Troisième partie
Le 12 novembre de l’an 1028, lendemain de la mort du vieux basileus Constantin, Romain Argyre, ou plus exactement Argyros,[1] Romain III dans la liste des basileis orientaux, marié depuis deux jours à l’héritière du trône et couronné avec elle, prit en mains les destinées de l’empire. A ce moment Robert le Pieux, fils de Hugues Capet, régnait en France depuis tantôt trente deux années. Jean XIX était pape à Rome. La famille du nouveau souverain si étrangement élevé au
trône, était depuis longtemps influente et presque illustre à Constantinople,
dès le règne du basileus Michel, fils de Théophile, disent les chroniqueurs.
Sous cet empereur, Léon Argyros avait, le premier de sa race, porté ce surnom
par lequel elle fut constamment désignée dans la suite. On avait ainsi appelé
ce personnage à cause de la pureté de sa vie sans tache ou à cause de sa
beauté physique, peut-être bien plutôt pour ses exploits contre les fameux
Manichéens de Téphrique et les Sarrasins de Mélitène. Le petit-fils de ce
Léon, Eustathios Argyros, créé par le basileus Léon VI, magistros, stratigos
du thème asiatique frontière de Charsianon et drongaire de Romain Argyros avait eu divers frères et sœurs,[2] parmi lesquels je citerai seulement: Basile Argyros, dit le Mésardonitès, patrice et stratigos du thème de Samos qui, aux temps du défunt basileus Basile, avait été envoyé en Italie pour châtier la révolte de Mélès, en l’an 1010, et y avait été battu[3], puis avait été par le même souverain expédié en l’an 1016 dans l’extrême Orient pour administrer la nouvelle province du Vaspouraçan, mais y avait si mal réussi qu’il avait été presque aussitôt destitué; Pulchérie Argyros, mariée à un personnage dont nous ignorons le nom, mère de Constantin Diogène d’où était issu le futur basileus Romain IV Diogène; une autre sœur nommée Marie, donnée en mariage en l’an 1005 par Basile II au jeune doge de Venise Jean Orseolo, associé au pouvoir par son père Pierre Orseolo et venu en ambassade à Constantinople;[4]: une autre sœur encore dont nous ignorons le prénom, mariée à Constantin Karanténos, patrice, qui succéda, on le verra, à Michel Spondyle comme allié d’Antioche;[5] une autre encore, également de prénom ignoré, mariée à Basile Skléros,[6] fils de Romain Skléros, petit-fils par conséquent du fameux prétendant Bardas Skléros. Psellos, l’homme le plus instruit de son siècle, illustre contemporain de tous ces règnes, dans un passage bien curieux de son Histoire s’exprime en ces termes: Romain Argyros, en montant sur le trône de Constantinople, s’imagina que son règne marquait le commencement d’une ère nouvelle. Voyant la dynastie séculaire de Basile le Macédonien en voie de s’éteindre dans les personnes de sa quinquagénaire épouse et de sa belle-soeur, à peine plus jeune, il se persuada qu’il n’en allait pas moins procréer en commun avec cette vieille princesse les rejetons d’une dynastie nouvelle. Bien à l’opposé de ces rêves ambitieux, le pauvre homme ne vécut plus que peu d’années et finit par mourir très subitement, ainsi qu’on le verra, après avoir été presque constamment malade durant tout son règne. » « Les devins et autres charlatans, dit d’autre part le même écrivain, avaient fini par prendre, grâce à leurs prédictions qui répondaient à ses vœux les plus chers, un tel empire sur l’âme crédule de ce prince, qu’il se flattait non seulement de vivre beaucoup d’années, mais encore, ô miracle, de faire des enfants à son impériale épouse déjà fort avancée en âge, et de fonder ainsi la séculaire dynastie des Argyres. Ce fut sa préoccupation constante de chercher à corriger par des sortilèges les effets de la nature. Il ajoutait foi à tous ceux qui se vantaient, par le moyen de leurs drogues, de lui rendre la vigueur de son jeune âge et de remédier en même temps chez la vieille et stérile basilissa à l’action désastreuse des ans. Non seulement il usait de toutes sortes d’onguents et de massages, mais il imposait le même traitement à Zoé. » Celle-ci, du reste, dans son ardent désir d’avoir une postérité, renchérissait encore sur son époux, obéissant scrupuleusement à toutes sortes de prescriptions baroques que Psellos décrit en ces termes bizarres: « Elle introduisait de petits cailloux dans son corps; elle s’enveloppait de bandelettes et usait de toutes sortes d’aussi absurdes pratiques. » Ce récit étrange, qui peint bien cette époque d’ignorance générale, signifie en somme tout simplement que Romain Argyros, très sagement et très naturellement aussi, s’efforça de fonder sa propre dynastie, de prolonger et de rajeunir en même temps celle que représentait la basilissa Zoé par de nouveaux rejetons venant pousser sur ce tronc dénudé. Son unique tort fut de ne pas reconnaître assez tôt qu’à leurs âges ces espérances étaient vraiment chimériques. Tous ces efforts, en effet, toutes ces prescriptions n’eurent, on ne le comprend que trop, aucun succès. Au bout de peu de temps, le basileus, plus de dix ans plus âgé que la basilissa, fort calmé par les ans, voyant bien que sa femme, malgré ses ardeurs juvéniles, ne lui donnerait jamais de postérité, se mit à la délaisser fort. Cette négligence lamentable devait un jour lui coûter la vie. « Mon récit, poursuit notre précieux chroniqueur, fournira, à partir de ce règne, un thème plus précis que pour les basileis précédents. Aux temps en effet du grand Basile, je n’étais encore qu’un petit enfant, et lorsque son frère, le basileus Constantin, demeura seul empereur, je n’étais encore qu’un étudiant suivant les cours dans la capitale. Je n’ai donc été vraiment le contemporain d’aucun de ces deux princes. Je ne les ai jamais ouï parler et j’étais si jeune que je ne me rappelle même pas si je les ai jamais vus. Il en est tout autrement du basileus Romain Argyros, que j’ai aperçu maintes fois. Un jour même, je lui ai parlé. Ce que j’ai écrit sur les règnes de ces deux premiers princes, je l’avais su par ouï-dire, au lieu que pour le troisième je ne dirai que ce que j’ai su par moi-même, sans avoir à interroger autrui »[7]. Romain Argyros, c’est toujours de Psellos que nous tenons ce renseignement, était un homme cultivé pour son temps, nourri de lettres grecques, également instruit des lettres latines. Sa parole était insinuante, le son de sa voix plein de charme. Il avait une taille majestueuse, la taille d’un héros faite pour plaire aux foules et leur inspirer les plus vastes espoirs. Son apparence était véritablement royale. Il était bien fait, beau de visage, éloquent, disert. Malheureusement tous ces grands et riches dons étaient ternis par une extrême vanité. Il se croyait parfait homme de guerre autant que parfait littérateur et se flattait de réunir en sa personne!es qualités d’un Auguste, d’un Antonin et d’un Marc-Aurèle. En réalité, il se croyait infiniment plus savant qu’il ne l’était vraiment et Psellos ne marque que du dédain pour la qualité très superficielle comme pour la quantité de cette impériale science. Certes quelque étincelle couvait bien cachée sous cette cendre, mais c’était le plus souvent en ignorant présomptueux que le nouveau basileus discourait incessamment de philosophie et de rhétorique avec tous les prétendus savants qui en dissertaient autour de lui. « Il devint, en effet, fort à la mode à cette cour, poursuit notre chroniqueur, de s’entretenir de tous ces sujets d’ordre très élevé, mais en réalité ce n’était là qu’une pose prétentieuse sans souci aucun de la vérité. Les très rares vrais savants de cette époque n’avaient jamais pénétré au delà des portes mêmes du temple d’Aristote. Raisonneurs impitoyables, sans dialectique aucune, leurs colloques se subtilisaient en liens frivoles. Ils dissertaient à perte de vue de ce qu’ils ne savaient point, répétant par cœur quelques bribes du jargon platonicien, incapables absolument de pénétrer jamais les arcanes de la vraie métaphysique. Féconds en questions embrouillées sur les saintes Écritures, ils n’en savaient résoudre solidement aucune. » De même le basileus prenait volontiers le masque du philosophe, alors que derrière ce masque il n’y avait en somme que bien peu de chose. Tout ce prodigieux verbiage n’était qu’hypocrisie et dissimulation. En réalité personne, dans cette cour bizarre, ne se souciait de procéder à un examen attentif et minutieux de la vérité. Que tout cela devait être insupportable et combien la sensuelle et frivole basilissa Zoé devait s’ennuyer parmi ces insipides discoureurs, si tant est qu’elle sortit jamais des profondeurs du Gynécée pour les ouïr parler et divaguer! Une autre manie de Romain, c’est toujours Psellos qui parle était de vouloir à tout prix et à toute occasion traiter des questions militaires. « Quand il ne dissertait pas philosophie, il discourait à perte de vue sur les boucliers, les jambières ou les cuirasses. Ce vaniteux ne parlait de rien moins que de subjuguer, les armes à la main, à la fois tout l’Orient et tout l’Occident. Il ne rêvait que de marcher sur les traces de tous les grands conquérants. » Nous verrons à quelle catastrophe tout ce beau zèle guerrier finit par aboutir et comment ce général amateur ne fut jamais en réalité qu’un soldat incapable et un chef sans valeur. Les débuts du règne de cet empereur qui avait si
heureusement évité le pire des supplices et contre toute espérance conservé
ses deux yeux, furent plutôt satisfaisants. Romain, immédiatement après son
couronnement, se signala tout d’abord par des actes louables à l’endroit de
la religion. Ce fut avant tout et toujours un souverain suivant le cœur du
clergé. Jadis, en qualité d’économe officiel de Sainte-Sophie, De même encore, Romain fit sortir de prison un certain nombre de malheureux et d’abord tous ceux si nombreux qui, dans tant de geôles de l’Empire, n’étaient enfermés que pour dettes. En une seule fois ce prince vraiment humain annula par décret toutes celles de ces dettes qui n’étaient qu’envers l’État. En même temps il payait généreusement de sa bourse toutes celles qui concernaient des particuliers, il fournit également des subsides aux évêques ruinés par l’Allèlengyon. Les infortunés captifs enlevés par les barbares Petchenègues à la suite de leurs fréquentes razzias au delà du Danube, furent de même par les soins de Romain soigneusement rachetés. Tous ceux que le défunt Constantin, ce prince au caractère si faible, si facile à tromper, avait ou fait mutiler ou dépouiller de leurs biens ou léser de quelque autre manière, furent dédommagés par l’octroi d’honneurs et de libéralités. Trois des plus importants sièges métropolitains d’Asie: ceux des cités de Cyzique, d’Euchaïta et d’Ephèse se trouvaient vacants. Romain y pourvut par la nomination de trois syncelles des plus méritants, aussi vertueux qu’instruits. Sur le trône épiscopal de Cyzique, il installa Démétrius Radinos, avec lequel, avant son élévation au trône, il avait été lié par les liens de la plus étroite amitié. A Euchaïta, il nomma Michel, également nommé Radinos, proche parent du précédent[9]. A Ephèse enfin, il envoya le syncelle Kyriakos, parent du patriarche Alexis Stoudite.[10] Jean le Protonotaire, l’ancien ministre du défunt basileus Basile, las des agitations du pouvoir, fatigué de la vie de cour, avait pris l’habit religieux et vivait au fond d’un monastère. Rappelé par le nouveau basileus, il fut créé par lui syncelle, c’est-à-dire coadjuteur du Patriarche, en outre surintendant de la maison de la seconde basilissa Théodora. Romain n’aimait pas cette vieille princesse et la soupçonnait injustement, malgré son grand âge, de quelque engagement secret, puisqu’elle lui avait, nous l’avons vu, refusé sa main. Il la soupçonnait également de s’allier aux mécontents pour conspirer contre lui et Zoé. Aussi chargea-t-il tout spécialement l’ancien protonotaire de la surveiller très exactement. Ce fut là, pour la pauvre femme, peut-être pas tout à fait innocente des menées dont on l’accusa plus tard, le début de longues persécutions. Beaucoup d’indigents, réduits à la dernière misère par les terribles taxes de l’Allèlengyon, beaucoup de prêtres et de religieux aussi tombés dans le besoin, furent abondamment secourus par le basileus. Romain distribua également de très riches et abondantes aumônes pour le salut de son défunt beau-père Constantin et se fit, je l’ai dit, un généreux point d’honneur de réconforter tous ceux que ce prince avait injustement traités. Ainsi il s’empressa de conférer la très haute dignité de magistros à son beau-frère Skléros, mari de sa sœur qui, sous le dernier règne, on se le rappelle, avait été condamné tout à fait injustement à l’exil, puis avait eu les yeux crevés. De même, le patrice Nicéphore Xiphias, l’ancien rebelle d’Asie, exilé en l’an 1022 par Basile dans un monastère de l’île d’Antigoni, dans l’archipel des Princes,[11] et maintenu constamment depuis dans cette claustration rigoureuse, fut gracié et rappelé dans la capitale en considération des services signalés qu’il avait rendus aux temps déjà lointains de la grande guerre de Bulgarie. Mais lui, décidément dégoûté du tumulte de ce monde, retourna presque aussitôt, cette fois de son plein gré, dans la vie du cloître. Il s’enferma pour le reste de ses jours au grand couvent de Stoudion, la plus illustre et vénérable maison monastique de la capitale. En cette même année 1029, disent les chroniqueurs,
toujours empressés à noter ces phénomènes célestes, des pluies abondantes,
tombées à la saison propice, produisirent dans tout l’Empire de très riches
récoltes de céréales et d’huile. Le 25 mai, jour de J’ai insisté plus haut sur les préoccupations d’ordre
militaire qui, presque sans cesse, hantaient la pensée du nouveau basileus,
il eut presque aussitôt après son avènement l’occasion d’en faire montre. Du
côté de l’Occident, il ne restait guère de lauriers à conquérir. En Orient,
par contre, il y avait de grandes et illustres choses à accomplir. Les
expéditions des deux glorieux basileis, Nicéphore Phocas et Jean Tzimiscès,
leurs victoires aussi grandes que répétées sur les Sarrasins, avaient reporté
les frontières de l’Empire dans les régions de Le duc Spondyle et ses troupes désorganisées étaient rentrés précipitamment dans Antioche, et leur retraite avait semblé plutôt une fuite. A cette époque vivait depuis fort longtemps déjà dans cette grande ville, interné sous une étroite surveillance, un chef arabe que Skylitzès nomme Mousaraf, jadis fait prisonnier par les soldats de Pothos Argyros.[15] Ce louche personnage, voyant qu’il lui serait aisé d’abuser de la crédulité de ce pitoyable duc d’Antioche, esprit aussi superficiel et mobile que facile à inquiéter, complota de recouvrer sa liberté en rendant du même coup un signalé service à ses coreligionnaires. A travers le naïf et incohérent récit des chroniqueurs on devine une intrigue très subtile. Voici d’après leurs dires ce qu’imagina Mousaraf: Par d’habiles discours il commença par persuader à l’inepte chef byzantin de faire construire sur la hauteur aux environs d’Antioche, évidemment en quelque point stratégique important sur la route d’Alep, un « kastron » destiné à contenir les futures incursions des contingents ennemis. Le chef sarrasin jura même avec tant de sincérité apparente de consacrer le reste de ses jours au service de l’Empire à l’égal du plus zélé des Grecs, que Spondyle fut assez imprudent non seulement pour lui rendre sa liberté, mais encore pour lui confier le commandement de la garnison de mille hommes installée dans la nouvelle forteresse baptisée du nom de Ménik. A peine le traître avait-il pris possession de ce château qu’il fit savoir secrètement à l’émir de Tripoli et à Anouchtikin Al-Douzbéri, généralissime des forces du Khalife d’Egypte en Syrie, que le « kastron » était leur et qu’ils n’avaient qu’à en venir prendre possession. Ce qui fut fait aussitôt. Les deux chefs, accourus avec leurs contingents en suite de ces ténébreuses négociations, furent introduits en secret dans le château par Mousaraf et les mille soldats impériaux massacrés jusqu’au dernier. Au lieu de les inquiéter, ce poste ainsi tombé par trahison aux mains des Musulmans leur donna sur les chrétiens un grand avantage de plus. De ce jour leurs incursions sur territoire de l’Empire en ces régions devinrent pires chaque jour. Sur ces entrefaites Romain Argyros avait depuis plusieurs mois déjà succédé à son beau-père Constantin VIII. Comme le nouveau basileus brûlait de signaler son règne par des hauts faits, il saisit avec empressement cette occasion de se venger des Sarrasins de Syrie en leur déclarant une guerre impitoyable. Psellos va jusqu’à dire que n’ayant pas de prétextes sérieux pour fondre sur l’émir d’Alep, il en inventa. Il semble cependant que la prise par trahison du fort de Ménik constituait un motif suffisant pour des représailles sanglantes. Aussitôt après la nouvelle de ces événements malheureux, Romain eut la pensée de partir pour la frontière de Syrie et de prendre personnellement la direction des opérations, mais comme il ne voulait engager celles-ci qu’appuyé sur une formidable armée, il fallut d’immenses et très longs préparatifs. En attendant il s’agissait avant tout de mettre un terme à de pires désastres. L’incapable Spondyle fut rappelé et une expédition organisée dans Antioche même pour châtier l’émir d’Alep. Le commandement en fut confié au patrice Constantin Karanténos, mari d’une soeur du nouvel empereur, nommé duc d’Antioche à la place de Spondyle. On lui fournit des troupes armées à la légère pour garder avec soin les passages et prévenir le renouvellement des incursions sarrasines, avec ordre aussi de causer à l’ennemi le plus de mal possible sans toutefois l’attaquer en bataille rangée avant l’arrivée du basileus. C’était dans le cours de l’an 1030. Cependant, après de longs mois, Romain Argyros avait fini par se mettre lui-même en route. Les préparatifs, minutieusement décrits par Psellos sur le ton légèrement ironique que cet écrivain applique à tout le récit de cette expédition considérée par lui comme insensée, avaient été très considérables. On avait complètement réorganisé les cadres de l’armée dont on avait très notablement augmenté les effectifs. On avait assemblé de très nombreux contingents de mercenaires étrangers, des russes principalement. Le basileus avec ces forces si belles, se croyait invincible. Malgré les avis plutôt pessimistes des principaux chefs, Psellos affirme qu’il faisait tresser déjà les couronnes et les guirlandes pour son prochain triomphe lors de son retour victorieux dans la capitale. Ce n’était pas seulement l’avis unanime des chefs de
l’armée qui se montrait hostile à une guerre offensive dans cette dangereuse
région de Romain Argyros, désireux tout simplement de dépasser la
réputation du grand Basile, avait quitté Constantinople au printemps de l’an
1030. Il comptait bien, dans sa naïve, vanité, achever la conquête de Comme c’était le cas chaque fois, l’émir Chibl Eddaulèh, terrifié par l’approche du basileus et de sa puissante armée, s’engageait à accepter à nouveau la suzeraineté byzantine et à payer aussi exactement que fidèlement les tributs accoutumés consentis par la principauté au moment de la conquête par Nicéphore Phocas. L’émir mandait encore formellement au basileus qu’il ne désirait aucunement la guerre et n’en donnerait pas personnellement le prétexte. Bref il capitulait sur toute la ligne. De nombreux chefs de l’armée, parmi les plus distingués,
estimant l’expédition mal et trop tardivement engagée, le patrice Jean
Chaldas entre autres, conjurèrent le basileus de se contenter de cette
complète soumission et d’éviter ainsi le grand péril d’une guerre en Syrie au
moment des chaleurs, alors que la disette d’eau rendrait la partie si inégale
entre les Impériaux épuisés par cette température, accablés sous leur pesant
équipement, et les mobiles contingents arabes, accoutumés à combattre presque
nus sous ce ciel de feu. Mais Romain, hanté par le souvenir des glorieux
