Deuxième partie
Cependant de graves événements s'étaient produits durant ce temps passé sur l'extrême frontière orientale de l'empire en Asie Mineure. Profitant des embarras causés au basileus par l'interminable guerre bulgare, au moment même où celui-ci accomplissait l'effort suprême qui allait lui donner enfin la victoire définitive, son vassal, le roi curopalate de Géorgie, Georges ou Kéôrki Ier, souverain pagratide des Aphkhases et des Karthles,[1] se révolta contre son autorité. C'était le fils du roi Pakarat ou Pagrat, lui-même fils adoptif du fameux curopalate de Daïk'h, Davith le Grand, monté sur le trône en 980 et élevé en l’an 1000 à cette dignité palatine par le basileus Basile lors de la cession post mortem faite par lui de sa souveraineté à l'empire. Pakarat, roi des Aphkhases et du Karthli ou de Géorgie, était mort en 1014, le vendredi 7 mai,[2] après ce long règne de trente-quatre années dans sa citadelle de Phanascert, « la tête parée d'une belle chevelure blanche ».[3] Son fils et successeur Kéôrki « également orné de toutes les vertus », au dire des chroniqueurs nationaux, était âgé d'environ vingt-quatre ans lorsque, dans le courant de l'an 1018, il se révolta contre le basileus son suzerain, entraînant probablement dans sa rébellion, la chose du moins semble presque certaine, le roi des rois d'Arménie ou d'Ani, Jean Sempad, lequel ne devait, du reste, jouer dans ces événements qu'un rôle tout à fait secondaire. Les motifs de la révolte du roi Kéôrki sont mal connus.
Les sources contemporaines ne nous fournissent à ce sujet que des indications
aussi vagues que discordantes. A partir des événements de l'an 1001 et de l'annexion
à l'empire de l'héritage du grand curopalate Davith, les relations n'avaient
cependant pas été mauvaises entre l'empire grec et les divers souverains de
Géorgie ses vassaux, même les Géorgiens s'étaient accoutumés à considérer
comme un père secourable le glorieux basileus, suzerain légitime de leurs
rois. Nous en avons la preuve dans un curieux récit de l'Histoire de Dieu lui fit la grâce de restaurer la ville de Mtzkhétha
et d'orner la grande église apostolique de Swéti-Tzkhowéli de toutes sortes
de parements en or, en argent, en perles et pierres précieuses; d'enrichir
Swéti-Tzkhowéli d'ustensiles d'or et d'argent travaillé, de garnir l'autel de
lames des mêmes métaux, ainsi que l'iconostase et les portes du sanctuaire,
d'y placer un reliquaire enrichi d'or, d'argent, de perles et de pierres précieuses,
d'y faire déposer deux croix garnies de pierreries et de perles ainsi qu'un
nombre infini de reliques de tous les saints, plus cinquante-cinq icônes,
garnies de pierreries et de perles, plus des livres avec ou sans couvertures
de métal, transcrits par ses soins, au nombre total de vingt-cinq.[5] » —De même nous
lisons dans l'Histoire de Siounie[6]
que Ter Hovhannès ou Ter Jean, évêque de Siounie, lors de sa consécration à
Ani par le catholicos Sarkis, reçut du roi d'Arménie Kakig et de la femme de
celui-ci, la reine Katramide, une « parcelle de L'indication la plus importante sur les origines de la brouille survenue entre le basileus et son vassal Kéôrki nous est encore fournie par cette précieuse Chronique géorgienne dont nous devons la traduction à M. Brosset.[7] Celle-ci affirme que le grand roi curopalate de Daïk'h Davith, se trouvant sans postérité, avait jadis, certainement avant d'avoir pris des engagements tout contraires avec le basileus Basile, adopté sur la prière de ses nobles en qualité de fils et de successeur désigné, son neveu, fils de son cousin germain Gourguen, le roi Pakarat d'Aphkhasie, père du roi Kéôrki. Cette adoption, si elle avait eu vraiment lieu, ce qui paraît probable, s'était trouvée annulée par le fait des arrangements nouveaux conclus postérieurement entre Davith et Basile. En l'an 1000, à la mort du vieux curopalate, lorsque ses Etats étaient passés aux mains du basileus, le roi Pakarat ne semble pas avoir protesté sérieusement contre cette cession qui le dépouillait de l'héritage de son père d'adoption,[8] mais il n'en fut pas de même de son fils, moins pacifique que lui. Ce sont ces circonstances qui durent, à l'époque où nous sommes arrivés, pousser ce dernier, prince jeune et belliqueux, à tenter de s'emparer par la force de ce qui avait jadis été promis à son père. Yahia, qui est une source d'informations précieuses pour
