RÉCITS DE L’HISTOIRE ROMAINE AU Ve SIÈCLE

 

CHAPITRE IV — CHUTE D’ARTHÉMIUS.

 

 

Première brouillerie entre le gendre et le beau-père. - Saint Épiphane les réconcilie. - Seconde brouillerie. - Ricimer assiège Rome. - Mort d’Anthémius. - Mort d’Olybrius et de Ricimer.

470 - 472

Anthémius aussi ne répondait pas complètement aux espérances de son début. Honnête, éclairé, charitable et au fond chrétien très orthodoxe, il avait apporté en Occident, avec les habitudes d’un patricien grec, et l’esprit léger qui distinguait sa nation, le goût des subtilités métaphysiques, des doctrines bizarres, de la thaumaturgie, en un mot de toutes ces spéculations sophistiques si courues au-delà des mers, et réputées en deçà curiosités irréligieuses et condamnables. Suivant l’usage des nobles byzantins, il entretenait dans sa maison, parmi ses clients et ses parasites, de graves représentants des sciences à la mode, philosophes à longue barbe ou à besace, rhéteurs, sophistes, hérésiarques chargés de disputer devant lui et de traiter pour son agrément toutes les questions accessibles à l’esprit humain. Deux de ces hommes qui possédaient son affection particulière, mais qu’il eut dû prudemment laisser à Constantinople, vinrent s’installer à ses côtés dans le palais des césars. Le premier était un sophiste nommé Sévère, dont il s’engoua jusqu’à le faire consul en 470[1] ; le second un chrétien, de l’hérésie de Macédonius, qui s’appelait Philothée. Leur présence et leurs actes ayant exercé une assez fâcheuse influence sur la popularité de l’empereur grec en Italie, je dirai quelques mots de l’un et de l’autre.

Sévère né dans la ville de Rome, l’avait quittée fort jeune pour aller étudier en Orient les sciences occultes, qu’on honorait alors bien gratuitement du nom de philosophie, et il s’était fixé près d’Alexandrie[2], foyer principal de ces folles spéculations. Là, le disciple devint maître, et sa maison, remplie de livres et de curiosités naturelles ramassées de toutes parts, fut visitée par les thaumaturges de tous les pays. Il y vint jusqu’à des brahmes de l’Inde, qui pratiquèrent chez lui, à la grande stupéfaction des Égyptiens, les rites étranges et les austérités plus bizarres en usage sur les bords du Gange et de l’Indus[3]. Sévère avait adopté pour monture un cheval dont le poil jetait de vives étincelles et comme des éclairs quand on le frottait[4], phénomène qui passa aisément pour merveilleux. Cette recherche des choses extraordinaires dénotait d’habitude un païen livré à la magie, et en effet Sévère était païen. Lorsque Anthémius l’eut amené à Rome, le thaumaturge se mit à enseigner, sous l’autorité du prince et avec une liberté inaccoutumée en Occident, les doctrines mystérieuses où se réfugiait le polythéisme expirant, ce qui accrédita le bruit que l’empereur lui-même était païen, ou du moins penchait secrètement pour le culte aboli[5] ; et que ce mystagogue, avec ses formules magiques et ses affiliations, était l’instrument dont il voulait user pour rendre à la ville du Capitole son ancienne splendeur avec ses anciens dieux[6]. Sévère, n’avait garde de démentir des imputations si flatteuses pour son orgueil ; s’attachant au contraire à les justifier par des actes et des propos qui compromettaient son maître, il poussa au comble l’aigreur des esprits. Tel était l’hôte favori du palais d’Anthémius.

Son compagnon, Philothée, n’inspirait guère moins de frayeur aux chrétiens occidentaux pour qui l’arianisme n’était pas seulement une hérésie, mais une religion antinationale, à cause de son adoption par presque tous les Barbares. Il appartenait à l’école des pneumatochiens, qui considéraient le Saint-Esprit,. non comme une personne de la Trinité distincte du Père et du Fils, mais comme une énergie divine répandue dans toute la nature ; opinion moitié philosophique et moitié chrétienne, dérivée d’Arius et de Platon, condamnée formellement en 381 par le Concile de Constantinople, mais toujours professée en Orient comme doctrine théosophique. S’appuyant sur la même amitié et le même crédit[7], Philothée prêchait clans Rome à tout venant ses dogmes en horreur aux orthodoxes, suscitait des disputes, appelait à son aide tout ce que la ville renfermait de chrétiens dissidents, et les engageait à tenir des assemblées où l’on discuterait tous les dogmes[8] ; l’inquiétude gagna l’église romaine. Non seulement le pape Hilaire adressa là-dessus à l’empereur des observations particulières ; mais il l’interpella publiquement dans l’église de Saint-Pierre, et lui fit promettre avec serinent, en présence des fidèles, qu’il n’autoriserait point de pareilles nouveautés dans la ville des apôtres[9]. Ces faits qui n’avaient réellement que peu d’importance, en prirent beaucoup dans l’esprit du peuple, parce qu’ils venaient d’un Grec, et qu’ils choquaient les moeurs occidentales.

Anthémius fit un meilleur emploi des lumières et de la libéralité de son esprit en améliorant les lois. Il arrivait fréquemment, dans l’état de trouble où vivait la société romaine, que des biens dévolus au fisc impérial, à titre de déshérence, étaient reconnus plus tard appartenir à des maîtres certains qu’on en avait dépouillés. Quand ces biens se trouvaient encore entre les mains de l’État, la restitution pouvait s’en faire aisément sous un prince équitable ; mais lorsqu’ils avaient été concédés à des tiers par la libéralité des empereurs, la chose présentait plus de difficulté. Une loi de Constantin prononçait que, clans ce cas, la donation subsisterait, sauf au prince à dédommager les intéressés comme bon lui semblerait. Frappé de l’injustice de cette décision, Anthémius consulta Léon sur la convenance qu’il y aurait à la réformer. La question se posait entre le droit de la propriété et le respect dû aux actes du prince ; Léon n’hésita pas à se prononcer en faveur du premier. Il jugea que les particuliers devaient être reçus à poursuivre la restitution de leur bien, nonobstant toute donation qui en aurait été faite par un empereur. En effet, dit-il (et ce sont les termes de la loi), l’équité et la justice devant toujours accompagner les actions des souverains, rien ne convient. mieux à la majesté du prince que de conserver à chacun ce que le droit commun lui assure[10]. Un bon prince ne se croit permis que ce qui est permis aux simples particuliers ; il ne doit pas transformer en droit une libéralité contraire aux lois, de peur que l’un ne se réjouisse d’être enrichi de ce qui ne lui appartient pas, et que l’autre ne pleure de se voir privé de ce qui est légitimement à lui[11]. Nobles paroles qui caractérisent bien la législation du temps, empreinte généralement d’un grand esprit d’équité, comme si la société près de se dissoudre songeait à fortifier le droit individuel. L’humanité, chassée des faits par la spoliation et la violence, cherchait un asile dans les lois.

