LA FRONDE ET MAZARIN

 

PAR LOUIS-PHOCION TODIÈRE

Ancien maitre des conférences d'histoire au collège royal de Saint-Louis à Paris, agrégé de l'université, professeur d'histoire an Lycée de Tours, officier de l'Instruction publique.

TOURS - A. MAME ET CIE - 1852

 

 

AVERTISSEMENT.

 

CHAPITRE PREMIER. — ANNE D'AUTRICHE, RÉGENTE. - MAZARIN, CHEF DE CONSEIL. - RUINE DES IMPORTANTS.

Le parlement donne la régence à la reine. — Importance de ce corps. — Mazarin, ministre de la régente. — Gaston d'Orléans. — Condé. — Le duc d'Enghien. — Les importants. — Victoire de Rocroi. — Jacques-Bénigne Bossuet. — Changement dans le ministère. — Prétentions des importants et de la duchesse de Chevreuse. —Complot contre Mazarin. — Querelles de femmes. — Arrestation du duc de Beaufort. — Le parti des importants dispersé.

CHAPITRE II. — ADMINISTRATION DE MAZARIN. - PAIX DE WESTPHALIE.

Age d'or de la régence. — Soins de Mazarin pour affermir son autorité. — Murmures contre ce ministre et contre la reine. — Révolte de paysans dans la haute Guienne. — Édit du toisé. — Sédition à Paris. — Différend avec le parlement. — Arrestation du président Barillon. — Lit de justice. — Irritation des esprits. — Préliminaires de la paix. — Conférences de Munster et d'Osnabrück. — Prétentions du duc d'Enghien. — Les petits-maîtres. — Mort du prince de Condé. — Continuation des négociations pour la paix. — Traité de Westphalie. — Son importance. — Triomphe de la politique de Richelieu.

CHAPITRE III. — LUTTE ENTRE LA COUR ET LE PARLEMENT.

Édit du tarif. — Démêlés de la cour avec le parlement. — État rassurant de la cour. — Arrivée des nièces du cardinal Mazarin. — Émeute à Paris. — Démonstration militaire. — Lit de justice. — Résistance du parlement à l'autorité royale. — Le parlement obéit. — Déclaration du roi sur le droit annuel. — Arrêt d'union des cours souveraines. — Exil de quelques officiers. — Le duc de Beaufort s'échappe de Vincennes. — Arrêts du conseil d'en haut.

CHAPITRE IV. — ASSEMBLÉE DE LA CHAMBRE SAINT-LOUIS. - DELIBÉRATIONS DU PARLEMENT.

La reine autorise l'assemblée des quatre cours souveraines. — Propositions de cette assemblée. — Intendants révoqués par le parlement. — Disgrâce du surintendant d'Émeri. —Le maréchal de la Milleraie le remplace. — Détresse de la régente. — Lit de justice. — Délibération du parlement sur la déclaration royale. — Arrestation de l'intendant du duc de Vendôme. — Broussel. — Le cardinal de Retz. — Le parlement reprend ses délibérations. — Frondeurs, mazarins et mitigés. — Matthieu Molé.

CHAPITRE V. — LES BARRICADES.

Effet produit à la cour par la victoire de Lens. — Te Deum. — Arrestation de Blancmesnil et de Broussel. — Émeute dans Paris. — Le coadjuteur chez la reine. — Personnages qu'il y rencontre. — Délibération. — Efforts du coadjuteur pour apaiser l'émeute. — Danger qu'il court. — Son retour au Palais-Royal. — Accueil que lui fait Anne d'Autriche. — Résolution du prélat. — Ses émissaires chargés de réveiller la sédition. — Danger couru par le chancelier. — Barricades. — Députation du parlement. — Fermeté du premier président. — Délibération des magistrats au Palais-Royal. — Rappel de Blancmesnil et de Broussel. — Retour triomphent de Broussel. — Pillage des munitions de guerre. — La tranquillité rétablie

CHAPITRE VI. — NOUVEAUX DÉMÊLÉS AVEC LA COUR ET LE PARLEMENT. - DÉCLARATION DU 24 OCTOBRE.

