Les bords de la Loire.
— Les reines de France et les maîtresses des rois de France. — Leurs demeures
sur la Loire. — Les résidences d'Agnès Sorel. — Chinon. — La maison
Roberdeau. — Les châteaux d'usage, de Tours. — Le pavillon Bonaventure. — La
Herpinière. — Candes. — Le Plessis. — Amboise. — Cheillé. — Le château de
Fontenailles. — Loches. — Beaulieu. — Le château de la Guerche. —
Mehun-sur-Yèvre. — Les châteaux de Dame et de Bois-Sire-Aimé. — Fromenteau. —
Enfance de Charles VII. — Son éducation. — Ses gouverneurs et ses maîtres.
Les seigneurs de Beauvau et de Maillé. — Gérard Machet. — Portrait de Charles
VII. — Son portrait du Louvre. — Son caractère d'après les chroniqueurs. —
Thomas Basin. — Georges Chastelain. — Erreurs de ce chroniqueur. — Erreurs de
M. Vallet de Viriville. — Martial d'Auvergne. — Son panégyrique de Charles
VII. — Causes du changement de conduite du roi après la révolution de palais
de 1433.
Quand
on parcourt les bords de la Loire, on est assailli de souvenirs historiques
d'un caractère particulier : les châteaux répandus sur le fleuve ou sur ses
affluents, l'Indre, le Cher, la Vienne, les bois, les ruines, la tradition,
tout parle de femmes célèbres et nous montre l'image de quelque reine ou de
quelque maîtresse de roi. C'est là comme le privilège du beau fleuve, du
grand fleuve français : les souvenirs qui le peuplent sont gracieux comme ses
rives, et l'imagination, en quelque sorte, s'harmonise avec la réalité. Ici,
sur les bords de la Fare, au milieu d'épaisses masses de bois, de vertes
prairies, d'étangs majestueux, qui rappellent les lacs de la Suisse, le
château construit par Louis XIV pour la belle et douce la Vallière ; là, dans
une île formée par l'Indre, celui d'Azay-le-Rideau, où l'on voit les chiffres
entrelacés de François Ter et de Diane de Poitiers[1] ; plus loin, sur le Cher, la
merveille de Chenonceaux, où nous retrouvons la maîtresse du roi-chevalier,
devenue la favorite de son fils, à côté de la grimaçante et sinistre figure
de Catherine de Médicis, et où passent comme des ombres légères, dans des
fêtes rapides et rarement édifiantes, la fière et voluptueuse Marie Stuart,
puis Marguerite de Valois, la moins fière, mais non moins voluptueuse épouse
de Henri IV, puis une de ses filles d'honneur, l'aimable mademoiselle de
Rebours, qui fut un des nombreux caprices du Béarnais, puis la belle
Gabrielle, sa puissante maîtresse ; enfin, sur le fleuve lui-même, le château
d'Amboise, théâtre de tant d'événements, et séjour de tant de rois et de
reines, parmi lesquels, aux premiers jours, nous distinguons François II et
sa jeune épouse, la future reine d'Écosse, de triste et gracieuse mémoire ;
puis Chinon, Loches, Candes, le château
d'Usage, etc.,
etc., résidences ordinaires ou demeures de passage d'Agnès Sorel. C'est
surtout de la célèbre favorite de Charles VII que la tradition a conservé le
souvenir ; c'est dans les lieux qu'elle habitait ou qu'elle aimait à
parcourir, que l'imagination populaire s'arrête le plus volontiers. Les
figures, si belles ou si touchantes, des Diane de Poitiers, des Marie Stuart,
des Gabrielle, des la Vallière s'effacent ou se perdent comme dans un
lointain, et, visibles seulement à l'œil de l'homme cultivé, ne sont presque
pour les autres que des curiosités archéologiques. L'image d'Agnès Sorel, au
contraire, est encore toute fraîche et toute vivante dans la pensée de tous ;
son nom est resté dans une foule de lieux comme une trace lumineuse qui les
éclaire encore à quatre siècles de distance, et que nous comparerions, si
cela ne paraissait trop ambitieux, à cette lumière sidérale qui subsiste
encore pour nous longtemps après que l'astre d'où elle émane s'est éteint.
Sans doute on peut expliquer ce privilège par des causes extérieures
indépendantes de toute supériorité du côté du personnage. Agnès Sorel est née
en Touraine ; elle est, pour ainsi dire, une fille du grand fleuve national,
une nymphe sortie de ses eaux ; elle y a vécu durant les vingt années de sa
grandeur ; mille lieux ont joui de sa présence, et son histoire se mêle et se
confond avec la leur. Il nous semble pourtant qu'on en peut donner encore une
autre raison, d'un ordre supérieur : c'est qu'Agnès a marqué sa présence et
son séjour par des bienfaits ; c'est qu'elle n'a pas rendu des services aux lieux
seuls où elle a passé, mais à la patrie commune ; c'est que son amour, s'il
était coupable, a été utile, tandis que celui des autres favorites ou
maitresses de nos rois, même l'innocente passion de la triste et douce la
Vallière, ne rappelle que des faiblesses tout à la fois coupables et
stériles. L'histoire
locale a conservé le nom des résidences d'Agnès ; plusieurs même de ces
résidences ont survécu et sont consacrées par son souvenir. On sait que d'une
des tours du château de Chinon, nommée la Tour
d'Argenton, qui
existe encore, on communiquait, par des passages souterrains, avec la maison Roberdeau[2], située hors de l'enceinte, et
qui était la demeure d'Agnès Sorel, celle sans doute qu'elle occupa dans les
premiers temps de sa liaison avec le roi, où elle dut cacher son amour dans
l'ombre et le mystère. On peut visiter, en parcourant la belle vallée
d'Huismes, qui se termine à la Loire, le château de Tours, celui d'Usage, et
à côté le pavillon de Bonaventure, que Charles VII avait fait bâtir pour la favorite,
et où il venait souvent lui demander l'hospitalité du soir, comme le rapporte
la tradition locale, pour se livrer le lendemain avec elle au plaisir de la
chasse, Le château d'Usage paraît avoir été la maison de plaisance préférée
du roi, et son séjour le plus habituel quand il était à Chinon. Les environs,
en effet, étaient tout couverts de châteaux habités par des hommes de la cour
ou des officiers royaux : Ripalfond, véritable type de manoir
féodal, avec tourelles et donjon ; l'Ermitage, Villonaire, demeure du majordome du roi ; enfin la Chancellerie qui, de
toutes ces demeures, est la seule qui soit en ruines. Non loin de là aussi, à
Savigny, on voit encore une autre maison de plaisance de Charles VII, la Herpinière, qui paraît avoir été la demeure de la reine Marie
d'Anjou. Une peinture à fresque, assez bien conservée, dans l'une des
chambres du château, représente cette princesse[3]. Candes, au confluent de la
Vienne et de la Loire, n'avait pas de maison de plaisance, mais une
forteresse, admirablement située, dont il ne reste aujourd'hui que les
ruines. Agnès Sorel a dû y habiter pourtant quelquefois : parmi les cinq
lettres qui nous restent d'elle, et que nous avons citées, il en est une qui
est datée de Candes[4]. Candes était un pays de
chasse. Il est constant d'ailleurs que Charles VII s'y trouvait en 1446 et
qu'il y assembla la commission chargée de juger les complices de la
conspiration tramée contre lui par le dauphin Louis ; on sait aussi que Louis
XI et Charles VIII ont habité la forteresse de Candes. La beauté du lieu
devait aussi y attirer Charles VII et Agnès. Il y a là, plus de raisons qu'il
n'en faut pour placer Candes parmi les résidences accidentelles de la
favorite. Trois autres lettres d'Agnès, prouvent qu'elle a habité, au moins
en passant, Amboise[5], Razillé et le Plessis, près le
Vaugandré, à une petite distance de Chinon[6]. A Cheillé, on trouve