tous ces événements si mal connus, dit, de son côté, que Kéôrki profita des
embarras causés à Basile II par les affaires de Un autre annaliste arménien dont l'importance est également grande pour l'histoire de ces temps obscurs, Arisdaguès de Lasdiverd, raconte les choses un peu différemment. D'après lui, ce serait le basileus qui, de sa propre volonté, aurait fait cession, évidemment à titre viager, des districts provenant de la succession du grand curopalate Davith, au roi Pakarat, le père de Kéôrki. C'aurait été même là le prétexte invoqué par ce dernier pour s'emparer plus tard de ces territoires et les détenir injustement, refusant de les restituer au basileus. « A la mort de Pakarat, dit Arisdaguès, le basileus Basile s'empressa d'écrire au roi Kéôrki: « Abandonne l'héritage du curopalate Davith, dont j'ai fait présent à ton père et contente-toi de ton patrimoine. » Et Kéôrki, fier de sa jeunesse, refusa, disant: « De tout ce que mon père a possédé en souveraineté je ne donnerai pas même une maison à personne. » Il y eut successivement deux ambassades impériales dont l'insuccès fut également complet.[10] Telles sont nos seules indications sur les origines de ce grave conflit entre le jeune roi d'Aphkhasie et le basileus, et sur les motifs qui avaient poussé Kéôrki, probablement aussitôt après la mort de son père, à envahir les anciens domaines du grand curopalate de Daïk'h devenus, depuis l'an 1001, terres byzantines et simplement, semble-t-il, cédés à titre viager par l'empereur à son père. Cette injuste agression devait fatalement amener aussitôt que les affaires bulgares le lui permettraient une intervention armée du basileus peu accoutumé à supporter de pareils affronts de la part d’un roitelet présomptueux. « Kéôrki était léger, dit Açogh'ig, et d'intelligence bornée. » On alla jusqu'à, le surnommer « l'Imbécile[11] ». Nous ne possédons, du reste, aucune indication sur les conditions dans lesquelles s'était faite cette invasion du pays de Daïk'h par le roi des Aphkhases, ni sur l'époque précise de cette agression.[12] Nous savons seulement que ce fui une prise de possession violente et que Kéôrki fit occuper par ses troupes tous les lieux fortifiés situés sur ce vaste territoire. Très probablement Kéôrki dut mettre ainsi la main sur le pays de Daïk'h aussitôt après la mort de son père, c'est-à-dire vers l'an 1014 ou 1015. Si Basile ne vint le châtier que plus tard, c'est qu'il lui fallut d'abord terminer la guerre bulgare. Seulement après les victoires définitives de l'an 1018, le vieil empereur put songer à s'en aller au delà de l'Arménie, jusqu'au pied du Caucase, mettre à la raison ce vassal insolent. « Basile, poursuit Yahia, averti dès longtemps de ce qu'avait fait le roi Kéôrki, fut violemment courroucé et résolut de se venger. Dès que cela lui fut possible, il se mit en campagne avec une forte armée. » C'était dans le courant de l'an 1020, certainement vers la fin de l'année comme nous l’allons voir. Sans révéler à personne le but vrai de son expédition, le basileus gagna d'abord avec ses troupes la ville de Philomélion dans le thème des Anatoliques, non loin d'Antioche de Pisidie, aujourd'hui Ak-Chéïr, faisant proclamer partout qu'il allait faire porter une fois de plus la guerre en Syrie. Pour mieux endormir la vigilance du roi d'Aphkhasie, il aurait même, expédié vers Antioche des renforts de troupes considérables, avec des convois de vivres, de fourrages, d'armes et de provisions de toutes sortes. Bref, personne ne douta que le basileus ne se rendît une fois de plus avec toutes ses forces au delà du Taurus, vers Alep ou Damas. Dans cette cité de Philomélion, sur la grande route