Cependant le mauvais succès de l’expédition d’Afrique et avant tout l’assassinat de Marcellinus jetèrent entre le beau-père et le gendre de nouveaux ferments de discorde. Avec ce caractère irascible qui gâtait les bonnes qualités d’Anthémius, avec le sombre et cruel ressentiment qu’inspirait à Ricimer la moindre offense, les querelles sur de pareils sujets purent devenir des injures irréparables que la tendresse de l’épouse et de la fille ne suffit plus à pacifier. L’histoire oublie même, dans ce déchirement de la famille impériale, la jeune Byzantine dont l’union avec Ricimer avait semblé le gage infaillible de la paix. Aucun contemporain ne la mentionne plus, soit que, forcée de choisir entre un père et un mari, elle se fût rangée du côté du père, soit qu’une destinée plus heureuse, en l’enlevant prématurément au monde, lui eût épargné le triste spectacle dont l’empire allait être témoin. Des confidences faites imprudemment au dehors envenimèrent les divisions intérieures, qui se transformèrent en divisions politiques. Anthémius, avec peu de mesure, exprimait publiquement son regret d’avoir pris un Barbare pour gendre ; on l’entendit plus d’une fois reprocher à l’Italie ce sacrifice de son sang, qu’il avait fait pour la sauver[12] ; Ricimer, avec plus d’habileté, exploitant les préjugés de l’Occident contre l’Orient, ne désignait plus l’empereur que par les surnoms de Galate et de Petit-Grec[13], qu’on répétait autour de lui pour lui plaire. Le peuple, les soldats, le sénat étaient partagés, mais l’armée penchait en majorité pour le patrice. Un jour enfin, Ricimer quitta Rome et se retira dans Milan, près des campements des fédérés barbares ; Anthémius, resté à Rome avec les corps de l’armée qu’il supposait fidèles, et dont le principal était celui qu’il avait amené d’Orient, demanda des renforts au maître des milices des Gaules. Cette brusque séparation, accompagnée de pareilles circonstances, parut la fin des hésitations mutuelles. Tout le monde se dit que la guerre civile commençait.

L’émotion fut grande, surtout en Ligurie, où devaient se ressentir les premiers effets de la rupture. Les villes se concertèrent ; elles tinrent conseil, et il fut décidé qu’une députation de la noblesse ligurienne irait à Milan demander audience à Ricimer, lui faire entendre la prière de l’Italie, et lui arracher, s’il était possible, une promesse de paix. Admis près du patrice, les députés l’abordèrent dans une attitude suppliante, prosternés la face contre terre, et tous pleurant à chaudes larmes[14]. Que la modération vienne de vous ! lui disaient-ils d’une commune voix ; ouvrez le chemin à la concorde ! Ricimer les releva avec bienveillance. Habile à déguiser ses sentiments, il leur parut dans ses explications aussi désireux de la paix qu’ils pouvaient l’être eux-mêmes, aussi effrayé des conséquences de sa rupture avec son beau-père, aussi disposé à saisir tous les moyens d’accommodement. N’insistez pas près de moi, qui ne veux et n’ai voulu que la paix, leur dit-il ; c’est à Rome qu’il faut vous adresser, afin d’obtenir que là-bas on en fasse autant. Mais qui osera se charger d’une telle ambassade ? qui essaiera de ramener à la raison un Galate furieux, surtout quand ce Galate est un prince ? Celui qui ne sait pas modérer sa colère, plus on le prie, plus il éclate. — Donnez-nous seulement votre consentement à la paix, lui répondent les Liguriens, et nous nous chargeons du reste. Nous avons à Pavie un homme, élevé récemment à l’épiscopat, devant qui s’inclineraient jusqu’aux bêtes les plus sauvages. Lui montrer une bonne œuvre à faire, c’est le gagner à son désir sans qu’il soit besoin de le prier. Soir visage reflète son âme et inspire le respect. Tout catholique le vénère, tout Romain l’aime ; un Grec même l’aimerait, s’il eût mérité de le voir. Parlerons-nous de son éloquence ? L’enchanteur thessalien qui enchaîne les serpents ne connaît pas de charmes plus puissants que ceux qui découlent de ses lèvres : on ne peut lui rien refuser. Son auditeur lui appartient dès qu’il parle, et nulle défaite n’est possible, si on lui permet de répliquer.

Ce fut dans ces termes, fortement empreints d’exagération et de recherche suivant le goût du temps, que les nobles Liguriens proposèrent à Ricimer d’accepter l’évêque de Pavie pour négociateur entre Anthémius et lui. Fidèle au rôle qu’il s’était tracé d’avance dans cette circonstance décisive, et qui consistait à se donner d’abord toutes les apparences de la modération, afin de gagner, s’il se pouvait, les Italiens à sa cause, Ricimer n’eut garde de repousser l’intervention d’un prêtre que l’Italie vénérait. Cet homme merveilleux dont vous me parlez m’est déjà connu, répondit-il aux envoyés, et sa plus grande merveille selon moi, c’est qu’il n’a que des admirateurs et des amis. La nouveauté de sa fortune, contre l’habitude, ne lui a, que je sache, suscité aucun envieux. Allez donc vers lui ; priez l’homme de Dieu de venir me voir, et joignez, s’il le faut, mes prières aux vôtres[15]. L’audience finie, la députation, sans perdre un instant, se mit. en route pour Pavie, ou plus exactement Ticinum, car Pavie portait encore dans le Ve siècle ce nom, emprunté au Tessin, qui en baigne l’extrémité occidentale : elle n’adopta que plus tard celui de Papia ou Pavia, sous lequel elle devint, la capitale fameuse des Lombards et du royaume franc d’Italie.

Cet évêque, que les peuples venaient chercher pour en faire l’arbitre des princes, n’était point un fier patricien comme Ambroise, rompu aux affaires dans les préfectures du prétoire, ni comme Augustin, un rhéteur expérimenté et sûr de sa parole, ni comme Jérôme, un écrivain irrésistible, remplissant le inonde de sa science et de ses débats ; c’était un prêtre grandi dans l’église à l’ombre de l’autel, et qui ne connaissait guère du monde que l’enceinte de Pavie, où il était né. On racontait des prodiges de cette vie obscurément passée aux yeux du siècle, mais qu’avaient illuminée, aux yeux de l’église, de rares vertus rehaussées par de grands talents. Une auréole éclatante répandue autour de son berceau, lorsqu’il était encore dans les langes, avait annoncé sa vocation future, assurait-on, et c’était alors que son père l’avait nommé Epiphane, c’est-à-dire le révélé, promettant de le consacrer au service de Dieu aussitôt qu’il serait en âge[16]. A huit ans, Épiphane était lecteur dans l’église épiscopale de Pavie, à douze ans, notaire du vieil évêque Crispinus, autrement son secrétaire, chargé de recueillir, au moyen de signes abrégés qu’on appelait notes, les discours et les délibérations, et de tenir les registres de l’évêché. Ordonné sous-diacre à dix-huit ans, il reçut, pour occupation principale l’administration des biens ecclésiastiques. Ce fut l’école modeste où se formèrent cette intelligence pratique des affaires et ce don céleste de la persuasion qui firent plus tard d’Épiphane l’ambassadeur en quelque sorte obligé des princes et des peuples.

