I. Gouvernement des bandes en temps d'anarchie. - Cas où l'anarchie est récente et soudaine. - La bande héritière du gouvernement déchu et de son outillage administratif. — II. Formation de l'idée meurtrière dans le gros du parti. - Le lendemain du 10 août. - Le tribunal du 17 août. - La fête funèbre du 27 août. - Légende du complot des prisons. — III. Formation de l'idée meurtrière chez les meneurs. - Leur situation. - Pouvoirs qu'ils usurpent. - Spoliations qu'ils exercent. - Dangers qu'ils courent. - Leur salut est dans la terreur. — IV. Date de la préméditation. - Les acteurs et les rôles. - Marat. - Danton. - La Commune. - Ses collaborateurs. - Concordance des volontés et facilité de l'opération. — V. Les manœuvres. - Leur nombre. - Leur condition. - Leurs sentiments. - Effet du meurtre sur les meurtriers. - Leur dégradation. - Leur hébétement. — VI. Effet du massacre sur le public. - Affaissement universel et dissolution sociale. - L'ascendant des Jacobins devient définitif à Paris. - Les septembriseurs maintenus à la Commune et nommés à la Convention. I Ce qu'il y a de pire dans l'anarchie, ce n'est pas tant l'absence du gouvernement détruit que la naissance des gouvernements nouveaux et d'espèce inférieure. En tout État qui s'est dissous, il se forme des bandes conquérantes et souveraines : tel fut le cas en Gaule après la chiite de l'empire romain et sous les derniers descendants de Charlemagne ; tel est le cas aujourd'hui en Roumélie et au Mexique. Aventuriers, malfaiteurs, gentarés ou déclassés, hommes perdus de dettes et d'honneur, vagabonds, déserteurs et soudards, tous les ennemis nés du travail, de la subordination et de la loi se liguent pour franchir ensemble les barrières vermoulues qui retiennent encore la foule moutonnière, et, comme ils n'ont pas de scrupules, ils tuent à tout propos. Sur ce fondement s'établit leur autorité : à leur tour, ils règnent, chacun dans son canton, et leur gouvernement, aussi brut que leur nature, se compose de vols et de meurtres ; on ne peut attendre autre chose de barbares et de brigands. Mais jamais ils ne sont si dangereux que dans un grand État récemment dissous, où une révolution brusque leur a mis en main le pouvoir central ; car alors ils se croient les héritiers légitimes du gouvernement déchu, et, à ce titre, ils entreprennent de conduire la chose publique. Or, en temps d'anarchie, la volonté ne vient pas d'en haut, mais d'en bas, et les chefs, pour rester chefs, sont tenus de suivre l'aveugle impulsion de leur troupe[1]. C'est pourquoi le personnage important et dominant, celui dont la pensée prévaut, le vrai successeur de Richelieu et de Louis XIV, est ici le Jacobin subalterne, le pilier de club, le faiseur de motions, l'émeutier de la rue, Panis, Sergent, Hébert, Varlet, Henriot, Maillard, Fournier, Lazowski, ou, plus bas encore, le premier venu de leurs hommes, le tape-dur marseillais, le canonnier du faubourg, le fort de la Halle qui a bu et, entre deux hoquets, -élabore ses conceptions politiques[2]. — Pour toute information il a des rumeurs de carrefour qui lui montrent un traître dans chaque maison, et pour tout acquis, des phrases de club qui l'appellent à mener la grande machine. Une machine si vaste et si compliquée, un tel ensemble de services enchevêtrés les uns dans les autres et ramifiés en offices innombrables, tant d'appareils si spéciaux, si délicats et qu'il faut incessamment adapter aux circonstances changeantes, diplomatie, finances, justice, armée, administration, tout cela déborde au delà de sa compréhension si courte : on ne fait pas tenir un muids dans une bouteille[3]. Dans sa cervelle étroite, faussée et bouleversée par l'entassement des notions disproportionnées qu'on y verse, il ne se dépose qu'une idée simple, appropriée à la grossièreté de ses aptitudes et de ses instincts, je veux dire l'envie de tuer ses ennemis, qui sont aussi les ennemis de l'État, quels qu'ils soient, déclarés, dissimulés, présents, futurs, probables ou même possibles. Il porte sa brutalité et son effarement dans la politique, et voilà pourquoi son usurpation est si malfaisante. Simple brigand, il n'eût tué que pour voler, ce qui eût limité ses meurtres. Représentant de l'État, il entreprend le massacre en grand, et il a des moyens de l'accomplir. — Car il n'a pas encore eu le temps de détraquer le vieil outillage administratif ; du moins les rouages subalternes, gendarmes, geôliers, employés, scribes et comptables, sont toujours à leur place et sous la main. De la part des gens qu'on arrêtera, point de résistance ; accoutumés à la protection des lois et à la douceur des mœurs, ils n'ont jamais compté sur leurs bras pour se défendre, et n'imaginent pas qu'on veuille tuer si sommairement. Quant à la foule, dépouillée de toute initiative par la centralisation ancienne, elle est inerte, passive, et laissera faire. — C'est pourquoi, pendant plusieurs longues journées successives, sans hâte ni encombre, avec des écritures correctes et des comptes en règle, on pourra procéder au massacre comme à une opération de voirie, aussi impunément et aussi méthodiquement qu'à l'enlèvement des boues ou à l'abatage des chiens errants. II Suivons dans le gros du parti e progrès de l'idée homicide. Elle est le fond même du dogme révolutionnaire, et, deux mois après, à la tribune des Jacobins, Collot-d'Herbois dira très justement : Le 2 septembre est le grand article du Credo de notre liberté[4]. C'est le propre du Jacobin de se considérer comme un souverain légitime et de traiter ses adversaires, non en belligérants, mais en criminels. Ils sont criminels de lèse-nation, hors la loi, bons à tuer en tout temps et en tout lieu, dignes du supplice, même quand ils ne sont point ou ne sont plus en état de nuire. — En conséquence, le 10 août, on a égorgé les Suisses qui n'avaient point tiré et qui s'étaient rendus, les blessés gisant à terre, leurs chirurgiens, tous les domestiques du château, bien mieux des gens qui, comme M. de Clermont-Tonnerre, passaient dans la rue, et, en langage officiel, cela s'appelle maintenant la justice du peuple. — Le 11, les soldats suisses recueillis dans le bâtiment des Feuillants manquent d'âtre massacrés ; la populace rassemblée alentour demande leurs têtes[5] ; on forme le projet de se transporter dans toutes les prisons de Paris pour y enlever tous les prisonniers et en faire une prompte justice. — Le 12, aux Halles[6], divers groupes de gens du peuple disent que Pétion est un scélérat ; car il a sauvé les Suisses au palais Bourbon ; donc il faut le pendre aujourd'hui, lui et les Suisses. — Dans ces esprits renversés, la vérité présente et palpable fait place à son contre-pied : ce ne sont point eux qui ont attaqué, c'est du château qu'est venu l'ordre de sonner le tocsin ; c'est le château qui a assiégé la nation, et non la nation qui a assiégé le château[7]. Les vaincus sont des assassins du peuple pris en flagrant délit, et, le 14 août, les fédérés viennent demander une cour martiale pour venger le sang de leurs frères[8] ; encore est-ce trop peu d'une cour martiale. Il ne suffit pas de punir les crimes commis dans la journée du 10 août, il faut étendre la vengeance du peuple sur tous les conspirateurs, sur ce Lafayette, qui n'était peut-être pas à Paris, mais qui aurait pu y être, sur les ministres, généraux, juges et autres agents, coupables d'avoir soutenu l'ordre légal quand il existait et de n'avoir pas reconnu le gouvernement jacobin quand il n'existait pas encore. Qu'on les traduise, non devant les tribunaux ordinaires qui sont suspects puisqu'ils font partie du régime aboli, mais devant un tribunal d'exception, sorte de chambre ardente[9] nommée par les sections, c'est-à-dire par la minorité jacobine ; que ces juges improvisés, à conviction faite, décident souverainement et en dernier ressort ; point d'interrogatoire préalable, point d'intervalle entre l'arrêt et l'exécution, point de formes dilatoires et protectrices. Surtout, que l'Assemblée se hâte de rendre le décret : sinon, lui dit un délégué de la Commune[10], ce soir, à minuit, le tocsin sonnera, la générale battra ; le peuple est las de n'être pas vengé : craignez qu'il ne se fasse justice lui-même. — Un instant après, nouvelles menaces, et à plus courte échéance : Si, avant deux ou trois heures... les jurés ne sont pas en état d'agir, de grands malheurs se promèneront sur Paris. Installé sur-le-champ, le nouveau tribunal a beau être expéditif et guillotiner en cinq jours trois innocents ; on le trouve lent, et, le 23 août, une section vient, en style furieux, déclarer à la Commune que le peuple, fatigué et indigné de tant de retards, forcera les prisons et massacrera les prisonniers[11]. — Non seulement on harcelle les juges, mais on pousse devant eux les détenus : une députation de la Commune et des fédérés somme l'Assemblée de transférer à Paris les criminels d'Orléans, pour y subir le supplice de leurs forfaits ; sinon, dit l'orateur, nous ne répondons plus de la vengeance du peuple[12]. Et, d'un ton plus impératif encore : Vous avez entendu, et vous savez que l'insurrection est un devoir sacré, un devoir sacré envers et contre tous, envers l'Assemblée si elle refuse, envers le tribunal s'il absout. Ils se lancent vers leur proie à travers les formes législatives ou judiciaires, comme un milan à travers des toiles d'araignée, et rien ne les détache de leur idée fixe. M. Luce de Montmorin ayant été acquitté[13], l'assistance grossière, qui le confond avec son cousin, ancien ministre de Louis XVI, éclate en murmures. Le président essaye d'imposer silence ; les cris redoublent, et M. de Montmorin est en danger. Alors le président, trouvant un biais, annonce qu'un des jurés est peut-être parent de l'accusé, que, dans ce cas, il faudra un nouveau jury et un nouveau jugement, qu'on va s'assurer du fait, et qu'en attendant le prisonnier sera reconduit à la Conciergerie. Là-dessus, il prend M. de Montmorin par le bras et l'emmène à travers les hurlements, non sans péril pour lui-même : dans la cour extérieure, un garde national lui lance un coup de sabre, et, le lendemain, il faut que le tribunal autorise huit délégués de l'auditoire à vérifier par leurs propres yeux que M. de Montmorin est toujours sous les verrous. Au moment où on l'acquittait, un mot tragique a été lancé : Vous le déchargez aujourd'hui, et dans quinze jours il nous fera égorger ! — Manifestement, la peur s'est ajoutée à la haine. La plèbe jacobine a vaguement conscience de son petit nombre, de son usurpation, de son danger qui croit à mesure que Brunswick approche. Elle se sent campée sur une mine : si la mine sautait ! — Puisque ses adversaires sont des scélérats, ils sont bien capables de faire un mauvais coup, complot ou massacre ; n'ayant jamais fait elle-même que cela, elle ne conçoit pas autre chose, et, par une transposition inévitable, elle leur impute la pensée meurtrière qui s'élabore obscurément dans les bas-fonds de sa cervelle trouble. — Le 27 août, après la pompe funèbre que Sergent a composée exprès pour irriter les ressentiments populaires, ses soupçons, précisés et dirigés, commencent à se tourner en certitudes : dix étendards commémoratifs[14] portés chacun par un volontaire à cheval, ont fait défiler devant ses yeux la longue liste des massacres exécutés par la cour et ses agents : massacre de Nancy, massacre de Nîmes, massacre de Montauban, massacre d'Avignon, massacre de la Chapelle, massacre de Carpentras, massacre du Champ de Mars, etc. Devant une telle parade, nulle hésitation ne subsiste ; désormais, pour les femmes des tribunes, pour les habitués des clubs, pour les piquiers des faubourgs, il est avéré que les aristocrates sont coutumiers du fait. Et d'autre part, signe aussi alarmant, cette cérémonie lugubre, dont le sujet devait inspirer tour à tour le recueillement et l'indignation... n'a pas généralement produit cet effet. Les gardes nationaux en uniforme, qui sont venus apparemment pour se dédommager de ne s'être pas montrés au jour de l'action, n'avaient pas la tenue civique, au contraire un air de dissipation et ci même de joie bruyante ; ils étaient là en curieux, en badauds, en Parisiens, et bien plus nombreux que les sans-culottes à piques[15]. Ceux-ci ont pu se compter ; il est clair à leurs propres yeux qu'ils ne sont qu'une minorité, une minorité très petite, et que leurs fureurs n'ont pas d'écho ; il n'y a, pour hâter les jugements et demander des supplices, que les figurants et ordonnateurs de la fête. Un étranger, bon observateur, qui questionne les boutiquiers chez qui il achète, les marchands avec lesquels il est en affaire, les gens qu'il rencontre au café, écrit qu'il ne trouve nulle part de dispositions sanguinaires, sauf dans les galeries de l'Assemblée nationale et au club des Jacobins. Or aux galeries sont les clabaudeurs payés, surtout des femmes qui sont plus bruyantes et qu'on peut avoir à meilleur marché ; au club des Jacobins sont les meneurs qui craignent un revirement ou qui ont des animosités à satisfaire[16] : ainsi les seuls enragés sont les meneurs et la populace des faubourgs. — Perdus dans cette immense cité, en face d'une garde nationale encore armée et trois fois plus nombreuse qu'eux, devant une bourgeoisie indifférente ou mécontente, les patriotes s'effrayent. En cet état d'angoisse, l'imagination fiévreuse, exaspérée par l'attente, enfante involontairement des rêves qu'elle adopte passionnément comme des vérités, et maintenant il suffit d'un incident pour achever la légende dont le germe a grandi chez eux, à leur insu. Le 1er septembre, un charretier, Jean Julien[17], condamné à douze ans de fers, a été exposé au carcan, et, au bout de deux heures, il est devenu furieux, probablement sous les quolibets des assistants. Avec la grossièreté ordinaire aux gens de son espèce, il a déchargé en injures sa rage impuissante, il s'est 'déboutonné, il a montré sa nudité au public, et naturellement il a cherché les mots les plus blessants pour le peuple qui le regardait : Vive le roi ! vive la reine ! vive monseigneur de la Fayette ! au f... la nation ! Naturellement aussi, il a failli être écharpé, on l'a vite emmené à la Conciergerie, il a été condamné sur-le-champ, et on l'a guillotiné au plus vite comme promoteur d'une sédition qui se rattachait à la conspiration du 10 août. — Ainsi la conspiration dure encore ; le tribunal le déclare, et il ne le déclare pas sans preuves. Certainement Jean Julien a fait des aveux : qu'a-t-il révélé ? — Et le lendemain, comme une moisson de champignons vénéneux poussés en une seule nuit, le même conte a pris racine dans toutes les cervelles. Jean Julien a dit que toutes les prisons de Paris pensaient comme lui, que sous peu on verrait beau jeu, qu'ils avaient des armes, et qu'on les lâcherait dans la ville quand les volontaires seraient partis[18]. Dans les rues on ne rencontre que figures anxieuses : L'un d'eux dit que Verdun a été livré comme Longwy ; d'autres, hochant la tête, répondent que ce sont les traîtres dans l'intérieur de Paris qu'il faut craindre, et non les ennemis déclarés sur la frontière[19]. Le jour suivant, le roman s'amplifie : Il y a des chefs et des troupes royalistes cachés dans Paris et aux environs ; ils vont ouvrir les prisons, armer les prisonniers, délivrer le roi et sa famille, mettre à mort les patriotes de Paris, les femmes et les enfants de ceux qui sont à l'armée... N'est-il pas naturel à des hommes de pourvoir à la sûreté de leurs enfants et de leurs femmes, et d'employer le seul moyen efficace pour arrêter le poignard des assassins ?