LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE XVI. — MOTION DE LA FRANCE. - INCENDIE D'UN GRAND NOMBRE DE CHÂTEAUX.

 

 

Sensation produite par le meurtre de Foullon et de Berthier. — Proclamation proposée par Lally-Tollendal. — Rôle de Mirabeau. — Il échoue dans ses prétentions à la mairie de Paris. — Avènement de la Commune. — Mouvement d'émigration. Discussion dans l'Assemblée nationale sur l'inviolabilité des lettres. — Défiances du peuple. — Bruits démentis par l'ambassadeur d'Angleterre. — Prétendu complot de Brest. — Établissement d'un Comité de recherches. — Retour triomphant de Necker. — Ternie de sa popularité. — Lettres de Marie-Antoinette à madame de Polignac. — Les brigands. — Soulèvement des villes et des campagnes. — Incendie des châteaux. — Evénement désastreux du château de Quincey. — Atrocités. — Fin tragique du major Belzunce à Caen. — Beau trait d'un curé de village.

 

Oh s'agita quelque temps à Paris autour du double supplice de Foullon et de Berthier. Le comité des électeurs, encore frémissant des événements de la veille, renouvela ses instances auprès de l'Assemblée nationale pour l'érection d'un tribunal destiné à juger les crimes de lèse-nation, et à prévenir la justice atroce du peuple. Indigné d'avoir vu les victimes arrachées à la garde qu'il commandait, La Fayette donna sa démission. Les districts la refusèrent, et les électeurs, le peuple, la milice, lui promirent la plus grande obéissance. Il reprit le commandement à ces conditions le même jour, et de sa démarche concertée avec Bailly, il résulta une leçon nécessaire à la tranquillité de la capitale. Devait-il cependant reparaître avant d'avoir obtenu le d'aliment des grands coupables de la veille ? Nous ne le pensons pas. Mirabeau s'efforça dans ses Lettres à ses commettants de justifier la conduite du peuple contre les accusations dont elle ne pouvait manquer d'être l'objet « Que l'on compare, disait-il, le nombre des innocents sacrifiés dans ces crises avec les sanguinaires maximes des tribunaux, les vengeances ministérielles exercées sourdement dans les donjons de Vincennes, dans les cachots de la Bastille ; qu'on les compare avec les soudaines et impétueuses vengeances de la multitude, et qu'après on décide de quel côté se trouve la barbarie... La colère du peuple !... Ah ! Si la colère du peuple est terrible, c'est le sang-froid du despotisme qui est atroce ; ses cruautés systématiques font plus de malheureux en un jour que les insurrections populaires n'immolent de victimes pendant des années. »

Après ces réflexions et quelques autres, écrites avec une terrible éloquence, et sur lesquelles on peut élever plus d'un doute. Mirabeau ajoutait cependant que la fureur du peuple ne pouvait se prolonger sans le danger de voir les esprits se rallier ii la domination absolue, car « dans le sein de l'anarchie, un despote même paraît un sauveur[1]. » A côté de ces pages véhémentes coururent d'odieux pamphlets dont les titres seuls étaient des plaisanteries atroces et qui nous prouvent à quel point la haine des partis peut endurcir les cœurs.

La mort tragique de Foullon et de Berthier produisit une impression profonde sur l'Assemblée nationale. Dès le lendemain de ce triste événement, Lally-Tollendal, douloureusement affecté des maux qui désolaient la France, parut à la tribune, et demanda que la loi fût mise à la place du crime. Il insista alors pour faire adopter un projet de proclamation qu'il avait présenté trois jours auparavant et que l'Assemblée avait renvoyé à l'examen des bureaux, après de vifs débats, au milieu desquels un obscur député, Robespierre, se signala par de funestes doctrines. L'orateur, afin d'intéresser ses collègues au succès de son projet, leur fit un récit pathétique de son entrevue avec le jeune fils de Berthier. Mirabeau l'interrompant tout à coup, lui reprocha de sentir lorsqu'il ne s'agissait que de penser. « Il faut des victimes aux nations, ajouta-t-il ; l'on doit s'endurcir à tous les malheurs particuliers ; ce n'est qu'à ce prix qu'on peut être citoyen. » Ce fut dans cette séance que le jeune Barnave osa prononcer ces paroles du haut de la tribune : « Ce sang est-il donc si pur, qu'on doive tant regrener de le verser ! »[2] Paroles atroces qu'il expia quelque temps après par un sincère repentir[3].

Quoique vivement combattue, la motion de Lally-Tollendal fut adoptée de guerre lasse, mais avec quelques amendements. Dans la proclamation qu'elle envoya pour tout le royaume, et qui fut affichée sur-le-champ à Paris, l'Assemblée annonçait que tous les agents du pouvoir, reconnus coupables, seraient punis, que la constitution établirait un tribunal pour les crimes de lèse-nation ; mais que les criminels ne peuvent être punis que par la loi, et qu'elle doit les tenir sous sa sauvegarde jusqu'à ce qu'elle ait prononcé sur leur sort. Elle invitait tous les Français à la paix, au maintien de l'ordre et de la tranquillité publique, à la confiance qu'ils devaient à leur roi et à leurs représentants, et à ce respect pour les lois, sans lequel il n'est point de liberté[4].

Ce projet de Lally-Tollendal n'était, à vrai dire, que la résurrection d'une adresse proposée le 27 juin par Mirabeau, alors effrayé des agitations populaires, afin de recommander aux électeurs de contribuer au maintien de l'ordre, à la tranquillité publique, it l'autorité des lois et de leurs ministres. Le génie du tribun approuvait aujourd'hui avec ardeur ces emportements de la multitude, dont il avait jadis sollicité la répression. Pourquoi ce changement dans son langage ? Pourquoi cette attitude si différente ? C'est que son ambition venait d'être encore une fois trompée. Depuis quelque temps, en effet, les conseillers du roi, et ses deux tantes, madame Adélaïde et madame Louise, l'engageaient à chercher un appui dans Mirabeau, fidèle aux principes monarchiques, mais que son humeur et son éloquence entraînaient dans le parti populaire. Le comte plébéien, qui avait les yeux fixés sur ce qui se passait au château, fut instruit de ces dispositions, et, ne pouvant résister aux désirs ambitieux de son cœur, il chargea le comte de La Marck de lui servir d'intermédiaire auprès de Louis XVI. Il s'offrait de nouveau pour diriger l'opinion de manière à comprimer l'activité si terrible de l'Assemblée. Le roi aurait accepté volontiers cette proposition ; la reine s'empressa de la repousser. Une pareille alliance n'était-elle pas une honte pour la royauté ? Se trouvait—elle réduite à la pénible extrémité d'invoquer le secours de son plus grand ennemi ? Ainsi parlait Marie-Antoinette à laquelle on avait désigné Mirabeau comme le moteur essentiel de la faction d'Orléans. Irrité de voir sa coopération rejetée une seconde fois, le fier tribun qui avait le sentiment de sa force[5], jura de se venger de ses imprudents ennemis et de les obliger par la terreur d'invoquer son secours. Afin de réussir dans ses projets, il lui fallait une royauté de place publique ; il rechercha donc la mairie de Paris, que Bailly avait obtenue le 15 juillet, par acclamations, dans un moment d'exaltation populaire. « Si la décence ne m'avait pas empêché de me montrer à cause de la mort de mon père, disait Mirabeau à M. de La Marck, je suis sûr que j'aurais été nommé maire 'au lieu de Bailly[6]. » Il courut pendant la nuit de district en district, s'élevant contre l'illégalité des pouvoirs exercés par les électeurs, demandant l'élection d'une nouvelle municipalité dont il proposait le plan, et posant sa propre candidature. Dénoncé un jour par Regnault de Saint-Jean-d’Angély, un de ses collègues, pour ses voyages fréquents et nocturnes dans les districts, pour ses prétentions à la mairie, Mirabeau demeura d'abord étourdi de la véhémence de l'apostrophe et ne fit aucune réponse. Mais on l'entendit bientôt après adresser dans sa rage concentrée ces paroles au dénonciateur : « Je te ferai pleurer des larmes de sang. »

