LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE XI. — COUP D'ÉTAT DU 8 MAI 1788. - SES FUNESTES SUITES.

 

 

Maladie de Brienne. — Obstacles suscités au ministère par le parlement pour la perception de l'emprunt. — Coup d'État préparé contre la magistrature. — Séance dit parlement. — Arrestation des conseillers d'Eprémesnil et Montsabert. — Lit de justice du 8 mai. — Création d'une cour plénière. — Protestations. — La noblesse s'unit aux magistrats. — Résistance de la Normandie, de la Bretagne, du Béarn, de la Provence, du Dauphiné. — Assemblée de Vizille. — Folle sécurité de Brienne. — Assemblée extraordinaire du clergé. — Sa conduite imprudente. — Invitation aux Français de publier leurs idées sur la manière de former les états-généraux. — Le roi convoque les états pour le 1er mai 1789. Inquiétudes de Malesherbes. — Aveugle confiance de Brienne. — Ses honteux expédients pour remédier à la crise financière. — Alarmes des rentiers. — Brienne offre à Necker le contrôle général des finances. — Disgrâce de l'archevêque de Sens et rappel de Necker. — Brienne se retire comblé de faveurs.

 

Depuis longtemps, Brienne, d'une complexion délicate, qu'il avait épuisée par une vie peu sévère, beaucoup d'ambition et de travail, traînait une santé frêle et ne combattait que par un grand régime une dartre qui le dévorait. Irrité des obstacles qu'il rencontrait et accablé d'inquiétudes, il tomba malade : bientôt l'humeur se jeta sur la poitrine, et au moment où le ministre avait besoin de toutes ses forces et de toute son application, les médecins lui recommandèrent le repos d'esprit et le silence. Au milieu de l'agitation qu'une semblable prescription lui causait, on le vit s'enrichir avec une honteuse cupidité : il échangea son archevêché de Toulouse contre celui de Sens, beaucoup plus lucratif ; que laissait vacant la mort du cardinal de Luynes, et se fit donner en sus une coupe de bois de 900.000 francs pour payer ses dettes[1]. Lorsqu'il abandonna le ministère, ses revenus en bénéfices, s'élevaient à 678.000 francs. On ne songea pas qu'on fournissait une ample pâture à la haine, en accumulant les biens ecclésiastiques sur la tête de l'homme qui imposait l'économie aux autres.

Malgré son douloureux état, Brienne se rattachait au pouvoir. Il résolut, pour s'assurer le repos, de renverser la magistrature, et s'entretint de sou projet avec Lamoignon. Après avoir essayé tour à tour de la politique de Richelieu et de celle de Mazarin, sans posséder même assez d'art pour jouer ni l'une ni l'autre, il voulait annuler l'édit de rappel des parlements et opérer la même réforme que Maupeou. Le garde des sceaux, qui portait un nom honoré dans l'histoire parlementaire, refusa de marcher ouvertement sur les traces d'un chancelier, devenu l'objet du mépris universel. D'accord avec l'archevêque de Sens sur le but., il lui fit envisager qu'ils pouvaient arriver au même résultat que Maupeou par des voies différentes ; qu'il ne fallait point adopter une demi-mesure, mais porter un coup décisif pour étouffer l'insurrection manifeste du parlement et réduire ce corps aux fonctions judiciaires. Charmé de ces vues, le principal ministre laissa au garde des sceaux le soin de tracer un plan de réforme radicale.

Vers cette même époque, fidèle à l'engagement qu'il avait contracté de rendre un compte annuel des finances, le gouvernement annonça qu'il allait publier l'état des recettes et des dépenses de l'année courante. Le public connaissait déjà le résultat du compte. La disproportion du revenu ordinaire avec les charges totales de cette année était de cent soixante millions. M. Lambert, alors contrôleur général des finances, longtemps membre distingué du parlement de Paris, avait mis à ce Compte-rendu le sceau de son travail et de sa probité. Une émulation digne d'éloges se faisait remarquer dans les divers départements. Le comte de Brienne avec le conseil de la guerre, le comte de la Luzerne avec celui de la marine se livraient sans relâche à des travaux dont l'ensemble attestait le plus grand zèle. De son côté, le baron de Breteuil s'appliquait à l'embellissement salutaire de Paris. Ainsi il dégageait les ponts des masures malsaines qui les surchargeaient ; rendait à l'air sa circulation et sa salubrité ; isolait, multipliait et enrichissait les hôpitaux. Il obéissait enfin au vœu le plus cher de Louis XVI en soignant le pauvre avec une attention suivie[2].

Tout-à-coup le parlement, après s'être attaché quatre mois durant à déclamer contre les lettres de cachet, parut craindre que le crédit public ne se relevât des blessures sans nombre qu'il lui avait portées. Il revint donc sur l'enregistrement forcé des emprunts du 19 novembre, et arrêta des remontrances pour répéter que les emprunts ordonnés dans cette séance étaient illégaux (11 avril). Dans sa réponse, faite le I9 avril, le roi soutint qu'on n'avait pas eu besoin de résumer ni de compter les voix, parce qu'il jugeait par lui-même lorsqu'il assistait à la délibération, et n'avait pas à tenir compte de la pluralité. « Si la pluralité, dans mes cours, forçait ma volonté, la monarchie ne serait plus qu'une aristocratie de magistrats[3]. » Cette dénomination, qui devait avoir dans nos troubles civils un retentissement si prodigieux, répondait à l'accusation de despotisme que le parlement avait lancée contre les ministres.

Dans de nouvelles remontrances, rédigées pour répliquer à la réponse du roi, les parlementaires n'oublièrent point de la relever : « Les ministres, dirent-ils, nous imputent le projet insensé d'établir une aristocratie de magistrats... Quel moment ont-ils choisi pour cette imputation ? Celui où votre parlement, éclairé par les faits et revenant sur ses pas, prouve qu'il est plus attaché aux droits de la nation qu'à ses propres exemples. — La constitution française parraissait oubliée ; on traitait de chimère l'assemblée des états-généraux... Mais il restait le parlement. On le croyait frappé d'une léthargie en apparence universelle : on se trompait. Averti tout-à-coup de l'état des finances... il s'inquiète, il cesse de se faire illusion, il juge de l'avenir par le passé ; il ne voit pour la nation qu'une ressource, la nation elle-même... Il exprime le vœu des états-généraux... Votre Majesté les promet, sa parole est sacrée... Les états-généraux seront donc assemblés A qui le roi doit-il ce grand dessein ? A qui la nation doit-elle ce grand bienfait ?... Non, Sire, point d'aristocratie en France, mais point de despotisme[4]. »

L'édit qui prorogeait le second vingtième, avait annoncé que la perception en serait soumise à une surveillance plus exacte. Afin d'éviter les fausses déclarations des privilégiés, le ministre avait ordonné que des contrôleurs procédassent à la vérification. Un jeune conseiller, Goislard de Montsabert, essaya de mettre obstacle à la levée de l'impôt en les dénonçant. Il ne craignit pas de se couvrir de la thèse absurde, déjà discutée sous Necker, qu'un propriétaire, dans l'absence de représentants pour voter les subsides, est le seul juge de décider ce que doit payer sa terre. Son but était de soustraire les domaines des nobles à toute vérification. Il fallait certes toute l'inhabileté et la faiblesse du ministère pour souffrir que la popularité s'attachât à des hommes qui soutenaient avec tant d'impudeur les privilèges et les abus. Le parlement ordonna que les gens du roi informeraient sur la conduite des contrôleurs (29 avril). Après avoir empêché la réalisation de l'emprunt, il mettait des entraves à la perception de l'impôt.

De tels principes rendaient le gouvernement impossible et semblaient autoriser le coup d'État médité par le ministère. On y travaillait de longue main avec ardeur, mais quelques confidences imprudentes de Brienne et de Lamoignon, lui voulaient cependant couvrir d'un profond secret leurs desseins, avertirent trop l'ennemi. Une vague rumeur annonçait un coup d'État à la Maupeou ; elle s'accréditait chaque jour davantage et l'opinion l'accueillait avec colère et mépris. Un travail mystérieux se faisait à Versailles, par ordre du ministère, dans une imprimerie, dont les ouvriers gardés à vue, travaillaient jour et nuit. Tous les commandants militaires des provinces avaient l'ordre de se rendre à leur poste ; les soldats rejoignaient leurs drapeaux ; des conseillers d'État et des maitres des requêtes étaient envoyés aux sièges des parlements, avec des dépêches cachetées qu'ils devaient ouvrir le 8 mai, partout à la même heure.

