Deuxième partie
Henri de Bavière, qui avait succédé sous le nom de Henri
II à Othon III sur le trône impérial d’Occident, avait eu des débuts de règne
fort troublés. La mort du jeune héros couronné, en délivrant l’Italie de sa
redoutable présence, cette Italie où il ne laissait pas d’héritier de ses
prétentions, avait fait revivre avec plus d’intensité dans cette contrée tous
les espoirs d’indépendance si longtemps comprimés. Dès les premiers mois de
l’an 1002, le 15 février, Ardouin, le puissant margrave d’Ivrée, s’était fait
proclamer roi d’Italie à Pavie, après avoir soulevé toute A Serge IV succéda, par la violence, au milieu des plus sanglantes émeutes, un laïc, Théophylacte, fils de Grégoire de Tusculum, sous le nom de Benoît VIII. Tous ces papes, depuis la mort de Sylvestre II, jusques et y compris Serge IV, n'avaient régné que par le bon plaisir et sous la brutale tutelle du patrice Jean Crescentius, osant à peine jeter un coup d'œil suppliant du côté de l'Allemagne dont leur rude tuteur n'avait jamais cessé de reconnaître, du moins en apparence, la suzeraineté. Cependant, à partir de la mort de Jean XVIII, le parti allemand, qui avait à sa tête le sauvage comte de Tusculum, avait recommencé à regagner graduellement du terrain. Il arriva enfin de nouveau à la puissance par l'élection de Benoît VIII, dont l'avènement coïncida avec la mort de Crescentius. Henri II d'Allemagne n'était point de l'humeur des Othon. Il ne se trouvait point chez lui en Italie. Malgré la volonté qu'il en avait exprimée, il ne put retourner dans cette contrée que neuf ans après son premier séjour, en l'an 1013. Il voulait se faire couronner empereur à Rome et ramener l'ordre et la paix dans cette malheureuse cité si violemment troublée. Jean Crescentius était donc mort au printemps de l'an 1012, peu avant le pape Serge, et, avec lui, avait succombé la fortune de sa maison qui dut dès lors céder le pas à celle des comtes de Tusculum, chefs de la faction contraire. La papauté fut ainsi délivrée d'un joug terrible et la descente de l'empereur d'Allemagne en Italie s'en trouva étrangement facilitée. Au commencement de l’hiver, l'armée impériale passa les monts. Elle fêta Noël à Pavie au milieu d'un concours immense de princes séculiers et ecclésiastiques. L'inquiet Ardouin dut se contenter définitivement du margraviat d'Ivrée. A Ravenne, l'empereur rencontra le pape du parti tusculan Benoît VIII et présida à ses côtés, dans le courant de janvier, à un concile solennel. Puis, toujours précédé par le pape, le césar germanique marcha sur Rome à la tête de ses belles bandes cuirassées de mailles. Il y reçut un accueil enthousiaste. Toute la population, sortie à sa rencontre, entonnait sur son passage des hymnes de louange suivant le mode antique. Le 14 février il fut couronné dans Saint-Pierre avec la reine Cunégonde. Sévèrement il rétablit l'ordre dans Rome. Puis, rappelé vers le Nord par d'autres soins, il dut repartir en hâte. A Pâques, déjà, il se trouvait à Pavie. En juin, il avait repassé les Alpes. Benoît VIII, auquel sa venue avait rendu la force et le moyen de régner, gouverna dans Rome avec courage et énergie. En 1016 ce pontife intrépide conduisit en personne une flotte contre les Sarrasins.[2] Dans les possessions byzantines d'Italie, nous n'avons que
bien peu d'événements à signaler pour ces premières années du xie siècle,
depuis la délivrance de Bari par la flotte de Venise jusqu'à la révolte de
Mélès qui devait amener les guerriers normands des rivages de France jusque
dans le sud de L'heure des grands événements avait sonné. Les populations
longobardes des thèmes byzantins firent un violent et soudain effort pour
secouer le joug abhorré des Grecs.[10] Depuis longtemps
le feu couvait sous la cendre. Enfin il allait éclater formidablement. En
1009 déjà,[11] au mois de mai,
un des principaux citoyens de Bari, un magnat de vieille et noble race
longobarde,[12] un patriote à
l'âme haute et vaillante, Mélès, Mel ou Melo, que les pèlerins normands
devaient plus tard rencontrer au mont Gargano, résolut, de concert avec son
beau-frère Datto ou Dattus, de reconquérir l'indépendance de sa patrie
toujours plus cruellement exploitée sous le joug devenu intolérable des
rapaces gouvernants byzantins et des mercenaires à leur solde, mercenaires russes,
danois et « gualandes », suivant l'expression de Léon d'Ostie.[13] La révolte
éclata le neuvième jour du mois. Le chef rebelle pénétra de force dans Bari
et réussit même à s'y maintenir quelque temps. Une grande bataille fut livrée
aux environs, à Bitetto.[14] Malgré le
témoignage des Byzantins[15] qui confessent
que les leurs furent battus, massacrés en foule, que l'on ne fit guère de
prisonniers et qu'une partie seulement des vaincus dut leur salut à une fuite
précipitée, il ne semble pas que la fortune se soit en cette journée montrée
entièrement favorable au chef du parti longobard national, car, au dire de Le basileus Basile, plus que jamais retenu dans la péninsule des Balkans par le souci de la guerre bulgare, envoya à Bari, à la place du défunt « catépano » Jean Courcouas, à la tête d'une forte armée, pour tenter encore d'éteindre dans l'œuf cette rébellion naissante, le protospathaire Basile Argyros, dit le Mésardonitès,[19] stratigos du thème de Samos. L'Arménien Léon Tornikios dit, à cause de sa courte stature, Kontoléon, stratigos du thème de Céphalonie, accompagnait le nouveau « catépano » en qualité de second. Les deux chefs byzantins débarquèrent en Italie au mois de mars 1010.[20] Grâce probablement à la diversion causée par les nouvelles incursions des Sarrasins qui s'étaient, on l'a vu, avancés jusqu'à Montepeloso, Mélès, malgré les pertes éprouvées par les siens à Bitetto, avait réussi à se maintenir. Un moment même une très grande partie du territoire byzantin paraît avoir été aux mains des révoltés. Ascoli et Trani, deux villes importantes, se déclarèrent ouvertement pour eux.[21] Mais les patriotes longobards avaient cette fois affaire à un « catépano » énergique. Le 11 avril, Basile Argyros mettait le siège devant Bari qu'occupait encore Mélès et bloquait cette ville sur tout son pourtour. Après deux mois de lutte ardente le courage des défenseurs mollit. Ils se montrèrent disposés à implorer la grâce du basileus et à la payer de la vie de leur chef. Ainsi entouré de traîtres qui ne songeaient qu'à le livrer, l'intrépide partisan dut fuir. Il sortit secrètement de la ville avec son beau-frère Datto, son plus fidèle ami, et courut d'abord à Ascoli. Mal à l'abri des entreprises des Grecs, il chercha vainement à y réorganiser la défense. Au bout de peu de jours il dut fuir plus loin, à Bénévent d'abord, dont le prince, vainement sollicité par lui, refusa de prendre les armes, puis à Salerne, où il implora tout aussi inutilement le secours de Guaimar IV qui, dans cette même année 1011 ou 1012, en octobre, reçut dans sa ville le « catépano » Basile, à Capoue enfin où les deux partisans s'arrêtèrent auprès du prince Pandolfe II.[22] Celui-ci, bien qu'il ne se montrât pas davantage disposé à dégainer en leur faveur,[23] leur accorda toutefois asile et protection contre la vengeance des Grecs. Personne ne prêtait l'oreille aux supplications des deux patriotes, personne n'osait les soutenir contre le puissant empereur d'Orient parmi ces princes qui les avaient secrètement appuyés tant qu’on avait pu croire qu'ils seraient vainqueurs. Le « catépano » Basile entra dans Bari aussitôt après l'évasion de Mélès, en juin 1011, après soixante et un jours de lutte. Il y rétablit immédiatement le siège du gouvernement impérial.[24] Maralda, soeur de Pandolfe de Bénévent, épouse de Mélès, et son fils Argyros, celui-la même, qui devait reprendre beaucoup plus tard, avec un bien autre succès, l'oeuvre paternelle, livrés par les lâches compagnons du fugitif, tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Le « catépano » les envoya captifs à la cour de Constantinople. Tant de coups douloureux, ce complet désastre apparent, rendirent l'indomptable Longobard plus implacable encore dans ses projets de vengeance et de revanche. De 1011 à 1017, on le voit cherchant partout des alliés, nullement, découragé par ces premiers insuccès. On le voit enfin reprendre la lutte. Il ne semble cependant pas qu'il ait réussi à gagner à sa cause l'empereur Henri lors du séjour que celui-ci avait fait à Rome en 1014.[25] Enfin le pape Benoît VIII, ce pontife à l'âme résolue, prêtre guerrier autant qu'administrateur énergique, prêta une oreille attentive aux lamentations de l'intrépide patriote et résolut de le seconder ouvertement de tout son pouvoir dans sa lutte ardente contre les Grecs. Non seulement Datto, qui avait d'abord cherché asile auprès de l'abbé Atenulfe du Mont Cassin, reçut l'hospitalité dans une forte tour mise à sa disposition par le pape, tour bâtie jadis sur le Garigliano pour repousser les agressions sarrasines, et qui pouvait être une base d'opérations excellente pour quelque nouvelle levée d'armes longobarde, mais encore Benoît VIII s'apprêtait à procurer à Mélès l'appui tout-puissant d'un peuple guerrier, dont on commençait à peine à prononcer le nom en Italie et qui allait rapidement y prendre une situation prépondérante. C'est au Mont Gargano que le courageux patriote allait gagner l'aide infiniment précieuse de ces auxiliaires inattendus. Il est temps de parler enfin de ces Normands, de ces guerriers fameux qui vont tout à coup jouer le premier rôle dans l'Italie méridionale. « Deux curieuses légendes que je vais raconter, dit l'abbé Delarc, projettent une vive lumière sur les origines des émigrations des Normands français en Italie: Au nord de la terre de Bari, la côte orientale de l'Italie, ordinairement unie et dominant à peine de quelques mètres le niveau de la mer, se relève brusquement et forme le massif du Mont Gargano qui s'avance assez profondément dans l'Adriatique. Dans les premières années du vie siècle, les vallées et les collines de ce massif nourrissaient les nombreux troupeaux d'un homme riche que la légende appelle aussi Garganus. « Un jour le taureau d'un de ces troupeaux ayant disparu, les bergers et leur maître se mirent à sa recherche et le trouvèrent au sommet de la montagne, accroupi devant une caverne. On essaya de le ramener, mais inutilement. Alors Garganus, furieux de cette résistance, prit un javelot et le lança contre le taureau; le trait partit et, quoique sa pointe fût acérée, au lieu de frapper l'animal, revint frapper celui qui l'avait lancé. « Ce prodige confondit les assistants qui allèrent consulter leur pasteur, Laurent, évêque de Siponto, pour savoir ce qu'il signifiait. L'évêque prescrivit un jeune de trois jours, et, la pénitence terminée, eut une vision. L'archange saint Michel lui apparut, lui dit qu'il était l'auteur du prodige et qu'il voulait que la caverne devant laquelle le taureau était accroupi lui fût consacrée. Evêques et fidèles se conformèrent aux ordres de l'archange, et, peu après, une basilique dédiée à saint Michel s'éleva à l'endroit indiqué. Elle ne tarda pas à être visitée par de nombreux pèlerins qui, ayant eu connaissance du miracle, accoururent de toutes parts pour invoquer saint Michel dans son nouveau sanctuaire. « Depuis cette époque, à travers tout le Moyen âge jusqu'à nos jours, d'innombrables foules, venues de tous les pays de la chrétienté, ont gravi les pentes du Gargano et sont allées s'agenouiller devant l'autel de l'archange. « Jadis, le pèlerin venu à Rome prier sur le tombeau des apôtres, n'oubliait jamais de traverser les vallées des Apennins pour implorer l'archange dans son sanctuaire:[26] « Au commencement du viiie siècle, deux cents ans environ après