Résultats des barricades. — Embarras du coadjuteur. — Le parlement continue ses assemblées. — Bruits répandus par les émissaires de Gondi. — Pamphlets. — Plaintes de la reine au parlement. — La cour quitte Paris. — Exil du marquis de Châteauneuf et emprisonnement du comte de Chavigni. — Arrivée du prince de Condé. — Remontrances du parlement. — La reine le menace. — Il se prépare à la guerre. — Conférences de Condé et du coadjuteur. — Conduite du prince. — Conférences de Saint-Germain. — Article de la sûreté publique. — Déclaration du 24 octobre. — Joie causée par cette déclaration. — Le duc d’Orléans se brouille avec la reine. — Retour roi à Paris. — Réconciliation entre la reine et le duc d'Orléans. — Nouveaux débats à la rentrée du parlement. — Assemblée de curés convoquée par le coadjuteur. — Pamphlets. — Paul de Gondi et Mazarin se disputent l'alliance de Condé. — Le prince se détermine pour la cour. — Le coadjuteur lui oppose sa famille. — La cour quitte Paris.

CHAPITRE VII. — GUERRE DE LA FRONDE. - PAIX DE RUEL.

Embarras du parlement. — Le coadjuteur se fait retenir à Paris. — Ses inquiétudes.  — Le roi transfère le parlement à Montargis. — Arrêt contre le cardinal Mazarin. — Préparatifs de défense dans Paris. — Parti nobiliaire. — Arrivée du prince de Conti à Paris. — Il est nommé généralissime. — Le duc de Beaufort et beaucoup d'autres seigneurs offrent leurs services au parlement. — Acte d'union des princes avec les bourgeois. — État de la cour. — Commencement des hostilités. — Prise de la Bastille. — Grande autorité du parlement. — Activité de Condé. — Appel du parlement de Paris aux autres parlements et villes du royaume. — Déclaration royale contre le gouvernement et contre les princes ses adhérents. — Pamphlets. — Chansons — Gravures. — Déroute de Longjumeau. — Prise de Charenton par les troupes royales. — Disposition à la paix. — Héraut envoyé par la cour. — Députation du parlement à Saint-Germain. — Envoyé de l'archiduc admis au parlement. — Mort de Charles Ier. — Nouvelle députation du parlement. — Conférences de Rue!. — Trahison de Turenne. — L'archiduc entre en France. — Paix de Ruel. — Émeute dans Paris. — Accommodement de Saint-Germain. — Publication de la paix.

CHAPITRE VIII. — CONDUITE IMPRUDENTE DE CONDÉ. - ARRESTATION DES PRINCES.

Réconciliation des seigneurs. — Projet de mariage entre u nièce du cardinal et le duc de Mercœur. — Condé réconcilié avec la duchesse de Longueville. — La cour se rend à Compiègne. — Condé refuse. le commandement de l'armée. — État de la France. — État de Paris. — Rentrée du roi dans la capitale. — Réception du clergé et dés compagnies souveraines an Palais-Royal. — Division à la cour. — Exigences de Condé. — Rupture de ce prince avec le cardinal. — Réconciliation. — Conduite de Condé à l'égard des députés du parlement de Provence. — Le maréchal du Plessis chargé de pacifier la Guienne. — D'Emeri surintendant des finances. — Affaires des rentiers. — Feint assassinat de Guy Joly. — Tentative de meurtre contre le prince de Condé. — Procès criminel intenté au coadjuteur et au duc de Beaufort. — Conclusions contre les accusés. — Discours de Gondi. — Mariage du duc de Richelieu. — Réconciliation de la cour avec les frondeurs. — Le prince de Condé, le prince de Conti et le duc de Longueville arrêtés.

CHAPITRE IX. — INSURRECTION, NOBILIAIRE. - GUERRE DE LA PRINCESSE CONDÉ.

Le peuple se réjouit de l'arrestation des princes. — Déclaration de la reine. — Beaufort et Gondi acquittés par le parlement. — Disgrâce de l'abbé de la Rivière. — La noblesse prend la défense des princes. — La duchesse de Longueville en Normandie. — Soumission.de cette province. — Retour de la cour à Paris. — Le marquis de Châteauneuf, garde des sceaux. — Expédition de Bourgogne. — Prise de Bellegarde. — Les princesses de Condé à Chantilly. — Clémence de Brézé et le duc d'Enghien se retirent à Montrond. — Requête de la princesse douairière an parlement. — Déclaration contre le maréchal de Turenne et les seigneurs du parti de Condé. — Les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault appellent aux armes la noblesse du midi. — La princesse de Condé reçue à Bordeaux. — L'ennemi entre en Picardie. — Prise du Catelet par les Espagnols. — Siège de Bordeaux par les troupes royales. — Prise du fort de Vayres. — Supplice de Bichon. — Cruelles représailles des Bordelais. — Soumission des assiégés. — Entrevue de la princesse de Condé avec la reine. — Conférences de Mazarin avec les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault. — Entrée de la cour à Bordeaux. — Hostilités reprises par les Espagnols dans le nord de la France. — Les princes transférés à Marcoussis. — Vains efforts des ennemis pour exciter une sédition dans Paris. — Retour de la cour vers la capitale. — Gondi demande le chapeau de cardinal. — Translation des princes au Havre. — La cour rentre à Paris. — Union des deux frondes.