[20] — Le brasier populaire est allumé ; à présent c'est aux entrepreneurs d'incendie public à conduire la flamme. III Il y a longtemps qu'ils soufflent dessus. Déjà le 11 août, dans une proclamation[21], la nouvelle Commune annonçait que tous les coupables allaient périr sur l'échafaud, et c'est elle qui, par ses députations menaçantes, a imposé à l'Assemblée nationale l'institution immédiate d'un tribunal de sang. Portée au pouvoir par la force brutale, elle périt si elle ne s'y maintient, et elle ne peut s'y maintenir que par la terreur. En effet, considérez un instant cette situation extraordinaire. Installés à l'Hôtel de Ville par un coup de main nocturne, une centaine d'inconnus, délégués par un parti et qui se croient ou se disent les délégués du peuple, ont renversé l'un des deux grands pouvoirs de l'État, mutilé et asservi l'autre, et règnent dans une capitale de 700.000 âmes par la grâce de huit ou dix mille fanatiques et coupe-jarrets. Jamais changement si brusque n'a pris des hommes si bas pour les guinder si haut. Des gazetiers infimes, des scribes du ruisseau, des harangueurs de taverne, des moines ou prêtres défroqués, le rebut de la littérature, du barreau et du clergé, des menuisiers, tourneurs, épiciers, serruriers, cordonniers, simples ouvriers, plusieurs sans état ni profession[22], politiques ambulants et aboyeurs publics, qui, comme les vendeurs d'orviétan, exploitent depuis trois ans la crédulité populaire, parmi eux nombre de gens mal famés, de probité douteuse ou d'improbité prouvée, ayant roulé dans leur jeunesse et encore tachés de leur ancienne fange, relégués par leurs vices hors de l'enceinte du travail utile, chassés à coups de pied des emplois subalternes jusque dans les métiers interlopes, rompus au saut périlleux, à conscience disloquée comme les reins d'un saltimbanque, et qui, sans la révolution, ramperaient encore dans leur boue natale en attendant Bicêtre ou le bagne auxquels ils étaient promis, se figure-t-on leur ivresse croissante à mesure qu'ils boivent à plus longs traits dans la coupe sans fond du pouvoir absolu ? — Car c'est bien le pouvoir absolu qu'ils réclament et qu'ils exercent[23]. Élevés par une délégation spéciale au-dessus des autorités régulières, ils ne les souffrent qu'à titre de subordonnées, et n'en tolèrent pas qui puissent devenir des rivales. En conséquence, ils ont réduit le Corps législatif à n'être que le rédacteur et le héraut de leurs décrets ; ils ont forcé les nouveaux élus du département à abjurer leur titre, à se borner à la répartition des impôts, et journellement ils mettent leurs mains ignorantes sur les services généraux, finances, armée, subsistances, administration, justice, au risque d'en briser les rouages ou d'en interrompre le jeu. Aujourd'hui, ils mandent devant eux le ministre de la guerre, ou, à son défaut, son premier commis ; demain, c'est tout le personnel de ses bureaux qu'ils tiennent en arrestation pendant deux heures, sous prétexte de chercher un imprimeur suspect[24]. Tantôt ils posent les scellés sur la caisse de l'extraordinaire ; tantôt ils cassent la commission des subsistances ; tantôt ils interviennent dans le cours de la justice, soit pour aggraver la procédure, soit pour empêcher l'exécution des arrêts rendus[25]. Point de principe, loi, règlement, sentence, établissement ou homme public qui ne soit à la discrétion de leur arbitraire. — Et, comme ils ont fait main basse sur le pouvoir, ils font main basse sur l'argent. Non seulement ils ont arraché à l'Assemblée 850.000 francs par mois avec les arrérages à partir du 1er janvier 1792, en tout plus de 6 millions, pour défrayer leur police militaire, c'est-à-dire pour payer leurs bandes[26] ; mais encore, revêtus de l'écharpe municipale, ils saisissent, dans les hôtels de la nation, les meubles et tout ce qu'il y a de plus précieux. — Dans une seule maison, ils en enlèvent pour 100.000 écus[27]. Ailleurs, chez le trésorier de la liste civile, ils s'approprient un carton de bijoux, d'effets précieux et 340.000 livres[28]. Leurs commissaires ramènent de Chantilly trois voitures à trois chevaux chargées des dépouilles de M. de Condé, et ils entreprennent le déménagement des maisons des émigrés[29]. Dans les églises de Paris, ils confisquent les crucifix, lutrins, cloches, grilles, tout ce qui est en bronze ou fer, chandeliers, ostensoirs, vases, reliquaires, statues, tout ce qui est objet d'argenterie, tant sur les autels que dans les sacristies[30], et l'on devine l'énormité du butin : pour emporter l'argenterie de la seule église de la Madeleine-la-Ville-l'Évêque, il fallut une voiture à quatre chevaux. — Or, de tout cet argent si librement saisi, ils usent aussi librement que du pouvoir lui-même. Tel, aux Tuileries, sans vergogne aucune, remplissait ses poches ; un autre, au Garde-Meuble, fouille les secrétaires et emporte une armoire pleine d'effets[31] ; on a déjà vu que, dans les dépôts de la Commune, la plupart des scellés se trouvèrent brisés, que des valeurs énormes en argenterie, bijoux, or et argent monnayé disparurent ; les interrogatoires et les comptes ultérieurs imputeront au Comité de surveillance des soustractions, dilapidations, malversations, bref, un ensemble de violations et d'infidélités. — Quand on est roi et pressé, on ne s'astreint pas aux formes, et l'on confond aisément le tiroir où l'on a mis l'argent de l'État avec le tiroir où l'on met son propre argent. Par malheur, cette pleine possession de la puissance et de la fortune publiques ne tient qu'à un fil. Que la majorité évincée et violentée ose, comme plus tard à Lyon, Marseille et Toulon, revenir aux assemblées de section et révoquer le faux mandat qu'ils se sont arrogé par la fraude et par la force, à l'instant, par la volonté du peuple souverain et en vertu de leur propre dogme, ils redeviennent ce qu'ils sont effectivement, des usurpateurs, des concussionnaires et des voleurs : point de milieu pour eux entre la dictature et les galères. — Devant une pareille alternative, l'esprit, à moins d'un équilibre extraordinaire, perd son assiette ; ils n'ont plus de peine à se faire illusion, à croire l'État menacé dans leurs personnes, à poser en règle que tout leur est permis, même le massacre. Bazire n'a-t-il pas dit à la tribune que, contre les ennemis de la nation, tous les moyens sont bons et justes ? N'a-t-on pas entendu un autre député, Jean Debry, proposer la formation d'un corps de 1200 volontaires qui se dévoueront, comme jadis les assassins du Vieux de la Montagne, pour attaquer, corps à corps, individuellement, les tyrans et les généraux[32] ? N'a-t-on pas vu Merlin de Thionville demander que les femmes et les enfants des émigrés qui attaquent la frontière soient retenus comme otages, et déclarés responsables, en d'autres termes, bons à tuer, si leurs parents continuent à attaquer[33] ? Il n'y a plus que cela à faire, car les autres mesures n'ont pas suffi. — En vain la Commune a décrété d'arrestation les journalistes du parti contraire et distribué leurs presses aux imprimeurs patriotes[34]. En vain elle a déclaré incapables de toute fonction les membres du club de la Sainte-Chapelle, les gardes nationaux qui ont prêté serment à Lafayette, les signataires de la pétition des 8.000 et de la pétition des 20.000[35]. En vain elle a multiplié les visites domiciliaires jusque dans l'hôtel atlas voitures de l'ambassadeur de Venise. En vain, par des interrogatoires insultants et réitérés, elle tient à sa barre, sous les huées et les cris de mort de ses tribunes, les hommes les plus honorables et les plus illustres, Lavoisier, Dupont de Nemours, le grand chirurgien Desault, les femmes les plus inoffensives et les plus distinguées,. Mme de Tourzel, Mlle de Tourzel, la princesse de Lamballe[36]. En vain, après des arrestations prodiguées pendant vingt jours, elle enveloppe Paris tout entier, d'un seul coup de filet, dans une perquisition nocturne[37] : toutes les barrières fermées et par de doubles postes, des sentinelles sur les quais et des pataches sur la seine pour empêcher la fuite par eau, la ville divisée d'avance en circonscriptions et, pour chaque section, une liste de suspects, la circulation des voitures interdite, chaque citoyen consigné chez lui, à partir de six heures du soir un silence de mort, puis, dans chaque rue, une patrouille de soixante hommes à piques, sept cents escouades de sans-culottes opérant à la fois et avec leur brutalité ordinaire, des portes enfoncées à coups de crosse, les armoires crochetées par des serruriers, les murs sondés par des maçons, les caves fouillées jusqu'au sous-sol, les papiers saisis, les armes confisquées, trois mille personnes arrêtées et emmenées[38], prêtres, vieillards, infirmes, malades, et, de dix heures du soir à cinq heures du matin, comme dans une ville prise d'assaut, les lamentations des femmes qu'on rudoie, les cris des prisonniers qu'on fait marcher, les jurons des gardes qui sacrent et s'attardent pour boire à chaque cabaret ; il n'y eut jamais d'exécution si universelle, si méthodique, si propre à terrasser toute velléité de résistance dans le silence de la stupeur. — Et pourtant, à ce moment même, les hommes de bonne foi, aux sections et dans l'Assemblée, s'indignent d'appartenir à de pareils maîtres. Une députation des Lombards et une autre de la Halle-au-Blé viennent à l'Assemblée réclamer contre les usurpations de la Commune[39]. Le montagnard Choudieu dénonce ses prévarications criardes. Cambon, financier sévère, ne veut plus souffrir que ses comptes soient dérangés par des tripotages de filous[40]. L'Assemblée semble enfin reprendre conscience d'elle-même ; elle couvre de sa protection le journaliste Girey contre qui les nouveaux péchas avaient lancé un mandat d'amener ; elle mande à sa propre barre les signataires du mandat ; elle leur ordonne de se renfermer à l'avenir dans les limites exactes de la loi qu'ils outrepassent. Bien mieux, elle dissout le conseil intrus et lui substitue quatre-vingt-seize délégués que les sections devront nommer dans les vingt-quatre heures. Bien mieux encore, elle lui commande de rendre compte, dans les deux jours, de tous les effets qu'il a saisis et de porter les matières d'or et d'argent à la Trésorerie. Cassés et sommés de dégorger leur proie, les autocrates de l'Hôtel de Ville ont beau, le lendemain, venir en force à l'Assemblée[41], pour lui extorquer le rappel de ses décrets : sous leurs menaces et les menaces de leurs satellites, l'Assemblée tient bon. — Tant pis pour les opiniâtres ; puisqu'ils ne veulent pas voir l'éclair du sabre, ils en sentiront le tranchant et la pointe. Sur la proposition de Manuel, la Commune décide que, tant que durera le danger public, elle restera en place ; elle adopte une adresse de Robespierre pour remettre au peuple le pouvoir souverain, c'est-à-dire pour faire descendre les bandes armées dans la rue[42] ; elle se rallie les brigands en leur conférant la propriété de tout ce qu'ils ont volé dans la journée du 10 août[43]. — La séance, prolongée pendant la nuit, ne finit qu'à une heure et demie du matin ; on est arrivé au dimanche, et il n'y a plus de temps à perdre : car, dans quelques heures, les électeurs s'assembleront pour élire les députés à la Convention ; dans quelques heures, en vertu du décret de l'Assemblée nationale, les sections, selon l'exemple que la section du Temple leur adonné la veille même, révoqueront peut-être leurs prétendus mandataires de l'Hôtel de Ville. Pour rester à l'Hôtel de Ville et pour se faire nommer à la Convention, les meneurs ont besoin d'un coup éclatant, et ils en ont besoin le jour même. — Ce jour-là est le 2 septembre. IV Depuis le 23 août[44], leur résolution est prise, le plan du massacre s'est dessiné dans leur esprit, et peu à peu, spontanément, chacun, selon ses aptitudes, y prend son rôle qu'il choisit ou qu'il subit. Avant tous, Marat a proposé et prêché l'opération, et, de sa part, rien de plus naturel. Elle est l'abrégé de sa politique : un dictateur ou tribun, avec pleins pouvoirs pour tuer et n'ayant de pouvoirs que pour cela, un bon coupe-tête en chef, responsable, embellie et le boulet aux pieds, tel est, depuis le 14 juillet 1789, son programme de gouvernement, et il n'en rougit pas : tant pis pour ceux qui ne sont pu à la hauteur de l'entendre[45]. Du premier coup, il a compris le caractère de la révolution, non par génie, mais par sympathie, lui-même aussi borné et aussi monstrueux qu'elle, atteint depuis trois ans de délire soupçonneux el de monomanie homicide, réduit par l'appauvrissement mental à une seule idée, celle du meurtre, ayant perdu jusqu'à la faculté du raisonnement vulgaire, le dernier des journalistes, sauf pour les poissardes et les hommes à piques, si monotone dans son paroxysme continu[46], qu'à lire ses numéros de suite on croit entendre le cri incessant et rauque qui sort d'un cabanon de fou. Dès le 19 août, il a poussé le peuple aux prisons. Le parti le plus sûr et le plus sage, dit-il, est de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l'épée. Quelle folie que de vouloir leur faire leur procès ! Il est tout fait. — Vous avez massacré les soldats ; pourquoi épargneriez-vous les officiers, infiniment plus coupables ? — Et, deux jours après, insistant avec son imagination de bourreau : Les soldats méritaient mille morts... Quant aux officiers, ils méritent d'être écartelés, comme Louis Capet et ses suppôts du Manège[47]. Là-dessus la Commune l'adopte comme son journaliste officiel, lui donne une tribune dans la salle de ses séances, Lui confie le compte rendu de ses mes, et tout l'heure va le faire entrer dans son comité de surveillance ou d'exécution. Mais un pareil énergumène n'est bon que pour edam un
instigateur et un trompette ; tout au plus au dernier moment, il pourra
figurer parmi les ordonnateurs subalternes. L'entrepreneur en chef[48] est d'une autre
espèce et d'une autre taille, Danton, un vrai conducteur d'hommes : par sou
passé et sa place, par son cynisme populacier, ses façons et son langage, par
us facultés d'initiative et de commandement, par la force intempérante de sa
structure corporelle et mentale, par l'ascendant physique de sa volonté
débordante et absorbante, il est approprié d'avance à son terrible office. —
Seul de la Commune il est devenu ministre, et il n'y a que lui pour abriter
l'attentat municipal sous le patronage ou sous l'inertie de l'autorité
centrale. — Seul de la Commune et du ministère il est capable d'imprimer
l'impulsion et de coordonner l'action dans le pêle-mêle du chaos
révolutionnaire, et maintenant, au conseil des ministres, comme auparavant à
l'Hôtel de Ville, c'est lui qui gouverne. Dans la bagarre continue des
discussions incohérentes[49], à travers les propositions ex abrupto, les cris, les jurements, les
allées et venues des pétitionnaires interlocuteurs, on le voit maîtriser
ses nouveaux collègues par sa voix de Stentor, par
ses gestes d'athlète, par ses effrayantes menaces, s'approprier leurs
fonctions, leur dicter ses choix, apporter des
commissions toutes dressées, se charger de tout, faire les propositions, les arrêtés, les proclamations,
les brevets, et, puisant à millions dans le Trésor public, jeter la
pâtée à ses dogues des Cordeliers et de la Commune, à
l'un 20.000 livres, à l'autre 10.000, pour la
révolution, à cause de leur patriotisme : voilà tout son compte rendu.