hauts faits de tant de ses prédécesseurs en ces contrées classiques de la
grande guerre sarrasine, hanté surtout par le désir de les égaler, sinon de
les dépasser, « uniquement préoccupé, dit ironiquement Psellos, d’établir des
embuscades, de faire creuser des fossés et détourner des rivières, de prendre
des places fortes, ainsi que l’avaient fait César, Auguste et Adrien, et avant
eux Alexandre et Philippe », se refusant à tout accommodement, ne tint aucun
compte des avis de ses lieutenants.[18]
Il congédia avec un dur mépris la pacifique ambassade sarrasine et, à travers
les immensités du Taurus et de Les historiens arméniens, Arisdaguès de Lasdiverd et Michel le Grand en particulier, l’écrivain syrien Aboulfaradj aussi, accusent ici Romain d’un forfait qui s’explique par la haine religieuse séculaire entre leurs compatriotes et les Byzantins depuis les temps lointains du concile de Chalcédoine. En traversant les monts de Caramanie ou de Voici le texte même d’Arisdaguès: « Arrivé à la Montagne Noire,[19] dit ce chroniqueur, le basileus Romain y rencontra une multitude de monastères et de couvents habités par des anachorètes qui, sous une forme corporelle, avaient l’apparence d’êtres immatériels. Couverts, pour tout vêtement, d’une simple étoffe de poil de chèvres ou d’une tunique, ils ressemblaient par-là à Jean: mais au lieu que ce dernier vivait de sauterelles et de miel sauvage, eux, après avoir travaillé la bêche de fer à la main, épuisés de fatigue, n’avaient pour réparer leurs forces qu’une nourriture faite de semences d’orge, abandonnant aux amis du monde et de ses plaisirs les viandes aux apprêts variés, les mets savoureux et la joyeuse liqueur que fournit le fruit de la vigne. Retirés au sommet de la montagne, comme le premier des prophètes, ils étaient en colloque perpétuel avec Dieu. « En les apercevant, le basileus demanda à ses officiers quelle était cette multitude d’hérétiques. Ils lui répondirent: Ce sont des troupes d’hommes qui font sans cesse des prières pour la paix du monde et la conservation de votre existence. « Je n’ai point besoin de leurs prières », répliqua Romain; « prenez dans tous ces couvents des archers pour le service de mon Empire ». Partisan déclaré des doctrines du concile de Chalcédoine, il était ennemi de la foi orthodoxe. Il envoya à Constantinople sous la garde de Nicéphore, métropolitain grec de Mélitène, l’évêque des Syriens qui résidait dans cette ville — c’est-à-dire le patriarche Bar Abdoun[20] — avec ses évêques qu’il abreuva de mépris et de risées, avec ordre de lui couper la barbe, de le promener sur un âne par les places et les rues de la ville et de le couvrir de crachats, après quoi il le fit mettre en prison où il mourut. Tel était ce prince insensé. Il ne se souvint point de la bienveillance que les empereurs, ses prédécesseurs, avaient montrée aux nations soumises à leur puissance. Il voulait de son autorité privée introduire dans l’Eglise de Dieu des formes nouvelles, oubliant ces paroles du Seigneur: « Quiconque se heurtera contre cette pierre sera brisé et elle brisera celui sur qui elle tombera ». C’est pourquoi les justes jugements de Dieu ne tardèrent pas à l’atteindre ».[21] L’entrée de Romain Argyros dans la grande forteresse, capitale des marches du Sud, fut, nous dit Psellos, splendide et triomphale, « en tout digne d’un grand basileus, mais trop théâtrale, et d’un goût douteux alors qu’on se disposait seulement à entrer en campagne ». Bientôt la belle armée byzantine, commandée par le basileus en personne, envahit le territoire alépitain. Romain installa son camp sous les murs d’Azâs,[22] à deux journées environ au nord-ouest de la grande cité d’Alep qu’il s’apprêtait à attaquer. Pressé de faire grand, il mit aussitôt le siège devant cette petite place forte. En même temps, il envoyait en reconnaissance vers Alep, Léon Choirosphaktes à la tête du corps des excubiteurs de la garde pour s’enquérir des forces de l’ennemi et désigner la place du prochain campement. Dès que le chef byzantin fut assez éloigné du gros de l’armée pour qu’il fût impossible de lui porter secours, les contingents alépitains qui surveillaient la route de leur blanche capitale; dispersés au loin dans ces plaines infinies, très probablement grossis des forces égyptiennes d’Anouchtikin, se rallièrent au galop. Décidés à se défendre jusqu’à la mort, abrités ou plutôt cachés derrière une série de hauteurs, les cavaliers sarrasins attendirent l’approche du corps ennemi qui, accablé par la chaleur du jour, s’avançait en désordre, sans défiance, sans même songer à s’éclairer. Soudain, de toutes ces hauteurs, d’innombrables combattants de blanc vêtus, plus souvent entièrement nus sur leurs agiles coursiers, apparaissent de toutes parts, hurlant leur cri de guerre, bondissant à l’envi vers la troupe chrétienne qui se trouve aussitôt enveloppée. C’était une fois de plus la répétition d’une de ces surprises classiques, si fréquentes dans les guerres orientales de cette époque. Une fois de plus la tactique, la valeur militaires allaient succomber sous le foudroyant effort imprévu d’un ennemi indiscipline, mais aussi hardi que rapide et entreprenant. Une fois de plus les soldats d’Occident, pris de panique, affolés par le tumulte, la chaleur affreuse, les flots de poussière, épouvantés par la soudaineté de l’attaque, par les cris de ces milliers d’hommes, périrent en grand nombre avant même d’avoir pu se défendre. Leur chef demeura le prisonnier des Alépitains. Alors les bandes sarrasines innombrables, enhardies par ce facile succès, poussèrent l’audace jusqu’à tenter d’envelopper de toutes parts de leurs mouvants escadrons le camp impérial lui-même, coupant toute issue aux Grecs pour les affamer, massacrant les convois, massacrant quiconque tentait d’aller faire de l’eau ou du fourrage. Evidemment les Byzantins se gardaient fort mal. Leur service d’approvisionnement aussi était tout à fait rudimentaire. Bientôt hommes et chevaux ne pouvant se ravitailler, souffrirent tant du manque d’eau que les soldats risquèrent mille morts pour étancher leur soif. Une foule furent ainsi massacrés par les maraudeurs ennemis. Pour écarter cette multitude de partisans évoluant incessamment autour de l’armée, pour se donner de l’air, le basileus commanda au patrice Constantin Dalassénos de charger à la tête d’un gros de cavalerie tous ces groupes bondissant sans cesse à travers la plaine et d’en nettoyer les abords du camp. Cette fois encore, cette nuée de cavaliers montés sur les admirables chevaux du désert, souples et vites comme l’éclair, commencent par prendre la fuite devant la troupe ennemie. Puis, soudain, se retournant à un signal, bondissant de toutes parts, ils enveloppent les Grecs dans un tourbillon effroyable de combattants hurlants, et de chevaux emballés. Attaqués, en tête, en queue, serrés sur les flancs par des masses sans cesse grossissantes, qui ne luttent jamais en rangs serrés, qui ne s’écartent un moment que pour revenir à la charge plus nombreux et plus audacieux, les Byzantins, couverts de traits, commencent à flotter. C’est la répétition du combat précédent. Bientôt les soldats de Dalassénos sont eux aussi accablés par le nombre. Hommes et chevaux, violemment isolés les uns des autres, sont hachés à coup d’épées et de lance. Le petit nombre qui parvient à se dégager rentre au camp impérial dans un tel état d’effroi et d’accablement, avec tant de blessés, qu’il jette incontinent la panique dans le reste de l’armée. Certainement, l’imprudence folle du basileus avait produit ce résultat. L’année avant que d’avoir vraiment combattu, était démoralisée par les souffrances et les fatigues intolérables du pire été syrien. Ce fut là l’unique cause de cette catastrophe qui demeurerait sans cela incompréhensible. C’est une scène de désordre affreuse. Le basileus, après ce second échec, perd soudain courage. Personne ne songe plus à marcher à l’ennemi. Chacun s’occupe déjà de son salut. Les bruits les plus sinistres circulent, démesurément enflés par la terreur. Pour comble d’épouvante, les cavaliers arabes, enhardis par ce succès inespéré, apparaissent maintenant à nouveau tout autour du camp en groupes de plus en plus nombreux, poussant des cris de triomphe et de mort. Leur éparpillement même les fait paraître encore plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité. On les voit mettre pied à terre par bandes, se ruer insolemment sur les retranchements, franchir le fossé du camp, arracher à pleines mains les palissades en défiant les chrétiens affolés. Alors, dans cette foule de soldats grecs débandés, le trouble grandit soudain à tel point que, phénomène inouï, personne ne s’occupe plus de se défendre. Dominée par je ne sais quelle fatalité, par « Le conseil suprême des chefs, assemblé en hâte chez le basileus, avait déjà décidé la retraite, il avait fait ouvrir toutes les portes du camp et ordonné de reprendre en bon ordre la route d’Antioche. Mais les soldats n’écoutaient plus la voix des officiers qu’ils entraînaient à leur suite. Ce fut une des grandes paniques de l’histoire, une débâcle sans exemple comme sans motif. Ce fut un miracle surtout que les Sarrasins n’aient pas su ou pu profiter de cet immense désordre pour égorger jusqu’au dernier ce troupeau de fuyards épouvantés. Zonaras dit que la course haletante de toute cette armée les plongea dans une sorte de stupeur. Ceux des soldats chrétiens qui étaient montés, fuyaient par groupes au galop. Ceux qui étaient à pied s’emparaient du premier cheval venu. « Ce fut vraiment, s’écrie Psellos, une chose sans nom! » Le basileus en personne, éperdu jusqu’à ne plus se reconnaître, « presque expirant de terreur » dit Zonaras, abandonné par ses gardes, qui avaient été les premiers à fuir sans jeter un regard en arrière, eut certainement été fait prisonnier, si un simple cavalier ne l’eut enlevé en croupe de sa monture et arraché ainsi à la mort ou à la pire des captivités. La fuite horrible dura jusqu’à Antioche tout le long de cette route interminable, à travers ces sables infinis. C’était le dixième jour du mois d’août. La chaleur de cette journée d’été syrien était véritablement effroyable. Des la sortie du camp retranché, les attaques des cavaliers alépitains sur les flancs et en queue de cette infinie colonne de fuyards commencèrent à se répéter de plus en plus incessantes. Elles ne prirent fin que sous les murs d’Antioche à bien des milles de là. Personne, chose étrange, ne songeait à résister à ce petit nombre d’ennemis.[23] Petit à petit, la retraite qui avait de suite dégénéré en une fuite, se transforma en une complète déroute. Peu de soldats chrétiens furent faits prisonniers, mais beaucoup furent massacrés. Les Sarrasins, au dire de Psellos, empêchés par leur marche en avant, ne conservaient que les captifs d’importance dont ils pouvaient espérer une forte rançon. Ils sabraient impitoyablement tous les autres. Beaucoup d’impériaux aussi périrent foulés aux pieds sous les sabots de leur propre cavalerie. Ceux qui parvinrent jusqu’à Antioche y arrivèrent à demi-morts de fatigue et de soif, après cette course folle, presque tous malades de coliques pour avoir bu de mauvaises eaux ou comme foudroyés par les rayons de ce terrible soleil. Il y eut maints incidents dramatiques. Chaque fois qu’on tentait de se reformer, les attaques des Sarrasins devenaient plus vives, plus pressantes. Comme tous ces grands chefs chargés de gloire, entraînés dans la commune panique, fuyaient aussi vite que leurs soldats, un eunuque de la domesticité du Palais, attaché au service du basileus, voyant piller par quelques irréguliers sarrasins les bagages impériaux et massacrer les hommes qui les gardaient, incapable de supporter une telle honte, faisant rebrousser chemin à sa monture, se précipita à lui tout seul sur les cavaliers ennemis. Il en tua un d’une flèche et mit les autres en fuite. Après avoir ainsi sauvé les bagages et délivré les valets de camp, il regagna tout joyeux la colonne. A un autre moment, le basileus qui, lui, semble bien avoir complètement perdu la tête, fut de nouveau serré de si près que ses gardes scandinaves, les fameux Værings tauroscythes, qui l’avaient enfin rejoint, eurent une peine inouïe à le dégager. Ces magnifiques guerriers du Nord avaient du moins retrouvé leur traditionnelle vaillance et ce fut en couvrant Romain de leurs boucliers, en luttant furieusement corps à corps contre ces noirs démons qui les assaillaient avec des cris furieux, qu’ils réussirent à sauver cette fois encore leur empereur.[24] Durant que la grande armée chrétienne fuyait ainsi sur la brûlante route d’Antioche sous le sabre des Musulmans, de très nombreux Sarrasins, au lieu de s’acharner à sa poursuite, avaient envahi le camp déserté et s’étaient mis à le piller. Ils y firent un butin extraordinaire, car les fuyards n’avaient guère emporté que leurs armes et leurs effets les plus précieux. Pas une tente de soie, pas une pièce de la vaisselle impériale n’échappa aux pillards. Les Arabes y firent encore prisonniers quelques retardataires, officiers et soldats, beaucoup de malades et de blessés aussi qui n’avaient pu suivre la retraite. Le splendide pavillon du basileus, véritable merveille d’art, semble-t-il, avec tout son mobilier somptueux, les provisions de joyaux, de colliers, de bracelets, d’étoffes, de perles et de pierres précieuses, destinés à être offerts en présents, tomba aux mains de ces pirates du désert. Toutes ces magnifiques dépouilles prirent incontinent à dos de chameaux le chemin d’Alep. Aboulfaradj qui énumère les charges d’argent monnayé, de vaisselle d’or et d’argent, ajoute qu’on prit tant de mules au camp impérial qu’un beau mulet se vendit deux deniers au marché d’Alep. Si Dieu n’eut arrêté la fougue de l’ennemi, s’écrie
douloureusement Psellos, l’armée romaine eut été anéantie, le basileus en
tête.[25]
Le même auteur raconte encore cet incident dramatique qu’à un moment le
basileus, facilement reconnaissable de loin à ses rouges brodequins, les
fameux campagia,[26]
gravissant une éminence de sable, résolut de s’arrêter et s’efforça de
rassembler quelques fuyards pour faire tête à l’ennemi. Le groupe grossit peu
à peu. Enfin on vit apparaître le porte-croix impérial portant le très saint
palladium de l’armée qui lui servait d’étendard et de signe de ralliement,
l’Icône miraculeuse de Mathieu d’Édesse ajoute au récit de ce désastre des Grecs ce curieux épilogue dont il est impossible de contrôler la véracité devant le silence peut-être voulu des chroniqueurs grecs. « Quatorze jours, dit-il, après la panique de l’armée de Romain, un paysan de Gouris ou Kouris, l’antique Cyrrhos de Cyrrhestique, ville forte syrienne, dans la montagne au nord d’Alep, le Coricium ou Corice de Guillaume de Tyr et des Croisés, aujourd’hui Khoros, au nord nord-ouest d’Azâs —, trouva le basileus qui avait cherché refuge dans les bois tellement engourdi par le froid[28] qu’il paraissait mort. Cet homme quitta son travail pour transporter Romain dans sa maison, mais il ignorait qui il était. Quelques jours après, il le confia à des hommes qui le conduisirent à Marach. Là, les débris de son armée vinrent le rejoindre et l’accompagnèrent jusqu’à Constantinople. Romain fit ensuite appeler le paysan qui l’avait recueilli, le nomma gouverneur du district de Gouris, et, après l’avoir comblé de présents et de remerciements, le fit reconduire chez lui ». Qui devons-nous croire: ou les Byzantins qui disent que le basileus réfugié de suite à Antioche en repartit dès le lendemain pour rentrer à Constantinople, ou l’Arménien qui nous fait le récit étrange que je viens de reproduire? Cela n’a d’ailleurs que peu d’importance; dans une version comme dans l’autre, nous voyons le basileus échapper finalement au désastre avec la plus grande partie de ses soldats et regagner presque aussitôt sa capitale. « Le basileus Romain, disent tous les chroniqueurs byzantins, ne passa qu’une nuit dans Antioche. » Dès le lendemain, tant le sentiment général était, hélas, que tout était à recommencer, il reprit la route de sa capitale lointaine Nous n’avons aucun détail sur ce retour mélancolique ni sur la rentrée de l’empereur à Constantinople, elle ne dut point être triomphale. C’est à l’occasion de ces événements tragiques dont La situation était demeurée fort critique à Antioche et
sur la frontière de Syrie depuis la déroute d’Azâs. Les partis arabes
franchissaient à tout moment la frontière sans être inquiétés et poussaient
leurs reconnaissances jusqu’au pied du Taurus, Un parti de huit cents
cavaliers sarrasins qui s’en retournaient chez eux escortant le butin conquis
après le désastre d’Azâs, fiers d’avoir mis si aisément en déroute le
puissant basileus de Roum, arrivèrent un soir, raconte Skylitzès, sous les
murs d’une petite place forte sise au pied du Taurus, que notre auteur nomme
Télouch, et qui n’est autre que Georges Maniakès, fils de Goudélis,[30] officier d’origine barbare [31] jusqu’alors tout à fait obscur, semble-t-il, commandait en ce lieu en qualité de stratigos du petit thème frontière dont cette forteresse était la capitale. A ce moment, ce chef devait être tout jeune encore. Insolemment, les cavaliers infidèles lui annoncent, ce qui était faux du reste, que l’armée impériale vient d’être complètement détruite, que le basileus a été tué. Ils lui enjoignent de capituler incontinent s’il ne veut dès l’aube prochaine être passé par les armes avec tout son monde. Il fait mine d’obéir à cette impudente mise en demeure. Pour mieux tromper les Sarrasins, il leur envoie des vivres en quantité, surtout de l’eau et du vin, ô Mahomet! et les invite à se restaurer en paix, déclarant qu’il sortira de Télouch dès le lendemain matin et leur remettra la ville avec tout ce que les chrétiens y possèdent de précieux. Les Arabes, complètement trompés, assurés d’un fructueux butin, passent la nuit à festoyer sans même songer à se garder. Quand ils sont tout à fait ivres, au plus épais de l’obscurité, Maniakès et sa petite troupe fondent à l’improviste sur les imprudents qui se sont lourdement endormis. Ils massacrent jusqu’au dernier les cavaliers arabes. On reprit de la sorte deux cent quatre-vingts chameaux
chargés des infinies dépouilles du camp impérial. Puis, Maniakès, ayant fait
couper le nez et les oreilles à chacun des huit cents Sarrasins égorgés,
courut, chargé de ces nauséabonds trophées, après le basileus en route pour
Constantinople, qui était déjà arrivé en Cappadoce, où il se trouvait l’hôte
de la puissante famille des Phocas, la plus grande noblesse provinciale
d’Asie. Pour récompenser le héros d’un si brillant succès, qui dédommageait
un peu l’Empire de tant d’infortune, de ce trait d’audace qui faisait sortir
subitement son auteur de l’obscurité, le basileus, dit Skylitzès, le nomma
catépan de Nous avons quelques détails sur les origines de Maniakès avant cet événement guerrier qui fut le point de départ de sa grande fortune militaire. Les voici tels que les a réuni M. Bréhier. « Sa famille, dit cet érudit, appartenait probablement à ces tribus touraniennes de l’Asie centrale qui abandonnaient leurs steppes pour venir chercher, sinon la fortune, du moins des moyens d’existence dans les deux grands empires de l’Ouest, chez les Romains ou chez les Arabes. » Suivant les hasards des aventuriers de la même tribu devenaient de farouches musulmans ou des défenseurs de l’Eglise chrétienne et de l’hellénisme. « Georges Maniakès
dut arriver sur le territoire romain à la fin du règne de Basile II, peut
être au moment où les hordes des Turcs Seldjoukides faisaient leur première
apparition en Arménie. D’après le portrait qu’en a tracé plus tard son ami
Psellos, il avait la taille d’un géant, dix pieds de haut. Ses interlocuteurs
étaient obligés de lever la tête pour lui parler. « Sa voix était forte comme
le bruit du tonnerre, ses mains assez larges pour ébranler des murailles ».