militaire impériale d'Anatolie, Basile reçut une grave nouvelle. C'était
celle de la fameuse disparition du Khalife insensé Hakem, événement qui eut
lieu, on le sait, après un accès plus violent de cette cruelle maladie mentale
dont souffrait depuis si longtemps l'infortuné Fatimide. Depuis on n'entendit
plus jamais parler de ce prince étrange. Cette disparition, suivant Yahia,
eut lieu le Le roi aphkhase était brave au moins autant qu'obstiné. L'énorme disproportion des forces ne semble pas l'avoir effrayé outre mesure. Au lieu de s'effarer à ces graves nouvelles et d'adresser en hâte sa soumission à l'empereur, confiant dans les innombrables obstacles naturels de ces terres montagneuses entre toutes, il s'apprêta à une résistance désespérée. Réunissant en hâte tous ses libres contingents, tous ses guerriers valides, appelant sous ses drapeaux tous les mercenaires étrangers qu'il put réunir, il s'avança hardiment à la rencontre de son puissant adversaire. Nous ne possédons aucun détail sur la longue marche du
basileus et de son armée à travers les thèmes d'Asie. Les forces impériales
durent suivre la grande route militaire par Césarée, Mélitène et la vallée de
l'Euphrate occidental. « Le basileus, disent les chroniqueurs, voulait avant
tout châtier le roi Kéôrki pour son injuste et audacieuse agression. » Il est
probable qu'il voulait châtier aussi le roi Jean Sempad d'Arménie qui, bien
que les sources ne mentionnent aucun fait de guerre de sa part, soutenait
plus ou moins ouvertement la révolte du roi des Aphkhases.[14] L'armée
byzantine, remontant vraisemblablement la haute vallée de l'Euphrate, vint
d'abord camper dans l'immense et froide plaine de Garin, dans cette région
très élevée qui de tout temps a porté le nom de Haute Arménie.[15] L'antique cité
de Garin, dans le district du même nom,[16] située au pied
des montagnes, non loin de l'emplacement de l'ancienne Théodosiopolis, plus
tard ville célèbre dans tout l'Orient sous les noms d'Arze ou Arzen, et ensuite
d'Arzroum ou Ardzen-Roum, n'est autre que l'Erzeroum d'aujourd'hui, tout près
des sources de l'Euphrate occidental.[17] C'était à cette
époque une des plus importantes forteresses d'Arménie, grand entrepôt des
marchandises de Le basileus donc, après cet arrêt inutile à Garin, se
remit en marche. Franchissant la chaîne frontière qui séparait le thème
byzantin de Chaldée, des pays de Basian et de Daïk'h, celle même qui forme la
ligne de faîte entre les eaux de l'Euphrate et celles de l'Araxe, l'armée
byzantine apparut dans les vastes plaines de la première de ces deux contrées
d'Arménie, le Basian ou Pasen, riche district de la grande province d'Ararad,
à l'orient de celle de Garin, aux sources mêmes et sur les deux rives du Haut
Araxe. C'était Lorsque cette sauvage destruction de tout un district prospère fut ainsi terminée, l'empereur et l'armée reprirent leur marche en avant tandis que les forces géorgiennes se retiraient au-devant d'eux. Traversant dans toute sa largeur le pays de Basian, qui constitue la vaste vallée de l'Araxe, franchissant par des chemins affreux une nouvelle chaîne de montagnes, les soldats de Roum pénétrèrent alors dans le Vanant, immense et montagneux territoire tout au nord de la province d'Ararad et du Basian, à l'ouest du pays de Shirâg. C'est aujourd'hui l'aride et triste province de Kars, si célèbre dans les luttes turco-russes, arrosée par un affluent de l'Araxe. L'armée installa son camp en une localité: plaine ou vallée, désignée par Arisdaguès de Lasdiverd sous le nom de Ph'orag.