Malgré tous les puissants ressorts qu'il mit en mouvement pour arriver au but de sa grande ambition, Mirabeau éprouva un échec. En effet, les nombreux bourgeois qui dominaient dans les districts, redoutant les violentes passions du tribun, repoussèrent sa candidature, et tous ses efforts ne servirent qu'à précipiter des changements dont il ne devait pas profiter. Sur l'invitation de Bailly, les soixante districts nommèrent, le 25 juillet 1789, une nouvelle assemblée de cent-vingt membres chargés de dresser un plan d'administration municipale. Cette assemblée confirma dans leurs fonctions Bailly et La Fayette, remercia les électeurs du zèle et du patriotisme dont ils avaient fait preuve dans les circonstances les plus difficiles, les invitant à continuer leurs travaux si nécessaires à la chose publique jusqu'à ce qu'elle eût pris les mesures pour y suppléer ; elle adjoignit quatre nouveaux membres à chacun des comités dé subsistance, de police et de distribution, prit en main les rênes de la cité et se constitua sous le titre de représentants de la commune[7].

Cependant les atrocités dont Paris avait été le théâtre, épouvantèrent tous ceux qui avaient pris quelque part à l'ancienne administration. Beaucoup de nobles et de gens attachés au roi, parmi lesquels le duc de Coigny, le duc de Luxembourg, le comte du Cayla et. la princesse de Beauffremont, consternés, tremblant pour leurs jours, se hâtèrent de quitter le royaume. Cette fuite des principaux membres des classes opulentes de la société, fut interprétée-par les agitateurs comme un recours à l'intervention des puissances étrangères, comme un signal de guerre. Aussi le peuple se mît-il en mouvement et déploya-t-il la plus rigoureuse vigilance. Le baron de Bachmann, major du régiment des gardes suisses descendait en voiture le pont Royal vis-à-vis les Tuileries. A l'extrémité du pont les chevaux prirent à gauche du côté de Versailles. La foule, s'imaginant alors que le baron voulait fuir, l'entoura el le conduisit à l'Hôtel-de-Ville[8]. De Paris la défiance gagna les villes et les villages de toutes les provinces. Besenval, sollicité par ses amis de se soustraire aux menaces qui grondaient contre lui, fut arrêté à Villenoxe, non loin de Nogent-sur-Seine, au moment où il retournait dans sa patrie avec un passeport du roi.

Vers la même époque, le duc de La Vauguyon, ambassadeur de France en Espagne, se rendait au Havre, dans le modeste équipage d'un négociant., avec le projet de passer en Angleterre. Il voyageait sous le nom de Chevalier, accompagné du jeune duc de Carency, son fils, qu'il avait oublié de faire comprendre dans sou passeport. Il résolut de s'adresser à la municipalité de cette ville pour réparer son oubli. Mais les réponses embarrassées du fils inspirèrent des soupçons, et tous deux furent constitués prisonniers, comme d'obscurs vagabonds. L'ambassadeur fut obligé d'avouer qu'il était le duc de La Vauguyon.

Plusieurs représentants partagèrent aussi la frayeur commune ; peu rassurés sur l'inviolabilité de leur personne, ils cherchèrent leur sûreté dans la fuite. Ainsi l'ardent Cazalès et le fougueux d'Eprémesnil quittèrent en même temps l'Assemblée nationale. Le premier, arrêté à l'entrée de Caussade, échappa avec peine à la vengeance publique, et revint malgré lui prendre sa place au milieu de ses collègues ; le second repartit après une courte absence[9].

Un député suppléant du bailliage de Meulan, l'abbé de Calonne, persuadé que, dans ces jours de crise, son nom était un fardeau dangereux à porter, résolut de quitter la France. Il prit le nom et le costume d'un voyageur anglais et se mit en route pour les eaux. A Nogent-sur-Seine, ses effets et ses papiers furent visités. Parmi quelques chansons et des lettres anglaises que renfermait son portefeuille, il s'en trouva de françaises adressées à l'abbé de Calonne : le mystère fut découvert, et l'abbé retenu sous bonne garde, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale eût déclaré que, puisqu'il n'était légalement accusé d'aucun délit, sa détention ne pouvait être continuée. Dans le même temps, l'abbé Maury, prévoyant les jours funestes qui allaient se lever pour la France, se dirigeait vers les frontières. Arrêté à Péronne, il prétendit qu'il venait chercher de nouveaux pouvoirs. On lui objecta qu'au lieu de solliciter une réunion d'électeurs, il avait demandé des chevaux de poste. L'Assemblée nationale consultée répondit que le devoir de l'abbé Maury et l'intérêt général de ses commettants exigeant sa présence aux états-généraux, la municipalité de Péronne devait lui laisser toute hi liberté nécessaire pour s'y rendre. Ce député revint à Versailles, se montra depuis inaccessible à la peur et donna souvent des preuves de son courage héroïque[10].

Un autre événement, résultat de cette défiance générale qui s'était emparée de tous les esprits, souleva dans l'Assemblée nationale une question de la plus haute importance. Le baron de Castelnau, ministre de France à Genève, arrêté pendant ia nuit, sur le pont Royal, lorsqu'il se rendait à son poste, fut trouvé saisi d'un paquet de lettres. Au moment de son arrestation, il en avait déchiré une adressée par le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, au comte d'Artois, qui était alors à Turin. Les fragments furent aussitôt rassemblés et envoyés à l'Hôtel-de-Ville ; Bailly se hâta de les faire passer au président de l'Assemblée nationale, M. le duc de Liancourt. Le respect pour le secret des lettres ne lui permit pas de les lire, et il l'envoya les dépêches au comité permanent des électeurs. Alors une discussion très—grave eut lieu dans l'Assemblée, pour savoir si, dans les circonstances où l'on se trouvait, elle avait le droit de violer le secret des lettres. Plusieurs députés, parmi lesquels le comte de Chatenay, Rewbell, Gouy d'Arcy et Robespierre se prononçaient avec énergie pour l'affirmative. « La première des lois, disait le député d'Arras, est le salut du peuple ; c'est le premier devoir de ses représentants. Comment donc pourrions-nous dans la crise la plus terrible dans laquelle puisse se trouver une nation, écarter les preuves des attentats commis contre la liberté publique ; preuves qui nous sont envoyées par les chefs d'une municipalité. On vous a fait une objection prise de l'inviolabilité des lettres. Mais la sûreté nationale n'est-elle pas plus inviolable encore ? On vous a dit qu'il fallait brûler ces lettres, à l'exemple de Pompée, comme s'il pouvait y avoir un rapport entre un tyran qui avait opprimé la liberté publique, et l'Assemblée nationale chargée de rendre à un peuple libre l'exercice de ce droit sacré et imprescriptible. Vous lui avez promis la punition de ses ennemis : vous lui avez donc promis de conserver les preuves de leurs crimes[11]. »