Ce fut d’abord de cette force physique qu’il dut tirer parti pour vivre. Il
s’engagea comme valet de camp dans un des corps byzantins qui tenaient
garnison en Asie Mineure. Il est probable que sa belle prestance attira
l’attention sur lui et facilita son enrôlement dans l’armée. Il devint, en
effet, trompette, puis héraut chargé de proclamer les ordres des chefs.
Ensuite, pendant longtemps, les historiens perdent sa trace. Il s’éleva,
semble-t-il, très lentement dans la hiérarchie militaire, il reçut l’un après
l’autre les diplômes de tous les grades. Peut-être prit-il part aux grandes
expéditions qui amenèrent la conquête définitive de Le basileus, en quittant si précipitamment A ces désolantes nouvelles, le basileus, violemment
irrité, incapable de supporter pareille honte, destitua cette fois encore les
deux officiers incapables pour les remplacer par le protospathaire
Théoctiste, grand hétériarque, c’est-à-dire commandant en chef des troupes
mercenaires composées principalement de contingents russes. Outre ces troupes
étrangères, l’empereur expédia encore à Théoctiste de nombreux contingents
purement grecs. Il lui confia les pleins pouvoirs de généralissime avec ordre
de joindre avant tout ses forces à celles de l’émir Ibn Zaïrack de Tripoli,
le « Pinzarach » des Byzantins. Ce petit dynaste syrien, qui semble avoir commandé
à des contingents assez importants, s’était révolté depuis peu contre son
suzerain du moins nominal, le Khalife d’Égypte. Comme la nouvelle lui était
parvenue que celui-ci envoyait contre lui une armée commandée par le fameux
Anouchtikin Al-Douzbéri, gouverneur de Le grand hétériarque exécuta incontinent les ordres de l’empereur. Il fit si rapidement sa jonction avec les forces de l’émir de Tripoli que le généralissime égyptien, pris d’épouvante à l’ouïe de l’arrivée si subite de tous ces contingents ennemis, au lieu de les attendre, opéra une retraite précipitée. Mousaraf, livré à lui-même, n’osant pas davantage se mesurer avec les forces combinées du grand hétériarque et de l’émir, se saura lui aussi de Ménik avec tout son monde. Poursuivi par les Grecs, il fut rejoint par eux dans la montagne de Tripoli où il s’était réfugié. Il fut pris et mis à mort. Son neveu, fils de son frère, ferait aux mains du grand hétériarque cette fameuse forteresse de Ménik qui tant avait gêné les Grecs, plus un autre château construit sur la pointe d’un roc formidable, que Skylitzès désigne sous le nom du « château d’Argyros »: Argyrokastron. Le grand hétériarque si facilement vainqueur regagna Antioche avec ses belles troupes russes, ramenant Alak, le fils de l’émir de Tripoli. Le basileus conféra à ce jeune homme la dignité de patrice. Celui-ci ne faisait du reste que précéder son père, l’émir Pinzarach en personne, qui arriva à Constantinople sous l’escorte de l’ex-duc d’Antioche Nicétas de Misthée. Le basileus, fidèle à la traditionnelle politique de Byzance, fit à ce petit mais important souverain musulman, un accueil empressé. Il le combla de ses dons et le renvoya joyeux dans sa lointaine capitale après avoir renouvelé avec lui l’ancien traité par lequel l’émirat de Tripoli s’engageait à payer à son suzerain chrétien un tribut annuel de vassalité. Le chef des excubiteurs, Léon Choirosphaktès qui, on se le rappelle, avait été fait prisonnier en avant d’Azâs par les troupes alépitaines, fut racheté à cette occasion par les soins de l’émir reconnaissant. Psellos s’étend très longuement sur l’état d’âme du basileus Romain à cette époque à la suite de l’avortement si douloureux et si humiliant de la grande expédition de Syrie. Ces pages quelque peu confuses et emphatiques du célèbre chroniqueur se trouvent fort bien résumées par M. Bury dans sa remarquable étude sur l’écrivain byzantin principal de cette époque. « Romain, dit Psellos, avait étendu les bras pour saisir des montagnes mais ses mains n’avaient rencontré que l’ombre. Il était, nous l’avons vu, monté sur le trône, rêvant des plus fantastiques espoirs d’un règne aussi long que brillant, peut-être même la fondation d’une dynastie nouvelle. « Infiniment soucieux de la grandeur de l’Empire, il avait tenu sa cour avec plus de magnificence, et dans les divers domaines des dépenses de la couronne comme des libéralités ou des donations impériales, il avait distribué des largesses plus abondantes que la plupart de ses prédécesseurs. Il avait inauguré son règne par des mesures éminemment populaires, avant tout abolition de l’Allèlengyon. Mais le désastre d’Azâs fut une douche froide sur tant de beaux débuts. En outre les finances de l’Empire en furent terriblement affectées. Aussi, lorsque le basileus fut de retour dans sa capitale après cette campagne lamentable, sa politique intérieure en fut subitement transformée du tout au tout. Très douloureusement éprouvé par sa défaite, très repentant aussi, brusquement retombé à terre des sommets où il avait compté planer, il dit adieu soudain à tant de rêves grandioses. Il renonça à être un second Trajan ou un second Hadrien et eut pour ambition infiniment plus pratique et plus terre-à-terre de devenir un parfait homme de finances byzantin. Pour ses sujets cela signifia, hélas, tout simplement, qu’il devint une sorte de tyran rapace après avoir été un souverain aussi libéral que fantasque. Il se figurait qu’en poursuivant ainsi ce nouvel idéal, il réussirait à recouvrer pour l’État les sommes immenses qu’il lui avait fait perdre dans sa fâcheuse entreprise syrienne. Désireux de faire argent de tout, il se mit à remuer des choses très anciennes « des choses plus vieilles qu’Euclide », comme disait un dicton populaire à Byzance à cette époque. Il exhuma de leur sommeil séculaire de vieilles créances d’État, oubliées autant que périmées, exigeant avec une extrême rigueur des fils, le paiement des dettes de leurs pères morts depuis de longues années. Et dans ces recherches aussi vexatoires que minutieuses, il ne sut même pas se montrer juge impartial, mais bien toujours l’avocat passionné de l’État et de l’unique avantage de celui-ci.[34] Le résultat de toute cette belle politique financière ne fut que désordre et confusion profonde. Pas plus la cour que la masse des sujets de l’Empire ne profitèrent de cette quantité d’argent provenant de la spoliation de tant de gens. Ce fleuve d’or s’écoula dans d’autres poches. Car Romain avait une autre manie encore. Il n’avait pas seulement l’ambition de rivaliser avec Constantin le Grand ou le vieux Basile en tant que fondateur d’une dynastie nouvelle, avec Alexandre ou Trajan en tant que général, avec Marc Aurèle en tant que philosophe couronné; il entendait aussi devenir l’émule de Salomon ou de Justinien surtout comme basileus bâtisseur d’édifices pieux et dévot constructeur d’églises. Au fond, toute cette piété officielle était en façade bien plus qu’en réalité ». Le grand basileus Justinien s’était acquis une gloire
immortelle en construisant le temple de Ce furent des travaux gigantesques. « Toute une montagne
fut éventrée, s’écrie Psellos avec emphase, pour fournir la pierre nécessaire
aux murailles. L’art de creuser se trouva soudain élevé à la hauteur d’une
branche de L’édification de cette belle et célèbre église dura
indéfiniment. Bien loin de s’en tenir au plan primitif, le basileus le
modifia, l’augmenta incessamment. Sans cesse on démolissait, sans cesse on
rebâtissait à nouveau. L’argent mis de côté en quantités immenses pour élever
ce temple si aimé, avait été dès longtemps gaspillé au fur et à mesure de
tant de changements et cependant l’église, que le basileus voulait plus
superbe qu’aucune autre n’approchait pas de son achèvement. Non content de la
faire si brillante et si riche, Romain voulut y adjoindre un monastère
d’hommes qu’il édifia avec un luxe extrême. Ce fut là le monastère fameux où
plus tard lui comme tous ses successeurs eurent coutume d’aller célébrer la
fête insigne de Skylitzès se montre ici fort dur pour Romain Argyros et l’accuse d’avoir violemment irrité la population de Constantinople par ses demandes constantes d’argent, par les corvées incessantes pour la construction de son église de prédilection. « Romain, nous dit encore Psellos qui consacre de longues
pages à célébrer avec son ironie un peu lourde cette manie de la truelle dont
était atteint le basileus, Romain était véritablement fou de son ouvrage. Il
en était à tel point fier et amoureux qu’il ne quittait pour ainsi dire plus
les chantiers. Désireux d’honorer son église de Notre-Dame d’une appellation
encore plus belle, il commit l’erreur de lui donner un nom simplement humain,
bien que ce mot de « Périblepte » signifie en réalité: « ( Périblepte et son monastère, voilà le double orgueil de Romain. De même qu’il avait fait trop grand pour le temple, de même il en fit pour le monastère qu’il construisit immense et où il installa un nombre de moines beaucoup trop considérable. Il entoura ceux-ci d’un luxe indigne d’aussi austères religieux, bien plutôt fait pour des hommes menant une vie raffinée, et, pour subvenir à cette existence somptueuse qu’il leur créait, il leur attribua les revenus de districts entiers parmi les plus riches et les plus fertiles. Ce ne fut pas tout. Le basileus, dans sa passion quelque
peu mélancolique pour les édifices pieux qu’il élevait en réparation de ses
fautes, ne songeait littéralement plus à autre chose. Elever, réparer,
embellir des églises et des monastères devint sa vie tout entière. C’est
ainsi qu’il fit revêtir complètement de feuilles d’or et d’argent, au dire de
Skylitzès, les énormes chapiteaux des colonnes de « Ces ouvrages d’une dévotion mal entendue, dit Lebeau, ruinaient les sujets du basileus par des impositions nouvelles pour fournir aux dépenses et par les corvées dont on les fatiguait incessamment, les employant à voiturer des pierres et d’autres matériaux. Compatissant et généreux aux débuts de son règne, Romain devint ainsi peu à peu un dur exacteur. Quantité de familles se trouvèrent, par la faute de ce basileus pieux en apparence, en réalité presque criminel, acculées de charges, réduites à une extrême misère, tandis qu’il enrichissait les moines et que, leur abandonnant en propriété des villes et des districts entiers, les plus riches, les plus fertiles de l’Empire, il contribuait ainsi à les corrompre par l’opulence qui les faisait déplorablement sortir de leur austérité régulière. Romain, pour qui ces constructions d’églises étaient des oeuvres pies, ne les avait officiellement entreprises que pour des motifs de haute dévotion, mais naturellement Psellos nous redit à satiété qu’au fond tout cela n’avait aucune base sérieuse dans la pensée du basileus, que c’était uniquement « de la frime » pour se servir d’une locution populaire. Les considérations de grand philosophe du XIe siècle byzantin sur l’impropriété de dépenser trop d’argent en luxueuses constructions d’églises et de monastères, et sur la véritable manière selon lui de servir Dieu en toute simplicité et toute humilité, sont intéressantes. Elles ne manquent même pas d’un certain piquant, et nous montrent en tout cas combien les exactions du basileus, pour en arriver à satisfaire ses coûteuses manies, avaient violemment irrité contre lui l’opinion publique. « Le basileus Romain, dit notre écrivain, s’intéressait passionnément aux syllogismes, aux problèmes divins les plus cachés, aux énigmes des devins et de n’importe qui. Il aimait infiniment à en discourir avec les rhéteurs et les pseudo philosophes de cour et se donnait mille peines pour étudier en leur compagnie les questions les plus obscures, les plus abstraites. En réalité, il ne possédait aucune philosophie pratique. Certes, il est beau d’aimer avec le psalmiste « la magnificence de la maison du Seigneur, et l’habitation de sa gloire et de préférer être malheureux en Lui qu’heureux ailleurs ». Cela est bien et qui est-ce qui contredirait à ceux qui sont consumés du zèle du Seigneur? Mais il n’en est vraiment ainsi que lorsque rien ne vient à l’encontre de ce mobile sacré, et qu’il n’en découle ni injustice, ni dommage pour le bien public, car le Seigneur ne veut pour ses églises, ni de l’argent de la fille perdue, ni de l’aumône de l’homme inique et dur. Il ne veut pas que ses temples soient somptueux quand la misère est partout. Que font à la vraie piété les parois superbes des temples, les colonnes admirables, les étoffes somptueuses et les offrandes magnifiques? Car toutes ces splendeurs ne sont rien en comparaison d’une âme vibrante de foi chrétienne, revêtue de la pourpre spirituelle, équitable dans ses actes, à la fois modeste et simple, et ce temple spirituel élevé en nous-mêmes plaît autrement au Seigneur que les édifices de pierre taillée. Hélas, le basileus Romain excellait à disserter philosophie et à aligner des syllogismes, mais dans ses actes, il ne témoignait d’aucune des vertus du philosophe. Au lieu de s’attacher à défendre partout le bien public, à restaurer et à maintenir la défense incessante des frontières, à garnir constamment le trésor pour que l’armée fut toujours en état, il ne songeait qu’à achever la construction de son temple qu’il voulait prodigieux. » Il y a certainement dans tout ceci beaucoup d’exagération. Quoi qu’il en soit, la merveilleuse église et le non moins
beau monastère de Sainte-Marie de Périblepte finirent par être achevés et
demeurèrent parmi les plus splendides joyaux d’architecture byzantine de Ce basileus, plutôt bon et clément, ne fut cependant pas plus que ses prédécesseurs à l’abri des conspirations si fréquentes en pays byzantin à cette époque, et que seule la terrible énergie de Basile II avait réussi à réprimer depuis si longtemps. Même dans les deux premières années du règne d’Argyros, alors que ce prince n’avait encore témoigné que de ses meilleures intentions, il y en eut deux. Nous n’en savons, du reste, que fort peu de chose. Les sources contemporaines n’y font que de très brèves allusions.[37] Voici tout ce qu’elles nous disent de la première de ces conjurations qui eut lieu en l’an 1031: le magistros Prusianos,[38] dit « le Bulgare », le fils aîné du dernier souverain de Bulgarie, Jean Vladistlav, qui, après la mort violente de son père, s’était rendu au basileus Basile II avec ses deux frères, en l’an 1018, au camp de Deabolis et qui avait été bien traité par lui, amené à sa cour de Constantinople et créé par lui patrice, magistros et stratigos du grand thème des Bucellaires, après avoir été une fois déjà prisonnier dans l’îlot de Plati, sous le règne précédent, fut accusé cette fois de prétendre au trône et de conspirer à cet effet avec l’Augusta Théodora, propre soeur de la basilissa Zoé, qui fut considérée comme sa complice. On relègue le malheureux au monastère de Manuel, ainsi désigné du nom de son fondateur, général illustre, vainqueur des Sarrasins au temps des basileis Théophile et Michel,[39] puis on instruisit son procès. Il en ressortit, paraît-il, les preuves les plus graves de sa culpabilité. Il fut condamné à avoir les yeux crevés et à être enfermé dans un monastère. Par contre Théodora parut complètement blanchie de toute accusation.[40] La mère de l’infortuné Prusianos, l’ex-reine de Bulgarie, la « zôsta » Marie ex-dame d’honneur de la vieille basilissa Hélène, fut honteusement chassée de la capitale. Transférée d’abord en Asie dans le couvent de Mantineion du thème des Bucellaires, elle fut plus tard déportée dans le thème des Thracésiens. Il semble bien probable que cette conspiration que les chroniqueurs en termes si brefs, volontairement obscurs, devait se rattacher à quelque mouvement de révolte en Bulgarie, dernière convulsion du terrible écrasement de cette malheureuse nationalité sous le règne du grand Basile, ou premier tressaillement des temps nouveaux. A peine cette affaire était-elle étouffée que, dans le
cours de cette même année, on découvrit ou affecta d’en découvrir une bien
autrement dangereuse encore. Constantin Diogène, l’ancien héros de la grande
guerre de Bulgarie, l’ancien vainqueur de Sirmium nommé par Basile gouverneur
de cette ville et provéditeur de toute Les chroniqueurs n’en disent pas davantage et nous en
sommes réduits à deviner. Il faut que d’abord la chose n’ait point paru grave
ou qu’on n’ait pas osé aller de suite aux extrémités, puisqu’on se contenta
d’envoyer Constantin en quasi disgrâce en Asie comme stratigos du très grand
thème des Thracésiens. Puis, son procès ayant été instruit en secret, sa
complète culpabilité fut presque aussitôt reconnue. On le ramena enchaîné à
Constantinople où il fut enfermé « dans une tour », vraisemblablement la
fameuse prison des Anémas, sur Durant que le basileus était presque exclusivement
préoccupé de se faire construire sa chère et magnifique église de « Romain, poursuit le chroniqueur, avait de sa propre autorité fermé l’accès du trésor impérial à la basilissa et celle-ci avait dû se contenter d’une pension annuelle qu’il lui était formellement interdit de dépasser. L’altière vieille femme, exaspérée par ce procédé qui entravait prodigieusement son goût excessif de dépense, ne pouvait contenir sa colère contre son époux, contre ceux aussi qui avaient été ses conseillers dans cette affaire. Au premier rang de ceux-ci figurait une haute et puissante dame, la propre sœur du basileus, Pulchérie, femme éminemment intelligente et fière, entièrement dévouée aux intérêts de son frère sur lequel elle exerçait une grande influence et auquel elle rendait les plus signalés services. Elle était naturellement fort hostile à la basilissa Zoé. Pulchérie et les autres conseillers ordinaires du basileus n’ignoraient pas la haine que leur portait la basilissa. Aussi prenaient-ils d’avance leurs mesures pour se protéger contre elle au cas où Romain, dont le mauvais état de santé faisait prévoir la fin prochaine, viendrai, à quitter la vie. Tout n’était au Palais qu’intrigues et sourdes menées auxquelles le basileus, comme s’il se fut cru éternellement garanti contre le sort et éternellement certain des plus glorieux lendemains, semblait, je l’ai dit, se refuser systématiquement à accorder la moindre attention. Bientôt les choses en vinrent au point que l’opinion publique s’émut. Des bruits de conspiration contre la vie même du basileus recommencèrent à circuler, mais cette fois on ne murmurait que tout bas, avec terreur, le nom de Celle qui, placée tout au sommet, devait armer le bras des conjurés. On se racontait à l’oreille que la basilissa, irritée à l’excès contre le basileus qui, s’obstinant à déserter sa couche, lui témoignait la plus vive aversion, s’efforçant de fuir même sa société, ne pouvait pardonner à son époux ce mépris pour sa royale personne, ni se consoler de sa solitude et des plaisirs dont elle se trouvait si tôt privée après les avoir si longtemps désirés en vain. En conséquence, affirmait-on elle ne songeait qu’à le faire assassiner. Joignez à cela d’incessantes inquiétudes du côté de
Théodora et de ses partisans, car les moindres mouvements de cette soeur
confinée au fond de son cloître, semblent avoir constamment et violemment
inquiété la jalouse Zoé. Il est clair que tous les mécontents de toutes
sortes, de tous temps si nombreux dans la capitale, se servaient de cette
vieille princesse comme d’un épouvantail pour effrayer, par les prétentions
de sa très proche légitimité, son aînée jusqu’ici plus favorisée par le sort.