CHAPITRE X. — EXIL DE MAZARIN. - CONDÉ ET LE COADJUTEUR.

Bataille de Rhétel. — Requête de la princesse de Condé et de Mlle de Longueville. — Mort de la princesse douairière. — Remontrances du Parlement pour la liberté des princes. — Retour du cardinal à Paris. — Conférences entre Mazarin et le duc de la Rochefoucault. — Remontrances de Matthieu Molé. — Concession tardive faite au parlement. — Rupture du duc d'Orléans avec la reine et le ministre. — Le parlement demande l'éloignement du cardinal. — Mazarin quitte Paris. — La reine veut le suivre. — Les bourgeois prennent les armes. — Anne d'Autriche ne peut sortir de Paris. — Les princes mis en liberté. — Leur retour à Paris. — Mazarin se retire dans l'électorat de Cologne. — Assemblée de la noblesse. — Division entre les ennemis de Mazarin. — Changement dans le conseil. — Réunion des chefs des deux frondes au Luxembourg. — Mécontentement de Gaston. — Prétentions de Condé. — Le prince se brouille avec la reine. — Anne d'Autriche se réconcilie avec les frondeurs. — Dangers et fuite de M. le prince à Saint-Maur. — Débats dans le parlement. — Retour de Condé à Paris. — Manifeste de la reine sur sa conduite. — Querelle de Condé et du coadjuteur. — Déclarations contre Mazarin et en faveur de Condé. — Le prince quitte Paris.

CHAPITRE XI. — GUERRE CIVILE. - RETOUR DE MADAME.

Louis XIV déclaré majeur. — Nouvelle composition du conseil. — Condé se retire à Bordeaux et commence la guerre civile. — La cour quitte Paris, marche sur Bourges et s'établit ensuite à Poitiers. — Opérations militaires du comte d'Harcourt. — Déclaration contre les princes. — Émeute à Paris. — Préparatifs de Mazarin pour son retour. — Arrêts du parlement contre le cardinal. — Position du coadjuteur. — Tiers-parti. — Entrée de Mazarin en France. — Sa tête est mise à prix. — Conseillers di parlement pris par le maréchal d'Hocquincourt. — Nouveaux arrêts. — Alliance de Gaston avec Condé. — Le coadjuteur cardinal. — Mazarin arrive à Poitiers. — Châteauneuf quitte le ministère. — Turenne offre ses services au roi. — Capitulation du duc de Rohan-Chabot. — Mlle de Montpensier entre dans Orléans. — Combat de. Jargeau. — Querelle entre les ducs de Nemours et de Beaufort. — Condé arrive de Guienne. — Combat de Bléneau. — Condé à Paris.

CHAPITRE XII. — TROUBLES DANS PARIS. - FIN DE LA FRONDE.

Vains efforts de Condé pour obtenir l'adhésion des cours souveraines. — Assemblée de l'Hôtel-de-Ville. — Marche de l'armée royale vers Paris : — Négociations des princes avec la cour. — Progrès du tiers-parti. — Efforts de Condé et des seigneurs pour soulever la multitude. — Réaction contre le parlement. — Anarchie dans Paris. — Combat près d'Étampes. — Désastres du parti de Condé. — Agitation dans la capitale. — Siège d'Étampes. — Le duc de Lorraine en France. — Misère autour de Paris. — Combat du faubourg Saint-Antoine. — Mademoiselle fait ouvrir les portes de la ville aux troupes de Condé. — Incendie et massacre de l'Hôtel-de-Ville. — Broussel, prévôt des marchands. — Le duc d'Orléans déclaré par le parlement lieutenant général de l'État. — La cour quitte Saint-Denis. — Arrêts du conseil. — Le parlement transféré à Pontoise. — Duel entre le duc de Nemours et le duc de Beaufort. — Réaction contre les princes. — Seconde retraite de Mazarin. — Condé se réunit au duc de Lorraine. — Députation du clergé à Compiègne. — Condé quitte Paris. — Embarras de Gaston. — Retour du roi dans Paris. — Retraite de Gaston à Blois et de Mademoiselle à Saint-Fargeau. — Lit de justice. — Le cardinal de Retz arrêté. — Retour de Mazarin à Paris. — Soumission de Bordeaux. — Fin de la Fronde.