Le Cantus, l'évêque de Langres, Dupont de Nemours, Lally-Tollendal, Mirabeau et Duport même soutenaient que tous les cahiers consacraient l'inviolabilité des lettres, et que l'Assemblée nationale ne devait pas attenter aux grands principes de la foi publique. Indigné des maximes avancées par les députés de l'opinion contraire, Mirabeau prit la parole de ce ton impétueux et courroucé pli lui assurait presque toujours le succès :

« Est-ce à un peuple qui veut devenir libre, s'écria-t-il, à emprunter les maximes et les procédés de la tyrannie ? Peut-il convenir de blesser la morale, après avoir été si longtemps victime de ceux qui la violèrent ? Que ces politiques vulgaires qui font passer avant la justice ce que, dans leurs étroites combinaisons, ils appellent la sûreté publique, que ces politiques nous disent du moins quel intérêt peut colorer cette violation de la probité nationale ? Qu'apprendrions-nous par la honteuse inquisition des lettres ? de viles et sales intrigues, des anecdotes scandaleuses, de méprisables frivolités. Croit-on que les complots circulent par les courriers ordinaires ? Croit-on même que les nouvelles politiques de quelque importance passent par cette voie ? Quelle grande ambassade, quel homme chargé d'une mission délicate, ne correspond pas directement et ne sait pas échapper à l'espionnage de la poste aux lettres ? C'est donc sans aucune utilité qu'on violerait le secret des familles, le commerce des absents, les confidences de l'amitié, la confiance entre les hommes. Un procédé si coupable n'aurait pas même une excuse, et l'on dirait, de nous dans l'Europe : En France, sous le prétexte de la sûreté publique, on prive les citoyens de tout droit de propriété sur les lettres, qui sont les productions du cœur et le trésor de la confiance. Ce dernier asile de la liberté a été impunément violé par ceux-mêmes que la nation avait délégués pour assurer tous ses droits. Ils ont décidé par le fait que les plus secrètes communications de l'âme, les conjectures les plus hasardées de l'esprit, les émotions d'une colère souvent mal fondée, les erreurs souvent redressées le moment d'après, pouvaient être transformées en dépositions contre les tiers ; que le citoyen, l'ami, le fils, le père deviendraient ainsi les juges les uns des autres, sans savoir qu'ils pourront un jour périr Fun par l'autre ; car l'Assemblée nationale a déclaré qu'elle ferait servir de base à ses jugements des communications surprises, qu'elle n'a pu se procurer que par un crime. » La cause de la liberté, de la justice, plaidée avec cette mâle éloquence à laquelle les ennemis de Mirabeau ne purent refuser des éloges, triompha des vaines terreurs et des sophismes de Robespierre. L'Assemblée, ramenée l'opinion de l'orateur, passa à l'ordre du jour[12].

Au milieu des inquiétudes du peuple et des soupçons toujours renaissants, mille bruits sinistres, répandus avec une perfide adresse par les agitateurs, devaient mettre une arme terrible entre les mains des révolutionnaires. Plusieurs de ces prétendus politiques qui gouvernent l'univers dans les clubs et les cafés, qui jugent, du fond de ces tribunaux indiscrets, des intérêts et des vues de toutes les cours de l'Europe, annonçaient mystérieusement que l'Angleterre n'était pas étrangère aux troubles qui désolaient la France, que le cabinet de Londres avait prodigué ses trésors pour nous enlever nos colonies à la faveur de nos discordes. A les entendre parler, les Flottes anglaises avaient arboré dans les deux Indes le signal die la guerre, et déjà elles s'étaient emparées de Saint-Domingue et de Pondichéry. Ces journaliers de littérature, ces échos éternels de tous les bruits publics, tout dénués de fondement qu'ils soient, les répétaient dans leurs feuilles. Les gens éclairés et sages n'y ajoutaient aucune foi ; mais le peuple, qui raisonne peu et reçoit facilement toutes les impressions, accordait une pleine confiance à ces chimères. C'en était assez pour exciter une fermentation dangereuse.

L'ambassadeur d'Angleterre crut devoir à sa délicatesse personnelle et à l'honneur de sa cour de réfuter ces absurdes calomnies. Il écrivit donc au ministre des affaires étrangères, M. de Montmorin, une lettre qui fut lue en pleine Assemblée. Le duc y protestait qu'il était notoirement faux que sa nation armât contre la France, qu'elle eût une flotte sur nos côtes pour favoriser les mécontents et qu'elle fomentât les troubles du royaume. Il rappelait au ministre que, (bris les premiers jours du mois de juin, il lui avait dénoncé l'odieux complot dirigé contre le port de Brest, protestant aussi du désir de l'Angleterre de conserver la bonne harmonie entre les deux nations, et de toutes les démarches qu'il avait faites pour remplir la loyauté des intentions de sa patrie. Satisfaite de cette communication des dispositions amicales de la Grande-Bretagne, l'assemblée chargea M. de Montmorin d'en faire ses remerciements au duc de Dorset, et ordonna que la lettre de cet 'ambassadeur serait rendue publique dans tout le royaume par la voie de l'impression[13].

Le prétendu complot de livrer le port de Brest aux Anglais, dévoilé à notre gouvernement par leur ambassadeur, sans dire le nombre des personnes et sans préciser les circonstances, n'était-il pas un brandon que jetaient au hasard les ennemis de la France, toujours disposés à profiter de ses discordes ? Beaucoup de gens le pensaient ; le peuple voulait 'y voir une grande trahison des aristocrates. Les recherches du ministre, faites d'après des révélations aussi vagues, avaient été infructueuses, et il avait dît se contenter de prescrire au commandant de Brest les précautions les plus multipliées et la vigilance la plus exacte. Mais, dans l'opinion de ceux qui feignaient de croire à cette conspiration, des tentatives du même genre pouvaient se renouveler, et il fallait donner à l'Assemblée les moyens d'en connaître désormais l'origine, les auteurs et le but. Aussi, un conseiller au parlement, Adrien Duport, demanda-t-il dans la séance du 28 juillet, l'établissement d'un comité des recherches, composé de quatre personnes, pour entendre le rapport et les indices sur le complot de Brest et autres projets contraires à la sûreté de l'État et des citoyens. Déjà l'Assemblée, sur la proposition de Volney, avait établi un comité des rapports, chargé de recevoir les demandes et les plaintes qui lui étaient adressées. Sous le motif apparent d'épargner ainsi un temps précieux, elle avait caché le véritable but, celui de s'emparer de la correspondance immédiate des provinces, et de soustraire l'administration générale de la police à la prérogative royale. Ce comité des rapports devint, en effet, le centre des affaires de l'intérieur.