Il ne suffisait pas que la pauvre femme fût étroitement renfermée au Pétrion.
On redoutait à tout instant dans l’entourage de la basilissa qu’elle ne
réussit à s’évader. Skylitzès et aussi Zonaras racontent, en termes
malheureusement trop brefs, qu’en l’an 1031 après la fête de l’Exaltation de C’est ainsi que la remuante Zoé profitait à tout propos de la faiblesse distraite et des préoccupations si absorbantes de son impérial époux pour tenter de reprendre quelque liberté et de ressaisir le maniement de ses propres affaires. Cela avait été à son instigation déjà que le basileus, sur le point de partir, dans le cours de l’an 1030, pour sa malheureuse expédition de Syrie et alors qu’il rassemblait déjà son armée, avait marié deux de ses nièces, filles de son frère Basile Argyros, l’une, Hélène, avec Pakarat IV,[41] le fils et successeur du fameux Georges ou Kéôrki Ier roi Pagratide d’Ibérie ou Géorgie et d’Abasgie, qui venait de mourir et qui jadis avait tenu tête si insolemment à toutes les forces du basileus Basile, l’autre,[42] à Jean Sempad, roi des rois, ou exousiocrator de Grande Arménie.[43] Les deux fiancées royales avaient été envoyées avec de riches douaires dans leurs royaumes respectifs. Marie, veuve du roi Kéôrki, était pour lors régente en Ibérie pour son fils encore mineur. C’était elle, nous l’avons vu, qui avait renouvelé avec l’Empire l’alliance et les traités de jadis et juré au nom de son fils obéissance au basileus. Une ambassade chargée de riches présents avait été par elle expédiée à Constantinople à cet effet, à laquelle le basileus avait de suite fait le meilleur accueil. Le jeune roi Pakarat, devenu ainsi par alliance le neveu de Romain, fut à cette occasion élevé à la haute dignité héréditaire de curopalate. Je reviendrai sur ces événements matrimoniaux alors que je parlerai en détail des affaires de Géorgie et d’Arménie sous ce règne. Dans le courant de ce même mois de l’an 1031, les habitants de Constantinople eurent le spectacle d’une de ces entrées solennelles d’envoyés sarrasins dont ils étaient toujours si friands. Le propre fils de l’émir d’Alep, Chibl Eddaulèh, vint avec une suite nombreuse demander de la part de son père la cessation des hostilités et le renouvellement de l’ancien traité de vasselage inauguré après les victoires de Nicéphore Phocas. Il offrait de payer désormais au basileus le même tribut qu’avant la rupture. Comme toujours dans ces circonstances, il apportait au basileus et à la basilissa les plus beaux et les plus précieux dons, chefs-d’œuvre de toutes les industries d’art alors florissantes dans les bazars d’Alep et de Damas. Le basileus fit au jeune prince arabe l’accueil empressé
que Les hostilités sur la frontière syrienne n’en furent pas complètement arrêtées pour cela. Nous lisons dans Skylitzès que, vers ce même temps, probablement encore avant le terme de cette année 1031,[45] le protospathaire Georges Maniakès, le même qui s’était signalé l’an auparavant par le haut fait de Télouch, devenu depuis, on le sait, stratigos des cités frontières de la région de l’Euphrate, ayant sa résidence dans la principale de celles-ci, Samosate, grande place forte sur l’Euphrate, d’où il pouvait à son gré surveiller les dynastes arméniens, vassaux de l’empire, et faire front contre les gouverneurs des villes arabes limitrophes, résolut d’attaquer la plus voisine, la plus riche, la plus commerçante et la plus grande de ces villes, Édesse, l’antique capitale de l’Osroène, très puissamment fortifiée dès le temps de Justin Ier sise à quelque distance de la rive gauche de ce fleuve, dans une campagne admirablement fertile si magnifiquement arrosée, formée à l’est par le Djebel Tektek,[46] sur la grande et antique route des caravanes qui, d’Iconium par Adana, Samosate et Harrân, s’en allait à Rakkah. Voici les circonstances dans lesquelles eut lieu cet étonnant fait de guerre. Elles nous sont longuement racontées en particulier par Mathieu d’Édesse au chapitre XLIII de sa Chronique. Lui-même a peut-être puisé dans celle d’Arisdaguès de Lasdiverd. « Au commencement de l’an de l’ère arménienne 480,[47] donc au printemps de l’an 1031, périt sans laisser de postérité mâle l’émir Ibn Chibl d’Edesse qui était de la tribu des Ké1abites, dans les circonstances que voici il y avait à ce moment, dans cette grande cité, deux émirs, Chebl ou Chibl, vassal d’Abou Nasser Ahmed Nasser Eddaulèh ibn Merwân ou Marwin, le puissant émir de Mayyafarikîn ou Diàr-Bekir, et puis un autre nommé Othéïr ou Outaïr, qui était, lui, le chef de la non moins importante tribu bédouine des Beni-Nomair ou Numérites. Celui-ci, en vrai cheik bédouin, visitait rarement sa ville où il se faisait suppléer par un certain Ahmed, fils de Mohammed. Il fit périr celui-ci et s’attira de ce fait l’inimitié des habitants d’Edesse. Des trois forteresses qui s’élevaient dans la vaste enceinte de cette ville, deux, ainsi que les deux tiers de la cité obéissaient à Chibl. La troisième et l’autre tiers de la ville reconnaissaient l’autorité d’Outaïr. Ces deux chefs cherchaient réciproquement à se faire périr. Un jour Chibl, sous prétexte d’un festin, conduisit son rival hors de la ville, au monastère d’Ardjedj, « en un point où s’élève une colonne de pierre en face de la forteresse ». Là il voulut le faire traîtreusement assassiner par les siens mais ce fut lui qui périt. Les soldats d’Outaïr étant survenus tout à coup en nombre le massacrèrent. Alors Outaïr, à la tête de tous ses contingents chercha de toutes ses forces à s’emparer de la forteresse de Chibl. Le turc Salama ou Salman, le Salamanès de Skylitzès, le Soleïman Ibn Al Kourdji ou Ibn Al Koufi de Yahia, qui en avait le commandement et pour lequel, dit Arisdaguès de Lasdiverd, la femme de Chibl s’était éprise d’une passion si violente qu’elle l’avait établi en possession de la ville à la place de son mari, s’était retranché dans les étages supérieurs de ce château. Outaïr l’attaqua si vivement qu’il fut bientôt réduit à toute extrémité. Il dépêcha alors des messages à Abou Nasser Ahmed Nasser Eddaulèh ibn Merwân, l’émir voisin de Mayyafarikin et Diàr-Bekir,[48] pour lui faire hommage de la forteresse d’Édesse. Nasser Eddaulèh se hâta d’envoyer à son secours un corps de mille cavaliers, commandé par un chef que Mathieu d’Édesse désigne sous le nom de Bal-el-raïs [49] et le fit venir auprès de lui ainsi que sa femme en lui donnant de riches présents. Outaïr, furieux d’être ainsi arrêté dans ses succès, chercha, sous prétexte de négociations de paix, à faire assassiner Bal-el-raïs. Cette fois encore la victime désignée l’emporta sur l’assassin. Bal-el-raïs, ayant eu vent des projets d’Outaïr, le fit tuer dans un banquet en dehors des murs d’Édesse, puis il se rendit maître de toute la ville.[50] La femme d’Outaïr, après une résistance héroïque, arborant un drapeau noir, ne songeant qu’à venger son époux, s’en alla de droite et de gauche, quêtant partout le secours de la nation arabe, cherchant à la soulever tout entière contre les Kurdes qui venaient, par cet assassinat, de s’emparer d’une ville essentiellement sarrasine. Par ses paroles enflammées, cette virago guerrière réussit à ameuter une multitude de partisans qu’elle voulut guider en personne contre Bal-el-raïs. Nasser Eddaulèh, accouru au secours de son lieutenant, devancé par elle, fut cruellement battu et mis en fuite. Alors Bal-el-raïs, réduit à la situation la plus critique, vivement pressé par cette femme extraordinaire, fut rappelé par Nasser qui le remplaça par Salman. Celui-ci, épuisé à son tour par les attaques incessantes de ces hordes infinies, prit une résolution désespérée. Il expédia à Samosate, au stratigos byzantin Georges Maniakès, une lettre par laquelle il offrait au basileus Romain, en échange de l’octroi d’une dignité palatine et d’un gouvernement provincial, de remettre Édesse entre les mains de son lieutenant. A ces ouvertures très inattendues, la joie de Maniakès qui brûlait de se distinguer, fut extrême. Par serment solennel, il s’engagea vis-à-vis de Salman à obtenir pour lui du basileus tout ce qu’il réclamait, à lui faire restituer sa principauté héréditaire et ses dignités, à en assurer enfin la transmission à ses enfants. « Édesse, aussi nommé Roha ou Orfa, dit M. Bréhier, était
située à vingt lieues à peine de Samosate.[51]
Adossée à l’ouest à un massif montagneux dont les contreforts étaient une
défense naturelle, elle commandait à la fois les routes de l’Arménie et de Par une sombre nuit d’orage, Sahnan, infidèle à l’Islam,
alla, les clefs en main, livrer secrètement au chef byzantin, accouru en
cachette avec quatre cents hommes d’élite, trois des plus fortes tours de
l’enceinte d’Édesse, qui en comptait alors plus de cent quarante. Se
prosternant devant lui, il lui fit hommage. Cette même nuit, le traître se
retira à Samosate sur territoire de l’Empire avec sa femme et ses enfants.
Quant à Maniakès, après s’être solidement installé avec les siens dans ces
trois tours et les avoir transformées en hâte en une imprenable citadelle, il
commença sur-le-champ, en attendant l’arrivée des renforts qu’il avait
préparés, à attaquer de là le reste de la cité d’Édesse avec la dernière
vigueur. Certainement le hardi chef byzantin avait installé sur les terrasses
et les chemins de ronde de ces trois tours ses nombreuses machines de guerre,
au moyen desquelles il couvrit la malheureuse cité sarrasine de ses
projectiles lancés presque à bout portant. L’audace d’une telle attaque avec
quelques centaines d’hommes contre une des plus grandes cités de La population sarrasine épouvantée avait commencé par sortir précipitamment de la ville. Les Syriens de leur côté — par ces mots Mathieu d’Édesse entend les habitants chrétiens —, s’étaient retirés et fortifiés dans la grande église cathédrale de Sainte Sophie[52] avec leurs familles et leurs richesses. Bientôt les choses changèrent de face. A la première nouvelle de cette attaque extraordinaire, le puissant émir Nasser Eddaulèh de Mayyafarikin, suzerain d’Édesse, rassemblant tous ses contingents, était accouru une fois de plus au secours de la malheureuse cité. Bientôt il apparut avec une grosse armée sous ses murs, et grâce à la connivence de la population sarrasine, qui avait repris courage, certain presque aussitôt pénétrer dans la ville avec ses forces. Il mit incontinent le siège à la fois devant l’église de Sainte Sophie occupée par les Byzantins et devant le groupe des trois tours défendues par les guerriers de Maniakès. Le siège de Sainte Sophie fut d’une terrible violence. Les catapultes des assaillants eurent bientôt raison du vieil édifice. Alors les soldats sarrasins jetèrent du feu à l’intérieur, ce qui fit périr une multitude de ceux qui s’y étaient réfugiés. Toutes les richesses de ces infortunés, toutes leurs provisions aussi devinrent la proie des flammes. Les déplorables survivants s’ouvrant un chemin les armes à la main, se réfugièrent auprès de Maniakès. Celui-ci, d’assiégeant devenu assiégé, opposait à l’ennemi une résistance extraordinaire. Suivant l’expression de Mathieu d’Edesse, il semblait que la nation entière des musulmans vint fondre sur le jeune héros chrétien, perdu avec ses quatre cents compagnons dans son étrange forteresse. Les émirs les plus considérables accouraient vers Edesse, « d’Egypte comme de Mésopotamie », tel Chibl, le puissant émir de Harran. Celui-ci fut la victime d’un envoyé de Maniakès, nommé Rouzar, qui sous prétexte de lui communiquer un message de son maître, lui asséna traîtreusement un coup de masse d’armes sur l’épaule, puis « avec la rapidité de l’aigle qui vole », franchit le fossé de la ville et réussit à se sauver malgré que son cheval eut été tué dans la lutte. Tel encore l’émir d’Alep Chibl Eddaulèh, une fois encore traître à son suzerain, l’émir Mahmoud de Damas, l’émir Mohammed de Homs qui est Émèse, le chef égyptien Azis, l’émir Ali de Membedj, Abdoullah de Bagdad, le puissant émir Koréïsch accouru de la lointaine Mossoul, un autre Nasser Eddaulèh venu de Pagh’èsch, cité du Douroupéran,[53] Hossein de Her, Goudan de Salamasd, ville très ancienne de la province de Gordjaïk, Ahi d’Arzen, l’Arzanène antique, Ahvarid de Zepon,[54] Ahlou de Bassora,[55] Vrîan de Guerguécéra ou mieux Djerdjeraïa, petite ville de l’Irak Araby, sur le Tigre, entre Bagdad et Wâsit, Schahvarid de Séboun, sans compter quarante autres émirs. Nous devons à Mathieu d’Édesse cette curieuse et probablement incomplète énumération qui nous est une preuve pour le moins de l’importance du mouvement qui se dessina si soudainement en pays musulman pour porter secours à Édesse.[56] Tous ces pittoresques chefs du désert accouraient à la tête de leurs hordes guerrières. C’était comme une immense levée de boucliers de l’Islam qui se précipitait de toutes parts sur ce point perdu, où derrière les murailles disjointes de trois vieilles tours, luttaient pour leur basileus quatre cents héros chrétiens. Attaqué sur ses derrières, attaqué par dedans, Maniakès, sur son haut rempart, se battait en désespéré. Tout le long de ce brûlant été, tous ces grands chefs sarrasins et leurs contingents poudreux rivalisèrent d’efforts pour s’emparer du jeune stratigos et de ses soldats dévoués. Mais que pouvaient ces mobiles escadrons du désert contre ces colossales tours de pierre? Nous n’avons, hélas, guère de détails sur cette lutte extraordinaire qui dut avoir un caractère épique. A peu près tout ce que nous en savons nous est raconté par le seul Mathieu d’Édesse. Skylitzès ajoute uniquement ceci qui donne une idée de l’intensité du drame: lorsque l’émir de Mayyafarikin et ses sauvages auxiliaires virent que, décidément, ils ne parviendraient pas à forcer l’audacieux envahisseur, trop fortement retranché et suffisamment approvisionné, ils voulurent, avant de se retirer, se livrer à une furieuse destruction de la ville d’Édesse pour en abandonner le moins possible aux vainqueurs. Ils y mirent le feu. Leur rage de destruction ne respecta ni les plus belles demeures des particuliers, ni même la grande mosquée.[57] Puis tous ces milliers de cavaliers, chargeant à dos de leurs milliers de chameaux tous les objets précieux que contenait cette cité, s’en retournèrent chez eux, laissant brûler l’immense ville.[58] Quelque temps encore Maniakès dut continuer à se défendre contre les gens d’Édesse qui le harcelaient jour et nuit. Puis il finit par manquer de vivres et ne réussit plus à en introduire dans son repaire. Quittant ce premier château, il s’en alla avec ses hommes à travers la cité en flammes, à demi détruite, occuper l’autre citadelle, la véritable celle-là, l’antique et imprenable acropole, de Justinien, sise au nord-ouest de la ville, sur un haut rocher calcaire élevé de quatre-vingt dix mètres au-dessus de l’étang dit de la source d’Abraham et qui existe encore en partie aujourd’hui.[59] Mathieu d’Édesse donne encore de curieux détails presque fantastiques, détails certainement très exagérés, sur une tentative de ravitaillement imaginée par le basileus pour venir au secours de son héroïque lieutenant. Romain Argyros aurait eu, suivant cet auteur, l’idée étrange, pour remédier à la situation si fâcheuse de Maniakès, de faire transporter du pain à Édesse à dos d’hommes et de faire escorter ce convoi par soixante mille soldats! Mais ceux-ci avaient été taillés en pièces par un certain Schebib[60] à Barsous et poursuivis jusqu’à Tisnatzos, localité que je ne suis pas parvenu à identifier. Tout ce récit est certainement très amplifié. Il est certain cependant que des troupes de secours finirent par accourir de Samosate et que Maniakès et les siens, délivrés de tant d’angoisses, se virent enfin libres d’occuper la totalité de la grande cité, ainsi miraculeusement retombée aux mains des chrétiens. C’était une conquête très précieuse pour les armes
impériales, car la prise d’Edesse replaçait sous le pouvoir des Byzantins
toute la rive gauche de l’Euphrate, et Édesse par elle-même était une des
plus importantes et populeuses cités de cette région, centre d’un immense
trafic de caravanes. Maniakès y transporta le siège de son commandement de
Samosate et le basileus tira dorénavant, chaque année, de cette nouvelle
conquête, la somme considérable de cinquante livres d’or. Dans cette grande
place de guerre projetée connue un éperon en plein monde musulman, le héros
Maniakès devint plus que jamais la terreur des Sarrasins. Par ordre du basileus,
Édesse eut une garnison de dix mille cavaliers, les brèches des murs furent
réparées et les avances de l’émir de Mayyafarikin, qui voulait racheter cette
magnifique conquête, dédaigneusement repoussées. Aboulfaradj ajoute qu’à ce moment
les troupes chrétiennes, ayant ravagé les territoires d’Acsas, de Harrân,
l’ancienne Carrhæ, et de Saroudj, c’est-à-dire tout le pays au sud d’Édesse,
forcèrent Bar Waththèb, scheik des Arabes Numérites, à leur payer tribut et