l'apparition de saint Michel sur le Mont Gargano, vivait à Avranches, sur les
confins de « Une nuit, l'archange saint Michel apparut à Aubert pendant qu'il dormait et lui prescrivit de bâtir un sanctuaire qui lui fût dédié et où il recevrait des honneurs analogues à ceux qu'on lui rendait au Mont Gargano. L'archange ajouta que cette église devait être construite sur une magnifique élévation rocheuse qui se dressait au bord de la mer, à peu de distance d’Avranches. Actuellement, la marée montante entoure deux fois par jour de ses flots ce Mont Tombe, ainsi nommé parce qu'il ressemble à un gigantesque tumulus élevé à la mémoire de quelques héros des temps antiques Plus difficile à convaincre que l'évêque de Siponto, l'évêque d'Avranches n'obéit pas à la première injonction de saint Michel. Aussi une seconde et une troisième fois l'archange lui renouvela ses ordres, et, pour venir en aide à sa foi, lui prouva d'une manière sensible qu'il n'était pas le jouet d'une illusion. A cette même époque, un malfaiteur, voulant s'approprier le taureau de l'un des troupeaux qui paissaient sur le Mont Tombe, l'amena clandestinement et l'attacha dans une caverne au sommet du mont: il espérait le garder et le nourrir pendant quelque temps dans cette caverne, et, lorsqu'on ne le chercherait plus, l'en faire sortir pour le conduire au loin. « Saint Michel instruisit Aubert de ce qui se passait et lui dit de faire élever la future église au-dessus de la caverne où se trouverait le taureau. L'évêque se rendit avec les fidèles à l'endroit indiqué, y découvrit en effet l'animal, et alors, ne doutant plus, commença les préparatifs pour bâtir le sanctuaire. Il voulut que le nouveau temple eût les dimensions et la forme de celui du Mont Gargano et ne contînt également que cent personnes, « En même temps, Aubert envoya en Italie quelques clercs demander aux prêtres qui desservaient l'église du Mont Gargano une portion du manteau rouge laissé par saint Michel lors de son apparition et un fragment de la table de marbre au-dessus de laquelle il avait daigné se montrer à l'évêque de Siponto. Les clercs réussirent dans leur mission, et; lorsque, après une absence d'un an, ils regagnèrent le Mont Tombe, avec ces reliques, leur retour, signalé par plusieurs miracles, fut une marche triomphale. Le sanctuaire construit par les soins d'Aubert ne tarda pas à avoir dans les Gaules l'importance que celui du Mont Gargano avait en Italie; le Mont Tombe changea de nom pour devenir le Mont Saint-Michel, et les rois comme les sujets, les riches comme les pauvres, les clercs comme les simples fidèles, s'y rendirent tour à tour pour implorer l'assistance de l'Archange et vénérer les reliques apportées du Mont Gargano. » « Telles sont les deux légendes; la seconde s'inspire
visiblement de la première, et l'une et l'autre, comme l'ont remarqué les
Bollandistes, ne peuvent, sur bien des points, résister aux attaques de la
critique, mais elles n'en établissent pas moins d'une façon certaine qu'au viiie siècle,
malgré un éloignement d'environ quatre cents lieues, il a existé de curieux
rapports entre le pays que nous appelons maintenant « Au ixe et au xe siècle, les relations entre le Mont Saint-Michel et le Mont Gargano ne furent pas interrompues; les courageux pèlerins — et ils étaient encore assez nombreux — qui, malgré les malheurs des temps et le peu de sûreté des routes, visitaient les lieux les plus vénérés de l'Orient et de l'Occident, comprenaient presque toujours dans leur itinéraire d'Italie et des Gaules Rome et le Mont Gargano, Saint-Martin de Tours et le Mont Saint-Michel, et ils allaient de l'un à l'autre de ces sanctuaires, apportant des nouvelles des pays lointains, parfois même des correspondances. « Pendant longtemps, les nouvelles ainsi transmises d'un
sanctuaire à l'autre durent être tristes et peu rassurantes, car les deux
promontoires illustrés par la dévotion envers saint Michel subirent de rudes
épreuves. En Italie, sans parler des guerres entre les Longobards, les Grecs et
les populations indigènes qui se disputaient le Sud de « Le Mont Saint-Michel recouvra bien avant le Mont Gargano des jours calmes et prospères. Rollon, reconnu duc de Normandie par Charles le Simple, passa le reste de sa vie à organiser son duché. Devenus chrétiens, les terribles Normands se civilisèrent et furent bientôt complètement métamorphosés. « Toutefois cette transformation ne fit pas disparaître certains côtés du caractère normand qui persistèrent durant tout le Moyen âge, surtout une humeur batailleuse très prononcée, presque toujours accompagnée d'une magnifique bravoure, aussi le goût des longs voyages et des périlleuses aventures. Sous l'influence du christianisme, ce dernier goût se traduisit souvent par d'interminables pèlerinages aux sanctuaires les plus vénérés de l'Orient et de l'Occident; mais c'étaient la plupart du temps de singuliers pèlerins que ces Normands; leur robe de pénitence recouvrait une cotte de mailles et à côté de leurs bâtons. Ils avaient une bonne et lourde épée dont ils se servaient à l'occasion. « Dès leur première initiation au christianisme, les
Normands eurent une dévotion particulière à saint Michel. Dans leur
imagination, l'Archange à l'épée flamboyante remplaçait les divinités
guerrières du Nord, auxquelles ils avaient dit adieu lorsqu'ils avaient été
régénérés dans Peau du baptême. Aussi, à peine maîtres de « Un poète du xie siècle, Guillaume de Pouille, nous a conservé le souvenir de l'un de ces pèlerinages des Normands au Mont Gargano, et ce souvenir est d'autant plus précieux à recueillir que ces pèlerins, on va le voir, furent la première avant-garde des expéditions des Normands en Italie. Voici la traduction des vers latins de Guillaume de Pouille; c'est le début même de son poème sur les exploits de Robert de Guiscard:[27] « Les poètes de l'antiquité ont chanté les hauts faits des capitaines de leur temps; j'entreprends à mon tour, moi, poète moderne, de célébrer les actions de ceux qui ont illustré mon époque. Mon but est de raconter comment les Normands sont venus en Italie, comment ils s'y fixèrent et sous la conduite de quels chefs ils ont triomphé du Latium. « Lorsque le Souverain Seigneur, qui préside à la
succession des empires comme à la succession des temps, eut décidé que les
Grecs, depuis longtemps maîtres de Nous touchons au moment décisif; voici la suite de ce curieux récit: « Quelques-uns de ces Normands ayant gravi les cimes du
Mont Gargano pour accomplir un vœu qu'ils avaient fait, ô archange saint
Michel! rencontrèrent un homme nommé Mélès, revêtu du costume grec. Ce
costume qu'ils ne connaissaient pas, surtout le turban, attira leur attention
et ils demandèrent à Mélès qui il était. Il leur répondit qu'il était
Longobard et citoyen libre de la ville de Bari mais que la cruauté des Grecs
l'avait obligé à s'exiler de sa patrie. Comme les Gaulois s'apitoyaient sur
son sort: « Oh! ajouta-t-il, comme, il me serait facile de rentrer dans ce
mon pays, si quelques-uns de vos compatriotes voulaient nous prêter leur
concours. » Et il leur assurait que les Grecs prendraient rapidement la fuite
en face de pareils hommes. Le Normands s’empressèrent de répondre à Mêlés
que, dès qu'il leur serait possible de revenir, ils accéderaient à sa demande
et, rentrés dans leur patrie, ils exhortèrent en effet leurs proches à se
rendre avec eux en Italie. Ils leur vantaient la fertilité de « Il est factieux, dit ici M. l'abbé Delarc, que Guillaume de Pouille n'ait pas donné des détails plus circonstanciés sur ces pèlerins au Mont Gargano; s'il l’avait fait, au lieu d'émettre une conjecture, peut-être pourrions-nous affirmer que ces pèlerins n'étaient autres que les quarante Normands qui, à la même époque, revenant d'un pèlerinage à Jérusalem, passèrent par Salerne et contribuèrent puissamment à délivrer cette ville assiégée par les Sarrasins. Cet exploit a été raconté par un bénédictin du Mont Cassin, le moine Aimé, auteur d'une histoire latine des Normands d'Italie, malheureusement perdue, mais dont il reste une vieille traduction française faite au xiiie siècle. Le récit d'Aimé, reproduit en français, est ainsi conçu:[28] « Avant l'an 1000 de l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le sein de la Vierge Marie,[29] apparurent dans le monde quarante vaillants pèlerins; ils venaient du Saint Sépulcre de Jérusalem adorer Jésus-Christ et arrivèrent à Salerne au moment où cette ville, assiégée vigoureusement par les Sarrasins, était sur le point de se rendre. « Avant cette époque, Salerne était tributaire des Sarrasins, et lorsqu'elle retardait le payement du tribut annuelles Sarrasins arrivaient aussitôt avec une nombreuse flotte, prélevaient des impôts, tuaient des habitants et dévastaient le pays. Ayant appris cela, les pèlerins de Normandie furent irrités de tant d'injustice de la part des Sarrasins et de ce que des chrétiens étaient leurs tributaires; aussi allèrent-ils trouver le sérénissime prince Guaimar[30] qui gouvernait Salerne avec un grand esprit de justice et lui demandèrent des armes et des chevaux pour combattre les Sarrasins. Ils lui dirent qu'ils n'agissaient pas ainsi pour avoir une récompense, mais parce qu'ils ne pouvaient supporter la superbe des Sarrasins. Quand ils eurent obtenu ce qu'ils demandaient, ils assaillirent les Sarrasins, en tuèrent un grand nombre, et les autres prirent la fuite vers la mer ou dans la campagne, si bien que les Normands restèrent vainqueurs et que les Salernitains furent délivrés de la servitude des païens. « Le prince et tout le peuple de Salerne remercièrent grandement les quarante pèlerins normands dont la bravoure venait de remporter une si brillante victoire; ils leur offrirent des présents et leur en promirent de plus riches s'ils consentaient à rester dans le pays pour défendre les chrétiens. Mais les Normands, n'ayant agi que pour l'amour de Dieu, ne voulaient rien accepter, et s'excusèrent de ne pouvoir se fixer à Salerne. Alors les Salernitains remirent des messages aux Normands victorieux; ils leur donnèrent des citrons, des amandes, des noix confites, des manteaux impériaux de soie, des instruments de fer incrustés d'or, afin d'inviter leurs compatriotes à s'établir dans un pays qui produisait le lait et le miel et toutes ces belles choses. Revenus en Normandie, les pèlerins vainqueurs rendirent en effet le témoignage qu'ils avaient promis de rendre; ils invitèrent tous les seigneurs normands à venir en Italie et quelques-uns prirent la résolution et eurent le courage d'y aller à cause des richesses qui s'y trouvaient.[31] » « Il y a évidemment un parti pris d'exagération, dit fort bien, l'abbé Delarc, dans ce récit d'Aimé, car il est bien peu probable que quarante pèlerins normands aient été, comme il le suppose, seuls à combattre et à vaincre une armée de Sarrasins. Ils n'ont dû agir dans cette affaire que comme de valeureux auxiliaires de Guaimar et des Salernitains dont le rôle est complètement passé sous silence par le chroniqueur bénédictin. Ces réserves faites, il faut reconnaître qu'Aimé a été sur ce point le fidèle écho d'une tradition normande; la preuve en est qu'un autre historien, Orderic Vital, qui vivait en Normandie au xiie siècle et ne connaissait pas l’ouvrage d'Aimé, a aussi raconté cette délivrance de Salerne avec l'aide des Normands. Différentes sur des détails secondaires, les deux narrations sont identiques sur le fond.[32] De tous ces récits contemporains plus ou moins dénaturés,