Quelques députés, parmi lesquels M. de Virieu et le chevalier de Boufflers, combattirent avec véhémence la motion d'Adrien Duport, et l'Assemblée balança effrayée. Mais les révolutionnaires avaient un intérêt trop pressant à la formation de ce comité pour abandonner un moyen si favorable à leurs desseins. « Le calme ne se rétablira point, dit Rewbel, tant que le peuple verra que l'Assemblée refuse de punir les grands coupables qui ont médité sa ruine ; il croira que nous voulons le livrer à la vengeance de ses ennemis ; et, devenu furieux, il se fera lui-même justice. » Cependant, pour diminuer l'effroi qu'avait causé la pensée de confier à quatre personnes la fortune, la vie et l'honneur des citoyens, plusieurs députés proposèrent de composer le comité de douze membres renouvelés tous les mois ; ce léger amendement rattacha aux idées de Duport la majorité des suffrages, et fit adopter son projet[14]. Ainsi furent jetées les bases du fameux tribunal révolutionnaire, qui, dit Ferrières, « surpassa bientôt tout ce que l’histoire ancienne et moderne nous apprend de ces odieux tribunaux formés par des despotes pour opprimer la liberté et consacrer la tyrannie. »

Pendant que l'Assemblée nationale adoptait ces sinistres mesures de précaution, Necker revenait de sou exil avec des pensées d'humanité et de clémence. Il apprit à Bâle, de la duchesse de Polignac qu'il avait laissée à Versailles toute-puissante par la faveur de la reine, les événements de Paris et son rappel au ministère. Peu de jours après, il reçut les ordres du roi et l'arrêté de l'Assemblée. Ses amis insistèrent auprès de lui pour le détourner de reprendre sa place. « Il vaut mieux, leur dit-il, s'exposer aux périls qu'aux remords, » et il se mit en route. Son voyage à travers la France fut un véritable triomphe. A son approche, les paysans semaient la route de fleurs et les femmes tombaient à genoux ; les milices bourgeoises venaient au-devant de lui et les nouvelles autorités constituées s'empressaient de le haranguer. Necker leur recommandait le respect des propriétés, les égards pour les prêtres et les nobles, l'amour pour le roi[15].

Dès son arrivée à Versailles, dans la soirée du 28 juillet, le ministre se rendit au château, qui lui parut triste et désert. Il fut parfaitement accueilli de Louis XVI et de toutes les personnes qui étaient restées auprès de lui, même de Marie-Antoinette. Monsieur lui dit : « Le vœu de la nation vous rappelle ici ; je vous y vois avec le plus grand plaisir ; en 1781, j'avais quelques préventions contre vous, sans cesser de vous estimer ; à trente ans passés, on pense, on juge bien différemment qu'il vingt-cinq »[16]... Necker trouva l'aspect de la cour complétement changé : M. de Montmorin avait été replacé aux affaires étrangères et M. de la Luzerne au ministère de la marine. Le comte de Saint-Priest remplaçait M. de Villedeuil au département de l'intérieur, qui s'appelait alors le ministère de Paris.

Le jour suivant, Necker se présenta à l'Assemblée où sa présence fut accueillie par les plus vifs applaudissements. Il lui témoigna sa respectueuse reconnaissance pour les marques d'intérêt et de bonté dont elle l'avait honoré. Le duc de Liancourt lui répondit que l'Assemblée nationale, en exprimant les sentiments dont elle était pénétrée, n'avait été que l'interprète de la nation : que la retraite d'un ministre si digne de l'estime et d.es regrets du peuple avait causé un deuil général dans le royaume.

Enivré de l'enthousiasme qu'il inspirait à Versailles, le ministre résolut de se rendre à Paris et d'essayer sur les habitants de cette ville l'empire de sa popularité. Il partit le 30 juillet au bruit de la Musique des gardes françaises ; les milices de Versailles, de Sèvres et un cortège plus brillant que celui qui avait accompagné le roi, entouraient sa voiture. De nombreux détachements d'infanterie et de cavalerie bourgeoises l’attendirent à la barrière de la Conférence. La population entière de Paris se pressait en foule dans les rues sur son passage, et l'air retentissait des cris de vive la Nation, vive M. Necker ! Le ministre recevait ces hommages avec une orgueilleuse modestie, et traversait en triomphe cette même ville que, peu de jours auparavant, Louis XVI avait traversée en captif, au milieu des mépris et des outrages de la multitude.

Arrivé à l'Hôtel-de-Ville, où siégeaient deux assemblées, celle des représentants de la Commune et celle des électeurs, Necker se présenta d'abord à la première, Il fut traité avec les plus granules marques de faveur. et prononça un discours plein d'idées généreuses et fort, touchant. Après avoir remercié la Commune et la ville de Paris des marques d'intérêt qu'elles lui avaient données, Necker promit d'être fidèle aux obligations que lui imposait sa reconnaissance. Puis, le cœur tout ému, les larmes aux yeux, il demanda, connue récompense sans mesure des services qu'il pouvait avoir rendus, la grâce du baron de Besenval, son compatriote, et une amnistie générale. Son discours eut un succès prodigieux. Entraînés par un mouvement irrésistible, les représentants de la Commune lui accordèrent d'une voix unanime la liberté de Besenval.

Necker passa ensuite dans la salle des électeurs et répéta son éloquente exhortation à la concorde, à la justice, à l'humanité. Ses paroles produisirent une impression plus vive encore : « Oui, cria-t-on de toutes parts, grâce, pardon, amnistie ! » Pressé de se montrer au peuple de la place, qui demandait à voir son défenseur et son père, le ministre s'avança sur le balcon. Aussitôt les acclamations redoublèrent, et pendant quelques instants il put s'enivrer de l'enthousiasme de la foule. Dans cet intervalle, Clermont-Tonnerre proposa de rédiger un projet d'arrêté relatif à l'amnistie ; il fut à l'instant même signé par les électeurs et agréé par les députés de la Commune. Cet acte d'amnistie devait être « lu aux prônes, publié à son de trompe dans tontes les rues, envoyé à toutes les municipalités : et les applaudissements qu'il obtiendrait distingueraient les bons Français. » Necker sortit de l'Hôtel-de-Ville au milieu des cris approbateurs de la multitude. Il regagna Versailles, le cœur transporté de reconnaissance et de joie. Le décret des électeurs, qu'avaient inspiré des sentiments généreux, fut le dernier acte de leur assemblée, si soudainement investie de pouvoirs sans limites, à l'époque du 14 juillet. En effet, ce jour même, l'autorité municipale passa sans partage entre les mains de la Commune de Paris[17].