Ainsi gorgée, la meute des braillards à jeun
et des intrigants avides, tout le personnel
actif des sections et des clubs est dans sa main. On est bien fort avec ce
cortège en temps d'anarchie ; effectivement, pendant les mois d'août et de
septembre, Danton a régné, et plus tard il dira du 2 septembre aussi
justement que du 10 août : C'est moi qui l'ai fait[50]. Non qu'il soit vindicatif ou sanguinaire par nature ; tout
au rebours : avec un tempérament de boucher, il a un cœur d'homme, et tout à
l'heure, au risque de se compromettre, contre la volonté de Marat et de
Robespierre, il sauvera ses adversaires politiques, Duport, Brissot, les Girondins,
l'ancien côté droit[51]. Non qu'il soit
aveuglé par la peur, la haine ou la théorie : avec les emportements d'un
clubiste, il a la lucidité d'un politique, il n'est pas dupe des phrases
ronflantes qu'il débite, il sait ce que valent les coquins qu'il emploie[52] ; il n'a
d'illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur
lui-même ; s'il tue, c'est avec une pleine conscience de son œuvre, de son
parti, de la situation, de la révolution, et les mots crus que, de sa voix de
taureau, il lance au passage ne sont que la forme vive de la vérité exacte : Nous sommes de la canaille, nous sortons du ruisseau
; avec les principes d'humanité ordinaire, nous y
serions bientôt replongés[53] ; nous ne pouvons gouverner qu'en faisant peur. — Les Parisiens sont des j... il faut mettre une rivière de
sang entre eux et les émigrés[54]. — Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est
la charge sur les ennemis de la patrie... Pour
les vaincre, que faut-il ? De l'audace et encore de l'audace, et
toujours de l'audace[55]. — J'ai fait venir ma mère, qui a 70 ans ; j'ai fait venir
mes deux enfants, ils sont arrivés hier au soir. Avant que les Prussiens
entrent dans Paris, je veux que ma famille périsse avec moi ; je veux que
vingt mille flambeaux en un instant fassent de Paris un tas de cendres[56]. — C'est dans Paris qu'il faut ce se maintenir par tous les moyens.
Les républicaine sont une minorité infime, et, pour combattre, nous ne pouvons
compter que sur eux ; le reste de la France est attaché à la royauté. Il faut
faire peur aux royalistes ![57] — C'est lui qui,
le 28 août, obtient de l'Assemblée la grande visite domiciliaire par laquelle
la Commune emplit ses prisons. C'est lui qui, le 2 septembre, pour paralyser
la résistance des honnêtes gens, fait décréter la peine de mort contre
quiconque, directement ou indirectement, refusera
d'exécuter ou entravera, de quelque manière que ce soit, les ordres donnés et
les mesures prises par le pouvoir exécutif. C'est lui qui, le même
jour, annonce au journaliste Prudhomme le prétendu complot des prisons, et,
le surlendemain, lui envoie son secrétaire, Camille Desmoulins, pour
falsifier le compte rendu des massacres[58]. C'est lui qui,
le 3 septembre, au ministère de la justice, devant les commandants de
bataillon et les chefs de service, devant Lacroix, président de l'Assemblée
nationale, et Pétion, maire de Paris, devant Clavières, Servan, Monge, Lebrun
et tout le conseil exécutif ; sauf Roland, réduit d'un geste les principaux
personnages de l'État à l'office de complices passifs et répond te un homme
de cœur qui se lève pour arrêter les meurtres : Sieds-toi,
c'était nécessaire[59]. C'est lui qui,
le même jour, fait expédier sous son contreseing la circulaire par laquelle
le comité de surveillance annonce le massacre et invite ses frères des départements à suivre l'exemple de
Paris[60]. C'est lui qui,
le 10 septembre, non comme ministre de la justice,
mais comme ministre du peuple, félicitera et remerciera les égorgeurs
de Versailles[61].
Depuis le 10 août, par Billaud-Varennes, son ancien secrétaire, par Fabre
d'Églantine, son secrétaire du sceau, par Tallien, secrétaire de la Commune
et son plus intime affidé, il est présent à toutes les délibérations de
l'Hôtel de Ville, et, à la dernière heure, il a soin de mettre au comité de
surveillance un homme à lui, le chef de bureau Desforges[62]. — Non seulement
la machine à faucher a été construite sous ses yeux et avec son assentiment,
mais encore, au moment où elle entre en branle, il en garde en main la
poignée pour en bien diriger la faux. Il a raison ; si parfois il n'enrayait pas, elle se briserait par son propre jeu. Introduit dans le comité comme professeur de saignée politique, Marat, avec la raideur de l'idée fixe, tranchait à fond au delà de la ligne prescrite ; déjà des mandats d'arrêt étaient lancés contre trente députés, on fouillait les papiers de Brissot, l'hôtel de Roland était cerné, Duport, empoigné dans un département voisin, arrivait dans la boucherie. Celui-ci est le plus difficile à sauver ; il faut des coups de collier redoublés pour l'arracher au maniaque qui le réclame. Avec un chirurgien comme Marat, et des carabins comme les cinq ou six cents meneurs de la Commune et des sections, on n'a pas besoin de pousser le manche du couteau, on sait d'avance que l'amputation sera large. Leurs noms seuls parlent assez haut : à la Commune, Manuel, procureur-syndic, Hébert et Billaud-Varennes, ses deux substituts, Huguefin, Lhuillier, Marie Chénier, Audouin, Léonard Bourdon, Boula et Truchon, présidents successifs ; à la Commune et aux sections, Panis, Sergent, Tallien, Rossignol, Chaumette, Fabre d'Églantine, Pache, Hassenfratz, le cordonnier Simon, l'imprimeur Momoro ; à la garde nationale, Santerre, commandant général, Henriot, chef de bataillon, au-dessous d'eux, la tourbe des démagogues de quartier, comparses de Danton, d'Hébert ou de Robespierre, et guillotinés plus tard avec leurs chefs de file[63], bref la fleur des futurs terroristes. — Ils font aujourd'hui leur premier pas dans le sang, chacun avec son attitude propre et ses mobiles personnels, Chénier, dénoncé comme membre du club de la Sainte-Chapelle et d'autant plus exagéré qu'il est suspect[64] ; Manuel, pauvre homme excitable, effaré, entrainé, et qui frémira de son œuvre après l'avoir vue ; Santerre, beau figurant circonspect qui, le 2 septembre, sous prétexte de garder les bagages, monte sur le siège d'une berline arrêtée et y reste deux heures pour ne pas faire son office de commandant général[65] ; Panis, président du comité de surveillance, bon subalterne, né disciple et caudataire, admirateur de Robespierre, qu'il a proposé pour la dictature, et de Marat, qu'il prône comme un prophète[66] ; Henriot, Hébert et Rossignol, simples malfaiteurs en écharpe ou en uniforme ; Collot-d'Herbois, comédien-potereau, dont l'imagination théâtrale combine avec satisfaction des horreurs de mélodrame[67] ; Billaud-Varennes, ancien oratorien, bilieux et sombre, aussi froid devant les meurtres qu'un inquisiteur devant un autodafé, enfin le cauteleux Robespierre, qui pousse les autres sans s'engager, ne signe rien, ne donne point d'ordres, harangue beaucoup, conseille toujours, se montre partout, prépare son règne, et, tout d'un coup, au dernier moment, comme un chat qui saute sur sa proie, tâche de faire égorger ses rivaux, les Girondins[68]. Jusqu'ici, quand ils tuaient ou faisaient tuer, c'était en émeutiers, dans la rue ; à présent, c'est aux prisons, en magistrats et fonctionnaires, sur des registres d'écrou, après constatation d'identité et jugement sommaire, par des exécuteurs payés, au nom du salut public, avec méthode et sang-froid, presque aussi régulièrement que plus tard sous le gouvernement révolutionnaire. Effectivement Septembre en est le début, l'abrégé, le modèle ; on ne fera pas autrement ni mieux au plus beau temps de la guillotine. Seulement, comme on est encore mal outillé, au lieu de la guillotine, on emploie les piques, et, comme toute pudeur n'est pas encore abolie, les chefs se dissimulent derrière les manœuvres. Mais on les suit à la trace, on les prend sur le fait, on a leurs autographes ; ils ont concerté l'opération, ils la commandent, ils la conduisent. Le 30 août, la Commune a décidé que les sections jugeraient les détenus, et, le 2 Septembre, cinq sections affidées lui répondent en arrêtant que les détenus seront égorgés[69]. Le même jour, 2 septembre, Marat entre au comité de surveillance. Le même jour, 2 septembre, Panis et Sergent signent la commission de leurs camarades Maillard et consorts à l'Abbaye et leur ordonnent de juger, c'est-à-dire de tuer les prisonniers[70]. Le même jour et les jours suivants, à la Force, trois membres de la Commune, Hébert, Monneuse et Rossignol, président tour à tour le tribunal des assassins[71]. Le même jour, un commissaire du comité de surveillance vient à la section des Sans-Culottes requérir douze hommes pour aider au massacre des prêtres de Saint-Firmin[72]. Le même jour, un commissaire de la Commune visite les diverses prisons pendant qu'on y égorge, et trouve que tout s'y passe également bien[73]. Le même jour, à 5 heures du soir, le substitut de la Commune, Billaud-Varennes, avec le petit habit puce et la perruque noire qu'on lui connaît, marchant sur les cadavres, dit aux massacreurs de l'Abbaye : Peuple, tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir ; dans la nuit, il revient, les comble d'éloges, et leur confirme la promesse du salaire convenu ; le lendemain à midi, il revient encore, les félicite de plus belle, leur alloue à chacun un louis et les exhorte à continuer[74]. — Cependant, à l'état-major, Santerre, requis par Roland, déplore hypocritement son impuissance volontaire et persiste à ne pas donner les ordres sans lesquels la garde nationale ne peut marcher[75]. Aux sections, les présidents Chénier, Ceyrat, Boula, Momoro, Collot-d'Herbois, envoient ou ramènent des malheureux sous les piques. A la Commune, le conseil général vote 12.000 livres à prendre sur les morts pour solder les frais de l'opération[76]. Au comité de surveillance, Marat et ses collègues écrivent pour propager le meurtre dans les départements. — Manifestement, les meneurs et les subalternes sont unanimes, chacun à son poste et dans son emploi : par la collaboration spontanée de tout le parti, l'injonction d'en haut se rencontre avec l'impulsion d'en bas[77] ; les deux se fondent en commune volonté meurtrière, et l'œuvre s'accomplit avec d'autant plus de précision qu'elle est facile. — Les geôliers ont reçu l'ordre d'ouvrir et de laisser faire. Par surcroît de précautions, on a ôté aux prisonniers leurs couteaux de table et même leurs fourchettes[78]. Un à un, sur l'appel de leurs noms, ils défileront comme des bœufs dans un abattoir, et une vingtaine de bouchers par prison, en tout deux ou trois cents[79], suffiront à la besogne. V Deux sortes d'hommes fournissent les recrues, et c'est ici surtout qu'il faut admirer l'effet du dogme révolutionnaire sur des cerveaux bruts. — Il y a d'abord les fédérés du Midi, rudes gaillards, anciens soldats ou anciens bandits, déserteurs, bohèmes et sacripants de tout pays et de toute provenance, qui, après avoir travaillé à Marseille ou Avignon, sont venus à Paris pour recommencer. Triple nom de Dieu, disait l'un d'eux, je ne suis pas venu de 180 lieues pour ne pas f.... 180 têtes au bout de ma pique ![80] A cet effet, ils se sont constitués d'eux-mêmes en un corps spécial, permanent, résidant, et ne souffrent pas qu'on les détourne de l'emploi qu'ils se sont donné. Ils n'écouteront pas les mouvements d'un faux patriotisme[81] ; ils n'iront pas à la frontière. Leur poste est dans la capitale, ils ont juré d'y défendre la liberté ; ni avant ni après septembre, on ne pourra les en arracher. Quand enfin, après s'être fait payer sur toutes les caisses et sous tous les prétextes, ils consentiront à quitter Paris, ce sera pour retourner à Marseille ; ils n'opèrent qu'à l'intérieur et sur des adversaires politiques. Mais ils n'en sont que plus zélés dans