Pavie, devenue plus tard une cité si vaste et si renommée, était alors une fort petite ville, qui ne comptait que deux églises[17] desservies par un clergé peu nombreux. Les chefs de ce clergé, assistants ordinaires de l’évêque, étaient : l’archidiacre Sylvestre, gardien des vieilles traditions et de la vieille discipline[18], mais meilleur pour le conseil que pour l’action ; un noble Gaulois, nommé Bonosus, excellent prêtre, de qui l’on disait ce mot touchant, que si la Gaule était la patrie de son corps, le ciel était celle de son âme[19] ; enfin Épiphane, le plus utile des trois, quoique le plus jeune. C’était sur lui que tombaient la plupart des travaux, et il y en avait de rudes dans cette société en dissolution, qui se rattachait à l’église comme à la seule colonne capable de soutenir l’édifice prêt à crouler. Fallait-il aller trouver le magistrat et plaider devant lui la cause de l’église ou celle des pauvres, c’était Épiphane qu’on en chargeait. Une famille commençait-elle à se désunir, ou la zizanie à pénétrer parmi les citoyens ; était-il besoin de suivre ou de prévenir un procès, l’esprit de conciliation arrivait avec Épiphane. Les mœurs de ce jeune homme étaient irréprochables. Toujours maître de ses penchants, il imposait aux autres, par sa modération et sa souveraine équité, la puissance qu’il exerçait sur lui-même. Il donna un jour de son mépris des injures et de son sang-froid un exemple éclatant qu’on se plaisait souvent à rappeler.

L’église de Pavie possédait sur les bords du Pô des terres qu’elle avait à défendre à la fois contre les érosions du fleuve et contre les empiétements des voisins. Le Pô, à chaque crue, changeait la configuration de la rive, donnant à l’un, prenant à l’autre, et ce n’était qu’à force de visites, de mesurages contradictoires et aussi de contestations, que les riverains parvenaient à reconnaître et a fixer les limites de leurs patrimoines. Or l’église comptait dans son voisinage un adversaire avide, injuste, emporté, toujours prêt à défendre ses fausses prétentions par la violence. Au milieu d’un débat pendant lequel Épiphane avait opposé la plus froide raison aux emportements de Burco[20] (c’était le nom de cet adversaire), celui-ci, devenu furieux, leva son bâton sur le mandataire de l’église et le frappa si fort à la tête que le sang jaillit. Le jeune homme, qui était agile et vigoureux, se contenta de lui saisir le bras et de le désarmer sans lui faire aucun mal ; mais les témoins de cette scène odieuse accoururent, armés à leur tour, et Burco n’aurait pu échapper à la mort, si sa victime n’eût intercédé pour lui. On vit Épiphane, libre de ressentiment, comme si cette cause n’eût pas été la sienne, opposer sa tête ensanglantée entre ses vengeurs et l’indigne qui l’avait si grossièrement outragé.

Arrivé au terme de l’âge et sentant la mort approcher, Crispinus prit avec lui Épiphane, et tous deux se rendirent à Milan, près du métropolitain : Mes jours sont comptés, lui dit l’évêque, je vous recommande ma ville et mon église ; je vous recommande encore celui-ci, à qui je dois d’avoir vécu jusqu’à ce moment, faible que j’étais et chargé d’années[21]. Il visita ensuite l’un après l’autre les hauts personnages de Milan, où résidait la fleur de la noblesse ligurienne, les suppliant de ne point contrarier, quand le moment serait venu, l’élection d’Épiphane, qu’il se choisissait pour successeur, mais de favoriser plutôt. près des citoyens de Pavie l’accomplissement de son désir. Mes enfants, leur répétait-il, je m’en vais, moi ; et ce jeune homme, plein de vigueur et d’âme, a de longues années à courir (Épiphane avait alors vingt-sept ou vingt-huit ans). Il y a bien longtemps déjà que je ne suis évêque que par lui ; il était ma tête, mes jambes, mes yeux, ma parole, ou plutôt nous étions un évêque à nous deux[22]. A Pavie, de pareilles recommandations eussent été inutiles, on y connaissait trop bien Épiphane.

Au bout de quelque temps, Crispinus mourait, et le jeune homme, élu à Pavie, ordonné à Milan, prit sa place. Il se montra sous la mitre épiscopale ce qu’il avait été dans les plus humbles fonctions de l’église, calme, ferme, juste et charitable pour les autres, dur envers lui-même jusqu’aux pratiques les plus austères ; simple rie coeur, mais gardant comme un déprît sacré la dignité de l’épiscopat ; sobre de paroles, mais d’une éloquence irrésistible dès qu’il avait rompu le silence. Tel est le portrait que nous en a tracé un homme qui fut élevé près de lui, comme lui-même l’avait été près de Crispinus, et qui lui succéda également sur le trône des évêques de Pavie[23]. Sa réputation fut bientôt aussi grande hors de sa ville que dans son troupeau. Il n’y eut pas d’affaires privées ou publiques sur lesquelles on ne le consultât, pas de magistrat dont le tribunal fût plus fréquenté du pauvre et du riche, pas de loi mieux exécutée qu’une décision d’Épiphane. Voilà ce qui fit que les notables de la Ligurie, voyant la guerre civile près d’éclater, songèrent naturellement à lui comme au conciliateur de tous les différends.

Épiphane les écouta dans un profond silence, et, sans paraître étonné de leurs propositions, il leur dit brièvement : Ce sont là de graves affaires, bien au-dessus de mon expérience et de mes forces ; néanmoins ce que vous désirez sera fait. Quoi que ma patrie me demande, mon devoir est de ne lui rien refuser[24]. Prenant aussitôt congé d’eux, il partit pour Milan, vit le patrice et reçut ses explications. Le rusé Barbare protesta sans doute qu’il n’avait jamais voulu que la paix, qu’il la voulait encore, et que ce n’était pas lui qui la rompait le premier ; il prit le ciel à témoin de son horreur pour cette guerre qu’il provoquait depuis deux ans, et qu’en réalité il avait rendue inévitable. A la suite de ces protestations et de ces serments, il engagea le prêtre à en porter l’assurance à Rome, se réservant le droit de proclamer plus tard que le Galate furieux, incapable d’entendre la raison, n’avait voulu écouter ni ses explications sincères, ni les conseils d’un homme par la bouche duquel la grâce céleste semblait parler. Quelles que fussent la perspicacité d’Épiphane et son habitude de lire au fond des cœurs, il accepta les engagements de Ricimer comme des armes qu’on pourrait invoquer au besoin contre lui ; il jugeait d’ailleurs avec raison qu’en de telles crises la chose importante était de gagner du temps, afin de laisser aux événements une chance pour de nouvelles combinaisons, et aux passions humaines le loisir de se calmer.

