De l'esprit religieux
et de l'éducation au quinzième siècle. — De la religion et de son influence.
— De l'éducation des filles nobles. — Charlotte de Bourbon ; son instruction
pour ses filles. — Instructions de Latour-Landry à ses filles. — Le
Ménagier de Paris. — Les mœurs. — Influence de l'opinion. — Les romans. —
Singulières conversations.
On
n'est pas tenté de juger de l'empire de la religion au moyen âge, et même au
delà, par ce qui existe de nos jours. Le catholicisme, en ce moment du
dix-neuvième siècle, est encore tout entier dans ses dogmes, dans son culte,
dans ses cérémonies, dans son organisation, dans sa forme ; dans son
influence sur les âmes, il n'est que l'ombre de lui-même : Magni nominis ombra. Est-il certain même qu'il tienne une grande place
au dehors ? On a pu écrire : Aujourd'hui les
pratiques religieuses se mêlent à peine, même chez les croyants, au train
ordinaire de la vie. Je mets à part les circonstances solennelles de la
naissance, du mariage et de la mort, et il s'en faut bien que, dans ces
occasions mêmes, la religion soit aujourd'hui ce qu'elle était dans
l'antiquité... A part donc la naissance, le mariage et la mort, et, si on
veut, les cérémonies de la première communion à l'entrée de l'adolescence, la
religion a ses heures et le monde les siennes. Un Te Deum, une messe
d'inauguration, une prière marmottée au commencement et à la fin d'une classe
ou d'un repas dans les collèges, voilà à peu près toute la part que nous donnons
maintenant au ciel dans nos affaires[1]. Mais, en supposant encore que
l'écrivain que nous venons de-citer eût outre-passé la vérité en étendant à
la société entière ce qui pourrait n'être vrai que d'une partie, en admettant
qu'une plus grande place appartint aux pratiques, combien nous serions loin
encore de ce qui existait avant les deux grandes révolutions religieuses ou
philosophiques qui s'appellent la Réforme et la Révolution française ? Ce qui
fait le fond de toute religion positive, la foi au surnaturel, ou a disparu
des esprits, ou est bien près d'en disparaître. Dans le moyen âge, au
contraire, et dans le quinzième siècle, qui est comme sur la limite du passé
et de l'avenir, le fonds et la forme, la pratique et l'idée dominent dans la
société tout entière : la religion, en un mot, enveloppe et pénètre la pensée
et la vie des hommes. 'Un
écrivain de la fin de cette époque, l'auteur du roman le Jouvencel, compare
l'Église au chef de l'homme, la chevalerie à ses bras, et l'état des
bourgeois, marchands et laboureurs, aux autres membres inférieurs[2]. La
suprématie attribuée ainsi à l'Église est contestable ; elle ne le serait pas
si, au lieu de l'Église, on avait nommé la religion : elle était réellement
alors la tête de l'homme, l'organe central et le moteur de son existence. Si
le surnaturel, qui en est le fonds, n'est pas le même que celui de
l'antiquité, du paganisme, s'il a changé de formes et d'aspects, il n'a pas
cessé d'être. On se heurte sans cesse encore, même au quinzième siècle, à
quelque prodige, à une apparition, à une manifestation de la divinité, à la
divinité elle-même, presque comme dans les temps dont parle le poète, . .
. . . Où le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux. Si nous
avions à insister ici sur ce sujet, que d'exemples l'histoire de ces temps,
et non pas l'histoire ecclésiastique seulement, mettrait à notre disposition
! Qu'on lise, dans le livre si intéressant de M. Le Roux de Lincy, l'histoire
d'Isabelle de France, sœur de saint Louis, fondatrice du monastère de
Longchamp, ou qu'on s'arrête seulement à ce passage : Les
deux dernières années de sa vie furent traversées, dit l'historien, par de
longues maladies. Isabelle les supporta sans se plaindre. Enfin Dieu la
rappela vers lui : elle mourut le 22 février 1269, âgée de quarante-cinq ans.
Sœur Clémence d'Argas, l'une des religieuses de Longchamp, dit sous serment
que la nuit où cette sainte fille expira, un peu avant Matines, elle ouvrit
sa fenêtre pour voir si quelqu'un, passant dans la cour, pourrait lui dire ce
qui se passait, car elle savait bien que Madame était près de sa fin. Elle
entendit une voix douce et mélodieuse au-dessus de la maison, qui chanta si
longuement que ce ne pouvait pas être une voix humaine. Sœur Clémence mit sa
tête hors des barreaux pour mieux entendre ; mais bientôt l'on sonna Matines,
et la nouvelle que la princesse était morte vola de bouche en bouche. Sœur
Aveline de Hainaut dit aussi qu'elle avait entendu à la même heure des chants
si harmonieux qu'elle se dressa moitié debout : Nous croyons fermement, ajoute le biographe, que c'était la
mélodie des saints anges qui conduisaient l'âme d'Isabelle dans la gloire des
cieux. Elle
fut inhumée dans l'intérieur du cloître avec ses vêtements ordinaires ; mais,
au bout de neuf jours, il fallut l'exhumer, afin de satisfaire à
l'empressement d'un peuple nombreux qui, sur la réputation qu'elle avait
laissée, la considérait déjà comme une sainte et venait prier sur sa tombe.
Cette tombe fut ouverte : on trouva le corps d'Isabelle dans le même état que
si elle ne fût qu'endormie. Ses membres avaient la même souplesse, la même
fraîcheur que ceux d'un enfant. Son visage resplendissait d'une lumière
éclatante. Ses grands yeux étaient ouverts comme si elle eût été encore
pleine de vie. La robe avec laquelle on l'avait inhumée, aussi fraîche que le
premier jour, lui fut ôtée par les religieuses, qui la conservèrent comme une
relique. Cette cérémonie eut lieu en présence de Marguerite, comtesse de
Flandres, et de sa fille, religieuse de Longchamp, de la dame d'Audenarde,
d'Héloïse, femme veuve, et de plusieurs autres bourgeoises de Paris. Toutes
se trouvaient dans l'enceinte autour de la tombe, avec le seigneur Guillaume
de Guise, chanoine de Vernon, chapelain de la princesse, et deux maçons qui
déplacèrent le cercueil. A la fenêtre de l'enclos se pressait un peuple
immense qui demandait à voir le corps d'Isabelle. Agnès d'Harcourt fit ouvrir
cette fenêtre et placer le cercueil tout auprès ; puis, soulevant le corps
d'Isabelle comme celui d'un enfant, elle le fit voir à cette foule empressée
: chacun s'efforçait à qui mieux mieux de présenter son voile, l'anneau de
son doigt, l'agrafe de son manteau, son chapeau, sa ceinture, son aumônière,
afin qu'ayant touché au corps de la sainte cet objet pût être conservé comme
une relique. Ce
corps fut placé au milieu de l'église de l'abbaye, sous une grande pierre ;
on y grava l'effigie de la princesse. Elle était représentée couchée, un
livre sur la poitrine, les pieds tournés vers le maître-autel, couverte d'un
manteau royal semé de fleurs de lis. Elle avait une couronne sur la tête. On
lisait autour de cette pierre une épitaphe latine, dont une traduction en vers
nous est seule parvenue. La voici : Plus
brillante qu'un astre était cette Isabelle Qui
fonda ce couvent dans l'ardeur de son zèle ; Autant
humble que noble, elle persévéra En
prière, en silence, et son corps macéra. Souvenez-vous-en
bien, vierges ici voilées. Que comme autant de fleurs elle-même a plantées. Pendant
plusieurs siècles, de nombreux miracles se sont accomplis, dit-on, sur le
tombeau d'Isabelle ; le pape Léon X, ayant eu connaissance de cette renommée
populaire, plaça Isabelle au nombre des bienheureuses par une bulle du 3
janvier 1521[3]. Le
miracle est partout dans le moyen âge et dans les temps qui suivent. Il ne se
produit rien en dehors du cours ordinaire des choses dont l'imagination ne
s'empare et qu'on n'explique par l'intervention des puissances invisibles.
Valentine de Milan a le privilège de calmer quelquefois la fureur du
malheureux Charles VI : cela n'est pas naturel, et l'on fait peser sur la
douce et compatissante princesse l'accusation de sortilège et de magie. Le
roi de France est atteint d'aliénation mentale, et le même mal est fort
commun dans le royaume : cela n'est pas naturel non plus, et il faut s'en
prendre à quelque génie malfaisant du dehors. Le
roi, bien qu'en parfaite santé, dit le moine anonyme de Saint-Denis, donna
des signes de démence et se livra à des actes tout à fait indignes de la
majesté royale. On disait généralement que c'était l'effet des sortilèges...