Sur ces entrefaites, des conciliabules de résistance s'étaient organisés chez Adrien Duport ; les hommes les plus influents du parlement, d'Eprémesnil, Fréteau, Robert de Saint-Vincent, Sémonville, Morel de Vindé, les abbés Sabathier, Le Coigneux et Louis, y conféraient avec les ducs de Luynes, d'Aiguillon, de la Rochefoucauld, l'évêque d'Autun, Talleyrand-Périgord, les marquis de Condorcet et de La Fayette. Là en se préparant à la défense, on commençait la lutte, car les magistrats soupçonnant les projets de Brienne, cherchaient à les flétrir d'avance et à se concilier ainsi l'opinion. Un ouvrier imprimeur, corrompu à prix d'argent par d'Eprémesnil, trouva, dit-on, le moyen de lui faire parvenir une épreuve des édits que le ministère se proposait de proclamer dans un lit de justice. D'Eprémesnil sonna l'alarme, provoqua. et obtint aussitôt la convocation générale des chambres, à laquelle plusieurs des pairs se rendirent. Il prit alors la parole et s'exprima en ces ternies : « Les inquiétudes de cette compagnie et celles de la nation n'étaient que trop fondées. J'ai percé un mystère affreux. Il ne s'agit plus de conjectures ni de suppositions : voici les nouveaux édits que l'on prépare. » Après en avoir fait la lecture, d'Eprémesnil ajouta : « Les mouvements qui vous transportent m'ont appris vos résolutions, ou plutôt elles m'étaient connues même avant d'entrer dans cette salle. Nid de vous ne se rendra le complaisant salarié de ministres en démence. On nous laisse encore quelques moments pour protester : faisons-le avec toute l'énergie d'hommes d'honneur, avec tout le calme de sujets courageux et fidèles. Quand un grand sujet d'effroi va se répandre dans la nation, qu'elle ait un motif de consolation et d'espérance en apprenant qu'aucun de nous ne se sépare des honorables compagnons de ses travaux... Les ministres ont entrepris de dégager le roi d'une parole solennelle et de lui faire éluder la convocation des états-généraux. La nation n'oublie point les paroles données par le monarque ; elle n'oubliera pas non plus ce que nous avons fait pour qu'elle rentrât dans ses droits. Après l'honneur d'avoir fait une si noble réclamation, il en reste encore un que nous allons obtenir : c'est d'être punis de notre fidélité aux constitutions du royaume. Bientôt nous serons plaints et regrettés par le roi que nous avons essayé en vain d'éclairer sur ses véritables intérêts et sur sa gloire. Mais rendons grâce au ciel de ce que l'excès de la violence est accompagné de l'excès du délire. Les progrès qu'a faits la nation depuis dix-huit ans sont incalculables. Elle était en quelque sorte dans un état d'enfance, lors- qu'un homme, dont je rougis d'avoir encore à prononcer le nom devant cette compagnie, le chance- lier Maupeou, forma et put exécuter le projet de dissoudre les parlements. Aujourd'hui où l'on veut renouveler cette tentative, la nation est dans toute sa force. Les trois ordres du royaume sont animés des mêmes sentiments : c'est de nous qu'ils les ont reçus. Il faut aimer les périls qui produisent un si bel effet. Gardons-nous ici de tout acte qui caractériserait la rébellion : la force d'inertie est pour les magistrats la défense de l'honneur. Vos ancêtres n'avaient que cette arme à opposer aux menaces du roi d'Espagne Philippe II et à la tyrannie des Seize. Laissons les sièges qu'ils occupèrent tellement honorés, que ceux même qui ne rougissent de rien craignent de nous y remplacer. »

Sur la _prière de l'orateur, le premier président mit en délibération ce qu'il convenait de faire dans l'état où se trouvait la chose publique (3 mai). Cette délibération aboutit à l'arrêté suivant qui renfermait la déclaration des principes constitutifs de la monarchie française :

« La cour, les pairs y séant, justement alarmée des événements funestes dont une notoriété trop constante paraît menacer la constitution de l'État et la magistrature ; considérant que les motifs qui portent les ministres à vouloir anéantir les lois et les magistrats, sont la résistance inébranlable que ceux-ci ont mise à s'opposer à deux impôts désastreux, la demande qu'ils n'ont cessé de faire des états-généraux avant tout impôt nouveau, etc. ;

» Considérant enfin que le système de la seule volonté, clairement exprimé dans différentes réponses surprises au seigneur roi, annonce de la part des ministres, le funeste projet d'anéantir les principes de la monarchie, et ne laisse à la nation d'autre ressource qu'une déclaration précise par la cour, des maximes qu'elle est chargée de maintenir, et des sentiments qu'elle ne cessera de professer ;

» Déclare que la France est une monarchie gourer-née par le roi, suivant les lois :

» Que de ces lois, plusieurs qui sont fondamentales, embrassent et consacrent :

» Le droit de la maison régnante au trône, de male en male, par ordre de primogéniture à l'exclusion des filles et de leurs descendants ;

» Le droit de la nation d'accorder librement les subsides, par l'organe des états-généraux, régulièrement convoqués et composés ;

» Les coutumes et capitulations des provinces ;

» L'inamovibilité des magistrats ; le droit des cours de vérifier, dans chaque province, les volontés du roi, de n'en ordonner l'enregistrement qu'autant qu'elles sont conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu'aux lois fondamentales de l'État ;

» Le droit de chaque citoyen de n'être jamais traduit, en aucune matière, devant d'autres juges que ses juges naturels, qui sont ceux que la loi lui désigne ;

» Et le droit sans lequel tous les autres sont inutiles ; celui de n'être arrêté par quelque ordre que ce soit, que pour être remis sans délai entre les mains des juges compétents ;

» Proteste ladite cour contre toute atteinte qui serait portée aux principes ci-dessus exprimés ;

» Déclare unanimement qu'elle ne peut, en aucun cas, s'en écarter ; que ces principes également certains, obligent tous les membres de la cour, et sont compris dans leur serment ; en conséquence, qu'aucun des membres qui la composent, ne doit ni n'entend autoriser par sa conduite la moindre innovation à cet égard, ni prendre place dans aucune compagnie qui ne serait pas la cour elle-même, composée des mêmes personnages et revêtue des mêmes droits ;

» Et, dans le cas où la force, en dispersant la cour, la réduirait l'impuissance de maintenir par elle-même les principes contenus au présent arrêté, la dite cour déclare qu'elle en remet le dépôt inviolable entre les mains du roi, de son auguste famille, des pairs du royaume, des états-généraux, et de chacun des ordres réunis ou séparés qui forment la nation[5]. »

Dès le lendemain (4 mai), cet arrêté et celui du 20 avril contre les contrôleurs du vingtième furent cassés par le conseil et l'ordre fut donné d'arrêter Duval d'Eprémesnil et Goislard de Montsabert, les promoteurs des deux arrêtés. Ces deux conseillers, prévenus à temps du sort qui les attendait, se réfugièrent, de nuit, au Palais même et dénoncèrent au premier président l'attentat formé contre leurs personnes. Les magistrats et les pairs se réunirent de grand matin le 5 mai. Le parlement rendit alors un arrêt pour mettre d’Eprémesnil et Goislard sous la sauvegarde du roi et de la loi, envoya une députation à Versailles, et résolut de rester en séance jusqu'au retour des députés.

Pendant ce temps des milliers de spectateurs se portaient au Palais. Au nombre des groupes qui se pressèrent bientôt dans sa vaste enceinte, on en remarqua plusieurs armés de différentes sortes et disposés à des projets séditieux. Des hommes en guenilles, à la figure sinistre et mêlés à la jeunesse enthousiaste, faisaient entendre d'horribles vociférations et couvraient d'opprobre les noms de Brienne, de Lamoignon, du comte d'Artois, sans épargner ceux de Marie-Antoinette et de Louis XVI lui-même. « Nous ferons, disait-on, un rempart de nos corps à d'Eprémesnil. » A l'arrivée des pairs restés fidèles à la cause du parlement, la foule laissait éclater des transports de joie. « Défendez d'Eprémesnil, leur criait-elle, ne souffrez pas qu'on vous l'arrache. »

Vers minuit, les magistrats, du lieu de leur séance, entendirent d'abord un bruit tumultueux, bientôt après des pas de chevaux et un cliquetis d'armes. C'étaient plusieurs compagnies des gardes françaises, précédées de sapeurs, qui investissaient le Palais. Aussitôt les avenues, les corridors, les salles, tout fut occupé à travers la foule irritée et grondante. Quelques jeunes conseillers voulaient que, dans cette circonstance extraordinaire, on s'écartât de l'usage de ne point délibérer publiquement. Messieurs, dit avec dignité le président de Gourgues, voulez-vous changer les formes anciennes ? Sur la réponse qui fui presque unanime, les étrangers évacuèrent la salle où délibérait la compagnie. Bientôt un aide-major des gardes françaises, le marquis d'Agoult, fit annoncer qu'il demandait à entrer de la part du roi ; il fut introduit à l'instant. Cet officier d'une fermeté extrême, regardait comme un devoir l'obéissance aux ordres de Sa Majesté ; et cependant, à l'aspect d'une imposante assemblée de magistrats, parmi lesquels siégeaient des ducs et pairs, des maréchaux de France et des prélats, il ne put se défendre de quelque trouble, et de lire, d'une voix légèrement altérée, un billet signé du roi, qui lui ordonnait d'arrêter, dans la grand'chambre, ou partout ailleurs, MM. Duval d'Eprémesnil et Goislard de Montsabert, pour les remettre entre les mains des officiers de la prévôté de l'hôtel. La cour va en délibérer, lui dit le président. Vos formes sont de délibérer, répondit vivement le marquis, revenu de sa première surprise, je ne connais pas ces formes-là Je suis chargé des ordres du roi ; ils ne souffrent pas de délai ; il faut que je les exécute. Il pressa ensuite le président de satisfaire à sa réquisition, et le somma de lui désigner les cieux magistrats qu'il ne connaissait pas. Excité par quelques mots piquants et dédaigneux que lui adressèrent les ducs de Praslin, de Noailles et de la Rochefoucauld, le major répéta sa sommation ; alors, l'assemblée s'écria tout d'une voix : « Nous sommes tous d'Eprémesnil et Montsabert ! si vous prétendez les enlever, enlevez-nous tous ! » Un silence profond succéda à cette exclamation. D'Agoult se retira, annonçant qu'il allait rendre compte à ses chefs et attendre les ordres du roi.

Les députés revinrent de -Versailles, à trois heures du matin, sans avoir été reçus ; on avait oublié d'envoyer les gens du roi demander le moment où Sa Majesté voudrait les admettre. Le parlement décida qu'ils partiraient sur-le-champ ; mais ils étaient aussi prisonniers, et la force militaire refusa de les laisser sortir. La nuit se passa ainsi comme au milieu d'une place assiégée. Toute communication au dehors était interdite ; les magistrats avaient seulement la liberté d'aller de la grand'chambre dans l'intérieur du Palais sous l'escorte d'une garde, et s'il arrivait des lettres, on ne les remettait qu'après les avoir ouvertes.