On entrait alors en carême, et, désireux de présider lui-même aux préparations de la fête de Pâques dans son église, l’évêque voulut accomplir son voyage aussi promptement que possible ; mais, quelque hotte qu’il mît, sa renommée le devançait toujours. Partout le peuple accourait pour le saluer ; les paysans se pressaient sur les routes, les gens des villes aux approches des stations ; nul ne doutait du succès de sa démarche. Une paix ainsi demandée paraissait une paix accordée. Aussi, quand la nouvelle de sa mission parvint aux palais impérial, Anthémius s’était montré embarrassé et soucieux. Je reconnais bien là Ricimer et ses ruses, s’était-il écrié[25] ; tout est calcul chez lui jusqu’au choix de ses ambassadeurs. A-t-il blessé quelqu’un par ses offenses. il l’achève par des supplications qu’on ne peut repousser. Cependant qu’on introduise près de moi l’homme de Dieu lorsqu’il se présentera : s’il me demande des choses possibles, je l’exaucerai ; s’il m’en demande d’impossibles, je ferai en sorte qu’il m’excuse. Puis, comme répondant à des doutes intérieurs, il avait ajouté : Non, non, ce qu’on me proposera au nom de Ricimer, je ne pourrai pas l’accepter : je connais trop bien cet homme : il est insatiable dans ses désirs, sans raison ni justice dans ses conditions ; mais que le prêtre qu’il m’envoie soit néanmoins admis, sa présence me sera agréable. A l’arrivée d’Épiphane, un détachement de la garde palatine alla l’attendre près des portes de la ville, et lui fit cortège à travers les rues. Rome entière était debout. On voulait toucher ses vêtements, on l’arrêtait dans sa marche pour embrasser ses genoux ; on n’entendait de tous côtés que ce cri poussé vers le ciel : Saint évêque, conseille, ordonne ![26]

Introduit devant le prince, qui le reçut avec tous les honneurs dus aux envoyés publics, assis sur son trône, vêtu de la pourpre, et le diadème au front, il obtint la permission d’exposer son message. Il le fit dans un discours préparé dont son disciple Ennodius nous a conservé le sens, sinon les paroles, et ce discours est tel qu’on pouvait l’attendre d’un homme si prudent dans une négociation si délicate. Épiphane laisse discrètement de côté les griefs domestiques d’Anthémius, ces plaies de famille qu’on irrite en les touchant ; il n’excuse ni n’accuse Ricimer, et ne s’érige point en juge entre le beau-père et le gendre. Il n’est peint seulement l’ambassadeur du patrice, il est celui de l’Italie ; il vient solliciter du prince l’oubli de ses ressentiments, au nom du Dieu des miséricordes ; il vient demander au Romain la paix qu’un Barbare propose.

Prince vénérable, lui dit-il[27], il a été réglé dans les suprêmes desseins de l’ordonnateur céleste que celui à qui était confié le soin d’un si grand empire reconnût, comme nous l’enseigne la foi catholique, pour son maître et son modèle, le Dieu d’amour et de merci ; ce Dieu par qui la furie des guerres se brise contre les armes de la paix, qui foule aux pieds l’orgueil, qui fait prévaloir la concorde et la rend victorieuse du courage même. C’est ainsi que David, tenant sous sa main son ennemi désarmé, est devenu plus illustre par le pardon qu’il ne l’eût été par la vengeance. Ainsi encore les rois, à qui appartient le gouvernement du siècle, ont appris, par un art divin, à se laisser fléchir aux supplications. En effet, exercer l’autorité avec miséricorde, c’est l’élever au-dessus de la terre, c’est l’égaler presque à la domination du ciel.

L’Italie, confiante en vos sentiments, ô prince, et le patrice Ricimer m’ont envoyé vers vous, moi si petit, vers vous si grand, pour vous prier au nom de ces saintes vérités, conjecturant sans doute qu’un Romain accorderait la paix, don précieux de Dieu, quand un Barbare la demande. Ce sera dans les annales de votre vie un triomphe signalé d’avoir vaincu sans verser le sang, et puis je ne sais quelle guerre est plus belle que la lutte de la bonté contre la colère, quel plus noble succès peut être ambitionné que celui d’amener, à force de bienfaits, la fierté d’un Goth[28] intraitable à rougir d’elle-même. Croyez-moi bien, vous ferez sentir plus fortement à Ricimer sa propre défaite en cédant à la première demande d’un homme qui n’a jamais supplié.

Songez encore, prince très auguste, aux incertitudes de la guerre. Quel qu’en soit l’événement, ce que chacun de vous deux aura perdu sera perdu pour votre empire, tandis que si Ricimer est votre ami, ce qu’il possède est à vous, vous en êtes les maîtres communs. Réfléchissez enfin qu’il s’est donné sur vous un grand avantage en offrant la paix.

Après ces mots, l’évêque garda le silence. Le prince aussi se taisait comme embarrassé de sa réponse et de l’attention favorable dont les paroles d’Épiphane avaient été l’objet. Tirant bientôt de sa poitrine un profond soupir, il commença en ces termes :

Mes sujets de plainte contre Ricimer ne sauraient s’expliquer, ô saint pontife. Il ne m’a servi de rien jusqu’ici de l’avoir comblé de bienfaits : mes bienfaits, je les ai poussés jusqu’à cet excès (j’en rougis pour l’empire et pour mon sang) de le recevoir clans ma famille, me sacrifiant à la république, sans m’inquiéter du blâme ou de la haine des miens. Lequel des césars, mes prédécesseurs, a jamais consenti à mettre sa propre fille au nombre des présents qu’il fallait payer à un Gète couvert de peaux pour assurer la tranquillité publique ? Mais nous ne savons pas épargner notre sang quand il s’agit de conserver celui des autres. Qu’on n’aille pas croire pourtant que ce sacrifice nous ait été imposé par une crainte personnelle dans notre préoccupation du salut de tous, nous n’avons pas encore appris à trembler pour nous ; toutefois nous croyons qu’un empereur ne mérite guère la gloire du courage, s’il ne sait pas trembler un peu pour les autres.

Mais je veux mettre à nu devant vous, vénérable père, la perversité de celui dont vous me parlez ; ses efforts ont été en sens inverse des miens ; plus je me suis montré son bienfaiteur, plus il s’est montré mon ennemi. Par combien de manoeuvres et de guerres n’a-t-il pas cherché à troubler la république ! N’a-t-il pas soufflé chez les nations étrangères la haine de Rome et la furie de la destruction ? Ne les a-t-il pas aidées clans leurs entreprises ? Et quand il n’a pas pu nous nuire directement, il suggérait à d’autres le moyen de le faire. Et nous lui donnerions la paix ! Et sous le voile d’une menteuse amitié nous soutiendrions cet ennemi domestique que ni l’alliance jurée, ni les liens de parenté n’ont pu contenir dans le devoir ! C’est avoir pris l’avance sur un adversaire que de connaître son âme, et le sentir votre ennemi, c’est déjà l’avoir vaincu, car la haine dévoilée perd l’aiguillon empoisonné dont elle s’armait dans l’ombre. Mais si un personnage aussi respectable que vous, très saint pontife, se porte médiateur et caution, lui qui saura lire au fond de cette âme perverse les complots dont elle est capable saura également les réprimer quand ils apparaîtront à ses yeux ; alors je n’ose plus refuser une paix que vous-même aussi vous demandez.

Pourtant s’il vous trompait, comme il a fait de tant d’autres ; si cette démarche n’était qu’une feinte pour profiter de votre bonne foi et la rendre complice de ses trahisons... Oh ! qu’il recommence la guerre avec ce crime de plus, il la recommencera blessé à mort ! En tout cas, je remets dans vos mains et ma personne et la république ; la grâce que j’avais résolu de refuser à Ricimer, même suppliant, même prosterné à mes pieds, je vous la donne. Je crois agir sagement en dirigeant, d’après l’avis d’un bon pilote, le navire incertain de sa route et battu par la tempête. Et d’ailleurs comment se refuser à vos prières, quand on voudrait avoir prévenu jusqu’à vos moindres désirs ?Grâces soient rendues au Dieu tout-puissant qui a fait descendre sa paix clans le cœur du prince, son vicaire sur la terre ![29] s’écria le vénérable prêtre, les bras levés vers le ciel et l’âme tout émue. L’assistance était troublée comme lui.