Je ne saurais dire combien était profonde la douleur que l'auguste reine
Isabelle (Isabeau de Bavière) éprouvait de l'état du roi. Ce qui l'affligeait
surtout, c'était de voir que toutes les fois que, fatiguée de pleurer et de
gémir, elle l'approchait pour lui prodiguer les marques de son chaste amour,
le roi la repoussait en disant à ses gens : Quelle
est cette femme dont la vue m'obsède ? Sachez si elle a besoin de quelque
chose, et délivrez-moi comme vous pourrez de ses importunités, afin qu'elle
ne s'attache plus à mes pas. De toutes les femmes, madame la duchesse d'Orléans était celle
dont la présence lui était le plus agréable ; il l'appelait sa sœur
bien-aimée et allait la voir tous les jours. Bien des gens interprétaient en
mal cette prédilection. Leurs soupçons, que rien ne semblait justifier,
étaient fondés sur ce que, dans la Lombardie, patrie de la duchesse, on
faisait plus qu'en tout autre pays usage de poison et de sortilèges... Il
y avait dans le royaume beaucoup de nobles et de gens du menu peuple qui
étaient atteints de la même maladie (que le roi). La foule s'obstinait à dire
que c'était l'effet de sortilèges et de maléfices, que le roi lui-même avait
été ensorcelé, et que, selon toute vraisemblance, on en devait accuser le
seigneur de Milan (Galéas Visconti). On alléguait, à l'appui de cette absurde
assertion, que la fille de ce seigneur, la duchesse d'Orléans, était la seule
que le roi reconnût dans son égarement ; qu'il ne pouvait se passer de la voir
tous les jours, et qu'absente ou présente, il ne cessait de l'appeler sa sœur
bien-aimée[4]. On
connaît les voix de Jeanne Darc. Un
jour d'été, dit M. Michelet, jour de jeûne, à midi, Jeanne étant au jardin de
son père, tout près de l'église, elle vit de ce côté une éblouissante
lumière, et elle entendit une voix : Jeanne,
sois bonne et sage enfant ; va souvent à l'église. La pauvre fille eut
grand'peur. Une
autre fois, elle entendit encore la voix, vit la clarté, mais dans cette
clarté de nobles figures, dont l'une avait des ailes et semblait un sage
prud'homme. Il lui dit : Jeanne, va au
secours du roi de France, et tu lui rendras son royaume. Elle répondit, toute
tremblante : Messire, je ne suis qu'une
pauvre fille ; je ne saurais chevaucher ni conduire les hommes d'armes. La voix répliqua : Tu iras trouver messire de Baudricourt, capitaine de
Vaucouleurs, et il te fera mener au roi. Sainte Catherine et sainte
Marguerite viendront t'assister. Elle resta stupéfaite et en larmes, comme si elle eût déjà vu
sa destinée tout entière. Le
prud'homme n'était pas moins que saint Michel, le sévère archange des
jugements et des batailles. II revint encore, lui rendit courage, et lui raconta la pitié qui estoit au royaume de France. Puis vinrent de blanches
figures de saintes, parmi d'innombrables lumières, la tête parée de riches
couronnes, la voix douce et attendrissante à en pleurer. Mais Jeanne pleurait
surtout quand les saints et les anges la quittaient. J'aurais voulu, dit-elle, que les anges m'eussent
emportée (1)[5]. Et il
ne faut pas oublier que Jeanne n'est pas un phénomène isolé dans son siècle ;
à part de ses contemporains par la supériorité du génie, elle leur ressemble
par tout le reste. Ce qui se passa dans sa conscience se reproduit dans celle
des autres : les voix sont plus éclatantes, plus puissantes ; elles frappent
sur une sensibilité plus vive et plus profonde ; elles touchent une
intelligence plus complète et plus rare ; mais ce ne sont que les mêmes voix
qui bourdonnent aux oreilles de la multitude et qui la sollicitent. Le
3e jour de septembre à ung Dimanche, dit u,n contemporain, furent preschées
au Puis Nostre-Dame deux femmes qui environ demy an devant avoient esté
prinses à Corbeil et admenées à Paris, dont la plus ainsnée Pierronne, et
estoit de Bretaigne bretonnant, elle disoit, et vray propos avoit que Dame
Jehanne qui s'armoit avecques les Arminaz, estoit bonne, ce qu'elle faisoit estoit
bien fait et selon Dieu[6]. Cependant, dit M. Michelet, il en advint à Poitiers comme à Vaucouleurs ; sa sainteté
éclata dans le peuple : en un moment tout le monde fut pour elle. Les femmes,
damoiselles et bourgeoises, allaient la voir chez la femme d'un avocat du
parlement, dans la maison de laquelle elle logeait, et elles en revenaient
toutes émues. Les hommes même y allaient ; ces conseillers, ces avocats, ces
vieux juges endurcis s'y laissaient mener sans y croire, et quand ils
l'avaient entendue, ils pleuraient tous comme des femmes et disaient : Cette
fille est envoyée de Dieu. Rien ne
prouve mieux cette conformité des croyances que l'enthousiasme que Jeanne
provoqua, et la foi que sa mission rencontra ; l'opposition même de ses
ennemis est un témoignage et un signe de l'esprit du siècle, puisque, tout en
protestant contre la sainteté de sa mission ou la sincérité de ses dires, ils
acceptent la possibilité du surnaturel, quelques-uns inclinant pour
l'intervention du diable. On ne
peut parcourir cette histoire admirable de la Pucelle sans rencontrer à
chaque pas le merveilleux, la foi au merveilleux, et sans éprouver le besoin
de s'y arrêter. L'effet
de la délivrance d'Orléans fut prodigieux, dit encore M. Michelet. Tout le
monde y reconnut une puissance surnaturelle. Plusieurs la rapportaient au
diable, mais la plupart à Dieu... Six jours après le siège, Gerson publia et
répandit un traité où il prouvait qu'on pouvait bien, sans offenser la
raison, rapporter à Dieu ce merveilleux événement... Mais le plus grand péril
pour la sainte, c'était sa sainteté même, les respects du peuple, ses
adorations. A Lagny, on la pria de ressusciter un enfant. Le comte d'Armagnac
lui écrivit pour lui demander de décider lequel des papes il fallait suivre.
Si l'on s'en rapportait à sa réponse (peut-être falsifiée), elle aurait
promis de décider à la fin de la guerre, se fiant à ses voix intérieures pour
juger l'autorité elle-même... Dix mille hommes pleuraient (durant le supplice
de Jeanne Darc) ; quelques Anglais seuls riaient ou tâchaient de rire. Un
d'eux, des plus furieux, avait juré de mettre un fagot au bûcher ; elle expirait
au moment où il le mit. il se trouva mal. Ses camarades le menèrent à une
taverne pour le faire boire et reprendre ses esprits ; mais il ne pouvait se
remettre : J'ai vu, disait-il hors de lui-même, j'ai vu de sa bouche, avec le dernier soupir, s'envoler
une colombe. D'autres
avaient lu dans les flammes le mot qu'elle répétait : Jésus !
Le bourreau alla le soir trouver frère Isambert ; il était tout épouvanté ;
il se confessa, mais il ne pouvait croire que Dieu lui pardonnât jamais... Un
secrétaire du roi d'Angleterre disait tout haut en revenant : Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte[7]. Ce
n'est pas seulement dans les grandes situations comme celles qui coïncidaient
avec l'apparition de Jeanne Darc, que le sentiment du merveilleux et la puissance
de la foi se manifestaient au quinzième siècle : nous les surprenons dans les
circonstances ordinaires et dans presque tous les actes de la vie[8]. Le Journal d'un bourgeois de
Paris est, sous ce rapport, extrêmement curieux à lire et à consulter : ce n'est
qu'une chronique aride, une sorte de procès-verbal des événements de chaque
jour ; mais par cela même peut-être l'esprit du temps s'y reflète avec
d'autant plus de clarté, et certes aujourd'hui nous ne pouvons le parcourir
sans nous croire comme transportés dans un autre monde. Qu'on en juge par
quelques passages que nous prenons au hasard : …..
Et sitost que ceulx de Paris ceurent que le Roy (Charles VI) estoit en la
terre de ses ennemis (le duc de Berry, son oncle), par commun conseil, ils
ordonnèrent les plus piteuses Processions, qui oncques eussent.esté veües de
aage d'homme. C'est assavoir la pénultiesme jour de May audit an (1412), jour
de Lundi, firent Procession ceulx du Palais de Paris, les Ordres Mandians et
autres, tous nuds piez, portant plusieurs Sainctures moult dignes : portant
la Saincte vraye Croix du Pallays. Ceulx du Parlement de quelque estat qu'ils
fussent, tous deux et deux, quelques
trente milles personnes après avecques, tous nuds piez. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . Le Vendredi ensuivant, troisiesme jour de Juing, audit an fut faite la
plus belle Procession, qui oncques fut guère veüe ; car toutes les Paroisses
et Ordres de quelque estat qu'ils fussent, allèrent tous nuds piez, portant
(comme devant est dit) Saincture ou cierge en habit de dévotion, du commun
plus de quarante mille personnes avecques, tous nuds piez et à jeun, sans
autres secrettes abstinences, bien plus de quatre mille torches allumées. En
ce point allèrent portant les saintes Reliques à saint Jehan en Grève. Là
prindrent le précieux Corps nostre Seigneur, que les faulx Juifs bouillirent en grans pleurs, en Brans larmes, en grant
dévotion, et fut livré quatre Évesques, lesquels le portèrent dudit Moustiers
à Sainte Geneviefve à telle compaignie du peuple commun ; car on affermoit
qu'ils estoient plus de cinquante et deux mille. Là chantèrent la Grant Messe
moult dévotement, puis rapportèrent les saintes Reliques où ils les avoient
prinses à jeun. Le Sabmedy ensuivant quatriesme jour dudit moys audit an, toute
l'Université, de quelque estat qu'il fust, sur peine de privation, furent à
la Procession, et les petits enfants des escoles, tous nuds piez, chacun un
cierge allumé en sa main, aussi bien le plus Brant que le plus petit, et
assemblèrent en cette humilité aux Mathurins Le Dimanche ensuivant,
cinquiesme jour dudit mois audit an, vindrent ceulx de saint Denis en France
à Paris, tous pieds nuz, et apportèrent sept Corps saints, la saincte
Oriflamble, celle qui fut portée en Flandres, le sainct Cloud, la saincte
Couronne, que deux abbez portoient accompaigniez de treize Bannières de
Procession ; et à l'encontre d'eulx alla la Paroisse sainct Huitace pour le
corps de sainct Huitace qui estoit l'une desdites Chasses... La sepmaine
ensuivant tous les jours firent moult piteuses Processions chascun à son
tour, et les villages d'entour Paris semblablement venaient moult dévotement,
tous nuds pieds, priant Dieu par sa saincte gràce, Paix fut reformée entre le
Roy et les Seigneurs de France : car par la guerre tout France estoit moult
empirée d'amis et de chevaux : car on ne trouvait rien au plain pays, qui ne
lui portait[9]. On
reconnait là la France monarchique et catholique, tout encore plongée dans le
moyen âge, toute pénétrée de la foi dans la puissance de la forme sensible,
de la démonstration extérieure, de la prière en action, toute courbée sous le
sentiment de la faiblesse humaine, impuissante à trouver sa force en
elle-même soit dans le monde politique, soit dans le monde moral, la
cherchant sans cesse au dehors, sur la terre dans la royauté, et dans la
divinité au ciel. Que dire après les passages suivants ? Citons-les, ne
fiât-ce que pour faire sentir la distance qui sépare ces temps des nôtres. …..