 

 

AVERTISSEMENT

 

Dans un ouvrage publié récemment, j'ai fait connaître le caractère du grand ministre qui, sous le règne de Louis XIV, présida pendant vingt ans aux destinées de la France, et dont les efforts brisèrent la résistance de l'aristocratie au souverain, fermèrent l'ère des guerres religieuses, affaiblirent l'orgueilleuse puissance de la maison d'Autriche et rendirent à la nation le rang qui lui appartient en Europe. Aujourd'hui je livre au public le résultat de mes longues et consciencieuses recherches sur cette curieuse période de notre histoire qui s'étend depuis l'avènement de Louis XIV jusqu'à la fin de la guerre civile de la Fronde. Elle offre encore à nos regards un ministre sur lequel les historiens ont porté des jugements bien différents. En effet, les uns ne trouvent pas assez d'outrages pour flétrir Mazarin ; les autres, dans leurs brillantes apologies, lui donnent un mérite sans égal. De nos jours, sa réputation d'habile ministre a cependant trouvé des appréciateurs attentifs, compétents, et des vengeurs dans MM. Mignet, Ravenel et le comte de Laborde.

On a reproché à l'heureux conseiller d'Anne d'Autriche de n'avoir jamais eu la fermeté de son prédécesseur, et cela est vrai ; avouons toutefois que ce n'est peut-être pas à Mazarin qu'il faut adresser ce reproche, mais aux circonstances difficiles dans lesquelles il a gouverné. Il est mort en laissant, il est vrai, une réputation d'habileté équivoque ; c'est-donc encore pour beaucoup de personnes un problème de savoir s'il fut grand ministre ou s'il fut seulement heureux : l'étude attentive de ces circonstances, que nous avons tâché de reproduire avec la plus scrupuleuse fidélité, aidera sans doute nos lecteurs à résoudre ce problème.

Lorsque Richelieu eut disparu de la scène politique, le parlement et la noblesse, longtemps comprimés par sa main de fer, sentirent renaître leur indomptable esprit d'indépendance en face d'un roi de cinq ans, et s'unirent pour ressaisir ce qu'ils avaient perdu et opposer des barrières à la puissance monarchique. De là les troubles qui éclatèrent durant une minorité commencée sous les plus favorables auspices, troubles qui offrent souvent une analogie frappante avec ceux dont nous avons été les témoins. Ils précipitèrent l'État dans un abîme de calamités, et après les vains efforts du parlement, de la noblesse et d'une partie du peuple de Paris, pour fixer les limites de leurs droits, la France tomba épuisée au pied du trône d'un monarque absolu. C'est ainsi que de nos jours elle se jeta aux bras de Napoléon, qui devait cicatriser ses profondes blessures. Mais bientôt, vainqueur de toutes les factions, le héros établit sa domination sur leurs ruines, abusa de la gloire, et fit payer cher à la patrie le repos qu'il lui avait procuré. Tant il est vrai que le despotisme est la punition de l'anarchie.

Lee documents relatifs à cette période de notre histoire sont fort nombreux. Tout le monde connaît les Mémoires du comte de Brienne, du marquis de Montglat, du duc de La Rocheftnicauld, de Madame de Motteville, de la duchesse de Nemours et de Mlle de Montpensier. C'est dans ces ouvrages écrits, les uns avec une élégante simplicité et une merveilleuse transparence, les autres dans un style aisé, fleuri, nombreux, plein de feu et.de hardiesse, et dont les auteurs ont été témoins oculaires des événements, qu'on trouve le tableau de toutes les scènes, le portrait de tous les acteurs de cette époque. Aussi les avons-nous consultés avec le plus grand soin : heureux si nous avions pu faire passer dans notre livre le charme de leur narration. Nous avons aussi étudié quelques-uns des innombrables pamphlets lancés chaque jour pendant les troubles pour et contre le cardinal Mazarin, Anne d'Autriche, les princes et le parlement, et nous croyons y avoir puisé une idée exacte et de l'esprit général du temps et de la politique des divers partis. Enfin nous n'avons pas négligé non plus de nous éclairer par la lecture des ouvrages de plusieurs écrivains modernes sur les premières années du règne de Louis XIV.