Dans sa candeur, le ministre avait pris pour lui des applaudissements qui s'adressaient à sa disgrâce, il se croyait le roi de la situation, et cependant il n'était qu'un prétexte dont s'étaient servis les révolutionnaires pour l'exécution de leurs projets[18]. Aussi son triomphe ne fut-il pas de longue durée, et vit-il s'évanouir bientôt ses douces espérances. Il avait à peine quitté Paris que les meneurs, se transportant au Palais-Royal, rallièrent leurs affidés, se répandirent avec eux dans les districts où ils excitèrent une violente Fermentation. Les districts s'élevèrent contre la sensibilité du ministre, contre l'arrêté des électeurs qui n'avaient aucun caractère pour accorder une amnistie, disant que la nation tout entière avait été offensée, et qu'à elle seule appartenait le droit de faire grince. De tous les districts, celui de l'Oratoire se montra le plus mécontent ; le premier à réclamer, il prit un arrêté vigoureux, qu'il envoya sur-le-champ aux cinquante-neuf autres en les invitant d'y adhérer. On ne peut clouter que l'initiative de l'opposition ne partît de Mirabeau, jaloux de la popularité de Necker et impatient de lui arracher le fleuron qu'il croyait avoir ajouté à sa couronne triomphale. Les électeurs, saisis d'épouvante, se rétractèrent, et les représentants de la Commune maintinrent la détention de Besenval. Cette affaire, portée le lendemain à la connaissance de l'Assemblée nationale, devint l'objet d'une vive discussion, dans laquelle Mirabeau, soutenu de Barnave, ne manqua pas de motifs pour détruire l'ouvrage du ministre. L'Assemblée rendit un décret conforme à l'opinion du terrible antagoniste de Necker, déclara que le baron de Besenval serait remis en lieu sûr, et qu'il resterait sous la garde de la loi[19].

Necker fut vivement affecté de la révolution subite qui s'était opérée dans les esprits. A la nouvelle de la rétractation des électeurs, il se plaignit à Moreau de Saint-Méry et dit qu'il en rendrait compte au roi : « Mon bonheur, ajouta-t-il, n'a guère duré ! » Un seul jour, en effet, avait suffi pour le renverser du piédestal où l'avait élevé le délire de l'enthousiasme. Cette première atteinte portée à sa popularité lui prouva qu'il existait contre lui un parti puissant, et qu'il n'était plus qu'un instrument déjà regardé comme inutile :

Le retour du ministre, autrefois cher au peuple, avait ranimé les espérances de la cour, dont il n'était cependant pas aimé, celles de la reine elle-même, aujourd'hui si désolée, et qui dans la succession rapide des événements semblait entrevoir une longue suite de désordres et de malheurs. Ecoutons ce cri plaintif du cœur, ce gémissement d'une âme généreuse qu'elle adresse à madame de Polignac, son amie, dans une lettre du 29 juillet de cette année :

« Je ne peux laisser passer, mon cher cœur, l'occasion sûre, qui se présente de vous écrire encore une fois aujourd'hui. C'est un plaisir si grand pour moi que j'ai remercié cent fois mon mari de m'avoir envoyé sa lettre. Vous savez si je vous aime et si je vous regrette, surtout dans les circonstances présentes. Les affaires ne paraissent pas prendre une bonne tournure. Vous avez su, sans cloute, ce qui s'est passé le 14 juillet ; le moment a été affreux et je ne peux me remettre encore de l'horreur du sang répandu. Dieu veuille que le roi puisse faire le bien dont il est uniquement occupé l Le discours qu'il a prononcé à l'Assemblée a déjà produit beaucoup d'effet. Les honnêtes gens nous soutiennent ; mais les affaires vont vite et entraînent on ne sait. Vous ne sauriez vous imaginer les intrigues qui s'agitent autour de nous, et je fais tous les jours des découvertes singulières dans ma propre maison. Ô mon amie ! que je suis triste et affligée. M. Necker arrive à l'instant ; il vous a vue, et m'a parlé de vous. Son retour a été un vrai triomphe ; puisse-t-il nous aider à prévenir les scènes sanglantes qui désolent ce beau royaume ! Adieu, adieu, mon cher cœur, je vous embrasse de toute mon âme ; vous et les vôtres.

Marie-Antoinette[20]. »

Quelques jours après, la pauvre reine répondait à Madame de Polignac, qui lui avait rappelé le courage et le sang-froid dont elle avait donné l'exemple au milieu du danger :

« ...Vous parlez de mon courage ; il en faut moins pour soutenir les moments affreux où je me suis trouvée que pour supporter journellement notre position, ses peines à soi, celles de ses amis, et celles de tous ceux qui nous entourent. C'est un poids trop fort à supporter, et si mon cœur ne tenait par des liens aussi forts à mon mari, mes enfants, mes amis, je désirerais succomber ; mais vous autres me soutenez ; je dois encore ce sentiment à votre amitié. Mais moi je-vous porte à tous malheur, et vos peines sont pour moi et par moi.

Marie-Antoinette[21]. »

Vers la fin de juillet, le royaume, ainsi que l'écrivait la reine à son amie exilée, présentait l'aspect de la désolation, un spectacle digne des siècles les plus barbares. Comme il importait aux chefs audacieux du parti révolutionnaire que toute la nation fût armée à l'exemple de la capitale, ils expédièrent de Paris, le même jour, à toutes les villes de France, des courriers chargés d'annoncer l'approche de brigands soudoyés par les aristocrates et qui coupaient les blés avant leur maturité, afin d'affamer le peuple. A cette nouvelle, une terreur subite se répandit par les provinces ; les habitants des villes, les laboureurs dans les campagnes quittèrent leurs travaux et coururent aux armes. En quelques jours la France entière fut organisée en garde nationale. Quant à l'armée des brigands que partout on attendait, elle n'arriva point ; cette armée fantastique n'existait que dans les desseins des plus zélés partisans de la Révolution. On attribue généralement à Mirabeau l'intention de ce stratagème dont le succès fut complet. Les provinces étonnées de leur attitude belliqueuse envers un ennemi toujours invisible, la conservèrent néanmoins, d'abord par mesure de sûreté, ensuite par ordre de l'Assemblée nationale, heureuse de se trouver en un moment à la tête d'une armée de deux millions d'hommes. Mais la commotion propagée de la capitale jusqu'aux frontières du royaume, fut suivie d'un affreux enchaînement de désordres et de calamités.

Plusieurs villes, à l'exemple de Paris, s'emparèrent des forteresses qui les dominaient. La populace de Strasbourg, après avoir ordonné une illumination générale, se jeta dans les caves, dans les demeures des habitants paisibles, enfonça les portes des prisons, admit dans ses rangs les voleurs et les assassins qu'elles renfermaient, et fit le siège de l'Hôtel-de-Ville, avec l'intention de massacrer ses magistrats. Ceux-ci parvinrent à s'échapper, mais il y eut neuf victimes d'immolées et quelques habitants reçurent des blessures plus ou moins graves. Les bons citoyens se rallièrent enfin, arrêtèrent les mutins par leur fermeté, et rendirent le calme à la ville. Les jeunes gens de Rennes prirent les armes, se rendirent maîtres de l'arsenal et des principaux postes et fraternisèrent avec les régiments d'Artois, de Lorraine infanterie et les dragons d'Orléans, envoyés contre eux. Huit cents soldats passèrent sous les drapeaux de la cité, et les autres se retirèrent dans leurs casernes. Les habitants de Saint-Malo imitèrent ceux de Rennes. A Rouen, à Cherbourg au Hâvre, à Verdun, à Dijon, à Bordeaux, la journée du 14 juillet eut des retentissements plus ou moins funestes.