cet office : ce sont eux qui, les premiers, viennent prendre les vingt-quatre prêtres de la mairie, et dans le trajet, de leurs propres mains, commencent le massacre[82]. — Il y a ensuite les enragés de la plèbe parisienne, quelques-uns commis ou boutiquiers, le plus grand nombre artisans et de tous les corps d'états, serruriers, maçons, bouchers, charrons, tailleurs, cordonniers, charretiers, notamment des débardeurs, des ouvriers du port, des forts de la Halle, mais surtout des journaliers, manœuvres, compagnons et apprentis, bref des gens habitués à se servir de leurs bras et qui, dans l'échelle des métiers, occupent le plus bas échelon[83]. Parmi eux, on trouve des bêtes de proie, massacreurs d'instinct ou simples voleurs[84]. D'autres, comme un auditeur de l'abbé Sicard, qu'il aime et vénère, confessent n'avoir marché que par contrainte[85]. D'autres sont de simples machines qui se laissent pousser : tel, commissionnaire du coin, très honnête homme, mais entraîné, puis soûlé, puis affolé, tue vingt prêtres pour sa part et en meurt au bout d'un mois, buvant toujours, ne dormant plus, l'écume aux lèvres et tremblant de tous ses membres[86]. Quelques-uns enfin, venus à bonnes intentions, sont pris de vertige au contact du tourbillon sanglant, et, par un coup soudain de la grâce révolutionnaire, se convertissent à la religion du meurtre ; un certain Grapin, député par sa section pour sauver deux prisonniers, s'assoit à côté de Maillard, juge avec lui pendant soixante-trois heures et lui en demande certificat[87]. Mais la plupart ont les opinions de ce cuisinier qui, après la prise de la Bastille, s'étant trouvé là et ayant coupé la tête de M. de Launay, croyait avoir fait une action patriotique et s'estimait digne d'une médaille pour avoir détruit un monstre. Ce ne sont pas des malfaiteurs ordinaires, mais des voisins de bonne volonté qui, voyant un service public installé dans leur quartier[88], sortent de leur maison pour donner un coup d'épaule : ils ont la dose de probité qu'on rencontre aujourd'hui chez les gens de leur état. Au commencement surtout, nul ne songe à remplir ses poches. A l'Abbaye, ils apportent fidèlement sur la table du comité civil les portefeuilles et les bijoux des morts[89]. S'ils s'approprient quelque chose, ce sont des souliers pour leurs pieds nus, et encore après en avoir demandé la permission. Quant au salaire, toute peine en mérite un, et d'ailleurs, entre eux et leurs embaucheurs, c'est chose convenue. N'ayant pour vivre que leurs bras, ils ne peuvent pas donner leur temps gratis[90], et, comme la besogne est rude, la journée doit leur être comptée double. Il leur faut 6 francs par jour, outre la nourriture et du vin à discrétion ; un seul traiteur en fournira 346 pintes aux hommes de l'Abbaye[91] : dans un travail qui ne s'interrompt ni de jour ni de nuit et qui ressemble à celui des égoutiers ou des équarrisseurs, il n'y a que cela pour mettre du cœur au ventre. — Fournitures et salaire, la nation payera, puisque c'est pour elle qu'on travaille, et naturellement, quand on leur oppose des formalités, ils se mettent en colère, ils se portent chez Roland, chez le trésorier de la ville, aux comités de section, au comité de surveillance[92], en grondant, en menaçant, et en montrant leurs piques ensanglantées. Voilà la preuve qu'ils ont bien travaillé : ils s'en vantent à Pétion, ils lui font valoir leur justice, leur attention[93], leur discernement, la longueur de l'ouvrage, tant de journées à tant d'heures ; nul embarras chez eux, nul doute de leur bon droit ; ils ne réclament que leur dû ; quand un trésorier, avant de les payer, veut écrire leurs noms, ils les donnent sans difficulté. Ceux qui reconduisent un prisonnier absous, maçons, perruquiers, fédérés, ne veulent point de récompense, mais un simple rafraîchissement : Nous ne faisons point, disent-ils, ce métier pour de l'argent ; voilà votre ami, il nous a promis un verre d'eau-de-vie, nous le boirons et nous retournerons à notre poste[94]. — Hors de leur métier, ils ont la sympathie expansive et la sensibilité prompte de l'ouvrier parisien. A l'Abbaye, un fédéré[95], apprenant que depuis vingt-six heures on avait laissé les détenus sans eau, voulait absolument exterminer le guichetier négligent et l'eût fait, sans les supplications des détenus eux-mêmes. Lorsqu'un prisonnier est acquitté, gardes et tueurs, tout le monde l'embrasse avec transport ; pendant plus de cent pas, Weber passe d'accolade en accolade ; on applaudit à outrance. Chacun veut faire la conduite au prisonnier : le fiacre de Mathon de la Varenne est envahi, il y a des gens perchés sur le siège du cocher, aux portières, sur l'impériale, et sur le derrière de la voiture[96]. — Quelques-uns même ont des accès de délicatesse étranges. Deux tueurs, encore couverts de sang et qui ramènent le chevalier de Bertrand, insistent pour monter avec lui, afin de contempler la joie de sa famille ; après leur terrible besogne, ils ont besoin de se délasser par des émotions douces. Une fois entrés, ils attendent au salon, discrètement, jusqu'à ce qu'on ait préparé les dames ; le bonheur dont ils sont témoins les attendrit ; ils restent longtemps, refusent l'argent, et s'en vont en disant merci[97]. — Plus étranges encore sont les vestiges subsistants de politesse innée. Tel, fort de la Halle, voulant embrasser un prisonnier absous, commence par lui en demander permission ; des mégères, qui battaient des mains aux meurtres précédents, arrêtent avec violence les gardes qui, sans précaution, font marcher Weber en bas de soie blancs à travers les flaques rouges : Prenez donc garde, vous faites marcher monsieur dans le ruisseau ![98] Bref, ils ont les qualités permanentes de leur race et de leur classe ; il ne semble pas que, parmi leurs pareils, ils soient au-dessous ou en dehors du niveau moyen, et probablement la plupart d'entre eux n'auraient jamais rien fait d'énorme, si une police exacte, comme celle qui maintient l'ordre en temps ordinaire, les avait retenus dans leur atelier, dans leur guinguette ou dans leur garni. Mais, à leurs propres yeux, ils sont rois ; la souveraineté leur est commise[99], leurs pouvoirs sont illimités ; quiconque en doute est un traître, son supplice est juste, sa mort est urgente, et, pour conseillers de leur règne, ils ont pris les fous et les drôles qui, par monomanie ou calcul, leur prêchent tout cela : de même un roi nègre, entouré de négriers blancs qui le poussent aux razzias et de sorciers noirs qui le poussent aux massacres. Avec de tels guides et dans un tel office, comment un tel homme pourrait-il s'attarder aux formes de la justice ou aux distinctions de l'équité ? Équité et justice sont des produits élaborés de la civilisation, et il n'est qu'un sauvage en politique. On a beau lui recommander les innocents : Dites donc, monsieur le citoyen[100], est-ce que vous aussi vous voulez nous endormir ? Si les sacrés gueux de Prussiens et d'Autrichiens étaient à Paris, chercheraient-ils les coupables ? Ne frapperaient-ils pas à tort et à travers comme les Suisses du 10 août ? — Eh bien, moi je ne suis pas orateur, je n'endors personne, et je vous dis que je suis père de famille, que j'ai une femme et cinq enfants que je veux bien laisser ici à la garde de ma section pour aller combattre l'ennemi. Mais je n'entends pas que, pendant ce temps-là, les scélérats qui sont dans cette prison, à qui d'autres scélérats viendront ouvrir les portes, aillent égorger ma femme et mes enfants. J'ai trois garçons qui seront, je l'espère, un jour plus utiles à la patrie que les coquins que vous voulez conserver. Au reste, il n'y a qu'à les faire sortir ; nous leur donnerons des armes et nous combattrons à nombre égal. Mourir ici, mourir aux frontières, je n'en serai pas moins tué par des scélérats, et je leur vendrai chèrement ma vie. Mais, soit par moi, soit par d'autres, la prison sera purgée de ces sacrés gueux-là. — Un cri général s'élève : Il a raison, point de grâce, il faut entrer. Tout ce que la foule accorde, c'est un tribunal improvisé, la lecture du livre d'écrou, des jugements accélérés : on condamnera et on tuera d'après la commune renommée ; cela simplifie. Autre simplification plus redoutable encore : on condamnera et tuera par catégories. Suisses, prêtres, officiers ou serviteurs du roi, chenilles de la liste civile, chacun de ces titres suffit. Dans les enclos où il n'y a que des prêtres ou des Suisses, on ne prendra pas la peine de juger, on égorgera en tas. — Ainsi réduite, l'opération est à la portée des opérateurs ; le nouveau souverain a les bras forts autant que l'intelligence courte, et, par une adaptation inévitable, il ravale son œuvre au niveau de ses facultés. A son tour, son œuvre le pervertit et le dégrade. Ce n'est pas impunément qu'un homme, surtout un homme du peuple, pacifié par une civilisation ancienne, se fait souverain et, du même coup, bourreau. Il a beau s'exciter contre ses patients et s'entraîner en leur criant des injures[101] ; il sent vaguement qu'il commet une action énorme, et son âme, comme celle de Macbeth, est pleine de scorpions. Par une contraction terrible, il se raidit contre l'humanité héréditaire qui tressaille en lui ; elle résiste, il s'exaspère, et, pour l'étouffer, il n'a d'autre moyen que de se gorger d'horreurs[102] en accumulant les meurtres. Car le meurtre, surtout tel qu'il le pratique, c'est-à-dire à l'arme blanche et sur des gens désarmés, introduit dans sa machine animale et morale deux émotions extraordinaires et disproportionnées qui la bouleversent, d'une part la sensation de la toute-puissance exercée sans contrôle, obstacle, ou danger sur la vie humaine et sur la chair sensible[103], d'autre part la sensation de la mort sanglante et diversifiée, avec son accompagnement toujours nouveau de contorsions et de cris[104] ; jadis, dans les cirques romains, on ne pouvait s'en détacher : celui qui avait vu le spectacle une fois y revenait tous les jours. Et justement, aujourd'hui, chaque cour de prison est un cirque, avec cette aggravation que les spectateurs y sont acteurs. — Ainsi, pour eux, les deux brûlantes liqueurs se mêlent en un seul breuvage. A l'ivresse morale ajoutez l'ivresse physique, le vin à profusion, les rasades à chaque pause, l'orgie sur les cadavres ; et tout de suite, de la créature dénaturée, vous verrez sortir le démon de Dante, à la fois bestial et raffiné, non seulement destructeur, mais encore bourreau inventeur et calculateur de souffrances, tout glorieux et joyeux du mal qu'il fait. Ils sont gais ; autour de chaque nouveau cadavre, ils
dansent, ils chantent la carmagnole[105] ; ils font
lever les curieux du quartier pour les amuser,
pour leur donner part à la bonne fête[106]. Des bancs sont
disposés pour les messieurs, et d'autres pour
les dames : celles-ci, plus curieuses,
veulent en outre contempler à leur aise les
aristocrates déjà tués : en conséquence, on requiert des lampions et
on en pose un sur chaque cadavre. — Cependant la boucherie continue et se
perfectionne. A l'Abbaye[107], un tueur se plaint de ce que les aristocrates meurent trop
vite et de ce que les premiers ont seuls le plaisir de les frapper ; désormais
on ne les frappera plus qu'avec le dos des sabres, et on les fera courir
entre deux haies d'égorgeurs, comme jadis le soldat qui passait par les
baguettes. S'il s'agit d'un homme connu, on s'entend encore plus
soigneusement pour prolonger son supplice. A la Force, les fédérés qui
viennent prendre M. de Rulhières jurent avec d'affreux
serments de couper la tête à celui d'entre eux qui lui donnera un coup de
pointe ; au préalable, ils le mettent nu, puis, pendant une
demi-heure, à coups de plat de sabre, ils le déchiquettent tout ruisselant de
sang et le dépouillent jusqu'aux entrailles.
