De l'éducation d'Agnès
Sorel. — Sa famille. — Des théories du moyen Age sur l'amour. — Des croyances
populaires sur la virginité. -- Du culte de la femme. — Dante. — Pétrarque. —
Des cours d'amour. — Les trouvères et les troubadours. — Les romans. — Le
code d'amour d'André Chapelain. — Le petit Jehan de Saintré.
Agnès
Sorel appartenait à une famille où il est permis de supposer que l'éducation
religieuse et morale dont nous venons d'esquisser les principaux traits était
corn-piétement en usage. Elle naquit vers 1410, au château de Fromenteau, en
Touraine. Elle était fille de Jean Soreau ou Sorel et de Catherine de
Maignelais. Son père, écuyer, seigneur de Coudun, conseiller en 1425 de
Charles, comte de Clermont, en Beauvoisis, mourut
quelques années seulement avant sa fille, en 1446 ; sa mère, châtelaine de
Verneuil, en Bourbonnais, lui survécut et ne mourut qu'en 1459, ayant assisté
l'un et l'autre aux grandeurs nouvelles et douteuses de leur famille. Du côté
maternel et du côté paternel, Agnès appartenait à la noblesse secondaire du
temps, et, si elle a ajouté à l'éclat de sa maison, elle ne l'a pas créée.
Les Sorel et les Maignelais portaient l'épée depuis des siècles[1] : ils n'avaient pas brillé
seulement dans les armes ; ils avaient fourni des hommes à l'Église ; ils
avaient pris pied dans les charges qui demandent une capacité et une
instruction plus qu'ordinaires, et étaient alliés aux parlementaires. Un des
oncles ou cousins d'Agnès, Geoffroy Sureau, était évêque de Châlons, pair de
France, etc. Aubert Sorel du Plessis, bailli et capitaine de Chauny-sur-Oise,
en 1423, qui avait épousé en premières noces Isabeau de Rouvroy Saint-Simon,
sœur de Mathieu, seigneur de Coudun, eut pour seconde femme une fille de Simon
de Champlaisant, président au parlement de Paris ;
les fêtes du mariage eurent lieu à Compiègne, le 25 octobre 1426. Un Sorel,
du nom de Regnauldin, était écuyer d'honneur du roi
en 1416. Gaillardet Soreau, écuyer, figure sur une quittance de la sénéchaussée
de Toulouse, à la date du 15 septembre 1430, pour un don de 200 réaux. Enfin,
Guillaume Sorel est nommé clerc des comptes à Paris, le 27 juillet 1436,
fonction qu'il exerça jusqu'à 1444[2]. Quand on rapproche de ces
circonstances ce que nous savons par les lettres d'Agnès Sorel et par des
documents authentiques de son instruction et de sa piété, on ne peut mettre
en doute qu'elle n'eût reçu la meilleure éducation qu'on pût recevoir de son
temps, et qu'elle n'en eût puisé les principes dans sa famille. Nous
avons dit que l'éducation morale et religieuse était, au quinzième siècle,
mêlée d'une éducation d'un ordre différent et qu'elle pouvait en être
singulièrement modifiée. Est-ce aussi dans sa famille qu'Agnès reçut le
contre-coup de cette seconde éducation ? Ou bien est-ce seulement dans cette
cour de Lorraine, où elle fut introduite de bonne heure et où nous aurons
bientôt à la suivre ? Il n'importe : le problème historique est ici
secondaire : il nous suffit de rendre le fait de ce contre-coup vraisemblable,
de remonter à sa source et de surprendre dans ses causes les plus intimes
l'influence qui a amolli et relâché cette forte discipline de l'âme si
puissamment forgée par la religion et le bon sens dans un grand nombre des
familles nobles du quinzième siècle. C'est une étude morale autant qu'une
étude politique que nous prétendons faire. Le
moyen âge finissant retenait toutes les idées raffinées et chimériques,
élevées et dangereuses sur l'amour, qu'avaient vu germer son aurore et mûrir
les feux de son midi. L'auréole miraculeuse que la superstition attachait au
front de la jeune fille n'avait rien perdu de son prestige, comme on le vit
par le procès de la Pucelle. Il y eut même une sorte de recrudescence du
culte de la sainte Vierge et de celui de la femme à la fin du quatorzième
siècle et au commencement du quinzième. Les institutions du temps prouvent ce
fait d'une façon incontestable. Les statuts de l'ordre royal de l'Étoile,
fondé sous le roi Jean, en 1351, et qui semble avoir eu pour but de rattacher
immédiatement à la royauté toute la chevalerie française, prescrivent comme
pratique religieuse aux chevaliers de jeûner le samedi, jour consacré plus
particulièrement à la Vierge. Se ils peuvent
bonnement, dit le règlement de l'ordre, et se bonnement ne peuvent jeusner, ou ne veulent, ils donront
ce jour quinze deniers pour Dieu, en l'honneur des quinze joies Notre Dame. L'assemblée générale devait se
tenir tous les ans, la veille de l'Assomption, pour y demeurer tout le jour
et le lendemain jour de la fête jusqu'à vêpres[3]. En 1370, le duc de Bourbon,
Louis II le Bon, institua l'ordre de la Ceinture de l'Espérance, à
l'occasion de son mariage avec Anne, fille du comte de Clermont et dauphin
d'Auvergne ; il en place la principale fête à la solennité de la Conception de
la Vierge, et le collier de l'ordre porte l'image de la sainte Vierge,
entourée d'un soleil d'or et couronnée de douze étoiles, avec un croissant sous
les pieds et au bout une tête de chardon émaillée de vert[4]. Le même prince, l'année précédente,
avait institué l'ordre de l'Écu d'or, dont les membres, entre autres
obligations, juraient d'honorer les dames et damoiselles, et s'engageaient à
ne pas souffrir que l'on parlât d'elles en mauvaise part[5]. En 1380, l'ordre de la Passion
de Jésus-Christ, qui n'a existé qu'en projet, mais qui n'en est pas moins un
signe du temps, contenait un singulier article — qui ne prouvait guère en
faveur du passé des membres —, et par lequel, au nombre de cent mille, ils
s'engageaient à faire vœu de fidélité conjugale. Quelque chose de plus
sérieux et de plus significatif encore, c'est l'institution de l'ordre de la
Daine blanche ou de la Dame blanche à l'écu vert, qui fut fondé en 1399 par
le maréchal Boucicaut. Le maréchal Boucicaut
avait été souvent indigné de voir comment plusieurs dames,
damoiselles, veuves et autres estoyant oppressées
et travaillées d'aucuns puissants hommes qui par leur force et puissance les
voulaient déshériter de leurs terres, de leur avoir et de l'honneur ; il résolut de créer, avec
l'autorisation de Charles VI, un ordre de chevalerie militaire, composé
seulement de treize chevaliers, qui prirent pour devise l'escu d'or esmaillé
de vert avec une dame blanche dedans, et jurèrent de défendre pendant cinq ans ce droit de tout gentil-femme à leur pouvoir qui les requeroient. . . . . . . . . . . . . .