il ressort du moins la constatation de ce fait capital qu'un appel rendu
séduisant par la perspective de richesses à conquérir et de triomphes faciles
à remporter, fut donc fait en 1016 aux hommes d'armes de Il est temps de raconter le premier exode sérieux des guerriers de Neustrie vers les provinces byzantines de l'Italie du Sud.[33]C'est toujours encore au livre de l'abbé Delarc que j'emprunte la suite de ce récit. « Vers l'an 1015, deux chevaliers normands, Gilbert Buatère et Guillaume Répostelle, s'étant pris de querelle, parce que Guillaume s'était vanté d'avoir eu les faveurs de la fille de Gilbert, celui-ci tua son adversaire à la chasse en le jetant dans un précipice. Le duc Richard, qui affectionnait Guillaume Répostelle et voulait éviter le renouvellement de pareilles scènes, résolut de venger cette mort, et Buatère, craignant le ressentiment de son souverain, songea aussitôt à quitter le pays et à venir dans cette Italie dont on disait tant de merveilles, il s'entendit avec d'autres Normands qui avaient aussi maille à partir avec le duc Richard, notamment avec Rainulfe, Aséligrine ou Aselitine, Osmude, Lofulde, qu'Aimé dit être quatre frères de Buatère, aussi avec Gosmann, Rufin, Stigand et Raoul de Toëni, et tous ensemble, accompagnés de leurs hommes d'armes, prirent le chemin de l'Italie.[34] « La petite troupe, qui paraît avoir été sous la direction
de Raoul de Toëni, vint à Rome et fut bien accueillie par Benoît VIII. Ce
pape, résolu et entreprenant, issu de l’illustre famille des comtes de
Tusculum, et qui, à travers la barbarie des temps et malgré sa propre
rudesse, a signalé son règne par de sérieuses réformes, s'efforçait à ce
moment d'améliorer la situation morale et politique de l'Italie. Constamment
préoccupé de renouveler et d'étendre la puissance extérieure de l'Eglise, il
avait avant tout restauré l'autorité pontificale dans Rome. Avec l'aide de « Dès longtemps, les Papes, se fondant sur les privilèges
impériaux, élevaient au nom de l'Eglise romaine des prétentions sur toute une
série de possessions dans l'Italie méridionale, possessions qu'ils n'avaient
aucun moyen d'occuper eux-mêmes. Avec un sens politique très juste, Benoît
comprit que le moment psychologique était peut-être venu, en s'immisçant aux
difficultés dans le Sud de « Mélès et les patriotes italiens, révoltés contre la tyrannie byzantine, n'étaient point des auxiliaires à dédaigner pour le but que Benoît VIII se proposait. L'infatigable partisan, nullement découragé par sa défaite, et qui, de 1013 à 1017, s'était acharné à chercher partout dans l'Italie méridionale des alliés pour recommencer la lutte,[37] avait saisi avec empressement l'occasion de la présence des pèlerins normands au Mont Gargano pour les engager à se joindre à lui contre les Grecs. Le pape Benoît VIII, prenant ouvertement parti pour le chef de la révolte d'Apulie, l'encouragea dans ses projets de revanche; aussi lorsque Raoul de Toëni et ses compagnons d'armes arrivèrent à Rome au milieu des horreurs d'un hiver très rigoureux,[38] le pape, saisi d'admiration à la vue de ces superbes guerriers « aux regards pleins de décision et d'audace », les engagea vivement à se joindre à Mêlés contre les Byzantins, et les chevaliers normands, contents de son approbation et de ses encouragements, prirent aussitôt le chemin de l'Italie du Sud, où ils se rencontrèrent déjà en Campanie, dans la vieille cité de Capoue, avec Mêlés, « car celui-ci continuait à trouver dans cette ville un refuge auprès du prince Pandolfe, attendant une occasion favorable pour recommencer la lutte contre les Grecs. » Benoît avait plaintivement expliqué à ces guerriers « comment la race fourbe et efféminée des Grecs régnait encore injustement sur le sol italien, » et, pour les encourager à leur enlever l'Apulie, les avait, adressés à Mêlés. Il espérait, en soutenant cette résistance armée des populations d'Italie contre la suprématie de l'empire byzantin, en arriver à une extension et à un renforcement de l'Eglise romaine dans ces contrées jusque-là soumises aux Grecs. Mélès reçut les Normands comme des libérateurs qui allaient lui rouvrir les chemins de la pairie; il les prit à son service aussitôt, les fournit d'armes, puis, dès que des engagements eurent été signés de part et d’autre, il se hâta d'aller à Salerne et à Bénévent, où régnait toujours Guaimar IV avec son fils Jean III pour associé, pour y convoquer, d'accord avec les princes longobards de ces cités, surtout avec Guaimar, les hommes d’armes qui, par amitié pour lui ou par haine contre les Grecs, lui avaient promis de faire partie de l'expédition. Au printemps de 1017, en mai, la petite armée normande et longobarde
de Mélès se mit en marche de Bénévent vers le nord de Franchissant la frontière grecque, elle envahit Le moment était bien choisi. Basile Argyros, le
Mesardonitès, « catépano » depuis 1010 ou 1011, était mort dans le courant de
l'année 1016, à Bitonto.[40] On possède
encore de ce personnage plusieurs chartes grecques originales, dont j'ai déjà
cité une de l'an 1011. Une autre, du mois d'août de cette présente année
1016, est conservée aux archives du Mont Cassin. Par ce document, ce haut
fonctionnaire, qui signe « Basile Mesardonitès, protospathaire et catépano
d'Italie, » déclare avoir reçu d'un certain Cinnamos Kalligraphos, la
somme de trente-six sous d'or, pour le tribut du Kastellion Pelagianon.[41] Basile avait été
remplacé, à Bari, au dire de « Dès que le nouveau « catépano », dit le poète normand,
eut appris l'arrivée des féroces Gaulois conduits par Mélès qui, traître aux
deux empereurs, ses maîtres, avait livré « On était dans le mois de mai, cher au dieu Mars,
poursuit le chantre de l'épopée normande, pendant lequel les rois ont coutume
de commencer leurs expéditions militaires. » Cette première bataille
d'Arénula demeura indécise. Léon Tornikios étant venu rejoindre son
lieutenant avec des troupes fraîches, une nouvelle lutte acharnée eut lieu le
22 juin[46] un peu plus bas
sur le Fortore, à Cividale dans Dans cette seconde bataille, « le catépano » fut vaincu et
mis en fuite. Son lieutenant fut tué[48] Cette grande
victoire accrut fort le courage des Normands et de leurs alliés et les rendit
pour un espace de deux années maîtres de toute la plaine, de D'après Léo de Marsi et la plupart des sources d'origine
normande, la bataille d'Arénula aurait été déjà un premier succès des
envahisseurs du Nord.[49] En tous cas, la
position de Cividale dans Les vainqueurs poursuivirent leur marche vers le Sud. Une
troisième bataille fut livrée à Vaccaricia, aux environs de l'église de
Sainte Augusta, maintenant Biccari, au nord-ouest de l'emplacement où devait
bientôt s'élever la nouvelle Troie. Cette dernière rencontre fut encore
fatale aux Grecs, qui avaient tout fait pour s'opposer à la marche en avant
de leurs ennemis. Mélès et ses rudes alliés furent entièrement vainqueurs. Ce
dut être dans le courant de juillet. Qu'il serait curieux de pouvoir
reconstituer sous ce ciel torride, dans ces plaines infinies, une de ces batailles
étranges et furieuses où toutes les races de l'Orient au service du basileus
de Roum luttaient contre les Longobards rebelles et les chevaliers géants de
Neustrie leurs alliés, où les Northmans de Russie couverts de la cotte de
mailles et du casque combattaient contre d'autres Northmans accourus des
bords de Aussitôt après cette nouvelle défaite, encore dans le
courant de l'été de l'an 1017, le « catépano » Tornikios dit Kontoléon[51] fut rappelé à Constantinople
pour cause d'incapacité et de lâcheté. Cette disgrâce, puis la marche
constamment progressive des Normands dans l'intérieur de Ces succès, remportés avant la fin de l'an 1017, livrèrent
donc au vainqueur tout le nord de Lorsque la nouvelle des premiers succès des Normands dans Une seconde troupe d'émigrants prit donc le chemin de l'Italie. Ceux-ci forcèrent le passage des Alpes au mont Joux[53] et vinrent fortifier la petite armée de Raoul de Toëni qui avait grand besoin de ce secours. Ils durent arriver dans le sud de l'Italie vers la fin de l'an 1018 ou les premiers mois de 1019. D'après Aimé, d'autres Normands, venus de Salerne— probablement ceux que les avances de Guaimar avaient attirés dans cette ville— s'ajoutèrent encore aux soldats de Raoul et de Mélès.[54] Le basileus Basile comprit qu'il fallait à tout prix écraser Mélès et les Normands, sinon que l'Italie serait perdue pour lui. Aussi prit-il toutes les mesures pour assurer enfin la victoire. Le nouveau « catépano » désigné en remplacement de l'incapable Kontoléon, fut un chef plein d'énergie, l'anthypatos Basile Bojoannes ou Bojannes, que les chroniques latines appellent Bugien.[55] Lui et son lieutenant le patrice Abalantios, débarqués en décembre 1017[56] avec des subsides très importants, amenèrent une armée si considérable qu'Aimé compare le nombre de ses lances à celui des roseaux qui croissent dans les campagnes. « Dans leur camp, dit-il, les Grecs paraissaient des essaims d'abeilles. » Les préparatifs des impériaux durèrent cette fois plus de
dix-huit mois. Durant tout ce temps, Mélès et les siens occupèrent le pays
conquis. Le long retard que les troupes, impériales mirent à reprendre la
campagne contre le chef longobard et ses auxiliaires français semble avoir
été causé surtout par des soulèvements locaux contre la domination impériale
survenus à la suite des trois défaites de l'an 1017, parmi les populations
indigènes de la portion de Une autre préoccupation de Bojoannès, très au courant de
la situation politique dans le Enfin, les deux partis en vinrent de nouveau aux mains. Au
mois d'octobre 1018[61] une dernière et
trop décisive bataille s'engagea entre les contingents du « catépano » et les
bandes de Mélès. Les deux armées combattirent cette fois encore sur la rive
droite de l'Ofanto, sur ces mêmes confins de Le sort de la révolte d'Apulie fut fixé par cette
catastrophe. En un seul jour l'infortuné Mélès perdait tous les avantages
qu'il avait conquis à force de courage et d'opiniâtreté. Il se trouvait même
incapable de poursuivre la lutte. Une fois encore, il dut quitter en fugitif
cette terre de Pouille qu'il avait voulu délivrer de la domination byzantine.