— Tous les monstres qui rampaient enchaînés dans les bas-fonds du cœur
sortent à la fois de la caverne humaine, non seulement les instincts haineux
avec leurs crocs[108], mais aussi les
instincts immondes avec leur bave, et les deux meutes réunies s'acharnent sur
les femmes que leur célébrité infâme ou glorieuse a mises en évidence, sur
Mme de Lamballe, amie de la reine, sur la Desrues, veuve du fameux
empoisonneur, sur une bouquetière du Palais-Royal qui, deux ans auparavant,
dans un accès de jalousie, a mutilé son amant, un garde-française. Ici à la
férocité s'adjoint la lubricité pour introduire la profanation dans la
torture et pour attenter à la vie par des attentats à la pudeur. Dans Mme de
Lamballe tuée trop vite, les bouchers libidineux ne peuvent outrager qu'un
cadavre ; mais, pour la Desrues[109], surtout pour
la bouquetière, ils retrouvent, avec les imaginations de Néron, le cadre de
feu des Iroquois[110]. — De l'Iroquois
au cannibale la distance est courte, et quelques-uns la franchissent. A
l'Abbaye, un ancien soldat, nommé Damiens, enfonce son sabre dans le flanc de
l'adjudant général de Laleu, plonge sa main dans l'ouverture, arrache le
cœur, et le porte à sa bouche comme pour le dévorer.
Le sang, dit un témoin oculaire[111], dégouttait de sa bouche et lui faisait une sorte de
moustache. A la Force on dépèce Mme de Lamballe ; ce qu'a fait le
perruquier Charlot qui portait sa tête, je ne puis l'écrire ; je dirai
seulement qu'un autre, rue Saint-Antoine, portait son cœur et le mordait[112]. Ils tuent et ils boivent ; puis ils tuent encore et ils boivent encore. La lassitude vient et l'hébétement commence. Un d'eux, garçon charron, en a expédié dix-sept pour sa part ; un autre a tant travaillé la marchandise que la lame de son sabre y est restée ; depuis deux heures, dit un fédéré[113], que j'abats des membres de droite et de gauche, je suis plus fatigué qu'un maçon qui bat du plâtre depuis deux jours. Leur première colère s'est usée, maintenant ils frappent en automates[114]. Quelques-uns dorment étendus sur des bancs. D'autres, en tas, cuvent leur vin à l'écart. La vapeur du carnage est si forte, que le président du comité civil s'évanouit sur sa chaise[115], et les exhalaisons du cabaret montent avec celles du charnier. Une torpeur pesante et morne envahit par degrés les cerveaux offusqués, et les dernières lueurs de raison s'y éteignent une à une, comme les lampions fumeux qui brûlent alentour sur les poitrines déjà froides des morts. A travers la physionomie qui s'abêtit, on voit, au-dessous du bourreau et du cannibale, apparaître l'idiot. C'est l'idiot révolutionnaire, en qui toutes les idées ont sombré, sauf deux, rudimentaires, machinales et fixes, l'une qui est l'idée du meurtre, l'autre qui est l'idée du salut public. Solitaires dans sa tête vide, elles se rejoignent par une attraction irrésistible, et l'on devine l'effet qui va jaillir de leur rencontre. Y a-t-il encore de la besogne ? disait un tueur dans la cour déserte. — S'il n'y en a plus, répondent deux femmes à la porte, il faudra bien en faire[116]. Et naturellement on en fait. Puisqu'il s'agit de nettoyer les prisons, autant vaut les nettoyer toutes et tout de suite. Après les Suisses, après les prêtres, après les aristocrates et les messieurs de la peau fine, il reste les condamnés et les reclus de la justice ordinaire, les voleurs, assassins et galériens de la Conciergerie, du Châtelet et de la tour Saint-Bernard, les femmes marquées, les vagabonds, les vieux mendiants et les jeunes détenus de Bicêtre et de la Salpêtrière. Tout cela n'est bon à rien, coûte à nourrir[117], et probablement a de mauvais projets. Par exemple, à la Salpêtrière, la femme de l'empoisonneur Desrues est certainement, comme lui, intrigante, méchante et capable de tout ; elle doit être furieuse d'être en prison ; si elle pouvait, elle mettrait le feu à Paris ; elle doit l'avoir dit ; elle l'a dit[118] : encore un coup de balai. — Et le balai, pour cette besogne plus sale, entre en mouvement sous de plus sales mains ; il y a des habitués de geôle parmi ceux qui empoignent le manche. Déjà à l'Abbaye, surtout vers la fin, les tueurs volaient[119] ; ici, au Châtelet et à la Conciergerie, ils emportent tout ce qui leur parait propre à emporter, jusqu'aux habits des morts, jusqu'aux draps et couvertures de la prison, jusqu'aux petites épargnes des geôliers ; et, de plus, ils racolent des confrères. Sur 36 prisonniers mis en liberté, il y avait beaucoup d'assassins et de voleurs ; la bande des tueurs se les associa. Il y avait aussi 75 femmes, en partie détenues pour vol ; elles promirent de bien servir leurs libérateurs ; effectivement, plus tard, aux Jacobins et aux Cordeliers, elles seront les tricoteuses des tribunes[120]. — A la Salpêtrière, tous les souteneurs de Paris, les anciens espions... les libertins, les sacripants de la France et de l'Europe se sont préparés d'avance à l'opération, et le viol alterne avec le massacre[121]. — Jusqu'ici du moins le meurtre a eu pour assaisonnement le vol et la débauche ; mais à Bicêtre il est tout cru ; il n'y a que l'instinct carnassier qui se gorge. Entre autres détenus, 43 enfants du bas peuple, âgés de douze à dix-sept ans, étaient là, placés en correction par leurs parents ou par leurs patrons[122] ; il n'y avait qu'à les regarder pour reconnaître en eux les vrais voyous parisiens, les apprentis de la misère et du vice, les futures recrues de la bande régnante, et la bande tombe sur eux à coups de massue. Rien de plus difficile à tuer ; à cet âge, la vie est tenace, il faut redoubler pour en venir à bout. Là-bas, dans ce coin, disait un geôlier, on avait fait de leurs corps une montagne. Le lendemain, quand il a fallu les enterrer, c'était un spectacle à fendre l'âme. Il y en avait un qui avait l'air de dormir, comme un ange du bon Dieu ; mais les autres étaient horriblement mutilés[123]. — Cette fois, on est descendu au-dessous de, l'homme, dans les basses couches du règne animal, au-dessous du loup : les loups n'étranglent pas les louveteaux. VI Six jours et cinq nuits de tuerie non interrompue[124], 171 meurtres à l'Abbaye, 169 à la Force, 223 au Châtelet, 328 à la Conciergerie, 73 à la tour Saint-Bernard, 120 aux Carmes, 79 à Saint-Firmin, 170 à Bicêtre, 35 à la Salpêtrière, parmi les morts 250 prêtres, 3 évêques ou archevêques, des officiers généraux, des magistrats, un ancien ministre, une princesse du sang, les plus beaux noms de la France, et d'autre part un nègre, des femmes du peuple, des gamins, des forçats, de vieux pauvres : à présent, quel est l'homme, grand ou petit, qui ne se sente pas sous le couteau ? — D'autant plus que la bande s'est accrue. Fournier, Lazowski et Bécard, assassins et voleurs en chef, reviennent d'Orléans avec leurs 1.500 coupe jarrets[125] ; en chemin, ils ont égorgé M. de Brissac, M. Delessart et 42 autres accusés de lèse-nation qu'ils ont arrachés à leurs juges, puis par surcroît, à l'exemple de Paris, 21 détenus qu'ils sont allés prendre dans les prisons de Versailles ; maintenant, à Paris, ils sont remerciés par le ministre de la justice, félicités par la Commune, fêtés et embrassés dans leurs sections[126]. — Quelqu'un peut-il douter qu'ils ne soient prêts à recommencer ? Peut-on faire un pas dans Paris ou hors de Paris sans subir leur oppression ou le spectacle de leur arbitraire ? — Si l'on sort, on trouve leurs pareils en sentinelle à la barrière, puis en permanence au comité de la section. Malouet, conduit devant celui du Roule[127], voit un pandémonium d'énergumènes, cent individus au moins dans la même salle, suspects, dénonciateurs, coopérateurs, assistants, au centre une longue table verte chargée d'épées et de poignards, alentour les membres du comité, vingt patriotes en chemise, les bras retroussés, les uns tenant des pistolets, les autres des plumes, et signant des mandats d'arrêt, s'injuriant, se menaçant, parlant tous à la fois et criant : Traître ! — Conspirateur ! — En prison ! — A la guillotine ! — derrière eux les spectateurs pêle-mêle, vociférant et gesticulant comme des bêtes fauves qui, entassées dans la même cage, se montrent les dents et vont sauter les unes sur les autres. L'un des plus animés, brandissant son sabre pour frapper son antagoniste, s'arrêta en me voyant et s'écria : Voilà Malouet ! — Mais le champion adverse, moins occupé de moi que de son ennemi, saisit cet instant pour l'assommer d'un coup de crosse. Malouet est sauvé, tout juste ; on ne s'échappe de Paris que par ces sortes de chances. — Si l'on reste ; on est assiégé d'images funèbres : c'est dans chaque rue le pas accéléré des escouades qui mènent les suspects au comité ou en prison ; c'est autour de chaque prison un attroupement qui vient voir les désastres ; c'est la criée établie dans la cour de l'Abbaye pour vendre à l'encan les habits des morts ; c'est le bruit des tombereaux qui, jour et nuit, roulent sur le pavé pour emporter 1.300 cadavres ; ce sont les chansons des femmes qui, montées sur la charrette pleine, battent la mesure sur les corps nus[128]. Est-il un homme qui, après une de ces rencontres, ne se voie en imagination, lui aussi, au comité de section devant la table verte, puis dans la prison sous les sabres, puis sur la charrette dans le monceau sanglant ? Sous une pareille vision, les courages s'affaissent ; tous les journaux approuvent, pallient ou se taisent ; personne n'ose résister à rien. Les biens comme les vies appartiennent à qui veut les prendre. Aux barrières, aux Halles, sur le boulevard du Temple, des filous parés du ruban tricolore arrêtent les passants, saisissent les marchandes, et, sous prétexte que les bijoux doivent être déposés sur l'autel de a Patrie, prennent les bourses, les montres, les bagues et le reste, si rudement, que des femmes ont les oreilles arrachées faute d'avoir décroché leurs boucles assez vite[129]. D'autres, installés dans les caves des Tuileries, y vendent à leur profit le vin et l'huile de la nation. Quelques-uns, élargis huit jours auparavant par le peuple, flairent un plus grand coup, s'introduisent dans le Garde-Meuble et y volent pour 30 millions de diamants[130]. — Comme un homme frappé d'un coup de masse à la tête, Paris, assommé, se laisse faire, et les auteurs du massacre ont atteint leur objet : la faction s'est ancrée au pouvoir, on ne l'en arrachera plus. Ni dans la Législative ni dans la Convention, les velléités des Girondins ne prévaudront contre son usurpation tenace. Elle a prouvé par un exemple éclatant qu'elle est capable de tout, et elle s'en vante ; elle n'a pas désarmé, elle est toujours là debout, anonyme et prête, avec son principe meurtrier, avec ses procédés expéditifs, avec son personnel de fanatiques et de sicaires, avec Maillard et Fournier, avec ses canons et ses piques. Tout ce qui n'est pas elle ne vit que sous son bon plaisir, au jour le jour et par grâce. On le sait : l'Assemblée ne songe plus à déloger des gens qui répondent aux décrets d'expulsion par le massacre ; il n'est plus question d'examiner leurs comptes ou de les contenir dans les limites de la loi. Leur dictature est incontestée, et leurs épurations continuent. En onze jours, quatre à cinq cents nouveaux prisonniers, arrêtés par l'ordre de la municipalité, des sections, d'un Jacobin quelconque, sont entassés dans les cellules encore tachées du sang répandu, et le bruit court que, le 20 septembre, les prisons seront vidées par un second massacre[131]. — Que la Convention, si elle veut, s'installe pompeusement en souveraine et fasse tourner la machine à décrets ; peu importe : régulier ou irrégulier, le gouvernement marchera toujours sous la main qui tient le sabre. Par la terreur improvisée, les Jacobins ont maintenu leur autorité illégale ; par la terreur prolongée, ils vont établir leur autorité légale. A l'Hôtel de Ville, dans les tribunaux, à la garde nationale, aux sections, dans les administrations, les suffrages contraints vont leur donner les places, et déjà ils ont fait élire à la Convention Marat, Danton, Fabre d'Églantine, Camille Desmoulins, Manuel, Billaud-Varennes, Panis, Sergent, Collot-d'Herbois, Robespierre, Legendre, Osselin, Fréron, David, Robert, Lavicomterie, bref les instigateurs, les conducteurs, les complices du massacre[132]. Rien n'a été omis de ce qui pouvait forcer et fausser le vote. Au préalable, on a imposé à l'Assemblée électorale la présence du peuple, et, à cet effet, on l'a transférée dans la grande salle des Jacobins sous la pression des galeries jacobines. Par une seconde précaution, on a exclu du vote tout opposant, tout constitutionnel, tout ancien membre du club monarchique, du club de la Sainte-Chapelle et du club des Feuillants, tout signataire de la pétition des 20.000 ou de la pétition des 8000, et, quand des sections ont protesté, on a rejeté leur réclamation comme le fruit d'une intrigue. Enfin, à chaque tour de scrutin, on a fait l'appel nominal, et chaque électeur a dû voter à haute voix ; on était sûr d'avance que son vote serait bon ; les avertissements qu'il avait reçus étaient trop nets. Le 2 septembre, pendant que l'assemblée électorale tenait à l'évêché sa première séance, les Marseillais, à cinq cents pas de là, venaient prendre les vingt-quatre prêtres de la mairie et dans le trajet, sur le Pont-Neuf, les lardaient déjà à coups de sabre. Toute la soirée et toute la nuit, à l'Abbaye, aux Carmes, à la Force, les ouvriers de la municipalité ont travaillé, et, le 3 septembre, quand l'assemblée électorale s'est transportée aux Jacobins, elle a passé sur le Pont-au-Change entre deux haies de cadavres que les tueurs apportaient du Châtelet et de la Conciergerie. |
[1] Thierry, fils de Clovis, ne voulant pas prendre part à l'expédition que ses frères faisaient en Bourgogne, ses hommes lui dirent : Si tu ne veux pas aller en Bourgogne avec tes frères, nous te quitterons et nous les suivrons à ta place. — Un autre, Clotaire, ayant voulu faire la paix avec les Saxons, les Francs, irrités, se jetèrent sur lui, l'accablèrent d'outrages et menacèrent de le tuer, s'il différait de venir avec eux. Sur quoi, il se mit en marche à leur tête. (Grégoire de Tours.)