. Une pareille ardeur anima deux chevaliers
de Picardie, en 1425, pour le maintien du droit de Jaqueline de Bavière : Au
dit lieu de Hesdin, estoient, Jehan, bastard de Saint-Pol, et Drieu de Humières, lesquels portoient chascun sur son bras destre une rondelle d'argent où il y avoit
paint une raie de soleil, et l'avoient entreprins pour ce qu'ils vouloient
soutenir contre tous les Anglois et autres leurs alliez, que le duc Jehan de Brabant
avoit meilleure querelle de demander et avoir les
pays et seigneuries de la duchesse Jaqueline de Bavière, sa femme, que n'avoit le duc de Glocester[6]. Nous devons citer encore l'ordre
du Fer d'or et du Fer d'argent, établi en 1411 par le duc Jean de
Bourbon, en l'honneur de la dame de ses pensées et sous le patronage de la
sainte Vierge, en l'honneur de laquelle on disait chaque soir une messe ; et
l'ordre du Croissant, institué ou restauré en 1448 par le roi René d'Anjou,
avec un programme admirable, qui, par malheur, resta lettre morte. La
lampe merveilleuse qui s'éteignait, jetait donc en mourant de vives clartés ;
elle réchauffait même encore bien des cœurs dans les classes élevées de la
société, de sorte que nous ne connaîtrions qu'imparfaitement l'esprit du quinzième
siècle, les passions qui l'animaient, les ressorts qui l'ont fait agir, si
nous négligions, dans ce côté de l'ordre moral qu'on pourrait appeler le côté
poétique, et, si nous osions dire, érotique, ce que le siècle avait reçu de
ses devanciers. Le
moyen âge, en attribuant à la virginité une sorte de puissance surnaturelle,
ne faisait que reproduire, en l'agrandissant et la généralisant, une croyance
ancienne, née peut-être dans la Grèce, du culte sacré de Diane, la chaste
déesse. La religion de l'Olympe n'avait pas seulement mis le dieu mâle et le
dieu femelle de front et sur la même ligne, préparant ainsi l'égalité de
l'homme et de la femme ; elle avait encore parfois placé la femme au premier
rang, lui donnant, à l'exclusion de l'homme, le droit d'exercer le ministère
de la prêtrise dans le temple, le droit de verser le vin sacré dans une coupe
moulée sur son sein et de le répandre ensuite sur l'autel comme pour offrir au Dieu tout ce qu'elle pouvait avoir en
elle de divin[7]. Elle avait fait plus : c'est à
la jeune fille qu'elle accordait le privilège de prédire l'avenir ; c'est une
vierge qui prend place sur le trépied de Delphes, se penche sur le soupirail
sacré et rend ces oracles qui font frissonner toute la Grèce et donnent la
paix ou la guerre au monde. A Rome,
nous trouvons dans le temple autour de la vierge la même auréole ; c'est aux
filles de Vesta qu'est confiée la garde de ce feu sacré auquel est attachée
la perpétuité de l'empire. La virginité sans doute est imposée à la vestale,
et, si elle viole son contrat, le plus cruel des châtiments l'attend : elle
est enterrée vivante. Mais, si elle tient son serment, elle est comblée
d'honneurs : tout le monde s'incline devant elle ; elle marche l'égale du
consul. Elle a même le don des miracles ; nous voyons dans Tite-Live bien des
prodiges accomplis à la suite des processions de vestales ; elle est comme
l'intermédiaire direct du ciel avec la terre. Il y aura bien peu à faire,
quand viendra le christianisme, pour en faire une divinité. C'est
une question de savoir si le christianisme n'a pas altéré le type de la
beauté physique : Voltaire et Gœthe le pensaient, et beaucoup l'ont pensé
après eux. Quoi qu'il en soit, il n'a pu qu'ajouter à la beauté morale de la
femme en achevant sa réhabilitation. Le christianisme a été bien plus une
réaction morale qu'une réaction religieuse contre le paganisme : mais il a
été une réaction ; il commence donc par tout exagérer selon l'habitude de
toutes les réactions et comme il arrive dans les premières ferveurs d'une foi
nouvelle. De même qu'il proscrit les arts, les concerts, les spectacles, les
bains, il répudie la beauté et ne regarde le mariage que comme un état
inférieur, une sorte de pis-aller. Mariez-vous,
vous ferez bien, ne vous mariez pas, vous ferez mieux, disait saint Paul, empruntant
le mot d'un sage de la Grèce et lui donnant un sens mystique. Le mariage était l'ancienne loi, ajoute saint Jérôme ; la virginité est la nouvelle. En revanche, la religion orientale,
résumant la sagesse grecque dont elle ne prend en quelque sorte que la fleur
et la pure essence, sanctifie les instincts les meilleurs de la femme, trop
souvent altérés et méconnus par le paganisme ; et elle consacre avant tout la
pudeur, première condition de son éducation et de sa grandeur. Elle semble
savoir que son exagération même ne saurait être dangereuse, la nature y'
pourvoyant de reste ; elle va jusqu'à placer la virginité dans son ciel,
d'abord presque désert, afin de donner à la vertu distinctive de la femme la
plus haute des protections et exciter l'imitation par le plus éclatant des
exemples. Enfin,
sinon la vierge, au moins la femme avait aussi une place privilégiée dans les
traditions de ces peuples du Nord, dont la noblesse du moyen âge était en partie
sortie. Sur le fond païen de l'Edda, dit M. Philarète Chasles, une étincelle singulière glisse et se joue : c'est
l'adoration ou plutôt la terreur de la femme considérée comme être surnaturel
et magnétique, en rapport avec les puissances inconnues. La : Walkyrie est
plus qu'une nymphe grecque. Si la nymphe représente la beauté, la -Walkyrie
symbolise la pensée électrique, divinatrice, prophétique et propagatrice.
Dans certaines Sagas, on voit le héros éveiller au sommet des rochers
runiques la Femme, la prophétesse des Ass, qu'il
faut enchaîner si l'on veut obtenir les Runes ou les secrets de la sagesse.
Cette puissance mystérieuse, que les modernes ont reconnue sous le nom de
lucidité magnétique, n'était point ignorée de l'antiquité ; Tacite en fait
mention pour la première fois[8]. De tous
ces éléments païens, chrétiens, germains, chrétiens surtout, mêlés et
confondus par cette alchimie mystérieuse du temps, dont il n'est pas toujours
facile de suivre la lente élaboration ou de surprendre le secret, se
formèrent dans le moyen âge les plus étranges idées sur la nature ou le
prestige de la virginité et le caractère de l'amour. On ne
peut étudier les monuments que nous a laissés cette curieuse époque, sans
être frappé de la puissance et de la persistance de l'illusion magique qui
s'attache à la jeune fille, à la vierge, et des singulières conceptions ou
conséquences pratiques qu'en tire l'imagination populaire. Rien de plus
poétique, de plus pur, de plus élevé même ; rien aussi de plus superstitieux
et de plus chimérique. Dans les croyances publiques de ces temps, la sainte
douceur de la Vierge lui communiquait une puissance supérieure à la force,
supérieure à toute la puissance du mal. Au
dire des bestiaires,
dit M. Vallet de Viriville, la licorne[9] est
un cheval-chèvre de couleur blanche et sans tache. Cette bête intrépide porte
au front, en guise de corne, une merveilleuse et redoutable épée. Douée en
même temps de pieds rapides, elle défie ainsi à la fois les atteintes
meurtrières et les poursuites du veneur. Mais si, dans la clairière des bois,
quelque jeune fille se rencontre sur son passage, soudain la licorne s'arrête
: elle obéit à la voix de la vierge, incline humblement sur son giron sa
blanche tête et se laisse prendre aisément par la main de cette enfant[10]. Tel était l'idéal poétique,
l'abstraction de la légende, mais le fait concret se manifeste également dans
la réalité des mœurs. À l'époque de Jeanne Darc, et
dans plusieurs provinces de la France proprement dite, régnait une
coutume fort notable. Lorsque les condamnés à mort marchaient au supplice, il
arrivait parfois que quelque jeune fille, en voyant passer le cortège du
patient, se sentît émue d'une compassion dévouée. Dans ce cas, elle réclamait
publiquement le condamné pour en faire son époux. Cet appel était suspensif ;
il entraînait immédiatement le sursis de l'exécution. Bientôt des lettres du
prince sous forme d'acte de rémission abolissaient le crime et la peine
prononcée. On peut citer de 1350 à 1450 notamment une série authentique de
faits avérés et nombreux de ce genre. Il était de notoriété publique, enfin,
que le diable ne pouvait avoir d'action sur la femme ou la jeune fille
qu'après l'avoir dépouillée de la virginité[11]. C'est ce qu'on vit bien au
procès de Jeanne Darc où l'on posa à propos de l'héroïne, au début de l'horrible
enquête dont elle fut l'objet, ces deux questions : 1° Était-elle femme ou
homme ainsi que l'indiquait son costume ? 2° Offrait-elle à l'esprit du mal
l'inviolabilité d'une vierge ? Et, comme on sait, trois grandes dames
reçurent l'étrange mission d'opérer la vérification. De
telles conceptions ne pouvaient pas rester stériles : les rapports de l'homme
et de la femme devaient en être infailliblement affectés. Si la jeune fille
est un objet sacré, un être surnaturel et en quelque sorte divin, son charme
natif ne peut qu'en augmenter ; elle n'en est que plus aimable, plus digne
d'être aimée et par conséquent elle n'en est que plus aimée. Mais quel amour
doit-elle inspirer ? Quels hommages seront dignes d'elle ? Quel encens assez
pur peut brûler à ses pieds ? Il est clair que l'amour idéal, celui qui est
dégagé de la souillure des sens, qui n'a sa source que dans le cœur, qui
n'est qu'un élan de l'âme, une pure effluve de la
partie divine de notre être, est le seul possible auprès de la divinité
nouvelle que l'homme vient de placer dans sa vie. La logique nous gouverne
jusque dans nos fantaisies. Dès que nous avions mis la femme au-dessus de
l'humanité, nous devions nous mettre nous-mêmes en dehors de l'humanité,
essayer du moins d'en sortir par un violent effort, quitte à y retomber tôt
ou tard plus lourdement peut-être que jamais, comme pour nous dédommager du
temps que nous aurions perdu à parcourir le monde des chimères. En attendant,
l'idéal de la vierge entraînait, comme par une fatalité logique, l'idéal de
l'amour platonique, la chimère de l'amour divin dans une vie mortelle. Il
n'est pas nécessaire de dire que le moyen âge fut infatué de ces idées. Elles
forment comme le fond de la chevalerie. La théorie de l'amour idéal était
déjà vieille dans le monde. Platon, qui en avait pris le principe dans
Pythagore, l'avait développée dans un de ses Dialogues, et, par une fiction
charmante et profonde, l'avait placée dans la bouche d'une femme pour ainsi
dire mystérieuse, Diotime, l'étrangère de
Mantinée. Au moment
où le catholicisme prenait dans le monde païen, la philosophie glorifiait la
virginité tout aussi bien que l'Église, et une jeune femme, Hypathie, reproduisant l'enseignement des pythagoriciens
et de Platon, professait dans une chaire, à Alexandrie, la doctrine de l'amour
idéal, et, ce qui est moins facile, la pratiquait. Mais quelque chose de
nouveau et de plus difficile se vit avec la chevalerie : il ne suffisait pas
d'être épris de la beauté idéale, il fallait que le sentiment idéal fût
représenté par une dame vivante, que l'amour descendit de l'abstraction dans
le monde réel, que l'on aimât pour le vrai, avec passion, et que, brûlé de
tous les feux de l'amour, l'on se privât absolument de ce que Marc-Aurèle
appelait la petite convulsion. Tout chevalier devait tenir ou essayer de
tenir cette gageure contre l'impossible. L'âge ne dispensait pas du
programme, qui, à vrai dire, en devenait d'une réalisation plus facile. Tout
chevalier était nécessairement amoureux, comme le disait Froissart à propos
du vieux Vinceslas, roi de Bohème, et Cino de Pistoia à propos d'un vieillard de soixante-dix
ans ! L'amour ainsi considéré n'était ni
une sensation vive ni une émotion passagère, mais un état habituel de l'âme,
règle des belles manières et de la courtoisie, apanage des âmes d'élite.