Dans les environs de Paris, l'agitation n'était pas moins grande ; on y rencontrait souvent des troupes errantes de brigands qui, sous prétexte de poursuivre les accapareurs, répandaient partout la terreur, le pillage et la désolation. L'infortuné Sauvage, marchand de grains à Saint-Germain-en-Laye, sur l'injuste soupçon d'accaparement, fut massacré au milieu d'une émeute par des brigands inconnus, disent les uns, ou, selon les autres, par la populace de la ville, à laquelle s'était réunie une multitude d'hommes et de femmes. Un garçon boucher coupa la tête de la victime, la plaça au bout d'une pique et la promena dans les rues.

Thomassin, autre marchand de blé à Poissy, fut plus heureux. Menacé par une troupe de furieux, il était sur le point de périr, lorsqu'une députation de l'Assemblée nationale parvint à lui sauver la vie. M. de Lubersac, évêque de Chartres, président de la députation, s'adressa dans les termes les plus forts et les plus touchants à la populace, demanda que l'accusé fût remis entre les mains de la justice, qu'il fût puni, s'il était coupable, par le glaive des lois, et la conjura de ne pas se souiller, dans les transports d'une aveugle colère, d'un crime plus grand que celui dont elle poursuivait la vengeance. Ces paroles produisirent d'abord un effet salutaire ; mais bientôt de nouvelles clameurs retentissent, la fureur, un instant suspendue, éclate avec plus de violence, et la foule sollicite impérieusement la mort de la victime. Elle court, en poussant des hurlements de rage et d'horribles imprécations, à la prison où Thomassin avait été reconduit, en arrache le malheureux et le livre à une troupe de cannibales qui le conduit au supplice les mains liées derrière le dos. A cet affreux spectacle, les députés tombent aux genoux des assassins et les conjurent d'écouter la voix de la nature, le cri de la religion et de l'humanité. Vaines supplications ; Thomassin va périr ; déjà il est placé au pied du mur auquel il doit être suspendu et le fatal cordon est placé autour de son cou. Mais, chose étrange, le peuple, avant. de l'immoler, attend que le curé de la paroisse ait pu lui administrer les secours que la religion accorde aux mourants.

Cependant les députés n'ont pas encore perdu toute espérance ; ils redoublent d'efforts auprès des habitants et les larmes aux yeux, ils les supplient d'empêcher ce meurtre odieux. On s'émeut à leur voix, on s'indigne de la scène d'horreur qui se prépare. « Ne souffrons pas qu'on souille notre ville d'un crime aussi horrible, » s'écrie un des citoyens, touché de compassion. Aussitôt d'autres accourent en grand nombre, fondent sur les assassins et la victime est sauvée. L'évêque de Chartres fit placer Thomassin à ses côtés dans sa voiture, et le ramena enfin à Versailles où l'instruction procès manifesta son innocence[22].

La nuit du samedi premier août vit éclater à Saint-Denis une émeute dont le prétexte fut la cherté du pain. Cette ville avait alors pour lieutenant de maire M. Châtel, chargé de la distribution des farines, et qui, l'hiver précédent., avait procuré à plus de deux cents pauvres des secours abondants. Pour apaiser le soulèvement du peuple, il diminua le prix du pain à ses propres frais, et le réduisit à quarante centimes les deux kilogrammes. Cette concession ne put calmer les mutins. Excitée par les ennemis de cet honnête magistrat et par d'absurdes calomnies que se plaisent à répandre quelques artisans de discorde, la populace a résolu de se porter aux dernières violences. A deux heures et demie du matin, conduite par trois soldats du régiment de Provence, elle environne et force la, maison de M. Châtel, en poussant des cris de mort. Après une vigoureuse résistance, il échappe aux assassins par une porte de derrière, gagne l'église et se cache dans un clocher. Un enfant découvre sa retraite au moment où les furieux s'éloignaient désespérés de leurs perquisitions inutiles. Ils rentrent alors dans l'église, entraînent l'infortuné Châtel, l'accablent d'outrages et de coups. Il veut en vain s'expliquer. — Tu es un traître. — Quelle trahison ai-je commise ? — Tu es un accapareur. — Tu seras mis à la lanterne. — Ma religion me fait un devoir de vous pardonner, mais ne me faites pas languir, tuez-moi promptement[23].

A peine les assassins sont-ils maîtres de leur victime, qu'ils se disputent sur le genre de mort qu'ils doivent lui faire souffrir. Qu'il soit étranglé, disent les uns ; qu'il soit brêlé, s'écrient les autres. Pendant ce débat, une femme se jette sur Châtel, le renverse, lui appuie la tête sur ses genoux, et lui enfonçant dans la gorge, à plusieurs reprises, un de ces mauvais couteaux que le peuple appelait Eustaches : « Sens-tu le couteau froid ? lui dit-elle ; tu n'es pas pour mourir tout-à-l'heure ! » Ce supplice, d'un raffinement inouï de barbarie, dura près d'une heure et demie. On lui coupe ensuite la tête ; elle est envoyée aux factieux de Paris, comme les prémices des tributs sanglants que se préparaient à leur payer d'autres factieux dispersés sur différents points de la France.

Les efforts des habitants des villes, pour secouer leurs entraves, inspirèrent le même dessein au peuple des campagnes, qui prit aussi les armes. Alors commença contre les nobles une nouvelle Jacquerie, non moins terrible que celle dont les animales du moyen âge nous ont conservé le souvenir. Les payants refusèrent de payer les impôts, coururent de toutes parts à la destruction des forteresses féodales, incendièrent les châteaux, livrèrent aux flammes les archives seigneuriales, tous les titres de propriété, comme pour détruire les instruments de servitude les plus oppresseurs. Souvent les bandits punissaient par d'atroces supplices le refus de leur apporter les actes, les titres qu'ils demandaient. Ainsi, en Normandie, l'homme d'affaires d'un seigneur absent s'obstinait à ne pas livrer les titres de son maître : on s'imagina, pour l'y contraindre, de lui brûler la plante des pieds. Dans le Maconnais, des bandes armées de paysans descendirent de leurs montagnes, et se jetèrent sur la riche province de Bourgogne. En Franche-Comté, le château de Molans fut dévasté, et celui de Vauxvilliers, domaine de la duchesse de Clermont-Tonnerre, détruit de fond en comble. Saisie d'épouvante, cette dame prit la fuite à l'approche des assaillants, et resta cachée dans un grenier jusqu'à l'arrivée des secours que lui envoya la princesse de Broglie. Le Lyonnais et le Beaujolais furent aussi le théâtre des plus horribles dévastations. De tous côtés s'écroulaient sous le marteau ou les torches de l'incendie les élégantes tourelles, les monuments des tiges anciens et leurs couronnes de créneaux. L'étranger qui eût parcouru la France à cette époque, aurait pu se croire rejeté dans ces temps de barbarie, alors que les hordes féroces des Normands ou des Sarrasins inondaient la France, démantelaient les villes, dont les habitants fuyaient éperdus, brûlaient les églises, les monastères, les manoirs féodaux, et entassaient partout les ruines sur leur passage. Mais pourquoi cette rage de destruction dans la population rurale ? Elle voulait, disent quelques historiens, se venger de cette oppression qui, depuis des siècles, pesait sur sa tête. Dans notre opinion, le souvenir des calamités passées, quelque pénible qu'il soit, ne peut excuser des vengeances aussi atroces. Était-ce pour anéantir le régime féodal et toutes les chartes qui le constataient ? Mais ouvrons les cahiers des états-généraux, et nous y trouverons, écrites en caractères ineffaçables, les funérailles de la féodalité. La déclaration de Louis XVI, celle du 23 juin 1789, n'avait-elle pas d'ailleurs inauguré, sur les ruines de l'ancien monde, le règne du monde nouveau ?