[2] La condition sociale et le degré de culture sont souvent indiqués par l'orthographe — Granier de Cassagnac, II, 480. Signature de Bécard, commandant en second de l'expédition qui ramena les prisonniers d'Orléans : Bécard, comandant congointement aveque M. Fournier generalle. Archives nationales, F7, 4426. Lettre de Chemin, commissaire de la section des Gravilliers, à Santerre, 11 août 1792 : Mois Charles Chemin comisaire... fait part à Monsieur Santaire générale de la troupe parisiene que le nommé Hingray cavaliers de la gendarmerie nationalle... ma déclarés qu'ille sestes trouvés aux jourduis 11 aoux avec une home atachés à la cours aux Équris ; quille lui aves dis quiere 800 home a peupres des sidevant garde du roy étes tous près a fondre sure Paris pour donaire du sécour a naux rébelle et a signer avec moi la presante.
[3] Le 19 mars 1871, rue de Varennes, rencontrant un fédéré qui avait prie part au pillage de l'École d'état-major et revenait avec deux fusils sur l'épaule, je lui dis : Mais c'est la guerre civile, et vous allez faire entrer les Prussiens dans Paris. — J'aime mieux les Prussiens que M. Thiers ; M. Thiers est le Prussien de l'intérieur.
[4] Moniteur, n° du 14 novembre 1792.
[5] Buchez et Roux, XVII, 31.
[6] Archives nationales, F7, 4426. Lettre des administrateurs de police, 11 août. Déclaration de Delaunay, 12 août.
[7] Buchez et Roux, XVII, 59, séance du 12 août. Discours de Leprieur à la barre.
[8] Ibid., XVII, 47. — Mortimer-Ternaux, III, 31. Discours de Robespierre à la barre de l'Assemblée, an nom de la Commune, 15 août.
[9] Mot de Brissot dans son rapport sur cette pétition de Robespierre. — Les noms des principaux juges élus sont significatifs : Fouquier-Tinville, Osselin, Coffinhal.
[10] Buchez et Roux, XVII, 91 (17 août).
[11] Récit de Pétion dans son discours (Moniteur du 10 novembre 1792).
[12] Buchez et Roux, XVII, 116, séance du 23 août.
[13] Mortimer-Ternaux, III, 461. — Moore, I, 273 (31 août).
[14] Buchez et Roux, XVII, 207 (article de Prudhomme dans les Révolutions de Paris).
[15] Les Révolutions de Paris, ibid. : Il y avait là bon nombre de sans-culottes avec leurs piques ; mais ils étaient de beaucoup surpassés par la multitude des uniformes de tous les bataillons. — Moore, 31 août : A présent, les habitants du faubourg Saint-Antoine et Saint-Marceau sont tout ce qu'on aperçoit (all that is felt) à Paris du peuple souverain.
[16] Moore, 26 août.
[17] Mortimer-Ternaux, III, 471. Acte d'accusation contre Jean Julien. Quand nous renvoyons à M. Mortimer-Ternaux, c'est parce que, en vrai critique, il apporte des pièces authentiques et souvent inédites.
[18] Rétif de la Bretonne, les Nuits de Paris, XIe nuit, p. 372.
[19] Moore, 2 septembre.
[20] Moore, 3 septembre. — Buchez et Roux, XVI, 159. (Récit de Tallien). — Procès-verbaux de la Commune de Paris, 4 septembre. (Dans la collection de Barrière et Berville, volume intitulé Mémoires sur les journées de septembre.) La Commune adopte et grossit la fable qu'elle a peut-être inventée. — Prudhomme remarque très bien que la légende du complot des prisons, si grossièrement exploitée sous la Terreur, apparaît pour la première fois au 2 septembre. Le même bruit fut répandu dans les campagnes. Près de Gennevilliers, un paysan, tout en déplorant les massacres, disait à Malouet : Aussi, c'est bien terrible que les aristocrates voulussent tuer tout le peuple en faisant sauter la ville. (Malouet, II, 244.)
[21] Procès-verbaux de la Commune, 11 août.
[22] Mortimer-Ternaux, II, 446. Liste des commissaires de section qui siégeaient à l'Hôtel de Ville, le 10 août avant 9 heures du matin.
[23] Procès-verbaux de la Commune, 21 août, Le conseil général de la Commune, considérant que, pour assurer le salut public et la liberté, il a besoin de tout le pouvoir que le peuple lui a délégué au moment où il a été forcé de reprendre l'exercice de ses droits, envoie une députation à l'Assemblée nationale pour exiger que le nouveau département soit converti purement et simplement en commission des contributions. — Mortimer-Ternaux, III, 25. Discours de Robespierre au nom de la Commune : Quand le peuple a sauvé la patrie, quand vous avez ordonné une Convention nationale qui doit vous remplacer, qu'avez-vous à faire qu'à satisfaire son vœu ?... Le peuple, forcé de veiller à son propre salut, a pourvu à sa sûreté par ses délégués... Il faut que ceux qu'il a choisis lui-même pour ses magistrats aient toute la plénitude du pouvoir qui convient au souverain.
[24] Procès-verbaux de la Commune, 10 août. — Mortimer-Ternaux, III, 153. Lettre du ministre Servan, 30 août. — Ibid., 149. — Ibid., 148. La commission des subsistances ayant été cassée par la Commune, Roland, ministre de l'intérieur, prie l'Assemblée de prendre des mesures promptes, car il ne répond plus des subsistances de Paris.
[25] Procès-verbaux de la Commune, 21 août : Arrêté pour exiger que, dans les procès de lèse-nation, les défenseurs officieux soient munis d'un certificat de probité délivré par leur section assemblée, et que les conférences entre eux et l'accusé soient publiques. — Ibid., 17 août : Arrêté pour suspendre l'exécution des deux assassins du maire Simonneau, condamnés à mort par le tribunal de Seine-et-Oise.
[26] Mortimer-Ternaux, III, 11. Décret du 11 août.
[27] Prudhomme, Révolutions de Paris, n° du 22 septembre. (Rapport de Roland à l'Assemblée nationale, le 16 septembre, à 9 heures du malin.)
[28] Mme Roland, Mémoires, II, 414 (éd. Barrière et Berville). Rapport de Roland du 29 octobre. La saisie dont il s'agit est du 27 août.
[29] Mémoires sur les journées de septembre (éd. Barrière et Berville, p. 307-322). État des sommes payées par le trésorier de la commune. Sur la prolongation de ces vols, voyez le rapport de Roland du 29 octobre, enlèvement de l'argent, de l'argenterie et des assignats de l'hôpital de Senlis (13 septembre), déménagement de l'hôtel de Coigny, vente du mobilier de l'hôtel d'Egmont, etc.
[30] Procès-verbaux de la Commune, 17 et 20 août. — État des sommes payées par le trésorier de la Commune, p. 321. — Le 28 août, un Saint Roch d'argent est apporté à la barre de l'Assemblée nationale.
[31] Mortimer-Ternaux, III, 150, 161, 511. — Rapport de Roland, du 29 octobre, p. 414.
[32] Moniteur, XIII, 514, 542, séances des 23 et 26 août.
[33] Mortimer-Ternaux, III, 99, séances des 15 et 23 août. — Procès-verbaux de la Commune, 18 août : Arrêté pour obtenir une loi qui autorise la Commune à réunir les femmes et les enfants des émigrés dans des maisons de sûreté, et à employer à cet effet les maisons ci-devant religieuses.
[34] Procès-verbaux de la Commune, 12 août. — Ibid., 18 août. La commune n'ayant pu mettre la main sur le journaliste Geoffroy, arrête que les scellés seront apposés chez Mme Geoffroy, qu'elle sera mise en état d'arrestation, jusqu'à ce que son mari vienne la délivrer.
[35] Procès-verbaux de la Commune, 17 et 18 août. De plus, arrêté pour demandera l'Assemblée nationale la liste des signataires et l'imprimer.
[36] Procès-verbaux de la Commune, 18, 19, 20 août. — Le 20 août la Commune interroge l'ambassadeur de Venise qu'elle a mandé devant elle. Un citoyen réclame la parole contre M. l'ambassadeur et dit que, sous le nom de cet ambassadeur, plusieurs voitures sont sorties de Paris. Ce citoyen s'appelle Chevalier, garçon maréchal... Le conseil arrêta que mention honorable sera faite sur le procès-verbal de la dénonciation. Sur le ton des interrogatoires, lire Weber (Mémoires, II, 245), qui raconte le sien.
[37] Buchez et Roux, XVII, 215. Récit de Peltier. — Malgré les ordres de l'Assemblée nationale, l'opération recommença le lendemain et dura du 19 août jusqu'au 31 au soir. — Moore, 31 août. La sottise vaniteuse et moutonnière du bourgeois racolé pour faire l'office de gendarme au profit des sans-culottes est très bien peinte ici. Le mettre de l'hôtel Meurice, où Moore et lord Lauderdale étaient logés, a été de garde et de chasse la nuit précédente : Il parlait beaucoup de sa fatigue et faisait quelques allusions aux dangers qu'il avait courus dans l'exercice de ce pénible devoir. On lui demanda s'il avait été heureux dans sa recherche des suspects, — Oui, milord, dit-il, infiniment : notre bataillon a attrapé quatre prêtres. — Il n'aurait pas eu l'air plus fier, s'il avait pris le duc de Brunswick.
[38] Selon Rœderer, le nombre des personnes arrêtées fut de cinq à six mille.
[39] Mortimer-Ternaux, III, 147, 148, 28 et 29 août. — Ibid., 176. D'autres sections élèvent des plaintes très vives contre la Commune. — Buchez et Roux, XVII, 868. — Procès-verbaux de la Commune, 1er septembre : La section du Temple envoie une députation qui déclare qu'en vertu du décret de l'Assemblée nationale elle retire ses pouvoirs aux commissaires qu'elle a nommés au conseil général.
[40] Mortimer-Ternaux, III, 154, séance du 30 août.
[41] Mortimer-Ternaux, III, 171, séance du 31 août. Ibid., 208. — Le lendemain, 1er septembre, à l'instigation de Danton, Thuriot obtient de l'Assemblée nationale un décret ambigu qui semble permettre aux membres de la Commune de siéger encore, au moins provisoirement, à l'Hôtel de Ville.
[42] Procès-verbaux de la Commune, 1er septembre.
[43] Procès-verbaux de la Commune, septembre : Il est arrêté que les effets qui sont tombés au pouvoir des citoyens combattant pour la liberté et l'égalité dans la journée du 10 août resteront en leur possession, et conséquemment M. Tallien, secrétaire-greffier, est autorisé à remettre une montre d'or à M. Lecomte, gendarme.
[44] Quatre indices simultanés et concordants fixent cette date : 1° le 23 août, le conseil général arrête qu'il sera ménagé dans la salle une tribune pour un journaliste (M. Marat), lequel sera chargé de rédiger un journal des arrêtés et de ce qui se passe à la Commune (Procès-verbaux de la Commune, 23 août) ; — 2° le même jour, sur la proposition d'un membre tendant à séparer les prisonniers de lèse-nation de ceux des mois de nourrices et autres pareils des différentes prisons, le conseil a adopté cette mesure. (Granier de Cassagnac, II, 100) ; — 3° le même jour, la Commune applaudit les députés d'une section qui, en termes brillants viennent lui dénoncer les lenteurs de la justice et lui déclarer que le peuple immolera les prisonniers dans leurs prisons (Moniteur, 10 novembre 1792. Récit de Pétion) ; — 4° le même jour, elle députe à l'Assemblée, pour lui commander de transférer à Paris les prisonniers d'Orléans (Buchez et Roux, XVII, 116). Le lendemain, malgré les défenses de l'Assemblée, elle achemine Fournier et sa bande vers Orléans (Mortimer-Ternaux, III, 364), et chacun mit d'avance que Fournier a commission pour les égorger en route. (Balleydier, Histoire politique et militaire du peuple de Lyon, I, 79. Lettre de Laussel, datée de Paris, 28 août :) Nos volontaires sont à Orléans depuis deux ou trois jours pour y expédier les prisonniers contre-révolutionnaires, qu'on traitait trop bien. Le jour du départ de Fournier (24 août), Moore remarque au Palais-Royal et aux Tuileries que le nombre des orateurs en plein vent est plus grand que jamais, qu'ils sont visiblement apostés et payés, et qu'ils déclament contre les crimes des rois.
[45] Moniteur du 25 septembre 1792. Discours de Marat à la Convention.
[46] Voyez ses deux journaux, l'Ami du peuple et le Journal de la République française, notamment de juillet à octobre 1792. — Titre du n° du 16 août : Développement de l'atroce complot de la cour pour faire périr s par le fer et Le feu tous les patriotes. — Titre du n° du 19 août : Les infatués pères conscrits du Manège trahissant le peuple et cherchant à faire traîner le jugement des trams jusqu'à l'arrivée de Moitié, qui marche avec son armée sur Paris pour égorger les patriotes. — Titre du numéro du 21 août : Les gangrenés de l'Assemblée, complices du perfide Moitié, lui ménageant les moyens de fuir... Les pères conscrits, assassins des patriotes dans les massacres de Nancy, du Champ de Mars et des Tuileries etc. — Tout cela était hurlé chaque matin dans les rues par les colporteurs ambulants du journal.