aussi quelques anciens rendez-vous de chasse où le roi Charles VII s'arrêtait
quand il chassait la grande bête dans la forêt de Chinon. Dans une partie de
la Touraine[7], plus éloignée de Chinon, on
voit encore le château de Fontenailles, donné par le roi à sa maîtresse, et
où il venait souvent la visiter, si l'on en croit la tradition[8]. Chinon
fut le centre des diverses résidences d'Agnès, comme sans doute le premier
théâtre de ses amours ; Loches semble avoir été le second, ou peut-être cette
grande passion s'est-elle partagée au hasard des circonstances entre l'un et
l'autre séjour. Charles VII était à Loches avec Agnès Sorel au moment de la reddition
de Paris, en 1436, quand le connétable de Richemont vint lui annoncer cette
bonne nouvelle. En 1448, Agnès faisait modifier par son royal amant
l'organisation du chapitre de Notre-Dame de Loches, et augmenter les privilèges
et immunités de cette collégiale, pour laquelle elle avait une prédilection
toute particulière[9]. Beaulieu, petite ville reliée
à Loches par une suite de ponts jetés sur un bras de l'Indre, était souvent
habitée par Agnès Sorel : elle y avait un hôtel, qui subsiste encore, mais dégradé,
et dont quelques restes de peinture à fresque et dorée attestent seuls
l'ancienne splendeur[10]. Cet hôtel portait en 1493 le
nom de Maison de la Reine[11]. Mais c'était surtout au
château de la Guerche que la favorite séjournait quand le roi se trouvait à
Loches. La Guerche est situé à une petite distance de Loches, sur la rive
droite de la Creuse. Charles VII y fit construire, avec une grande rapidité,
un château pour sa maîtresse ; c'était un de ses rendez-vous de chasse. Ce
château subsiste encore, mais mutilé. On y retrouve toutefois dans les
appartements quelques traces de peintures à fresque, qui rappellent les goûts
favoris du prince, des sujets de chasse représentant des figures de grandeur
naturelle, revêtues de costumes dorés, des devises, des allégories, des rébus
dictés par l'amour. Il
convient de s'arrêter un moment à Fromenteau, lieu de naissance de la
favorite, où la légende s'est emparée de son nom et de son histoire. Lorsqu'on
parcourt les environs de Loches, en descendant vers le sud, on rencontre
au-dessous de Châtillon un plateau légèrement ondulé, dont les eaux se
rendent au sud dans la Creuse, au nord dans la petite rivière de la Claise,
et qui, se relevant un instant à la hauteur des villages de Saulnay,
Sainte-Gemme et Villiers, va finir, en s'inclinant, à la rivière de l'Indre.
Le sol en offre un aspect étrange : couvert de bois, de bruyères, d'étangs
mêlés et comme entrelacés aux terres arables, il rappelle les vallées
mamelonnées de l'Écosse, et l'imagination n'y trouverait pas déplacées
quelques scènes des romans de l'illustre Walter Scott. Le pays, tout rempli
de gibier, est visité encore de loin en loin par des oiseaux voyageurs
d'espèces que l'on chercherait en vain sur d'autres points de la France.
Partout la vue s'arrête sur des souvenirs de toutes les époques, dolmens,
ruines antiques, châteaux féodaux. Vers le centre, le vieux manoir du
Bouchet, berceau légendaire des Brennus, se dresse sur un mamelon verdoyant
qui domine la Brenne, et baigne ses pieds dans les eaux limpides d'un étang
qui porte le nom poétique de la Mer-Rouge. Un peu plus au nord, l'on voit
Mézières, qui n'a pas oublié ses anciens maîtres, les ducs d'Anjou, ni les
royales visites qu'elle reçut au quatorzième et au quinzième siècles. Tout
près de là, Douai montre la chambre où coucha Charles VII. Plus à l'ouest,
s'élève l'abbaye de Saint-Cyran, l'ancien Longoretur des rois mérovingiens, qui
possède encore sa charte de fondation signée du nom de Dagobert. Enfin, au
nord-ouest, sur les confins de la Touraine, on aperçoit, au milieu de grands
massifs de bois, Villiers-en-Brenne, lieu de naissance d'Agnès Sorel. Le château
de Fromenteau, où vint au monde la mai-tresse.de Charles VII, était en effet
tout près de Villiers, situé par conséquent à l'extrémité sud-ouest de
l'ancienne province du Berry et du département de l'Indre, sur le versant
gauche de l'Indre. Le pays est d'une admirable fertilité, circonstance qui
valut sans doute aux dépendances du château le nom significatif de
Fromenteau. Il est légèrement accidenté, couvert de bois et de forêts, où
abonde le gibier, surtout le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre. Le château
est aujourd'hui détruit et remplacé par une construction d'assez mauvais goût
remontant aux premières années de ce siècle. Il en reste cependant une tour,
qui touche à l'entrée d'un bois placé au sud-est du château moderne. Cette
tour parait avoir flanqué une poterne ouvrant sur le bois, qui porte encore
le nom de bois de la Dame. L'image
de la belle Agnès plane donc sur tous ces lieux qui l'ont vue naître, où
s'est écoulée nue partie de son enfance., où sans doute elle revint plusieurs
fois au temps de ses amours et de ses grandeurs. Et ce n'est pas seulement
Villiers, le bois de la Dame, la vieille tourelle, dernière
ruine du manoir féodal, qui lui sont restés fidèles : elle est partout dans
les lieux circonvoisins, depuis Loches jusqu'à Fromenteau, en passant par
Châtillon, La Royauté, Mézières, dans la longueur de vingt kilomètres. Il y a
entre Loches et Chatillon un souterrain creusé dans la craie blanche et
tendre qui forme le sol de la ville de Loches et des coteaux de la rive
gauche de l'Indre, et ce souterrain, d'après la tradition, aurait mis en
communication les vieux châteaux des deux villes, et par suite celui de
Loches, séjour du roi, avec Villiers et le manoir d'Agnès. Il y a plus : tout
près de Fromenteau, à un kilomètre à l'est, se trouve le village de La
Morinière, hameau de trois à quatre feux. C'est là, dans une chétive
maisonnette, aux boiseries noircies par le temps et par la fumée, que fut nourrie,
rapporte-t-on, une princesse qui devint la
maitresse d'un roi[12]. Là, disent encore aujourd'hui les vieilles Brennouses en filant leur
laine ou teillant leur chanvre, là, dans cette vieille masure à pignon de
bois saillant et à grossières moulures, là fut nourrie la fille d'un ancien
seigneur de Fromenteau, que le diable et les beaux yeux d'un prince perdirent
à tout jamais. On la vit revenir quelquefois, à de rares intervalles, au
berceau de son enfance ; mais son front était pâle, elle aimait à être seule... Un jour, elle ne reparut pas. Dieu ne voulut pas permettre
qu'elle revînt embrasser sa vieille nourrice... Pourtant on dit
qu'elle était bonne et charitable[13]. Les
lieux que nous venons de parcourir, où Charles VII passa son insouciante et
voluptueuse adolescence, et où vint le frapper tout à coup, vers la fin de sa
première jeunesse, la double étincelle du véritable amour et du sentiment du
devoir, présentent comme un théâtre choisi tout exprès pour l'amour et pour
la guerre. Rien de plus doux, de plus aimable, de plus propre à inspirer les
sentiments tendres, à plonger de plus en plus dans la mollesse les natures
molles, à amollir les natures fortes, à inspirer l'amour du plaisir et la
philosophie du plaisir (témoin Rabelais), que la plaine fertile que traverse
la Vienne, et au milieu de laquelle s'élève la ville de Chinon. Ici,
dit un écrivain tourangeau[14] en parlant de cette contrée, la nature offre toute sa poésie avec tous ses bienfaits.