Afin de rendre plus irrévocables les paroles qu’il venait de prononcer, Anthémius voulut les confirmer par serment ; puis l’évêque se retira. Aucune prière ne put le retenir plus longtemps à Rome ; il lui tardait d’aller reprendre dans son église, avec la direction de son troupeau, les austérités auxquelles il se soumettait d’habitude durant la semaine sainte. On n’était plus qu’à vingt jours de la solennité de Pâques, mais Épiphane fit une telle diligence qu’il rentrait dans sa ville le quatorzième à l’improviste, ayant laissé sur la route, fatigués ou malades, une partie de ceux qui l’avaient accompagné. Pavie célébra en même temps son retour et la conclusion de la paix. Ira bonne nouvelle passant rapidement de ville en ville, la Ligurie tout entière fut dans la joie, et le nom d’Épiphane se mêlait aux actions de grâces qui s’élevaient de toutes parts vers le ciel. Milan eût voulu féliciter son ambassadeur, et elle l’invita à venir dans ses murs recevoir les témoignages de la reconnaissance publique[30] ; mais Épiphane ne revit ni Milan ni Ricimer. Quant au patrice, si l’on en croit l’auteur contemporain que nous suivons dans ce récit, il ne fut pas le moins étonné et du succès du saint évêque et de la promptitude de ce succès : il se flattait d’avoir rendu la paix impossible.

Forcé de mettre bas les armes, le patrice eut recours à ses manœuvres ordinaires, si nettement qualifiées par Anthémius dans sa réponse à l’évêque de Pavie. Toute cette barbarie qui des Pyrénées aux Alpes noriques, maîtresse des montagnes et de leurs défilés, tenait l’Italie comme emprisonnée clans ses serres, commença bientôt à remuer. Ce furent d’abord les compatriotes de Ricimer qui, renouvelant leurs courses en Pannonie, ou les continuant en Espagne[31], semblèrent donner le signal d’un pillage universel. Euric, réconcilié avec l’empereur depuis un an, reprit la guerre sans raison ni prétexte[32], et ravagea plus cruellement que jamais les provinces centrales de la Gaule. Il n’y eut pas jusqu’aux Francs qui, descendant de leurs cantonnements, depuis l’Escaut jusqu’à la Basse Loire, ne vinssent déchirer l’empire ; ils tuèrent un comte romain appelé Paulus et enlevèrent Angers d’assaut[33]. Comme pour mettre le comble au désordre, une tentative d’usurpation eut lieu en Italie de la part d’un certain Romanus, homme de naissance patricienne, dont nous ne savons que le nom : un souffle malfaisant amoncelait à plaisir toutes les tempêtes sur le trône d’Anthémius, qui put reconnaître encore une fois ce que valait la paix de Ricimer. Romanus, saisi et remis aux mains des décemvirs, fut puni du dernier supplice[34]. Quant à la Gaule, abandonnée sans secours aux dévastations d’Euric, soupçonnant d’ailleurs ses principaux fonctionnaires de connivence avec le roi barbare, elle suppliait Anthémius de lui donner pour patrice et généralissime un noble Arverne en qui elle mettait sa confiance[35], Ecdicius, beau-frère d’Apollinaire et fils de l’empereur Avitus ; mais Anthémius, occupé de ses propres embarras et peu soucieux du reste, promettait et ne décidait rien.

Dans cette extrémité la Gaule fit appel à sa propre énergie ; les nobles armèrent leurs clients. les citadins se formèrent en milices ; on élut des chefs, et par des correspondances, par une police spontanée et volontaire, par des ligues formées entre les personnes et entre les villes, on se mit en mesure d’arrêter d’une part le progrès des Goths, de l’autre la trahison des fonctionnaires. Sidoine, enlevé de nouveau au repos de ses livres, se trouva l’un des chefs les plus ardents et les plus accrédités de ce mouvement patriotique, qui avait pour but de conserver la Gaule aux Romains, en dépit de leur inertie et de leurs fautes. Chargé d’enrôler pour la cause de la patrie tout ce qu’il restait en Gaule de coeurs généreux et de mains dévouées, il écrivait à un de ses amis : Accours à nous, toi et tous ceux qui te ressemblent ; venez assister la malheureuse Auvergne, menacée dans sa liberté. Si la république est sans force, si nous n’avons aucun secours à attendre, si comme il ne paraît que trop vrai, le prince Anthémius est réduit à l’impuissance, aidez-nous au moins de vos conseils. La noblesse arverne doit-elle s’expatrier ou se faire couper les cheveux, pour aller s’enterrer clans les cloîtres ? Nous nous aiderez à choisir entre ces deux partis, les seuls qui nous restent[36].

L’Italie était perdue, si les Burgondes, qui tenaient pour la cause de l’empire[37], s’étaient déclarés contre lui, et ils l’eussent fait sans cloute tût ou tard à l’instigation de Ricimer ; mais heureusement pour Anthémius une guerre domestique vint les détourner de la guerre étrangère. Il éclata entre leurs quatre rois, qu’on appelait par plaisanterie les tétrarques[38], une de ces divisions, si cruelles dans les familles royales barbares, et qui ne s’apaisaient que par le meurtre des pères et l’extermination des enfants. On vit plus tard chez les Francs l’exemple de ces haines de bêtes féroces entre proches parents ; on le voyait alors chez les Visigoths, qui se prétendaient les plus civilisés des Germains, et dont le trône pourtant ne se transmettait plus que de fratricide à fratricide. La guerre de famille prit encore chez les Burgondes un plus haut degré d’atrocité ; les tétrarques s’assaillirent mutuellement, et leur lutte, avec des vicissitudes diverses, se prolongea pendant plus de dix ans, au milieu d’horreurs qui révoltèrent les Barbares eux-mêmes[39]. En 470, Chilpéric et Godomar, coalisés contre Gondebaud, le chassèrent de sa résidence royale, et le forcèrent à se réfugier au delà des Alpes, avec quelques fidèles partisans. Accompagné de sa petite troupe, Gondebaud[40] se rendit près de Ricimer, dont il était neveu. et aux côtés duquel nous le retrouvons en 472. Les exilés burgondes apportèrent sous le drapeau du patrice des bras vigoureux et une conscience qu’aucun scrupule ne troublait.

Tandis que la paix rétablie par l’autorité personnelle d’Épiphane allait ainsi se minant elle-même, une révolution importante s’accomplissait à Constantinople. Cette révolution, qui présentait un étrange rapport d’analogie avec ce qui se passait alors en Occident, mit toute l’Italie en émoi, et poussa, comme par un souffle fatal, les deux parties adverses à des événements décisifs. L’influence très réelle et très grande qu’elle exerça sur le dénouement des affaires occidentales m’oblige à en exposer ici brièvement l’origine et les phases principales.