Ne pouvant compter ni sur les princes longobards Pandolfe IV, le nouveau
prince de Capoue, son parent Guaimar de Salerne et ses deux frères Landolfe
prince de Bénévent et l'abbé Aténulfe du Mont Cassin, qui, après la défaite
de Cannes, se rapprochèrent aussitôt des Grecs, ni sur les Normands, alors
trop affaiblis, l'infatigable partisan, accompagné de Raoul de Toëni, par le
Samnium où il s'était d'abord réfugié, se rendit en Germanie pour tenter de
décider l'empereur Henri II, sinon à venir en personne faire la guerre aux
Grecs pour s'opposer à leurs succès toujours croissants, du moins à lui
confier des troupes nouvelles. Il serait curieux de connaître les détails de
ce voyage en Allemagne du courageux chef longobard. Nous ne savons rien,
hélas! sauf qu'Henri II fit dans la vieille et sombre cité impériale de
Bamberg un accueil bienveillant à Mélès et à ses compagnons, et parut
s'intéresser vivement à la délivrance de C'était précisément l'époque la plus triomphante du règne
de Henri II. Après presque vingt années de luttes opiniâtres, ce prince
énergique venait enfin de briser définitivement l'orgueil de ses grands
vassaux et de restaurer la toute-puissance de sa couronne impériale. A l'occasion
des fêtes solennelles célébrées à Pâques de cette année à Bamberg pour la
consécration de la nouvelle église de Saint-Étienne, le pape Benoît, ce
pontife remarquable auquel l'histoire n'a pas assez rendu justice, accourant
à la voix de l'empereur, avait franchi les monts, ramenant probablement avec
lui Mélès, et reçu de Henri un accueil triomphal. Ce fut précisément durant
ces fêtes splendides qui se prolongèrent de longs jours qu'expira le
malheureux chef longobard. Certainement le but du Souverain Pontife en se
rendant en Allemagne sous impression de l'effroi des victoires byzantines,
était de faire comprendre à l'empereur que sa place était maintenant en
Italie pour y restaurer son pouvoir et en chasser les Grecs auxquels le
prince de Capoue venait de se rallier. Benoît tremblait que le rétablissement
de la suprématie byzantine dans le midi de Une charte du « catépano » Basile Bojoannès, dont je
reparlerai plus loin, datée du mois de juin 1019, établit encore que, déjà
avant la bataille de Cannes qui eut lieu en octobre de l'année 1018, un assez
grand nombre de Normands avaient pris service parmi les hommes d'armes des
comtes d'Ariano, à l'est de Bénévent. Ceux-ci, se séparant de leurs
compatriotes, étaient venus, dans les premiers mois de 1019, habiter la ville
naissante de Troja que faisait construire et fortifier le « catépano »
Bojoannès sur l'emplacement alors désert et ruiné de l'antique Aecae ou Ecana
détruite à l'époque des invasions barbares. Ce grand capitaine byzantin,
aussi habile à user de sa victoire qu'à vaincre, destinait cette nouvelle et
formidable forteresse à défendre cette frontière septentrionale des terres
byzantines d'Apulie qu'il venait de reconquérir si brillamment, et à fermer
la route à toute invasion du Nord descendant par les défilés des Apennins
dans ces contrées si facilement accessibles à la révolte et à toutes les
influences hostiles extérieures. « à l'appela de ce nom immortel de Troja, a
dit Fr. Lenormant,[69] par une
réminiscence homérique et sans doute à cause des récits poétiques qui
faisaient venir en Italie les principaux fugitifs d'entre les Troyens. » La
ville destinée à unir définitivement cette portion de Les événements ne tardèrent pas à montrer combien Basile
Bojoannès avait eu raison de construire ces fortifications et de confier,
malgré les réclamations des populations environnantes inquiètes de ce
voisinage, ce boulevard de la domination grecque de Ce ne fut pas assez pour le « catépano » de bâtir Troja.
Toute une série de forteresses secondaires fut élevée par ses soins, tant à
l'ouest qu'au nord, sur la frontière de la principauté de Bénévent, formant
un cercle difficilement franchissable pour l'envahisseur du Nord. Ce fut
alors qu'on vit surgir du sol les fortes places de Dragonara, de Ferentino,
de Civitate sur le Fortore, groupées autour de leur reine à toutes, la
nouvelle Troie.[70] Toutes se
trouvaient achevées dès le courant de l'an 1019.[71] Dès lors, Troja
fut le boulevard de la puissance des basileis dans le nord de l'Apulie.
Aujourd'hui, cette vieille cité ne compte plus guère que six mille habitants.
La voie ferrée qui, à Loggia, quitte le Tavogliere de C'étaient, pour les habitants des provinces byzantines d'Italie, de bien incommodes voisins que ces terribles batailleurs, et leurs appréhensions causées par les nouveaux défenseurs de Troja ne sont que bien naturelles. Basile Bojoannès nous les fait connaître lorsqu'il écrit dans une seconde charte du mois de janvier 1024, également relative à la délimitation du territoire de la nouvelle cité, charte dont la copie se trouve aux Archives royales de Naples,[72] ces paroles qui s'appliquent si bien aux durs Normands: Stratigoti per invidiam accusantes troianum populam dicebant nobis: Populus iste cui eos datis has fines fortis et daras est, qui omnes nos vicinos debellabit, et etiam principes sanctiam imperii interficiet. Nous avons vu qu’un autre groupe normand tenait garnison à la lourde l'embouchure du Garigliano avec Datto, le beau-frère de Mélès. Ceux-ci ne tardèrent pas à courir les plus grands dangers.
Désolé de n'avoir pu s'emparer de Mélès puni lui faire expier sa révolte, le
« catépano » songea à mettre la main sur son beau-frère. Une circonstance
facilita singulièrement cette capture. Après la bataille de Cannes les deux
seigneurs longobards. Aténulfe, l’abbé du Mont Cassin et Pandolfe IV, le
prince de Capoue, avaient fait aux Grecs des avances empressées. Nous avons
vu qu'en retour, le « catépano » avait fait don à l'abbaye du Mont Cassin de
divers immeubles confisqués sur un habitant de Trani, du nom de Maraldus, probablement
un des révoltés de cette ville en 1018. Quant à Pandolfe de Capoue, il avait
envoyé à Bojoannès les clefs d'or de sa ville pour qu'il les fit parvenir à
Constantinople comme preuve de sa soumission aux basileis Basile et
Constantin. Le « catépano » accepta les clefs et récompensa Pandolfe par de
riches subsides. En même temps, il lui fit savoir que s'il était aussi dévoué
qu'il le prétendait aux empereurs, il devait l'autoriser à traverser
librement, avec ses troupes, le territoire de la principauté, pour aller s'emparer
de Datto clans la tour du Garigliano. Pandolfe accorda tout ce qu'on lui
demandait et Bojoannès accourut. C'était en 1021. Attaqué à l'improviste,
Datto se défendit courageusement pendant deux jours au bout desquels il fut
obligé de se rendre avec tous les siens. Le « catépano » voulait faire un
mauvais parti aux Normands qui se trouvaient parmi les prisonniers, mais les
prières instamment réitérées de l'abbé du Mont Cassin l'adoucirent. Il donna
ces Normands à Aténulfe, qui comptait bien les utiliser pour la défense de
l'abbaye. Le malheureux Datto, ramené en triomphe par son vainqueur, fit son
entrée à Bari le Ce n'étaient pas là les seules calamités qui désolaient à
nouveau ces contrées infortunées. Tandis que les armées normandes
commençaient à se montrer petit à petit en Pouille, les révoltés longobards,
éprouvant le besoin d'un secours plus puissant, n'avaient pas hésité, dans
leur haine des Grecs, à appeler une fois encore à leur aide le secours impie
des Musulmans de Sicile. Dans le cours de l'an 1020 nous voyons ceux-ci
aborder en Italie sous le commandement d'un certain chef nommé Rayca,[74] puis attaquer et
prendre sur les pentes septentrionales de On sait qu'au mois de mai de l'an 1019, Djafar, depuis
plus de vingt ans émir de Sicile,[77] après avoir peu
auparavant vaincu et tué son frère Ali révolté contre lui, fut déposé et
chassé par une sanglante sédition du peuple de Palerme. Il se réfugia en
Egypte et fut remplacé en Sicile par son autre frère Ahmed dit Al-Akhal. Les
débuts de celui-ci furent heureux. Il reçut du Khalife Hakem le titre de
Teeid Eddaulèh,[78] restaura la tranquillité
dans son île et inaugura à nouveau la guerre sainte contre les chrétiens. Au
lieu d'envoyer ses lieutenants se battre à sa place, il se mit en personne à
la tête des expéditions de ses troupes en terre ferme et favorisa de tout son
pouvoir les rebelles de Parmi tant de « catépano » de mince valeur, capitaines
inexpérimentés uniquement préoccupés de s'enrichir en pressurant leurs
malheureux administrés, Basile Bojoannès semble avoir fait vraiment
exception. Il fut le seul homme remarquable que les empereurs grecs
chargèrent du gouvernement de leurs possessions italiennes. La confiance
impériale, après tant de changements incessants, le maintint jusqu'en 1025 à
la tête du gouvernement de l'Italie méridionale. Il paraît avoir été un chef
aussi énergique qu'habile, à la fois capitaine audacieux et administrateur
vigoureux. Skylitzès, à propos d'un de ses petits-fils ou neveux son homonyme
vaincu en Apulie en 1041,[79] fait l'éloge de
son heureux gouvernement. Dans cette extraordinaire disette de documents
encore existants de l'administration byzantine de cette époque en Italie,
Basile Bojoannès, dont le nom demeura si célèbre dans Dès avant d'engager la lutte, dit M. Fr. Lenormant, et tandis
que ses adversaires s'attardaient dans les délices des villes qu'ils avaient,
déjà conquises, au lieu de s'occuper à forcer promptement la ligne de
l'Ofanto, Bojoannès avait mûri longuement ses préparatifs. Il avait eu le
temps de rassembler une nombreuse armée, celle qui vainquit à Cannes.