L'universelle effervescence des campagnes avait reçu d'une catastrophe imprévue et déplorable une violente impulsion. Un sieur de Mesmay, conseiller au parlement de Besançon et seigneur de Quincey, près Vesoul, s'était signalé par une ardente opposition à tous les décrets de l'Assemblée nationale. Il fit cependant savoir aux habitants des alentours que le dimanche, 19 juillet, il donnerait une fête afin de célébrer l'heureuse réunion des trois ordres. Pour laisser un cours plus libre à la joie, M. de Mesmay s'absenta la veille du jour fixé, tout en recommandant à ses gens de traiter généreusement les invités. Le lendemain, les paysans du voisinage se rassemblent sans défiance, au château, dans un banquet où sont prodigués les vins et les mets. Le spectacle riant de la campagne et le parfum des fleurs ajoutent encore à l'enchantement de cette fête. Après le festin, un bosquet contigu au château reçoit les convives. Tous s'y livrent à la joie et vantent à l'envi la magnificence de leur hôte, lorsqu'un baril de poudre, laissé imprudemment dans un coin, à côté de gens ivres, s'enflamme tout-à-coup, et produit une explosion épouvantable ; en même temps le sol est inondé de sang et couvert de morts et de blessés. Aussitôt les paysans de fuir éperdus en criant à la perfidie, et de répandre l'alarme dans tous les villages des environs, où l'exaspération ne connaît bientôt plus de bornes. Un procès-verbal est dressé et envoyé à l'Assemblée nationale, qui frémit d'horreur au récit de ce crime affreux, et supplia le roi d'ordonner à ses ministres dans les cours étrangères de réclamer l'extradition des coupables, pour les livrer à la rigueur des lois[24].

Ce funeste accident fut reconnu plus tard pour un résultat de l'imprudence et non de la trahison[25]. Mais la nouvelle de cette scène tragique, rapidement propagée, vers les derniers jours de juillet avait excité dans toute la France un sentiment d'horreur. Elle fut largement exploitée par les agitateurs qui la présentèrent comme le signal d'une Saint-Barthélemy des paysans, que méditait la noblesse. A cette époque de fermentation générale, elle produisit un effet terrible et provoqua de coupables vengeances.

Dans ces désastreuses semaines où l'incendie menaçait de consumer toutes les propriétés, il n'y eut pas seulement des châteaux frappés, mais il y eut aussi des hommes. On gémit sur la destruction de ces antiques monuments qui couvraient les lieux les plus pittoresques de la France, de ces manoirs embellis par l'art, chantés par la vieille poésie et respectés par les siècles. Mais voyez, en Languedoc, le marquis de Barras coupé en morceaux sous les yeux de sa femme enceinte ; dans le Maine, M. de Montesson fusillé après l'égorgement de son beau-père ; en Normandie, un gentilhomme paralytique abandonné sur un bûcher ; en Franche-Comté, le marquis d'Ormenan, vieillard infirme, chassé de son château pendant la nuit, contraint de fuir appuyé sur le bras de ses deux filles et arrivant à Bâle presque mourant ; le baron de Montjustin suspendu pendant une heure dans un puits, entendant délibérer sur le genre de mort dont ses assassins le feraient périr ; le chevalier d'Ambli traîné tout nu sur le fumier après avoir eu les sourcils et les cheveux arrachés ; le comte de Montessu et sa femme, le pistolet sous la gorge durant trois heures, implorant la mort comme une grâce et tirés de leur voiture pour être jetés dans un étang[26] ! Qu'il nous soit permis ici d'anticiper un moment sur les dates, pour dire l'événement horrible dont la ville de Caen fut témoin le 12 août. Le marquis de Belzunce, petit-neveu de l'immortel évêque de Marseille, et major en second du régiment de Bourbon, jeune homme brave, mais téméraire, s'était concilié par d'excellentes qualités le cœur de ses soldats. Égaré par de perfides conseils, le peuple l'accusait d'avoir fait arracher à trois grenadiers du régiment d'Artois une médaille, récompense de leur dévouement à la cause de la Révolution, et le soupçonnait de méditer quelque coup de main avec son régiment. Bientôt une sédition éclate ; la populace, 'à laquelle se réunissent des paysans appelés par le tocsin, investit la caserne et demande à grands cris la tête de Belzunce. Elle s'empare de l'intrépide major, le traîne sur la place de l'Hôtel-de-Ville et le tue à coups de fusil sous les yeux de la municipalité indignée. On se jette aussitôt sur le corps de la victime que l'on déchire et dont les lambeaux sont portés en triomphe dans la ville. Une femme, le lecteur refusera d'y croire, lui arrache ensuite le cœur pour en faire un affreux repas[27].

A ces actes de barbarie révoltante répondirent quelques traits admirables de dévouement, et des actes de touchante sollicitude que l'histoire n'a point oublié de recueillir. Le marquis de Montfermeil, qui, l'année précédente, avait emprunté cent mille francs pour venir au secours de ses vassaux, fut accusé d'accaparement. A cette nouvelle, les habitants de son village se rendirent en masse à l'Hôtel-de-Ville de Paris et attestèrent la bienfaisance de l'honnête gentilhomme.

Dans un village du Quercy, les paysans, dont quelques factieux avaient excité les passions, croyaient avoir à se plaindre de leur seigneur. Ils résolurent de lui donner la mort et de brûler son château. Instruit de cet odieux projet, le curé fait sonner le tocsin, rassemble tous ses paroissiens et monte en chaire. La fureur semble peinte dans ses yeux : « Mes amis, s'écrie-t-il d'une voix forte et assurée, le jour de la vengeance est enfin arrivé. Le seigneur de notre village a été notre tyran, il faut nous venger et l'immoler à la liberté. Dans une entreprise aussi juste, je n'abandonnerai pas mon troupeau. Permettez-moi d'être votre chef, et jurez tous de suivre mon exemple. » Les auditeurs applaudissent avec transport à ces paroles, et choisissent le curé pour leur chef et s'engagent solennellement lui obéir. Il descend aussitôt de sa chaire, s'élance vers l'autel et allume un cierge que chacun prend pour une torche incendiaire, tombe à genoux devant l'autel et dit : « Je jure, mon Dieu, de pardonner au seigneur de cette paroisse. et j'exige de tous ceux qui sont ici présents le même serment. » Les paysans surpris restent immobiles. Le plus vieux de l'assemblée lève enfin la tête, marche vers l'autel, et prononce le serment prescrit par le curé ; tout le village imite son vénérable doyen, et la colère s'éteint dans tous les cœurs.

