de Ceylan, der Terashtré
; l’île de l’est en Bali, se nomme pouya wevidehé
; et en Parsi l’est se nomme pouroué weedesieh
; l’ouest en Parsi est appelé appéré godamé
et en Bali apré godami : le nord, en
Parsi, outourou kourou offre, le même
mot outourou, que les Indiens appliquent
au pôle du sud, par une transposition dont on trouve un autre exemple entre
les Ceylanais et les Birmans.
Maintenant, s’il existe une analogie marquée entre les
Bouddhistes et les Parsis, quant au système cosmogonique, n’est-il pas à
croire, que la cause de cette analogie se trouve dans la réforme ou
innovation de Darius Hystasp, qui rapporta de l’Inde ces idées qu’il
communiqua aux mages, dont il fit une création nouvelle. Alors le Boun
Dehesch aura été composé après cette époque, et probablement peu après la
ruine de l’empire perse par Alexandre, lorsque les livres sacrés devinrent
plus rares par les troubles et les incendiés des guerres. D’autre part, les
Brahmes et les Bouddhistes s’accordent à dire qu’ils ne sont point indigènes
de l’Indostan ; qu’ils sont originaires du nord, et leur figure ovale porte
le caractère scythe : leur berceau ancien et premier aurait-il été par les 49
degrés 20 minutes de latitude, et aurait-il existé là très anciennement un
peuple policé, auteur de l’observation, citée ? L’illustre Bailly, dans son Astronomie
ancienne, a cité beaucoup de faits à l’appui de cette opinion ; son
émule, Lalande, qui ne fut point versé en littérature ancienne, a voulu
beaucoup la déprécier, mais si quelque jour un homme doué de talent réunit
aux connaissances astronomiques l’érudition de l’antiquité que l’on en sépare
trop, cet homme apprendra à son siècle bien des choses que la vanité du nôtre
ne soupçonne pas. Revenons à notre cosmogonie juive, et à nos douze mille ans
étrusques et parsis.
Astronomiquement parlant, il n’existe point de périodes de
12.000 ans, c’est-à-dire que ce nombre ne convient à aucune révolution simple
ou compliquée d’astres ou de planètes. Pourquoi donc se trouve-t-il employé
en ce sens par les anciens ? Ceci est encore un logogriphe astrologique dont
il faut demander la solution aux adeptes de la science secrète. Cette
solution nous est donnée par l’ingénieux et savant Dupuis, dans son Mémoire
sur les grands Cycles ou Périodes de restitution. En
comparant avec attention diverses périodes des Indiens et des Chaldéens,
dit-il en substance, l’on s’aperçoit que leur
composition est due à une addition ou soustraction croissante ou décroissante
d’un premier nombre élémentaire qui suit l’ordre arithmétique direct 1, 2, 3,
4, ou l’ordre inverse 4, 3, 2, 1 ; c’est ce que démontre l’analyse
1° L’Ezour-Vedam rapporte une tradition indienne[52] d’après laquelle
les quatre âges du monde, ont eu la durée suivante : savoir,
Le premier âge :
4.000 ans.
Le second : 3.000
Le troisième : 2.000
Le quatrième :1.000
Otez les zéros, vous aurez 4, 3, 2, 1.
Le Baga-Vedam, autre livre sacré indou, cite une
tradition d’une autre source ; il dit que, selon les anciens, le premier âge
du monde
dura : 4.800 ans.
Le second : 3.600
Le troisième : 2.400
Le quatrième, où nous sommes, doit durer : 1.200
TOTAL : 12.000
Voilà encore l’ordre 4, 3, 2, 1, dans les premiers
chiffres ; et il se retrouve le même, quoique double, dans les seconds, 8, 6,
4, 2. De plus, prenez pour élément le nombre le plus simple 1.200, élevé à 2
ou à son double, vous avez 2.400 ; à son triple (3) 3.600 ; à son quadruple (4) 4.800, et la
somme des quatre est 12.000. Les mystiques indiens ont figuré ce système par
une vache dont les quatre pieds représentent les quatre âges du monde. Au
premier âge, la vache se tenait sur ses quatre jambes ; au second sur 3 ; au
troisième sur 2 ; au quatrième, sur 1. Toujours 1, 2, 3, 4, ou 4, 3, 2, 1. Ce
n’est pas tout ; ces mêmes Indiens, dans d’autres livres plus savants[53], ayant établi la
durée totale du monde à 4.320.000 ans,
disent que le premier âge a duré : 1.728.000 ans.
Le second : 1.296.000
Le troisième : 864.000
Le quatrième : 432.000
TOTAL : 4.320.000
Voilà une grande différence de nombre, et cependant l’ordre
de composition et de décomposition est le même, car prenant pour élément le
plus petit nombre 432.000 = 1 ans. Nous avons, en l’élevant à 2
son double.... :
864.000 = 2
En l’élevant à 3, son triple. : 1.296.000 = 3
En l’élevant à son quadruple : 1.728.000 = 4
TOTAL : 4.320.000.