Les pairs reçurent des lettres du roi, portées trop tard à leurs hôtels ; elles leur enjoignaient de ne pas se rendre au Parlement. Après une courte délibération entre eux, les pairs déclarèrent qu'ils ne se sépareraient point des magistrats pendant toute la séance.

A onze heures du matin, le marquis d'Agoult se présenta de nouveau et somma encore, au nom du roi, les deux magistrats de se faire connaître ; personne ne lui répondit. Il fit entrer un exempt de robe courte, auquel il ordonna de lui désigner MM. de Montsabert et d'Eprémesnil. Cet exempt, nommé Larchier, paraissait fort ému toutefois il se rassura au bout de quelques minutes, promena ses regards sur l'assemblée, et après cette marque extérieure d'obéissance, déclara qu'il ne les voyait pas. D'Agoult lui réitéra par trois fois l'ordre de regarder attentivement : mais l'officier de police persista dans sa réponse. Alors d'Agoult lui ordonna de se retirer et fut obligé de sortir pour prendre de nouvelles instructions.

Les deux conseillers et leurs collègues jugèrent qu'on avait prolongé cette scène aïe longtemps pour la dignité du parlement et pour réserver le droit ; ils craignirent aussi de compromettre par une plus longue résistance le généreux Larchier. On rappela le marquis d'Agoult, et d'Eprémesnil restant assis et couvert, lui dit :« Je suis un des magistrats que vous cherchez à main armée dans le sanctuaire de la loi. » Il lui demanda ensuite si les soldats avaient l'ordre d'employer la force, dans le cas où il ne le suivrait pas volontairement. Sur la réponse affirmative du major : « Je veux, continua-t-il, épargner à la cour et à moi-même l'horreur du spectacle qui nous est préparé. » Puis il se leva, se découvrit et s'adressant au parlement : Je suis, dit-il, la victime qu'on vient immoler sur l'autel même ; mon crime est d'avoir défendu la liberté publique contre les atteintes sans nombre qui lui ont été portées ; je souhaite que le triomphe que remportent aujourd'hui les ennemis des lois ne soit pas préjudiciable à l'État : je prie la compagnie de ne point perdre le souvenir de l'attachement que je lui ai voué, et je puis l'assurer que, quel que soit le sort qui peut m'être réservé, quelles que soient les propositions qui me seront faites, je serai toujours digne d'être un de ses membres. » Après avoir recommandé sa famille à ses collègues et embrassé ceux qui l'entouraient, il s'inclina profondément devant l'assemblée, descendit d'un pas ferme et suivit d'Agoult. Au retour du chef de la force armée, Montsabert sommé de le suivre, se leva et obéit en déclarant qu'il adhérait aux protestations et aux sentiments de son collègue d'Eprémesnil, et que, fût-il conduit à l'échafaud, il ne se départirait jamais des sentiments d'honneur et de courage qu'il avait puisés dans le sein du parlement et que ses pères lui avaient transmis[6]. Il fut envoyé au château de Pierre-Encise, et d'Eprémesnil aux fies Sainte-Marguerite.

Les deux conseillers proscrits une fois emmenés, le marquis d'Agoult acheva de remplir ses instructions ultérieures et annonça aux magistrats qu'ils étaient libres de se retirer. Le parlement consterné arrêta des remontrances, pleines de tristesse et de fermeté, respectueuses encore, mais péremptoires, pour la liberté de ses deux membres « arrachés avec violence du sanctuaire des lois, » et se sépara, après plus de trente heures de séance. Les portes du Palais furent aussitôt fermées et gardées. Alors on vit se dissiper la foule qui, pour se consoler du dénouement de cette scène dramatique, alla insulter dans plusieurs quartiers les postes du guet de Paris.

C'était ainsi que des ministres, incapables d'une sage et légitime résolution au milieu de la tempête, et conduits par l'archevêque de Sens, qu'égarait l'orgueil, savaient préparer l'opinion publique aux changements depuis longtemps médités. Sur la proposition de Brienne, le roi fit un autre acte qui pouvait exciter du mécontentement sans rien ajouter à sa gloire ou à sa puissance : il nomma le marquis d'Agoult gouverneur des Tuileries. Le peuple, dont tout l'intérêt se portait sur d'Eprémesnil, vit dans cette récompense impolitique une bravade du premier ministre et l'en méprisa d'avantage.

Les craintes du parlement ne tardèrent pas à se réaliser : le 8 mai, au matin, il reçut l'ordre de se rendre à Versailles pour la tenue du lit de justice auquel on s'attendait. D'autant plus offensé des injustices du parlement qu'il avait lui-même la conscience de ses intentions pures, le roi ouvrit la séance par un discours concis et sévère, prononcé avec l'accent d'une sombre douleur. « Il n'y a point d'écart, dit-il, auquel, depuis une année, ne s'est livré le parlement de Paris, imité aussitôt par les parlements des provinces. Le résultat de leurs entreprises est l'inexécution de lois intéressantes et désirées, la langueur des opérations les plus précieuses, l'altération du crédit, l'interruption ou la suspension de la justice, enfin l'ébranlement même de l'édifice social et de la tranquillité publique. Je dois à mes peuples, à moi-même, et à mes successeurs de réprimer de tels écarts. »

Après avoir exposé le mal, Louis annonça le remède : « forcé à regret de punir quelques magistrats, j'aime mieux prévenir que réprimer de semblables excès. Je ne veux pas détruire mes parlements, mais les ramener à leur devoir et à leur institution. Je veux convertir un moment de crise en une époque salutaire pour mes sujets ; commencer la réforme de l'ordre judiciaire par celle des tribunaux ; procurer aux justiciables utile justice plus prompte et moins dispendieuse ; confier de nouveau à la nation l'exercice de ses droits légitimes, qui doivent toujours se concilier avec celui du souverain : je veux surtout mettre dans toutes les parties de la monarchie cet ensemble et cette unité de vues, sans lesquels un grand royaume est affaibli par le nombre même de ses provinces...

» L'ordre que je viens d'établir n'est pas nouveau. Le parlement était unique à l'époque où Philippe-le-Bel l'a rendu sédentaire à Paris. Il faut à un grand -État un seul roi, une seule loi, un seul enregistrement ; des tribunaux d'un ressort peu étendu, chargés de juger le plus grand nombre de procès ; des parlements auxquels les plus importants seront réservés ; une cour unique, dépositaire des lois communes à tout le royaume, enfin des états-généraux assemblés non une fois, mais toutes les fois que le besoin de l'État l'exigera. Telle est la restauration que mon amour pour mes sujets a préparée, qu'il consacre aujourd'hui pour leur bonheur. » Le roi ordonna ensuite au garde des sceaux de faire connaître plus en détail ses intentions.

Lamoignon, qui, dans ce jour, prit cinq fois la parole, fit d'abord un pompeux éloge de tous les bienfaits émanés des lits de justice à diverses époques ; puis il donna lecture de six édits ou déclarations du roi. Le premier de ces édits, relatif à l'administration de la justice, augmentait la compétence des présidiaux, établissait entre ces tribunaux inférieurs et les parlements quarante-sept grands bailliages jugeant en dernier ressort toutes les contestations civiles dont le fonds n'excèderait pas 20.000 francs, et toutes les affaires criminelles, excepté celles concernant les ecclésiastiques, gentilshommes ou autres privilégiés. Le second édit supprimait généralement tous les tribunaux d'exception, tels que les bureaux des finances, les trésoriers de France, les élections et juridictions des greniers à sel, les chambres du domaine et du trésor, les maîtrises des eaux et forêts. Le troisième abrogeait l'usage de la sellette et de la question préalable (préalable à l'exécution), maintenue à l'époque de l'abolition de la question préparatoire, en 1780 ; ordonnait que les crimes seraient définis dans les jugements de condamnation, et que ces décisions, comme celles d'acquittement, recevraient la publicité par la voie de l'impression-et de l'affiche ; portait trois voix, au lieu de deux, la majorité nécessaire pour les condamnations à mort et exigeait un sursis d’un mois entre la condamnation et le supplice, le cas de sédition excepté — afin que le droit de grâce appartenant au roi ne fût plus rendu illusoire —. Le cœur généreux de Louis XVI léguait toutes ces améliorations importantes à notre législation criminelle, comme un monument de sa bienfaisance pour son peuple. Le quatrième édit réduisait le parlement de Paris de cinq à trois chambres formées en tout de soixante-sept membres.

Après un préambule destiné à faire ressortir la nécessité que les lois communes à tout le royaume fussent enregistrées dans une cour aussi commune à tout le royaume, le cinquième dépouillait le parlement du droit d'enregistrer les lois et le confiait à une cour plénière que l'édit prétendait antérieure au parlement, et qui, suivant le garde des sceaux, « étrangère sans doute aux habitudes des derniers siècles, n'était cependant une innovation ni dans les annales, ni dans le droit public île la monarchie française. Le roi ne faisait que rétablir ce tribunal supérieur autrefois existant[7]. » La cour plénière était composée du chancelier ou garde des sceaux de France, de la .grand'chambre du parlement de Paris, dans laquelle prendraient séance les princes du sang et pairs du royaume, le grand aumônier, le grand maître de la maison du roi, le grand chambellan, le grand écuyer, deux archevêques, deux évêques, deux maréchaux de France, cieux gouverneurs, deux lieutenants généraux, deux chevaliers des ordres du roi, quatre autres personnages également qualifiés, le capitaine des gardes lorsqu'il accompagnerait le mi, dix conseillers d'État ou maîtres des requêtes, deux membres de la cour des comptes, deux de la cour des aides et un député de chaque parlement de province.