J’ai déjà parlé d’Aspar, cet Alain, premier patrice de la Romanie orientale, dont les conseils firent échouer en 469 l’expédition d’Afrique : son mauvais vouloir contre Léon ne se borna pas là. Fils d’un Ardabure déjà tout-puissant au temps de Théodose II, il avait reçu de son père le pouvoir dont il jouissait, et il voulait le transmettre à ses enfants ; c’était comme une dynastie barbare placée à côté du trône électif de Constantinople, et destinée à le dominer. Au moment où Marcien mourut, Aspar, maître des troupes, les fit pencher pour la candidature de Léon, qui lui dut en grande partie la couronne[41] ; mais le protecteur n’avait point entendu rendre an service gratuit, et Léon s’était engagé, par avance et sous la foi du serment, à nommer césar un des fils du patrice[42], dès que lui-même serait devenu auguste. Quand il le fut, il s’effraya justement de sa promesse. Les trois fils d’Aspar, Ardabure, Patricius et Herménaric, joignaient à leur qualité de Barbares qui les écartait du trône impérial, celle d’Ariens qui ne servait pas à les en rapprocher ; ils se montraient en effet ariens passionnés[43], quoique peu convaincus au fond, ce qui les faisait soupçonner de vouloir jouer un rôle dans l’Église, avec l’appui des barbares. Leur élévation au rang de césar devait donc rencontrer, de la part du peuple de Constantinople et du clergé surtout, une opposition dangereuse à braver ; puis lequel choisir des trois ? Ardabure, l’aîné, avait la réputation d’un soldat courageux et d’un général habile ; mais il était cruel, plein d’un mépris affecté pour les croyances catholiques et cynique clans son impiété. On raconte qu’un jour, pris d’un accès de colère féroce, il avait bandé son arc contre le vénérable stylite Siméon, et fait mine de tirer le saint sur sa colonne[44] comme un oiseau sur son arbre. Un pareil sacrilège s’excluait lui-même de la compétition, et Herménaric[45], le plus jeune des frères, était à peine adolescent. Voilà les objections que Léon s’adressait à lui-même et qu’il opposait tout d’abord aux récriminations d’Aspar. Restait Patricius, dont le choix présentait moins d’obstacles, soit que ce second des fils du patrice eût quelques bonnes qualités, soit qu’il ne fût barbare qu’à demi, ayant eu pour mère, une Romaine, comme semblerait l’indiquer son nom latin, et ce fut sur lui qu’Aspar concentra tous ses efforts. Léon, sans nier ses engagements, les éludait sous mille prétextes, et cherchait à gagner du temps, balancé lui-même entre le remords de sa conscience et sa répugnance à un acte qu’il jugeait mauvais pour la religion et funeste polar lui-même. Aspar se crut joué, et somma avec hauteur le prince de payer ce qu’il appelait sa dette. Un jour, dans un mouvement d’impatience, il saisit Léon par con manteau impérial et lui cria d’une voix émue : Empereur, il n’est pas permis à celui qui porte cet habit de vouloir manquer à sa parole !Non, repartit vivement Léon ; mais il n’est pas plus permis à qui que ce soit de le vouloir forcer le poing sur la gorge, et de le traiter comme un esclave ![46]

Au fond, la promesse de l’empereur devait l’emporter sur toutes les considérations politiques : Léon se croyait obligé, quelles qu’en pussent être les conséquences, à l’acte qui lui répugnait tant. Il essaya de faire reculer Aspar en exigeant pour suprême condition que Patricius, dont il déclarait faire choix, abjurerait l’arianisme : il se trompait, la condition fut acceptée. Poussé dans ses derniers retranchements, il parla de fiancer le futur césar à sa seconde fille, Léoncie, encore enfant. C’était un nouveau délai qu’il se ménageait malgré ses scrupules ; mais en attendant il se hâta de marier sa première fille, Ariadne, à un personnage qui prenait alors beaucoup d’importance à Constantinople. Ariadne n’était point née sur la pourpre, comme disaient les Grecs, c’est-à-dire que Léon l’ayant eue avant son principat, elle n’avait qu’un rang inférieur à celui de sa soeur. Ce personnage, devenu si subitement gendre de l’empereur, était un Isaurien nommé Trascalissée[47], lequel avait répudié ce nom d’une physionomie assez étrange pour prendre celui de Zénon, qu’un autre Isaurien avait rendu célèbre sous le règne de Théodose II. Laid de visage et difforme de corps, sans autre génie que l’intrigue, et plus hardi clans un complot que sur un champ de bataille, Trascalissée, ou plutôt Zénon, appartenait à une famille puissante en Isaurie. Grâce à sa nombreuse parenté, il disposait du peuple de ces montagnes, race turbulente, belliqueuse, presque sauvage et la seule en Orient qui fournît des soldats capables de tenir tète aux fédérés barbare :. La garde palatine en était remplie, et. Zénon qui la commandait reçut la dignité de patrice. Il fut dès lors évident pour tout le monde, pour Aspar surtout, que Léon prenait ses précautions contre son ancien protecteur, et une lutte sourde, mais persévérante, semblable à celle de Ricimer contre Anthémius, s’établit entre l’empereur et le grand patrice d’Orient. On eût cru assister à la même tragédie jouée en même temps, sous des noms différents, des deux côtés de la Méditerranée.

Patricius fut enfin proclamé césar et fiancé à la jeune Léoncie[48] ; mais on blâma Léon, et en quelques lieux le mécontentement public alla jusqu’à l’émeute. Ce fut une grande humiliation pour cette famille altière des Ardabures. Elle s’en prit à l’empereur des répugnances du peuple, et le patrice Aspar, levant le masque, se mit à conspirer presque ouvertement. On découvrit qu’il tentait sous main la fidélité des Isauriens, l’appui le plus sûr du prince, et l’on put juger à l’attitude et aux propos insolents de ses fils qu’ils nourrissaient une espérance prochaine de révolution. Ces bruits arrivèrent de toutes parts à Léon, que l’on commençait à plaindre, et on les accompagna d’avis officieux, d’avertissements, de prophéties, qui tous lui conseillaient la vigueur et la, célérité. Les exhortations de ce genre, assez mal déguisées sous des formes mystiques, retentissaient jusque dans les églises et dans les cloîtres. J’ai eu une vision, disait un solitaire alors très renommé, Marcel, abbé des Ascémètes ; je prenais un peu de repos après la prière de la nuit, quand la vision se dressa devant moi. J’aperçus un lion et un dragon qui combattaient ensemble, et le dragon, d’une grandeur prodigieuse, tourmentait le lion, l’enlaçait violemment de sa queue et cherchait à l’étouffer. Le lion le fouettait de la sienne, en poussant des rugissements d’angoisse ; toutefois ses efforts étaient vains, parce qu’il ne portait aucun coup mortel au dragon. Je le vis enfin perdre ses forces avec son sang, s’abattre et rester sans mouvement ; mais tout à coup il se relève, il se dégage des replis du monstre, le terrasse, l’étrangle, et le laisse inanimé ventre contre terre[49]. La vision du solitaire était bien transparente, et personne n’eut besoin de lui en demander l’explication : le nom même de l’empereur signifiait lion, et celui d’Aspar avait une grande analogie avec le mot grec qui désignait un serpent venimeux.