D’autre part, les Indiens disent qu’une année des dieux se
compose de 360 années des hommes : les 4.320.000 étant des années de cette
dernière espèce, divisons cette somme par 360, qui est le dénominateur des
années divines ; le quotient qui vient est la période 12.000 ; n’est-il pas
singulier de voir les calculs indiens prendre leurs éléments chez les Perses
et chez les Étruriens ?
En outre, dans la période indienne nous avons pour élément
premier la fameuse période chaldaïque de Bérose, 432.000 ans.
Maintenant, pour la composer suivons l’ordre arithmétique
1, 2, 3, 4 jusqu’à 8, en prenant comme élément premier la période
Etrusco-Perse : 12.000
ans,
nous aurons, pour second degré : 24.000
Pour troisième : 36.000
Pour quatrième : 48.000
Pour cinquième :
60.000
Pour sixième : 72.000
Pour septième : 84.000
Pour huitième :
96.000
Pour total de toutes ces sommes : 432.000
Il n’est pas besoin de raisonner longuement sur cet
exposé, que nous avons beaucoup abrégé ; le lecteur en voit facilement
découler plusieurs conséquences.
1° Il est clair que toutes ces périodes sont des
combinaisons mathématiques plus ou moins fictives et arbitraires, imaginées
par les anciens pour faciliter leurs opérations d’astrologie plutôt que de
véritable astronomie.
2° Il est sensible, que ces périodes qui, quoique éparses
chez divers peuples à diverses époques, s’amalgament si parfaitement quand on
les rassemblé, appartiennent à un seul et même corps de doctrine dont l’origine
remonte à une très haute antiquité, et dont le foyer semble se placer de
préférence chez les Égyptiens et les Chaldéens.
3° Enfin il nous semble également démontré que toutes ces
idées, tous ces systèmes de création, de durée, de destruction et d’âges du
monde ont eu leurs types primitifs dans les idées simples et naturelles d’un
système originel dont les figures hiéroglyphiques mal interprétées, dont les
termes équivoques mal compris, sont devenus une cause de désordre moral et
métaphysique. Ainsi les 4 âges du monde, si célèbres dans l’Inde et la Grèce, quoique aucun
mortel n’en pût avoir de notion, ces 4 âges n’ont point d’autre origine, d’autre
type que les 4 saisons de l’année, ce grand cercle monde dont une
révolution commence et finit toutes les opérations de la nature. La création
n’est autre chose que la production nouvelle, que le mouvement, de vie
spontané qui, chaque année, au printemps, a lieu dans tout le système des végétaux
et des animaux. Ce printemps, saison de feuilles, de fleurs et de pâturages,
d’abondance, de lumière et de chaleur, fut l’âge d’or, parce qu’il est sous l’influence
du soleil, qui dans l’alchimie et l’astrologie a l’or pour emblème ; l’été, l’âge
d’argent, parce que ses nuits longues et sereines sont sous l’empire de la
lune, à l’emblème d’argent : Vénus au blason de cuivre, Mars an blason
de fer, présidèrent à l’automne et à l’hiver ; et voilà l’ordre figuré sur
lequel les moralistes bâtirent leurs systèmes de bonheur originel, de vertu
première, de dégradation postérieure et successive, de vice et de malheur final,
punis par une destruction à laquelle ils ne manquent jamais de faire succéder
une nouvelle organisation calquée sur celle du monde ou cercle zodiacal.
Voilà les bases de cette doctrine qui, professée d’abord secrètement dans les
mystères d’Isis, de Cérès et de Mithra, etc., se répandit ensuite avec éclat
dans toute l’Asie, et qui a fini par envahir toute la terre. Mais il est
temps de clore cet article, et cependant ne passons point sous silence la
différence apparente ou réelle qui existe entre la Genèse et Bérose au sujet
de la création. Il est fâcheux que le récit de cet écrivain ne nous soit
parvenu qu’après avoir été copié d’abord par Alexandre Polyhistor qui a pu y
faire quelque changement, puis retouché par le Syncelle qui l’abrége et le
censure selon ses idées, de manière qu’il y a plusieurs voiles entre nous et
le texte originel et primitif des traditions chaldéennes traduites en grec et
commentées par Bérose.
Selon cet historien, dans le fragment qui nous est
transmis[54],
: l’on avait conservé avec beaucoup de soin à Babylone,
des archives ou registres contenant l’histoire de 15 myriades d’années et
traitant du ciel, de la mer, de l’origine des choses, puis des (X) rois et de leurs, actions, etc. Bérose décrit d’abord l’état
physique du pays de Babylone, ses productions, ses limites, sa population...