Tous les membres de la cour plénière seraient irrévocables et nommés à vie par le roi. Ils devaient être présidés par le roi, en son absence par le garde des sceaux, à leur défaut par le premier président ou autres présidents du parlement de Paris. Ils vérifieraient et publieraient les édits, dont les dispositions s'étendraient à la France entière. Les ordonnances d'un intérêt local seraient enregistrées, soit par un parlement, soit par un grand bailliage. Dans le cas de circonstances extraordinaires. la cour plénière enregistrerait provisoirement les impôts. jusqu'à l'assemblée des états-généraux ; et le roi se réservait le pouvoir de contracter les emprunts qui n'exigeraient pas de contribution nouvelle.

Enfin Lamoignon termina la longue série des mesures qu'il avait combinées avec Brienne et toutes ses explications par une déclaration qui constituait en vacances, sans chambre de vacations, tous les parlements du royaume, jusqu'à ce qu'il en fût autrement ordonné après l'exécution complète du nouveau système d'administration judiciaire. Défense était faite aux parlements de se réunir sous peine de désobéissance.

Cette dernière loi publiée, Louis XVI reprit la parole, au milieu du morne silence de l'assemblée. Il déclara que toutes ses volontés tendaient au bonheur de ses sujets, et que plus elles étaient modérées, plus il montrerait de fermeté dans leur exécution. Il ordonna à tous ceux qui devaient siéger dans la cour plénière de rester à Versailles aux autres de se retirer, et ce funeste lit de justice fut terminé.

Dans tous ces édits, objet d'une censure implacable, et le principe d'une résistance qu'on a crue invincible, on trouvait d'utiles réformes sur la hiérarchie et les circonscriptions judiciaires, sur la justice criminelle ; mais ces réformes manquèrent leur but, parce que Brienne et Lamoignon, trop fidèles imitateurs de Maupeou, les avaient employées comme un moyen de populariser le coup d'État contre le parlement. Si l'esprit de parti n'avait pas tout dénigré par ses injustes soupçons et tout couvert de sa voix impitoyable, avec quel enthousiasme et quelle reconnaissance cette époque de réaction généreuse en faveur de la personne humaine, n'eût-elle pas accepté une plus sage distribution de la justice, la suppression des tribunaux d'exception et l'abolition de la torture préalable !

L'institution de la cour plénière portait le coup au cœur du parlement ; c'était une révolution dans les coutumes de la monarchie, mais contraire à celle que réclamait le vœu de la nation qui ne voulait plus se contenter de quelques améliorations partielles. Cette institution abolissait en effet tout contrôle : la cour plénière, il est vrai, était autorisée à faire des remontrances, mais quatre de ses membres devaient être appelés au conseil pour en discuter l'opportunité, afin que la détermination du roi, sur ces remontrances, fût prise arec une plus grandir connaissance de cause. Beaucoup d'autres dispositions s'annulaient les unes par les autres ; l'approbation des états-généraux semblait nécessaire à l'établissement définitif d'un impôt, et cependant rien n'annonçait qu'ils auraient des assemblées périodiques. Ces états devaient délibérer ; mais en droit, on niait leur autorité, puisque le roi se réservait de statuer définitivement sur leurs délibérations. Il ne leur reconnaissait donc qu'une valeur consultative !

Les magistrats n'acceptèrent pas sans d'énergiques plaintes leur propre mutilation. Dans ce lit de justice, le vieux premier président d'Aligre, après la lecture des édits, déclara que le parlement n'entendait prendre aucune part à tout ce qui pourrait être fait dans la présente séance., et protesta devant Louis XVI contre la violation récente du siège de la justice souveraine. Au sortir de la séance, ceux qui composaient la grand' chambre, à l'unanimité, écrivirent au roi « qu'ils n'accepteraient aucune place dans la nouvelle cour dite plénière ; fleurs serments, leurs devoirs. et leur fidélité au souverain ne leur permettant pas d'y siéger. » Convoqués le lendemain Four la première séance de la cour plénière, ils protestèrent de n'assister que passivement à la réunion : d'Aguesseau, gendre du garde des sceaux, et Lamoignon fils, n'étaient pas les moins ardents à soutenir la cause de leur ordre. Louis XVI leur dit les rassemblait pour leur confirmer sa volonté ; qu'il persisterait dans un plan qui avait pour base la tranquillité comme la félicité de son peuple, et qu'il se reposait sur leur zèle autant que sur leur fidélité. » En sortant, les magistrats s'empressèrent de renouveler leur protestation.

On se disposait à une seconde séance pour le jour suivant. Mais les ministres y renoncèrent d'après le bruit, vrai ou faux, que les pairs devaient tous, à l'exception de dix, protester à la face du roi contre tout ce qui s'était fait au lit de justice. La chambre des comptes et la cour des aides suivirent le mouvement. Les membres du Châtelet de Paris, honorant le malheur des premiers magistrats, refusèrent leurs dépouilles, et leur exemple fut suivi par une partie des présidiaux désignés pour le 'titre et les attributions de grand bailliage. Après avoir annoncé tant de fermeté et de persistance, Brienne se trouva tout à coup dans le plus grand embarras. Le ridicule s'attacha à cette institution qui avait dû être si imposante. Les magistrats, retenus à Versailles par l'ordre du roi, pour composer la cour plénière n'assistaient point aux séances indiquées. Il fallut les l'envoyer dans leurs terres, afin de se donner le temps d'imaginer le moyen de vaincre leur opposition. On méprisa, on chansonna de toutes parts cette malheureuse cour plénière, morte avant d'être née[8].

Le jour même où se tenait à Versailles le fameux lit de justice, tous les autres parlements du royaume furent assemblés pour attendre les ordres du souverain. Le commandant militaire de la province, assisté d'un autre commissaire du roi pris dans le conseil, alla tenir une séance royale dans chacune de ces cours, et fit transcrire d'autorité les édits sur leurs registres ; mais elles protestèrent avec énergie avant ou après l'enregistrement. Comme au temps de Maupeou, la résistance devint générale et plus intraitable encore que celle du parlement de Paris. La fière noblesse d'épée soutenait dans sa violente opposition cette magistrature qui avait été si longtemps l'objet de ses mépris et de son antipathie. La populace, dont les besoins étaient grands et les souffrances nombreuses, se soulevait et offrait aussi aux parlements un redoutable secours, que trop souvent ils acceptèrent. La force armée restait obéissante à ses chefs, mais elle entendait chaque jour discuter des questions capables d'ébranler sa fidélité, et la désaffection de l'ordre de la noblesse, auquel appartenait le corps des officiers, la rattachait de plus en plus à l'opposition. Plus influents dans les grandes villes de province qu'il Paris, les privilégiés imprimaient le mouvement ; beaucoup d'avocats et de jeunes gens embrassaient la cause des parlements.

Au milieu de cette épidémie de résistance, la masse bourgeoise se montra plus indifférente et sembla n'attendre rien que des états-généraux. Aussi mal habile dans les moyens qu'irrésolu devant les obstacles, le ministère n'avait même pas su faire énergiquement de l'arbitraire : par la suspension de ces vieux corps de magistrature qui se dissolvaient, et dont l'opposition retenait seule encore les éléments près de se séparer, il avait peut-être encore la chance de prévenir la résistance dans les provinces. Mais il n'osa pas leur porter le dernier coup, et les magistrats, restés dans leurs villes, purent se concerter, se réunir malgré les défenses du roi, et lancer ces arrêtés foudroyants par lesquels étaient déclarés infâmes et traîtres à la patrie tous Français qui dans ces circonstances obéiraient aux ordres du gouvernement. Des mesures de sévérité répondirent trop tard à ces violences ; ainsi des parlements furent mandés à Versailles et d'autres exilés. Un arrêt du conseil supprima les protestations des cours, défendit de rendre des arrêtés semblables, à peine de forfaiture, et plaça sous la protection du roi tous les tribunaux fidèles (20 juin 1788).

L'impulsion donnée ne s'arrêta pas. Le parlement de Rouen, qui n'avait d'abord opposé qu'une obéissance passive, prit bientôt une attitude hostile. Dans une réunion secrète du 25 juin, il déclara traîtres au roi, à la nation, à la province, parjures et rotés d'infamie tous officiers ou juges qui procéderaient en vertu des ordonnances du 8 mai, et décida qu'au roi « seraient incessamment dénoncés, comme traîtres envers lui et envers l'État, les ministres, auteurs des surprises faites à la religion de Sa Majesté, et notamment le sieur de Lamoignon, garde des sceaux de France. » Le roi répondit à la déclaration des magistrats par un ordre d'exil. Quoique les habitants de Rouen fussent profondément irrités des vexations de tout genre dont les accablait le commandant, marquis d'Harcourt, l'agitation de la Normandie n'alla pas jusqu'à l'insurrection.