Un dénouement ne pouvait tarder, de quelque côté qu’il vînt : Aspar se laissa devancer. Un jour qu’il entrait dans le palais, seul et sans précaution parce qu’il n’apercevait aucun signe menaçant, les eunuques s’approchèrent de lui comme pour lui faire cortège, et, découvrant aussitôt des armes cachées sous leurs longues robes, ils l’assaillirent, le percèrent d’outre en outre et l’abandonnèrent sur le pavé, nageant dans son propre sang[50]. Ardabure et Patricius, à la même heure, étaient saisis par des soldats dans un lieu où ils délibéraient avec leurs complices. Ardabure, qui essaya de résister, fut mis en pièces[51]. Patricius blessé, mais non mortellement, parvint à s’échapper[52], et Léon se contenta de le bannir, après avoir rompu ses fiançailles avec Léoncie, qui n’était point encore sa femme[53]. Un grand trouble suivit ces exécutions. Tout ce qu’il y avait à Constantinople de comtes et d’officiers barbares accoururent en armes autour du palais, comme pour en faire le siège. Soit respect, soit crainte, ils n’osaient y pénétrer ; lorsqu’un comte Goth nommé Ostro ou Ostrowi, força la porte avec d’autres fédérés, poussa audacieusement jusqu’aux appartements intérieurs, et y déchargea son carquois. Les gardes répondirent de leur côté ; on en vint aux mains, et la demeure du grand Théodose fut transformée en un lieu de carnage. Contraints de fuir, puis chassés pied à pied de la ville, Ostrowi et ses compagnons allèrent exciter la révolte parmi les tribus ostrogothiques établies, comme fédérées, dans un canton de la Thrace[54].

Telle fut la nouvelle qui arriva de Grèce à Rome dans les derniers mois de l’année 471 ; elle y causa presque autant d’émotion que l’événement lui-même en avait pu produire à Constantinople. Léon l’annonça de sa propre main à son collègue, avec l’empressement et la joie d’un triomphateur ; sa lettre voulait dire sans trop d’ambages : Je me suis défait de ces hommes, afin que personne ici n’ose élever sa puissance en face de la mienne. A cette leçon assez intelligible pour Anthémius, Léon joignait une proposition d’alliance, en offrant à son collègue d’Occident, pour le fils qu’il avait laissé en Grèce, la jeune Léoncie, relevée de ses obligations de fiancée[55]  : ligue singulière entre deux empereurs qui se passaient mutuellement le glaive pour dégager les approches du trône impérial contre les entreprises de leurs patrices barbares. La plus redoutable barbarie n’était plus à la frontière, elle était au sein de l’empire, à la tête des armées romaines, aux côtés même des empereurs.

La leçon, puisque c’en était une, ne fut pas perdue pour le césar d’Occident ; mais elle profita plus encore à Ricimer, qui, peu désireux de jouer jusqu’au bout. le rôle d’Aspar, se hâta de devancer son maître. Il commença par se réconcilier avec Genséric, lui promettant le trône occidental pour son protégé Olybrius, si Olybrius était homme à y porter hardiment la main. Le rapprochement de ces deux ennemis, qu’on pouvait croire irréconciliables, s’accomplit sans bruit, à l’insu de Léon comme à celui d’Anthémius, et l’Italie en eut le premier indice par l’apparition d’Olybrius, au commencement de l’année 472. Depuis près de dix ans que ce descendant des Anices avait épousé Placidie, il vivait avec elle à Constantinople, paisiblement et obscurément, faisant des charités, dotant des églises, et revenu, en apparence. de ses anciens rêves d’ambition. Les excitations réunies de Genséric et, de Ricimer réveillèrent dans son âme un feu mal éteint. Sollicité par ce dernier de se rendre sans éclat et sans retard en Italie, il prit ses mesures pour que Léon, confiant dans ses protestations pacifiques, n’empêchât point. et même en quelque sorte parût ordonner son départ[56] ; mais, dès son débarquement sur les côtes de l’Adriatique, Olybrius courut rejoindre le patrice. Celui-ci l’accueillit comme un candidat à l’empire, le présenta à ses soldats, et le fit enfin proclamer auguste dans les derniers jours de mars[57]. La guerre était déclarée. Anthémius réunit autour de lui tout ce qu’il conservait de troupes fidèles dans l’armée d’Italie ; elles se trouvèrent peu nombreuses, et sans les renforts que le Goth Bilimer, maître des milices des Gaules, lui amena d’Arles, au risque de livrer à un coup de main des Visigoths la métropole des provinces transalpines[58], l’empereur n’eût pu tenir la campagne. Il chargea ce Barbare de la garde de Rome, de sa propre défense, et de la protection du trône impérial.

Ricimer se mit en marche, traînant derrière lui l’indigne césar qu’il avait fait de moitié avec Genséric. Ni la Ligurie, ni la Toscane, n’essayèrent de l’arrêter. On eût dit qu’à la vue d’une guerre dans laquelle se résumaient toutes les fureurs publiques et privées, les populations italiennes, glacées d’effroi, laissaient passer librement, comme un instrument de la fatalité, ce gendre qui allait tuer son beau-père, ce patrice assassin de tant d’empereurs. Dans l’intérieur de Rome, la plupart des habitants restaient attachés à Anthémius ; toutefois les fauteurs de Ricimer imposaient parleur ton menaçant, et la ville semblait divisée en deux camps. Ricimer vint prendre position près du Pont Milvius, et entoura la ville d’une ligne de blocus. Pendant deux mois, toute entreprise de vive force fut vigoureusement repoussée ; mais les subsistances étant interceptées, la famine se fit sentir, et à sa suite le découragement et les maladies. Bilimer voulut tenter une action décisive, il offrit la bataille au delà du pont d’Adrien, près du tombeau qui renfermait les cendres de cet empereur ; après une lutte acharnée, il fut battu et tué. Ricimer, poursuivant les fuyards à la pointe de l’épée, pénétra dans la ville, et s’empara de deux quartiers où ses troupes se fortifièrent.

Ce fut dès lors une guerre de quartier à quartier, de rue à rue, de maison à maison. Le pavé était encombré de cadavres qui pourrissaient sur les places, et dont l’air était infecté. Du haut du mont Palatin, Anthémius pouvait suivre chaque jour les progrès de son ennemi et l’affaiblissement de ses défenseurs. Quand il jugea sa cause perdue sans ressource, il résolut d’évacuer la ville en faisant une trouée dans la ligne de siège, probablement par la route d’Ostie, avec l’espoir d’atteindre cette ville, et de se réfugier sur la flotte ; mais Ricimer se tenait sur ses gardes, Anthémius fut tué pendant cette retraite[59]. Sa mort arriva le 12 juillet. Quelques mots d’un chroniqueur donneraient à penser que Ricimer le frappa de sa propre main[60], et plus d’un historien l’a répété depuis ; le fait n’est point vraisemblable : Ricimer se contentait de désigner ses victimes ; les exécuteurs dévoués ne lui manquaient pas. Rome fut mise au pillage, et le patrice n’épargna que ceux qui dès le commencement du siège s’étaient déclarés pour lui[61]. C’était le troisième saccagement que la ville éternelle éprouvait depuis soixante ans ; mais ce dernier lui venait d’un général romain et d’une des armées de l’empire.