[22] A ce moment précis on apprit que le jeune roi des Aphkhases, saisissant à son tour l'instant favorable, avait fondu avec ses meilleurs guerriers sur la petite place forte d'Oucktick'. C'est l'Olti d'aujourd'hui, qui, certainement, elle aussi, faisait partie des territoires contestés. Sur l'ordre de Kéôrki, les bandes aphkhases avaient livré aux flammes tous les beaux édifices religieux de cette cité, « dévasté ses jardins délicieux, pillé les richesses de ses habitants dont elles avaient toutefois respecté la vie ». Puis le roi Kéôrki s'était retiré aussi promptement qu'il était apparu.[23] C'en était trop et cet insolent défi eut le don d'exaspérer violemment le basileus. A la tête de toutes ses forces, ému d'une de ces colères qui le rendaient si redoutable, Basile se jeta définitivement à la poursuite du roi d'Aphkhasie, s'attachant obstinément à le rejoindre. Sur les pas des Géorgiens fuyant devant eux, les impériaux passant de la haute vallée de l'Olti dans celle de l'Akhourian descendirent celle-ci jusqu'au delà de la ville de Kars, puis remontèrent le cours du Rhah qui sort du lac Balagatsis. Près de Khola, aux sources du grand fleuve Kour, le Cyrus
des Anciens, dans un pays infiniment dur, les éclaireurs du basileus prirent
enfin contact avec l'arrière-garde géorgienne. Un combat acharné s'engagea
sur l'heure, au village de Chirimin ou Chirimk, autrement dit le village des
Tombeaux, sur la rive même du lac Balagatsis.[24] Cette nappe
d'eau assez considérable, aujourd'hui Tschaldyr Göl, dans la plaine au
nord-est de Kars, se trouvait sur les limites des provinces d'Ararad et de
Daïk'h. On était là dans l'extrême nord des terres d'Arménie, presque au pied
des grands monts, dans une contrée sauvage entre toutes. Ce fut avec une
véritable fureur que les combattants des deux nations se ruèrent les uns sur
les autres. Nous n'avons aucune indication sur l'importance relative des deux
armées. « L'éclat resplendissant des glaives, dit l'écrivain arménien
Arisdaguès de Lasdiverd, la lumière flamboyante des casques enveloppaient la
montagne d'éclairs; le choc des armes faisait tomber à terre des éclairs
enflammés. » Basile, contemplant cette scène épique, ne pouvait se lasser
d'admirer la bravoure des combattants. Le vieil empereur finit par prendre
lui-même part à la lutte. Quant au roi Kéôrki, il ne fut, paraît-il, que
tardivement informé de l'attaque de son arrière-garde par les Byzantins.
Entendant dans le lointain le tumulte de la bataille, désespéré de s'être
laissé surprendre, il avait fait rebrousser chemin à son armée, volant au
combat. « Car, dit l'auteur anonyme de l'Histoire de La mort de cet homme si digne de louanges fut un deuil immense pour tout le pays de Daïk'h », s'écrie le chroniqueur national. Le frère, de R'ad, Zovat,[28] fut fait prisonnier. L'« éristhaw » Khoursi[29] demeura parmi les morts, L'affaire du lac Balagatsis avait été si disputée que, malgré le succès relatif des Géorgiens, la situation demeura indécise.[30] En réalité il n'y eut dans cette première affaire ni vainqueurs ni vaincus véritables.[31] Alors, en effet, que, Basile, dont certainement l'avant-garde seule, avait été engagée, songeait presque à la retraite, il apprit que les guerriers d'Ibérie, épuisés par ce combat sanglant, se retiraient de leur côté. Prompt à l'action, le vieux basileus, modifiant aussitôt ses plans, se jeta une fois de plus sur les pas de ses adversaires. Eux cherchaient à repasser les pentes formidables de l'Anti-Caucase par ces routes terribles de la montagne pour gagner les nombreux châteaux de leur pays de Géorgie où ils trouveraient un refuge sûr contre cet adversaire trop puissant. La poursuite recommença âpre et sans merci. Sur la route
les impériaux massacrèrent une foule de soldats ibériens débandés. Partout
les envahisseurs commettaient d'affreux excès. La frontière de Géorgie fut
tôt franchie. Descendant la haute vallée du Kour qui est Kéôrki, abandonnant au fur et à mesuré ses villes à la