D'autres provinces montrèrent moins de patience. En Bretagne, la résistance avait pris un caractère formidable. Avant même l'arrivée des commissaires du roi, le procureur Syndic des états, comte de Botherel, accompagné de gentilshommes bretons, avait protesté, au nom des trois ordres, devant le parlement de Rennes, réclamant l'exécution du contrat de mariage de Louis XII et de la duchesse Anne. Les tribunaux inférieurs, les avocats, en un mot tous les corps, s'empressèrent d'appuyer cette demande. Les commissaires du roi étaient le comte de Thiard, gouverneur de la province, et l'intendant Bertrand de Molleville. Le premier était aussi connu par sa modération et les grâces de son esprit que le second pal : son opiniâtreté et sa violence. Tous les deux furent hués et menacés en se rendant au Palais de Justice pour y faire exécuter les ordres du roi. A leur sortie, la populace les accueillit encore par des cris de fureur et lança contre eux une grêle de pierres. La retenue du comte de Thiard qui défendit publiquement aux militaires de faire usage de leurs armes, empêcha la guerre civile d'éclater. Des renforts de toutes armes qu'il fit entrer dans Rennes, pendant la- nuit, n'intimidèrent pas les meneurs. Les magistrats s'étant réunis, malgré les ordres du roi, chez un de leurs présidents, un détachement de dragons fut envoyé pour les disperser. Aussitôt une troupe de gentilshommes armés, que suivait une foule de peuple, coururent défendre l'entrée de la maison où le parlement délibérait. L'officier qui se présenta se vit refuser la porte et ne put accomplir sa mission. Le procureur général sortit néanmoins, et s'adressant aux soldats, il les appela les vils satellites du despotisme ; il osa même les menacer de les livrer à la fureur populaire. Bertrand de Molleville voulait qu'on forçât la porte et qu'on abattit la maison. Mais le gouverneur reçut une députation du parlement et consentit à faire retirer les troupes, sous la condition expresse que l'assemblée se séparerait. Les militaires renvoyés, la séance ne fut point interrompue, le parlement acheva sa délibération et publia en sortant un arrêté incendiaire contre les édits. Dans la nuit, tous les magistrats reçurent tics lettres de cachet qui les envoyaient en exil.

Alors les gentilshommes bretons se mirent à insulter les officiers des troupes du roi qui avaient rempli leur devoir. A la suite de plusieurs duels oh un officier avait été tué et d'autres blessés, un duel• collectif de quinze gentilshommes contre quinze officiers fut résolu, le lieu et le jour pris, comme au temps du combat des Trente. Les officiers d'un autre régiment, celui de Bassigny, se déclarèrent pour le parti de la résistance et ne craignirent point de protester contre les ordres mèmes dont l'exécution leur était confiée. Les jeunes gens de Nantes vinrent en armes au secours des habitants de Rennes. Le gouverneur, qui ne pouvait, répondre de la fidélité des troupes, craignit de compromettre l'autorité royale en ordonnant des mesures de rigueur, et s'efforça de calmer les esprits. Par l'aménité de son caractère il se fit écouter du Tiers-état de la province ; mais la noblesse ne mit aucun frein à son arrogance.

Sur ces entrefaites, la commission intermédiaire des états de Bretagne imagina d'écrire à tous les évêques de la province pour les prier d'ordonner des prières publiques comme dans les temps de calamités. Presque tous les nobles réunis à Rennes, a Vannes. a Saint-Brieuc, signèrent une déclaration ainsi conçue : Nous, membres de la noblesse de Bretagne, déclarons in-Mmes ceux qui pourraient accepter quelque place, soit dans la nouvelle administration de la justice, soit dans 1"admittistration des états, qui ne serait pas (trouée par les lois et les constitutions de la province. Cent trente gentilshommes portèrent cette déclaration au comte de Thiard. Malgré sa défense, ils s'assemblèrent de nouveau, et après avoir rédigé une dénonciation contre les ministres, ils chargèrent douze députés d'aller la présenter au roi, et de lui demander qu'il respectât les droits de la Bretagne. Le ministère les fit arrêter et mettre à la Bastille., licencia le régiment de Bassigny et dirigea sur la Bretagne le maréchal de Stainville avec seize mille soldats.

A la nouvelle de l'arrestation des gentilshommes bretons, les deux ordres de la province s'unirent à la noblesse pour envoyer une nouvelle députation. Brienne en eut avis, il la prévint, et l'intimida tellement qu'elle retourna sur ses pas. Les Bretons en tirent partir une troisième beaucoup plus nombreuse. Dès son arrivée à Paris, son premier soin fut de tenir une assemblée où figurèrent les ducs de Rohan, de Praslin, de Boisgelin et le marquis de La Fayette. Le ministère étonné n'osa sévir contre les derniers députés ; mais Rohan perdit une pension de douze mille livres, la duchesse de Praslin son emploi de dame d'atours de la reine, Boisgelin fut destitué de sa charge de maître de la garde-robe et La Fayette de son commandement militaire. Pendant ce temps, l'intendant, Bertrand de Molleville, avait été pendu en effigie par le peuple, et s'était enfui de Bretagne où la guerre civile semblait près d'éclater[9].

On craignit un moment à Versailles que le Béarn exaspéré par les édits du 8 mai, ne proclamât son indépendance. Dans cette contrée, les paysans propriétaires des montagnes, unis à la noblesse, descendirent en masse sur Pan, s'emparèrent de l'artillerie de la place, avec la ferme résolution de repousser la force par la force, et enfoncèrent les portes du Palais de Justice fermé par les ordres du roi. Dans la crainte de plus graves désordres, le commandant même de la province invita le parlement de Pau à se rassembler. La magistrature et la noblesse publièrent de véhémentes protestations. Louis XVI leur envoya le duc de Guiche, d'une famille très influente dans les Pyrénées, et qu'il avait investi de pouvoirs extraordinaires. Un grand nombre de Béarnais, nobles et plébéiens, allèrent à la rencontre du duc, avec de grandes démonstrations de joie et de vénération, en portant au milieu d'eux, comme un palladium, le berceau de Henri IV. L'orateur lui adressa un discours touchant dans lequel il lui rappela les services rendus par ses ancêtres à la province dont ils avaient toujours défendu les privilèges. Il l'engagea ensuite à faire cause commune avec ses compatriotes qui juraient sur le berceau du bon roi, d'être sujets fidèles, mais de mourir ou de conserver intactes les coutumes de leur patrie.

La Provence fit craindre les mêmes excès que la Bretagne. Profondément attachée à sa constitution, elle voyait dans les nouveaux édits la destruction des bases sur lesquelles elle était fondée. Elle soutenait qu'elle s'était volontairement donnée à la France sous des conditions qui, jurées par le souverain, ne pouvaient être méconnues sans en même temps annuler la cession ; que les successeurs de Louis XI devaient respecter les engagements auxquels ce prince s'était soumis, et dont eux-mêmes, à leur sacre, promettaient solennellement l'observation. Aussi vit-on tous les corps de la province, les états, les villes, les divers ordres de citoyens, adresser au roi d'éloquentes suppliques pour que le pays fût maintenu dans ses privilèges nationaux. Les plaintes générales des Provençaux, le nombre et la force de leurs divers actes de protestation, jetèrent le gouvernement dans une sorte d'irrésolution. Après avoir hésité quelque temps, au lieu de recourir aux mesures de rigueur, il résolut de leur proposer des modifications que le comte de Caraman, commandant en chef de. la province, fut chargé de faire accepter. Ses instructions portaient d'assurer le pays que ses privilèges seraient conservés ; le parlement et la cour des comptes maintenus dans le droit d'enregistrer les édits ; les grands bailliages réduits à un seul qui serait réuni au parlement et rempli par les derniers officiers dont les charges venaient d'être supprimées. Au mois de juin, le comte se rendit Aix, pour exécuter les ordres du roi.

Mais à peine y fut-on instruit de l'objet de sa mission, que tous les corps, dominés par la pensée qu'une seule modification à la constitution provençale entraînerait son entière violation, résolurent de répondre par un refus formel et absolu à toute proposition d'accommodement, et d'annoncer au commandant qu'il devait abandonner l'espoir de faire réussir sa négociation. Dans ces dispositions qui furent rendues publiques, et que partagea la population de la ville, un morne et profond silence accueillit l'arrivée du comte de Caraman. Ainsi qu'on l'avait arrêté, tous les corps n'allèrent saluer le retour du commissaire du roi, que pour l'avertir de leur ferme résolution de demander la conservation, sans réserve, des immunités de la Provence. Le premier président du parlement lui exprima au nom de la compagnie le vœu « du retrait absolu des édits, et du retour simultané de toute la magistrature à ses fonctions. » Mais le langage de M. d'Albertas, premier président de la cour des comptes, fut plus sévère. « Monsieur, dit-il au commandant, les officiers de la cour des comptes, aides et finances, me chargent de vous déclarer qu'ils ne peuvent, comme Provençaux, comme citoyens, reconnaître comme légalement enregistrées, les nouveautés funestes transcrites d'autorité sur les registres de la cour.

« Notre zèle pour les véritables intérêts du roi, notre attachement à la constitution provençale, notre serment, nous ordonnent de repousser avec effroi des édits violateurs des pactes qui unissent la Provence au royaume sans l’y subalterner.

« Quel que soit le sort qu'on nous prépare, notre dernier vœu sera que le roi n'ait jamais à regretter les difficultés salutaires qu'on ne saurait écarter de sa toute-puissance, sans ébranler son autorité légitime. »

L'administration des états, le chapitre d'Aix, en un mot, tous les autres corps de la province, suivirent l'exemple de cette résistance, et la situation du pays causa de vives alarmes au comte de Caraman. Aux discours qui lui furent adressés, il répondit par les assurances de son attachement pour la Provence et de son désir de lui être utile. Il témoigna ensuite le regret qu'il emportait de ne pouvoir concilier avec l'exécution des intentions du roi, l'opposition générale qui venait de lui titre manifestée.

Tous ces incidents avaient un caractère grave, mais les troubles du Dauphiné s'étendirent dans des proportions effrayantes ; ils eurent une portée politique bien plus décisive. Dès le 11 mai, une grande partie de la noblesse, rassemblée a Grenoble, avait nommé trois députés pour aller demander au roi la révocation de ses édits, le rétablissement des états particuliers du Dauphiné, et la convocation des états-généraux du royaume. Encouragé par cette résolution hardie, le parlement brava la défense qui lui avait été signifiée, et se réunit le 20 chez son premier président, M. de Bérulle. Là il rédigea des protestations dont la violence peut s'apprécier par la dernière phrase : « Il faut enfin leur apprendre, disait-il, en parlant des ministres, ce que peut une nation généreuse qu'ils veulent 'mettre aux fers. » Les délibérations se continuaient, lorsque le gouverneur, duc de Clermont-Tonnerre, lit usage des lettres de cachet qu'il avait entre les mains (7 juin).