Maintenant l'ennemi, cantonné dans la plaine de Dans le domaine militaire Basile Bojoannès a à son actif,
dès son arrivée dans son nouveau commandement, la réorganisation des forces
byzantines et la répression de la révolte de Trani. Puis vient la grande
victoire de Cannes, puis la défaite et la prise de Datto. Nous allons
maintenant voir l'énergique « catépano » continuer à défendre victorieusement
contre un ennemi autrement redoutable les thèmes confiés à sa garde. La
visite de Mélès et de Raoul de Toëni à Bamberg avait ouvert les yeux à
l'empereur Henri II sur la situation de l'Italie du Sud, qui se séparait de
plus en plus de l'empire d'Occident. Les victoires récentes des Grecs,
l'arrivée de leurs troupes jusque sur le Garigliano, la défection des princes
longobards de Capoue et de Salerne, celle de l'abbé du Mont Cassin, qui,
après la victoire de Bojoannès, s'étaient hâtés de faire leur soumission aux
empereurs d'Orient, la prise de Datto et le châtiment affreux qui lui avait
été infligé, enfin le danger de voir l'Italie centrale, Rome elle-même,
tomber au pouvoir de Constantinople, tout indiquait à Henri II qu'il devait
une fois encore passer les Alpes, s'il ne voulait perdre toute autorité et
toute influence sur les plus belles provinces de l'Italie, qu'il devait avant
tout chasser les Byzantins du sud de Le pape Benoît, de retour de Bamberg où il était allé
supplier l'empereur de lui porter secours et consacrer la cathédrale élevée
parce prince avec tant d'amour, après un séjour auprès de lui à Fulda, était
rentré en Italie dans l'été de l'an 1020. Il ramenait avec lui le Normand
Raoul de Toëni. Plus que jamais il était résolu à reprendre le bon combat
pour la possession de l'Italie méridionale. Seul le corps du pauvre Mélès
était demeuré sur la terre étrangère. Le pape qui rapportait, outre la
promesse d'une prochaine venue de l'empereur, un diplôme célèbre donné à
titre de joyeux départ confirmant à l'Eglise romaine la possession des biens
à elle octroyés par le grand empereur Othon,[81] retrouvait Henri, bien décidé cette fois à substituer définitivement
dans l'Italie méridionale son autorité à celle des Grecs et à venger la
défaite de Mélès, s'était mis en route dans les dernières semaines de cette
année 1021 qui avait vu le supplice de Datto. C'était le troisième voyage de
ce prince en Italie. Franchissant le Brenner, il entra le 6 décembre dans
Vérone et fêta Noël à Ravenne qu'il quitta dans les premiers jours de l'an
1022. Divisant en trois masses ses soixante mille guerriers il en confia onze
mille à Poppo, patriarche d'Aquilée, pour envahir L'évêque Piligrim marcha d'abord sur le Mont Cassin. Aténulfe, songeant avec épouvante que le lieutenant de l'empereur allait, au nom de celui-ci, lui demander compte de son alliance avec le « catépano », de sa trahison envers le pape et de la part qu'il avait prise à la capture de Datto, sans attendre l'arrivée des Allemands, prit en hâte sur les conseils de son frère, le chemin de Constantinople, bien que les comtes des Marses ainsi que les fils de Borellus qui possédaient des châteaux dans les Abruzzes, sur les bords du Sangre, lui offrissent un sûr asile dans leurs forteresses. Il s'enfuit du Mont Cassin vers le 13 mars et s'embarqua à Otrante, malgré les représentations de l’évêque de cette ville qui lui prédisait malheur parce qu'il avait vu saint Benoît en songe. La prédiction disait vrai. L'infortuné Aténulfe fit
naufrage en haute mer par une violente tempête le De peur que Pandolfe ne prit la fuite comme son frère,
Piligrim alla en hâte assiéger Capoue et en fermer toutes les issues.
Pandolfe, après un faible essai de résistance, craignant que ses propres
sujets ne le livrassent à l'archevêque, préféra se rendre à merci. Il vint au
camp allemand et affirma à Piligrim qu'il n'était, pas aussi coupable qu'on
l'avait dit à l'empereur. Il promit de se justifier lorsqu'il serait en la
présence de celui-ci et se déclara prêt à fournir toutes les réparations
nécessaires. Le belliqueux prélat, heureux de ce grand succès, mit garnison
dans Capoue[84] et envoya son
prisonnier sous bonne escorte au camp de l'empereur. Celui-ci, après avoir
passé, en février, à Chieti et tenu dans ce même mois un plaid sur territoire
bénéventin, avait été, à grande joie, solennellement reçu avec le pape
Benoît, le troisième jour de mars, dans la capitale de ce duché, par le
fidèle Landolfe et tous ses sujets. Depuis le 15 mars environ, après avoir
accordé dans Bénévent à son armée un repos nécessaire, il avait envahi Troja avait arrêté l'empereur dès ses premiers pas en Capitanate. Il y avait trois ans à peine que cette ville avait été fondée lorsqu'elle soutint ce long siège qui la rendit célèbre. Le pape, âme de toute cette entreprise, semble ne plus avoir quitté l'empereur. Les accusations les plus graves furent portées contre Pandolfe, lorsqu'il comparut en suppliant devant le souverain allemand dans son camp. De l'avis unanime, le traître fut condamné à mort. Mais Piligrim, à la loyauté duquel le prisonnier s'était confié, fit, auprès de son maître, de si vives instances que l'empereur, fléchi par lui, se contenta de ramener à sa suite en Germanie Pandolfe enchaîné avec une chaîne de fer. Pandolfe de Teano, fils de Gisulfe, petit-fils de Pandolfe Tête de Fer, membre de cette famille demeurée si constamment fidèle à la cause allemande, fut nommé prince de Capoue à la place du traître dépossédé.[85] Troja, défendue par les Normands à la solde du « catépano
», était trop puissamment fortifiée pour qu'on pût espérer une prompte
reddition. Investie de toutes parts par la grande armée allemande, elle fit
la plus honorable résistance. Ses vaillants défenseurs avaient mission de lutter
à outrance durant que le « catépano », à la tête de son armée de mercenaires,
se retranchait plus en arrière, sur cette ligne de l'Ofanto où, une fois
déjà, il avait brisé l'effort de Mélès.[86] Après un siège
terrible qui se prolongea trois mois, grâce à l'indomptable énergie de la
garnison, l'empereur allemand, malgré l'arrivée de la troisième armée, celle
de Piligrim,[87] dut se contenter
d'un semblant de soumission. On était au cœur de l'été et la dysenterie
faisait d'affreux ravages parmi ses troupes, peu accoutumées à ces chaleurs
torrides. Dès la fin du siège, Henri II, on va le voir, regagna en hâte le
nord de Les témoignages des chroniqueurs ne racontent pas tous de la même manière l'issue du siège de Troja. Aimé[89] dit formellement que la ville ne fut pas prise. Le protospathaire Lupus et l’Anonyme du Mont Cassin se contentent de mentionner le siège sans dire comment il se termina. Au contraire, un grand nombre de chroniques allemandes affirment que Troja fut prise par l'empereur Henri. La vérité semble être, comme je viens de l'indiquer, que celui-ci, pressé par les grandes chaleurs de l'été, dut se contenter d'un simulacre de soumission. Une première fois toutes les puissantes machines de guerre de l'armée allemande si péniblement amenées et établies avaient été brûlées dans une sortie des assiégés. Les nouvelles machines refaites à grand peine aient été recouvertes de peaux fraîches pour prévenir de nouveaux incendie. Leur action médiocre contre les remparts énormes construits par Bojoannès fut une cruelle déception pour les Teutons. L'empereur, qui se souciait peu de prolonger un siège aussi pénible, fit offrir aux assiégés les conditions les plus favorables. Eux, fiers de tenir ainsi ce puissant prince en échec, ne parlaient de rien moins que de le conduire pied et poings liés aux pieds de leur basileus à Constantinople, et commencèrent par repousser dédaigneusement ces ouvertures. Furieux, il jura de faire massacrer jusqu'au dernier les habitants de la ville une fois qu'il l'aurait prise et de la faire raser jusqu'en ses fondements. Ainsi la résistance se prolongea bien plus longtemps qu'il ne l'avait pensé. Enfin, raconte Raoul Glaber, vers le quatrième mois les
vivres commencèrent à manquer aux assiégés qui comptaient toujours sur le
secours du « catépano ». Quand tout espoir de ce côté eut disparu, il fallut
bien qu'ils songeassent à se rendre. Maintenant ils tremblaient à la pensée
du courroux de l'empereur dont ils avaient ri jadis. Tout fut mis en œuvre
pour exciter sa pitié et apaiser son ressentiment. Une immense procession
d'enfants précédés par une croix que portait un pieux ermite vêtu d'une
longue robe monacale, sortant de la ville, se dirigea vers le camp impérial,
chantant le « Kyrie eleison ». Tous ces infortunés demandaient grâce pour
leurs parents avec des cris et des larmes. L'empereur, imposant silence à son
cœur, sans prononcer un mot de pitié, ordonna de repousser ces malheureux
petits êtres dans la ville. « Dieu sait, s'écria-t-il, que ce sont leurs
pères qui sont leurs meurtriers, non point moi. » Le lendemain la même
lamentable procession reparut avec les mêmes clameurs d'angoisse. L'empereur
cette fois fut vaincu et, comme il en avait coutume quand il était ému, il
récita un verset des Ecritures: « J'ai grand souci pour ce peuple, »
s'écria-t-il. Les assiégés ayant promis de démolir le rempart, du moins dans
sa partie la plus forte, non seulement il leur accorda son pardon, mais
presque aussitôt après il les autorisa à réparer ces mêmes murailles au lieu
de les renverser. Ainsi tomba C'est à Raoul Glaber, je viens de le dire, que nous devons cette narration quelque peu fantaisiste de l'issue du siège. Léo de Marsi qui a fait à peu près le même récit semble bien dire qu'Henri, après avoir ainsi sauvé l'honneur de ses armes, grâce à cette apparence de capitulation, reprit immédiatement avec son armée la route de l'Allemagne sans même demander a entrer dans la ville tombée. Seulement il emmenait des otages Mais le passage le plus décisif sur la vraie issue du siège de Troja se trouve consigné dans la charte de Basile Bojoannès du mois de janvier 1024[90] dont j'ai déjà parlé. Par ce document, on se le rappelle, le « catépano » accorde aux habitants de Troja, les Normands par conséquent, de nouveaux privilèges « pour les récompenser de la bravoure dont ils ont fait preuve pendant le siège de leur ville et de leur inviolable fidélité à leurs souverains de Constantinople[91] ». Si, comme l'affirment les chroniques allemandes, l'empereur Henri avait pris Troie, jamais Bojoannès n'aurait ainsi loué et récompensé ses défenseurs.[92] Ces éloges comme ces récompenses prouvent même que l'attitude des Normands de Troie en face de l'empereur germanique, ne fut pas aussi humble et suppliante que Léo de Marsi et Raoul Glaber veulent bien le dire; et c'est bien probablement Aimé qui, malgré son laconisme, se trouve ici le plus près de la vérité. » En définitive, l'invasion allemande dirigée contre la