fureur du vainqueur, par Nigal, se réfugia dans le Sam-Tsikhé.[32] C'est Basile de son côté ne semble plus s'être trouvé assez en forces pour poursuivre l'offensive à travers de si lointaines contrées, à une telle distance de sa base d'opérations, contre cet adversaire qui venait d'être si puissamment renforcé. La mauvaise saison était aussi presque arrivée. En tous cas, nous voyons à ce moment l'empereur s'arrêter brusquement dans sa poursuite de la petite armée ibérienne, évacuer le Thrialeth et rebrousser chemin par la même route de Djawak à Arten. Il atteignit cette localité dans les premiers jours de l'hiver commençant. C'est aujourd'hui la petite localité d'Artanoudj non loin du fleuve Tchorock. C'était alors une place forte et commerciale très importante. A cette époque du xe siècle, il y venait des marchands d'Arménie et de Syrie d'une part, de Géorgie et de Trébizonde de l'autre. Il s'y faisait un trafic des plus considérables.[34] Durant qu'une portion de l'armée impériale était ainsi
engagée dans cette poursuite sans résultat, le reste des soldats byzantins
avaient, sur l'ordre de l'empereur qui espérait ainsi venir à bout de son
opiniâtre adversaire, procédé à la destruction systématique de tous les
territoires du roi d'Aphkhasie occupés par eux. Divisés en détachements, ils
parcoururent en tous sens ces contrées infortunées, avec ordre rigoureux de
tout massacrer, « sans épargner ni un vieillard, ni un adolescent, ni un
enfant, ni un jeune homme formé, ni un homme, ni une femme, ni absolument
aucun être humain de quelque âge qu'il fût ». Tout ce qui échapperait par hasard
à la mort devait être du moins emmené en captivité. Toute la campagne devait être
ravagée, incendiée. Telle était l'effroyable coutume de ces guerres
orientales. L'armée byzantine détruisit ainsi entièrement douze districts au
dire d'Arisdaguès, vingt-quatre au dire de Samuel d'Ani, en un mot toute la
portion du royaume d'Aphkhasie sise au sud du Kour, c'est-à-dire toute L'hiver de 1021 à 1022 était venu, l'hiver si rude en ces hautes et froides contrées. L'empereur qui ne voulait pas s'en retourner sans avoir dompté son insaisissable adversaire mais qui ne pouvait songer à passer la mauvaise saison si affreusement rigoureuse dans ces régions montagneuses si cruellement saccagées, prit le parti de rentrer sur le territoire de l'empire et d’aller prendre ses cantonnements tout près de la frontière, dans le thème de Chaldée, dans les campagnes de Trébizonde qui en était la capitale, dans ces riches et fertiles prairies du Pont qui bordent la mer Noire. L'armée donc quitta son campement d'Arten « après y avoir, dit le chroniqueur, exercé des ravages plus odieux encore que la première fois ». Cette marche jusqu'à Trébizonde dut être infiniment pénible, car elle se fit en plein hiver. Qu'on jette un coup d’oeil sur la carte. On verra par quelles contrées tourmentées, par quelles chaînes interminables de monts abrupts séparés par de profondes vallées durent passer les admirables légionnaires du vieil empereur. Il fallut franchir entre autres le fleuve Tchorock,[36] l'ancien Akanipsis au cours torrentueux dont le bassin formait la plus grande partie de la province même de Daïk'h. Basile semble avoir passé l'hiver tout entier dans cette vieille cité de Trébizonde où quelque palais au luxe provincial dut être aménagé en hâte pour le recevoir. Nous ignorons s'il alla durant ce séjour prolongé faire une visite de quelques semaines à Constantinople, ce qui n'était pas d'une navigation bien lointaine. Nous ne savons pas davantage comment le vieux basileus passa son temps dans l'antique capitale des rois du Pont. Les chroniqueurs notent uniquement qu'il y eut entre lui et le roi d'Aphkhasie un échange nombreux d'ambassades portant des propositions de paix. Ce prince si actif ne pouvait laisser s'écouler tant de jours sans chercher par des négociations suivies à dénouer pacifiquement ces graves difficultés. Les chroniqueurs ajoutent que les soldats byzantins vendirent