Si les divinités mythologiques n'avaient pas été proscrites par les lettres
modernes, qui, soit dit en passant, n'ont rien mis à la place de ces
gracieuses fictions, nous dirions qu'au printemps le vallon qu'arrose la
Vienne est l'empire de Flore, qu'aux jours tièdes encore de l'automne, Bacchus
et Pomone y étalent à l'envi leurs plus riches trésors. Et sur le coteau qui surplombe
la ville, s'offre en contraste l'ancien château, aujourd'hui ruine
pittoresque, naguère forteresse redoutable, dont les restes encore imposants
attestent le farouche génie du moyen âge et l'abrupte grandeur de ses
monuments. La colline qui domine ici le
cours de la Vienne,
dit le même écrivain, est jonchée, sur une
superficie d'environ mille pas, d'une masse de constructions militaires, dont
les caractères divers révèlent les différents âges auxquels elles
appartiennent. C'est ce qu'on nomme le château ou plutôt les châteaux ; car
on peut encore distinguer, dans l'ensemble de ces ruines, trois parties, dont
la plus ancienne est située à l'est. Celle-ci fut construite vers 950 par
Thibaut le Tricheur, comte de Blois et de Tours... Le château du dixième
siècle se lie aux constructions moins anciennes par un pont en pierre
remplaçant l'ancien pont-levis. On pénètre dans les deux autres châteaux, dont
la séparation est peu distincte, par une porte en ogive ouverte au pied d'un
beffroi appelé aujourd'hui la Tour de l'Horloge, et dans lequel plusieurs
chambres encore logeables ont été conservées. Henri II fit bâtir plusieurs
tours et courtines maintenant en ruines, qui se confondent ici avec la
troisième partie de cette forteresse construite par Philippe Auguste, mais
reprise sur presque tous les points par Charles VII, ainsi que l'atteste le
caractère de plusieurs grosses tours et du beffroi Au sud, la colline, coupée
à pic, tient comme suspendues sur la ville des murailles et des tours qui ne
l'ont pas toujours menacée en vain. Au nord passe une grande route pratiquée
dans les anciennes douves du château, et d'où le voyageur mesure de l'œil,
avec quelque admiration, cette puissante forteresse, qui de ce côté proteste
encore avec vigueur contre les outrages du temps[15]. C'est
sur ce roc sauvage, et au milieu de cette nature riante, que Charles VII, n'étant
encore que dauphin, vint transporter sa demeure et la fortune de la France,
vers le printemps de 1421. Il avait dix-huit ans. Chinon fut pendant plus de
trente ans sa principale résidence. Il y trouva tout d'abord la sécurité et
le plaisir. Il y pouvait aussi nourrir son imagination de souvenirs de guerre
et d'amour. Le château de Chinon avait été le théâtre et le témoin de bien
des événements divers. Il avait vu la guerre de Henri II, roi d'Angleterre,
et de Geoffroi Plantagenet, son frère. Richard Cœur de Lion, blessé au siège
de Chalus, était venu y mourir. Le château avait été assiégé par Philippe
Auguste et enlevé à Jean sans Terre. Il avait servi de prison à Jacques Molay
et à quelques principaux chevaliers de son ordre, les commandeurs de Chypre,
de Normandie, d'Aquitaine, qui y furent interrogés et soumis à la torture. Il
s'y était passé aussi des scènes d'un genre moins lugubre, bien qu'à vrai
dire l'amour fût bien souvent marqué, dans les premiers siècles de la
féodalité, du caractère farouche et violent des temps barbares. Ainsi, vers
la fin du dixième siècle, le château de Chinon avait été témoin d'un drame
épouvantable. Guillaume II, duc d'Aquitaine et comte de Poitou, qui avait
épousé Emma, fille de Thibaut le Tricheur, comte de Touraine et possesseur de
Chinon, aimait éperdument la vicomtesse de Thouars, et lui rendait souvent
visite dans son château. Un jour l'épouse offensée rencontre dans les chemins
son heureuse rivale, pousse vers elle son destrier, la frappe au visage, la
renverse de son cheval, puis, sautant à terre, lui fait subir les plus
honteux outrages et l'abandonne à la brutalité de ses gens d'armes[16]. L'histoire des Plantagenet
offrait des exemples moins terribles, sinon plus édifiants. Henri II
entretenait, dit-on, des relations galantes avec le cloître de Fontevrault ;
il avait fait construire un pont, nommé le pont aux Nonnains[17], qu'il traversait souvent pour
aller rendre visite aux bonnes religieuses. A la fin de sa vie, le même
prince avait subi l'empire d'un véritable amour, dont l'objet était 'Alix de
France ; après avoir fiancé cette jeune fille à son fils Richard, il l'avait
retenue auprès de lui, au grand scandale du public. Il n'y avait pas jusqu'à
l'amour chevaleresque et platonique dont on n'entendit un lointain écho sous
les voûtes sombres du vieux château, s'il est vrai que la reine Blanche s'y
soit rencontrée avec Thibaut de Champagne, lorsque l'aimable et puissant
seigneur, se détachant de la Ligue de 1226, vint rendre hommage à Louis IX,
au château de Coursay[18]. Ces
lieux et ces souvenirs, surtout par leur côté gracieux et voluptueux, répondaient
à ce qu'il y avait de plus intime dans le caractère et le tempérament du
jeune dauphin, et aux premières impressions de l'enfance, qui avaient été
pour lui l'éducation de la famille, impressions profondes que l'éducation des
maîtres, si salutaire qu'elle fût, n'avait jamais effacées. Charles,
comte de Ponthieu[19], fut élevé comme ses frères et
ses sœurs sous les yeux et par les soins de sa mère. Si Isabeau de Bavière
fut loin d'être une épouse accomplie, elle ne fut pas du moins une mauvaise
mère ; elle avait plus que l'instinct de la maternité, elle avait le
sentiment des devoirs qu'elle impose. Quand le jeune prince, à l'âge de sept
ans, sortit des mains des femmes, elle lui donna pour gouverneurs Hugues de
Noyers, Pierre de Beauvau et Hardouin, seigneur de Maillé, en Touraine, et
pour précepteur et confesseur Gérard Machet, docteur en Sorbonne. Ces
choix étaient irréprochables. Les gouverneurs du comte de Ponthieu étaient
des hommes honnêtes et expérimentés. De plus, deux d'entre eux, les seigneurs
de Beauvau et. de Maillé, étaient attachés à la maison d'Anjou et représentaient
dès lors, comme le remarque judicieusement M. Vallet de Viriville, auprès du
jeune prince cette influence angevine qui fut plus tard si utile dans ses
conseils[20]. Quant à Gérard Machet, c'était
un des hommes les plus savants et les plus vertueux de son temps ; il était
l'ami de Gerson, ce qui dispense de tout éloge. Docteur en théologie, ancien
régent, puis principal du collège de Navarre, il avait été désigné par sa
réputation de science et de vertu au choix de la reine. Il s'attacha avec une
grande fidélité à son élève et à sa cause, qui était celle de la patrie. Il
fut autant que Gerson l'adversaire de Jean Petit et du duc de Bourgogne. Dans
la grande crise nationale d'où sortit Jeanne Darc, on le trouva toujours du
meilleur parti et du meilleur conseil. Lorsque l'héroïne se présenta à
Charles VII, il fut des premiers à se déclarer pour elle[21]. C'est lui qui décida Troyes à
ouvrir ses portes à Charles VII le 11 juillet 1429, par son influence sur
l'évêque de cette ville, Jean Laiguilé, qui avait été son condisciple au collège
de Navarre[22]. Sa voix s'éleva et s'unit à
celle de Gerson en faveur de la Pucelle pendant l'odieux procès où elle
succomba. Dans la grande question politique et religieuse qui fut vidée par
la Pragmatique-Sanction de 1438 en faveur des libertés de l'Église gallicane,
il contribua au triomphe de la doctrine nationale par son éloquence et par
ses lumières. Charles ne pouvait donc pas trouver de meilleur guide pour son
enfance, comme il n'en trouva point de plus sage dans son âge mûr. Mais
l'éducation ne se fait pas uniquement par les maîtres : elle se fait aussi et
surtout par la famille, par les exemples, par les choses que l'on voit et que
l'on entend, et, pour ainsi parler, par l'atmosphère que l'on respire[23]. Or, l'atmosphère que respira
le prince Charles, était loin d'être pure. Il passa son enfance dans l'hôtel
du Petit-Musc ou Pute-y-Muse[24], sorte de maison de plaisance,
pour ne pas dire de petite maison, qui servait aux plaisirs de la cour, et en
particulier du duc d'Orléans, frère du roi et amant de la reine. Il fut bercé
au bruit des orgies. Ses premiers spectacles furent les fêtes équivoques ou
malsaines, et les querelles ouvertes et sanglantes de ses proches. Les
natures faites pour le noble et le grand, quand elles sont énergiques et,
comme l'on dit, fortement trempées, résistent aux influences mauvaises et se
portent d'autant plus en sens contraire et dans le courant moral de l'éducation
des maîtres. Mais Charles VII n'était pas une nature énergique ; il n'était
pas de ces âmes supérieures qui ont leur ressort en elles-mêmes : il subit
toutes les influences et se partagea entre les bons et les mauvais instincts,
qui tour à tour prévalurent, sans abdiquer com piétement les uns ou les
autres, capable du bien comme du mal, suivant les circonstances et les hommes
qui s'emparaient de lui, pouvant descendre jusqu'aux profondeurs du vice et
en sortir tout à coup sous le branle d'une grande passion, sans jamais toutefois
atteindre jusqu'à la vertu. Parmi
les grandes influences qui agirent sur Charles VII, la plus curieuse, sans
contredit, comme la plus puissante et la plus salutaire, est celle que nous
voulons étudier, celle d'Agnès Sorel. Mais avant d'y arriver, nous croyons
devoir montrer la figure du prince telle que nous l'ont présentée les
contemporains. Les
peintres nous ont laissé plusieurs portraits de Charles VII, mais de Charles
VII vieilli et en possession de la gloire. Aucun d'eux, celui de Fouquet
excepté, n'a grand mérite au point de vue de l'art ; ils en ont au point de
vue de la ressemblance. Il suffit de jeter les yeux sur celui du Louvre pour
en être persuadé[25]. Il touche comme une image
sensible ; il fait l'effet de la réalité, en dépit de la main qui la traduit.
La tête ne frappe point par une haute expression ; elle n'a ni beauté ni
distinction. Elle n'est pourtant pas vulgaire : le front est large et haut ;
les yeux sont d'un bleu pâle, petits, mais placés sous des arcades saillantes
et vivement accusées ; le nez fort et long, les lèvres épaisses, la bouche
grande et bien dessinée, le menton relevé ; tout cela forme un ensemble qui
ne manque pas d'harmonie et que l'on ne regarde pas sans plaisir.