Barberini écrit au quatorzième siècle un traité de la politesse et des mœurs élégantes
qu'il intitula Enseignement d'amour. Un vieux guerrier, le maréchal de
Carinthie, est représenté dans une chronique autrichienne comme très-amoureux,
exhortant ses soldats à bien se battre par amour ; afin, ajoute-t-il,
que les dames en parlent au pays et qu'elles décident quel aura été le
plus brave de tous. Joinville s'écrie encore au milieu d'un combat livré
aux Sarrazins : Nous parlerons de ceci dans la chambre des Dames ![12] C'est
surtout dans les douzième et treizième siècles que la brillante chimère fut
poursuivie et parfois embrassée. On peut le voir par les charmants récits de
Joinville : Les dames y apparaissent au
premier plan, arment les héros, confèrent l'ordre de chevalerie et décernent
le prix de l'honneur. C'est alors que Dante le platonicien écrit son grand poème
uniquement, dit-il, pour glorifier Béatrix Portinari, enfant de
onze ans, qu'il a vue en passant dans une église chrétienne. C'est alors
qu'au nord même de l'Europe ces mots Dieu et les dames deviennent le
mot d'ordre de la chevalerie. Les Souabes envahis par les Hongrois qui, avec
leurs grands arcs et leurs énormes flèches, tuaient tout ce qui se trouvait
sur leur passage, jugèrent, dit Ottokar de Horneek dans sa chronique allemande, cette façon de
guerroyer très-peu chevaleresque, et les firent prier au nom des dames
de mettre l'épée à la main pour se battre plus civilement[13]. Dante,
qui est le grand poète du moyen âge, en reproduit l'esprit, cet esprit que
nous essayons de marquer dans ses principaux traits, avec un éclat
incomparable. Personne n'a élevé aussi haut cet idéal de l'amour, que la
chevalerie poursuivait avec une ardeur téméraire et quelquefois heureuse. A
peine a-t-il aperçu Béatrix, tout enfant, qu'il s'éprend d'amour pour elle,
et il écrit son premier sonnet où le nouveau sentiment qu'il éprouve lui
inspire un hymne de reconnaissance pour le Créateur. Que celui qui a fait une si belle œuvre, dit-il, soit béni ! Quand Béatrix meurt, cette Béatrix qu'il a saluée deux fois, et
qui ne lui a rendu qu'une fois son salut, quand elle a serré son voile de
noces pour remonter au ciel, Dante s'écrie : Si
Dieu me prête vie, j'espère dire de cette femme bénie ce qu'on n'a encore dit
de personne. Et il
tient son serment : Béatrix est sa muse mystérieuse, l'inspiratrice
permanente et sacrée de son génie. Pars,
gentille ballade, dit-il quelque part, va retrouver Béatrix. Lorsque je la revois de la pensée, je
n'ai plus d'ennemi.
C'est qu'aussi c'était plus qu'une femme que le poète revoyait en Béatrix :
c'était la femme elle-même, cet idéal de beauté suprême que Platon avait
rêvé, que le christianisme avait divinisé et que le moyen âge adorait avec le
christianisme. Le même
amour de la beauté mystique se retrouve dans un autre poète, en France, sur
les bords de la fontaine du Vaucluse. Mais Pétrarque, moins sublime que
Dante, est plus près, ce semble, de la pensée même du moyen âge, parce qu'il
est plus près de la réalité. Comme Dante, il n'aime que pour aimer ;
seulement l'objet de son amour n'est pas une blanche colombe à peine entrevue
et pour jamais envolée ; il chante et il aime une créature vivante. Comme les
chevaliers il brûle l'encens sur un autel où la divinité est présente, et il
ne demande rien en retour de cet encens répandu à flots au milieu des hymnes
sacrés : Pétrarque n'a jamais obtenu de Laure et ne lui a jamais demandé que
la faveur de relever un jour son gant tombé[14]. Si l'on
veut se représenter par une image sensible cette vision de l'amour et de la
beauté telle qu'elle apparut à l'esprit chevaleresque et aux deux grands poètes
qui l'ont chantée à cette époque, il faut contempler sur le mur de la Farnésine le Triomphe de Galatée. Nous laisserons
parler ici M. Eugène Pelletan : La
mer gronde et fuit, et sur la vague tumultueuse les monstres marins sonnent
de la trompe, et les dauphins agiles traînent la conque de Vénus. Autour du
char flottant, les néréides amoureuses, aux formes abondantes, provoquent du
regard les tritons matériels à tête bestiale, qui les poursuivent de vague en
vague ou les étreignent vigoureusement dans leurs muscles d'acier. Mais
au-dessus de l'agitation et de l'écume, de la passion et de la volupté,
Galatée debout, la tête au ciel, plane dans la grâce éthérée de sa beauté,
qui semble en quelque sorte une âme moulée dans la matière ; elle poursuit du
regard, au fond du firmament, l'ombre de sa mère Uranie ou de sa sœur Béatrix
; et pendant que sa pensée flotte dans l'extase infinie de son rêve, le vent
de Dieu joue dans ses cheveux[15]. Cet
idéal, souvent voilé, outragé même, comme nous le verrons bientôt, tient donc
une place immense dans toute la vie du moyen âge, dans les faits comme dans
les imaginations. Il donne naissance à certaines institutions, à certaines
habitudes, qui, à leur tour, le retiennent et le font de plus en plus
rayonner dans les esprits jusqu'au jour inévitable où il dut succomber sous
le poids de sa grandeur même, et, si nous osons le dire, de son extravagance.