Vint à Paris un Cordelier nommé Frère Richart, homme de très-grant prudence,
scevant à oraison, semeur de bonne doctrine pour édiffier son proxisme, et
tant y labourait fort que enviz le crevait qui ne l'aurait veû : car tant
comme il fut à Paris, il ne fut qu'une jornée sans faire Prédication, et
commença le Sabmedy seiziesme jour d'Avril 1429, à Sainte Geneviève, et le
Dimenche ensuivant et la sepmaine ensuivant ; c'est assavoir le Lundi,
etc.... le Dimanche aux Innocens, et commençait son. Sermon environ cinq
heures au matin, et duroit jusques entre dix et onze, et y avoit toujours
quelques cinq ou six mille personnes à son Sermon, et estoit monté quans il
preschoit sur ung hault eschaffault qui estoit près de toise et demie de
hault, le dos tourné vers les Charniers encontre la Charronnerie à l'endroit
de la Dance macabre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le
Cordelier devant dit prescha le jour de S. Marc ensuivant à Boulongne la
petite, et là ot tant de peuple, comme devant est dit, et pour vray celle
journée au revenir dudit Sermon furent les gens de Paris tellement tournez en
devocion et esmeus qu'en moins de trois heures ou de quatre eussiez veus plus
de cent feux, en quoy les hommes ardoient tables et tulliers, des cartes,
billes et billars, nurelis et toutes choses, à quoy on ce pouvoit courcer à
maugrer à jeux convoiteux. Item,
les femmes cellui jour et landemain ardoient
devant tous les atours de leurs testes comme bourreaux, trufaux, pièces de
cuir ou de baleine qu'ils mettoient en leurs eltapperons pour estre plus
roides ou rebras devant, les Damoiselles laissèrent leurs cornes et leurs
queiées et orant foison de leurs pompes[10]... Sous
l'empire d'une foi capable de produire de tels effets, de porter les hommes à
briser leurs jouets et les femmes à brûler leurs atours, quoi d'étonnant que
la nature n'apparaisse que comme une trame, mobile et changeante, dont tous
les fils sont dans la main de Dieu, se rompant, se nouant et se renouant de
mille façons diverses selon qu'il plaît à ses desseins et à ses volontés, et
que tous les mouvements de la toile divine soient toujours et exclusivement
rapportés à l'homme comme à leur fin légitime, puisque tels sont les
enseignements de cette foi souveraine et toute-puissante ? Il n'est donc pas
un phénomène naturel ou un fait politique un peu extraordinaire, qui ne soit
placé aussitôt par le Bourgeois de Paris au rang des prodiges, et
qu'il n'éprouve le besoin.de rapporter à une volonté actuelle et expresse de
la Providence. Nous avons vu, à propos de la folie du roi Charles VI, quelle
explication l'on donnait des phénomènes de l'ordre moral : il n'y a pas une
autre explication de ceux de l'ordre physique : une loi unique gouverne le
monde. Une épidémie vient-elle à sévir ? C'est un effet de la volonté divine,
c'est par le plaisir de Dieu. La gelée a-t-elle frappé les
vignes, au milieu des plus belles apparences ? C'est qu'ainsi plust à Dieu
qu'il adveriist pour nous donner exemple que en ce monde n'a rien sur, comme
il appert de jour en jour (1)[11]. Un boulanger a fait une
cuisson qui donne un pain d'une couleur extraordinaire, par suite du mélange
fortuit d'une herbe différente avec la farine du blé : c'est signifiante de très-grant mal advenir pour les uns ; les autres disoient que c'estoit miracle pour ce que cuit avoit
esté le jour de l'Assomption de Nostre-Dame[12]. Quand Paris est pris par les
troupes de Charles VII, l'épouvante s'empare de toute la ville, qui redoute
le sac et le pillage ; mais les gens de
Paris, aucuns bons Chrestiens et Chrestiennes se mirent dans les Églises, et
appelloient la glorieuse Vierge Marie et Monsieur S. Denis qui apporta la foy
en France qu'ils voulsissent de prier à Nostre-Seigneur qu'il ostat toute la
fureur des Princes devant nommez, et de leur compaignie, et vrayement bien
fut apparant que Monsieur saint Denis avoit esté Advocat de la Cité par
devers la glorieuse Vierge Marie, et la glorieuse Vierge Marie par devers
Nostre-Seigneur Jésus-Christ ; car quant ils furent entrez dedens, et qu'ils
virent qu'on avoit rompue à force la Porte saint Jacques pour leur donner
entrée, ils furent si meus de pitié et de joie, qu'ils ne se porent oncques
tenir de larmoier[13]... Dans la procession, qui eut
lieu après la reddition de Paris, malgré le mauvais temps, et bien qu'il y
eût plus de quatre mille cierges, aucun ne s'éteignit depuis les lieux dont ils partirent jusques à ladite église — Sainte-Catherine du Val des
Escolliers — : la chose est tenue à droit
miracle[14]. Dans une autre procession générale très-solempnellement, qui dura bien quatre heures, sous une pluie continuelle, les Signeurs de Sainte Geneviève, quoiqu'ils eussent été moult agenez de la pluïe, étant pieds nus, n'ayant point été malades, ne mamins, ne découraigé, cela aussi semble
droit miracle de Madame Sainte Geneviève, qui peut bien faire par ses mérites
par devers Nostre-Seigneur, et plus que tant, comme il appert par devers
Nostre-Seigneur en sa sainte Légende comment par plusieurs pays elle a sauvé
la bonne ville de Paris, l'une foys de cher temps, l'autre fois des grans
eaux et de plusieurs autres périls[15]. La
poésie s'inspire de la religion, et, comme il convient, c'est aux mêmes
sources où puise le vulgaire que les poètes vont chercher l'explication des
faits qui frappent l'imagination des peuples et qui touchent à leurs passions
ou à leurs intérêts. Christine de Pisan impute aux péchés du temps la folie
de Charles VI. Nous
devons bien, sur tout aultre dommage, Plaindre
cellui du royaume de France Qui
fu et est le règne et Péritage Des
Crestiens de plus haulte puissance. Mais
le Dieu fiert adès de poingnant lance, Par
quoy de joie et de soulaz mendie ; Pour
nos péchiez si porte la pénance Nostre bon roy qui est en maladie[16]. Charles
d'Orléans regarde la guerre qui désole la France comme un châtiment envoyé
par Dieu à la chrétienté : Tout
Crestien qui est loyal et bon, Du
bien de paix se doit fort resjoIr, Veu
les grans maulx et la destruction Que
guerre fait par tous pays courir : Dieu
e voulu Crestienté punir, Qui
a laissié de bien vivre la vcye ; Mais
puis après, il la veult secourir Par bonne paix que brief Dieu nous envoye[17]. Charles
d'Orléans, avec plus de verve cette fois ; s'inspire des mûmes sentiments
dans un chant composé dans sa vieillesse, après la soumission totale de la
Normandie et de la Guyenne : Comment
voy-je les Anglois esbahis ! Resjoys-toy,
franc royaume de France. On apperçoit que de Dieu sont haïs...[18] Le
sentiment chrétien se retrouve dans Alain Chartier avec un élan plus lyrique,
comme on peut le voir dans sa Balade de Fouquières, dont nous nous
bornerons à citer quelques vers. Il s'adresse aux Anglais : XIXe STROPHE Pensez-vous
que Dieu jamais souffre Voz
iniquités et injures, Sans
vous punir, quant le cas s'offre, Comme
ses autres créatures ? Pas
n'avez les têtes plus dures Que
les Bretons, la mercy Dieu ! Vieilles debtes viennent à lieu. XXe STROPHE Si
vous conseille de bonne heure De
Normandie vous départir, Et
sans plus y faire demeure De
vos mesfaiz vous repentir. Car
j'ouse dire sans mentir, Que
Dieu hait toute iniquité. A la parfin vaine vérité[19]. Dans
une société où la foi au surnaturel régnait partout, il est besoin à peine de
rappeler que la religion tenait la première place dans l'éducation de la
noblesse — pour ne parler que de la classe de la société où nous concentrons
notre étude —, que l'enfant naissait en quelque sorte dans la religion,
qu'elle était sa première nourriture, sa nourriture de chaque jour, qu'il
était toujours entre le prêtre et sa mère, interprètes l'un et l'autre de la
même foi, que ses yeux, ses oreilles, tous ses sens, toute son intelligence,
son imagination et sa pensée, étaient constamment entretenus du même objet,
tantôt charmés ou effrayés, et que toutes les impressions les plus diverses,
celles qui le troublaient ou l'enchantaient, depuis les contes de sa nourrice
jusqu'aux instructions du prêtre, ou les récits guerriers qu'il entendait au
sein de la famille, concouraient au même but et incrustaient dans son âme la
même croyance. L'enfant,
nous venons de le dire, était sans cesse entre la mère et le prêtre ; la mère
reprenait l'enseignement du prêtre, le tempérant, l'adoucissant sans l'amollir,
lui ôtant son austérité sans rien enlever à sa substance, qu'elle s'efforçait
d'introduire et de faire circuler, pure et dégagée de ce qui pouvait rebuter
et parfois choquer la raison naissante, dans les jeunes intelligences. Le
christianisme, dans le moyen âge et au temps où nous plaçons notre histoire,
a fait des mères d'une moralité supérieure ; c'est une vérité qu'il faut
proclamer, qui résiste à tout esprit de système ; et de ces mères sont sortis
des fils et des femmes d'élite. Quelles femmes, que la mère et l'épouse de
saint Louis, que Jeanne de Luxembourg, Jeanne de Laval, Yolande d'Aragon,
Marguerite d'Anjou, la mère de Bay art, le chevalier sans peur et sans
reproche, et Gabrielle de Bourbon, mère du seigneur de la Trémoille, le
chevalier sans reproche ! Il n'y a pas de plus nobles caractères dans la vie
d'aucun peuple, et les mères jettent, par elles-mêmes et par leurs fils, sur
l'histoire de leur temps un reflet de grandeur morale, qui console des
tristes spectacles que l'on y rencontre trop souvent. Le
panégyriste du Chevalier sans reproche nous donne une idée de
l'éducation que l'enfant recevait dans sa famille vers la fin du quinzième
siècle, quand il avait l'heureuse fortune d'avoir une mère d'une âme élevée
et d'une situation au niveau de son âme : il ne s'agit ici que du garçon ;
mais sans qu'il soit besoin de le dire, la fille n'était pas exclue, et,
d'ailleurs, l'éducation que donne la mère ne dit-elle pas assez celle qu'elle
a reçue ? Nous
avons veu, dit Jean Bouchet, comme, incontinant après la première année que
le seigneur de la Trimoille eut espousé madame Gabrielle de Bourbon, fille du
feu comte de Montpensier, elle eut ung filz, nommé Charles, et à la raison de
ce que la forme de vivre de cette noble dame vault bien estre réduicte a
mémoyre, pour la doctrine des dames qui pourront lire cy dedans, je escripray
en briefves parolles ce que je y ay peu veoyr et congnoistre ; c'est que
ceste dame estoit dévote, et pleine de grant religion, sobre, chaste, grave
sans fierté, peu parlant, magnanime sans orgueil, et non ignorant les lettres
vulgaires. Tous les jours ordinairement assistoit aux heures canonialles,
oyoit la messe et disoit ses heures dévotement sans ypocrisie ; elle se delectoit sur toutes choses à ouyr parler de la saincte
Escripture, sans trop avant s'enquerir des secret :, de théologie ; plus
aimoit le moral et les choses contemplatives, que les arguments et subtilitez
escorchées de la lettre, par lesquelles le vray sens est souvent perverty ; elle se contentoit de peu de
viandes aux heures acconstumées ; en public monstroit bien elle estre du
royal sang, descendue par ung port assez grant et reverencial, mais au privé,
entre ses gentilzhommes, damoyselles, serviteurs, et yeux qu'elle avoit
accoustumée veoyr, estoit la plus bénigne, gracieuse et familière qu'on eust
peu trouver ; consolative, confortative, et tousjours habondante en bonnes
parolles, sans vouloyr ouyr mai parler d'aultruy, ne de chose lascivieuse,
voluptueuse, ne scandaleuse ; et bayait les gens notez de tels vices...