L'impression générale est donc favorable. Les deux traits dominants sont
l'intelligence et la sensualité, deux choses qui se contrarient parfois, mais
qui ne sont pas contradictoires. Il s'y trouve aussi un air de bonté
très-remarquable, que fait ressortir encore je ne sais quelle teinte de
tristesse mélancolique répandue sur la physionomie tout entière. Il nous
semble toutefois que ce voile de tristesse n'est qu'accidentel et tient moins
à la nature du modèle qu'a l'âge et à la disposition d'esprit du moment. La
nature avait fait Charles VII pour tous les plaisirs, ceux des sens, ceux de
l'esprit, ceux du cœur, et, dans l'âge des plaisirs, l'expression de son
visage devait être celle du bonheur. Le nuage n'est venu que du temps, de
l'abus des jouissances, peut-être aussi d'une grande douleur ; car nous ne
pouvons oublier que le portrait porte la date de 1450, et, par conséquent, de
la mort d'Agnès Sorel. On peut
compléter le portrait et confirmer les inductions morales qu'il suggère, à
l'aide des chroniqueurs contemporains, dont quelques-uns avaient vu, de leurs
yeux, l'original. Les
chroniqueurs nous représentent Charles VII avec une physionomie agréable, qui
n'était pas même sans une certaine beauté, celle qui vient de l'âme, celle
qui chez la femme s'appelle la grâce. Le roi
Charles, dit Thomas
Basin, était de taille ordinaire ; il avait
la physionomie heureuse, assez gracieuse ; les épaules droites, mais les
cuisses et les jambes minces et grêles. Lorsqu'il était vêtu de la toge (ou habit long), il ne manquait pas d'élégance ; mais quand il prenait le
vêtement court de couleur verte, ce qu'il faisait d'ordinaire, ses jambes
grêles et mal tournées, ses genoux cagneux, le rendaient presque difforme[26]. Le même historien nous dit
qu'il était très-sobre, ce qui, ajoute-t-il, lui conservait la santé en bon état. Il était rarement
malade, parce qu'il s'attachait à observer le régime qui lui était prescrit
par ses médecins[27]. Il se levait matin et mangeait
seul, excepté les jours de fêtes solennelles où il admettait à sa table les
personnages de distinction : dès que l'on commençait à servir, les courtisans
se retiraient[28]. Solitaire estoit,
dit un écrivain anonyme qui parait avoir fait partie de la cour, vivant sobrement, aymant joyeuseté. Son jeu estoit aux
eschecs ou à tirer de l'arbalète ; son serment : Sainct Jean ! Sainct Jean
! Il prenoit ordinairement chaque jour deux repas seulement ; il parloit
et buvoit peu. oyoit tous les jours trois messes, et disoit ses heures sans y
faillir[29]. Georges Chastelain,
chroniqueur bourguignon, le représente avec des traits pâles, le visage
maigre, le maintien noble et gracieux, peu robuste de corps et peu porté à
l'action[30]. Son
goût pour les plaisirs et sa passion pour les femmes sont marqués dans sa vie
en traits trop saillants pour avoir échappé aux contemporains. Il fut,
dit l'un d'eux, que nous avons déjà cité,
adonné aux plaisirs de l'amour, non-seulement dans sa jeunesse, mais encore
dans sa vieillesse, bien au-delà de ce que permet et tolère l'honnêteté. Ceux
qui l'entouraient se prêtaient aisément à ses faiblesses et en profitaient
pour obtenir plus de crédit et plus de faveurs... Il avait de la
répugnance pour le séjour des grandes villes, et surtout de Paris ; il
n'aimait ni les villes ni les lieux où il était exposé à rencontrer la foule
; il leur préférait les petites forteresses et les châteaux des environs de
Bourges ou de Tours, là où le monde ne pénétrait pas, où il n'y avait place
que pour lui et pour ses gardes. Il cherchait, en effet, la solitude pour
garder avec plus de liberté et de commodité les troupeaux de courtisans et de
femmes de mauvaises mœurs qu'il avait toujours autour de lui, et pour jouir
plus abondamment des plaisirs qu'il y trouvait[31]. — Et aucunes fois, dit un autre contemporain, l'anonyme cité plus haut, il prenoit le Jeudy ou partie du jour, pour sa plaisance... avoit ses jours de récréation aussi avec les femmes, par
lesquelles il dévoya plus que assez et fut exemple de grant mal et de grant
playe en son temps. Les
autres traits dominants de sa nature, marqués dans le portrait du Louvre,
sont également attestés par les contemporains, comme du reste par sa vie,
nous voulons dire l'intelligence et la bonté. Charles VII était de ces
natures heureuses qui comprennent tout, qui se trouvent par les qualités de
l'esprit au niveau de toutes les situa--fions, qui prennent la vie par le bon
côté, et en savent cueillir les fleurs et les fruits, égoïstes et bons,
incapables de faire du mal à autrui autant qu'à eux-mêmes, aimant par
conséquent la justice comme d'instinct, à qui rien ne manquerait si elles
avaient l'initiative et la force, et qui ont même le riche privilège de se
compléter parce qu'elles comprennent ce qui leur manque et savent le prendre
chez autrui. Il estoit, dit un annaliste du quinzième
siècle, moult bel prince et biau parleur à
toutes personnes et estoit piteux envers povres gens. Mais il ne s'armoit mie
vollontiers et n'avoit point chier la guerre, s'il s'en eust pu passer[32]. Thomas Basin, dont le
témoignage n'est pas suspect, quand il est favorable, dit qu'il était fidèle
à ses promesses et à sa parole jusqu'au scrupule envers tous, les petits