On sait les rapports qui lient les troubadours, les tournois, les trouvères et
les cours d'amour avec le culte de la femme. Les tournois l'entretiennent par
guillon de gloire ; les troubadours et les trouvères le chantent et le
répandent ; les cours d'amour l'ordonnent et le régularisent. Les
dames étaient l'âme des tournois. C'étaient elles
qui adjugeaient les prix aux combattants, qui les couronnaient de leurs
mains, qui les armaient et les désarmaient, avant et après le pas d'armes
qu'ils tenaient contre tous venants en l'honneur de celle dont ils portaient
les couleurs. Introduites
enfin aux tournois, dit Sainte-Palaye, elles en firent le plus bel ornement,
et leur présence attisa dans le cœur des champions le feu dont nous les
voyons embrasés. Dans
ces tournois, l'entrée des lices étoit accordée ou
refusée au gré des dames, et c'étoit à elles à
demander grâce pour ceux qui s'étoient présentés
mal à propos. Les
combattants arrivoient sous le glorieux titre
d'esclaves des dames, et chargés de leurs chaînes jusqu'à ce qu'elles les
leur eussent ôtées, pour donner l'essor à leur valeur. Les
dames envoyoient des faveurs à leurs serviteurs
particuliers pour les dédommager de celles qui leur avoient été enlevées et
pour ranimer leur courage et leur espoir. Les
fautes commises involontairement dans le combat, et qui avoient fait naître
des démêlés, se terminoient à la vue du signe de
clémence du juge de paix envoyé par les dames pour rétablir l'union entre les
discordants.... Un
baiser accordé par la dame qui donnoit le prix,
faveur plus estimée que le prix même, étoit suivi
de l'honneur suprême d'être conduit parmi les souverains, et au rang de tout
ce que le théâtre d'honneur avoit de plus distingué.
. . . . . . . . . Enfin,
lorsque le prix avoit été décerné, les officiers
d'armes alloient prendre, parmi les dames ou les
demoiselles, celles qui devoient le porter et le
présenter au vainqueur. Le baiser qu'il avoit droit
de leur donner, en recevant le gage de sa gloire, sembloit
être le dernier terme de son triomphe. Il étoit
conduit par elles dans le palais au milieu d'une foule de peuple. Tout retentissoit autour de lui des éloges les plus fastueux,
etc.[16]... Si l'on veut bien se
rappeler l'estime que notre nation a prodiguée de tout temps aux vertus et
aux talents militaires, et le nombre prodigieux de spectateurs qui accouroient à nos tournois, de toutes les provinces et de
tous les royaumes, on concevra sans peine quelle impression devoit faire sur des hommes passionnés pour la gloire,
cette espèce de triomphe, et l'espérance de pouvoir un jour en obtenir de
pareils[17]. Cette
impression, avec les sentiments qui l'accompagnaient, était recueillie par
les troubadours et les trouvères, qui la communiquaient en tous lieux, la
transportant du midi au nord, en échos redoublés. Le troubadour chantait les
faits d'armes des chevaliers et les dames souveraines de leurs pensées, qu'il
se flattait d'immortaliser dans ses vers. Poètes errants, espèces de-rapsodes
comme les contemporains ou les associés d'Homère, souvent chevaliers
eux-mêmes, les troubadours allaient de château en château colportant l'image
des beautés célèbres et en racontant à tout venant, à l'aide de la lyre ou de
la guitare, les mérites, ainsi que les exploits qu'elles avaient inspirés. Le
poème était monotone, comme l'amour lui-même, cet éternel recommenceur comme l'appelle madame de
Sévigné ; mais la variété des broderies suppléait à l'insuffisance du tissu,
comme aussi parfois la passion de l'auditoire à l'insuffisance du. talent. Le trouvère renchérissait encore sur le troubadour
: il traînait à sa suite un autre trouvère, qui lui donnait la réplique dans
une façon de duo qu'on appelait un tenson. C'était
une pièce dialoguée sur une question d'amour, et comme une joute poétique, à
l'imitation du tournoi ; l'un soutenait une thèse, l'autre la thèse
contraire, et l'assistance tranchait le débat[18]. Nous
avons dit que les cours d'amour ordonnaient et réglaient tout ce qui
concernait l'idéal de ce temps : telle était en effet la mission de ces
assemblées. Les dames, les chevaliers, les troubadours, s'exerçaient à
disputer sérieusement sur les questions qui se rapportaient à la passion
dominante et aux événements qui s'y rattachaient. Les assemblées étaient
ordinairement présidées par le prince d'amour. C'étaient comme des cours plénières
ou parlements, ainsi que certains auteurs les appellent. Le président Fauchet
dit que ces plaids et ces jeux sous l'ormelle étoient une assemblée
de dames et de gentilshommes, où se tenoit comme un
parlement de courtoisie et de gentillesse, pour vuider plusieurs différends ;
il y en avoit en différentes provinces, suivant
qu'il se trouvoit des seigneurs et dames de gentil
esprit[19]. Il y avait une cour d'amour en
plein exercice sous Charles VI, présidée par la duchesse d'Orléans. C'était
comme une mode, qui faisait partie de l'existence morale de la société polie,
et peut-être est-ce là qu'il faut placer le point de départ de cette société
dans notre pays : la cour de la duchesse d'Orléans préludait à l'hôtel de
Rambouillet[20]. Quelle
était la jurisprudence de ces parlements, comme l'auteur du Roman de la
Rose appelle les cours d'amour[21] ? Était-elle dictée par
l'esprit qui inspirait Dante et Pétrarque, par le sentiment profond de la
dignité de la femme et de la vierge, que le christianisme a recueilli de la
poésie antique, et qu'il avait en quelque sorte raffiné ou perfectionné ?
Tout le fait supposer. Il ne faudrait pas juger de la pensée qui présida à
l'institution de ces tribunaux de la galanterie du moyen âge par le recueil
des arrêts d'amour, de Martial d'Auvergne, où nous voyons plaider et décider
des causes comme celles-ci : 1° une dame se plaint que son amant lui a offert plusieurs dons et bagues,
qu'elle ne voulut prendre ne recevoir pour doute de simonie en amour, qui est
défendue ; 2° un
écuyer accuse une dame de l'avoir blessé en le baisant trop rudement, et la
dame est condamnée par la cour d'amour à mouiller, au moins une fois par
mois, de sa salive, la blessure de son ami, jusqu'à complète et entière
guérison ; 3° un amant se plaint que sa dame cause avec ses rivaux, et en
reçoit des bouquets, malgré le serment qu'elle a fait de n'aimer que lui ; 4°
l'amant se plaint qu'il y a usure dans ses conventions avec sa dame et en
demande la résiliation vu qu'il est obligé de
faire à sa dame plusieurs dons, honneurs et services, le tout pour un baiser ; 5° un demandeur conclut, par
droit lignagier, contre un étranger défendeur à qui
un frère dudit demandeur avait cédé un baiser qu'il recevait toutes les
semaines d'une certaine dame[22]. — Cette subtilité et cette
vulgarité ne durent pas se rencontrer dans l'esprit primitif de
l'institution, non plus que dans les chants des troubadours. Mais il est vrai
de dire que l'on s'était placé à une hauteur où il était difficile de tenir.