Dans le principe, les hommes vivaient à la manière des brutes, sans mœurs et sans
lois, lorsque de la Mer
Érythrée (golfe
persique), sur la plage chaldéenne, sortit
un animal ayant la forme d’un poisson selon Apollodore, portant sous sa tête
de poisson une autre tête et des pieds d’homme attachés près sa queue de poisson
; cet animal, appelé Oan, avait la voix et le langage des hommes, et l’on
conserve encore (à Babylone) son effigie peinte.
Cet être qui ne mangeait point, venait de temps à autre se montrer aux
hommes, pour leur enseigner tout ce qui est utile, les arts mécaniques, les lettres,
les sciences, la construction des villes et des temples, la confection des
lois, la géométrie, l’agriculture, et tout ce qui rend une société policée et
heureuse. Depuis cette époque l’on n’en a plus ouï parler. Cet animal Oan, au
coucher du soleil, descendait dans la mer, et passait la nuit sous l’eau ou
près de l’eau : par la suite, d’autres animaux semblables à lui se montrèrent
aussi. Il avait écrit un livre qu’il laissa aux hommes, sur l’origine des
choses et, sur l’art de conduire la vie. Un temps exista où tout était eau et
ténèbres contenant des êtres inanimés informes, qui (ensuite) reçurent la vie et la lumière sous diverses formes et
espèces étranges c’étaient des corps humains ; les uns à 2, les autres à 4
ailes d’oiseau avec 2 visages ; ceux-ci, sur un seul corps, portaient une
tête d’homme et une tête de femme avec
l’un et l’autre sexe ; ceux-là avaient des jambes et des cornes de chèvre ; d’autres,
tantôt la tête, tantôt la croupe d’un cheval : il y avait aussi des taureaux
à tête d’homme et une foule d’autres combinaisons bizarres de têtes, de
corps, de queues de divers animaux, tels que les chiens, les chevaux, les
poissons, les serpents, les reptiles, dont les figures se voient encore
peintes dans le temple de Bel. Une femme nommée Omoroka présidait à toutes
ces choses : ce mot chaldéen signifie en grec la mer et désigne la lune.
Or Belus, divisant cette femme en deux moitiés, de l’une fit la terre, et de
l’autre le ciel, d’où s’ensuivit la mort des animaux. Bérose observe que ceci
est une manière figurée d’exprimer la formation du monde et des êtres animés
avec une matière humide. Le dieu Bel ayant enlevé la tête de cette femme, d’autres
dieux (Elahim) mêlèrent à la terre son corps qui était tombé, et dont furent
formés les hommes ; c’est par cette raison qu’ils sont doués de l’intelligence
divine. En outre le dieu Bel, qui est Youpiter, ayant partagé les ténèbres en
deux moitiés, sépara le ciel de la terre, établit le monde dans l’ordre où il
est, ci les animaux qui ne purent soutenir la lumière, disparurent. Bel, qui
vit que la terre était déserte quoique fertile, ordonna aux autres dieux de
se couper chacun la tête, de mêler leur sang à la terre, et d’en former des
êtres qui supportassent l’air ; enfin Bel lui-même fit les astres, le soleil,
la lune et les 5 autres planètes. Voilà ce que Polyhistor raconte en son
livre 1er, d’après Bérose.
Ces récits, pris à la lettre, seraient, trop choquants,
trop absurdes ; aussi le prêtre Bérose nous observe-t-il qu’il y faut voir
une expression figurée des opérations de la nature ; et l’étude de l’histoire
ancienne et moderne, en nous montrant, chez des peuples divers, tels que les
Égyptiens, les Indiens, les Chaldéens, les Chinois, les Mexicains, etc. des
systèmes entiers de figures monstrueuses du même genre que celles-ci, nous
apprend que cette manière de peindre et de rendre sensibles à la vue les
attributs et les rapports abstraits des corps, est la première opération dont
s’avise l’entendement humain ; c’est cette écriture, dite hiéroglyphique, qui
partout a précédé l’écriture dite alphabétique, née ensuite d’une abstraction
et d’une observation comparée beaucoup plus subtile et raffinée. Dans le
prétendu monstre Oan, la tête d’homme désigne l’intelligence, le raisonnement,
tandis que la forme de poisson désigne l’habitude ou la nature aquatique
combinées pour exprimer les effets et l’action de la constellation appelée
poisson austral : l’étoile principale de cette constellation avait le mérite
de mesurer exactement la plus courte nuit de l’année, en se levant le jour du
solstice d’été, au moment où se couchait le soleil, et en se couchant au moment
où il se levait : par cette raison, elle joua un rôle important en Égypte, où
elle annonçait l’inondation, et en Chaldée, ainsi qu’en Syrie, où elle
servait à régler l’époque de certains travaux agricoles, et à conjecturer certains
accidents de la saison ou du climat. C’est le Dagon
des Philistins[55].