comme les grands, qu'il s'attachait à ceux qui le servaient, ne les déplaçait
jamais si ce n'est pour les avancer, ne s'en séparant que pour des raisons
graves, manquements aux devoirs ou défections, et dans tous les cas leur
laissant le droit de libre défense[33]. Ces qualités le rendaient cher
au peuple et aux hommes en charge. Il aimait l'ordre ; il honora toujours les
bons et fut toujours avare du sang humain. Peu ambitieux de sa nature, il
comprit l'ambition, quand elle lui fut montrée comme un devoir. Né timide, il
sut faire la guerre et payer de sa personne, faisant violence à ses instincts
sous la double pression du devoir et de la passion. Malgré son grand amour
pour les plaisirs, il était d'une rare activité, d'une industrie merveilleuse, comme dit Georges Chastelain, quand il s'agissait
des affaires et du bien de l'État. Il avait réglé l'emploi de son temps et
avait assigné à chaque jour de la semaine un travail spécial avec ses
ministres ou grands fonctionnaires. Le labeur le plus aride même ne
le rebutait pas s'occupait des finances comme de la justice et de la guerre,
et entrait partout dans les plus minutieux détails[34]. Les qualités brillantes de
l'esprit s'unissaient chez lui aux solides : il avait la mémoire vive, la
parole facile, et le talent de raconter avec charme ; il aimait les lettres,
et la littérature latine ne lui paraissait pas inconnue[35]. Quoique fort simple dans ses
mœurs, il tenait singulièrement, dans les représentations, aux règles de l'étiquette.
Il était religieux comme on l'était de son temps et comme il convenait dans
sa situation, donnant beaucoup aux pratiques extérieures, et faisant ses
réserves pour la raison d'État et pour la passion, ainsi qu'on l'a vu plus
tard dans Louis XIV, mais moins faible que le brillant souverain de
Versailles dans l'es choses de la foi, ayant dans le cœur plus de bonté et
dans l'esprit plus de lumières. Georges
Chastelain, historiographe aux gages de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, a
tracé un portrait en pied de Charles VII, auquel nous avons déjà emprunté
quelques traits, mais que nous croyons devoir donner dans son entier : Cestuy
Charles septiesme, à proprement le descripre au vif, selon que nature y avoit
ouvré, pas n'estoit des plus espéciaulx de son œuvre. Car moult estoit linge
et de corpulence maigre. Avoit foible fondacion et estrange marche, sans
portion. Visage avoit blesme, mais spécieux, assez parolle belle et bien
agréable et subtile, non'de plus haute oye. En luy logeoit ung très-beau et
gracieulx maintien. Néanmoins aucuns vices soutenoit, souverainement trois :
c'estoient muableté, diffidence et au plus dur et le plus
c'estoit envie pour la tierce. De
sa personne lui-même n'étoit pas homme belliqueux. N'estoit robuste, ni
animeux homme pour faire de main propre. Ne cherchoit mesme l'estour, ny
rencontre ; mais non assuré, entre Cent mille, se fut épovanté d'un homme
seul non connu. Mais avoit des grâces à l'encontre, que de sages et vaillants
hommes ç'accompagnoit voulentiers, et s'en souffroit conduire : par quoy, ce
qu'il perdoit en vaillance, le recouvroit-il en sens... Avoit une
merveilleuse industrie, vive et fresche mémoire, estoit historien grant, beau
racompteur, bon latiniste et bien sage en conseil. Estoit
morigéné assez et sobre à table, mais de nul ne pouvoit estre regardé,
souverainement de gens non connus : car de cesty-là ne se bougeoint ses yeux,
et ne perdoit contenance et le manger. De même, n'estoit nulle part sûr,
nulle part fort ; craignoit toujours mourir par le glaive par jugement de
Dieu, parce que présent fut en la mort du duc Jehan. Ne s'osoit loger sur un
plancher, ni passer un pont de bois à cheval, tant fût bon. Toutefois avoit
beaucoup de vertus, avec lesquelles, ensemble l'entremise de ses divers
seigneurs, et forcément le bras de Dieu qui s'y joignit, il fist sa fortune
chère et glorieuse[36]. M. Vallet
de Viriville admire beaucoup ce portrait, qu'il appelle une effigie tracée de
main de maître, et il prétend que celui du Louvre le confirme par une merveilleuse ressemblance[37]. Non, le burin de l'historien
n'exprime pas la même physionomie morale que le pinceau du peintre ; nous
croyons même qu'il a ajouté certains traits à l'original, qu'il en a
retranché certains autres, et que ces soustractions et additions nuisent étrangement
à la ressemblance. Le savant et ingénieux historien d'Agnès Sorel a oublié
trois choses : d'abord l'historiographe Georges Chastelain était aux gages de
la cour de Bourgogne, et ne pouvait que plaire à ceux qui le payaient, en
prêtant à Charles VII, l'adversaire heureux de Philippe le Bon, certains
vices qui pouvaient paraître expliquer les succès de sa politique, et en
faisant la critique de Louis XI sur le dos de son père[38] ; puis, il a omis de parler des
faiblesses, si connues, pourtant, du prince, dans la crainte sans doute que
le blâme qu'il n'eût pu se défendre d'exprimer en touchant ce point, ne Mt
retombé de tout son poids à côté de lui ; enfin ces trois vices de
l'inconstance, de la méfiance et de l'envie, mis si vivement en relief dans
le portrait de Chastelain, n'apparaissent nullement dans celui du Louvre.