Il y a toujours une grande distance entre l'idéal et le réel ; quelques âmes
d'élite ont pu demeurer sur les cimes de la théorie, mais l'effort qu'elle
demande exige une trop grande puissance pour qu'on puisse supposer que le vulgaire en ait jamais été longtemps capable. Il ne
faut pas le dissimuler, le divorce que l'on avait prétendu établir entre le
corps et l'âme cessa de bonne heure, et ce qu'on avait voulu immoler à
l'élément mystique, ne tarda point à reprendre ses droits, et peut-être plus
que ce qui lui était légitimement dû. Si la poésie des troubadours resta
toujours gracieuse, elle devint bientôt légère, trop légère, et l'esprit
païen s'y mêla à l'esprit chrétien jusqu'à l'absorber. On peut se faire une
idée des sentiments dont la poésie se faisait l'écho et des mœurs qu'elle se
plaisait à peindre, et aussi à' entretenir, par, les vers suivants cités par
Sainte-Palaye : Une
dame qui reçoit chez elle un chevalier ne veut point s'endormir qu'elle ne
lui envoie une de ses femmes pour lui tenir compagnie : La
comtesse, qui fut courtoise, De
son oste pas ne li poise[23], Ainz le fist fere à grand delit[24] En
une chambre un riche lit. Là
se dort à aise et repose ; Et
la comtesse à chief se pose[25], Appelle
une soue[26] pucelle, La
plus courtoise et la plus bele
: En consoil[27] li dist,
belle amie, Alez tost, ne vous ennuie mie[28], Avec
ce chevalier gesir. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Si
le servez, s'il est mestiers. Je
i alasse volentiers, Que
ia ne laissasse pour honte ; Ne fust pour monseigneur le comte Qui
n'est pas encore endormiz[29]. J'enseignerai
aux galants, dit le comte d'Orange, qui était à la fois chevalier et
troubadour, la, manière d'aimer. Voulez-vous avoir des femmes qui vous
mettent en renom ? Au premier mot de refus prenez un ton de menace, et, si
elles répliquent, ripostez par un coup de poing, et vous en ferez ce qu'il
vous plaira. Cela
nous mène bien loin de Dante et de Pétrarque, et il largo fume d'amore, le large fleuve d'amour, comme
l'appelle le poète, a bien troublé ses eaux. Les
cours d'amour n'ont pas moins dégénéré : à vrai dire, ce que nous connaissons
de leurs arrêts ne fait guère honneur à leur galanterie et à leur esprit. Citons
quelques exemples. Un
chevalier aimait une demoiselle ; la demoiselle aimait un autre chevalier,
et, pour consoler le postulant éconduit, elle lui promit de l'agréer si elle
venait à perdre son amant. Elle le perdit, en effet, car elle l'épousa quelque
temps après ; mais elle refusa de tenir sa promesse, prétendant, avec quelque
apparence de raison, ce semble, qu'épouser son amant c'était encore le
posséder. Une cour d'amour, présidée par Éléonore de Guienne, repoussa cette
doctrine comme attentatoire à la chevalerie et condamna la dame à tenir son
engagement. La même Éléonore de Guienne prononce que le véritable amour ne
peut exister entre époux, et elle le prouve par son exemple. Elle permet de
prendre pour quelque temps un autre amant afin d'éprouver le premier. Vaut-il
mieux être amant que mari ?... Gui d'Uisel plaide
pour l'amant, et son cousin Clias pour le mari. Et
la cour décide que l'amour du mari pour sa femme est ridicule, tandis que
l'amour du chevalier pour la dame est digne d'éloge. Vaut-il
mieux aimer une novice qu'une dame expérimentée ?... Le troubadour Montlaur
discute la question centre le chevalier Esperdut. —
Esperdut, lui dit-il, j'aime mieux posséder
qu'attendre. Avec la dame, je suis certain de ce que je possède ; avec une
ingénue, je ne vois qu'incertitude. — Seigneur Montlaur, répond l'autre,
j'aime mieux l'espérance d'un bien à venir ; je peux gagner de jour en jour
avec la jeune personne, tandis qu'avec la darne je ne peux rien acquérir de
nouveau. Celui-là a le meilleur lot, répliqua Montlaur, qui possède une dame
d'expérience ; elle sait mieux faire fête à son ami qu'une jeune qui raconte
tout à son mari. D'autres
questions, plus subtiles, se présentaient. En voici quelques - unes qui nous
initieront à l'étrange casuistique où aimait à se jouer l'imagination de nos
pères. Un
amant a eu deux maîtresses ; l'une ne lui a accordé son cœur qu'après de
longues poursuites ; l'autre ne l'a pas fait soupirer trop longtemps : on
demande à laquelle des deux il a le plus d'obligation. Un
amant est si jaloux qu'il s'alarme de la moindre chose ; un autre est si
prévenu de la fidélité de sa mal- tresse qu'il ne s'aperçoit pas même qu'il a
de justes sujets de jalousie : on demande lequel des deux
marque le plus d'amour. Deux
dames ont chacune un amant ; celui de l'une compte aller exercer sa valeur à
un tournoi qui se prépare ; mais, comme sa maîtresse le lui défend, il obéit
; l'autre ordonne à son amant de se trouver au tournoi, et, quoiqu'il soit faible
et peu courageux, il s'y rend au moment même. Lequel des deux amants a le plus d'amour pour sa dame[30] ? Nous
pouvons descendre plus encore au-dessous de l'idéal ; mais cela même ne nous
éloignera pas de l'époque que nous voulons peindre. Florence
et Blanche-Fleur soumettent au jugement de la cour d'amour la question de savoir lesquels des gens d'Église
ou des chevaliers l'on doit aimer, et lesquels sont plus polis et plus
remplis de courtoisie. La cour d'amour est composée d'oiseaux, que le dieu
d'amour appelle ses barons. Naturellement, l'épervier, le faucon, le geai, le
perroquet sont pour les chevaliers ; la huppe, l'alouette, le rossignol, qui
prend le titre de conseiller d'amour, sont pour les gens d'Eglise. Le
rossignol offre le combat, que le perroquet accepte ; celui-ci est vaincu,
obligé de rendre son épée et de convenir que les
gens d'Église sont braves et honnêtes, et plus dignes d'avoir des maîtresses
que les hommes de tout autre état, et par conséquent que les chevaliers. Florence,
au désespoir de se voir condamnée, s'arrache les cheveux et ne demande à Dieu
que le bonheur de mourir ; elle s'évanouit
trois fois et la quatrième elle mourût[31]. La
chose ne tournait pas toujours ainsi au tragique, et l'on trouvait parfois
que les amoureux avaient quelque chose de mieux à faire que de se tuer.
L'exemple prouve aussi que quelquefois le tribunal n'évoquait des causes que
pour son plaisir et ne rendait des sentences que pour n'en point perdre l'habitude[32]. Nous
avons entendu une reine de France, Éléonore de Guienne, déclarer en plein
parlement d'amour que le véritable amour ne pouvait exister entre époux,
élevant ainsi son propre exemple à la hauteur d'une théorie. La théorie fit
fortune, comme l'exemple, sans doute, et nous le retrouvons, non plus comme
une fantaisie de femme galante qui a besoin de couvrir ses propres désordres
de quelque prestige, mais comme une thèse sérieusement étudiée et soutenue,
comme une doctrine philosophique. Il n'est rien de plus instructif, et qui
jette un plus triste jour sur le fond de cette société aristocratique du
moyen âge travaillée de tant de passions diverses et contradictoires que
l'ouvrage écrit sous le règne de Philippe Auguste par André le Chapelain,
ainsi nommé de la charge qu'il remplissait dans la chapelle royale. L'œuvre
porte le titre significatif de l'Art d'aimer, de Arte amandi, avec une contrepartie sous ce titre : de Reprobatione amoris[33]. Il résulte de la lecture de
cet ouvrage, qui n'est qu'un anneau d'une longue chaine d'écrits sur le même
sujet et aboutissant aux mêmes conclusions, qu'au quatorzième siècle on
distinguait deux genres d'amour, qui pouvaient coexister ensemble sans se
confondre et sans réprobation, l'amour de dette, c'est-à-dire l'amour dans le
mariage, celui qui est dû, en vertu du sacrement par le mari à la femme, et
l'amour de grâce, l'amour libre, qui ne s'ensevelit pas dans un seul objet,
comme dans un tombeau, mais au contraire peut successivement, progressivement,
et même simultanément, animer de sa flamme des liaisons multipliées. La loi s'étendait aux deux sexes avec une louable
impartialité[34]. Une conséquence naturelle de
cette doctrine c'est que l'opinion montrait une grande indulgence et même une
sorte de faveur pour les bâtards. On connaît le mot.de Valentine de Milan,
veuve du duc Louis d'Orléans en partant de Dunois : Il m'a été emblé. Le mot se retrouve dans un livre familier
d'instruction nommé le Lucidaire, et daté du
quinzième siècle ; c'est un dialogue entre un maître et un disciple. — Le disciple : Nuit-il rien ès enfants, quant
ils sont conceus en adultère, ou autrement qu'en
loyal mariage ? — Le maître : Nenny point ;
si pour comme au froment qui a esté emblé. Car qui
le sème, il croît comme l'autre[35]. Ainsi,
à l'époque la plus florissante du christianisme, nous nous trouvons comme
rejetés en pleine Grèce païenne. La loi qui avait institué la monogamie à
Athènes y avait en même temps autorisé le concubinage. Nous avons une femme, disait Démosthène, pour notre lignée, et une concubine pour nos plaisirs. De même dans le moyen âge : Le chevalier a deux femmes : l'une pour faire souche,
celle-là garde le manoir ; l'autre pour occuper son loisir, c'est celle-là
qu'il aime et qu'il chante quand il a le talent de rimer (3)[36]. Mais il y avait contre nous
cette circonstance aggravante, que nous maximions nos faiblesses et que nous mettions tout à la fois
contre nous la loi, la religion et la logique. Ces
théories se réfléchissaient dans les romans, qui leur prêtaient un charme
nouveau ; elles se propageaient de la sorte par la lecture et volaient, pour
ainsi dire, portées partout sur les ailes de l'imagination. Dans les romans
les plus célèbres et les plus brillants du moyen âge, c'est l'amour de grâce
qui l'emporte sur l'amour de dette, comme dans nos vaudevilles et nos romans
modernes c'est l'amant qui a le pas sur le mari. Le
roman de Tristan, le premier en date de ces anciens écrits, et aussi le
premier en mérite, n'est qu'une sorte d'apologie poétique de l'adultère.