Hassan, gouverneur de Il se maria et acquit de grandes propriétés en Asie Mineure. L’ancien valet d’armée, le misérable émigré d’autre fois était entré, grâce à son courage, dans cette noblesse qui cherchait au onzième siècle à acquérir la puissance territoriale et formait en Asie Mineure une véritable féodalité. Les parvenus n’étaient pas toujours bien accueillis dans ce cercle aristocratique et Maniakès dut essuyer les dédains de ces descendants des vieilles familles. Ses domaines étaient précisément bornés par ceux de Romain Skléros dont les ancêtres occupaient depuis deux siècles les plus hautes charges de l’Empire et dont l’aïeul avait autrefois disputé la couronne au grand Basile. Des dissentiments éclatèrent entre les deux voisins. A cette distance de Constantinople, les grands propriétaires étaient de vrais souverains. Aucune loi n’existait plus pour eux. Aussi, à la suite d’altercations violentes, Maniakès résolut de se débarrasser de son rival, et Skléros aurait couru un danger sérieux s’il n’avait pris le parti de s’enfuir à la hâte. Cette querelle, nous le verrons, eut plus tard pour son adversaire les plus graves conséquences. » Ce fut seulement sous le règne de Michel le Paphlagonien que Maniakès, bien malheureusement pour les affaires des Chrétiens, fut transféré de son commandement d’Édesse dans celui de la lointaine province du Vaspouraçan, de formation toute récente, cruellement exposée aux incessantes incursions de la terrible nation des Turcs. Il fut, à ce moment, remplacé à Edesse par Léon Lépendrinos.[61] Mathieu d’Édesse dit que la joie du basileus Romain fut grande à la nouvelle de la prise d’Édesse et qu’elle fut partagée par tous les fidèles du Christ, « car, dit cet auteur, les Arabes n’avaient jusque-là cessé d’inquiéter les Grecs sur la route de Samosate à cette ville et en avaient massacré un nombre incalculable dont les ossements restaient gisants par monceaux. » Sur cette route si longue, on ne rencontrait que la seule forteresse de Ledar. Depuis lors, chaque année, des troupes de relève furent envoyées à Édesse. Le traître Salman et sa famille, mandés à la cour du basileus, se firent chrétiens. On leur conféra de hautes dignités avec le commandement de plusieurs districts. Arisdaguès de Lasdiverd dit que le transfuge fut créé par Romain patrice et « anthypatos » et que sa femme fut comblée d’honneurs et de distinctions. Parmi le grand butin pris dans Édesse par les soldats de
Maniakès, il faut faire une place à part à une relique insigne dont l’a
conquête demeure infiniment illustre dans les fastes des guerres orientales
en comblant de joie les innombrables dévots de l’Empire. « Maniakès, raconte
Skylitzès, trouva à Édesse L’arrivée de Nos renseignements sur ces faits si curieux sont, on le voit, bien clairsemés. Bien qu’il semble qu’à ce moment Maniakès fut entré définitivement en possession d’Édesse, le seul Skylitzès [64] parle pour cette même époque d’une nouvelle expédition de Romain contre les Arabes de Syrie. Quelles furent les raisons qui purent décider le basileus déjà vieilli, fatigué, même malade à entreprendre une fois de plus, à la tête de l’armée, cette marche, si longue, si pénible, si dangereuse de Constantinople au-delà du Taurus? Hélas nous n’en savons rien absolument. Probablement l’effort du monde musulman pour prêter assistance à Edesse, effort que nous ne pouvons que deviner par la longue énumération, dans Mathieu d’Edesse, des chefs de l’armée de secours, avait été beaucoup plus considérable et plus redoutable qu’on ne pourrait le supposer. Dans notre complète ignorance, force nous est de ne donner sur cette seconde expédition impériale, si obscure que le texte même si bref de Skylitzès, en nous gardant de vouloir l’interpréter tant que nous ne serons pas en possession de documents nouveaux, ce qui n’arrivera hélas probablement jamais! Voici exactement ce que rapporte le chroniqueur byzantin: « A une époque qui, par la place même que ce récit
occupe dans Il semble que le basileus, probablement retenu à Mesanakta
par tous ces inquiétants messages, désireux de ne pas s’enfoncer plus avant
du côté de D’après le récit de Skylitzès, il parait bien qu’il s’y trouvait encore à la date du 28 juillet, journée qui fut, au dire de ce chroniqueur, marquée par l’événement que voici: « Ce jour-là, dit-il, un vendredi à deux heures de la nuit, une étoile — probablement un bolide traversa le firmament dans la direction du sud au nord, illuminant de sa lumière toute la contrée. » L’écrivain superstitieux ajoute que, peu après ce
phénomène redoutable, on annonça simultanément divers échecs des armées
impériales, échecs que très certainement, suivant lui, cette lueur
miraculeuse prédisait. Non seulement les Arabes que le basileus allait
précisément combattre avaient, paraît-il, une fois de plus semé la
dévastation dans tous les districts frontières, toute la vallée du Haut
Euphrate jusqu’à Malatya, l’antique Mélitène, bien au nord de Samosate,[67]
mais encore la nouvelle autrement inquiétante était également parvenue à
Mesanakta que la barbare nation des Petchenègues, demeurée depuis quelque
temps tranquille sur l’autre rive du Danube sans faire autrement parler
d’elle, venait de franchir une fois de plus ce fleuve en grandes masses et
ravageait maintenant les campagnes de Ce n’était pas tout encore. En même temps les hauts fonctionnaires impériaux du thème d’Illyrie mandaient au basileus une autre calamité pour le moins aussi grave! Une flotte immense de corsaires sarrasins venus des rivages d’Afrique, très probablement aussi de Sicile, plus de mille bâtiments, montés par d’innombrables guerriers maghrébins, avait paru subitement dans la mer Adriatique. Une foule d’îles, beaucoup de lieux habités sur le littoral avaient été cruellement pillés et saccagés, réduits en déserts par ces hordes infernales. Maintenant celles-ci venaient de débarquer dans la riche, paisible et grande île de Corfou et ces bandes abominables mettaient à feu et à sang les campagnes sans défense de cette terre si belle. Nous ignorons presque tout de l’issue de ces agressions de ces diverses nations barbares contre la sécurité de l’immense Empire, tant sont, hélas, misérables nos sources d’information. Skylitzès dit seulement que les Sarrasins de Mésopotamie et les Petchenègues du Danube qui avaient les uns comme les autres insolemment violé les frontières de l’Empire purent se retirer sans dommage après avoir saccagé tout à leur aise les terres chrétiennes, mais qu’il n’en fut point ainsi des corsaires d’Afrique apparus dans l’Adriatique avec cette flotte immense. Attaqués simultanément par les forces de la naissante
république de Raguse, pour la première fois ici figurant dans l’histoire,
unies aux troupes impériales accourues sous le commandement du patrice
Nicéphore Karanténos « stratigos de Nauplie »,[68]
c’est-à-dire gouverneur du thème du Péloponnèse, beau-frère du basileus, les
Sarrasins furent, malgré la grande disproportion des forces, taillés en
pièces. Dans une ou plusieurs batailles navales dont nous ignorons tout,
hélas, la plupart de leurs navires furent détruits et le patrice certain
envoyer au basileus un présent de cinq cents esclaves arabes enchaînés. La
malchance qui poursuivait ces pirates de la mer ne s’arrêta point là. Sur la
route du retour, presque tous ceux de leurs bâtiments qui subsistaient encore
furent brisés par une tempête dans les parages de A tous les maux de la guerre répandus sur tant de points
de ces mouvantes frontières se joignaient à ce moment ceux d’une terrible
famine qui désola, paraît-il, l’ensemble des thèmes d’Asie durant que le
basileus y séjournait. Les deux chroniqueurs, Skylitzès et Zonaras, citent
comme ayant été plus particulièrement éprouvés par cette calamité les thèmes
riverains de Mathieu d’Édesse insiste, aussi sur l’horrible famine qui régna en Arménie à cette époque.[69]. Les gens mouraient comme des mouches. On vendait femme et enfants pour se procurer une misérable nourriture. Les souffrances étaient telles que les malheureux expiraient sur les routes et dans les champs. La peste naturellement se mit de la partie. Pour comble d’horreur, des nuées de sauterelles dévorèrent toutes les semences et les fruits de la terre.[70]. Le dimanche 13 août enfin, à une heure de la nuit, un terrible tremblement de terre épouvanta les populations de l’Empire déjà énervées par tant de maux.[71]. Tant de causes de troubles, tant de périls sur les frontières, tant de malheurs accumulés, ne permettaient pas au basileus de poursuivre ses projets de revanche en Syrie. Il se décida à regagner en hâte Constantinople, où son absence se faisait si durement sentir. Nous ignorons si les troupes qui l’accompagnaient poursuivirent leur course vers Antioche. Skylitzès raconte seulement en passant que tout le long de la route du retour à travers les thèmes d’Asie, le basileus fit la rencontre émouvante de groupes d’habitants errants et faméliques. Chassés par la famine accrue par les terribles dégâts des sauterelles, mourant littéralement de faim, vendant leurs enfants pour vivre, ils marchaient à l’aventure, cherchant une nouvelle patrie où ils trouveraient de quoi se nourrir, voulant dans leur ignorance naïve franchir le Bosphore pour aller habiter en Europe la grande plaine de Thrace où ils espéraient trouver plus de bien-être. Ce spectacle douloureux, fit une impression profonde sur l’âme de cet empereur charitable. Il fit faire à ces foules lamentables d’abondantes distributions de vivres et d’argent, jusqu’à trois sous d’or par tête, somme bien considérable, semble-t-il, pour être vraie. Ainsi, il décida ou plutôt contraignit tous ces malheureux à regagner leurs misérables demeures. Ces bandes infortunées trouvèrent, parait-il, encore plus de secours dans l’inépuisable charité de l’évêque Michel d’Ancyre. Ce saint prélat se couvrit d’une gloire méritée en n’épargnant ni souris, ni dépenses pour sauver tant de pauvres gens du double fléau de la peste et de la famine. Le basileus rentra dans le courant de l’hiver de l’an 1033 dans la capitale. Il la trouva encore fort émue du grand tremblement de terre qui avait causé tant de ruines au mois d’août. Sa première épouse Hélène, étant sur ces entrefaites morte au monastère où elle s’était enfermée pour y cacher sa douleur, il fit distribuer à cette occasion de très abondantes aumônes, dans le désir pieux d’obtenir de nombreuses prières pour l’âme de la défunte. Le printemps de l’an 1033 fut marqué, au dire de Skylitzès et de Zonaras, par une seconde grande victoire du patrice Nicéphore Karanténos contre une nouvelle agression de la flotte de Sarrasins africains qui s’était signalée l’an dernier par ses déprédations dans l’Adriatique et à Corfou. Cette flotte, reconstituée au même chiffre de mille navires, et montée par dix mille guerriers, fut de nouveau cruellement battue par l’heureux stratigos qui envoya cette fois encore cinq cents prisonniers enchaînés à Constantinople. Ou bien la première victoire a été très exagérée par ces chroniqueurs, puisque la flotte n’avait pas été complètement détruite, ou, ce qui parait en somme plus probable, il y a là quelque confusion, et il ne s’agissait, en somme, que d’une seule et même affaire. Ce qui le ferait croire, c’est que, toujours suivant Skylitzès, à la fin de cette même année, Nicéphore Karanténos aurait remporté un troisième succès sur les corsaires sarrasins. Cette fois, le nombre de prisonniers expédiés au basileus fut de six cents. Un fait est certain: c’est que la flotte impériale finit par avoir raison de ces audacieux écumeurs des mers. On se rappelle que la célèbre église de Cette année 1033 fut encore marquée par une nouvelle conspiration contre le basileus, signalée par le seul Skylitzès. C’est la cinquième indiquée par les chroniqueurs pour ce règne, sans compter celles dont le souvenir ne nous a pas été conservé. C’était bien probablement toujours la situation irrégulière de la basilissa Zoé vis-à-vis de sa sœur Théodora, maintenue à l’écart du trône malgré ses droits légitimes, qui encourageait les conspirateurs. Pour ce complot de 1033, nous ne possédons pas autre chose que ces lignes de même « Basile Skléros, fils de Romain, marié à une des sœurs du basileus, le même qui avait eu les yeux crevés par ordre du défunt basileus Constantin, personnage de caractère inconstant et versatile, bien qu’il eut été comblé de bienfaits par Romain Argyros et élevé par lui à la haute dignité de magistros, ourdit contre lui une conspiration. Lui et sa femme, bien que très proches parents du basileus, furent chassés de la ville et envoyés en exil » — certainement dans quelque monastère. Nous n’en savons pas plus. Toujours dans cette année 1033, la frontière d’Orient fut le théâtre de divers faits d’armes, Ibn Zaïrack, l’émir de Tripoli, le Pinzarach des chroniqueurs byzantins, dont j’ai parlé à plusieurs reprises, qui avait, on se le rappelle, accepté la suzeraineté byzantine, avait été, deux ans auparavant, assailli avec tant de violence par des forces égyptiennes, qu’il avait dû abandonner sa cité et se réfugier auprès du basileus. Tripoli avait été aussitôt occupée par les troupes du Khalife du Caire. Romain se montra plein de sympathie à l’endroit de ce vassal détrôné. La politique impériale dans le Sud exigeait qu’on ne le laissât pas ainsi chasser de chez lui uniquement parce qu’il était l’allié de Byzance. Il fallait le venger sur l’heure et le réintégrer dans sa capitale. L’état de guerre contre les troupes d’Égypte reprit donc toute son intensité en ces parages. Tandis que le grand hétériarque Théoctiste, à la tête des bataillons mercenaires étrangers et de forces nombreuses, ramenait l’émir Ibn Zaïrack en Syrie et le réintégrait par force dans sa principauté, une flotte grecque commandée par le protospathaire Teknéas d’Abydos ou l’Abydénien, faisait voile directement pour l’Égypte avec la mission d’exercer le plus de ravages dans le delta du Nil, puis d’attaquer si possible la grande cité maritime d’Alexandrie! Certainement le basileus Romain, malgré tant d’échecs si sérieux, rêvait encore grand. Il y avait beau temps qu’aucun armement byzantin n’avait été dirigé vers la côte de cette redoutable Égypte sarrasine avec un programme aussi audacieux. Il fallait que le basileus et ses conseillers eussent, par les rapports de leurs espions, reçu des informations bien précises sur l’état de faiblesse dans lequel le Khalifat d’Égypte était tombé sous le gouvernement d’Al Zahir. Teknéas et sa flotte, après une traversée heureuse, parurent devant Alexandrie stupéfaite. Les soldats orthodoxes insultèrent de loin la grande cité sarrasine dont les richesses fabuleuses jouaient un si grand rôle dans les récits légendaires de l’époque. Hélas, les choses en demeurèrent là! Probablement Teknéas estima que le basileus avait été mal renseigné et que ses troupes de débarquement n’étaient pas assez nombreuses. Il se borna, paraît-il, à saisir de nombreux navires sarrasins, mais nous ignorons même s’il les prit en bataille rangée ou si ce fut une simple course de corsaires. Il revint sain et sauf avec toute sa flotte, rapportant un grand butin. Nous n’en savons pas davantage sur cette curieuse expédition byzantine contre les rivages égyptiens même est seul à nous en parler et, chose étrange, les sources musulmanes n’en soufflent mot. Nous sommes, par hasard, un peu mieux renseignés sur l’émir de Tripoli, Ibn Zaïrack, ce Pinzarach des Byzantins souvent cité déjà. L’auteur anonyme, tant de fois nommé, du récit contemporain si précieux connu sous le nom de « Cecaumeni Strategicon »[74] a, par un hasard pour nous très précieux, consacré son chapitre deux cent vingt et unième, intitulé « Histoire d’un étranger »,[75] à ce petit prince sarrasin. Ce passage est si curieux que je n’hésite pas à le reproduire en entier: « Il y avait une fois, dit l’écrivain anonyme, un dynaste arabe nommé Apelzarach,[76] qui vint trouver le basileus, notre seigneur Romain. Après avoir été comblé par ce prince de dons considérables et d’honneurs, il fut envoyé par lui dans son pays.[77] Plus tard, il refit le même voyage, mais cette fois la réception qui lui fut faite fut tout à fait disgracieuse, à tel point qu’il voulut s’en retourner de suite, ce à quoi le basileus ne consentit point. Il passa ainsi deux années dans la capitale s’attendant chaque jour à être envoyé en exil, même à un pire destin. Puis, au bout de ce temps, le basileus lui permit enfin de rentrer chez lui. Comme il s’en retournait et qu’il venait de franchir le Pont de Fer [78] au delà d’Antioche, il appela tout son monde, et se prenant la tête dans les mains, s’écria: « Qu’est ceci? » Eux, riant, lui répondirent: « Mais, c’est votre tête, mon seigneur », « Eh bien, reprit-il, je remercie Dieu d’avoir, ayant encore cette tête sur les épaules, pu franchir le détroit à Chrysopolis[79] et atteindre les frontières d’Arabie! » « Qui tend le pied peut faire tomber autrui, tombe
lui-même à terre victime de sa propre faute! ». « Ainsi, poursuit le
narrateur anonyme, faut-il toujours parler et agir droitement et se contenter
de ce qui t’appartient en propre! Si un jour l’envie te prend d’aller adorer
dans son palais Dans sa préciosité byzantine ce chapitre est instructif. Il nous fait voir clairement que, lors de son second voyage, le pauvre émir tripolitain fut considéré à Constantinople comme un hôte aussi importun que peu désiré. Ce ne fut que par pur intérêt politique que Romain, bien à contrecœur, s’employa à replacer sur son trône un vassal auquel il témoignait une défiance telle, que celui-ci pouvait remercier Dieu avec effusion de lui avoir conservé la tête sur les épaules lors de sa seconde visite dans la capitale. A l’autre extrémité de la mouvante frontière d’Asie, en
face de l’immensité musulmane, Skylitzès nous fait encore part, pour cette
année 1033, d’un autre fait de guerre important. Le chef arabe Alim,
gouverneur ou châtelain de la forteresse de Pergri, dans les marches
d’Arménie, aujourd’hui la ville de Barkiry, dans le pachalik de Van, livra sa
cité au patrice Nicolas le Bulgare, surnommé Chrysélios,[80]
commandant les troupes impériales en ces parages, et expédia son fils en
ambassade auprès du basileus, espérant recevoir incontinent de celui-ci, pour
prix de sa trahison, la dignité de patrice avec d’autres dons et honneurs.