Ajoutons (ce qui est plus grave encore et plus accablant pour
l'historiographe et pour l'opinion de M. Vallet de Viriville), que Chastelain
est en opposition avec lui-même, et qu'il est difficile de concilier
certaines qualités qu'il reconnaît dans Charles VII, avec cet esprit de défiance
et d'envie qu'il lui attribue. L'escorte de sages et vaillants hommes dont le roi aimait à s'entourer, et dont il se souffroit conduire, ne proteste-t-elle pas hautement contre ces
défauts honteux et mesquins, qui sont la manifestation des cœurs faibles ?
L'historiographe a tracé le portrait moral avec ses passions et a faussé la
vérité ; le peintre a laissé la nature se produire elle-même, et, malgré la
grossièreté de l'enveloppe, il a trouvé le secret de montrer clairement ce
qu'il y avait au-dessous, dans les profondeurs de l'âme[39]. Nous
sommes aussi plus près de la vérité dans le panégyrique que nous trouvons
dans les Vigilles de Charles VII, de Martial d'Auvergne[40]. Ce n'est pas l'impartiale
histoire : les faiblesses de l'homme et du souverain sont écartées ou voilées
systématiquement, et les qualités fortement accusées ; c'est un tableau où
manquent les ombres : mais, cela reconnu, tout ce qui est dans la lumière est
d'une ressemblance parfaite et nous découvre des côtés nouveaux dont il
n'avait pas été tenu assez de compte. Charles VII, selon le poète
chroniqueur, aimait la justice et se plaisait surtout à récompenser les
services rendus[41]. Les hommes de mérite, les
lettrés, les clercs, trouvaient auprès de lui un patronage assuré, et il se
faisait un devoir de les employer. Les grandes dignités de la magistrature,
de l'Église, des universités, leur étaient réservées. Charles avait un
profond mépris pour l'ignorance, qu'il regardait comme la honte et la plaie
des États, et tenait en grande estime la science, qui était à ses yeux la
force et l'honneur des empires[42]. Il était charitable et bon
pour les pauvres, pour les petits, pour les faibles[43], pour les femmes malheureuses
ou coupables, dans la mesure que la justice permettait[44]. En outre, libéral, généreux,
gracieux envers tout le monde, même envers ses ennemis[45], sans rancune d'aucune sorte,
doux, modeste, sans ombre d'orgueil ou de dédain[46]. D'une
sensibilité délicate, d'une grande vivacité d'impressions, tout le touchait
dans le présent, et ses souvenirs l'émouvaient comme la réalité. Quand il
revit Paris après sa longue absence, il ne put retenir ses larmes. Bien qu'il
fût simple dans sa personne et dans ses goûts, il ne lui déplaisait pas de
voir le luxe autour de lui, non plus que les fêtes, les spectacles, les jeux,
et il s'y mêlait volontiers. Le commerce des femmes le charmait ; on sent que
son cœur était là ; aussi nul n'était plus courtois, plus galant, plus poli
envers elles[47], de quelque condition qu'elles
fussent, il était pour elles plein d'égards, comme fut plus tard Louis XIV,
qui, nous dit Saint-Simon, se découvroit
devant la moindre coiffe. Le bon ton
régnait dans sa cour, et personne n'eût osé tenir devant les femmes un
langage inconvenant[48]. Ses goûts, son langage, ses
plaisirs étaient ceux d'un esprit cultivé ; il commença, sous une forme moins
brillante, cette suite illustre de nos rois, François Pr, Henri IV, Louis
XIV, qui ont eu une influence si heureuse, non sur les mœurs, mais sur les
manières, dans la société polie en France et dans l'Europe. Encore
une fois, nous ne prétendons pas que le panégyriste ait dit tout ce qu'il
fallait dire soit en bien soit en mal, et il faut en rabattre un peu de cet
idéal de prince accompli qu'il présente à l'admiration de ses contemporains.