puissance des Grecs dans l'Italie méridionale, avait complètement échoué,
grâce à la vaillance des Normands de Troie et à l'énergie du « catépano »
Basile Bojoannès. Les troupes germaniques, trop longtemps immobilisées devant
cette forteresse par la ténacité de ses défenseurs du Nord, n'avaient pas
pénétré dans Après avoir quitté Troie vers le 6 juin, sans même avoir pu franchir l'enceinte de ses murs, Henri, emmenant ses otages, renonçant à cause de ces mortelles chaleurs à envahir plus loin le territoire grec, battit en retraite. Pas une seule fois il ne s'était mesuré en rase campagne avec les Byzantins. Vers la fin de ce même mois, après avoir visité en pèlerin le saint promontoire de Gargano, quittant définitivement ces brûlantes campagnes des Pouilles, il vint à Capoue, où il donna l'investiture à Pandolfe de Teano. Ce fut également dans cette ville qu'il s'occupa de régler le sort des Normands restés en Italie. Quant à la ville de Troie, objet de luttes si sanglantes, elle dut retomber presque aussitôt aux mains des Grecs. Nous en sommes assurés par la charte nouvelle accordée à ses habitants par le catépano Bojoannès dès le mois de juin de l'an 1029. « Les riantes perspectives que les pèlerins du mont
Gargano avaient fait briller en l'an 1016, aux yeux des Normands, ne
s'étaient point réalisées. Les Grecs, grâce à leurs troupes mercenaires,
avaient rétabli leur fortune chancelante. Après tant de voyages et de combats
les Normands n'avaient rien fondé. Si l'on excepte la petite colonie troyenne
comblée d'éloges et de récompenses par Bojoannès dans son diplôme de l'an
1024, leurs ossements épars dans lès vallées et sur les plateaux de Raoul de Toëni, demeuré en Germanie après la mort de
Mélès, puis venu en Italie à la suite de l'empereur Henri, désespérant de
voir recommencer l'entreprise ainsi abandonnée, retourna en Normandie avec
beaucoup de ses compagnons et fut honorablement reçu par le duc Richard. Par
contre plusieurs de ses compatriotes s'obstinèrent à demeurer dans Ces dispositions prises, Henri II vint au Mont Cassin le 28 juin. Là, dès le lendemain, d'accord avec le pape Benoît VIII qui était présent,[97] il plaça à la tête de la puissante abbaye, pour remplacer Aténulfe, le noyé d'Otrante, un partisan de l'alliance allemande, Théobald, prieur du couvent de San Liberato d'Alento, qui devait présider à la réforme dans son nouveau monastère. Durant ce court séjour dans cette maison religieuse, la plus illustre d'Italie à cette époque, l'empereur fut guéri de la pierre par l'intercession de saint Benoît qui lui apparut en songe. Il témoigna de sa reconnaissance à l'abbaye par de magnifiques présents, celui entre autres de l'imprenable forteresse de Rocca Vandra. Après avoir fait dans le cours de juillet un très court
séjour à Rome puis traversé Lucques vers la fin de ce mois, constamment
poursuivi par de terribles maladies dans son armée, après avoir encore tenu
en compagnie du pape un concile à Pavie, l'empereur repassa les monts. Alors
qu'il croyait avoir assuré pour toujours son empire, du moins dans toute
l'étendue des principautés longobardes, cette fois encore, dès qu'il eut
regagné dans le Cours de l'été ses Etats germaniques avec son armée à demi
détruite par tant de maux, tous les mécontents recommencèrent à s'agiter dans
le sud de l'Italie. D'abord les Grecs rentrèrent presque incontinent en possession
de Troie et de la portion septentrionale de L'influence grecque était redevenue bien vite toute-puissante sur ces principautés longobardes un moment détachées d'elle par l'expédition de l'empereur Henri. Aucune des créations éphémères de ce prince ne devait subsister. Une ligue de tous les ennemis de l'Allemagne s'était formée sous la haute direction de Guaimar IV de Salerne pour arracher Capoue au protégé de l'empereur d'Occident et la rendre à Pandolfe IV. Le « catépano » Basile Bojoannès, toujours sur la brèche, toujours ardent à relever l'influence byzantine en ces contrées, les comtes des Marses, les Normands de Comino et quelques autres groupes de leurs compatriotes, presque tous ceux en somme de cette race qui demeuraient en Italie, prirent part à l'expédition. Cette fois les Normands combattaient à la solde de Guaimar, c'est-à-dire comme toujours de celui qui les payait le mieux. Parmi eux se trouvait un grand chef Rainulfe, le premier qui devait avoir l'honneur de fonder en Italienne ville normande: Aversa, en l'an 1030. Le siège de Capoue commença vers la fin de l'an 1024[102] ou les premiers jours de 1025. Pandolfe de Teano, que Henri II y avait installé en 1022, devait résister durant dix-huit mois aux efforts de la ligue. Lorsque sa capitale se vit forcée par la trahison d'ouvrir ses portes en mai 1026 aux Byzantins et à son ancien maître Pandolfe IV, celui qu'on appelait le « fortissime loupe » des Abruzzes, il y avait plusieurs mois que Basile II était mort et que son frère Constantin régnait seul sur le vaste empire d'Orient. La suite de ce récit appartient donc aux règnes de ce prince et de son premier successeur. C'est à partir de la fondation d'Aversa en 1030 que les Normands émergent véritablement en Italie. Jusque-là, depuis l'an 1016, ils avaient tour à tour servi tel prince ou tel parti. C'est à partir de 1030 seulement qu'ils commencèrent à combattre surtout pour leur compte et qu'ils ne tardèrent pas à devenir les égaux, plus tard les maîtres de ceux dont ils n'étaient auparavant que les auxiliaires.[103] La vaillance extraordinaire du « catépano » Basile
Bojoannès, l'intrépidité de ses auxiliaires normands avaient porté leurs
fruits. Jamais, depuis les grandes querelles avec les Othon, la puissance
byzantine n'avait été portée si haut ni si loin dans Du côté de Rome aussi les affaires de Byzance s'étaient fort améliorées par la mort du pape Benoît VIII, cet adversaire acharné des Grecs. Ou se rappelle que le propre frère de ce pontife Romain s'était fait à sa place proclamer sous le nom de Jean XIX, sans en informer l'empereur Henri d'Allemagne moribond, et contre lui. Une rupture semblait inévitable entre l'empire allemand et le Saint-Siège, rupture infiniment propice aux intérêts du basileus. Immédiatement Basile et le patriarche Eustathios avaient saisi cette occasion si favorable pour tenter de mettre le nouveau pape dans leur alliance. Des négociations formelles avaient été entreprises pour que le Saint-Siège consentit à reconnaître au patriarche son titre d'œcuménique et Basile et Eustathios avaient offert tous deux de: grosses sommes à Jean XIX pour le décider à cette concession capitale.[107] C'était là une bien ancienne prétention des prédécesseurs d'Eustathios. Ils prenaient ce titre d'œcuménique dans leurs actes, mais Rome n'y avait jamais consenti officiellement. Eustathios et son souverain avaient eu raison de profiter des circonstances actuelles. La situation périlleuse dans laquelle se trouvait Jean XIX le poussa à accueillir leurs offres des deux mains. Il avait grand besoin d'argent, encore plus de l'appui des Grecs pour le préserver du péril allemand. Mais il ne put malgré tout arriver à ses fins. Le secret transpira. Le scandale inouï souleva l'indignation du clergé d'Occident, de celui de France en particulier. On écrivit de toutes parts au pape avec tant de force, le sentiment général fut si violent. on lui représenta si bien le déshonneur qui en rejaillirait sur le Saint Siège qu'il dut céder, n'osant braver cette réprobation universelle. Il renvoya les ambassadeurs du basileus sans rien leur accorder. Les prétentions des Grecs, au lieu de mettre un terme au schisme des deux Églises, ne firent ainsi que l’accentuer et ce fut vraiment à ce moment que commença cette rupture complète entre les deux Églises dont parle le patriarche Cérulaire dans sa lettre de l'an 1054. On verra qu'Eustathios mourut peu après toutes ces agitations, quelques jours seulement avant le basileus, après sept ans de pontificat environ.[108] Avant de quitter l'histoire des thèmes byzantins d'Italie,
durant cette fin de règne, il nous faut dire quelques mots des Arabes de Sicile dont les entreprises certainement
combinées avec celles des révoltés longobards n’avaient jamais complètement
cessé durant que le valeureux « catépano » Bojoannès rétablissait les
affaires des Grecs sur la frontière du Nord. Malheureusement comme toujours
nous ne sommes renseignés que par les plus brèves mentions des chroniques
italiennes. C'est ainsi qu'on lit à l'année 1023 dans |
[1] Après quatre ans et quelques semaines de pontificat.
[2] Gregorovius, op. cit., t. IV, p. 25.
[3] A Reggio nous trouvons un Nicolas archevêque vers ces premières années du xie siècle, auteur d'une compilation en forme de commentaire des Epîtres de saint Paul. Voyez Batiffol, op. cit., p. xii.
[4] Amari, op. cit., II, p. 342. Heyd, op. cit., I, p. 121.
[5] Voyez dans Del Giudice: Cod. dipl. del regno di Carlo I et II d'Angio, 1, app. I, n° l, p. xiii, dans un diplôme de l'an 1195 délivré par un comte du Mont Saint Michel de l’Archange, la mention d'un document ou sigillion de ce Xiphias en qualité de a catépano » d'Italie, document en date du mois de mars 1007.
[6] Voyez dans Del Giudice, ibid., un sigillion de lui du mois de juillet de cette année, sigillion mentionné dans le même document de l'an 1193. Il y prend les titres d'anthypatos, de patrice et de « catépano » d'Italie.
[7] C'est du moins l'expression employée par le protospathaire Lupus qui semble indiquer que quelque contrat en forme avait été signé peu auparavant entre Grecs et Sarrasins.
[8] Cédrénus, II, 450. Glycas, 577.
[9] Lupus protospatha, ad. an. 1009. Voyez Delarc, op. cit., note 3 de la page 48.
[10] Voyez dans Heinemann, op. cit., à la fin du chapitre i, un intéressant tableau de l'état politique et social de l'Italie méridionale au moment de la révolte de Mélès et de l'arrivée des Normands.
[11] Lebeau, t. XIV, pp. 200 et 201; Muralt, 1,582; aussi Gregorovius, Gesch. Der St. Rom, etc., t. IV, p. 26, disent 1010. Voyez sur cette date la note 3 de la page 48 de l'ouvrage de l'abbé Delarc. Cet auteur semble pencher pour la date de 1010, bien qu'il donne dans un texte celle de mai 1011. J'adopte de préférence l'opinion de Heinemann, op. cit., p. 30, qui donne la date de 1010.
[12] « Hic Apuliae primus erat. »
[13] Voyez Wassiliewsky, La droujina vaeringo-russe, etc., 1er art., pp. 128 sqq.
[14] Ou Bitecto.
[15] Cédrénus, II, 457, Glycas, 577, 15.
[16] Cette même année, un autre chef arabe dont le nom se cache sous la transcription latine défigurée de Stilictus, incendiait la ville de Trani et faisait périr ses habitants dans les flammes. Chronique de Lupus, ad an. 1010.