à vil prix sur le marché de Trébizonde leurs prisonniers géorgiens à des nations lointaines, probablement à des marchands russes ou khazars. Les chroniqueurs arméniens racontent aussi longuement un événement miraculeux qui a trait à ce séjour du grand Basile dans la lointaine Trébizonde et qui, malgré son caractère légendaire, vient éclairer d'un jour curieux l'histoire si mal connue des relations entre le gouvernement du basileus orthodoxe et le clergé arménien vassal et des haines si vivaces entre les différentes communautés chrétiennes, d'Orient, haines qui, à travers tant de siècles, se sont perpétuées immuables jusqu'à nos jours. Le catholicos d'Arménie, Pierre ou Bédros Ier,[37] racontent les sources arméniennes, avait quitté Ani pour rendre visite au basileus et lui remettre des lettres du roi Jean Sempad. Le pieux prélat désirait aussi s'entretenir avec Basile de la situation créée au point de vue religieux à ses compatriotes devenus depuis peu sujets de l'empire. Il rejoignit l'empereur à Trébizonde dans les premiers jours de l'an 1022, lors de la fête de l'Epiphanie du 6 janvier qui est pour les Arméniens le commencement de l'année ecclésiastique. Basile reçut le prélat avec les plus grands honneurs. « Il est d'usage, ce grand jour de l'Epiphanie, continue
le chroniqueur, que les princes chrétiens qui professent des sentiments de
piété, se mêlant aux chefs de l'Eglise, descendent avec eux à pied dans l'eau
pour y célébrer le mystère du baptême du Seigneur. Le jour de la fête étant
donc arrivé, l'empereur invita le catholicos Bédros et les évêques romains[38] présents en cet
endroit à bénir l'eau, chacun suivant leur coutume. Tous les chrétiens se trouvaient
réunis avec une foule immense d'autre peuple, à Trébizonde, selon la coutume,
pour assister à « Le catholicos, poursuit le chroniqueur, comblé de plus d'honneurs encore par l'empereur et ses officiers, s'en retourna chez lui. » Un auteur anonyme contemporain ajoute à ce récit ces autres détails: « Quand le fleuve eut repris sa course, le basileus et toute son armée tombèrent aux pieds du bienheureux et saint catholicos, baisant avec de bruyantes effusions le signe sacré et jetant de l'eau consacrée sur leur tête. Basile déposa même sa couronne dans le fleuve et pria le seigneur Bédros de lui verser avec la main de l'eau sur la tête puis, saisissant dans ses bras la croix sainte qui avait fait rebrousser le fleuve, il la couvrait de baisers insatiables et en signait tous ses sens. A son exemple, le métropolite et le peuple entier pressèrent dans de chaleureux embrassements le signe victorieux et la main du catholicos. Lorsque la nuit vint, les fidèles n'avaient pas encore achevé de baiser la croix.[40] La croix par la vertu de laquelle le patriarche Bédros
arrêta ainsi miraculeusement le cours de l'impétueux Tchorock n'était autre,
d'après une tradition arménienne,[41] qu'un fragment
du bois de Le catholicos Bédros Ier n'était pas venu auprès du basileus dans une intention uniquement pieuse. Il lui portait encore des lettres du roi des rois d'Arménie, Jean Sempad, « lettres qui, s'écrie l'historien national Arisdaguès de Lasdiverd, furent la cause vraie de la ruine prochaine et totale de cette malheureuse contrée ». Jean Sempad, en effet, abandonné par son allié Kéôrki qui, après l'avoir entraîné dans cette terrible aventure, essayait de s'en tirer en faisant avec le basileus sa paix particulière, se voyait de son côté forcé d'implorer la clémence du vainqueur. Il le fit de manière à engager définitivement l'héritage de ses pères. Rappelons, brièvement quel était ce prince. Kakig Ier, roi des rois pagratide d'Arménie, était mort tout récemment en l'année 1020 en paix avec l'empire, dans une extrême vieillesse, après un règne long, très glorieux, relativement pacifique de près de trente années.