L'analyse que nous empruntons à M. Paulin Pâris, permettra d'en juger : L'action se déroule clairement autour de trois personnages
parfaitement dessinés ; savoir : le roi Marc, de Cornouailles, Tristan, son
neveu, la blonde Iseult, femme du roi, amante de Tristan. Marc est un bon
oncle, un bon prince, un bon homme ; mais le breuvage enchanté que Tristan et
Iseult ont pris ne leur permet pas d'écouter les lois de l'honneur et de la
raison. Ils s'aiment éperdument, et la force de l'enchantement ne laisse pas
la moindre prise au blâme qu'on serait tenté de leur adresser à l'un et à
l'autre. Le roi Marc passe toute sa vie à les surveiller, à les surprendre, à
leur pardonner. Chacun des trois auteurs principaux a son conseiller
particulier : le roi se laisse conduire par les avis d'un méchant nain ;
Tristan est défendu par le dévouement du bon Gouvernail ; Blangine,
la fidèle camériste d'Iseult, prépare les rendez-vous et prévient les effets
des trop justes défiances du roi de Cornouailles. . . . . . .
. . . Tout
l'intérêt du roman se concentre sur Iseult et sur Tristan ; rien de plus
touchant, par exemple, que la mort de Tristan. Surpris dans les chambres de la reine comme il harpoit
devant elle, il a été frappé par le roi Marc d'un dard empoisonné donné par
la fée Morgane. Après un pareil coup Marc se sauve, effrayé de ce qu'il a
fait et de la vengeance que pourrait encore en tirer Tristan. Celui-ci
rassemble ses forces, monte à cheval, part de Tintaguel,
lieu situé sur la côte de la province française de Cornouailles, et vient se
réfugier au château de son ami Dinas[37]. C'est là qu'il meurt dans les
bras d'Iseult et avec elle. La
reine, dont le cœur était brisé par la douleur, fut quelque temps sans
pouvoir répondre ; enfin : Doux ami, dit-elle, j'atteste Dieu que rien ne me plairait autant comme de
vous faire aujourd'hui compagnie, mais je ne sais comment ce pourrait être ; dites-le moi, si vous le savez ; car si femme pouvait
mourir pour angoisse ou pour douleur, je serois
déjà morte plusieurs fois depuis que je suis auprès de vous. — Hé ! douce amie, reprend Tristan, vous voudriez
donc bien mourir avec moi ! — Au nom de Dieu, fit-elle, je n'eus jamais aussi grand désir que celui-là. — Par ainsi, dit Tristan, je suis plus satisfoit que je ne saurois dire.
Ce seroit grande honte, en effet, de voir Tristan
mourir sans Iseult, quand nous avons toujours été une chair, un cœur, une
âme. Or donc, approchez-vous et m'accolez ; je sens que la mort arrive, et je
veux finir entre vos bras.
— Iseult alors se penche sur Tristan ; elle s'incline sur sa poitrine.
Tristan la prend entre ses bras ; il la serre de telle force sur lui, qu'il
lui fit partir le cœur, et lui-même expire en même temps qu'elle. Ainsi, bras
à bras et bouche à bouche moururent les deux amants[38]. L'effet
de telles lectures sur les imaginations naïves et passionnées du moyen âge
est admirablement rendu par Dante dans l'épisode de Francesca de Rimini, qui
est tout à la fois une merveilleuse création poétique, un écho sonore de
l'esprit du temps et une critique involontaire de cet idéal chimérique de
l'amour célébré par le génie du grand poète. Lorsque
mon maître m'eut nommé les dames antiques et les cavaliers, la pitié me prit
et je fus comme éperdu. Je
dis : Poète, volontiers parlerais-je à ces
deux qui sont ensemble et paraissent si légers au vent. Et
lui : Tu verras quand ils seront plus près de
nous ; alors prie-les au nom de cet amour qui les entraîne, et ils viendront. Aussitôt
que le vent les eut portés vers nous, j'élevai la voix : Ô âmes désolées, venez nous parler, si nul ne le défend. Telles
que des colombes appelées par le désir, les ai les
ouvertes et immobiles, volent à leur doux nid, portées par un seul vouloir,
ainsi ces deux âmes sortirent de la foule où est Didon, venant à nous par
l'air malfaisant, tant mon cri affectueux eut de force sur elles. Être gracieux et bon, qui,
traversant cet air sombre, viens nous visiter, nous qui avons teint le monde
de sang ; si le roi de l'univers nous était propice, nous le prierions pour
ton bonheur, puisque tu as pitié de notre sort affreux. Nous écouterions ce
que tu veux nous dire, et ce que tu veux entendre nous te le dirions, tant que
le vent se taira comme il le fait. La ville où je suis née est assise au bord
de la mer, où le Pô vient se reposer avec tous les fleuves qui lui font cortège.
Amour, qui se prend vite aux nobles cœurs, éprit celui-ci du beau corps qui
m'a été enlevé, de telle sorte que j'en suis encore flétrie. Amour, qui ne
permet à nul être aimé de ne pas aimer, m'éprit d'une telle envie de lui
complaire, que, comme tu vois, même à cette heure, il ne me quitte point.
Amour nous a conduits à la même mort. Le cercle de Caïn attend celui qui nous
tua là-haut. Telles
furent leurs paroles. Dès que j'eus entendu ces âmes blessées, j'inclinai le front,
et je le tins si longtemps penché qu'à la fin le poète me dit : A quoi penses-tu ? — Quand je pus répondre, je m'écriai : Hélas ! que de pensées douces, que de désirs ont mené
ceux-là à leur afin malheureuse. — Puis je me tournai vers eux, et je parlai, et je dis : Francesca, tes tourments me font pleurer de tristesse et
de pitié ; mais dis-moi, au temps.6 des doux soupirs, à quoi et comment
l'Amour a-t-il fait que vous ayez compris vos vagues désirs. Et
elle à moi : Nulle douleur plus grande que de
se a souvenir des temps heureux dans la misère, et ton maitre le sait ; mais
si tu as tant à cœur de connaître la première origine de nos amours, je ferai
comme celui qui parle et qui pleure. Nous lisions un jour, par plaisir,
comment l'Amour s'empara de Lancelot ; nous étions seuls et sans aucune
défiance ; plusieurs fois cette lecture fit rencontrer nos yeux et nous fit
changer de couleur, mais un seul endroit nous perdit. Quand nous lûmes
comment le sourire adoré avait été baisé par un tel amant, celui-ci, qui ne
sera jamais séparé de moi, me baissa la bouche tout tremblant. Le livre et
celui qui l'écrivit furent.6 pour nous un autre Galléhaut... Ce jour, nous ne lûmes pas 'plus avant. Tandis
qu'un des esprits parlait ainsi, l'autre pleurait si fort, que je défaillis
de pitié comme si je mourais, et je tombai comme tombe un corps mort[39]. Toutes
ces idées que les romans, les troubadours, les tournois, les cours d'amour,
popularisaient au moins dans le cercle de la société d'élite, étaient encore
debout, ainsi que nous l'avons dit, à la fin du quatorzième siècle et dans la
première moitié du quinzième, avec toutes leurs chimères et toutes leurs
misères. Elles étaient certainement dans les faits : les tournois n'ont pas
manqué dans le quinzième siècle ; il y a eu une cour d'amour sous Charles VI,
dont on connaît les noms des membres. Elles étaient encore plus dans les
imaginations : c'était en quelque sorte l'air que l'on respirait en naissant
; les jeunes hommes, les jeunes femmes avaient sur l'amour, grâce à
l'imagination, les mêmes idées, les mêmes aspirations qu'en plein moyen âge,
et ils succombaient aussi aux mêmes égarements comme aux mêmes erreurs. L'éducation
dans l'intérieur des châteaux réagissait contre le mouvement qui portait en
bas, essayant de maintenir l'idéal et d'élever les âmes à son niveau. Nous
avons -vu quels principes donnaient les mères et les pères à leurs enfants ;
nous savons que les livres qui célébraient l'amour chevaleresque
remplissaient les bibliothèques des châteaux[40]. La religion enfin, qui se
mêlait à tout, avec autrement de puissance qu'aujourd'hui, qui prenait l'homme
et la femme au berceau, qui le suivait dans toutes les circonstances un peu
importantes de sa vie, non pas comme une mode, mais comme un devoir, et ne le
quittait pas même à la mort, puisqu'elle le berçait d'une sublime espérance
au-delà de la tombe[41], couvrait de son égide les
principes et les mœurs ; de sorte que l'âme de l'homme, celle de la femme
surtout, placée sous la double sauvegarde de la religion et de la poésie,
semblait devoir être à l'abri des tentations et des pièges auxquels elle est
exposée aujourd'hui. La nature humaine, la faiblesse humaine, si l'on veut,
l'emportait cependant et résistait aux forces qui la tiraient dans le sens de
l'idéal. Ces forces ne périssaient pas ; on croyait au paradis et à l'enfer ;
on aspirait à l'amour pur ; mais les croyances les plus nobles pactisaient
avec l'ennemi. On ne se disait pas qu'il est avec le ciel des accommodements
; on ne le pensait pas même, bien que le doute fût déjà dans bien des cœurs ;
on se laissait aller tout simplement, et l'instinct produisait sur les mœurs
les mêmes effets que le scepticisme. C'est là ce qui explique les
défaillances des âmes d'élite ; c'est ce qui permet à des femmes comme Agnès
Sorel, qui était certainement profondément religieuse, qui avait une nature
distinguée, supérieure même, et qui mettait le plus haut prix aux jugements
de l'opinion, comme l'atteste toute son histoire, de glisser dans des
positions fausses et d'y rester 'en dépit de tous leurs instincts, nous ne
disons pas de s'y résigner. Les grandes passions et les grandes conversions
des femmes du dix-septième siècle ne s'expliquent point par d'autres causes.