Sur la nouvelle que le parlement était envoyé en exil, le peuple de Grenoble courut aux armes, se répandit dans les rues et sonna le tocsin qui retentit de clocher en clocher jusqu'à la frontière du Dauphiné. Les paysans descendirent alors de leurs montagnes et fondirent sur la ville dont ils enfoncèrent les portes. Mêlés à la populace furieuse, ils veulent empêcher les magistrats de partir ; leurs voitures, déjà préparées, sont enlevées ou brisées, et leurs malles saisies. La multitude élève ensuite des barricades, et refoule les deux régiments de la garnison, d'ailleurs peu disposés à repousser la force par la force, et malgré une garde de trois cents hommes, envahit l'hôtel du gouverneur. Le duc de Clermont-Tonnerre, trop faible pour occuper cette place, surtout dans ces jours de fermentation et de délire., se montre aux fenêtres, jette de l'argent et promet d'appuyer les vœux du peuple auprès du gouvernement. Mais les rebelles, dont le nombre augmente à chaque instant, n'écoutent pas sa voix, ils enfoncent les portes à coups de hache, s'emparent du jardin et forcent la maison de tous les côtés. Le vin ruisselle dans les caves ; les débris des meubles volent par les fenêtres, et le duc de Clermont-Tonnerre est enveloppé et saisi. Un des mutins lève la hache sur sa tête, le menaçant de le pendre au lustre de son salon s'il ne révoque les ordres qu'il a reçus. Détournée par un officier, la hache se relève et reste suspendue jusqu'à ce que le duc ait signé la capitulation qu'on lui dicte. Il s'engage alors à regarder les lettres de cachet comme non avenues, et invite le parlement à se réinstaller au Palais de Justice.

Quelques compagnies de Royale-Marine avaient cependant résisté dans l'intérieur de la ville : une entre autres avait protégé un officier que la foule irritée accablait d'une grêle de pierres. Lapidés eux-mêmes, les soldats s'étaient retranchés dans une maison où, contraints de soutenir un siège, ils avaient tué deux hommes parmi les assaillants. Ailleurs quelques patrouilles avaient arrêté des séditieux. Des vainqueurs en guenilles vinrent les délivrer dans leur marche triomphale, se portèrent ensuite au Palais, forcèrent les portes de la grand'chambre et souillèrent les bancs de la justice par des scènes d'ivresse et de débauche. De Pa ils se rendirent, avec une joie menaçante, chez ceux des conseillers qui n'arrivaient pas assez vite pour les obliger à siéger. La séance s'ouvrit ; le premier président adressa quelques paroles 'pleines de dignité à cette populace ; bientôt les magistrats, effrayés d'une telle victoire, se répandirent au milieu des groupes pour calmer l'insurrection et parvinrent) avec peine, ii les dissiper. Deux jours après, les membres du parlement ayant rédigé de nouvelles remontrances et dressé un procès-verbal afin de constater que la force seule les avait empêchés d'obéir aux ordres du roi, partirent sans bruit et séparément pour l'exil.

La municipalité de Grenoble remercia le régiment d'Austrasie pour avoir épargné le peuple jusqu'au point de lui livrer la vie de son commandant., et demanda le départ du régiment de Royal-Marine qui s'était défendu contre les séditieux. Ainsi les progrès de la désorganisation sont partout effrayants et rapides. A Grenoble, ce n'est plus seulement une assemblée de gentilshommes, un corps de magistrats en état. De résistance : c'est une portion de l'armée en état de dissolution, disposée à passer de l'obéissance il la révolte. Là on avait rempli de cendre les canons des fusils ; ailleurs les chefs laissaient entrer dans les rangs des femmes qui s'efforçaient d'enchaîner l'activité des soldats. Sur le refus d'un officier supérieur, un simple officier donna l'ordre à un détachement de faire feu. Le soldat entendit alors prononcer ces paroles capables d'abord de l'étonner, mais avec lesquelles depuis il se familiarisa : Tirerez-anus donc sur cos frères ? « De ce moment il était douteux. si envoyer des troupes dans une ville en fermentation, ce n'était pas plutôt exposer la fidélité du soldat, que forcer la soumission des sujets[10]. »

Beaucoup de Dauphinois s'élevèrent avec énergie contre la scène scandaleuse d'insubordination et de brigandage qui avait désolé Grenoble. lls voyaient dans l'intime union des trois ordres le seul moyen de repousser les entreprises des ministres, les excès de la multitude, en un mot, de prévenir dans la suite ces funestes combats entre le gouvernement et le peuple. Quelques jours après. le départ des magistrats, des membres du clergé, de la noblesse et du Tiers-état s'assemblèrent à l'hôtel de ville, sous la présidence du baron des Adrets, et ouvrirent la délibération sur la situation actuelle de la province et du royaume. Le major de la place vint inutilement leur signifier, au nom du roi, l'ordre de se séparer. Avec toutes les formes de la déférence, ils témoignèrent une résolution inébranlable. A.la suite d'une longue discussion, ils décidèrent que les états particuliers du Dauphiné, tombés en désuétude depuis bien des générations, se réuniraient le 21 juillet.

Cependant Brienne, irrité de la faiblesse et du peu d'habileté de Clermont-Tonnerre, le fit rappeler et le remplaça par le maréchal de Vaux, l'homme le plus ferme et peut-être le plus sévère de l'armée. A peine arrivé, le vieux maréchal défendit de porter la cocarde bleue et jaune, couleurs du Dauphiné, qu'un grand nombre de personnes avaient arborée, et son ordre fut exécuté sur le champ. Il jugea néanmoins qu'il lui serait impossible d'empêcher la réunion annoncée, quoiqu'il eût vingt mille hommes sous ses ordres ; il écrivit donc en substance aux ministres qu'on l'avait envoyé trop tard, et ceux-ci l'autorisèrent à transiger. Alors il voulut qu'on lui demandât la permission de tenir l'assemblée des états. On y consentit sur sa promesse de la permettre. Il défendit que la réunion eût lieu à Grenoble : on la convoqua au château de Vizille, ancienne résidence des Dauphins ; il annonça que le château serait entouré d'une force imposante, afin de protéger la paix publique et la délibération des députés ; on lui répondit que cette précaution serait inutile, mais qu'il était le maître de la prendre.

Le plus grand calme et un ordre admirable régnèrent dans l'assemblée de Vizille. Un juge royal de Grenoble, Jean-Joseph Mounier, ami de Necker et grand partisan des institutions anglaises, dirigeait le Tiers-état d'une main habile, tout en lui donnant l'exemple de la fermeté et de la modération. Renommé dans la province pour la droiture de son caractère et l'étendue de son esprit, cet homme professait dès cette époque des principes auxquels il resta fidèle dans tout le cours de sa carrière. Il voulait un pouvoir limité par les lois, une liberté ennemie de l’anarchie. Le frère d'un poêle, Pompignan, archevêque de Vienne, poussait le clergé avec des sentiments de liberté qu'on ne s'attendait pas a trouver dans cet ardent ennemi de la philosophie. Après quelques discussions, suivies de votes unanimes, les députés de l'assemblée jurèrent l'union des Dauphinois entre eux et, avec les autres provinces, le refus de tout impôt nouveau jusqu'aux états-généraux, et prononcèrent l'anathème contre quiconque accepterait une place dans les tribunaux crées par les derniers édits. Ils proclamèrent ensuite que les Dauphinois étaient prêts sa sacrifier, pour le bien de l'État, tous leurs privilèges particuliers, et ne revendiquaient que les droits de Français ; que l'impôt substitué à la corvée serait supporté également par les trois ordres, et que dans leurs états particuliers, le Tiers aurait la double représentation déjà établie dans toutes les administrations provinciales. Avant de se séparer, l'assemblée arrêta une adresse au roi pour lui demander le retrait des édits, l'abolition des lettres de cachet, la convocation des états-généraux du royaume et la sanction du rétablissement des états particuliers du Dauphiné ; puis elle s'ajourna au 1er septembre dans la ville de Saint-Robert, près de Grenoble. A côté de Mounier, le véritable directeur de, cette assemblée, dont les délibérations excitèrent le plus vif intérêt, s'était signalé un jeune avocat de Grenoble, Barnave, auquel une éloquence abondante, naturelle et chaleureuse, destinait un rôle important dans la Constituante.

Cette sollicitude continue et générale que montrait. le Dauphiné pour la destinée de la France, ce caractère de protecteur qu'il déployait à l'égard des autres provinces, ranimèrent les alarmes du gouvernement. Il voulut réprimer ces excès de zèle, et tourner la difficulté, en rendant aux Dauphinois leurs états particuliers, mais en essayant de leur donner une organisation conforme à ses vues. Cette entreprise était au-dessus de ses forces. Dociles aux conseils de Mounier, les Dauphinois ne cédèrent pas plus ii l'astuce qu'ii la force, et le ministère se vit contraint de renoncer à son projet.