 

 

 



[1] Dix-neuvième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[2] Ferrières, Mémoires, t. I, chap. III, p. 163-161.

[3] Deux ans après le meurtre de Foullon, un de ses fils alla trouver Barnave et lui remit celui des deux Mémoires dans lequel Foullon avait conseillé à, Louis XVI de prévenir l'explosion révolutionnaire, en accordant, de sa propre volonté, tout ce que l'Assemblée demandait avant l'époque du 14 juillet. Lisez ce Mémoire, dit-il au député de Grenoble ; je vous l'ai apporté pour ajouter k vos remords ; c'est la seule vengeance que je veuille tirer de vous. Barnave fondit en larmes, et lui dit tout ce que la plus profonde douleur put lui inspirer. (Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XIV, p. 62).

[4] Bailly, Mémoires, t. II, p. 138-139. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p. 102-104.

[5] « Le temps est venu, disait Mirabeau, où il faut estimer les hommes d'après ce qu'ils portent dans ce petit espace, sous le front, entre les deux sourcils. »

[6] Le père de Mirabeau était mort le 13 juillet 1789, à l'âge de 74 ans.

[7] Bailly, Mémoires, t. II, p. 144-155. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. X, p. I57-158.

[8] L'Ami du roi, etc. 4e cahier, chap. LXI, p. 121.

[9] L'Ami du roi, etc. 4e cahier, chap. t. XI, p. 122. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VII, p. 107-110.

[10] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VII, p. 110-111. — Bailly, Mémoires, t. II, p. 164.

[11] M. Louis Blanc, dans son Histoire de la Révolution, œuvre qui, nous le reconnaissons, a obtenu un grand succès, mais dans laquelle l'auteur n'a cependant apporté ni exactitude, ni conscience, et qui ne semble dictée que par l'esprit de parti, s'extasie sur les paroles de Robespierre. Écoutons-le : « Salut public ! ces deux mots, dans la bouche de Robespierre, auraient fait tressaillir l'Assemblée, si elle avait pu entrevoir alors tout ce qu'ils contenaient de puissance, de majesté, de terreur et de prodiges. » On peut deviner par cette phrase l'homme dont le députe d'Arras est le héros, dont l'ouvrage n'est qu'un hymne perpétuel à la louange de ce héros ; et qui veut voir absolument dans les théories de Robespierre, le dernier mot de la Révolution. L'écrivain ajoute : « La discussion, du reste, ne fut suivie d'aucun vote. Que disaient le ; lettres saisies ? On l'ignora, et les appréhensions s'en accrurent. » Il n'est pas rare de voir M. Louis Blanc se faire un jeu de la vérité. Ce passage nous fournit une preuve de ce que nous avançons. En effet Bailly, qu'il a souvent consulté, nous apprend qu'elles ne contenaient rien qui prît exciter l'inquiétude. « Le paquet, parvenu au comité, dit-il, dans ses Mémoires, avait redoublé notre embarras. Je ne nie serais pas permis de l'ouvrir ; M*** plus hardi et accoutumé à couper le nœud gordien, ouvrit la lettre, on n'y trouva que des compliments. Comme on insistait toujours à l'Assemblée sur le rapport du paquet, M. de Clermont-Tonnerre dit qu'il avait assisté au comité permanent à l'ouverture de la lettre, et qu'elle ne contenait que des choses indifférentes ; sur quoi l'Assemblée a passé à l'ordre du jour, et cette grande affaire a été finie. » (Voyez les Mémoires de Bailly, t. II, p. 140-142).

[12] Mémoires de Bailly, t. II, p. 140-141. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VII, p. 111-116. — Mémoires sur Mirabeau, t. III, p. 374-377.

[13] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VIII, p. 118-123. — Bailly, Mémoires, t. II, page 162.

[14] Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 166-169. — Mémoires de Bailly, t. II, p. 166. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chapitre VIII, p. 123. — Moniteur, séance du 28 juillet 1789.

[15] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p. 135-136. — Considérations sur la Révolution française, par madame de Staël, 1e partie, chap. XXIII, p. 128-133.

[16] Mémorial de la Révolution de France.

[17] Mémoires de Bailly, t. II. p. 473-176. — Mémoires de Ferrières. t. I, liv. III, p. 173-176. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p. 142-151. — Considérations sur la Révolution française, par madame de Staël, 1re partie, chap. XXIII, p. 134.

[18] « La vanité de M. Necker fut à son comble, à l'aspect de l'ivresse populaire qu'il fit naître. Il se crut alors le législateur suprême et le gouverneur à vie de cette pauvre France, qu'il avait charitablement adoptée pour sa patrie, à condition qu'il l'administrerait à son gré. » (Weber, Mémoires, t. I, chap. IV, p. 402).

[19] Mémoires sur Mirabeau, t. III, p. 382-386. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p. 160-168. — Mémoires de Bailly. t. II, p. 179-191. — Mémoires de Ferrières, t. I, livre III, p. 175-180.

[20] Lettre autographe, signée, communiquée par M. le Marquis de Flers, à MM. Edmond et Jules de Goncourt,

[21] La comtesse Diane de Polignac, Mémoires sur la vie et le caractère de madame la duchesse de Polignac, Hambourg 1796.

[22] Bailly, Mémoires, t. II, p. 458. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VI, p. 93-97.

[23] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. VI.

[24] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. V, p. 85-88.

[25] Plus tard, sur la plaidoirie de M. Courvoisier, l'Assemblée nationale reconnut par un décret l'innocence de M. de Mesmay.

Voyez le procès-verbal de la séance du 5 juin 1791.

M. Michelet n'ignorait pas cette circonstance, et cependant il raconte cette catastrophe de manière à laisser croire qu'il ne doute point de la culpabilité du seigneur de Quincey. La note placée au bas de la page qui renferme ce récit, n'atténue que faiblement l'opinion qu'il en a conçue. Voici donc comment il s'exprime : « Un de ces parlementaires, seigneur en Franche-Comté, M. Mesmay de Quincey, ne s'en tint pas à la menace Ulcéré probablement par des haines de voisinage, l'esprit troublé de fureur, entraîné peut-être aussi par cette pente à l'imitation qui fait qu'un crime célèbre engendre bien souvent des crimes, il réalisa précisément ce que de Launay avait voulu faire, ce que le peuple de Paris croyait encore avoir à craindre. Il fit savoir à Vesoul, et dans les alentours, qu'en réjouissance de la bonne nouvelle, il donnerait une fête et traiterait à table ouverte. Paysans, bourgeois, soldats, tous arrivent, boivent, dansent... La terre s'ouvre, une mine éclate, lance, brise, tue au hasard, le sol est jonché de membres sanglants... Le tout attesté par te curé qui confessa quelques blessés qui survivaient, attesté par la gendarmerie, apporté le 25 juillet à l'Assemblée nationale.... L'Assemblée indignée obtint du roi qu'on écrirait à toutes les puissances pour demander l'extradition des coupables. (Michelet, Histoire de la Révolution française, t. I, p. 191.)

[26] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. XII, page 191.— Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 181. — Histoire de la conjuration de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, p. 107, Paris, 1796.

[27] Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 55.