[47] L'Ami du peuple, n° du 19 et du 21 août.
[48] Lettres autographes de Mme Roland, publiées par Mme Bancal des Issarts, 9 septembre au soir : Danton conduit tout ; Robespierre est son mannequin ; Marat tient sa torche et son poignard.
[49] Mme Roland, Mémoires, II, 19 (Note de Roland). — Ibid., 21, 23, 24. Mot de Monge : C'est Danton qui le veut ; si je le refuse, il me dénoncera à la Commune, aux Cordeliers, et me fera pendre. — La commission de Fournier à Orléans était en règle, et Roland l'avait signée probablement par surprise, comme celles des commissaires envoyés dans les départements par le conseil exécutif. (Cf. Mortimer-Ternaux, III, 368.)
[50] La personne qui me raconte le fait suivant le tient du roi Louis-Philippe, alors officier dans le corps de Kellermann. — Le soir de la bataille de Valmy, le jeune officier est envoyé à Paris pour porter la nouvelle. En arrivant (22 ou 23 septembre 1192), il apprend qu'on l'a remplacé, qu'il est nommé gouverneur de Strasbourg. Il va chez Servan, ministre de la guerre ; on refuse d'abord de l'introduire : Servan est malade, au lit, avec tous les ministres autour de lui. Il dit qu'il arrive de l'armée et apporte des nouvelles ; il est admis, trouve en effet Servan au lit, avec différents personnages autour de lui, annonce la victoire. — On l'interroge, il donne des détails. — Puis il se plaint d'avoir été remplacé, dit qu'il est trop jeune pour commander avec autorité à Strasbourg, redemande son poste dans l'armée active. — Impossible, répond Servan, la place est donnée, un autre est nommé. Là-dessus, un des personnages présents, d'une figure étrange et d'une voix rude, le prend à part et lui dit : Servan est un imbécile, venez me voir demain, j'arrangerai votre affaire. — Qui êtes-vous ? — Danton, ministre de la justice. — Il va le lendemain chez Danton qui lui dit : C'est arrangé, vous aurez le même poste, pas sous Kellermann, mais sous Dumouriez. Cela vous va-il ? — Le jeune homme, enchanté, remercie. L'autre reprend : Un conseil avant votre départ. Vous avez du talent, vous arriverez ; mais défaites-vous d'un défaut : vous parlez trop ; vous êtes à Paris depuis vingt-quatre heures, et, déjà, plusieurs fois, vous avez blâmé l'affaire de septembre. Je le sais, je suis informé. — Mais c'est un massacre ; peut-on s'empêcher de trouver qu'il est horrible ? — C'est moi qui l'ai fait. Tous les Parisiens sont des j... f... Il fallait mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés. Vous êtes trop jeune pour comprendre de telles choses. Retournez à l'armée, c'est le seul poste aujourd'hui pour un homme comme vous et de votre rang. Vous avez un avenir ; mais n'oubliez pas qu'il faut vous taire.
[51] Hua, 167. Récit de son hôte, le médecin Lambry, ami intime de Danton, très fanatique et membre d'un comité où l'on avait examiné s'il fallait tuer aussi les membres du côté droit : Danton avait repoussé avec force celte proposition sanguinaire. — On sait, que je ne recule pas devant le crime quand il est nécessaire, mais je le dédaigne quand il est inutile.
[52] Mortimer-Ternaux, IV, 437. Mot de Danton à propos des commissaires effervescents qu'il envoyait dans les départements. Eh ! f... ! croyez-vous qu'on vous enverra des demoiselles ?
[53] Philippe de Ségur, Mémoires, I, 12. Conversation de son père avec Danton quelques semaines après le 2 septembre.
[54] Voyez ci-dessus le récit du roi Louis-Philippe.
[55] Buchez et Roux, XVII, 347. Paroles de Danton à l'Assemblée nationale, le 2 septembre, un peu avant deux heures, juste au moment où le tocsin et le canon d'alarme donnaient le signal convenu. — Déjà, le 31 sont, son affidé Tallien disait à l'Assemblée nationale : Nous avons fait arrêter les prêtres perturbateurs ; ils sont enfermés dans une maison particulière, et, sous peu de jours, le sol de la liberté sera purgé de leur présence.
[56] Meillan, Mémoires, 325 (éd. Barrière et Berville). Discours de Fabre d'Églantine aux Jacobins, envoyé aux sociétés affiliées le 1er mai 1793.
[57] Robinet, Procès des Dantonistes, 39, 45 (paroles de Danton dans le comité de défense générale). — Mme Roland, Mémoires, II, 30. Le 2 septembre, Grandpré, chargé de rendre compte au ministre de l'intérieur de l'état des prisons, attend Danton à l'issue du conseil et lui expose ses alarmes. Danton, importuné de la représentation, s'écria avec sa voix beuglante et un geste approprié à l'expression ; Je me f... bien des prisonniers ; qu'ils deviennent ce qu'ils pourront. Et il passa son chemin avec humeur. C'était dans la seconde antichambre, en présence de vingt personnes. — Arnault, II, 101. A l'époque des massacres de septembre, Danton, en présence d'un de mes amis, avait répondu à quelqu'un qui le pressait d'user de son autorité pour arrêter l'effusion du sang : N'est-il pas temps que le peuple ait sa revanche ?
[58] Prudhomme, Crimes de la Révolution, IV, 90. Le 2 septembre, au bruit du tocsin et au canon d'alarme, Prudhomme va chez Danton pour s'informer. Danton lui raconte la fable convenue et ajoute : Le peuple, irrité et instruit à temps, veut faire justice lui-même des mauvais sujets qui sont dans les prisons. — Survient Camille Desmoulins : Tiens, lui dit Danton, Prudhomme vient me demander ce que l'on va faire. — Tu ne lui as donc pas dit, reprit Camille, qu'on ne confondra pas les innocents avec les coupables ? Tous ceux qui seront réclamés par leur section seront rendus. — Le 4, Desmoulins vient au bureau du journal et dit aux rédacteurs : Eh bien, tout s'est passé dans le plus grand ordre. Le peuple a même mis en liberté beaucoup d'aristocrates contre lesquels il n'y avait pas de faits directs... J'espère que vous allez rendre un compte exact de tout ceci, car le Journal des révolutions est la boussole de l'opinion publique.
[59] Prudhomme, Crimes de la Révolution, IV, 123. D'après le récit de Théophile Mander, vice-président de section, témoin et acteur dans la scène, et qui autorise Prudhomme à le nommer. — Ensuite, dans la seconde pièce, Mander propose à Pétion et à Robespierre de venir le lendemain à l'Assemblée pour réclamer contre le massacre ; au besoin, l'Assemblée nommera un dictateur pour 24 heures. Garde-t-en bien, répondit Robespierre, Brissot serait dictateur. — Pétion ne dit mot. Tous les ministres étaient parfaitement d'accord pour laisser continuer les égorgements.
[60] Mme Roland, II, 37. — Angers et le département de Maine-et-Loire de 1787 à 1830, par Blordier-Langlois. A la circulaire était jointe une adresse imprimée, intitulée Compte rendu au peuple souverain, revêtu du contreseing du ministre de la justice, avec le sceau du ministre sur le paquet, et adressée aux sociétés jacobines des départements pour prêcher aussi le massacre.
[61] Mortimer-Ternaux, III, 398, 391. — Averti par Alquier, président du tribunal criminel de Versailles, du danger que couraient les prisonniers d'Orléans, Danton lui dit : Que vous importe ? L'affaire de ces gens-là ne vous regarde pas. Remplissez vos fonctions et ne vous mêlez pas d'autre chose. — Mais, monsieur, les lois ordonnent de veiller à la sûreté des prisonniers. — Que vous importe ? Il y a parmi eux de bien grands coupables ; on ne sait pas encore de quel œil le peuple les verra et jusqu'où peut aller son indignation. — Alquier voulut insister, mais Danton lui tourna le dos.
[62] Mortimer-Ternaux, III, 217.
[63] Mme Roland, Lettres autographes, etc., 5 septembre 1792 : Nous sommes ici sous le couteau de Robespierre et de Marat ; ces gens-là s'efforcent d'exciter le peuple et de le tourner contre l'Assemblée nationale et le conseil. Ils ont fait une chambre ardente, ils ont une petite armée qu'ils soudoient à l'aide de ce qu'ils ont trouvé ou volé dans le château et ailleurs ou de ce que leur donne Danton, qui, sous main, est le chef de cette horde. — Dusaulx, Mémoires, 441 : Le lendemain (3 septembre) j'allai trouver l'un des personnages qui avaient le plus de crédit à cette époque. Vous savez, lui dis-je, ce qui se passe ? — Fort bien, calmez-vous, cela finira bientôt, mais il faut encore un peu de sang. — J'en vis d'autres qui s'expliquèrent encore plus nettement. — Mortimer-Ternaux, II, 445.
[64] Procès-verbaux de la Commune, 17 août. — Buchez et Roux, XII, 206. Récit de la fête du 27 août, dénonciation contre Chénier qu'on n'appelle plus à présent que Chénier le chapelain. — Weber, II, 274, 275.
[65] Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, 3e partie, chapitre X.
[66] Prudhomme, les Révolutions de Paris, n° du 22 septembre. A l'une des dernières séances de la Commune, M. Panis parla de Marat comme d'un prophète, comme d'un autre Siméon stylite. Marat, dit-il, est demeuré six semaines sur une fesse dans un cachot. — Barbaroux, 64.
[67] Weber, II, 348. Collot s'étendit tout au long avec joie et sang-froid sur le meurtre de Mme de Lamballe et sur les abominations qu'avaient subies son cadavre. Il ajouta, en soupirant de regret, que, s'il avait été consulté, il aurait fait servir, dans un plat couvert, la tête de Mme de Lamballe pour le souper de la reine.
[68] Sur le rôle et la présence continue de Robespierre à la Commune, voyez Granier de Cassagnac, II, 55. — Mortimer-Ternaux, III, 205. Discours de Robespierre à la Commune, 1er septembre : Personne n'ose nommer les traîtres. Eh bien, moi, pour le salut du peuple, je les nomme : je dénonce le liberticide Brissot, la faction de la Gironde, la scélérate commission des Vingt et un de l'Assemblée nationale : je les dénonce pour avoir vendu la France à Brunswick et pour avoir reçu d'avance le prix de leur lâcheté. Le 2 septembre, il répète sa dénonciation ; en conséquence, le même jour, des mandats d'arrêt sont lancés par le comité de surveillance contre 30 députés, contre Brissot et Roland. (Mortimer-Ternaux, III, 216, 247.)
[69] Procès-verbaux de la Commune, 30 août. — Mortimer-Ternaux, III, 217 (arrêtés des sections Poissonnière et du Luxembourg). — Granier de Cassagnac, Il, 104 (adhésion des sections Mauconseil, Louvre et Quinze-Vingts).
[70] Granier de Cassagnac, II, 156.
[71] Mortimer-Ternaux, III, 265. — Granier de Cassagnac, XII, 402. Les cinq autres juges étaient aussi des membres de la Commune.
[72] Granier de Cassagnac, II, 313. Registre de l'assemblée générale de la section des Sans-Culottes, 2 septembre. — Mémoires sur les journées de septembre, 151 (déclaration de Jourdan).
[73] Mémoires sur les journées de septembre. Relation de l'abbé Sicard, 111.
[74] Buchez et Roux, XVIII, 109, 178. (La vérité tout entière, par Méhée fils.) — Relation de l'abbé Sicard, 132, 134.
[75] Granier de Cassagnac, II, 92, 93. — Sur la présence et la complicité de Santerre, ibid., 89-99.
[76] Mortimer-Ternaux, III, 277 et 299 (3 septembre). — Granier de Cassagnac, II, 257. Un commissaire de la section des Quatre-Nations écrit dans son compte rendu que la section les a autorisés à prendre les frais sur la chose. — Déclaration de Jourdan, 151. — Lavalette, Mémoires, I, 91. L'initiative de la Commune est encore prouvé par le détail suivant : Vers 5 heures (2 septembre), des municipaux à cheval, portant un drapeau, parcourent les rues en criant : Aux armes ! Ils ajoutaient : L'ennemi approche, vous êtes tous perdus, la ville sera livrée aux flammes et au pillage. N'ayez rien craindre des traîtres et des conspirateurs que vous laissez derrière vous ; ils sont sous la main des patriotes, et la justice nationale, avant votre départ, va les frapper de sa foudre. Buchez et Roux, XXVIII, 105. Lettre de Chevalier Saint-Dizier, membre du premier comité de surveillance, 10 septembre : Marat, Duplain, Fréron, etc., ne font en général, dans leur surveillance, qu'exercer des vengeances particulières... Marat dit tout haut qu'il faut abattre encore 40.000 têtes pour assurer le succès de la révolution.
[77] Buchez et Roux, XVIII, 146. Ma Résurrection, par Mathon de la Varenne : La veille, des femmes demi-ivres disaient publiquement sur la terrasse des Feuillants : C'est demain qu'on leur f.... l'âme à l'envers dans les prisons.
[78] Mémoires sur les journées de septembre. Mon agonie, par Journiac de Saint-Méard, 22. — Mme de la Fausse-Landry, 72. Le 29 août, elle a obtenu la permission de rejoindre son oncle en prison : M. Sergent et autres me dirent que je commettais une imprudence, que les prisons n'étaient pas sûres.