Jamais n'estoit oyseuse, mais s'emploioit une partie de la journée en
broderie et aultres menuz ouvrages appartenans à telles dames, et y occupoit
ses damoiselles, dont avoit bonne quantité, et de grosses, riches et
illustres maisons. Et quant aucunes foiz estoit ennuyée de telz ouvrages, se
retiroit en son cabinet, fort bien garny de livres, lisoit quelque histoire
ou chose moralle ou doctrinalle ; et si es-toit son esprit ennobly et enrichy
de tant de bonnes sciences, qu'elle emploioit une partie des jours à composer
petiz traictez à l'honneur de Dieu, de la Vierge Marie, et à l'instruction,
de ses damoiselles ; elle composa en son vivant une contemplation sur la
nativité et passion de Nostre Seigneur Ihesu Crist, ung aultre traicté
intitullé le Cleasteau de Sainct Esprit, ung aultre traité intitulle
l'Instruction des jeunes filles, et ung aultre traicté intitullé le Viatenr,
qui sont toutes choses si bien composées qu'on les estimeroit estre plus
ouvrage de gens de grans lettrés que composition de femme ; voire et si
n'es-toit aucunement presumptueuse, car elle faisoit tousjours veoir et
visiter ses compositions à gens de hault et bon savoir, comme je sçay, par ce
que de sa grace me baillait la charge de les faire amander. Toutes
ces bonnes mœurs et conditions aydèrent fort aux perfections que monseigneur
Charles son filz acquist en jeunesse, voire autant que jeune prince qu'on
eust sceu lors veoir[20]. Ce
passage des Mémoires de la Trémoille a pour nous, pour le but que nous
nous proposons, une importance considérable, et il nous dispense de recourir
à d'autres citations. Il prouve trois choses capitales : d'abord que
l'éducation domestique des filles nobles était d'un ordre très-élevé et
profondément religieux ; en second lieu, que l'élément moral se dégageait,
non pas de l'élément religieux, mais de l'élément théologique, et le primait,
circonstance qui mérite d'être notée, non-seulement parce qu'elle marque un
trait caractéristique de l'esprit français, mais parce qu'elle annonce la Réforme
et la faveur qu'elle trouva dans la noblesse de France ; enfin, que
l'instruction donnée aux jeunes filles nobles dans leurs familles se
continuait et s'achevait dans les grandes maisons auxquelles elles étaient
attachées comme le fut Agnès Sorel à la maison de Lorraine. Sans
répudier le dehors, mais aussi sans se plonger dans le formalisme
superstitieux du vulgaire, et en s'en affranchissant au contraire, dans une
certaine mesure, l'éducation des classes supérieures de la société au
quinzième siècle semble bien plus s'attacher au dedans et s'étudier à
cultiver les facultés morales. Nous trouvons une preuve irréfragable de ce
fait dans deux monuments historiques contemporains, le Recueil des
instructions du chevalier Latour-Landry à ses filles et le Ménagier de Paris. Le
chevalier Geoffroy de Latour-Landry était un seigneur angevin qui vivait vers
la fin du quatorzième siècle. Il était vieux vers 1371 et avait trois filles,
jeunes et belles, exposées par leur jeunesse et leur beauté à bien des périls.
C'est pour les prémunir autant que possible contre ces périls qu'il composa
son Recueil d'instructions. Quand je vis
venir à moi mes filles,
dit-il, je me souvins de ma jeunesse, alors
que je chevauchais avec les bons compagnons en Poitou et dans les autres
lieux. Je me rappelai les paroles que nous autres jeunes gens disions aux
dames en les priant d'amour, des contes et des plaisanteries-que nous
faisions sur elles entre nous. Chacun ne pensait qu'à les tromper, qu'à répéter
des histoires, les unes véritables, les autres mensongères, dont il arriva
que maintes dames furent diffamées sans raison. Comme je ne doute pas que les
façons d'agir que j'ai vu pratiquer dans ma jeunesse ne soient encore admises
de nos jours, j'ai pensé qu'il était utile de faire écrire un livre dans
lequel seraient consignés les bons usages et les belles actions des dames
vertueuses, afin que les dames et demoiselles y pussent prendre exemple[21]. — Pour remplir le but qu'il
s'est proposé, le chevalier de Latour, dans une série de préceptes, trace à
ses filles la conduite qu'elles doivent tenir. Il ne suit aucun plan et passe
brusquement d'une matière à l'autre. Chacun de ses enseignements est appuyé
d'un exemple et même de plusieurs. Ces exemples, qui forment la partie la
plus curieuse de l'ouvrage, proviennent de trois sources différentes : de
l'Ancien et du Nouveau Testament, des fabliaux, des événements ou de la vie
des personnages dont Latour-Landry a été le contemporain. Latour-Landry
est catholique comme les hommes de son temps. La religion tient donc une
grande place dans ses préceptes. Ainsi le premier conseil qu'il donne à ses
filles, c'est de commencer la journée par prier Dieu. Il cite plusieurs
exemples pour les encourager à suivre son conseil, entre autres celui-ci : Un
chevalier avait deux filles de deux femmes différentes. L'une de ces filles,
qui était pieuse, disait avec ferveur ses prières et suivait régulièrement
les offices, épousa un honnête homme et eut le sort le plus heureux ;
l'autre, qui avait été gâtée par sa mère, qui se contentait d'entendre une
basse messe, de dépêcher un ou deux Pater noster, puis courait à l'office
pour manger souppes, et autres gourmandises, épousa aussi un chevalier plein
de sagesse, qui lui donna de bons conseils, mais qu'elle ne suivit pas, et
elle finit par être fort malheureuse. Un soir que, profitant du sommeil de
son mari, elle s'était enfermée dans une chambre de l'hôtel et qu'en
compagnie des gens de sa maison, elle rigolait tellement et si haut, qu'on y eût
pas ouï Dieu tonner, le chevalier se réveilla ; surpris de ne plus voir sa
femme près de lui, il se leva, et, armé d'un bâton, se rendit dans la salle
du festin. Il frappa l'un des valets d'une telle force, qu'il brisa son
bâton. L'un des morceaux sauta dans l’œil de la dame et le lui creva. Cette
imperfection fut cause que son mari se dégoûta de sa femme, mist son cœur autre part, et que le ménage alla de mal en pis[22]. Après
quelques conseils sur la courtoisie[23], on lit ces mots sur la bonne
tenue à l'église : En disant vos heures à la
messe, ne ressemblez pas à la grue qui tourne la tête d'un côté et le corps
de l'autre. Mais regardez devant vous tout droit, et avec dignité. — Il passe à des conseils
très-étendus sur la modestie dans les paroles et les manières, et cite à ce
propos l'anecdote suivante où certains traits rappellent l'hôtel de
Rambouillet : Mon
bon seigneur de père me conduisit, avec l'intention de me marier, chez une
noble demoiselle. L'on nous fit grande chère ; moi, je parlai à, la
demoiselle d'une foule de sujets, afin de juger de son esprit. La
conversation tomba sur les prisonniers. Je vantai le bonheur de celui qui
porterait les chaînes d'une femme aussi accomplie ; elle s'empressa de me
répondre qu'elle venait de rencontrer un chevalier qu'elle voudrait tenir
dans sa prison. Je lui demandai si elle rendrait bien dure sa captivité : Nenni,
dit-elle en souriant, j'aurai le même soin de
mon prisonnier que de mon propre corps. — Elle ajouta beaucoup d'autres discours fort
jolis, accompagnés de regards très-vifs, m'engageant par deux fois à revenir
le plus tôt possible. En la quittant, mon père me dit : Que te semble de la fille ? — Monseigneur, lui dis-je, elle me semble belle et bonne ; mais je ne lui serai
jamais plus que je ne lui suis à présent. — Je fis sagement de m'abstenir, ajoute le
chevalier, car, moins d'un an après, la demoiselle fut blasmée. Ainsi, mes
chères filles, soyez retenues dans vos manières ; car beaucoup ont manqué
leur mariage pour avoir paru trop engageantes et trop bien disposées. Dans
ses conseils au sujet de la jalousie, Latour-Landry cite à ses filles l'exemple
d'une de leurs tantes, la dame de Langalier. Son mari s'abandonnait à la
luxure ; elle fit preuve d'une telle patience, d'une telle douceur, qu'il
finit par se corriger. Quant à la jalousie qu'un mari peut concevoir à
l'égard de sa femme, le chevalier conseille à ses filles de ne pas faire
semblant de le remarquer, ou bien, si elles se trouvent dans l'obligation de
discuter sur ce point ; de n'employer que des paroles pleines de douceur : Autrement, dit-il, elles allumeront le feu,
bien loin de l'éteindre. Il ne
faut pas, selon Landry, lutter en paroles contre les hommes d'esprit à la
repartie prompte et vive, qui, suivant son mot, ont le siècle en main : et il cite la réponse que s'attira une dame qui
reprochait au maréchal de Clermont ses propos piquants et moqueurs : Ma foi,
dit-il, je n'ai pas encore la langue aussi
mauvaise que vous le prétendez, puisque je n'ai pas raconté ce que je
pourrais dire contre vous. Parmi
les exemples ou anecdotes cités par Landry à l'appui de ses leçons, il en est
une qui est très-piquante, et dont la moralité, quoiqu’un peu voilée, se
laisse cependant apercevoir : elle a pour héros le célèbre Boucicaut. Boucicaut
était adroit, beau parleur, supérieur à tous les chevaliers, et déployait un
grand sens entre les dames et les seigneurs. Il arriva, dans une fête, que
trois grandes dames, assises sur un banc, devisaient de leurs aventures.