[17] C'est, dit Amari, l'opinion de De Meo, Annali di Napoli, t. VII, pp. 12 et 13, an 1010. « Ce serait là, poursuit l'illustre historien, le nom vénérable et illustre du citoyen de Bari qui, révolté comme un peu auparavant Smaragdos contre la tyrannie byzantine, devait amener en Italie les épées normandes. »
[18] Op. cit., note 3 de la page 48.
[19]
Cédrénus, II,
[20] Les archives de l'Université de la ville d'Oria possèdent un document original de ce « catépano » daté de cette même année 1011, délivré par lui à l'archevêque Jean d'Oria et Brindisi. Basile Mésardonitès s'y intitule « catépano » et protospathaire impérial. — Aar, op. cit., pp. 134 et 311.
[21] Heinemann, op. cit., note 2 de la page 30.
[22] Voyez Schipa, op. cit., chap. x, iii.
[23] Léo Cass., II, c. 37.
[24] Sur cette première révolte de Mélès contre les dominateurs grecs, voyez Annales Barenses dans Pertz, Mon. Germ., t. V, p. 53 et Leo de Marsi, Chronicon Mon. Cass. Ibid., t. VII, p. 652 — Voyez les objections de Wilmann à propos des dates de 1011 et 1013 proposées pour cette première campagne de Mélès (Guill. Apul. Gesta Rob. Wiscardi, ibid., t. IX, p. 239-298). Celle date est exactement indiquée dans Skylitzès, Cédrénus, II; « après l'hiver très rigoureux de 1009 », mais le chroniqueur byzantin confond dans son récit cette première levée de boucliers avec la seconde à laquelle les Normands prirent part.
[25] En août 1014 Cassano fut incendié. En février 1015 on vit une comète à Bari: Chron. Lupi, Muralt, op. cit., I, pp. 385 et 586.
[26]
Gregorovius a écrit un chapitre charmant sur
ce sanctuaire de l'archange Michel du Mont Gargano dans le tome V de ses Wanderjahre
in Italien. Voyez encore le chapitre si vivant sur le Mont Sant'Angelo dans Fr. Lenormant, A travers l'Apulie et
[27] Guillermi Apuliensis gesta Roberti Wiscardi, éd. Rog. Wilmann, dans Pertz, Mon. Germ. SS., t. IX, 239-298.
[28] « Il n'existe, disait M. l'abbé
Delarc, de cette traduction française du travail d'Aimé qu'un seul manuscrit
qui se trouve à
[29]
« En plaçant ainsi, dit encore l'abbé
Delarc, avant cette date de l'an 1000 ce siège de Salerne par les Sarrasins,
Aimé, comme cela lui arrive trop souvent, a certainement commis une erreur de
chronologie. Pour les dernières années du xe
siècle et les premières années du xie
siècle, les chroniqueurs italiens ne mentionnent qu'un seul siège de Salerne
par les Sarrasins, et le protospathaire Lupus lui assigne la date de 1016. Sans
parler de la juste autorité dont jouit Lupus au point de vue de la chronologie,
cette date de 1016 paraît d'autant plus exacte que, d'après le récit d'Aimé
lui-même, les exploits des Normands au siège de Salerne furent le prélude de la
première émigration des Normands en Italie et de la campagne que firent
aussitôt après leur arrivée ces émigrés comme alliés de Mélès contre les Grecs.
Or, nous verrons que, d'après les meilleures sources, cette campagne débuta en
1017. »
L'abbé Delarc
examine aussi à la suite de quelle erreur Léo de Marsi, dans le Chronicon Monast. Cassinensis, et l’Anonymus Cassinensis, dans un des deux manuscrits subsistants de cette
Chronique, placent aussi en l'an 1000 ce siège de Salerne et la délivrance de
cette ville par les Normands. Dans la longue note 3 de la page 48 de son
Histoire, aussi dans la note 1 de la page 20 de son édition de l'Ystoire de li
Normant, le même auteur a encore exposé les raisons qui ne lui permettent
pas de partager l'opinion de M. Wilmann avançant à tort de 1017 à 1010 ou 1011
la date de la première expédition contre les Grecs des Normands guidés par
Mélès. M. Wilmann a développé cette théorie dans un article des Arch. der Gesellsch. f. alt. deut.
Gesch., Hannover, 1851, pp. 87-121,
intitulé: Uber die Quellen der
Gesta
Roberti Wiscardi des Guillermus Apuliensis. Je dois ajouter toutefois que M. Schipa, dans
son Histoire de
[30] Guaimar IV, prince de Salerne.
[31] L’Ystoire de li Normant, liv. I, 17-19 « J'ai, dit M. l'abbé Delarc, interverti, pour rendre le sens plus clair, l'ordre des trois dernières phrases du texte. »
[32] Voyez Order. Vitalis, Hist. Eccles., liv. III, t. III, pp. 53 sqq. de l'éd. de Prévost, Le récit d'Orderic est identique pour le fond à celui d'Aimé, seulement ce chroniqueur place le siège de Salerne à une époque beaucoup trop récente. Amari pense qu'en raison de l'état d'affaiblissement de l’émirat kelbite de Sicile par suite de divers événements (révolution militaire de l'an 1015, abdication de Youssof avant cette date, fratricide commis dans celle même année 1015 par Djafar expulsé lui-même, en 1019), il est à supposer que les Sarrasins, qui en 1016 débarquèrent à Salerne, mirent le siège devant cette ville, et. furent finalement battus par les quarante chevaliers normands, venaient plutôt d'Afrique que de Sicile.
[33] D'après le document n° 279 publié dans le tome IV des Monum. Regii Neapol. Archivii, il y aurait eu dès l'an 1008 des Normands établis en Campanie: « Sansguala dominus Planisi qui sum ex genere Normannorum. »
[34]
L'abbé Delarc expose en note de la page 4
les opinions assez diverses des auteurs sur les motifs qui, d'après les sources
originales françaises ou italiennes, auraient déterminé ce premier exode des
hommes d'armes de
[35] Heyd, op. cit., l'appelle Modjahid Ibn Abdallah Al-Amiri (Mugelus, Muselo).
[36] Ainsi, comme nous l'avons vu plus haut, lorsque Datto fuyait la colère des Grecs, Benoît VIII lui donna asile dans la tour qu'il possédait à l'embouchure du Garigliano. Chron. monast. Cassin., dans Pertz, t. VII, p. 652.
[37] Nullo interim otio indulgens, quin modis omnibus sat ageret, qualiter Grœcorum domi-nationem abjicere, atque ab corum tyrannide suam posset patriam liberare. Léo de Marsi, Chron. monast. Cassin., II, 37, dans Pertz, t. VII, 652.
[38] Delarc, op. cit., p. 50.
[39] Voyez dans l'ouvrage si souvent
cité de l'abbé Delarc (note 3 de la p. 48), les raisons par lesquelles cet
auteur établit contre M. Wilmann que 1017 est bien la date vraie de la première
expédition contre les Grecs des Normands commandés par Mélès. Cette date nous
est fournie par quatre chroniqueurs italiens d'une autorité incontestable au
point de vue de la chronologie.
[40] « Butruntio » dit le protospathaire Lupus qui place cette mort en 1017. Serait-ce Otrante? En tout cas il ne peut être ici question de Butrinto ou Buthrotum d'Albanie ainsi qu'on l'a cru.
[41] Trinchera, op., cit., p. 17, document n° XVI. Aar, op. cit., p. 13. — On conserve aux mêmes Archives une transcription latine d'un autre document extrêmement curieux, document en date du mois d'octobre 1011, par lequel le même Basile Mesardonitès, « catépano » d'Italie, alors en résidence auprès du prince de Salerne, confirme au monastère de Saint Benoît du mont Cassin la possession de certains domaines, qui avaient été restitués à l'abbé par son prédécesseur Grégoire Trachaniotis (Ibid., p. 14, document n° XIV). De même on conserve aux mêmes Archives (Ibid., p. 13, document n° XV) un document original en langue grecque daté du 12 janvier de l'an 1015, par lequel un certain moine Nikon, son fils le turmarque Oursoulos, et divers autres personnages « sous le règne des très saints et pieux empereurs Basile et Constantin, du très saint patriarche Sergios, de l'illustre Basile le Mesardonitès, protospathaire impérial et « catépano » d'Italie font divers dons, entre autres celui d'un kastron, à Luc, higoumène d'un couvent de Saint-Ananias, près Orioli, en se réservant le droit de se réfugier dans ce monastère en cas d'une attaque « des nations », c'est-à-dire des Sarrasins maudits.
[42] « Et in mense novembrio interfectus est Leo, frater Argiro. »
[43]
Guillaume de Pouille écrit très bien le nom
de ce « catépano »: Turnicius. C'est par erreur que l'abbé Delarc, qui a
confondu tous ces « catépano », a cru devoir corriger Turnicius par Andronic.
[44] « Condoleo descendit in ipso anno. » Lupus, ad an. 1017.
[45] Le protospathaire Lupus écrit: Leo Patiano. Guillaume de Pouille écrit: Pacianus. Il n'est pas certain, malgré l'opinion de L. Hirsch (De Italiae inferioris annalibus, p. 5), qu'on doive considérer ce personnage comme le même que le « Pasiano » des Annales Barenses qui perdit la vie dès 1011 dans un combat contre les Sarrasins à Montopeloso. Bien que nous devions ce dernier renseignement aux seules Annales Barenses, M. de Heinemann, op. cit., p. 345, estime qu'il s'agirait plutôt de deux personnages distincts.
[46] Chronique de Lupus.
[47] Fr. Lenormant, A travers l’Apulie et
[48]
[49] Quant à Aimé, il énumère toute une série de victoires des Normands sans leur donner de noms distincts.
[50] Voyez dans Heinemann, op. cit., Remarque n° 1, pp. 343-345, la très intéressante note sur ces trois combats successifs, leurs emplacements et les dates auxquelles ils furent livrés.
[51]
[52] Chron. mon. Cass., II, 37.
[53] Le Saint-Bernard.
[54] « De li Normant de Salerne vint grant exercit et emplirent la contrée de fortissimes chevaliers. »
[55] « Bugianus », « Bugiano », « Bagiano », « Baiano »; aussi « Bulcanus », même « Vulcanus ».
[56] Lupus et l'Anonyme de Bari donnent par erreur la date de décembre 1018. Lupus ne fait souvent commencer l'année qu'au 25 mars.
[57] « Joannatius » (Lup. protosp.); « Johannacius » (Anon. Bar.).
[58] Il est souvent question de cette sorte de fonctionnaires militaires locaux dans les actes de l'époque. Voyez Trinchera, op. cit., un document n° XV où signent deux topotérètes.
[59] Trinchera, op. cit., p. 20. document XIX.
[60] Trinchera, op. cit.,
p. 18, document XVII.
[61] Ou en 1019, comme le dit l'abbé
Delarc; Voyez la note 2 de la p. 28 de son éd. d'Aimé. — En 1018 les Vénitiens
transportent le corps de saint Tarasius.
[62] Varangues?
[63] « Deux cent quatre-vingts », dit
Muralt, op. cit., I, 750, d'après
Léon d'Ostie, II, 38.