A tout prendre cependant, il est l'interprète exact d'une partie de la
vérité, et, sauf le voile qu'il jette sur les déportements qui souillent les
commencements et la fin de la carrière de son héros, le panégyriste est
historien fidèle. Il nous semble surtout qu'il est bien dans le point de vue
de la période que nous retraçons, de l'époque brillante où Agnès Sorel,
d'abord cachée dans l'ombre et comme enveloppée dans le mystère de son amour,
puis placée dans toutes les splendeurs de sa situation de favorite
officielle, régnait sur le cœur du roi et sur toute la cour[49]. Ajoutons que, si nous
rapprochons l'image tracée par le chroniqueur du portrait du Louvre, nous trouvons
dans l'un les traits principaux qui marquent la physionomie de l'autre, et en
nous plaçant, par l'imagination, à vingt ans eu arrière, devant l'œuvre du peintre,
en y effaçant quelques rides, en y ravivant quelques couleurs, en faisant
tomber le voile de tristesse qui l'enveloppe, nous revoyons l'amant d'Agnès
tel qu'il était au moment où elle lui apparut. Quoi
qu'il en soit, nous pouvons désormais aborder le problème historique que nous
nous sommes posé et que nous essayons de résoudre. Ce
problème, on le connaît ; il s'agit d'expliquer la transformation qui a
éclaté en 1434 dans le caractère et la conduite de Charles VII, et qui
coïncide avec la révolution de palais, que nous avons esquissée dans le
chapitre précédent, et avec les premières relations d'Agnès Sorel et du roi
de France, relations dont Chinon fut d'abord le théâtre. Il s'agit de montrer
comment un prince, jusqu'alors insouciant, livré à d'indignes plaisirs et à
d'indignes ministres, indifférent à tous les devoirs d'une situation extraordinaire
et aux grandes choses qui eu pouvaient sortir, s'est trouvé tout à coup à la
hauteur de cette situation et avec la conscience de ses devoirs ; il s'agit,
en un mot, de trouver et de faire en quelque sorte toucher du doigt la
baguette magique qui a opéré ce prodige. Tout le
monde est d'accord sur un point, à savoir que le problème historique est un
problème moral ; et cela, en effet, saute aux yeux : il n'y a qu'une cause
intérieure et profonde, il n'y a qu'une révolution de l'âme qui soit en état
de produire de tels effets. Mais on ne s'entend pas toujours sur le principe
de cette révolution ; les uns croient qu'elle est un simple résultat du
progrès de l'âge, une sorte de phénomène de génération spontanée ou de
miracle de la grâce, ou encore un fruit de l'expérience et de la vie ; les
autres, admettant le concours d'une cause extérieure et étrangère à la
personne elle-même, expliquent tout par l'influence d'Yolande d'Aragon, dont
la longue persévérance aurait enfin été couronnée de succès, et par celle de
Marie d'Anjou, qui serait venue en aide à sa mère, et, à force de douceur et
de vertu, aurait déterminé la métamorphose de son époux. Pour
nous, nous ne pensons pas que les forces supposées en jeu soient
proportionnées à l'effet produit. D'abord la première de ces explications,
celle qui attribue le changement survenu dans la conduite de Charles VII au
travail secret de sa pensée sur elle-même, tombe devant ce simple fait, à
savoir que le prince fut très-mécontent de l'exécution de la Trémouille, et devant
cette réflexion que, Si le travail secret dont on parle avait déjà été
accompli, ce n'est pas un mouvement de mécontentement qui aurait dû se
produire, mais un mouvement contraire, l'explosion d'une âme satisfaite et
rendue à elle-même. La seconde explication n'est pas plus décisive à nos
yeux. Quand on embrasse toutes les données que nous avons recueillies, que
l'on rapproche ce que nous savons du naturel du roi et de ses antécédents
avant le jour de la crise de 1433, la mollesse de son caractère et la fougue
de son tempérament, les défauts de sa première éducation, sa situation
d'homme nécessaire, si favorable au progrès de ses vices, l'influence des
lieux et des souvenirs au milieu desquels s'écoulait sa jeunesse, la
perversité des hommes qui le gouvernaient, et la nature des moyens qu'ils
employaient pour le gouverner, il devient clair comme la lumière du jour
qu'il n'y a eu qu'une secousse violente qui ait pu opérer un prodige comme
celui qu'il s'agit d'expliquer. Or, est-ce Marie d'Anjou qui a pu donner
cette secousse ? Et n'est-il pas plus naturel de l'attribuer à quelque chose
comme l'éclosion soudaine d'une grande passion ? Il nous paraît que, l'homme
étant donné, poser la question c'est la résoudre. Nous voulons pourtant fortifier l'argumentation, et pour cela nous devons faire connaître Marie d'Anjou, et rechercher, s'il se peut dans l'analyse des caractères des deux amants, Charles VII et Agnès, et des affinités ou des contrastes de ces caractères, le secret de leur long attachement et de l'empire de la favorite. |
[1]
On retrouve même dans l'ornementation les allégories favorites du roi ; un
bas-relief qui représente une salamandre au milieu des flammes, porte la devise
: Ung seul désir.
[2]
Voir Volet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 178.
[3]
Touchard-Larosse. La Loire historique, t. IV, p. 284. Tours, 5 vol.
in-4°.
[4]
Voyez chapitre III.
[5]
Charles VII était à Amboise quand il fut informé de la Praguerie.
[6]
La Loire historique, t. IV, p. 275.
[7]
Commune de Louestault, canton de Château-Renault, près Neuvy-le Roi.
[8]
La Loire historique, t. IV, p. 179.
[9]
La Loire historique, t. IV, p. 208.
[10]
La Loire historique, t. IV, p. 223.
[11]
La Loire historique, t. IV, p. 223.
[12]
MM. de la Tremblais et de la Villegille, Esquisses de l'Indre.
[13]
Correspondance de M. Wolsey-Boistard, notaire à Mézières-en-Brenne (Indre).
[14]
La Loire historique, t. IV, p. 257, 258.
[15]
La Loire historique, t. 1V, p. 273-275.
[16]
Chronique de l'abbaye de Maillezais, la Loire historique, t. IV, p. 259,
260.
[17]
Ce pont existait encore à la fin du XVIIIe siècle
[18]
La Loire historique, t, IV, p. 262.
[19]
Ce fut le premier nom ou le premier titre de Charles VII. Ce prince naquit le
24 février 1403, à Paris, à l'hôtel Saint-Paul. Il était le cinquième fils et
le onzième des douze enfants d'Isabeau de Bavière. Charles VI était en démence
depuis plusieurs années quand le comte de Ponthieu vint au monde : son premier
accès de folie remonte à 1392. On connaît les scrupules de Charles VII sur la
légitimité de sa naissance. Ces scrupules étaient naturels ; mais ils pouvaient
n'être pas fondés. Isabeau continuait à cohabiter avec le roi, malgré son état
de démence ; le roi avait seulement des co-partageants.
[20]
Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. Ier, p. 5.
[21]
Procès, t. III, p. 75 ; t. V, p. 32. — Gérard. Machet est le personnage désigné
en ces termes dans le poème latin anonyme :
. . . . . . . .
. . . . . . . Vir anus,
Inter doctores sacros non ultimus.
(Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII,
t. II, p. 59.)
[22]
Procès, t. II, p. 92, 93.
[23]
Voltaire disait :
La Providence en
tout tel -4s éprouva
Mon bon roi
Charles avec mainte détresse.
Dès son berceau
fort mal on l'éleva ;
Le Bourguignon
poursuivit sa jeunesse ;
De tous ses
droits son père le priva ;
Le parlement de Paris,
près Gonesse,
Tuteur des rois,
son pupille ajourna ;
De ses beaux lis
un chef anglais s'orna ;
Il fut errant,
manqua souvent de messe
Et de dîner ;
rarement séjourna
En même lieu.
Mère, oncle, ami, maîtresse,
Tout le trahit
ou tout l'abandonna.
(La Pucelle, chant XVIII.)
[24]
L'hôtel du Petit-Musc ou du Pute-y-Muse était situé à l'angle des rues
actuelles de Saint-Antoine et du Petit-Musc. — On remarquera la dénomination de
Pute-y-Muse donnée à l'hôtel fréquenté
par le duc d'Orléans et la reine.