L'une des trois vint à dire aux deux autres : Belles
cousines, honnie soit celle de nous qui ne dira vérité ? Y en a-t-il une qui,
cette année, ait été priée d'amour ? — Vraiment, dit la première, je l'ai été depuis un an. — Par ma foi, dit la seconde, et moi aussi. — Moi également, dit la troisième. — Or,
ajouta la plus franche, honnie soit celle qui
ne dira le nom du requérant ! — Elles tombèrent d'accord, et la première parla ainsi : En vérité, le dernier qui me pria, ce fut Boucicaut. — Et moi aussi, dit la seconde. — Si fit-il
moi, reprit la troisième.
— Vraiment ? Il n'est pas si loyal chevalier que
nous le pensions ; ce n'est qu'un menteur et qu'un trompeur de dames. Il est
ici, envoyons-le chercher, pour lui dire à son nez ce fait. — Les dames envoyèrent
chercher Boucicaut, qui s'empressa de venir, et leur dit : Mesdames, que vous plaît-il ? — Nous avons à vous parler : asseyez-vous là. — Elles voulaient faire
asseoir le chevalier à leurs pieds, mais il leur dit : Puisque je suis venu à votre commandement, faites-moi donner
des carreaux ou un siège, car si je m'asseyais à vos pieds, les attaches de
mon armure pourraient bien rompre. — Il fallut donc lui donner un siège. Quand il fut assis, la
plus irritée lui dit : Boucicaut, nous pensions
que vous étiez vrai-disant et loyal, et vous n'êtes qu'un moqueur de dames. — Comment,
dit Boucicaut, que vous ai-je fait ? — Vous avez prié d'amour belles cousines que voici et moi en
même temps. Vous ne pouvez pas avoir trois cœurs pour en aimer trois : aussi,
êtes-vous faux et ne devez pas compter au nombre des bons chevaliers. — Or, mesdames, reprit Boucicaut, avez-vous tout
dit ? Vous avez grand tort de me traiter ainsi, car à l'heure où je requérais
d'amour chacune de vous, je vous aimais, ou du moins je le pensais ainsi. C'est
pourquoi vous avez tort de me tenir pour un jongleur ; mais il convient que
je supporte vos paroles sans me plaindre. — L'une des trois dames, voyant que Boucicaut ne
se laissait pas démonter, fit aux deux autres la proposition suivante : Jouons à la courte paille à laquelle il restera ? — Vraiment, dit l'autre : quant à moi, je
ne pense pas à jouer : j'en laisse ma part. — Vraiment, ajouta la troisième, j'en fais autant. — Mais Boucicaut de répondre : Pardieu ! mesdames, je ne suis pas ainsi à prendre ou à
laisser ; celle que j'aime en ce moment n'est pas ici. — Cela dit, il se leva,
laissant ces dames plus ébahies qu'auparavant. Les
conseils que Latour-Landry donne à ses filles relativement aux modes et au goût
de la toilette, sont marqués au coin du bon sens, et un père du dix-neuvième
siècle ne saurait mieux dire. Belles
filles, leur dit-il, rie soyez pas trop promptes à prendre les habits des
femmes étrangères... N'imitez pas ces femmes qui, en voyant une robe ou un
atour de nouvelle forme, s'empressent de dire à leurs maris : — Oh ! la belle chose ! monseigneur, je vous en prie, que
j'en aie. — Si le
mari répond : — M'amie, les femmes qui sont
tenues pour sages, telles et telles, n'en portent pas encore. — Qu'est-ce que cela fait ? reprennent ces obstinées ; si une telle en a, je puis bien en avoir. Ainsi elles
trouvent tant de bonnes raisons qu'il faut céder à leur désir. — Il blâme ensuite
quelques-unes des modes du temps, les hautes coiffures et les robes à queue :
— Les femmes ressemblent, dit-il, aux cerfs branchus qui baissent la tête pour entrer au
bois. Quand elles arrivent aux portes de l'église, regardez-les : leur
offre-t-on de l'eau bénite, elles n'en ont cure, mais bien de leurs cornes
qu'elles ont peur d'accrocher à la porte, et qui les obligent de baisser la
tête[24]. Pour
rendre plus saisissante la leçon sur un objet si important et qui tient tant
au cœur de la femme, il ne craint pas d'employer les grands moyens, de
recourir an merveilleux ; et il raconte l'histoire suivante, où respire tout
l'esprit du moyen âge avec le bon sens gaulois, et qui nous donne comme une
vision légèrement adoucie d'un cercle dantesque. Un
chevalier eut trois femmes et un oncle ermite. Quand il eut perdu la
première, il vint trouver son oncle eu pleurant, et lui demanda de prier Dieu
pour savoir quel sort était réservé à la défunte. Après une longue prière,
l'ermite s'endormit profondément. Alors il vit en songe saint Michel d'un côté,
et le diable de l'autre, qui se disputaient la possession de cette pauvre
âme. Les belles robes fourrées d'hermine pesaient lourdement dans la balance
favorable du démon. — Hé ! saint Michel, disait celui-ci, cette femme avait dix paires de robes, tant longues que
courtes, et autant de cottes hardies. Vous savez bien que la moitié aurait pu
lui suffire. Une robe longue, deux courtes, deux cottes hardies, sont assez
pour une dame simple, encore peut-elle en avoir moins afin de plaire à Dieu.
Cinquante pauvres eussent été vêtus avec le prix d'une de ces robes ; pendant
l'hiver, ils ont grelotté de froid. — Et le diable apportait ces robes et les mettait dans la
balance avec les bijoux de toute nature, ce qui forma un poids si grand que
le diable l'emporta ; et il couvrait la pauvre âme de ces robes, devenues
ardentes, et qui la brûlaient sans relâche. L'ermite s'empressa de raconter
cette vision à son neveu, en lui conseillant de donner aux pauvres les
vêtements de la défunte. Le
chevalier se remaria. Cinq années après, il perdit sa femme et vint trouver
son oncle, qui, s'étant mis en prière, vit la défunte condamnée au feu du
purgatoire pour cent années, en expiation d'une seule faute commise avec un
écuyer, et encore elle s'en était confessée plusieurs fois, sans cela elle
eût été damnée. Le
chevalier prit une troisième femme, qui mourut à son tour. L'ermite, consulté
de nouveau, pria Dieu, s'endormit, et vit en songe la dernière femme du
chevalier qu'un diable serrait par les cheveux dans ses griffes, comme un
lion tient sa proie ; et puis il mettait sur des aiguilles brûlantes ses
tempes, ses sourcils et ses joues. La pauvre âme criait. L'ermite demanda au
diable pourquoi il la faisait ainsi souffrir. Parce qu'elle rasait ses
tempes, peignait ses sourcils et arrachait les poils de son front, dans le
but de s'embellir et de se faire admirer. Un autre démon vint lui brûler le
visage à un tel point que l'ermite en trembla : — Elle a mérité cette punition, dit le démon à l'ermite, pour s'être fardée et peinte, afin de paraître plus belle
; nul péché ne déplait autant à Dieu. Viennent
ensuite des observations sur l'importance de l'honnêteté, sur le haut prix que
les femmes doivent attacher à leur réputation, et des instructions,
nombreuses et variées, au sujet de l'amour et des précautions dont ce
sentiment doit être l'objet. Le
chevalier de Latour se serait senti assez disposé, dit M. Le Roux de Lincy, à
instruire ses filles suivant les préceptes enseignés dans les Cours
d'amour. Il avait sans doute fait partie, dans sa jeunesse, de ces
réunions célèbres qui, jusqu'au règne de Charles VI, eurent une grande vogue,
principalement dans le midi de la France. A la fin de son livre, il reproduit
une discussion qu'il eut avec sa femme, au sujet de l'amour honnête qui,
dit-il, peut toujours être cultivé par une dame et même par une demoiselle.
Mais sa femme, en mère prévoyante et sage, lui répond que toutes ces maximes,
usitées dans les cours amoureuses, sont bonnes pour l'esbatement des seigneurs, mais qu'elles exposent au plus grand danger
les femmes qui veulent s'y conformer. Je ne suivrai pas le seigneur de Latour
et sa femme dans ce long débat. Je me contenterai de remarquer que les
raisons déduites par la mère pour interdire à ses filles ces passe-temps
périlleux sont pleines de sens et de moralité ; on ne parlerait pas mieux
aujourd'hui[25]. Ainsi
une voix plus autorisée, mais non plus sensée, s'ajoutait à celle de la mère
pour élever l'âme des filles et leur montrer la route à suivre dans la vie.