Olybrius s’installa dans le palais désert et dévasté. Le sénat tremblant vint le reconnaître à cette même, place où quatre années auparavant il complimentait Anthémius sur son deuxième consulat ; le beau-père et le gendre sur leur concorde. Il paraît que durant les derniers jours du siège, les sénateurs, afin d’épargner à la métropole du monde occidental une ruine complète, suggérèrent au malheureux empereur la résolution de partir et l’y décidèrent, peut-être malgré lui. Cette conduite, prudente assurément dans des circonstances si désespérées, donna lieu, en Orient, à des interprétations malveillantes : les Byzantins y virent une trahison du sénat de Rome contre un prince qui lui venait de Constantinople, et. au bout de plusieurs années, le successeur de Léon, s’en plaignait encore avec amertume[62]. Ricimer ne profita pas longtemps de sa victoire. Quarante jours après son beau-père, il mourait lui-même, en proie à des souffrances cruelles que les historiens du temps, habituellement peu retenus dans leurs conjectures, n’attribuent pourtant point au poison[63]. Ce ne fut pas la main des hommes, mais celle de Dieu qui frappa ce monstre souillé de sang, dans la joie du plus odieux de ses forfaits. Le 23 octobre de cette même année, soixante-cinq jours après la mort de Ricimer, trois mois et douze jours après celle d’Anthémius, arriva le tour du nouveau césar, qui, dit-on, mourut à Rome, de mort naturelle[64]. La même destinée avait fait disparaître presque à la fois tous les acteurs de ce lugubre drame, lés vainqueurs après le vaincu, les bourreaux après la victime.

Il en resta cependant un, le plus obscur et le dernier venu, ce roi Gondebaud, neveu de Ricimer, que celui-ci, à ce qu’il semble, avait pris pour lieutenant dans la dernière guerre. Après la mort, du patrice, et par reconnaissance pour sa mémoire, Olybrius avait transféré son titre à Gondebaud, avec le commandement général des armées romaines[65]. Ainsi, quand Olybrius lui-même alla rejoindre ses aïeux dans les tombeaux des Anices, l’empire d’Occident, sa capitale, son sénat, ses armées restèrent entre les mains d’un petit roi burgonde chassé de ses états, et qui ne possédait d’autre titre au gouvernement des Romains que d’avoir été le neveu de leur tyran.

 

 

 

 



[1] Damasc. ap. Phot., c. 242, p. 1040.

[2] Damasc. ap. Phot., loc. cit.

[3] Ibid., p. 1041.

[4] Ibid.

[5] Damasc. ap. Phot., c. 242, p. 1041.

[6] Ibid.

[7] Epist. Pap. Gelas, II, ad Dardan. Concil. ap. Labb., tom, IV.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] L. impp. Leon. et Anthem, de Bon. Vac., tit. III, C. Th. Nov.

[11] L. ead. de Bon. Vac., tit. III, C. Th. Nov.

[12] Ennodius, Vit. Epiphan., p. 336. Ed. Schott.

[13] Galata, Græculus. Id. ibid.

[14] Ennodius, Vit. Epiphan., p. 336.

[15] Ibid.

[16] Ibid., p. 323.

[17] Major et minor. Ibid., p. 351.

[18] Ibid., p. 331.

[19] Ibid.

[20] Ibid., p. 327.

[21] Ibid., p. 331.

[22] Ibid.

[23] Il se nommait Ennodius, et nous lui devons, outre la biographie de son maître, l’éloge du grand Théodoric et d’autres ouvrages pleins d’intérêt pour l’histoire.

[24] Ennodius, Vit. Epiphan., p. 337.

[25] Ibid., p. 338.

[26] Ibid.

[27] Ibid., p. 339

[28] Le mot Geta, Goth, est pris ici pour désigner un barbare en général.

[29] Ennodius, Vit. Epiphan., p. 340-341.

[30] Ibid., p. 342.

[31] Jornandès, De reb. get. — Idat., Chron., p. 15. — Isidore, Chron. g., p. 719.

[32] Sidoine Apollinaire, Epist., VII, 6.

[33] Grégoire de Tours, Hist. franc., II.

[34] Hist. Miscell., XV, 1, ap. Muratori, Script. rer. Ital., t. I.

[35] Sidoine Apollinaire, Epist., II, 1.

[36] Ibid.

[37] Jornandès, De reb. get., 47.

[38] Sidoine Apollinaire, Epist., V, 7.

[39] Grégoire de  Tours, Hist. franc., II, 28. — Cf. Sidoine Apollinaire, ap. P. Sirm., Not., p. 57.

[40] On trouve le nom de ce personnage sous les formes diverses de Gundobaldus, Gondobadus, Gundibalus, Gunditarus. — Hist. miscell., XV, ap. Murat., Script. rer. Ital., t. I. — Jean Malala l’appelle Γουνδαβάριος, et le fait maître des milices des Gaules. — Tillemont, Hist. des Empereurs, VI, et Lebeau, Hist, d, B. E., VII, p. -17. Note de S. M.

[41] Procope, Bell. Vand., 1, 6. — Theophan., h. 100. — Zonare, p. 40. — Manass., p. 58. — Prisc., Hist., 13.

[42] Procope, B. V., I, 6. — Niceph., XV, 29. — Candid., 16. — Evagr., II, 16.

[43] Marc. Com., Chron. — Procope, B. V., I, 6.

[44] Vit. S. Simeon. Styl. n° 24, ap. Bolland, 5 januar.

[45] Ermenarichus. Candid., Hist., p, 18. - Hermenericus, Marcel. Com., Chron. — Herminericus. Cassiodore, Chron. — Chron. Alex., p. 746. — Armericus. Damasc. ap. Phot.

[46] Zonare, XIV, 1.

[47] Τρασxαλισσαϊος : Sacra Aug. Verin., ap. Théophan., p. 111. — Candide le nomme Tarasicodisas et Agathias Tarasiscodiseos.

[48] Marcel. Comit., Chron. — Theophan., p. 100. — Cedren., p. 390. — Niceph., XV, 27.

[49] Vit. S. Marcell., § 34, ap. Sur. 29 déc., p. 354.

[50] Marcel. Comit., Chron. — Jornandès, De Reg. Succ., 14. — Procope, Bell. Vand., I, 6. — Evagr., II, 16. — Chron. Alex., p. 746. — Candid., Hist., p. 18. — Damasc. ap. Phot. Cod., c. 242. — Vict. Tunn., Chron.

[51] Chron. Alex., p. 746.

[52] Candid., Hist., p. 18.

[53] Nicephor., XV, 27. — Zonare, p. 39. — Theophan., p. 101.

[54] Chron. Alex., p. 746. — Theophan., p. 181. — Mal., p. 92-93.

[55] Niceph., XV, 27. — Zonare, p. 34.

[56] Chron. Alex., p. 321. — Hist. Misc., XV, 2, ap. Muratori, Script. r. ital., I.

[57] Evagr., II, 16. — Vict. Tun. — Cassiodore, Chron. — Jornandès, R. Get., 45. — Cf. Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. VI, p. 360.

[58] Hist. Miscell., XV, 2.

[59] Vict. Tun., Chron. — Évagr., II, 16. — Cassiodore, Chron. — Gelas. pap. ap. Labb. Concil. IV, p. 1238. - Jornandès, de r. Get., 45.

[60] Hist. Miscell., XV, 3.

[61] Ibid.

[62] Malch., Hist., I, 3.

[63] Hist. Miscell., XV, 1.

[64] Hist. Miscell., XV, 5. — Cf. Ennodius, Vit. Epiphan., p. 313. — Cassiodore, Chron. — Procope, Bell. Vand. — Marcell. Comit., Chron. — Jornandès, R. Get., 46.

[65] Hist. Miscell., XV, 4.