[64] Un assez grand nombre de ces guerriers faits prisonniers sur le champ de bataille furent, paraît-il, envoyés prisonniers à Constantinople où leur venue dut singulièrement surexciter la curiosité populaire. « Ils y furent torturés jusqu'à la fin de leurs jours dans des cachots, » dit un historien contemporain. Wassiliewsky, La droujina vaeringo-russe, etc., 1er art., pp. 129 sqq.
[65] Les Annales Barenses, contrairement aux autres chroniques italiennes, placent par erreur la bataille de Cannes à l'année 1021. Aimé est un guide fort peu sûr pour toute cette campagne. Voyez Delarc, op. cit., note de la p. 55.
[66] Jaffé, Monumenta Bambergentia, pp. xi sqq. et 358. Voyez à la p. XI la curieuse lettre par laquelle
en
[67]
« Le prince Guaimar gouvernait Salerne en
1020 sous Jean (?) Bojoannès, anthypatos et gouverneur des thèmes
italiens. » (Suscription d’un évangéliaire de
[68] Delarc, op. cit., note 1 de la p. 51.
[69]
A travers l'Apulie et
[70]
« Outre Troja, le « catépano » Bojoannès
bâtit, dit Léon d'Ostie, II, 51, Florentinum Civitas
et les autres villes de
[71] Troja fut bâtie vers la fin de 1018 ou le commencement de 1019. Voyez les inscriptions sur les portes de bronze de sa cathédrale.
[72] Trinchera, op. cit., p. 22, document XX.
[73] « Hirsch, dit M. l'abbé Delarc, regarde comme fausse l'assertion d'Aimé que Pandolfe prit part en personne à l'expédition contre la tour du Garigliano. Cependant son attitude ultérieure, à cause de ce fait, vis-à-vis de l'empereur Henri II, et celle de son frère Aténulfe laissent voir que les deux frères eurent une part active dans cette affaire et que Pandolfe ne se borna pas à donner passage dans sa principauté au « catépano » Bojoannès et à ses troupes. L'intercession d'Aténulfe en faveur des Normands indiquerait aussi que ce remuant prélat fut présent à l'affaire de la tour du Garigliano. » Voyez Aimé, éd. Delarc, p. 31.
[74] Ou « Rahica ».
[75] Basidiae dans l'antiquité; au Moyen âge Bisunianum; Lupus Protospatha (ad an. 1020).
[76]
Je ne sais pourquoi Amari (op. cit., II, 345) fait de ce Rayca un
Apulien ou Longobard, « un Pugliese ». L'illustre érudit croit que cette
expédition n'est autre que la première entreprise de l'émir Akhal. En 1016, à
Lima, Génois et Pisans avaient détruit la flotte de Modjahid et s'étaient
emparés de
[77] Depuis l'an 998.
[78] « Soutien de l'Empire. »
[79] Cédrénus, II, 546.
[80] Trinchera, op.
cit., p. 48, document XVIII. Cette charte dont la copie seule existe encore aux
Archives de Naples ainsi qu’une autre du même dépôt dont on ne possède
également plus qu’une copie latine (Trinchera, document n° xx) comptent parmi les plus précieux documents
encore existants relatifs à l'occupation byzantine en Italie. Le « catépano »
déclare dans la première de ces pièces datée du mois de juin 1019 que, sur la
demande des Normands qui ont quitté le service des comtes d'Ariano pour suivre
celui de l'empereur et s'installer dans la nouvelle ville de Troie si
rapidement reconstruite par lui (sur les ruines d'une première cité détruite de
temps immémorial), il va procéder à la délimitation du territoire de cette
ville. Il énumère d'abord les fonctionnaires byzantins qui sont témoins de
l’acte, Il passe ensuite à la description minutieuse des limites du territoire
concédé à la ville. Il rappelle à cette occasion la victoire remportée en ces
lieux par Mélès sur son prédécesseur Tornikios. Il règle enfin les questions de
vaine pâture entre cette commune et la commune voisine de Vaccaricia. — Le
second document daté du mois de janvier 1024 est une simple confirmation plus
détaillée de la première de ces chartes. J'en ai parlé déjà. Il y est fait
mention du tribut de cent besants d'or scyphates à payer par les Normands de
Troie à la curie impériale à l'exclusion de toute autre charge en récompense de
leur fidélité. Allusion en effet est faite à ces services dévoués rendus par
eux à la cause impériale, à leur admirable attitude durant le récent siège de
la ville par l'empereur Henri, à leur obstinée résistance opposée aux attaques
du « rex Francorum » accouru au secours des rebelles longobards. Justice
est faite des accusations portées contre eux par leurs ennemis. Les biens
confisqués sur les rebelles de Trani sont donnés à l'abbé Aténulfe du Mont
Cassin en récompense de ce qu'il a traîtreusement livré Datto.
Le
troisième document signé du nom de Bojoannès (Trinchera, p. 18, n° XVII) est
conservé au Mont Cassin en copie latine dans le Regestum de Pierre
Diacre. C'est un ordre en date du mois de février 1018 interdisant d'aliéner
des domaines religieux principalement ceux du Mont Cassin. Chose curieuse, le
document est rédigé « ex jussu » du seul basileus Constantin,
probablement régent en l'absence de Basile alors en Bulgarie. Les règlements
analogues édictés dans leurs sigillions par les« catépano » antérieurs dont le
dernier cité est le protospathaire Alexis Xiphias, sont confirmés.
Le quatrième document de Bojoannès, daté du mois de juin 1021 et conservé en transcription latine dans le même Regestum (Trinchera, p. 20, n°XIX), est cette charte rédigée au nom du catépano par Falco, turmarque et épiskeptite de la ville de Trani, dont j'ai également déjà parlé.
[81] Heinemann, op. cit., pp. 41 et 42.
[82] Elle avait été construite par Pandolfe de Capoue après une victoire sur les Sarrasins et portait cette flore inscription « Princeps hanc turim Pandulfus condidit heros ».
[83] Voyez dans Delarc, op. cit., la note de la p. 60 sur la date du la fuite et de la mort de l'abbé Aténulfe.
[84] Capoue devait être tombée au pouvoir des impériaux dès le mois de mars puisque déjà à ce moment des fonctionnaires de l'empereur Henri rendaient la justice dans cette ville. Voyez Monum. regii Archivii Neapol, IV, p. 161.
[85] Qui, lui, descendait de ce Pandolfe III dont la race avait toujours témoigné des plus vives sympathies pour Byzance.
[86]
Bojoannès s'empara à ce moment de la ville
d'Acerenza. Voyez Fr. Lenormant, A travers l'Apulie et
[87]
Celui-ci, on le verra, était entre temps
entré dans Salerne après quarante jours de siège. Il avait exigé du prince
Guaimar IV qu'il livrât son fils comme otage de sa fidélité et forcé
[88] Le 31 mai, il avait confirmé sous les murs de Troja l'archevêque Aimé de Salerne.
[89] Aimé, Ystoire de li Normant, éd. Delarc, note de la p. 35.
[90] On ne possède plus que la traduction latine de ce document. Trinchera, op. cit., p. 21, doc. XX.
[91] Sur le siège de Troie voyez encore Heinemann, op. cit., note 3, p. 346.
[92]
Bojoannès écrit ces paroles curieuses: « Nos cognoscentes eorum
accusatorum malitiam (les
accusations de ceux qui avaient vu avec inquiétude l'établissement d'une
colonie normande à Troie), discimus quod Troiani nec fecerunt nec facient contra voluntatem
imperii sanctorum imperatorum nostrorum, sed potius pro amore imperii se morti tradiderunt.
Quando rex Francorum cum toto exercitu suo venit et obsedit civitatem illorum, et
ipsi fidelissimi ita obsliterunt regi. Quod rex nihil eis nocere valuit; bene civitatem
eorum defendentes, sicut servi sanctissimi domini imperatoris et licet omnes res
suas de foris perdiderint, propter hoc servitium domini imperatoris non dimiserunt,
nec ab ejus fidelitate discesserunt. Ob hanc igitur fidelitatem et bonum servitium,
precepto domini imperatoris, dedimus eis largitatem hanc. »
[93] Les Annales de Saint-Gall (Ann. Sangall. majores), Mon. germ., SS, T., p. 82, d'autres sources encore font du moins mention de cette soumission de Naples à l'empereur allemand. Cependant en cette année 1022 on comptait encore dans cette ville par les années du règne des basileis. Voyez Capasso, Regesta Neapolit., nos 394-397, pp. 246-247. Voyez surtout Schipa, op. cit., chap. x, iii, qui ne croit pas à l'assertion des Annales de Saint-Gall.
[94] Ou encore « Torstayn le Bègue »
[95] Ou « Canosa ».
[96] Ou « Falluca ».
[97] Heinemann, op. cit., p. 47.
[98] Voyez Heinemann, op. cit., p. 50.
[99] Schipa, op. cit.,
chap. x, iii.
[100] M. L. M. Hartmann (Voyez Mittheilungen des Instituts für
österreichische Geschichte forschungen, vol. XV, liv. III, p. 482) fixe la mort de Benoît VIII au
[101] Raoul Glaber dit que le titre de patriarche oecuménique que Jean XIX s'apprêtait à vendre à Eustathios de Constantinople dut être refusé sur les instances du comte Guillaume. Voyez Lebeau, XIV, p. 221.
[102] Cette année 1024, dit le protospathaire Lupus, le jour de Pâques 6 avril, un tremblement de terre ébranla un crucifix d'argent à Matera, alors administrée par Secundus. Cette même année il y eut en Italie de grandes chutes de neige.
[103] Delarc, op. cit., pp. 72-73.
[104] Le « catépano » Bojoannès, rappelé certainement de Messine par la nouvelle de la maladie et de la mort du basileus, semble être rentré en Italie dans les derniers jours de cet an 1025. Seul l'eunuque Oreste demeura en Sicile; mais, capitaine médiocre, il ne remporta aucun succès.
[105] « Cosmig », « Cormic ». — N'y aurait-il pas simplement erreur des chroniqueurs italiens qui auraient confondu « Bojoannès » avec « Diogenes »? Ces lignes ne seraient en ce cas qu'une allusion à l'expédition victorieuse de Romain Diogène en Croatie. Elles nous apprendraient seulement que ce chef et son armée abordèrent cette contrée par la voie de la mer, et non par terre comme on pourrait plutôt le croire.
[106] Wassiliewsky, Conseils et récits, etc., 2e art., p. 163.
[107] C'est-à-dire pour qu'il reconnût ce dernier comme premier patriarche d'Orient, de même que lui était premier évêque, chef de l'Église d'Occident.
[108] Et non « huit » comme le dit Skylitzès.
[109] Kriti dans le texte, non pour Caiti comme le croit Amari, op. cit., II, p. 345, note 2 mais comme simple traduction grecque du titre de « caïd ».
[110] Le château de Mutula fut construit cette même année, dit la même Chronique.
[111]
En effet, dit Amari, cet émir de Sicile
Ahmed Ibn Youssof, surnommé Akhal, est constamment appelé « Apolafar » par
Skylitzès. D'autre part les annales musulmanes disent que lorsqu'il allait
guerroyer en terre ferme son petit-fils Djafar demeurait en arrière pour
administrer
[112] Ibn el Athir, sous l'an 484; Aboulféda, Annales Moslem., t. III, pp. 274 sqq.; Nowaïri, dans Gregorio, op. cit., p. 22.