Agnès Sorel tend la main à deux siècles de distance à La Vallière et à madame
de Montespan, moins coupable que celle-ci et aussi pieuse que l'autre,
quoique moins brusquement repentante. Il est
un livre qui représente admirablement, selon nous, le contraste des
aspirations du quinzième siècle et de ses chutes, et singulièrement
l'impuissance de l'éducation, telle qu'elle existait dans la noblesse de ce
temps, à retenir les âmes dans les régions pures des platoniques amours, où
elle prétendait les faire vivre et séjourner comme dans la vraie patrie. C'est
le roman d'Anthoine de la Salle, le petit Jehan de Saintré. Ce livre
résume tous les grands principes qui président à l'éducation du moyen âge à
son déclin, dans cette période intermédiaire qui n'est plus le moyen âge, et
qui n'est pas encore la Renaissance. Il nous montre comme dans un miroir
l'effort que l'on tentait pour faire le gentilhomme accompli, le chevalier parfait,
et l'inefficacité de cet effort sur le point qui avait passé jusqu'alors pour
le plus important, que les femmes surtout, pour de bonnes raisons, tenaient à
faire prendre pour tel, l'amour chevaleresque, c'est-à-dire la pureté dans le
même amour. Ce n'est pas, il est vrai, l'élève qui succombe : Télémaque
résiste aux séductions de Calypso ; il reste fidèle à la même pensée, à la
même passion, au culte de la divinité qui lui a enseigné, comme une autre
Minerve, le parfait amour ; c'est la divinité qui tombe, c'est la déesse de
la sagesse elle-même, celle qui s'est attachée à en enseigner les lois, à en
dicter le code, qui s'oublie et s'égare dans cette 11e des plaisirs, dont
elle prétendait interdire l'accès. Mais cela même est ce qui place si haut le
livre d'Anthoine de la Salle, et qui en fait une œuvre de critique
philosophique, aussi profonde que celle de Cervantes, si elle est moins
riche, moins variée, moins dramatique, moins piquante d'esprit, moins
puissante d'inspiration et de verve. Il n'était pas difficile de penser,
après tant de naufrages, que l'idéal de l'amour chevaleresque était une
chimère, et il n'y avait qu'un médiocre mérite à le dire, après tant
d'autres. Ce qui était original, et d'un effet aussi puissant que nouveau,
c'était de montrer la bulle de savon, arrondie avec tant de peine,
s'évanouissant au souffle même de la bouche qui l'avait formée ; c'était de
faire voir la théorie s'écroulant sur la tête, non pas de celui qu'elle
prétendait abriter, mais de celle qui l'avait édifiée, et, pour ainsi parler,
la chimère dévorant la main qui la présentait à l'admiration et aux hommages
de son pupille. Car enfin, si la femme ne pouvait résister à la loi de la
nature qui n'a pas voulu que l'homme fût un ange, la femme, qui semble s'y
prêter moins indocilement, que serait-ce de l'homme, sur lequel cette loi a
plus d'empire ? L'aventure de la Dame des belles cousines et de Damp Abbé est la plus cruelle satire qui ait été
faite contre l'idéal de l'amour chevaleresque, satire assez inutile, il est
vrai, au temps où elle s'écrivait : le quinzième siècle est un des plus
licencieux de notre histoire[42]. Agnès Sorel n'a pas trempé dans cette licence : elle a payé son tribut à son temps, sans trop descendre, et en rachetant ses fautes par de grandes qualités et de grands services. L'amour a pu l'égarer : il ne l'a pas avilie. Si nous ne nous trompons, après avoir reçu cette belle éducation morale et religieuse qui existait dans les classes supérieures de la société d'alors, non pas dans toutes les maisons sans doute, mais incontestablement dans plusieurs, et dont nous avons esquissé les grandes parties, et cette autre éducation, en quelque sorte classique, de la chevalerie, que donnaient le spectacle de la société, l'opinion, la poésie et les romans, se trouvant placée entre les deux, elle a cédé à la seconde, sans rompre cependant avec la première, et en se préparant une excuse dans la grandeur d'un but à atteindre et de son amour pour son pays. Du reste, nous n'avons pas encore tout dit de l'éducation d'Agnès, ni des influences qui ont agi sur elle. Nous devrons, avant de la placer dans le milieu où sa propre influence s'est exercée, la montrer dans cette cour de Lorraine où elle a passé sa première jeunesse. Ce qu'elle y a vu et entendu a dû contribuer au tour de sa destinée : les idées chevaleresques et le sentiment du patriotisme devaient dominer dans la cour où régnait René d'Anjou, et s'y fortifier dans les cœurs dont ils s'étaient déjà emparés. |
[1]
Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 11.
[2]
Vallet de Viriville, Nouvelles Recherches sur Agnès Sorel, p. 61.
[3]
F.-F. Steenackers. Histoire des ordres de chevalerie et des distinctions
honorifiques en France. Paris, 1867. 1 vol. in-4°.
[4]
Histoire des ordres de chevalerie et des distinctions honorifiques en France,
p. 166, 167.
[5]
Histoire des ordres de chevalerie et des distinctions honorifiques en France,
p. 165.
[6]
Histoire des ordres de chevalerie et des distinctions honorifiques en France,
p. 177.
[7]
Eugène Pelletan. La Mère.
[8]
Le Moyen Âge et la Renaissance, t. Ier, Chevalerie. — Article de
M. Philarète Chasles.
[9]
Sur la licorne, voir la Gazette des Beaux-Arts, t. III, p. 155.
[10]
La scène décrite par M. Vallet de Viriville se voit peinte dans un tableau
très-remarquable de l'époque : le Buisson ardent, cathédrale d'Aix.
[11]
Vallet de Viriville, Charles VII et son temps, t. II, p. 59, 60.
[12]
Le Moyen Age et la Renaissance, t. I, Chevalerie. Article de M.
Philarète Chasles.
[13]
Le Moyen Age et la Renaissance, t. I, Chevalerie. Article de M.
Philarète Chasles.
[14]
Voir Michelet. Histoire de France, t. II, p. 334 et suiv. — Voir aussi
le même historien dans son livre l'Amour pur, t. II, p. 285.
[15]
Eugène Pelletan. La Mère, p. 161, 162.
[16]
Les dames n'étaient pas en reste ; non-seulement elles pansaient les blessures
des chevaliers, elles leur accordaient le don
d'amoureuse merci (a), ou au moins le gage d'amour sans fin, mais
parfois encore, dans l'enthousiasme inspiré par l'amour du combat, elles
allaient jusqu'à oublier le respect de leur personne et la décence extérieure.
On lit dans Perceforest (vol. I, fol. 155, verso, col. I), qu'à la fin
d'un tournoi les dames étoient si dénues de leurs
atours que la plus grande partie était en pur chef (nu-tête) ; car elles s'en alloient les cheveux sur leurs épaules
gisants, plus jaunes que fin or,' en plus leurs cottes sans manches, car tout
avoient donné aux chevaliers pour eux parer et gimples et chaperons, manteaux
et camises, manches et habits ; mais quand elles se veirent à tel point, elles
en furent ainsi comme toutes honteuses ; mais sitost qu'elles veirent que
chacune étoit en tel point, elles se prirent toutes à rire de leur adventure,
car elles avoient donné leurs joyaux et leurs habits de si grand cœur aux
chevaliers qu'elles ne s'apercevoient de leur denument et dévestement.