Les mouvements des autres provinces n'avaient pas la même gravité : mais partout s'agitait l'esprit d'innovation et la fermentation était universelle. Des troubles éclataient en Languedoc, en Roussillon ; la Flandre, le Hainaut, la Franche-Comté, la Bourgogne ne protestaient pas avec moins d'énergie. Au lieu de la résistance régulière des parlements, le ministère rencontrait une opposition plus vive et plus furieuse. Dans presque toute la France, le cours de la justice, était suspendu et l'anarchie désolait le royaume. Les inquiétudes sur la fortune publique et individuelle allaient toujours croissant ; les banquiers se refusaient à toute avance, et l'imagination ne savait plus ou arrêter ses craintes. Au milieu de circonstances si difficiles, Louis XVI découragé semblait abandonner le soin des affaires, tandis que Brienne, conservant encore une folle sécurité, se posait comme le Richelieu de la monarchie en péril : « J'ai tout prévu, même la guerre civile Le roi sera obéi !... Le roi sait se faire obéir ! » Grands mots prononcés avec la brièveté d'un oracle, et qui retentissaient dans le vide quoiqu'ils parussent cacher quelque mystérieuse influence. Tout se retirait : le ministre de la police, le baron de Breteuil, qui partageait avec Brienne la faveur de Marie-Antoinette, donna sa démission, afin de ne pas encourir la responsabilité de ses périlleux travers. Il fut remplacé par M. de Villedueil.

Brienne, dans l'espoir d'échapper aux dangers qui l'environnaient, avait essayé d'une dernière ressource ; il avait convoqué, en Juin, à Paris, aux Grands-Augustins, une assemblée extraordinaire du clergé. Il jugeait facile de faire comprendre à l'ordre sur lequel il avait plusieurs fois exercé de l'influence, tout ce qu'il avait à redouter de la convocation des états-généraux, et que pour la prévenir il lui restait encore un moyen. Le clergé pouvait mettre la couronne en mesure de se passer de cette assemblée, soit par des sacrifices pour combler le vide des finances, soit par l'abandon des biens monastiques à l'État. Une déclaration de Louis XVI, qui avait assuré au clergé la conservation de toutes ses formes d'administration, semblait assurer le succès. Mais le ministre, dès ses premiers entretiens avec les prélats, vit qu'il fallait renoncer à son projet, et trouva les esprits si mal disposés, qu'il demanda seulement le modique secours d'un million huit cent mille livres pour l'année 1788, et de pareille somme pour l'année suivante.

Dans cette assemblée une opposition puissante, à laquelle l'opinion publique ajoutait une force irrésistible, attaqua vivement les innovations du ministre. Toute la grâce et tous les nobles, efforts de l'archevêque de Narbonne, qui la présidait, échouèrent contre l'ingénieuse et mordante censure de Thémines, évêque de Bois. Il fut arrêté qu'avant de délibérer sur aucun don, le clergé, comme premier ordre de l'État, adresserait au roi des remontrances sur la situation des affaires publiques. Rédigées dans le sein d'une commission, dont faisaient partie les archevêques de Reims, d'Aix et d'Arles, ainsi que les évêques de Langres, de Béziers, d'Auxerre et de Saint-Malo, ces remontrances n'avaient pas le ton véhément des protestations de la noblesse et de la magistrature mais elles blâmaient avec énergie les auteurs des nouveaux édits. Brienne dut être accablé en écoutant ces paroles du clergé qui s'établissait juge entre le monarque offensé et ses Cours en disgrâce : « Lorsque le premier ordre de l'État se trouve le seul qui puisse élever la voix, que le cri public le sollicite de porter les vœux de tous les autres au pied de votre trône, que l'intérêt général et son zèle pour votre service le commandent, il n'est plus glorieux de parler, il est honteux de se taire. Notre silence serait un crime, dont la nation et la postérité ne voudraient jamais nous absoudre. » Les remontrances se prononçant contre la cour plénière, disent : « Quand même elle eût été le tribunal suprême de nos rois, elle ne présente plus maintenant cette assemblée nombreuse de prélats, de barons et de féaux réunis. La nation n'y voit qu'un tribunal de cour, dont elle craindrait la complaisance, et dont elle redouterait les mouvements et les intrigues dans les temps de minorité et de régence. »

A l'exemple de la noblesse, le clergé réclama énergiquement le maintien des capitulations provinciales contre une injuste unité : il approuva les parlements, ses anciens adversaires, et animé de l'esprit de vertige qui se répandait entre tous les ennemis du gouvernement, il réclama aussi la convocation des états-généraux sous bref délai. Il oubliait alors les dangers qu'il avait lui-même signalés avec véhémence et croyait que les états-généraux du dix-huitième siècle, assemblés au milieu de cette conflagration universelle, se borneraient au consentement libre des subsides, aux remontrances, plaintes et doléances sur les autres objets ! Ainsi « chacune des puissances de l'ancien régime répétait à son tour, comme maîtrisée par un esprit invisible, la parole qui allait faire crouler l'édifice du passé[11]. »

En même temps qu'il commettait la faute de provoquer la révolution dans le cours de laquelle il devait néanmoins déployer tant d'héroïsme et de vertu, le clergé manifestait les craintes que lui avait inspirées la subvention territoriale. Puis, rétrogradant au-delà des notables, il s'élevait contre le principe de l'application de l'impôt aux possessions ecclésiastiques, contre le désordre d'une fausse égalité, demandait une loi semblable à celles qui, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, avaient garanti ses immunités. Le public fit peu d'attention à ces remontrances de la dernière assemblée de l'ordre ecclésiastique et applaudit à celles qui censuraient les auteurs des édits. Ces dernières furent pour Brienne le coup le plus accablant. Quand il voulut y répondre, il eut recours, suivant son usage, à de faibles explications, à des promesses inconsidérées. En présence de cette nouvelle opposition, le gouvernement devint encore plus faible : il s'empressa de la calmer, et un arrêt du conseil défendit la perception des vingtièmes sur les biens de l'Église (5 juillet). Les prélats ne liai accordèrent que sous condition le misérable don gratuit de 1.800.000 livres, sollicité par Brienne.

La monarchie se débattait en vain dans les étreintes d'une lente agonie ; une force invisible semblait la pousser à la convocation de ces états—généraux dont le nom seul était pour elle un épouvantail. Brienne, qui les entendait réclamer par l'opposition devenue chaque jour plus menaçante, n'osa point se flatter de l'espoir de les éviter ; mais il s'efforça de rompre la coalition des trois ordres contre le trône, en excitant une lutte entre la noblesse et la bourgeoisie, en un mot, de diviser pour régner. Il fit donc rendre un arrêt du conseil (5 juillet), relatif aux états-généraux promis pour 1792. Cet arrêt déclara qu'après plusieurs mois de recherches sur ces anciennes assemblées, il n'avait pas été possible « de constater d'une façon positive la forme des élections, non plus que le nombre et la qualité des électeurs et des élus ; » les conditions ayant varié suivant les temps et les lieux, ce point d'histoire restait fort obscur. En conséquence, non seulement les assemblées provinciales, les municipalités, les officiers des juridictions, les syndics de districts et de paroisses, mais tous les savants et personnes instruites furent invités à transmettre au garde des sceaux tous renseignements et mémoires sur ce qui devait être observé pour rendre l'assemblée des états-généraux aussi nationale qu'elle devait l'être. C'était décréter la liberté de la presse ; disons mieux, c'était ouvrir une carrière sans bornes pour une liberté sans frein.

Au milieu du mouvement prodigieux que le premier ministre venait d'imprimer à l'opinion, il lui était impossible de résister plus longtemps aux vœux des Français. Réduit à l'alternative ou de rappeler les parlements qui pouvaient lui faire son procès ou de convoquer les états-généraux, il se détermina pour ce dernier parti dans l'espoir de contraindre la nation à la reconnaissance. Un arrêt du conseil (8 août) en prononça la réunion, fixa leur ouverture au 1er mai 1789, et suspendit jusqu'à cette époque le rétablissement de la cour plénière. Dès ce jour commençait la Révolution française. Il ne s'agissait donc plus de la prévenir, mais de s'occuper des moyens .de la diriger. L'opinion que Brienne n'avait pas su vaincre et devant laquelle il s'humiliait après l'avoir tant de fois bravée, ne lui tint pas compte de cette soumission tardive. La reconnaissance ne fut point pour le ministre, mais pour ses ennemis dont une éclatante victoire couronnait tous les efforts.

Cet appel trop lent à la France, et stérile pour les intérêts de Brienne, aveugle et fragile instrument d'une œuvre immense, fut accueilli avec de vifs transports de joie. Il inspira néanmoins des craintes sérieuses aux hommes sensés qui voulaient la réforme des abus, mais regardaient comme impolitique et dangereuse pour la monarchie, la convocation des états-généraux au milieu de la fermentation générale des esprits. A l'époque où les passions n'étaient pas déchaînées, où le gouvernement conservait sa puissance, Malesherbes, le respectable ami de Turgot, avait, l'un des premiers, désiré et appelé les états-généraux ; il ne dissimula point ses alarmes, quand Louis XVI les eut accordés. Ce n'était point se démentir, ainsi que ; l'ont pensé quelques écrivains ; c'était reconnaître ; que les circonstances n'étaient plus les mêmes. Comme Turgot, son illustre maître, le sage Malesherbes en était venu à penser qu'une assemblée nationale qui aurait sa base dans les assemblées provinciales, et composée de propriétaires élus, était la seule sur laquelle on pin fonder des espérances pour réformer le royaume. La réunion des trois ordres avec leur jalousie et leurs conflits d'intérêts, lui faisaient craindre beaucoup d'orages, et ses idées étaient celles de la plupart des hommes qui réfléchissaient sur la différence des points de vue et la ressemblance des passions de l'époque, et sur la triste situation du royaume.