Quelquefois le père faisait mieux, et, dans les circonstances importantes,
ses actes venaient consacrer son langage. Après avoir élevé très-haut, aux
yeux de sa fille, l'idéal de sa condition, et lui avoir appris à avoir une
bonne opinion d'elle-même, à attacher un haut prix à sa personne, il lui
choisissait un époux digne d'elle, et mettait sa main, pour ainsi dire, aux
enchères de la vaillance, qui était chez l'homme la première vertu du temps. Le puissant roi Odescalque, qui avait une fille nommée
Doralisce (Nuits, de Straparole, tome I, p. 236), en la voulant marier honorablement, avait fait publier
un tournoy par tout le royaume ; ayant délibéré de ne la marier point, sinon
à celui qui auroit la victoire et le prix du tournoy, au moyen de quoi
plusieurs ducs, marquis et puissants seigneurs étoient venus de toutes parts
pour conquester ce précieux prix. — On voit dans Perceforest[26] la description d'un célèbre
tournoy dont le prix devait être pareillement une demoiselle à marier : le
vainqueur devint son époux. — Je n'ai, ajoute de Sainte-Palaye, à qui
nous empruntons ces textes, que des romans et
des ouvrages aussi fabuleux à citer pour preuve de cet usage ; mais on peut
croire aisément que cette idée romanesque fut adoptée par des seigneurs et
des chevaliers qui auraient voulu s'assurer de l'adresse et de la valeur des
époux qu'ils destinaient à leurs filles pour défendre les fiefs dont elles
étaient héritières
(2)[27]. — Sainte-Palaye aurait pu
ajouter que cet usage répond à un autre sentiment naturel chez les pères,
celui d'entourer leurs filles de garanties de bonheur et d'assurer leur
honneur aussi bien que leur héritage. La
jeune fille devenue femme retrouvait dans la maison de son mari les mêmes
idées qui l'avaient bercée et nourrie dans celle de son père. Le Ménagier
de Paris[28], qui est un recueil de conseils
adressés par un mari à sa femme ; toute jeune encore, sur la conduite qu'elle
doit tenir dans le monde et dans la direction de son ménage, est comme le
pendant de celui du chevalier de Latour-Landry, et achève de nous éclairer
sur l'éducation et sur l'état moral de la famille à la fin du quatorzième
siècle et au commencement du quinzième. L'auteur n'est pas gentilhomme ; mais
en rapprochant l'écrit du bourgeois de celui du gentilhomme, dont nous venons
de nous occuper, il est facile de voir que la différence des situations
n'in-- flue en rien sur le point de vue moral, que c'est le même esprit qui
inspire le mari et le père, et qu'ils auraient pu l'un et l'autre changer de
condition et de rôle sans que le fonds de leurs idées en eût été sensiblement
modifié. Voici
le début de la première partie morale du Ménagier, la seule dont nous
voulions nous occuper : Chère
seur, pour ce que vous estant en l'aage de quinze ans[29] et la sepmaine que vous et moy
feusmes épousés, me.priastes que je espargnasse à votre jeunesse et à vostre
petit et ygnorant service jusques à ce que vous eussiez plus veu et apris ; à
laquelle appresure vous me promettiez de entandre songneusement et mettre
toute vostre cure et diligence pour ma paix et amour garder, si comme vous
disiez bien saigement par plus sage conseil, ce croy-je bien, que le vostre,
en moy priant humblement en nostre lit, comme en suis recors, que pour
l'amour de Dieu je ne vous voulsisse mie laidement corrigier devant la gent
estrange ne devant nostre gent aussy, mais vous corlrigasse chascune nuit ou
de jour en jour en nostre chambre et vous ramentéusse les descontenances ou
simplesses de la journée ou journées passées et vous chastiasse se il me
plaisoit, et lors vous ne fauldriez point à vous amender selon ma doctrine et
correction et feriez tout vostre po-voir selon ma voulenté, si comme vous
disiez. Si ay tenu à grant bien et vous lœ et sçay bon gré de ce que vous
m'en avez dit et m'en est depuis souventes fois souvenu... Et sachiez que je
ne pren pas desplaisir, mais plaisir, en ce que vous'aurez à labourer
rosiers, à garder violettes, faire chappeaulx, et aussi en vostre dancer et en
vostre chanter et vueil bien que le continues entre nos amis et nos
pareilz... Car jasoit-ce, belle seur, que je congnoisse bien que vous soiez
de greigneur lignaige que je ne suis, si vouldroie-je bien que vous sceussiez
du bien et de l'onneur et de service à grant planté et foison et plus que à
moy n'appartient, ou pour servir autre mary se vous l'avez après moy, ou pour
donner plus grant doctrine à vos filles se en ont besoing[30]. Un.tel
exorde annonce un homme sensé, honnête, qui a au plus haut point le sentiment
du devoir et de toutes les bienséances. Le texte répond à l'exorde. M.
Eugène Pelletan a critiqué la théorie de l'obéissance passive qui se produit
çà et là dans le Ménagier, et qui était la théorie de son temps : On
adore la femme au moyen tige, dit-il, et on la méprise. Le Songe du
vergier lui trouve neuf défauts, ni plus ni moins, et tous de nature :
défaut de prudence, défaut de loyauté, défaut de modestie, etc. Froissart
renchérit encore sur le Songe du vergier pour justifier la loi salique
: Le royaume de France, dit-il, est de trop grande noblesse pour aller à femelle. Donc
la femme obéira en tout et partout à son mari. Quelque chose qu'il lui
ordonne, à certe ou à jeu, elle doit l'exécuter à la
minute. Il lui présente un bâton et lui dit : Saute ; elle doit sauter, car,
dit le Ménagier de Paris, le mari est le chef de sa femme ; la femme
même l'appelait son baron. Lorsqu'il descendait de cheval, elle tenait
l'étrier et elle le servait à table les jours de gala. A
l'appui de cette doctrine d'obéissance, le Ménagier raconte la légende
de Griseldis. Griseldis a une fille ; son mari la tue, elle le remercie. Elle
a un fils : son mari le tue encore, elle le remercie toujours. Son mari la
chasse de son château, elle part sans murmure. Il épouse une autre femme, et
il rappelle Griseldis pour assister la nouvelle mariée ; Griseldis retourne
au château et fait le lit de sa rivale[31]. Cette
théorie, justement flétrie, est peut-être la seule tache que l'on puisse
signaler dans les instructions du Ménagier, avec la naïve crudité de
certains sujets et de certaines aventures arrivées à des bourgeoises de cette
époque[32]. Les chapitres relatifs à la
prière, et aux soins de la toilette, aux devoirs envers Dieu, à la chasteté,
à l'amour d'une femme pour son mari, aux modes, à la manière dont on doit se
tenir à l'église, ne méritent que des éloges et montrent que ces hommes du
quinzième siècle n'avaient pas pour la femme le mépris superbe et brutal
qu'on leur prête si souvent. On ne songe pas à élever si haut en moralité et
en dignité ce que l'on méprise comme un jouet ou une chose. Nous
pourrions citer mille preuves de la juste indépendance dont jouissaient les
femmes dans ces temps où elles n'apparaissent aux yeux des systématiques que
comme des idoles que l'on encense ou des esclaves que l'on foule aux pieds,
si cela ne nous éloignait de notre sujet : nous nous contenterons de répéter
une aventure assez piquante que nous trouvons dans le Ménagier. J'ay
ouy dire au bailli de Tournay qu'il a esté en plusieurs compaignies et
disners avecques hommes qui estoient de long temps maniés, et avecques iceulx
a fait plusieurs bourgages et gaigeures de païer le disner qu'ils auroient
fait et plusieurs escos et disners à païer sur condition que d'illecques tous
les compaignons de ]'escot iroient ensemble en l'hostel de tous iceulx
mariés, l'un après l'autre, et celluy de l'assemblée qui aroit femme si
obéissant qu'il la peust arrangée-ment et sans faillir faire compter jusques
à quatre, sans arrest, contradition, mocquerie ou réplication, seroit quitte
de l'escot, et cellui ou ceulx de qui les femmes seroient rebelles et
répliqueroient, mocqueroient ou desdiroient, icelluy escot rendroient, ou
chascun autant. Et quant ainsi estoit accordé, l'en 'aloit adoncques par
droit esbatement et par droit jeu en l'hostel Robin qui appelloit Marie sa
femme qui bien faisoit la gorgue[33], et devant tous le mary luy
disoit : Marie, dictes après moy ce que je diray. Voulentiers, sire. — Marie,
dictes : Empreu[34]. Empreu. — Et deux. — Et deux.
— Et trois... Adonc, Marie un peu fièrement disoit : Et sept, et douze, et
quatorze ! Esgar[35] ! vous mocquez-vous de moy ?
Ainsi le mary Marie perdoit. Après ce, l'en aloit en l'hostel Jehan qui
appelloit Agnesot sa femme qui bien sa-voit faire la dame, et luy disoit :
Dictes après moy ce que je diray. — Empreu. — Agnesot disoit par desdain : Et
deux. Adonc perdoit. Tassin disoit à dame Tassine : Empreu. — Tassine par
orgueil disoit en hault : C'est de nouvel ! ou disoit : Je ne suis mie enfant
pour vous apprendre à compter. Ou disait : Or ca, de par Dieu, esgar !
estes-vous devenu ménestrier ? Et les semblables.. Et ainsi perdoit ; et tous
ceulx qui avoient espousées les jeunes bien aprises et bien endoctrinées
gaignoient et estoient joyeux[36]. Ce sont
là d'étranges esclaves en vérité et bien dociles ! Et ce n'étaient que des
bourgeoises ! Qu'était-ce donc dans l'ordre plus élevé des châtelaines, où la
femme était protégée par le prestige du rang, la puissance du père, et ce
respect traditionnel que les aristocraties ont pour elles-mêmes ? Quoi
qu'il soit, nous sommes en droit de conclure de tout ce qui précède que
l'éducation des femmes au quinzième siècle avait un caractère de haute
moralité, et que le prêtre, la mère, le père, le mari s'unissaient dans la
même pensée pour former l'esprit et le cœur de la jeune fille, et lui donner,
avec le respect d'elle-même, un sentiment élevé de sa condition et de sa
destinée. Il y
avait encore pour la jeune fille une autre éducation, indépendamment de celle
de l'Église et du foyer domestique, c'était l'éducation de l'opinion, et
cette éducation concourait au même but, bien différente de ce qu'elle est
trop souvent aujourd'hui, où sur des points importants, elle contredit et
détruit l'œuvre de la première. D'abord l'esprit religieux était partout, et
la religion établie ne trouvait, à peu près nulle part, di contradicteurs.