Mais le jeune chef sarrasin, arrivé à Byzance, y trouva Romain de plus en
plus gravement malade. Pas plus au Palais qu’à Le basileus ne pouvait demeurer sous le coup d’un aussi sanglant affront sur cette frontière si difficile à défendre contre le perpétuel effort de l’agression sarrasine. Le patrice Nicétas Pégonitès,[82] nommé en remplacement de Chrysélios, fut de suite envoyé par Romain, déjà presque mourant, pour faire le siège de Pergri avec toutes les forces de la région, « augmentées, dit Skylitzès, de troupes russes ». C’était bien là certainement la fameuse « droujine » russe de six mille hommes[83] qui, pour lors, on le sait, ne cessait de servir sur la frontière d’Asie.[84] Après un siège sur lequel nous n’avons, hélas, aucun détail, le général impérial et ses redoutables mercenaires reprirent de vive force la forteresse sarrasine. Alim le traître et son fils furent mis à mort.[85] Nous ne savons, comme toujours, que peu de chose sur les
relations entre l’empire byzantin d’une part, les royaumes de Géorgie et
d’Arménie de l’autre, sous le règne de Romain Argyros, En tout cas, ce
basileus semble n’avoir guère été favorable à ces deux nations, car leurs
historiens, je l’ai dit, parlent de lui avec une sorte de haine. De plus en
plus, depuis les premières annexions du grand Basile, se dessinait dans
l’esprit des gouvernants, à Byzance, la résolution bien arrêtée d’en arriver
le plus rapidement possible à l’absorption de ces deux monarchies féodales
bouleversées par des crises intestines continuelles, exposées sur leurs
frontières orientales à l’attaque de plus en plus incessante des féroces
envahisseurs turcs. Le roi Kéôrki d’Ibérie, d’Aphkhasie ou Géorgie, ou encore
des Karthles, étant mort tout jeune, avait, on l’a vu, été remplacé sur le
trône sous le règne du précédent basileus, par son fils Pakarat,[86]
quatrième du nom, qui venait de passer trois ans à la cour du grand Basile en
qualité d’otage. Le petit roi, monté sur le trône à l’âge de neuf ans, sous
la tutelle de sa mère, la reine Marie ou Mariam, d’origine alaine, et qui
devait en règner quarante-cinq, jusqu’en l’an 972, avait eu des débuts fort
agités. J’ai raconté au règne précédent l’exode des « aznaours » hostiles sur
territoire grec dès la première année du gouvernement du nouveau roi,
l’invasion de A la mort du basileus Constantin VIII et à l’avènement de
sa fille Zoé, dit l’Histoire de Cette ambassade du chef de l’Église géorgienne avait certainement été voulue par la régente pour se concilier la faveur du nouveau basileus et le prier de faire cesser l’état de guerre presque incessant entre l’Empire et le royaume géorgien sous le règne de son défunt époux et aussi sous celui du basileus Constantin. La reine Mariam, qui semble avoir été une princesse sage autant que bien conseillée, tenait avant tout pour son jeune fils à l’alliance byzantine. La preuve en est cette union qu’elle lui avait fait contracter dès qu’il fut en âge de se marier, avec une nièce du basileus, nommée Hélène. On se rappelle que ce dernier n’avait pas de fille. J’ai parlé déjà de ce mariage essentiellement politique entre le jeune roi de Géorgie et la princesse byzantine qui eut lieu dans la troisième année du règne de Romain Argyros, c’est-à-dire dans les tous derniers jours de l’an 1030 ou dans le cours de l’an 1031. Pakarat IV devait avoir, à cette époque, douze ans à peine. Certainement, comme c’était si souvent le cas alors en Orient, le mariage ne fut pas aussitôt consommé. Le récit de ces événements dans l’Histoire de Sans ce récit du chroniqueur national anonyme, nous
ignorerions ce curieux voyage de la régente dans L’Histoire de Il existe dans la province arménienne de Chirag, sur la muraille de l’église de Marmaraschen, une belle inscription lapidaire en langue arménienne, mentionnant une donation faite à cette sainte maison par cette reine Mariam qui semble avoir si bien défendu la monarchie de son fils. Elle s’y intitule « Marie, reine des Aphkhases et des Géorgiens, fille du grand Sénékhérim, petite-fille de Kakig, roi d’Arménie et de la reine Gadaï ou Katramide ». Elle donne à cette église, « célèbre dans l’univers », le village de Darouts, « pour la rémission des péchés de mon aïeul Kakig et de Gadaï ma grand’mère ».[91] Le basileus Romain ne semble pas avoir continué longtemps
sa protection et sa bienveillance à la reine Mariam, à son fils le curopalate
et à leur nation, pas plus, du reste, qu’au royaume voisin d’Arménie. Nous
avons vu déjà qu’en allant en Syrie lors de sa première expédition dans ces
régions, il fit pourchasser et molester dans Démétré était encore fort jeune. Un complot se trama entre
un certain nombre d’« aznaours » pour le nommer roi à la place de son frère
Pakarat, mais il échoua par l’énergique résistance de ce dernier, de sa mère
et des premiers personnages ou « thawads » du royaume. Forcé de fuir, le
prince rebelle se réfugia auprès du basileus Romain, auquel il fit hommage
pour sa ville d’Anacophia, « qui fut, dès lors, dit Du royaume d’Arménie, en dehors du peu que j’ai dit, nous ne savons rien, ou presque rien, sous ce règne du basileus Romain. Jean Sempad et son frère, Aschod le Brave,[95] Pagratides, régnaient alors conjointement sur ce pays déchiré par les querelles féodales et sans cesse menacé par l’invasion seldjoukide. Le seigneur Pierre ou Bédros, était encore catholicos d’Arménie. Constantin VIII, au moment de sa dernière maladie, se sentant près de sa fin, avait, dit l’historien national Tchamtchian, désiré qu’on lui présentât quelque pieux religieux arménien, digne d’être chargé par lui d’une mission délicate auprès de son souverain. On lui avait alors amené un certain prêtre, nommé Kyrakos, qui exerçait dans la capitale grecque la haute fonction de directeur de l’hospice du patriarche. Le vieux basileus moribond, aussitôt qu’il avait aperçu cet homme, avait tiré de son sein pour le lui remettre le fameux document en date de l’an 1021 par lequel le roi Jean Sempad s’était engagé envers le grand Basile, lors des événements de cette époque, à remettre sous certaines conditions à l’Empire, la ville d’Ani et son territoire, c’est-à-dire tout son royaume, au moment de sa mort, document dont il a été parlé au volume précédent. Il lui intima en même temps l’ordre de rapporter aussitôt cette lettre si précieuse au roi Jean Sempad, le conjurant au nom de Dieu de ne point faillir à sa mission. Il lui déclara en même temps que jamais il n’eût consenti à se prévaloir ainsi de la détresse du roi des rois d’Arménie. Kyrakos reçu, et emporta le précieux document, mais le traître, au lieu de courir à Ani le remettre à son souverain, le garda devers lui pour en user à la première occasion à son avantage personnel. Nous verrons qu’il le remit au basileus Michel IV, qui récompensa richement sa lâche conduite. Je ne sais ce qu’il faut croire de cette anecdote tendancieuse peut-être bien inventée de toutes pièces par les historiens arméniens pour compromettre en faveur de leur nation la mémoire de Constantin VIII, et noircir d’autant celle de ses successeurs. Les remords de Constantin, se refusant à profiter du merveilleux héritage arraché par son illustre frère à la faiblesse du roi des rois d’Arménie, me semblent d’ordre quelque peu fantaisiste.[96] Vers cette époque environ, à la suite de violents dissentiments avec le roi Jean, eurent lieu la destitution du fameux catholicos Pierre ou Bédros, dit « Kédatartz », qui s’était rendu impossible par l’exaltation de son ascétisme et qui, depuis longtemps déjà, s’était retiré dans le couvent de Tzaravank, dans le Vaspouraçan, sur territoire impérial, puis son emprisonnement pour haute trahison et son remplacement par Dioskoros, abbé du couvent de Sanahin, qui devait lui-même être déposé, peu après, par une assemblée de quatre mille délégués, tant laïques qu’ecclésiastiques, réunie à Ani.[97] Le récit de ces événements, qui troublèrent profondément l’Arménie, n’intéresse que secondairement l’histoire de l’empire byzantin, sauf en un point cependant. Les sources arméniennes racontent que le roi Jean Sempad, dans ses négociations pour décider le catholicos à revenir de son exil volontaire, s’était servi comme médiateurs des fonctionnaires byzantins qui administraient les territoires voisins récemment reconquis par l’Empire, c’est-à-dire la province du Vaspouraçan. Ceux-ci parvinrent enfin à décider le patriarche à regagner Ani, mais aux portes de cette ville, il fut arrêté, accusé de relations avec l’ennemi, emprisonné et finalement destitué. Après des désordres inouïs le roi dut céder. L’obstiné Bédros remonta triomphalement sur le trône des catholicos durant que son rival Dioskoros, traité d’imposteur, en était ignominieusement chassé.[98] Le changement de règne qui avait placé Romain Argyros sur
le trône des basileis eut également son contrecoup sur les affaires d’Italie.
Le nouveau catépan Christophoros, installé depuis quelques mois à peine, fut
remplacé à la tête de ce qui restait des thèmes byzantins de Ces événements, qui paralysaient l’action des Byzantins
dans le sud de Ce fut alors que, pour empêcher que sa capitale ne lui fut
encore une fois reprise et pour la défendre contre les menaçantes attaques du
redoutable Pandolfe, le duc Sergios
prit une résolution qui devait avoir pour l’Italie méridionale les plus
graves conséquences, celle de faire alliance avec les aventuriers normands
dont nous avons si souvent parlé.[101]
Ils formaient déjà à ce moment, grâce probablement à de nouvelles arrivées
d’émigrants de Normandie, un parti de plus en plus considérable dans le
sud-ouest de Le duc Sergios donc vint trouver Rainulfe, un des cinq frères qui, en l’an 1017, avaient répondu les premiers à l’appel de Mélès et pris part à cette époque à la lutte contre les Grecs, home aorné de toutes vertus qui convènent à chevalier, suivant l’expression du moine Aimé, et lui fit épouser sa soeur Sigelgaïta, veuve du duc de Gaète. Comme dot de la princesse et pour se défendre contre les entreprises ultérieures du prince de Capoue, Sergios donna à Rainulfe, en toute propriété, une partie de la province de Labour et de nombreux châteaux. Rainulfe y bâtit, en 1030, une ville nommée Aversa, et l’entoura de fossés et de fortifications, pour en faire le boulevard de Naples contre les invasions venant du Nord, mais surtout pour en faire la place forte des Normands. Guillaume de Pouille fait de ce pays d’Aversa un éloge idyllique. « C’est, dit-il, un lieu plein de ressources, agréable et productif tout à la fois, auquel ne manquent ni les moissons, ni les prairies, ni les arbres; il est impossible de trouver dans le monde un endroit plus charmant. » Huit cents ans se sont écoulés, poursuit l’abbé Delarc, depuis que Guillaume a écrit cet éloge et aujourd’hui encore les environs d’Aversa présentent le même aspect. La ville fondée par les Normands est un îlot dans cet océan de verdure qui, de Caserte aux portes de Naples, recouvre la magnifique plaine de Labour. Les monuments hélas, que les Normands y fondèrent, ont à peu près complètement disparus. Quelques fossés peu reconnaissables, deux ou trois vieux murs, une tour délabrée que d’énormes figuiers ont trouée de part en part, un fragment de la pierre tombale du comte Rainulfe encastré dans les constructions du clocher, et c’est tout. » La fondation d’Aversa est une date de première importance dans l’histoire des Normands en Italie. Elle marque la fin d’une période qui va de 1016 à 1030, pendant laquelle les premiers de ces guerriers d’aventure venus en Italie, n’y possédant en propre, ni ville, ni principauté, ont tour à tour mis leur bravoure au service des princes longobards de Salerne et de Capoue, de l’abbé du Mont Cassin, parfois même au service des Grecs. Si, après 1030, les Normands ont encore servi tel ou tel prince, il est certain cependant qu’à partir de ce moment, ils ont commencé surtout à combattre pour leur propre compte, et qu’ils n’ont pas tardé à devenir les égaux, et plus tard les maîtres de ceux dont ils n’étaient auparavant que les humbles auxiliaires ».[102] Malgré la perte de Naples, la puissance de Pandolfe de Capoue ne cessa cependant d’augmenter et bientôt il eut laissé loin derrière lui comme importance et influence tous les autres dynastes de l’Italie méridionale. Il atteignit de même ce résultat principalement par l’aide des mercenaires normands qu’il prit en grand nombre à son service et dont des bandes nouvelles affluaient incessamment de leur lointaine patrie. Ainsi, avec cette aide il s’empara de tous les biens et de tout l’immense territoire de la riche abbaye du Mont Cassin, et, pour se venger de sa triste captivité en Allemagne, en expulsa brutalement l’abbé, le protégé d’Henri II. Il le retint dans une étroite prison à Capoue et remplaça l’archevêque de cette ville par son propre bâtard à lui. « Enfin, poursuit l’abbé Delarc, les trois annalistes de la riche abbaye bénédictine: Désidérius, plus tard pape, sous le nom de Victor III, le moine Aimé, et Léo de Marsi, n’ont pas assez d’expressions indignées pour faire le long récit des forfaits dont Pandolfe IV se rendit coupable non seulement contre le Mont Cassin, mais contre toutes les autres principautés longobardes après sa restauration à Capoue. « La rage du fortissime loupe, c’est ainsi qu’Aimé désigne Pandolfe IV, ne se tourna pas seulement contre les hommes et les choses de l’Église. Dès l’été de l’an 1032, il avait chassé de Gaète la dynastie régnante et annexé cette principauté à ses États. De même, il enchaîna Amalfi à sa politique. Enfin, je le répète, il réussit à se créer des alliés bien autrement précieux en la personne des Normands d’Aversa. « La bonne entente, en effet, n’avait pas duré longtemps entre le duc Sergios de Naples et le comte Rainulfe. Celui-ci oublia trop vite et trop facilement qu’il devait à Sergios ses terres, sa ville, son titre, en un mot toute sa puissance naissante. L’ancienne duchesse de Gaète, Sigelgaïta, devenue femme du chef normand étant morte, Pandolfe IV saisit avec empressement cette occasion pour renouer avec les Normands une alliance dont la rupture lui avait été préjudiciable. Il offrit à Rainulfe, pour femme sa nièce, fille de sa sœur et du patrice d’Amalfi.[103] Rainulfe y consentit et devint l’ami et l’allié de Pandolfe. Sergios, apprenant ce mariage, fut au désespoir. Aversa, dont il avait donné l’emplacement, qui devait défendre Naples contre Capoue, passait à l’ennemi et mettait plus que jamais en danger l’indépendance du duché. Inconsolable de l’ingratitude de Rainulfe, il abdiqua, se fit moine et mourut peu après. L’alliance de Pandolfe IV avec Rainulfe marque l’apogée de la puissance du prince de Capoue. » Dans le sud de l’Italie, les Grecs avaient trop d’embarras
personnels sur les bras pour qu’ils pussent songer à jouer le rôle d’arbitre
entre les princes longobards dans cette situation si troublée. On sait que
l’énergique catépan Bojoannès avait été rappelé d’Italie presque aussitôt
après son retour de l’expédition de Messine en 1027 et que son second
successeur Pothos Argyros avait eu fort à lutter avec le parti national
opposé aux Grecs. Ce parti, jusque-là énergiquement comprimé par Bojoannès,
maintenant relevait partout la tête. Les nouvelles incursions des Arabes de
Sicile signalées à cette époque avaient peut-être bien aussi un lien avec ces
tentatives répétées de soulèvement. Ces incursions dont j’ai parlé à l’an
1029 d’après Le nouveau « catépano », le protospathaire Constantin Opos, arrivé en Italie peut-être déjà dans le courant de cette année 1032, en mai,[106] avec une flotte commandée par l’eunuque Jean, réussit à rentrer dans Bari, à y restituer l’autorité impériale, et, l’an suivant, 1035, à placer sur le trône archiépiscopal vacant par la mort de Byzantios[107] un prélat du parti de l’Empire. Le peuple avait bien de son propre chef remplacé de suite l’évêque défunt par le protospathaire Romuald, mais celui-ci au mois d’avril fut exilé par ordre du basileus.[108] En dehors de ces agitations intérieures, déjà assez graves par elles-mêmes, l’attention des hauts fonctionnaires byzantins en Italie était à ce moment entièrement absorbée par les événements qui se déroulaient en Sicile et qui commençaient à faire considérer comme possible, ainsi que nous le verrons plus loin, la reprise de cette île par les troupes impériales. Les Grecs n’avaient d’yeux que de ce côté. Ils ne pouvaient donc songer à se lancer dans la mêlée qui menaçait de jeter les uns sur les autres les princes longobards.[109] J’ai dit au règne précédent les événements survenus à Venise et le triomphe éphémère de la faction des Orseolo, clients de Byzance, suivi presque aussitôt de la mort du doge Othon Orseolo au moment même où celui-ci allait entrer en vainqueur à Venise après son long exil à Constantinople. Cette fin lamentable de leur principal représentant entraîna la chute définitive des Orseolo, mais la cour de Byzance avait un trop grand besoin de l’amitié de Venise pour bouder un nouvel ordre des choses. Elle continua donc sous ce règne et les suivants à lui faire bon visage. Dans un acte officiel de l’an 1049, le doge Domenico Contarini s’intitule « patrice impérial » comme s’il était un simple fonctionnaire impérial. Cependant le basileus qui avait été constamment mal portant presque depuis son avènement au trône, s’en allait déclinant chaque jour. Il semblait déjà qu’on pût prévoir sa mort à très bref délai, et celle-ci devait être hâtée encore par des circonstances intimes dont l’histoire est infiniment dramatique. Romain Argyros, avant d’être devenu basileus, avait eu à son service parmi son nombreux domestique un eunuque originaire du thème de Paphlagonie nommé Jean ou plutôt Joannès, de naissance infiniment obscure, un « homme de rien », personnage d’une rare dépravation, tout à fait dépourvu de sens moral, mais d’un esprit infiniment actif, délié, intelligent, ambitieux autant que rusé, qui remplissait pour lors les hautes fonctions d’« orphanotrophos » ou directeur du grand établissement urbain pour les orphelins assistés. Cet homme génial, véritable « faiseur de rois », parti de si bas que nous ignorons tout de ses origines, va demeurer constamment, à partir de ce moment, au premier plan de cette histoire. Une fois sur le trône, Romain qui avait mis sa confiance en lui, et dont il était le confident et l’intime, le conserva auprès de sa personne, lui témoignant la plus vive amitié. Sans lui donner de grands pouvoirs, il lui conféra cependant par le fait même de cette intimité si exceptionnelle une situation très considérable et une influence très puissante. Il lui disait ses pensées les plus secrètes. Ce parvenu avait quatre frères encore jeunes dont les deux aînés étaient eunuques comme lui. C’étaient tous, semble-t-il, comme Joannès, mais à un degré moindre, des hommes intelligents autant que sans scrupules. Les deux aînés, nommés Georges et Constantin, exerçaient, au dire de Skylitzès, « un métier forain », peut-être celui de guérisseurs. Les deux plus jeunes, Nicétas et Michel, officiellement étaient changeurs. En réalité, ils faisaient de la fausse monnaie. Nicétas avait déjà quelque barbe au menton. Michel, dans la fleur de sa jeunesse, était admirablement beau de visage et de corps. Psellos ne sait assez nous vanter les perfections physiques de cet éphèbe du XIe siècle, son regard enchanteur, son teint éclatant pareil à celui des fleurs, la séduction de toute sa personne. Par le crédit de Joannès, ces quatre individus si douteux, véritables aventuriers de marque, étaient, chose inouïe, entrés avec lui-même dans l’intimité du basileus, qui leur avait confié les plus hautes dignités au Palais. C’étaient maintenant de très importants personnages de cour, dont on pouvait déjà, dans ces milieux si favorables à l’intrigue, prédire la haute fortune naissante. Michel, en particulier, avait été élevé par le basileus aux fonctions demeurées pour nous fort obscures d’« archôn du panthéon », quelque office du service intime de l’empereur certainement. Ce bellâtre de si mince origine avait été pour la première fois présenté par son frère à Romain, alors que ce dernier se trouvait auprès de la basilissa dans le Gynécée impérial. Le basileus, au dire de Psellos, après avoir posé diverses questions au jouvenceau, le congédia de suite, en lui intimant toutefois l’ordre de ne plus quitter le Palais. Quant à la basilissa, elle reçut véritablement à ce moment le coup de foudre. De cet instant, la vieille impératrice se sentit enflammée pour le bel adolescent d’une passion aussi mystérieuse qu’insensée, passion « démoniaque », s’écrie Skylitzès. Ce fol amour ne fit que grandir aussi rapidement que démesurément. Bientôt Zoé fut incapable de se contenir. Elle qui, jusque-là, n’avait pu souffrir le louche et subtil eunuque Joannès, maintenant à tout instant, sous n’importe quel prétexte, le mandait auprès d’elle dans l’unique but de l’entretenir constamment de son jeune frère. Elle l’encourageait à venir la trouver chaque fois qu’il en avait le