[42] Il avait eu pour successeur son fils aîné, ce Johannès ou Jean Sempad, prince sans énergie, même de médiocre intelligence, mais sage, instruit, doué de qualités qui étaient plutôt celles d'un particulier que d'un roi. Une corpulence extraordinaire, surtout pour sa petite stature, corpulence qui l'empêcha toujours de faire la guerre, augmentait encore son indolence naturelle. Il ne se souciait point du métier des armes, alors si prisé parmi les princes de sa race. Son règne venait de débuter d'une manière fort agitée. Kéôrki de Géorgie avait, il est vrai, d'abord pris parti pour lui et lui avait envoyé une couronne pour reconnaître sa suzeraineté. Mais Jean Sempad n'en avait pas moins failli être détrôné par son propre frère, Aschod IV, lequel le tenait en médiocre estime, étant de dispositions absolument opposées aux siennes. Ce prince, de belle prestance, passionné pour tous les exercices
virils, d'un courage éclatant, aspirait ouvertement à la couronne. Il avait
attaqué son frère avec une armée de vingt mille cavaliers et de quarante
mille fantassins. Jean Sempad, battu, s'était sauvé auprès du roi Sénékhérim
du Vaspouraçan, qui lui avait fourni les moyens de combattre à nouveau l'usurpateur
jusque dans sa capitale d'Ani. Dans l'année 1021, cependant, au moment et
probablement à cause de l'approche de l'empereur, une réconciliation avait eu
lieu entre les deux frères par la médiation du roi d'Aphkhasie. Jean Sempad
avait dû accepter de partager le pouvoir avec Aschod. Il avait gardé pour lui
Ani et tout le pays de Schirâg, tandis qu'Aschod, sous le nom d'Aschod III,
surnommé K'hadeh, « le Vaillant », recevait pour sa part les districts
orientaux et septentrionaux du royaume, voisins de Il me faut mentionner ici, bien que ce fait intéresse très indirectement l'histoire du basileus Basile, que ce fut vers cette même année 1021[45] qu'eut lieu la première invasion sérieuse des sauvages Turcs Seldjoukides de l'Asie centrale, « Turcs des rives des fleuves Sihoun et Djilioun », dans ces malheureuses contrées d’Arménie qu'ils devaient dans la suite accabler de si effroyables dévastations jusqu’à ce qu'ils en fussent devenus les maîtres. Jamais, jusqu’à cette époque, on n'avait vu dans ces régions ces cavaliers diaboliques que les historiens nationaux désignaient alors encore sous l'appellation antique d'Elyméens. Cette première fois, sous la conduite de Thogroul Beg, ils infestèrent surtout les campagnes du Vaspouraçan, principalement, celles du district des Rechtouniens où ils commirent les plus horribles excès malgré la résistance héroïque du prince héréditaire Davith, fils du roi Sénékhérim, du généralissime aspracanien Schapour[46] et du généralissime géorgien Liparit, coalisés en face du péril commun. Davith, malgré ses victoires sur ces odieux envahisseurs, faillit périr et ne dut la vie qu'au courage de Schapour. Chargés d'un immense butin, les bandits innombrables de la steppe disparurent ainsi qu'ils étaient venus. Franchissant l’Araxe, ils allèrent encore piller les campagnes de Tovin où ils furent finalement mis en déroute dans le pays de Nik par le sbarabied arménien Vasag, de l'antique race royale des Arsacides.[47] Ces redoutables cavaliers, que les chroniqueurs arméniens comparent « à des serpents ailés, à des dragons au souffle mortel, accourus pour vomir des flammes sur les fidèles du Christ, à des bêtes féroces altérées de sang, à des chiens enragés, scélérats et immondes fils de Cham » sont décrits par eux comme, des guerriers à l'aspect étrange, aux cheveux longs et flottants comme ceux des femmes, armés d'arcs d'une longueur démesurée. Ce furent pour toutes ces régions de l'Arrière Anatolie,