Puis le respect de la femme avait grandi dans le moyen âge sous la double
influence de la religion, qui l'avait placée dans le ciel par le culte de
Marie, et de la chevalerie, qui en avait fait une sorte de divinité sur la
terre même. M,
Eugène Pelletan a été obligé de le reconnaître : Le
baron, dit-il, évapore au grand air son besoin d'activité ; la châtelaine
garde pendant ce temps le manoir, elle brode sa tapisserie dans son oratoire
à côté de son prie-Dieu. La vie recueillie lui donne l'habitude de la
réflexion ; elle en profite pour fonder la royauté de la femme. La
femme règne non du droit de la force, mais de la faiblesse, ou pour mieux
dire de la grâce ; elle enseigne au baron à plaire et à vivre ; elle répand
sur lui son parfum de délicatesse. — On voit
bien qu'il n'a pas connu de dame, disait-on d'un baron brutal. — En un mot, l'amélioration de
l'homme par la femme, voilà la tendance, et, dans une certaine mesure,
l'œuvre de la chevalerie. Il faut bien le reconnaître : la femme a le don de
provocation ; quand elle aime un homme, elle l'exalte au-dessus de lui-même
et elle l'enivre de lyrisme. C'est par elle qu'il rêve de gloire. C'est en
elle qu'il cherche sa récompense. La femme a plus d'enthousiasme que l'homme,
elle sait mieux admirer que lui, elle donne à son admiration un encens de
plus, le parfum de sa beauté. Aussi, pour obtenir un regard d'elle ou un
sourire, un amoureux mettra l'impossible au défi et reculera la limite de
l'héroïsme[37]. L'opinion
en outre, en dépit de l'indulgence native de notre race, poursuivait les
femmes qui oubliaient le respect d'elles-mêmes, avec, une énergie souvent
cruelle. Mes
belles filles, dit Latour-Landry, si vous saviez le grand honneur et le grand
bien qui résultent de la bonne renommée, vous mettriez votre cœur et votre
peine à l'acquérir. Voyez le chevalier d'honneur : il brave le chaud et le
froid, expose son corps en maintes aventures périlleuses, en maints combats
et assauts afin d'obtenir cette bonne renommée. Ainsi doit agir la femme
vertueuse. Le monde la loue, et Dieu lui-même, car il l'appelle une pierre
précieuse, une perle fine, blanche, ronde et sans tache ; il est juste de
porter autant d'honneur et de respect à la bonne dame qu'au bon chevalier. J'ai
entendu dire à monseigneur mon père, il n'y a pas encore quarante ans, qu'une
femme contre laquelle il s'élevait quelques soupçons n'était pas assez hardie
pour se placer au milieu des femmes sans reproches. Je vous parlerai de deux
chevaliers de cette époque, messire Raoul de Luge et messire Geoffroy son
père. Ils couraient ensemble les aventures et les tournois, jouissant de la
même renommée, des mêmes honneurs que les Charny, les Boucicaut et les
Saintré. Aussi avaient-ils leur franc parler sur tout, et on les écoutait
comme chevaliers d'une grande autorité[38]. Puis
continuant, dans ce passage, que nous prenons dans le texte : Le
temps de lors, dit-il, étoit en paix et demenoient grant festes et grant
joyeusetés, et toutes-manières de Chevalerie de dames" et damoiselles se
assemblaient là où ils sçavoient les festes qui estoient faites menu et
souvent. Et là venoient par grant honneur les-bons chevaliers de celluy
temps. Mais s'il advenoit par aucune advanture que dame ne damoiselle que eut
mauvais renom, ne qui fust blasmée de son honneur, se mist avec une bonne
dame ou damoiselle de bonne renommée, com bien qu'elle feust plus gentil
femme ou eust plus noble et plus riche mary, tantost ces bons chevaliers de
leurs droits n'avoient point de honte de venir à elles devant tous, et de
prendre les bonnes et les mettre au-dessus des blasmées, et leur disoient
devant tous : Dame, ne vous desplaise se
ceste dame ou damoiselle va devant ; car combien qu'elle ne soit pas si noble
ou si riche comme vous, elle n'est point blasmée, ains est mise au compte des
bonnes, et ainsi ne dit l'on pas de vous, dont il me desplaist ; mais l'en
fera honneur à qui l'a desservi[39] et ne vous en mereveillez pas. Ainsi parloient les bons chevaliers
et mettoient les bonnes et de bonne renommée les premières dont elles
remercioient Dieu en leur cueur de elles estre tenues-nettement, par quoy
elles estoient honnorées et mises devant. Et les autres se prenoient au nez et baissoient le visaige, et recevoient de grant
vergongnes. Et pour ce estoit bon exemple à toutes gentilz femmes, car pour
la honte qu'elles oyoient dire des autres femmes, elles doubtoient et
craignoient à faire mal à point. Mais, Dieu mercy, aujourd'huy on porte aussi
bien honneur aux blasmées comme aux bonnes, dont maintes y prennent mal
exemple, et dient que c'est tout ung, et que l'on porte aussi grant honneur à
celles qui sont blasmées et diffamées comme l'en fait aux bonnes, il n'y a
force à mal faire, tout se passe : mais toutes fois c'est mal dit et mal
pensé, car en bonne foy combien que en leur présence on leur face honneur et
courtoysie, quant l'en est parti d'elles l'en s'en bourde. Mais je pense que
c'est mal fait et qu'il vaulsoit encores mieux devant tous leur monstrer leurs
faultes et leurs folies, comme on faisoit en celluy temps dont je vous ay
parlé. Et vous diray encores plus comme j'ay ouy racompter à plusieurs
chevaliers qui virent celluy messire Geoffroy qui disoit que quant il
chevauchoit par les champs, et il veoit le chanteau ou manoir de quelque
dame, il demandoit tousj ours à qui il estoit ; et quant on lui disoit : Il est à celle, se la dame estoit blasmée, de son honneur,
il se fust avant[40] tort[41] d'une demie lieue qu'il ne fust
venu jusques devant la porte ; et là prenoit un petit de croye[42] qu'il portoit et notoit cette
porte, et y faisoit ung signe et l'en venoit, et aussi au contraire quant il
passoit devant l'ostel de dame ou damoiselle de bonne renommée, se il n'avoit
trop grand haste, il la venoit veoir et huchoit : 3Ia bonne amye oz ma bonne
dame ou damoiselle, je prie à Dieu que en ce bien et en test honneur il vous
veuille maintenir au nombre des bonnes ; car bien devez entre louée et
honorée. Et par celle N oye les bonnes craignoient et se tenoient plus fermes
de faire chose dont elles peussent perdre leur honneur et leur estat. Si
vouldroye que celluy temps fust revenu, car je pense qu'il n'en seroit pas
tant de blasmées comme il est à présent[43]. Il est
évident que de telles lignes n'ont pu être écrites que dans une société où
règne un idéal de moralité élevé et où la puissance de l'opinion s'exerce
dans le sens et sous l'empire de cet idéal ; il est clair aussi que le
tableau appartient aussi bien au quinzième siècle qu'au quatorzième, et que
les regrets du vieux chevalier, comme la critique qu'il fait du présent,
viennent également de cette prédilection proverbiale et si naturelle que les
vieillards ont pour le temps où ils ont le plus et le mieux vécu. Mais,
nous n'avons aucune envie de le dissimuler, cet idéal si élevé ne descend pas
toujours dans la réalité : quand on regarde l'état des mœurs à l'époque même
où ces lignes étaient écrites, et au commencement du quinzième siècle, on est
frappé du contraste qui existe trop souvent entre les principes que l'on
puisait dans les enseignements de l'Église et de la famille, et les actes de
la vie de chaque jour. On connaît les désordres d'Isabeau de Bavière et de sa
cour. La plus ancienne et la plus édifiante de nos maisons religieuses en. eut
le triste spectacle, suivant le moine de Saint-Denis, qui, après le récit des
tournois faits en 1389, à Saint-Denis, pour la chevalerie du roi de Sicile et
de son frère, ajoute : Jusques-là tout allait
assez biefs, mais la dernière nuit gasta tout par la dangereuse licence de
masquer et de permettre toutes sortes de postures plus propres à la farce
qu'à la dignité des personnes si considérables, et que j'estime à propos
d'estre remarquées dans cette histoire pour servir d'exemple à l'advenir à
cause du désordre qui en arriva. Cette mauvaise coutume de faire le jour de
la nuit, jointe à la liberté de boire et de manger avec excès, fit prendre
des libertés à beaucoup de gens, aussi indignes de la présence du roi que de
la sainteté du lieu où il tenoit sa cour. Chacun chercha à satisfaire ses
passions ; et c'est tout dire qu'il y eut des marys qui patirent de la
mauvaise conduite de leurs femmes, et qu'il y eut aussi des filles qui
perdirent le soin de leur honneur[44]. Juvénal
des Ursins rend le même témoignage : Aucune
renommée estoit,
dit-il, que en l'hostel de la Royne se
faisoient plusieurs choses deshonnestes ; et y fréquentoient les seigneurs de
la Trémouille, Giac, Bosredon et autres ; et quelque guerre qu'il y eût,
tempestes et tribulations, les dames et demoiselles menoient grands et excessifs
états ; et cornes merveilleuses, hautes et larges : et avoient de chacun
costé en lieu de bourlès deux grandes oreilles si larges, que quand elles
vouloient passer l'huis d'une chambre, il fallait qu'elles se tournassent de
costé et baissassent où elles n'eussent pu passer. La chose déplaisoit fort à
gens de bien et en furent aucuns mis hors. Bosredon[45] pris,
et pour aucune chose qu'il contesta, il fut jeté à la rivière et noyé[46]. La cour
n'avait pas le privilège de la corruption. Elle avait pénétré dans tous les
rangs. Ce n'est pas à la cour seulement que pensait le poète Eustache
Deschamps, quand il condamnait les épouses infidèles à être exposées à
l'échelle d'amour, espèce de peine infamante dont il donnait la description : Ceste
eschielle riestoit pas en usaige Au
temps jadis que régnoit loyauté, Pour
ce qu'oneur, amour et vasselaige, Secret
déduit, plaisance et honnesté Estoient
si es nobles eners enté, Que
l'on vivoit liement ; Et
s'amoit l'en très-amoureusement : Et
faisoit-on joustes, festes, estours. Autrement
va : dame qui va changent Doit estre mise à l'eschielle d'amours[47]. D'où
venait cette contradiction (que pourtant il ne faut pas s'exagérer et que
l'on retrouve dans tous les temps) entre l'éducation et les mœurs, entre l'idéal
et la réalité ? D'abord du fond même de la nature humaine, qui ne se déroule
jamais comme un théorème de géométrie dans une série de corollaires
étroitement enchaînés, quelle que soit la puissance des principes qu'elle a
adoptés, et sans doute aussi de l'empire de certaines préférences, de
certaines habitudes de l'imagination, de certaines théories sur l'amour, que
les romans avaient préconisées et mises à la mode, de la lecture des
romanciers et des poètes, qui tenait, comme on sait, une grande place dans la
vie de la noblesse et de ce qui est devenu la société polie. Mais ce point de vue, cet élément nouveau de la vie morale du quinzième siècle est trop important, et, sans doute, il a exercé une trop grande influence sur la destinée d'Agnès Sorel pour que nous nous contentions de l'indiquer : il mérite d'ailleurs par lui-même d'être considéré à part et avec quelque étendue. |
[1]
Le Christianisme et ses origines, par M. Ernest Havet. (Voir la Revue
moderne, 1er avril 1857.)