[25]
Voici la liste des principaux portraits de Charles VII qui nous sont restés :
1° celui qui a été peint par Fouquet dans l'Épiphanie : il est représenté à
genoux ; c'est un des rois mages (Livre d'heures d'Étienne Chevalier, propriété
de M. Brentano, de Francfort, 1re série, n° 8) ; — 2° peint en buste vers 1453,
pour la Sainte-Chapelle de Bourges (musée du Louvre, école française, n° 653 ;
chromolithographie, le Moyen âge et la Renaissance, t. V ; voir aussi le
Bulletin de la Société des antiquaires, 1862, p. 62) ; — 3° excellente
répétition ou analogue du n° 2 ; faisait partie en.1854 de la galerie de M.
Duclos, à Paris ; — 4° peint en pied, miniature, dans le Voyage d'Eningen vers
1457 ; le manuscrit original est à Stuttgart ; la bibliothèque Sainte-Geneviève
possède un autre exemplaire contemporain et détaché de cette miniature ; —
peint en Charlemagne, dans le tableau du Palais de Justice (1re chambre de la
Cour impériale).
[26]
Th. Basin, Historisrum Caroli VII, liber V, cap. XXII.
[27]
Historisrum Caroli VII, liber V, cap. XXII.
[28]
Denys Godefroy, Histoire de Charles VII ; reproduction d'un manuscrit
anonyme intitulé De la vie, complexion et condition du roy Charles VII.
[29]
Denys Godefroy, Histoire de Charles VII.
[30]
Georges Chastelain.
[31]
Th. Basin, Historisrum Caroli VII, liber V, cap. XXIII.
[32]
Mémoires de Pierre de Ténin, cité par M. Pierre Clément, Jacques Cœur
et Charles VII, p. 42.
[33]
Th. Basin, Historisrum Caroli VII, liber V, cap. XXIII.
[34]
Il voyoit chaque an et plus souvent tout le fait de
ses finances, et le faisoit calculer en sa présence, car il l'entendoit bien ;
il signoit de sa main les rôles des receveurs généraux, les états et acquits de
ses finances, et tellement s'en prenoit garde qu'il apercevoit et concevoit
tout ce qu'on y pouvoit faire. (Denys Godefroy. Histoire de Charles
VII.)
[35]
Voir Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 44.
[36]
Georges Chastelain, Extrait inédit publié par M. Quicherat, dans la Bibliothèque
de l'école des Charles, t. IV, p. 76.
[37]
Agnès Sorel, Revue de Paris.
[38]
Georges Chastelain a écrit ses chroniques de 1461 à 1469, et ses écrits portent
partout l'empreinte d'une vive hostilité contre la France.
[39]
M. Vallet de Viriville semble aussi accepter sans réserve ce que dit Georges
Chastelain sur la timidité et presque la couardise de Charles VII, qui nous
parait avoir été étrangement exagérée. Cette exagération, qui, exprimée après
la mort du roi, devient une calomnie, a été reconnue par notre savant
professeur de l'école des Chartes, notamment dans les Recherches sur Agnès
Sorel (p. 50) ; comment donc ne l'a-t-elle pas mis en garde contre le
témoignage du chroniqueur ?
[40]
Martial d'Auvergne était procureur au parlement de Paris : né dans cette ville
en 1440, il y mourut en 1508.
[41]
Les Vigiles, poésies de Martial de Paris, dit d'Auvergne, procureur au
parlement. (Paris, édit. de 1724, t. Ier, p. 190, 208.)
[42]
Les Vigilles, édit. de 1724, t. II, p. 21, 22, 27.
Un royaume où
grant science abonde,
Si adviennent
tretous les biens du monde,
Au contraire
d'ignorance impérice ;
Et où règne
faveur et injustice
Ne vient que
maulx, abuz, extorcion.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Las ! le feu Roy
Charles le débonnaire
Aymoit les
Clercs, gens lettrez en science,
Et si prenoit à
les avoir plaisance,
Pour s'en servir
en tout cas jus et sus.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ses ennemis
mesmes si le louoient
Des saiges
Clercs qui auprès luy estoient.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le feu bon Roy
esmeu de bonne colle,
Tenoit des
Clercs et boursiers à l'escolle,
Et fut jadiz son
escollier premier
Le bon Evesque
de Paris Charetier.
[43]
Les Vigilles, édit, de 1724, t. II, p. 30.
D'aumosnes,
biens, assez il en faisoit
Aux povres gens
selon leur indigence ;
Debaz discors
entre amys apaisoit ;
Vesves, mineurs
n'estoient sans pourveance ;
A nobles honteux
faisoit bailler finance,
Gentilz femmes
pour leur vie et repas,
Ladres,
impotens, l'aumosne et la pitance,
Et d'autres
biens que l'en ne sçavoit pas.
[44]
Les Vigilles, édit. de 1724, t. II, p. 30.
Piteux estoit à
intercession
De dons pardons
que femmes requeroient,
Et leur donnoit
plaine remission,
Selon les cas
quant ilz le desiroient ;
Esconduites
jamais de luy n'estoient,
Si le cas n'eust
esté trop execrable,
Et dont grans
mattlx par cel là avenoient,
Car sa justice
le faisoit raisonnable.
[45]
Les Vigilles, édit. de 1724, t. II, p. 104 ; voir aussi t. Ier, p. 4.
Quant Talebot
fut deschargié,
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . .
Le Roi luy fist
acneil joyeulx,
En parlant à luy
longuement,
Et par ung adieu
gracieulx
Luy offrit des
dons largement.
Oultre si le
fist convoler,
En mahdant par
ses bonnes Villes
Que l'en le
voulsist festoier,
Et lui faire
chieres fertiles.
[46]
Les Vigilles, édit. de 1724, t. II, p. 29.
[47]
Les Vigilles, édit, de 1724, t. 11, p. 31, 32.
Adieu Dames,
Bourgeoises, Damoiselles,
Festes, danses,
joustes et tournoiemens,
Adieu, filles
gracieuses et belles,
Plaisirs
mondains, joyes, et esbatements...
Adieu galans qui
souliez faire fringues
Parmy les rites,
voustes et espanades,
Saillans en
l'air pour prendre les esplingues
Au seing des
Dames regardans les estrades...
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Adieu Déesses
chantans comme seraines,
Adieu, baisiers
et plaisances mondaines...
[48]
Les Vigilles, édit. de 1724, t. II, p. 30.
L'en n'eust osé
dire une villenie
Le bon Seigneur
pour sa joieuseté,
Portoit sur luy
souvent quelque verdure,
Ou és habitz en
yver ou esté,
Et estoit gay
pour rejouyr nature ;
De grans pompes
et bobans n'avoit cure,
il chassoit pou,
aymoit gens de finances,
Livres,
chanssons, selon ce l'aventure,
Et passoit temps
en ces menues plaisances.
A gentil'femme
ou quelque Damoiselle
Riche ou povre
par jeu ou compaignie,
Fust bourgoyse,
mesehine, ou povre ancelle ;
Car en sa Court
la coustume estoit telle.
De defendre user
de gouliardise,
Qui le faisoit
la peine estoit mortelle,
Ainsi Dames
vivoient là en franchise.
[49]
Quelques-uns des traits du caractère et des mœurs de Charles VII se rencontrent
aussi, moins exacts et moins purs, mais aussi saisissants parfois, que chez
Martial d'Auvergne, qui n'est qu'un chroniqueur en vers, dans les fictions de
certains poètes, Shakespeare, Voltaire, Alexandre Dumas.