[79] Granier de Cassagnac, II, 27. Selon Roch Marcandier, leur nombre n'excédait pas 300. Selon Louvet, ils étaient 200, pas 200 peut-être. Selon Brissot, les massacres ont été commis par une centaine de brigands inconnus. — Pétion, à la Force (ibid., 75), ne trouve, le 6 septembre, qu'une douzaine de bourreaux. Selon Mme Roland (II, 35), ils n'étaient pas 15 à l'Abbaye. Lavalette, le premier jour, ne trouve à la Force qu'une cinquantaine de massacreurs.
[80] Mathon de la Varenne, 137.
[81] Buchez et Roux, XVII, 183, séance des Jacobins du 27 août. Discours d'un fédéré du Tarn. — Mortimer-Ternaux, III, 126.
[82] Sicard, 80. — Méhée, 187. — Weber, II, 219. — Cf., dans Journiac de Saint-Méard, sa conversation avec un Provençal. — Rétif de la Bretonne, les Nuits de Paris, 375 : Vers les deux heures du matin (3 septembre), j'entendis passer sous mes fenêtres une troupe de cannibales dont aucun ne me parut avoir l'accent du Parisis ; ils étaient tous étrangers.
[83] Granier de Cassagnac, II, 164, 502. — Mortimer-Ternaux, III, 530. — Les assesseurs de Maillard à l'Abbaye étaient un horloger demeurant rue Childebert, un fruitier demeurant rue Mazarine, un aubergiste demeurant rue du Four-Saint-Germain, un compagnon chapelier demeurant rue Sainte-Marguerite, et deux autres dont le métier n'est pas indiqué. — Sur la composition du tribunal de l'Abbaye et du tribunal de la Force, cf. Journiac de Saint-Méard, 120, et Weber, II, 261.
[84] Granier de Cassagnac, II, 507 (sur Damiens), 513 (sur Lempereur). — Witten, 388 (sur Laforêt et sa femme, fripiers au quai du Louvre, qui, le 31 mai, se préparent à taire un second coup et calculent que, cette fois, ils auront pour leur part cinquante maisons à piller).
[85] Sicard, 98.
[86] De Ferrières (éd. Berville et Barrière), III, 486. — Rétif de la Bretonne, 381. Au bout de la rue des Ballets, comme on venait de tuer un prisonnier, le suivant enfile le guichet et se sauve : Un homme qui n'était pas des tueurs, mais une de ces machines sans réflexion, comme il y en a tant, l'arrêta par sa pique... Le misérable fut arrêté par les poursuiveurs et massacré. Le piquier nous dit froidement : Moi, je ne savais pas qu'on voulait le tuer.
[87] Granier de Cassagnac, II, 511.
[88] Les juges et les tueurs de l'Abbaye, retrouvés dans le procès de l'an IV, logeaient presque tous dans le voisinage, rues Dauphine, de Nevers, Guénégaud, de Buci, Childebert, Petite rue Taranne, de l'Égout, du Vieux-Colombier, de l'Echaudé-Saint-Benoît, du Four-Saint-Germain, etc.
[89] Sicard, 86, 87, 101. — Jourdan, 123 : Le président du comité de surveillance me répliqua que ces gens-là étaient de très honnêtes gens, que, la veille ou l'avant-veille, un d'entre eux s'était présenté à leur comité en veste et en sabots, tout couvert de sang, qu'il leur avait présenté dans son chapeau 25 louis en or qu'il avait trouvés sur une personne qu'il avait tuée. — Autre trait de probité, dans le Procès-verbal du conseil général de la commune de Versailles, 367, 371. — Le lendemain, 3 septembre, les vols commencent, puis se multiplient.
[90] Méhée, 179 : Croyez-vous que je n'ai gagné que 24 livres ? disait hautement un garçon boulanger armé d'une massue. J'en ai tué plus de quarante pour ma part.
[91] Granier de Cassagnac, II, 153. — Cf. ibid., 202-209, détails sur le repas des manœuvres et sur le festin plus délicat de Maillard et de ses assesseurs.
[92]
Mortimer-Ternaux, III, 173-176. — Granier de Cassagnac, II, 84. Jourdan, 222. —
Méhée, 179 : A minuit, ils reviennent jurant, sacrant,
écumant de rage et menaçant le comité collectivement de lui couper
solidairement la gorge, s'ils ne sont à l'instant payés.
[93] Mortimer-Ternaux, III, 320. Discours de Pétion sur l'accusation intentée à Robespierre.
[94] Mathon de la Varenne, 136. — Journiac de Saint-Méard, 129. — Moore, 267.
[95] Journiac de Saint-Méard, 115.
[96] Weber, II, 265. — Journiac de Saint-Méard, 129. — Mathon de la Varenne, 155.
[97] Moore, 267. — Cf. Malouet, II, 240. Malouet, le 1er septembre au soir, était chez sa belle-sœur ; visite domiciliaire à minuit ; elle s'évanouit en entendant monter la patrouille : Je les priai de ne pas entrer dans le salon, pour ménager la pauvre malade. La vue d'une femme évanouie, d'une figure agréable, les attendrit. Ils sortirent aussitôt, en me laissant auprès d'elle. — Beaulieu, Essais, I, 108 (à propos de deux tueurs de l'Abbaye qu'il rencontre chez Journiac de Saint-Méard et qui causent avec lui en lui faisant la conduite) : Ce qui me frappa, c'est qu'à travers leurs propos féroces j'aperçus des sentiments généreux, des hommes décidés à tout entreprendre pour protéger ceux dont ils avaient embrassé la cause.
[98] Weber, II, 264, 348.
[99] Sicard, 101. Paroles de Billaud-Varennes aux égorgeurs. — Ibid., 75 : De plus grands pouvoirs, répondit un membre du comité de surveillance, vous n'y pensez pas ! Vous en donner de plus grands serait borner ceux que vous avez déjà. Oubliez-vous que vous êtes souverains, puisque la souveraineté du peuple vous est confiée et que vous l'exercez en ce moment ?
[100] Méhée, 171.
[101] Sicard, 81. Au commencement, les Marseillais eux-mêmes répugnaient à frapper des hommes désarmés et disaient à la foule : Voilà nos sabres et nos piques ; donnez la mort à ces monstres.
[102] Mot de Macbeth dans Shakespeare : I have supped full with horrors.
[103] Voyez les enfants qui noient un chien ou tuent une couleuvre : la ténacité de la vie les offense comme une révolte contre leur despotisme, et ils s'acharnent sur la bête à coups redoublés.
[104] Se rappeler l'effet des courses de taureaux, et l'attrait irrésistible des spectacles du cirque sur saint Augustin, lorsqu'il eut entendu pour la première fois le cri d'un gladiateur frappé à mort.
[105] Mortimer-Ternaux, III, 131. Procès des septembriseurs, résumé du président. Le 3e témoin et le 46e vous ont dit avoir vu Monneuse (membre de la Commune) aller et venir à la Force, se réjouir des tristes événements qui venaient d'y avoir lieu, y témoigner beaucoup d'immoralité, ajoutant qu'on joua du violon devant lui et que son collègue dansa. — Sicard, 88.
[106] Sicard, 91, 87. Ce mot est d'un marchand de vin qui demande la pratique des égorgeurs. — Grenier de Cassagnac, II, 197-200. Les comptes du vin, de la paille et des lampions ont été retrouvés en original.
[107] Sicard, 91. — Mathon de la Varenne, 150.
[108] Mathon de la Varenne, 154. Un homme du faubourg lui dit (Mathon est avocat) : Va, monsieur de la peau fine, je vas me régaler d'un verre de ton sang.
[109] Rétif de la Bretonne, les Nuits de Paris, IXe nuit, p. 388 : Elle poussait des cris horribles, pendant que les brigands s'amusaient à lui faire des indignités. Son corps n'en fut pas exempt après sa mort. Ces gens avaient ouï dire qu'elle avait été belle.
[110] Prudhomme, les Révolutions de Paris, n° du 8 septembre 1792 : Le peuple fit subir la peine du talion à la bouquetière du Palais-Royal. — Granier de Cassagnac, II, 329. (D'après le bulletin du tribunal révolutionnaire, n° du 3 septembre). — Mortimer-Ternaux, III, 291. Déposition du concierge de la Conciergerie. — Buchez et Roux, XVII, 198. Histoire des hommes de proie, par Roch Marcandier.
[111] Mortimer-Ternaux, III, 257. Procès des septembriseurs, déposition de Roussel. Ibid., 628.
[112] Mortimer-Ternaux, III, 633. Déposition de la femme Millet. — Weber, II, 350. — Roch Marcandier, 197, 198. — Rétif de la Bretonne, 381.
[113] Mathon de la Varenne, 150. — Granier de Cassagnac, 515, 508. Procès des septembriseurs, affaires Sainte-Foy, Debèche. — Ibid., 507, 513. Affaires Corlet, Crapier, Ledoux.
[114] Sur ce geste machinal et meurtrier, cf. Dussaulx, Mémoires, 440. Il harangue en faveur des prisonniers, et le peuple touché lui tend les bras. Mais déjà les bourreaux me frappaient les joues avec le fer de leurs piques d'où pendaient des lambeaux de chair palpitante. D'autres voulaient me couper la tête. C'en était fait, sans deux gendarmes qui les retinrent.
[115] Jourdan, 219.
[116] Méhée, 179.
[117] Mortimer-Ternaux, III, 558. La même idée se retrouve chez les fédérés et Parisiens composant la compagnie de l'Égalité, qui ont ramené les prisonniers d'Orléans et les ont massacrés à Versailles. Ils expliquent leur conduite, en disant qu'ils espéraient mettre fin aux dépenses excessives qu'occasionne à l'empire français la trop longue détention des conspirateurs.
[118] Rétif de la Bretonne, 388.
[119] Méhée, 177.
[120] Prudhomme, les Crimes de la Révolution, III, 272.
[121] Rétif de la Bretonne, 388. Il y avait deux sortes de femmes à la Salpêtrière, les femmes marquées et les jeunes tilles élevées dans la maison. De là les deux sortes de traitement.
[122] Mortimer-Ternaux, III, 295. Liste des noms, âges et métiers.
[123] Barthélemy Maurice, Histoire politique et anecdotique des prisons de la Seine, 329.
[124] Granier de Cassagnac, II, 421. Procès-verbal du commissaire de police Auzolle. D'après la déclaration du concierge de la Force, le massacre s'y est prolongé jusque dans la journée du 7 septembre. — Mortimer-Ternaux, III, 548.
[125] Mortimer-Ternaux, III, 399, 592, 602 à 606, — Procès-verbal des 8, 9 et 10 septembre, extrait des registres de la municipalité de Versailles (dans les Mémoires sur les journées de septembre), p. 358 et suivantes. Grenier de Cassagnac, II, 483. Exploit de l'huissier Bonnet à Orléans, signifié à Fournier le 1er septembre. Fournier répond : S. n. de D., je n'ai aucun ordre à recevoir ; quand les sacrés gueux auront la tête coupée, on fera le procès après.
[126] Roch Marcandier, 210. Discours de Lazowski à la section du Finistère, faubourg Saint-Marceau. Lazowski avait, par surcroît, élargi les assassins du maire d'Étampes et déposé leurs fers sur le bureau.
[127] Malouet, II, 243 (2 septembre). — Moniteur, XIII, 48, séance du 27 septembre 1792. Par le discours de l'anis, on y voit que les scènes étaient analogues au comité de surveillance : Qu'on se représente notre situation : nous étions entourés de citoyens irrités des trahisons de la cour ; on nous disait : voici un aristocrate qui prend la fuite, il faut que vous l'arrêtiez, ou vous êtes vous-même un traître. On nous mettait le pistolet sur la gorge, et nous nous sommes vus obligés de signer des mandats, moins pour notre sûreté que pour celle des personnes dénoncées.
[128] Granier de Cassagnac, II, 258. — Prudhomme, les Crimes de la Révolution, III, 272. — Mortimer-Ternaux, III, 631. — De Ferrière, III, 391. — (Le mot cité a été recueilli par Rétif de la Bretonne.)
[129] Moniteur, XIII, 688, 698 (n° des 15 et 16 septembre). Ibid., Lettre de Roland, 701, de Pétion, 711. — Buchez et Roux, XVIII, 33, 34. — Il y a dans le journal de Prudhomme une gravure sur ce sujet (14 septembre). — Un Anglais, admis à la barre, dénonce à l'Assemblée nationale un vol commis, dans une maison occupée par lui à Chaillot, par deux huissiers et leurs satellites. Ce vol consiste en 12 louis, 5 guinées, 5000 livres en assignats et plusieurs autres effets. Les tribunaux qu'il a saisis n'osent donner suite à sa plainte. (Buchez et Roux, XVII, p. 1, 18 septembre.)
[130] Buchez et Roux, XVII, 461. — Prudhomme, les Révolutions de Paris, n° du 22 septembre 1792.
[131] Moniteur, XIII, 711, séance du 16 septembre. Lettre de Roland à l'Assemblée nationale. — Buchez et Roux, XVIII, 42. — Moniteur, XIII, 731, séance du 17 septembre. Discours de Pétion : Hier, on parlait de se rendre de nouveau dans les prisons et notamment à la Conciergerie.
[132] Archives nationales, CII, 58 à 76. Procès-verbaux de l'Assemblée électorale de Paris. — Robespierre est élu le premier (5 septembre), puis Danton et Collot-d'Herbois (6 septembre), puis Manuel et Billaud-Varennes (7 septembre), ensuite C. Desmoulins (8 septembre), Marat (9 septembre), etc. — Mortimer-Ternaux, IV, 35 (arrêté de la Commune, sur l'instigation de Robespierre, pour le règlement des opérations électorales). — Louvet, Mémoires. A l'Assemblée électorale, Louvet demande la parole pour discuter la candidature de Marat, et ne peut l'obtenir. Comme je sortais, je fus entouré de ces hommes à gros bâtons et à sabres dont le futur dictateur marchait toujours environné, des gardes du corps de Robespierre. Ils me menacèrent, ils me dirent en propres termes : Avant peu, tu y passeras. Ainsi l'on était libre dans cette Assemblée où, sous les poignards, on votait à haute voix !