(a) Il n'était pas permis aux
chevaliers de la Table ronde d'obtenir un don de merci (ou d'amoureuse merci) d'une
jeune pucelle, malgré elle, pourvu toutefois que la résistance fût sérieuse.
(Statuts de la Table ronde. — Voyez Leber, Pièces relatives à
l'Histoire de France, t. XI, p. 361 et 365.)
[17]
La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires sur l'ancienne chevalerie, t. Il, p.
129, 130, et t. I, p. 85, 86.
[18]
Eugène Pelletan, La Mère, p. 158.
[19]
Leber, t. XI, p. 307.
[20]
Il y eut même une de ces sortes de cour, au milieu des désordres de la Ligue, à
Nantes, dans l'hôtel de la duchesse de Mercœur, entre l'époque qui sépare Anne
de Bretagne de l'hôtel de Rambouillet.
[21]
Vers 1105, t. II, p. 7 ; édit. de 1735.)
Le Dieu d'amour sans terme mettre,
De lieu, de temps, ni de lettre,
Toute sa baronnie mande ;
Aux uns prie, aux autres commande
Que tantôt ces lettres vues
Et qu'iceux les auront reçues,
Ils viennent à son parlement.
[22]
Leber, t. XI, p. 382-384.
[23]
N'est pas fâchée d'avoir un tel hôte.
[24]
Une grande joie.
[25]
Enfin va se coucher.
[26]
Sienne.
[27]
En secret, à l'oreille.
[28]
Qu'il ne vous déplaise.
[29]
La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires sur l'ancienne chevalerie, t. I, p.
391.
[30]
Leber, t. XI, p. 369.
[31]
Leber, t. XI, p. 371. Voir aussi le chapitre sur les cours d'amour dans l'Histoire
de la chevalerie, par Libert.
[32]
De tous les jugements des cours d'amour que nous rencontrons dans les ouvrages
des troubadours ou dans le célèbre recueil d'un contemporain d'Agnès Sorel,
Martial d'Auvergne, le plus curieux peut-être est celui qui fut-rendu en faveur
de Guillaume de Castaing. Nous le donnons comme type, avec quelques préliminaires.
Le damoiseau se tenait hors de
la barrière : une dame faisait la fonction d'huissier ; l'ayant appelé par
trois fois, une autre dame vint le prendre par la main. Avant de l'introduire :
— Gentil damoiseau, lui dit-elle, laissez vos armes en dehors de la
barrière ; point n'est besoin, avec les dames, d'autres armes que de votre
courtoisie et de votre gentillesse ; joignez-y seulement un peu d'envie de
plaire. Faudrait n'avoir ne cœur, ne sang, ne yeux pour n'avoir envie de plaire
aux dames.
Entré dans le cirque, il se
tint debout, seul, à côté du rang des chevaliers ; quand il eut ouï
l'accusation intentée contre lui par dame Éléonore de Cominge, veuve de Roger
de Turenne, et ensuite celle intentée au nom de Dariolette (a), il rougit ; car il avait de la candeur, et il en avait
trop pour n'être pas embarrassé. Il ne savait comment il lui était permis de se
défendre ; il craignait d'offenser ce galant et aimable tribunal. Il ne comprit
point que sa cause était une de celles que la cour avait choisies pour s'égayer
; il demanda un avocat. On lui permit de choisir, même parmi ses juges ; il
s'approcha de dame Marguerite de Tarascon (b),
mit un genou en terre devant elle et lui présenta son gant. Dame Marguerite le
prit en rougissant, se leva de son siège, et se plaça auprès de lui, à l'autre
bout du cirque.
Après le plaidoyer de son
avocat : La cour, lui dit un huissier, vous permet de baiser votre
avocat à la joue. Il ne se fit pas répéter cette sentence deux fois. Sire
Raymond, mari de Marguerite, voulut en appeler ; on ne lui répondit que par de
grands éclats de rire. Le damoiseau fut présenté à chacun de ses juges, et leur
baisa à toutes la main.
La cour d'amour allait
prononcer, lorsqu'un moine que Cabestaing avait amené pieds et poings liés,
pour l'avoir trouvé voulant faire violence à une paysanne, l'accuse d'avoir été
larron d'honneur de cette paysanne ; ce dont Cabestaing convint, mais fut à
l'instant justifié par la paysanne, qui s'écria : — Mesdames, écoutez-moi.
Rien ne m'a ravi ce tant beau damoiseau ; ains c'est nous qui lui avons tout
donné, et moult brièvement eussions été courroucée, si n'avait osé tout prendre
; aurions craint qu'aurions été rejetée et méprisée. La paysanne était si
jolie, l'excuse était si bonne que dame Marguerite, qui était bonne aussi, la
trouva pardonnable.
La paysanne continua de
justifier Cabestaing. Ensuite la cour ordonna silence, et Élise de Turenne,
présidente de la Cour d'amour, prononça ainsi la sentence : Rien n'est grave
dans votre cas, beau damoiseau ; avez fait ce qu'avez voulu à l'égard de
Dariolette ; n'avez pas su ce que deviez à l'endroit de dame Éléonore ; avez
fait tout ce qu'occasion voulait à l'endroit de la paysanne : la cour vous
absout, et vous enjoint cependant d'être moins respectueux, moins timide, plus
courtois envers les dames, et vous ordonne de prendre des leçons de courtoisie
de nous toutes. Le devoir d'un chevalier est de chercher à plaire, de nous
rendre heureuses en tout bien, et d'être discret. A tout âge, les dames sont capables
d'aimer et de donner un juste retour. Gardez-vous de dédaigner celles qui ne
sont plus jeunes : c'est alors que délicatesse, honneur et ménagement sont
requis. Allez, beau damoiseau, commencer votre cours de courtoisie auprès de
nous. Puisse votre dame vous pardonner l'aventure de la paysanne. Quant au
moine, qu'il soit délivré de ses cordes, et condamné à dire ses patenôtres :
enjoint au chevalier de lui couper le nez s'il attentait à l'honneur des
paysannes. Ses pareils sont faits pour prier Dieu et nous absoudre de nos
péchés.
(a) Nom que portaient alors les suivantes ou femmes de
chambre.
(b) Cette dame était la dame souveraine des pensées de
Guillaume. Elle eut le sort de Gabrielle de Vergy ; son mari, Raymond de
Roussillon, après avoir fait tuer Cabestaing en traître, en fit manger le cœur
à sa femme, Marguerite de Tarascon : il y a même des auteurs qui prétendent que
le fait de Cabestaing est le seul vrai, et que celui du sire de Coucy n'en est
qu'une imitation. (Notes de Leber. Pièces relatives à l'histoire de France,
t. XI, p, 373.)
[33]
De Arte amandi et de Reprobatione amoris. Biographie Didot. — Article
Chapelain André.
[34]
Vallet de Viriville, Charles VII et son temps, t. III, p. 5.
[35]
Vallet de Viriville, Nouvelles Recherches sur Agnès Sorel, p. 55
[36]
Eugène Pelletan. La Mère, p. 146.
[37]
Le Moyen Age et la Renaissance, Romans, article de M. Paulin Pâris.
[38]
Le Moyen Age et la Renaissance, Romans, article de M. Paulin Pâris.
[39]
Dante Alighieri. L'Enfer, traduction de P.-A. Fiorentino, p. 25, 26, 27.
Paris, 1861, 1 vol. in-f°.
[40]
Voir la bibliothèque de Monseigneur de Dunois. On y trouve les romans du moyen
âge en grand nombre : Tristan, en 3 volumes ; Lancelot du Lac, en
3 volumes ; Regnault de Montauban ; Terrance de Portugal ; le
Chevalier de Desmes. — (Le Roux de Lincy, Les Cent Nouvelles nouvelles,
Paris, 1811, 2 vol. in-12.)
[41]
La religion, dans le quinzième siècle comme dans le moyen âge, restait le fond
de l'éducation des classes nobles : elle répétait dans les châteaux ses leçons
sous toutes les formes. Ce n'était pas seulement dans les villages, c'était
partout que l'on voyait aux murs des églises, comme Villon le dit de sa mère :
Paradis poinct, ou sont harpes et lus,
Et ung enfer ou damnez sont boulus.
[42]
M. Michelet, dans son Histoire de France, t. V, p. 104, parle de la
chasteté du roman de Jehan de Saintré. L'illustre écrivain n'aurait-il
pas lu la seconde partie du livre ?