[2]
Le Jouvencel, fol. 94 jusqu'à 97. — La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires
sur l'ancienne chevalerie, t. I, p. 110.
[3]
Le Roux de Lincy. Les Femmes célèbres de l'ancienne France, 1re série p.
271, 272, 273. Paris, 1848, 2 vol. in-8°.
[4]
Chronique du religieux de Saint-Denis. — Traduction de M. Bellaguet, t.
II, liv. XVI, p. 407.
[5]
Michelet. Histoire de France, t. V, p. 56 et 57.
[6]
Journal de Paris sous le règne de Charles VI et de Charles VII. Édition
de 1729, p. 134.
[7]
Michelet, Histoire de France, t. V, p. 86, 100, 176.
[8]
La vie de Marguerite de Bavière, femme de Charles II, duc de Lorraine, et mère
d'Isabelle, l'amie d'Agnès Sorel, est marquée par une foule de miracles. Entre
autres, son confesseur assure qu'étant un jour sur le
point de lui administrer l'Eucharistie, la sainte hostie se porta d'elle-même
dans sa bouche. (Dom Calmet. Histoire de Lorraine, t. III, p.
159. Édit. de 1745.)
[9]
Journal de Paris, édition citée, p. 8 et 9.
[10]
Journal de Paris, édition citée, p. 119, 120.
[11]
Journal de Paris, p. 131.
[12]
Journal de Paris, p. 143.
[13]
Journal de Paris, p. 167.
[14]
Journal de Paris, p. 169.
[15]
Journal de Paris, p. 169, 170.
[16]
Manuscrit de la Bibliothèque impériale. Mouch. n° 6, fol. XXV. — Le Roux de
Lincy, Recueil des chants historiques français, 1re série, p. 278, Paris,
1847, 2 vol. in. 8°.
[17]
Ode au duc de Bourbon. Le même poète, dans sa Prière pour la paix,
s'adresse d'abord à la sainte Vierge, et termine par une invocation à Dieu :
Priez pour paix,
doulce vierge Marie,
Royne des cieulx
et du monde maistresse,
Faictes prier
par vostre courtoisie,
Saints et
Saintes, et prenez vostre adresse
Vers vostre
filz, requérant sa haultesse,
Qu'il lui plaise
son peuple regarder,
Que de son sang
a voulu racheter,
En desboutant
guerre qui tout desvoye :
De prières ne
vous veuilliez lasser,
Priez pour paix,
le vray trésor de joye.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dieu tout
puissant nous vueille conforter
Toutes choses en
terre, ciel et mer :
Priez vers luy
que brief en tout pourvoye ;
En luy seul est
de tous maulx amander.
Priez pour paix,
le vray trésor de joye.
Prière pour la paix. Manusc. de la Biblioth. de
Grenoble, f° XCIX, v°. (Recueil des chants historiques français, p.
307.)
[18]
Manuscrit de la Bibliothèque de Grenoble, f° CX, v°. Recueil des chants
historiques français, 1re série, p. 339.
[19]
Œuvres d'Alain Chartier, Manuscrit de la Bibliothèque impériale, n° 7215. Recueil
des chants historiques français, 1re série, p. 336, 337.
[20]
Le Panegyric du chevalier sans reproche, ou Mémoires de la Trémoille,
par Jean Bouchet, procureur de Poitiers. — Petitot, Collection des Mémoires
relatifs à l'histoire de France, t. XIV, p. 446, 447, 448.
[21]
Le Moyen Age et la Renaissance, t. III. — Vie privée dans les
châteaux, les villes et les campagnes, article de M. Le Roux de Lincy. —
Nous avons quelquefois emprunté nos citations du Recueil de Latour-Landry et du
Ménagier de Paris à l'étude de M. de Lincy, que nous n'avons que
rarement modifiée ou écourtée, et uniquement pour les convenances de notre
propre travail.
[22]
Le Moyen Age et la Renaissance, t. III. — Vie privée dans les
châteaux, les villes et les campagnes, article de M. Le Roux de Lincy.
[23]
On aura une idée du style du chevalier de La tour par le passage suivant sur
l'utilité de la courtoisie : Je cognois,
dit-il, ung grant seigneur en ce pays qui a plus
conquis chevaliers et écuyers ou autres gens à le servir ou faire son plaisir
par sa courtoisie au temps qu'il se pouvait armer, que autre ne faisoit pour
argent ne pour autre chose : c'est messire de Craon qui fait bien à louer
d'honneur et de courtoisie sur tous les chevaliers que je cognois. —
Instruction à ses filles, au chapitre : Comment les filles doivent être
courtoises, fol. 6, verso. — La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires sur
l'ancienne chevalerie, t. I, p. 331.
[24]
A propos de ces hautes coiffures, le chevalier cite un fait qui se passa en
1392, à une fête de sainte Marguerite, et qui lui fut raconté par une dame
respectable : Il s'y trouvait une femme jeune et
jolie, toute différemment habillée que les autres ; chacun la regardait comme
si elle eût été une bête sauvage. Je m'approchai d'elle, et lui dis : M'amie,
comment appelez-vous cette mode ? — Elle me répondit qu'on la nommait
l'atour au gibet. — Ah ! mon Dieu ! répondis-je, le nom n'est pas
beau. La nouvelle s'en répandit bientôt dans toute la salle ; chacun
répétait le nom de l'atour au gibet, chacun riait beaucoup de la pauvre
demoiselle. — Parlant encore des servantes et des femmes de bas étage
qui ont adopté la robe traînante garnie de fourrures, il les montre crottées par derrière autant que la queue d'une brebis.
[25]
Tout n'est pas à approuver dans l'écrit du chevalier de Latour. M. Eugène
Pelletan, dans son livre la Mère, cite ce passage : J'ai connu une femme de mauvaise humeur qui contredisait
sans cesse son mari. C'était un vaillant chevalier et un cœur loyal ; mais un
jour sa femme l'ayant irrité, il lui asséna un coup de poing et la renversa par
terre ; puis la foulant aux pieds et déchirant son visage avec l'éperon de sa
botte, il la défigura tellement que, jusqu'à sa mort, elle n'osa plus se
montrer. — Geoffroy Landry approuve l'action du
chevalier, ajoute M. Pelletan. Il en prend
texte pour faire la leçon à sa fille, et il ajoute, sous forme de commentaire Le
mari a droit de vie et de mort sur sa femme. Assurément M. Eugène
Pelletan a raison de blâmer le fait raconté par Latour-Landry et l'approbation
qui lui est donnée : ce que l'on peut dire à la décharge de notre père de
famille, c'est que l'on vit dans son temps, et qu'il est difficile d'être plus
sage que ses contemporains.
[26]
Vol. V, fol. 22.
[27]
La Curne de Sainte-Palaye. Mémoires sur l'ancienne chevalerie, t. I, p.
326.
[28]
Le Ménagier de Paris, traite de morale et d'économie domestique, composé
vers 1393, par un bourgeois parisien, contenant des préceptes moraux., des
renseignements sur la consommation du roi, des princes et de la ville de Paris
à la fin du quatorzième siècle, etc., etc., publié pour la première fois par la
Société des Bibliophiles français. Paris, 1846-47. 2 vol. in-8°.
[29]
Les femmes se mariaient alors, en général, plus tôt que de nos jours. Le mari
se substituait donc naturellement au père et à la mère dans l'œuvre de
l'éducation et était en quelque sorte tenu de la continuer.
[30]
Le Ménagier de Paris, Prologue, p. 1, 2 et 3.
[31]
M. Eugène Pelletan, La Mère, p. 178, 179.
[32]
Ménagier de Paris, t. II, p. 60.
[33]
Glorieuse.
[34]
Un.
[35]
Voyons.
[36]
Le Ménagier de Paris, t. I, p. 139, 140, 141.
[37]
La Mère, p. 185, 186. — M. Eugène Pelletan exprime dans le paragraphe
suivant une opinion qui ne paraîtra pas fondée à tout le monde : Le culte de la femme sur la terre réagit dans le ciel : la
Vierge, jusqu'alors reléguée au second plan, vient prendre place à 'la droite
de Jésus. Si le Dieu chrétien ne change pas de sexe, le dogme prend du moins un
caractère féminin, au contre-coup de la galanterie. — Ne prend-on pas
ici l'effet pour la cause ? N'est-ce pas le culte de Marie qui a réagi sur la
terre ?
[38]
Le Roux de Lincy, Les Femmes célèbres, p. 363, 364.
[39]
Mérité.
[40]
Plutôt.
[41]
Détourné.
[42]
Craie.
[43]
La Curne de Sainte-Palaye, Mémoires sur l'ancienne chevalerie, t. I,
notes de la deuxième partie, p. 123, 124, 125.
[44]
Mémoires sur l'ancienne chevalerie, t. I, notes de la deuxième partie,
p. 392, 393.
[45]
Bosredon était donné comme amant de la reine Isabeau.
[46]
Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI. (Année 1413).
[47]
On pourrait s'étendre considérablement sur ce chapitre : il suffira de rappeler
ce que Nicolas de Clemengis, recteur de l'Université de Paris au quinzième
siècle, dit des mœurs de l'Église de son temps, assurant, entre autres choses,
que, dans la plupart des paroisses, on n'admettait les prêtres et les curés
qu'autant qu'ils étaient pourvus de concubines, afin de garantir les femmes et
les filles de leurs insultes. Certains couvents, même de femmes, dit le
pamphlétaire religieux, étaient autant de lieux de débauches, et les parents
qui y faisaient prendre le voile à leurs filles pouvaient être sûrs de les
livrer à la prostitution. — (Nicol. de Clemengiis, de Præfectibus
simoniacis, operum editio, Lydie, p. 165. — De corrupto Ecclesiæ statu,
cap. XXIII. — Voir, sur la corruption de l'Église de Clemengis, Michelet, Histoire
de France, t. IV, p. 264.)