désir ou le loisir, et chacune de ces conversations la ramenait infailliblement au bel adolescent. L’eunuque rusé qui connaissait bien la basilissa, eut tôt fait de deviner ce qu’elle avait dans le cœur. En véritable courtisan dénué de scrupules, décidé à user de tous les moyens pour parvenir, il ne rougit pas d’exhorter son jeune frère à courir au-devant de la fortune qui lui tendait les bras. Celui-ci, fort novice et fort craintif au début, fort ému surtout de ce qu’il prenait simplement pour de la faveur, obéissait docilement aux appels de la vieille princesse, conservant son maintien modeste et quelque peu effarouché qui le faisait paraître, dit Psellos, encore plus désirable sous sa charmante rougeur. Quant à la basilissa Zoé, elle encourageait tendrement son amant en herbe, lui souriant doucement, rassurant sa timidité, s’efforçant de le rassurer par les preuves d’amour les plus éclatantes. Michel ainsi promptement encouragé, osa bientôt davantage. Admirablement stylé par son frère aîné qui, lui, marchait droit à son but, et bien que naturellement fort mal disposé pour cette maîtresse si âgée, il sut bientôt mimer à merveille son amour, jouant parfaitement la comédie de la passion, troublant sans cesse et profondément les sens de Zoé par ses baisers et ses savantes caresses. Qu’on ne m’accuse pas d’exagérer; je traduis presque littéralement le curieux récit contemporain de Psellos. De suite, Michel, docile aux avis de son aîné, avait compris au plus secret de son être, à quels sommets inouïs cette aventure pourrait le mener, peut-être bien jusqu’au trône! Dissimulant avec une perfide habileté l’aversion naturelle que lui inspirait cette basilissa quinquagénaire, il sut accomplir et accepter avec une hypocrisie parfaite, tout ce que ses conditions de favori pouvaient offrir d’écœurant. Au Palais et à la ville, dans la foule des gens de cour, comme dans les carrefours urbains, on ne fut pas long à deviner cette impériale intrigue. Les premiers jours n’avaient été que de simples soupçons, mais bientôt la passion insensée de l’impératrice s’étala à tous les yeux avec une si audacieuse impudeur que le scandale devint public. Psellos affirme qu’on surprenait à tout instant les deux amoureux dans l’intimité la plus complète, couchés côte à côte sur le même lit de repos. Michel, honteux d’être ainsi découvert, rougissait très fort, mais la basilissa, loin de paraître gênée, ne s’en serrait que plus étroitement contre son jeune amant, l’embrassant avec passion devant tous, souhaitant à haute voix de jouir toujours de cette félicité. Elle comblait Michel de dons de toutes sortes, l’ornant de bijoux, de pierres précieuses, l’habillant de vêtements tissés d’or et de soie comme s’il s’agissait d’une poupée. En secret elle l’obligeait en riant à prendre place sur le trône à ses côtés, n’hésitant pas à placer le sceptre dans ses mains. Une fois, elle alla jusqu’à le ceindre du diadème. « Alors, se pressant contre lui, raconte l’austère Psellos, elle lui prodiguait les noms les plus doux, l’appelant « trésor et grâce de ses yeux, fleur de beauté, consolation de son âme »! Psellos, prolixe de détails, raconte longuement encore comment le grand eunuque du Gynécée impérial, gouverneur tout-puissant du domaine des femmes au Palais Sacré, personnage des plus considérables et en même temps, paraît-il, digne de tous les respects pour l’attachement fidèle qu’il portait à la personne de la basilissa, ayant par hasard surpris ce spectacle inouï, en fut si horrifié qu’il tombât évanoui. Ce fut la basilissa qui le releva et le ranima de ses mains, car le pauvre homme tremblait de tous ses membres dans l’émotion indicible d’avoir découvert un tel secret. D’une voix émue elle lui ordonna formellement de témoigner de l’attachement à ce jeune homme dont, ne craignait-elle pas de dire, elle était d’ores et déjà fermement résolue à faire un jour un basileus. Comme toujours, le seul qui durant fort longtemps ne se douta de rien fut l’empereur. La liaison du couple adultère n’était plus un mystère que pour lui. Il passait tout son temps, dit Skylitzès, à s’occuper d’oeuvres de bienfaisance, à faire construire ou réparer des aqueducs, des hospices, des maisons d’orphelins. Quand, enfin, la situation fut devenue si claire qu’il n’y eut plus moyen de ne pas comprendre, probablement enchanté d’être ainsi remplacé, il ferma obstinément les yeux, affectant de ne rien voir. Psellos raconte que souvent lorsqu’il était couché dans le lit impérial aux côtés de la basilissa, « sous les mêmes couvertures de pourpre », il faisait quérir Michel pour se faire servir par lui, se faisant masser par lui pieds et jambes, agissant en somme comme si cet affreux scandale lui était tout à fait indifférent. Plus tard, quand sa soeur Pulchérie, honteuse pour lui d’une telle humiliation, et ses plus dévoués serviteurs lui eurent fait toucher du doigt le sombre complot qui s’organisait sourdement contre sa vie et lui eurent fait clairement saisir que la mort serait l’issue fatale, certaine, de tout ce drame honteux, au lieu d’anéantir du pied cette vile intrigue en une seconde comme cela lui eût été si facile, il ne voulut ou sut rien imaginer dans ce sens. Faiblesse véritablement insensée, il se contenta, après s’être fait amener Michel, de le questionner sur ses amours avec la basilissa, lui enjoignant sur sa foi de lui dire s’il se croyait vraiment aimé d’elle! Naturellement le fourbe, feignant la surprise, nia tout avec les plus solennels serments, et ce monarque, devenu tout à fait imbécile, le crut sur parole, affirme Psellos, persuadé que ces racontars n’étaient que calomnies. Même il n’en aima que davantage l’impudent favori. Ce fut lui qu’il continua de traiter avec le plus d’amitié au Palais, l’appelant son serviteur très fidèle. Une circonstance très particulière, il faut le dire, avait contribué à tromper le basileus. Dès sa tendre jeunesse, Michel était sujet à de terribles accès d’épilepsie. Psellos décrit ceux-ci avec une telle précision médicale, que certainement il a dû, pour le moins, les entendre raconter par des témoins oculaires. Le basileus avait vu souvent l’infortuné en proie aux crises affreuses de ce mal dont l’effrayant processus et l’invasion si soudaine semblaient, à cette époque d’ignorance, un mystère divin plein d’épouvante. Ému de pitié pour tant de souffrances, il se refusait à croire aux transports amoureux d’un homme aussi gravement atteint, n’admettant pas qu’un être frappé d’un mal aussi hideux pût être en situation de se faire aimer. Il n’en fut pas de même du monde de la cour qui longtemps s’imagina que c’était là pure comédie de la part du rusé adolescent pour mieux se faire plaindre de la basilissa. Il fallut bien, dit Psellos, qu’on finit par croire à l’épilepsie quand on vit ces effrayants accès se reproduire de plus en plus violents, de plus en plus fréquents, alors même que Michel fut devenu basileus. Cette maladie, bien que réelle, n’en devait pas moins être fort utile à l’étrange parvenu pour atteindre au but qu’il poursuivait. Elle lui attirait à la fois la commisération sympathique du basileus et la pitié attendrie de sa fougueuse maîtresse. « J’ai entendu affirmer, poursuit Psellos, à un homme qui avait beaucoup fréquenté à la cour à cette époque et qui connaissait à fond cette histoire des amours de la basilissa,[110] amours sur lesquels il m’a du reste beaucoup renseigné, je lui ai entendu affirmer, dis-je, que le basileus Romain feignit jusqu’à la fin d’ignorer la liaison de la basilissa avec Michel, mais qu’en réalité il était parfaitement au courant de cette passion folle. Seulement, comme il connaissait bien le tempérament de la basilissa, il affectait résolument de ne rien savoir, préférant encore que Zoé n’eût qu’un seul amant au lieu d’en avoir plusieurs, désirant surtout que sa vieille épouse certain se livrer en toute tranquillité à ses amours illicites. » Si Romain se montrait ainsi d’humeur fort accommodante, il en était tout autrement de son impérieuse soeur Pulchérie, que ce honteux scandale mettait hors d’elle, et aussi de la plupart des intimes du basileus. Une campagne violente, sourde et secrète, se livrait incessamment autour du basileus contre le couple adultère. Elle cessa du reste subitement par la mort de Pulchérie, événement qui valut à l’un des principaux acolytes de cette princesse dans sa lutte contre la basilissa, l’exil du Palais sur l’ordre de Romain. Un autre mourut, lui aussi, presque à ce même moment.[111] Parmi les gens de cour, quelques-uns acceptaient très facilement la situation. Les autres dissimulaient prudemment leur indignation, affectant de ne voir en cette intimité de la basilissa et de son tout jeune favori rien que de très régulier et de parfaitement normal. La santé du basileus devint à ce moment de plus en plus mauvaise. « Romain, dit Psellos, tomba malade d’une maladie étrange qui lui fit perdre l’appétit et le sommeil. Toutes les infirmités semblaient l’accabler à la fois. Son caractère si gai, si affable et si doux, se transforma brusquement. Il fut irritable, sombre et rude, sujet à de bruyants accès de colère. Il devint d’abord difficile à aborder, puis presque inaccessible, se défiant de tous, inspirant de même de la défiance à tous. Lui si généreux d’ordinaire, se transforma en un avare sordide, sourd à toute prière, le coeur fermé à toute compassion. Bien que sa santé fut maintenant devenue si mauvaise, il continuait à tenir son cercle, à prendre aussi part aux processions comme aux fonctions solennelles, revêtu comme toujours des vêtements les plus splendides, tissés d’or, cousus de pierres précieuses. Son corps amaigri, courbé sous le poids de ces lourdes étoffes, ne se mouvait plus qu’avec difficulté. Chaque jour son état empirait. « Je l’ai vu bien souvent, poursuit Psellos, suivre les processions solennelles dans ces conditions de santé si douloureuses. Je renais d’atteindre ma seizième année. Il semblait vraiment à le voir passer lentement que ce fut un cadavre en marche. Son visage, fortement oedématié, était d’une mortelle pâleur. Sa respiration si pénible le forçait à s’arrêter à tout coup pour reprendre haleine.[112] Ses cheveux étaient presque tous tombés. Seules quelques touffes flottaient en désordre sur le front. Son entourage désespérait de le voir guérir jamais. Lui seul, bien loin de se croire perdu, étudiait avec ardeur les livres de médecine pour y trouver la guérison. A travers ses tortures physiques il traînait une vie lamentable, presque constamment alité. Il mena cette existence misérable jusqu’au bout, finissant cependant par désirer la mort. Nous touchons au drame final. Je laisse encore ici la parole à Psellos qui inaugure par ces paroles terribles son récit de la mort de Romain: « Ne voulant porter aucune accusation dont il ne me serait pas possible de faire facilement la preuve, je n’oserais jurer que les deux amants et leurs affidés aient causé directement la mort du basileus, mais force m’est de dire que tous les contemporains, à l’unanimité, affirment qu’après l’avoir ensorcelé de leurs maléfices et de leurs poisons lents, ils lui donnèrent à boire de l’ellébore. Je ne discuterai pas le fait en lui-même, mais je crois pouvoir affirmer que ce furent bien eux les véritables artisans de sa mort. « Voici comment les choses se passèrent: c’était le Jeudi Saint de l’an 1034. Le basileus se disposait à assister le lendemain aux offices solennels du Grand Vendredi. Romain se rendit seul et sans suite très tard dans la nuit[113] aux bains du Grand Palais, vastes et merveilleusement décorés, pour s’y laver et se faire frotter d’onguents. Une fois descendu dans la piscine, il se mit à nager doucement, prenant plaisir à cet exercice qui lui procurait quelque soulagement. A ce moment des gens de sa suite entrèrent comme de coutume pour l’aider à prendre son repos et à se rhabiller. Je ne saurais jurer que ce furent ceux-là qui furent ses assassins, mais je sais bien que tous ceux qui racontent cette histoire disent qu’au moment où le basileus plongeait comme il en avait coutume, ces hommes le maintinrent longtemps dans cette position, la tête sous l’eau, s’efforçant de l’étrangler en même temps. Ensuite ils disparurent. On trouva le malheureux basileus flottant sur l’eau comme un liège. Il respirait encore faiblement et d’un geste suppliant étendait la main pour qu’on vint le secourir. Quelqu’un, saisi de pitié, le prit dans ses bras, le retira de la piscine, et l’étendit sur un matelas. Aux cris poussés par les premiers arrivants, d’autres accoururent, la basilissa également, seule et sans suite, feignant une immense douleur. Après avoir longuement considéré son époux, et s’être assurée qu’il était bien moribond, elle s’en alla. Le pauvre prince poussa un profond et retentissant soupir, jetant les regards de tous côtés. Incapable de proférer un son, il cherchait à exprimer sa pensée par des signes incompréhensibles. Ensuite il ferma les yeux, poussa à nouveau quelques gémissements précipités, puis, soudain, rendit par la bouche un flot de matière noire coagulée. Il soupira encore deux ou trois fois et rendit l’âme. C’était dans la nuit du 11 au 12 avril de l’an 1034.[114] Romain Argyros était âgé de plus de soixante ans. Il en avait régné cinq et demi.[115] En somme les contemporains ne surent jamais la vérité vraie. Ils ne purent qu’avoir des soupçons sur le point de savoir si le malheureux basileus avait été empoisonné, puis noyé parce que le poison n’agissait pas assez promptement. Mais il faut bien reconnaître que ces soupçons même semblent avoir été aussi sérieux que justifiés.[116] Zoé était devenue si impatiente de posséder plus librement son amant en l’épousant après l’avoir fait basileus à ses côtés, qu’elle n’eut pas la patience, pour éviter un crime, d’attendre quelques semaines ou quelques mois que la maladie eût fait son oeuvre. On connaît fort mal la numismatique de ce règne. De Zoé,
nous ne possédons aucune monnaie, ce qui semble pour le moins étrange. A
Romain Argyros, on peut attribuer avec quelque certitude un unique et beau
sou d’or sur une face duquel ce prince figure debout, couronné par |
[1] Ou encore Argyropoulos,
c’est-à-dire fils d’Argyros. C’est ainsi que le désignait constamment Psellos,
Zonaras, aussi Yahia. Guillaume de Tyr donne à ce prince le surnom
d’Hiérapolitain », probablement parce que sa famille était originaire
d’Hiérapolis. Skylitzès le nomme constamment Argyros.
[2] Du Cange, me semble-t-il, a commis ici plusieurs
erreurs. Il me parait impossible que Pothos Argyros, Léon Argyros, Marianos Argyros,
cités également par lui comme frères de Romain III, l’aient été en réalité.
Voyez encore sur l’alliance très proche de Romain Argyros avec la famille
impériale. Il était, je l’ai dit, proche cousin des deux impératrices, filles
de Constantin VIII. C’est probablement, je l’ai dit aussi, cette parenté qui
finit par faire pencher la balance en sa faveur.
[3] Une fille de ce Basile, Hélène, fut, nous le
verrons, donnée en mariage par son oncle, le basileus Romain, à Pakarat IV, roi
de Géorgie. Une autre princesse, fille de ce même frère de Romain, fut encore,
nous le verrons également, donnée pour femme par lui au roi Jean Sempad
d’Arménie.
[4] Jean Orseolo, qui avait été créé patrice par
l’empereur et avait rapporté à Venise le corps de sainte Barbara, périt presque
aussitôt de la peste ainsi que sa jeune femme, après leur retour dans cette
ville. C’est cette princesse qui tant scandalisa les Vénitiens par ses raffinements
diaboliques. Elle se servait d’une fourchette pour manger ses aliments!
[5] Leur fils, Nicéphore Karanténos, battit à
plusieurs reprises les flottes de corsaires sarrasins d’Afrique et de Sicile,
parvenues jusque dans la mer Egée.
[6] Parfois désigné sous le nom de Romain, ainsi par
exemple dans Skylitzès.
[7] Manassès est très favorable à Romain Argyros.
[8] C’est à Skylitzès que nous devons ce détail.
[9] Peut-être bien son frère. Je possède dans ma
collection de bulles de plomb byzantines deux sceaux de membres de cette
importante famille des Radinos.
[10] Voyez sur ces nominations: Gfroerer.
[11] C’est par erreur que j’ai écrit, en racontant
l’exil de ce personnage à Antigoni, que l’histoire ne parlait plus de lui dans
la suite.
[12] Voyez entre autres: Ibn el Athir.
[13] Le « Toubser », ou « Tousper » des Byzantins.
[14] Voyez Freytag,
Selecta ex Historia Halebi. L’allié
de Saleh, Hassan Ibn Al-Djarrah, le fils d’Al-Mouffaridj, émir des Beni Tai,
maître d’une notable partie de
[15] Je ne sais à quel Pothos Argyros se rapporte ce
renseignement de Skylitzès. Ce ne peut être au Pothos Argyros qui vivait sous
Constantin VII. Voyez encore le Pothos Argyros dont il est question dans
le présent volume.
[16] C’est-à-dire « sur le territoire de l’émirat
d’Alep.
[17] Ce renseignement est de Skylitzès. Psellos place
seulement à l’arrivée du basileus à Antioche, après son entrée dans cette
ville, l’incident de l’ambassade.
[18] « Le grand Basile, dit Psellos, faisait la guerre
pour avoir la paix. Romain faisait la guerre pour la guerre.
[19] Autrement dit l’Amanos, la grande chaîne
dépendante du Taurus qui sépare
[20] Jean VIII, surnommé Abdoun, patriarche des
Syriens jacobites à partir de l’an 1004.
[21] Aboulfaradj s’exprime presque dans les mêmes
termes. —Voyez sur ces persécutions qui amenèrent une foule de Syriens
chrétiens schismatiques monophysites à émigrer en masse sur territoire musulman:
Gelzer, dans Krumbacher.
[22] C’est
[23] Mathieu d’Édesse, qui parle de cette lamentable
retraite et qui, du reste, comme tous les chroniqueurs de sa race, se montre
fort hostile au basileus Romain, va jusqu’à parler de trahison et de lâcheté
voulue de la part des troupes grecques qui n’aimaient pas le nouvel empereur.
Il ajoute que le complot destiné à faire périr le basileus dans cette fuite
mémorable, suscitée à dessein, lui fut révélé par un de ses principaux chefs
militaires étrangers, Aboukab, l’Apokapis des Grecs, qui jadis avait été un des
dignitaires, le « comte de la tente », du défunt curopalate Davith d’Ibérie.
Romain, épouvanté par les révélations de ce personnage, se serait enfui déjà
dans le courant de la nuit avec les principaux officiers de son entourage.
[24] Voyez sur la présence de ces Russes au fond des
solitudes de
[25] Mathieu d’Edesse dit que les Sarrasins tuèrent
près de 10.000 chrétiens et que l’armée romaine s’étant débandée, chacun
s’enfuit de son côté dans toutes les directions.
[26] Ibn el Athir dit au contraire qu’il échangea
ceux-ci contre des brodequins noirs pour ne pas être reconnus.
[27] J’ai donné de cette grande et étrange déroute des
armes byzantines le récit des chroniqueurs grecs et arméniens. Les historiens
orientaux en parlent également. Le syrien Aboulfaradj, surnommé Bar Hebraeus,
en particulier, dit que dans cette bataille deux chefs « sclaviniens »,
c’est-à-dire évidemment deux chefs des gardes étrangers qui commandaient
l’avant-garde de l’armée forte de cent mille hommes, furent mis en fuite par
cent cavaliers maâdiens et dix mille fantassins. Serait-ce une allusion aux
échecs subis par Dalassénos et Léon Choirosphaktès? Le chroniqueur musulman ajoute
que le basileus se sauva à Antioche sur la nouvelle que d’innombrables troupes
d’Égypte et de Maâdiens, arrivaient au secours de l’émir d’Alep. Voyez aussi le
curieux récit d’Ibn el Athir qui attribue la défaite du basileus à la trahison
de deux de ses lieutenants: « le fils de Dukas (Ibn ad-Douqas) et Ibn Loulou ».
[28] « Par la fatigue » plutôt. On était au mois
d’août.
[29] Je ne saurais rien dire de positif sur le petit
thème du même nom dont cette place était la capitale, mais ce ne dut jamais
être qu’un très petit thème frontière d’existence fort éphémère.
[30] Voyez un Goudélis impliqué dans une accusation de
conspiration contre le basileus Constantin VIII.
[31] Ainsi que le prouvent le nom de son père, Goudélis,
et peut-être son propre nom qui, dans la langue turque, signifierait «
noble ».
[32] Il est curieux de retrouver constamment encore
dans ces chroniqueurs du XIe siècle byzantin ces appellations
provinciales de l’époque romaine.
[33] Ou encore Misthia.
[34] Les historiens arméniens, Mathieu d’Édesse en
particulier, si sévères pour Romain, disent avec une injuste exagération qu’il
fut « un prince efféminé, incapable, d’un mauvais naturel, impie, blasphémateur
de la foi orthodoxe. » Tout ceci est infiniment inexact. Ces calomnies ne sont
que la suite d’ardentes haines religieuses.
[35] Les chroniqueurs citent encore pour ce règne la
réfection des aqueducs de la capitale et de leurs châteaux d’eau, puis encore
celle du « Lobotrophion » ou grand lazaret des lépreux, et de «
l’Orphanotrophion » ou maison d’orphelins principale de Constantinople.
[36] J’ai publié à la page 152 de ma Sigillographie
byzantine deux sceaux de dignitaires du monastère de Périblepte.
[37] Très probablement le coup de foudre de la déroute
d’Azâs fut un grand encouragement pour les conspirateurs.
[38] C’est le nom bulgare « Fruzin » grécisé.