Avec cette clef, l’on explique toutes les autres figures d’animaux
monstrueux. On leur donnait des ailes pour désigner leur nature aérienne, des
sexes, pour exprimer leur nature passive ou active ; des têtes de chien, pour
exprimer leur propriété d’avertir comme l’animal qui aboie : tous étaient des
symboles d’astres ou de constellations ; et voilà pourquoi leurs images
étaient peintes sur les murs du temple de Bel, comme d’autres semblables l’étaient
dans l’autre des Nymphes, dans la caverne de Zoroastre et dans tous les
temples des dieux égyptiens où on les retrouve. Voilà aussi pourquoi l’auteur
juif de la Genèse,
ennemi des idoles, a répudié cette partie de la cosmogonie chaldéenne ; mais
l’emprunt qu’il a fait des autres parties se retrouve dans plusieurs phrases
de la formation ou création de l’univers par Bel. Un
temps exista où tout était eau et ténèbres. Et Dieu, partagea les
ténèbres en 2 moitiés, sépara le ciel de la terre, fit les astres, le soleil,
la lune, etc. Toutes ces phrases, qui ne sont que des extraits peu fidèles du
texte chaldéen, ont cependant une analogie marquée avec le texte de la Genèse ; dans Bérose, les
dieux Elahim forment l’homme et lui donnent l’intelligence divine. Dans la Genèse les dieux disent :
faisons l’homme à notre image ; par le mot notre, ils s’avouent
plusieurs. Bel était le grand dieu, Elah-Adkbar : eux étaient les dieux
Kabirim, ces douze grands dieux Cabires, adorés des Grecs.
Dieu Elahim fit le vide au ciel et au milieu des eaux....
Ce mot vide en hébreu est Râqia (ou Rakia) ; en chaldéen, om-o-raka signifie littéralement mère du vide ;
c’est-à-dire l’espace sans bornes que le vulgaire, trompé par le mot mère, à
pris pour une femme. Le sens vrai est que Bel partagea le vide en deux moitiés
; dont la supérieure fut le ciel ; l’inférieure fut la terre, et c’est
littéralement le sens de l’hébreu, Dieu fit le vide (Râqia)
au milieu des eaux ; et il donna le nom de ciel aux eaux de dessus, et les
eaux d’au-dessous furent la mer et la terre. Dans la cosmogonie des
Bouddhistes du Tibet, qui, comme nous l’avons déjà dit, paraît venir de
l’école chaldéenne, le ciel n’a pas d’autre nom que le vide, l’immensité
(om-oraka) ; et un vent impétueux, excité
par le destin sur les eaux, fût le premier signe de la création de l’univers[56]. Dans la Genèse, ce qu’on traduit
l’esprit de Dieu, n’est littéralement que le vent de Dieu s’agitant sur les
eaux. Ce vent, premier moteur, ou premier mû, se retrouve dans la cosmogonie
phénicienne, où nous lisons que le vent Kolpia
eut pour femme Bâau, c’est-à-dire la
nuit, l’obscurité ténébreuse.... Ce terme Bâau,
dans la Genèse,
est l’épithète de la terre informe, qui d’abord fut Tohou, Bahou,
traduit par la version grecque et par Josèphe, invisible, ténébreuse.
Les hébraïsants se fondant sur l’arabe, interprètent Bahou, par le vide
immense ; et alors c’est la femme Om-o-raka du chaldéen. De ce vent Kolpia,
premier moteur, comme le cœur (qui en arabe se dit aussi qolb
et qalb), naissent Aïon et premier-né.
En sanscrit adima signifie premier,
et dans l’hébreu, Adam est le premier-né.
Ainsi à chaque instant, à chaque pas, nous trouvons de
nouvelles preuves de notre proposition première et fondamentale, savoir, que la Genèse n’est point un livre particulier aux Juifs, mais un
monument originairement et presque entièrement chaldéen, auquel le
grand-prêtre Helqiah se contenta de faire quelques changements dictés par l’esprit
de sa nation et adaptés au but qu’il se proposa.
Désormais le lecteur sait que penser de ces créations du
monde, que l’on nous raconte comme s’il y eût eu des témoins à en dresser
procès-verbal : il voit à quoi se réduisent ces prétendues chronologies qui
tronquent l’histoire des nations, et restreignent la formation, les progrès,
la succession de toutes les institutions, de toutes les inventions humaines,
y compris le langage et l’écriture, à un petit nombre d’années, incompatible
avec la nature de l’entendement et avec le témoignage des monuments
subsistants.
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