Tandis que les dernières mesures adoptées par Brienne et surtout l'arrêt de convocation remuaient la France, jusque dans ses dernières profondeurs, le ministre s'abandonnait au fol espoir de diriger les coups du troisième ordre au profit de la royauté. Son aveugle confiance étonnait cependant les courtisans. Un d'entre eux « lui demanda s'il n'était pas effrayé à l'idée de tenir ces états ? Sully les a bien tenus, lui répondit ce prélat. Se dire ainsi, après un an de ministère où il avait échoué à chaque pas, l'égal du plus grand ministre peut-être qu'aient eu les rois de France ! confondre ainsi l'assemblée des notables de 1596, avec une assemblée d'états-généraux en 1789 ! un tel excès de présomption est à peine croyable[12]. »

Cependant l'épuisement des finances devait inspirer de cruelles inquiétudes à l'archevêque de' Sens. Afin d'y remédier, i} eut recours 'aux plus honteux expédients. Il ne craignit pas de s'emparer des faibles épargnes que contenait la caisse des invalides, du produit de' souscriptions destinées à fonder quatre nouveaux hôpitaux dans Paris, et des fonds d'une loterie de bienfaisance, ouverte en faveur des malheureuses Victimes d'une grêle qui avait ravagé plusieurs de nos provinces. Mais ces secours étaient insuffisants ; la circulation titi' numéraire s'arrêta tout d'un, coup et il devint impossible à Brienne d'acquitter les anticipations faites : l'année précédente sur les revenus de l'année courante, et dont l'excès avait dépassé toutes les bornes de la prudence'. Il fallait pourvoir non seulement aux services ordinaires, mais encore à des achats dispendieux de subsistances, afin de parer à la disette qui menaçait la France, à la suite d'une mauvaise récolte. Brienne voyait à une très courte distance le jour où le trésor royal allait se trouver entièrement vide. Dans sa détresse, il prit un parti désespéré ; le 16 août, il fit décréter par le conseil que jusqu'au 31 décembre 1789, les paiements de l’État se feraient partie en argent, partie en billets du trésor, portant cinq pour cent d'intérêt. Deux jours après, un arrêté autorisa la caisse d'escompte, jusqu'au 1er janvier, à ne pas rembourser ses billets en numéraire et contraignit le commerce à les recevoir comme une monnaie forcée. Cette opération parut au public le prélude certain de la banqueroute.

Une alarme universelle se manifesta parmi les rentiers dont tout le peuple de Paris partagea l'indignation. Le premier ministre effrayé implora la protection de la reine ; se présenta comme une victime de son zèle à soutenir l'autorité royale, et dans le désir de se maintenir au pouvoir, il offrit à Necker la place de contrôleur général. Le Génevois refusant de s'associer à un ministère perdu dans l'opinion, répondit qu'il ne pouvait ni ne voulait partager le discrédit de M. l'archevêque de Sens[13]. Sur cette réponse désolante, Brienne tomba dans une grande incertitude ; il ne savait que faire, et malgré le mécontentement général, il n'était pas disposé à quitter le ministère. Entretenue dans la confiance qu'elle accordait au ministre par les éloges que l'abbé de Vermond ne cessait de donner à ses talents, Marie-Antoinette le protégeait encore. Elle croyait de la dignité du pouvoir de ne pas sacrifier ce prélat à la brigue de la cour, ainsi qu'à l'esprit factieux de la nation[14]. Ce fut néanmoins une intrigue de cour qui le renversa. La duchesse Jules de Polignac, devenue sa rivale de crédit et son ennemie, parce qu'il s'efforçait chaque jour de la supplanter dans l'esprit de la reine, lui porta le dernier coup en excitant contre lui le comte d'Artois. Ce prince ne pardonnait. pas à Brienne la disgrâce de Calonne ; il avertit le roi et la reine de la fermentation qui se développait à Paris, leur représenta l'impossibilité de gouverner avec un ministre généralement méprisé, dont les projets ridicules et l'ambition menaçaient la tranquillité publique et l'intérêt de l'État, et leur déclara qu'il fallait céder à l'orage. Une plus longue résistance ne pouvait empêcher sa chute ; l'archevêque le sentit et s'arrangea le mieux possible pour tomber. Il donna sa démission, après avoir montré l'indécision de son caractère en affaires, l'insuffisance de ses moyens, et conseillé au roi de rappeler Necker, comme le seul homme capable de relever les finances et de soutenir la monarchie ébranlée. Mais Necker daignerait-il accepter le ministère ? On eut recours à tous ses amis pour lui persuader que lui seul pouvait combler le vide effrayant du trésor et, pour le fléchir, Marie-Antoinette lui écrivit une lettre affectueuse : on lui fit des promesses illimitées ; il avait la confiance et le vœu de la nation. il accepta. « Je me rendis à Versailles, dit-il dans ses Mémoires, le roi voulut me voir dans le cabinet de la reine, et en sa présence ; il éprouvait, dans sa grande bonté, une sorte d'embarras, parce qu'il m'avait exilé l'année précédente. Je ne lui parlai que de mon dévouement et de linon respect, et dès ce moment je me replaçai près du prince ainsi que je l'avais été dans un autre temps. »

A la nouvelle dû renvoi de Brienne et du rappel de Necker, une explosion de joie éclata dans la capitale ; un concert unanime d'actions de grâce s'éleva vers le roi et son épouse, et le comte d'Artois fut comblé de louanges. Marie-Antoinette ne jouit pas longtemps de ce retour de la faveur publique. Le peuple murmura de nouveau contre elle, quand il sut que, pour consoler l'archevêque de sa disgrâce, elle lui avait envoyé son portrait, enrichi de pierreries, que le jour même de sa retraite, un courrier avait été expédié à Rome pour lui obtenir le chapeau de cardinal, qu'on lui avait accordé une place près de la reine, pour sa nièce, un régiment pour un de ses neveux, et pour un autre, à peine âgé de trente ans, la coadjutorerie de Sens, jointe à une des plus riches abbayes de France. Lui-même s'était composé, pendant son court ministère, une fortune de six cent mille livres de revenus en bénéfices et en pensions. Il laissait encore son frère ministre de la guerre, après l'avoir fait nommer chevalier des ordres du roi et gouverneur de province[15]. Les plus éclatants, les plus heureux services, auraient-ils été plus largement récompensés ?

Il faut dire à la décharge de Loménie de Brienne, de ce ministre si décrié et sous lequel s'aggravèrent les périls de l'autorité royale, « que la position dont il ne sut pas se tirer, il ne l'avait pas fait ; il n'eut que la présomption de l'accepter. Il périt par les fades de Calonne, comme Calonne avait profité, pour ses dilapidations, de la confiance inspirée par Necker. L'un avait détruit le crédit, et l'autre, en voulant le rétablir par la force, détruisit l'autorité[16]. »

 

 

 



[1] Mémoires du baron de Besenval, t. Il, p. 299-300.

[2] Mémoires de Weber, t. L

[3] Introduction au Moniteur, p. 284.

[4] Introduction au Moniteur, p. 285.

[5] Introduction au Moniteur, p. 284.

[6] Sallier, Annales françaises.

[7] Lamoignon confondait à dessein l'institution nouvelle avec la coter plénière qui, au moyen âge, n'avait jamais désigné une assemblée politique et judiciaire. Le roi tenait cour plénière aux grandes Pies, â Noël, â Pâques, ou dans certaines occasions solennelles, c'est-à-dire qu'il donnait des festins et des tournois à ses hôtes et à ses vassaux. On nommait plaids ou parlements les assemblées d'affaires.

[8] L'établissement de la cour plénière, ainsi que la déclaration du déficit et la solennité du lit de justice, étaient dans le public le sujet de mille plaisanteries. On jugera de ce qu'étaient les autres par celle que nous citons :

« On parle dit-on, du mariage de très-haut et très-puissant seigneur monseigneur Déficit, avec très-haute et très-puissante demoiselle mademoiselle Plénière ; mais il s'élève, ajoute-t-on, de grandes difficultés contre cette alliance : la première, c'est que monseigneur est d'une taille énorme, et mademoiselle très petite et très peu formée ; on prétend aussi que l'union serait incestueuse, tous deux étant du même lit. » Correspondance de Grimm, t. IV, p. 521.

[9] Mémoires de Weber, t. I. Mémoires de Besenval, t. II.

[10] Weber, Mémoires, t. I, ch. II.

[11] Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, p. 529.

[12] Weber, Mémoires, t. 1, chap. III.

[13] « M. Necker s'était expliqué et avait dit, que dans un autre temps il n'aurait fait aucune difficulté de travailler avec l'archevêque, mais que depuis la sensation que ses opérations avaient faite, il ne pouvait avoir de relations ministérielles avec lui. Enfin, il représenta qu'il importait au crédit public que ce ministre ne conservait aucune influence. » (Semis de Meilhan, du gouvernement, des mœurs, etc., p. 250).

[14] « Une chose à remarquer à la louange de la reine, c'est sa constance à se refuser, pendant seize ans, aux suggestions qui lui furent faites en faveur de l'archevêque de Toulouse ; elle les rejeta tant qu'elle put croire qu'elles étaient dictées par l'ambition, concertées avec des intrigants. Mais lorsque la réputation de ce prélat, universellement établie. lui eut fait croire qu'il était l'homme le plus capable d'administrer les finances, lorsqu'elle crut enfin satisfaire le vœu général, elle s'empressa de favoriser l'élévation de l'archevêque de Toulouse, et de lui procurer un crédit qui assurait ses opérations. » (Sénat de Meilhan, du gouvernement, des mœurs, etc., p. 251).

[15] Madame Campan, Mémoires, t. II, chap. XII. Le baron de Besenval, Mémoires, t. II, p. 229. Weber, Mémoires, t. I, chap. III.

[16] Mignet, Histoire de la Révolution française, I. I, p. 31. « M. de Brienne ne pouvait lutter à la fois contre la masse des parlements et contre le défaut d'argent. Voilà surtout par où il périt ; et les mains qui le précipitaient élevèrent M. Necker. » (Rivarol, Mémoires, p. 3.)