[39] Manuel avait fait construire ce monastère sur
l’emplacement de sa propre demeure située près de la citerne d’Aspar. Cet
édifice avait été depuis magnifiquement restauré, d’abord par le patriarche
Photius, puis par le basileus Romain Lécapène.
[40] Zonaras dit au contraire, probablement par
confusion avec une seconde conspiration postérieure, qu’elle fut enfermée au
couvent du Petrion.
[41] Le « Pankratios » des chroniqueurs byzantins. Sur
la série de ces rois Pagratides d’Ibérie, voyez Lebeau. Certains chroniqueurs
arméniens, Samuel d’Ani, entre autres, disent par erreur que Romain donna sa
fille en mariage à Pakarat IV. Hélène n’était que sa nièce.
[42] Peut-être seulement cousine et non sœur de
la nouvelle reine Hélène d’Ibérie.
[43] Et non « à un petit prince d’Arménie », comme le
dit faussement Muralt pour avoir mal lu un passage de Cédrénus.
[44] Voyez le récit de la réception d’un ambassadeur
byzantin à la cour du Khalife à Bagdad dans l’Histoire de Bagdad par El
Kâtib el Bagdadi, ms. 2628 du fonds arabe de
[45] Le 29 novembre de cette année 1031 était mort le
vingt-cinquième Khalife abbasside de Bagdad, El-Kadir, âgé de presque
quatre-vingt-sept ans, après près de quarante et un ans de règne. Son fils Abou
Djafar Abdallah Ibn El-Kadir Alkaïm Biamrillah, qu’il avait dès l’année
précédente associé au trône, lui succéda. Celui-ci fut obligé de vendre tous
ses trésors pour satisfaire à la cupidité de ses mercenaires turcs qui
maintenaient à Bagdad la p!us désolante anarchie. C’est sous son règne agité
que la puissance déjà si profondément abaissée des Bouildes devait faire place à
celle des Seldjoukides eux-mêmes si rapidement vainqueurs des Ghaznévides.
[46] La muraille de Justin Ier est encore
debout aujourd’hui.
[47]
[48] Skylitzès le nomme « Apomermanes ». La dynastie
des Merwanides, d’origine kurde, avait enlevé de force aux Hamdanides d’Alep
les villes de Diar-Bekir, Mayyafarikin, Hisn-Kaïfa, et plusieurs autres dans
les contrées environnantes. Elle possédait encore Manaskerd, Khelat et
Ardjesch, ainsi que tout le pays situé au nord-ouest du grand lac de Van.
[49] En arabe, chef, préfet. Ce titre, dit E.
Dulaurier, désignait spécialement un chef de tribu kurde.
[50] Aboulfaradj dit que Bar Othéïr
(Outaïr) rendit sa citadelle pour la somme de vingt mille sous d’or, plus
quatre bourgs en territoire de l’Empire. Voyez plus loin la version d’Ibn el
Athir. —Sur toutes ces luttes obscures
entre ces chefs arabes qui se disputaient Édesse, voyez Yahia.
[51] A quatre-vingt-dix kilomètres environ à l’est de
la ville actuelle de Biredjik sur l’Euphrate.
[52] Gindler dit que l’église principale d’Édesse
était dédiée à
[53] C’est
[54] Peut-être faut-il lire Dispon, dit É. Dulaurier,
c’est-à-dire Ctésiphon.
[55] Paçara.
[56] Ces détails si précis, cette longue énumération
sont la preuve aussi que Mathieu d’Édesse décrivait cet incident guerrier si
étrange en s’aidant de sources plus anciennes fort bien informées.
[57] Mathieu d’Edesse affirme cependant que les
supplications des habitants de la ville arrêtèrent ce grand incendie.
[58] Le récit de tous ces faits dans les historiens
arabes Ibn el Athir, Aboulféda, Aboulfaradj, El Ami et En Nowaïri, ces quatre
derniers suivant simplement le premier, est quelque peu différent. Aboulfaradj,
qui place ce siège d’Édesse à l’année 421 de l’Hégire (
Ibn al Athir fait le récit suivant: La cause de la prise
d’Édesse fut celle-ci: Edesse appartenait à Nasser Eddaulèh ibn Merwân. Quand
Othéïr eut été tué qui possédait cette ville, Saleh Ibn Mirdas, émir d’Alep,
intervint auprès de Nasser Eddaulèh pour qu’il rendit une moitié d’Edesse au
fils d’Othéïr et l’antre moitié à celui de Chibl. Nasser Eddaulèh y consentit
et leur livra la ville. Il y eut donc deux châteaux forts dans Édesse. Le fils
d’Othéïr prit le plus grand et celui de Chibl le plus petit, et la ville
demeura ainsi partagée entre eux jusqu’à l’an 422 de l’Hégire. Et le fils
d’Othéïr envoya vendre sa part au basileus Romain pour vingt mille dinars et
plusieurs villages ou localités dont une s’appelle encore de nos jours Siun Ibn
Outaïr. Et les Grecs reçurent ce château et occupèrent la ville et les
partisans du fils de Chibl s’enfuirent. Les Grecs massacrèrent les Musulmans et
ravagèrent les mosquées. » —Le reste du récit ne diffère pas
de celui de Mathieu d’Édesse. —Ibn el Athir dit encore que
l’église dans laquelle les Chrétiens se réfugièrent était aussi vaste que
superbe. Il ajoute qu’à l’approche de l’armée de secours musulmane les
partisans d’Ibn Merwân avaient pris la fuite et qu’Ibn Waththâb En Nowaïri
refusa de leur donner libre accès en pays musulman. « Il les refoula du
côté de Harran et de Saroudj et leur imposa un tribut. » —Le récit de la conquête d’Edesse par les Grecs se retrouve encore,
ruais bien plus abrégé, dans Skylitzès et consécutivement dans Cédrénus.
[59] Voyez la description de cette formidable
citadelle dans Ginder. A l’époque des Croisades, cette forteresse s’appelait
encore « Maniakès » en souvenir du héros byzantin. (Rec. des hist. des
Croisades; Hist. armén.)
[60] Peut-être l’émir Chibl d’Alep.
[61] Le 3 janvier de l’an 1032 mourut Zacharie,
patriarche jacobite. Il fut remplacé au bout de soixante-sept jours par Sanouth
qui rendit les dignités ecclésiastiques.
[62] Yahia parle de deux lettres, une d’Abgar au
Christ et une autre qui était la réponse du Christ, toutes deux sur parchemin,
toutes deux écrites en langue syriaque.
[63] Voyez dans Rambaud l’histoire de cette
translation fameuse qui mit en mouvement toutes les populations de l’empire.
[64] Suivi naturellement par Cédrénus.
[65] Peut-être pour venger l’affront de la première.
[66] Aujourd’hui Orikhova.
[67] Ibn el Athir fixe cependant à cette date (année
422 de l’Hégire) la prise par les Grecs de la place forte d’Apamée de Syrie.
Voici le paragraphe consacré à cet événement par le chroniqueur arabe: « Cette
année-là les Grecs s’emparèrent de la forteresse d’Apamée de Syrie. Voici
comment: le Khalife d’Égypte; Al-Zahir, envoya vers
[68] Hopf pense qu’il faut lire plutôt « stratigos de
Naupacte ».
[69] Op. cit., éd. Dulaurier, p. 51: année de
l’ère arménienne 480 (
[70] Seulement après trois ans de ravages en Asie
mineure un vent véhément enleva ces insectes destructeurs et les noya dans
l’Hellespont, d’où les eaux les rejetèrent en amas sur les sables du rivage. Au
dire de Skylitzès elles restèrent endormies deux ans, puis, réveillées, recommencèrent
à tout dévorer. C’en étaient plus probablement d’autres. Celles-ci, ayant
encore détruit durant trois autres années toutes les productions des anciennes
provinces de Lydie et de Phrygie, s’en allèrent périr près de Pergame.
[71] Zonaras dit que ce tremblement de terre jeta bas,
à Constantinople, sur la rive d’Asie, les hospices réservés aux lépreux et aux
malades atteints du mal sacré, c’est-à-dire les épileptiques. Le basileus
Romain fit reconstruire ces pieuses maisons, comme aussi les aqueducs également
éboulés. Le mardi
[72] Cette inscription hostile aux chrétiens, encore
aujourd’hui subsistante, pourrait être attribuée au Khalife dément, leur
impitoyable adversaire.
[73] Il y eut encore le 28 février de
cette année un phénomène céleste effrayant, un bolide ou astre allant du nord
au
[74] Ou encore: Conseils et récits d’un grand
seigneur byzantin au XIe siècle.
[75] On se rappelle que le noble auteur de ce traité
manuscrit récemment retrouvé illustre ses récits de guerre, d’éducation
familière et de morale, par des exemples empruntés le plus souvent aux
souvenirs personnels de sa vie militaire ou de sa vie à la cour.
[76] C’est ainsi que l’écrivain anonyme orthographie
le nom déformé de l’émir de Tripoli.
[77] Ceci se rapporte au premier voyage de l’émir à
Constantinople, dont j’ai parlé dans ce présent volume.
[78] Le Pont-de-fer, « Djisr el-Hadid » des Arabes est
aujourd’hui encore connu sous ce nom Construit sur l’Oronte, à trois heures
d’Antioche sur la route d’Alep, il est très fréquemment mentionné par les
auteurs arabes.
[79] Chrysopolis, on le sait, n’est autre que
[80] Voyez un Chrysélios, dynaste de Dyrrachion.
[81] Skylitzès appelle constamment les Turcs des «
Perses ».
[82] Je possède dans ma collection le sceau d’un
Pégonitès. Voyez Sigill. Byz.
[83] Et non la garde impériale, ce qui serait la plus
absurde des confusions. Voyez Wassiliewsky,
[84] Voyez Ibid., 1er article, pp.
t37 sqq. – Skylitzès et Glycas racontent comme digne de mémoire l’histoire,
tout au début du règne de Michel IV, dans la première année d’un soldat
varangien « parmi ceux qui, cantonnés en « Lydie », c’est-à-dire dans le thème
des Thracésiens, étaient, à cet effet, dispersés dans ces régions », lequel
tenta de violer une femme de ce thème qui résistait à ses instances. Celle-ci,
ayant arraché du fourreau sa hache d’armes, le tua en la lui enfonçant dans le
cœur. Ses compatriotes assemblés donnèrent raison à la femme, à laquelle ils
rendirent honneur solennellement. Quant à lui, le considérant comme s’étant
suicidé, ils refusèrent de l’ensevelir honorablement et enfouirent simplement
son cadavre, faisant don de tout ce qu’il avait possédé à celle qui avait su si
vaillamment lui résister. « Nous avons ici, dit M. Wassiliewsky, la plus
ancienne mention connue dans l’histoire de ce nom de « Vaering », depuis si
fameux, et un curieux exemple de la dispersion de cette célèbre milice
étrangère sur toute l’étendue du territoire de l’Empire. —Dans ce même mémoire,
si plein d’indications précieuses (p. 141), et, à propos de ce meurtre peu
important en lui-même, mais qui semble avoir si fort frappé l’imagination des
contemporains, M. Wassiliewsky s’efforce d’attirer l’attention des historiens
sur toute une série de notes contenues dans Skylitzès, pour ces mêmes années,
et qui toutes concernent le seul thème des Thracésiens. C’est ainsi, par
exemple, qu’à cette même année 1034 on voit apparaître dans ce thème des
sauterelles qui le dévastent entièrement, après avoir ressuscité du sable des
rives de l’Hellespont. Ce fait n’a certainement rien que de très naturel,
puisque Skylitzès était originaire de ce thème, mais ces notes sont cependant
trop anciennes pour avoir été recueillies directement par lui. Il vécut à la
fin du xe siècle
seulement; par conséquent il n’est pas possible de lui attribuer la paternité
de notes sur les événements de la première moitié de ce siècle, qui présentent
un caractère tout à fait contemporain. Dans l’historiographie byzantine, dans
celle du xe siècle en
particulier, beaucoup de points demeurent ainsi obscurs et énigmatiques. La
publication du grand ouvrage de Psellos nous a fourni certainement quelque
lumière. Nous en retirerons davantage encore de celle de l’Histoire authentique
de Skylitzès, édition que nous promet le savant éditeur de Psellos. Mais, outre
ces deux chroniqueurs principaux et un troisième, qui est Michel Attaliatès, il
existait encore au xie
siècle un quatrième historien de premier ordre, le Métropolitain Jean Mauropos
d’Euchaïta, dont je parlerai à maintes reprises dans la suite. Son diocèse,
situé dans la région arménienne de l’Empire en Asie, l’ancien Hélénopont,
n’était pas assez éloigné de l’antique Phrygie pour que l’écho des événements
locaux, qui avaient cette province pour théâtre, ne vint pas jusqu’à lui.
Lui-même était le contemporain plus âgé et en même temps le maître de Michel
Psellos, le contemporain aussi du basileus Constantin Monomaque et de
l’invasion des Russes dans les détroits en 1043. Malheureusement, de
[85] Ibn el Athir fait de ces événements lointains un
récit quelque peu différent.
[86] « Pankratios » suivant la forme byzantine.
[87] C’est une erreur. Mariam était non de la race des
Arsacides, mais de l’illustre famille arménienne des Ardzrouniens, propre fille
de Sénékhérim, dernier roi du Vaspouraçan, lequel livra ses États à Basile II
en 1022, lors de la première grande incursion des Turcs Seldjoukides en
Arménie.
[88]
[89] Rambaud, L’Empire grec au dixième siècle «
La dignité du curopalate était en quelque sorte héréditaire dans la dynastie
ibérienne; outre le curopalate de la cour de Byzance, il y avait donc le roi
curopalate d’Ibérie. Il était maréchal honoraire du palais de son suzerain,
comme en France le comte de Champagne, ou comme en Allemagne le comte palatin
du Rhin. »
[90] Sur ce couvent fameux d’Okona, dit M. Brosset (Hist.
de
[91] Voyez Brosset, Explic. des div. inscriptions
géorg., armén., et grecques (Mém. de l’Ac. imp. des Sciences de St Pétersbourg).
L’année manque. Je rappelle que c’est à tort qu’on attribue à Pakarat IV,
curopalate, la fondation de la célèbre cathédrale de Koutats qui fut construite
par son aïeul homonyme, le Pakarat contemporain du grand Basile.
[92] Démétrios, Démétrius.
[93] Anacopi. L’Anapa d’aujourd’hui.
[94] C’est-à-dire « jusqu’à l’époque du biographe de
Pakarat IV ». Le roi Kéôrki Il, fils de ce dernier, reprit cette forteresse sur
les Grecs. Voyez Histoire de
[95] Aschod n’ayant pas régné à Ani, ni par conséquent
dans le district de Chirag, n’est pas compté, dit M. Dulaurier, dans la liste
des souverains Pagratides.
[96] Il y eut en cette année-là 1033, une éclipse de
soleil (Dulaurier, Rech. chronol., etc., p. 287). —A partir de décembre
1033 un vent noir souffla à Nisibe, suivi de fortes pluies et de tremblements
de terre en Egypte et en Palestine, dont j’ai parlé déjà.
[97] Le peuple d’Arménie vénérait Bédros à l’égal d’un
saint et d’un thaumaturge. Tout le clergé était pour lui.
[98] Le malheureux Dioskoros mourut des suites des
sévices qui lui avaient été prodigués par la populace d’Ani.
[99] Voyez dans Trinchera, op. cit., no 23,
p. 24, un document signé par ce catépan Pothos, en date du mois de mars 1032.
Chose assez inexplicable, nous voyons un catépan inconnu dans les textes, le
protospathaire Biccianos, signer un document en date du mois de décembre 1030.
[100] En juillet ou en août.
[101] M. Chalandon estime que Sergios se servit des
Normands pour rentrer dans Naples.
[102] Voyez le détail de ces événements dans Heinemann.
—Voyez le paragraphe relatif à l’importance de cette fondation de la ville
d’Aversa. —M. Chalandon, fait le plus grand éloge des qualités politiques du
normand Rainulfe et attribue à sa conduite habile la plus grande influence sur
la fortune prodigieuse de ses compatriotes en Italie à cette époque.
[103] Probablement Manso IV.
[104] A la fièvre ou à la dysenterie plus probablement.
[105] « Fuit piissimus pater orfanorum, arque
terribilis et sine metu contra Græcos ». (Anon. de Bari).
Tant était universelle l’animosité contre les Grecs!
[106] Et non en 1031, ainsi que le disent
[107] Mort déjà le
[108] Anonyme de Bari.
[109] Beltrani a publié un document conservé aux
archives de Trani, daté de cette cité du mois de mai de l’an 1033, « cinquième
année du règne de notre très saint basileus le seigneur Romain ». Dans le Codice diplomatico
barese sont publiés cinq documents conservés aux archives
de la ville de Bari, datés de cette ville des années 1028, 1030, 1031, 1032 des
règnes de Constantin et de Romain. Il y est question de l’archevêque Byzantios
et du catépan Pothos Argyros qui s’intitule dans un de ces documents, daté de
février 1032, « protospathaire impérial et catépan d’Italie. »
[110] Psellos excelle à ne pas nommer les gens dont il
s’occupe. C’était par prudence très naturelle qu’il agissait de la sorte.
[111] Voici encore deux personnages que nous aurions
intérêt à connaître et dont Psellos nous cache volontairement les noms.
[112] Ce sont là tous les symptômes d’une affection
cardiaque fort avancée on encore d’une affection des gros vaisseaux.
[113] Skylitzès dit qu’auparavant il avait distribué
aux sénateurs la « roga » accoutumée.
[114] Skylitzès dit à tort « le 15 avril ». En cette
année 1034 le Jeudi Saint tombait le 11 avril.
[115] Capasso, Monum. ad neapol,
ducatus hist. pertin., pars prier, Naples, 1885. Trinchera, Beltrani, publient un certain nombre
d’actes conservés aux archives de Naples, de Trani et du Mont Cassin, datés des
années du règne de Romain Argyros. Il y est question, entre autres, du catépan
Pothos Argyros (acte XXIII de Trinchera), d’un certain basileus venu de
Je trouve dans Heyd
l’indication suivante: Saint Etienne, roi de Hongrie, mort en l’an 1038,
contemporain, par conséquent, de Romain Argyros, — avait fait construire à
Constantinople la splendide église de Saint-Étienne. Il y avait donc dans cette
ville, à cette époque, une importante colonie hongroise. Du Cange, Hist. byz. dupl.
comment. illustrata, mentionne cette église, mais rappelle que nous ne
savons rien ni du vocable sous lequel elle fut dédiée ni de l’emplacement
qu’elle occupait. Il semble probable cependant qu’elle dut être consacrée à
saint Étienne.
Voyez sur la
descendance des Argyros, Lebeau et Du Cange, Hist. byz. dupl. Comment.
illustrata, éd. Venise, 1729.
[116] Skylitzès dit expressément que Romain périt
étouffé par les mains criminelles des affidés de Michel, dans la piscine ou «
kolymbitlïra » du Bain du Grand Palais. —Il faut certainement faire toutes
réserves sur le poison lent qui aurait été auparavant administré au malheureux
prince par l’Orphanotrophe poussé à ce qu’on croyait par la basilissa Zoé,
poison qui aurait mis Romain dans cet état de santé languissant. La vérité est
très probablement que le pauvre souverain était atteint d’une maladie chronique
mortelle, quelque affection cardiaque avec complication du côté des gros
vaisseaux et des reins, et que Zoé, trouvant qu’il se mourait trop lentement
pour ses désirs, le fit achever dans le Bain du Palais. Mathieu d’Édesse dit
également que Romain périt victime des embûches de sa femme qui lui fit servir
un breuvage empoisonné. —Arisdaguès de Lasdiverd accuse surtout Michel. —Manassès
se montre très circonspect. « L’empereur, dit-il, fut étouffé par des individus.
»