de l’Arménie et de Revenons à Jean Sempad, légitime roi des rois d'Arménie.[49] Nous ne savons pas au juste comment ce prince avait attiré sur lui la colère du basileus, mais il paraît certain, nous l'avons vu, qu'il avait subi l'influence du roi des Aphkhases et pris une attitude hostile aux Byzantins. Abandonné ensuite par ce même Kéôrki, foudroyé sous l'imminence du péril, car Basile lui avait certainement fait savoir qu'il irait le châtier dès la fin des mauvais jours et ne lui laisserait Ani et le reste du royaume qu'à titre viager en qualité de vassal, le malheureux souverain avait été d'emblée jusqu'à la dernière limite des concessions. Il avait fait rédiger par le catholicos Bédros des lettres de soumission qu'il avait chargé le saint prélat de porter à Trébizonde au basileus avec les clefs d'Ani et un acte formel de donation par lequel il léguait à Basile pour en jouir lui et ses successeurs à perpétuité, après sa mort, son royaume tout entier avec sa belle capitale et toutes ses villes. C'était évidemment, je le répète, la condition draconienne qu'avait mise Basile aux premières ouvertures de paix envoyées par le roi d'Arménie.[50] Jean Sempad, qui était sans postérité puisque son fils unique avait péri prématurément,[51] se trouvait vis-à-vis du puissant basileus de Roum dans la situation d'un oiseau dans le filet du chasseur. Menacé d'être attaqué par lui dès le printemps, redoutant d'être assailli à son tour par les Turcs Seldjoukides, il dut accepter de suite ces conditions si dures. S'il se voyait forcé de céder ses Etats après sa mort, au moins il demeurerait roi sa vie durant. Le faible souverain scellait ainsi la perte de l'indépendance de son royaume et c'est avec raison qu'Arisdaguès de Lasdiverd, l'historien national, parlant des lettres royales apportées au basileus à Trébizonde par le catholicos d'Arménie, s'écrie avec douleur que celles-ci allaient devenir la cause de la ruine prochaine et totale de sa patrie! Voici en quels termes l'auteur anonyme de l’Histoire de « Le catholicos, dit-il, partit pour aller trouver le basileus à Trébizonde, accompagné de douze évêques, de soixante-dix moines, des deux savants « vartabeds », le très érudit Joseph de Hèndzouts et le vigoureux et invincible Gozèr'n Jean, plus trois cents hommes choisis dans l'armée et la noblesse; il emportait en outre des sommes d'or et d'argent provenant du trésor royal, des chevaux et des mulets. Basile, en le voyant, éprouva une grande joie, car la renommée de sa vertu et de sa sainteté l'avait précédé depuis longtemps. C'était, en effet, un homme admirable, rempli de toutes sortes de bonnes qualités, possédant le don divin de guérir les malades et de chasser les démons. C'est pourquoi l'empereur l'honora plus que tous les patriarches grecs. Il reçut avec une satisfaction marquée les présents qu'il lui apportait et accorda de brillantes distinctions honorifiques aux évêques et aux nobles qui l'accompagnaient. » Les auteurs arméniens affirment pieusement que ce fut
grâce au miracle opéré par lui le jour de l'Epiphanie que le vénérable Bédros
réussit dans sa mission. Les conventions imposées au roi des rois d'Arménie
par l'empereur victorieux furent définitivement ratifiées au palais impérial
de Trébizonde. Elles valaient à l'empire la certitude prochaine d'un nouveau
et superbe fleuron ajouté à tant d'autres. En récompense, Jean Sempad, reçu
dans la paix de l'empereur, fut créé magistros. Il conservait pour sa vie
durant le titre d'archôn d'Ani et de L'annexion à bref délai des domaines de la maison royale pagratide d'Arménie ne fut pas la seule bonne fortune échue au basileus durant ce long hivernage à Trébizonde. Précisément à ce moment, un autre puissant dynaste arménien, Jean Sénékhérim ou Sennachérib, de la célèbre dynastie des Ardzrouni,[52] Porte-Aigle,[53] depuis l’an 1003 seul roi ou souverain de toute l'Aspracanie,[54] le Vaspouraçan actuel, fatigué des luttes intestines qui désolaient incessamment les principautés arméniennes, impuissant à les comprimer dans ses Etats, redoutant l'hostilité constante de ses trop puissants voisins les divers dynastes arabes de cette région, épouvanté surtout par l'apparition des Turcs Seldjoukides qui avaient pour la première fois parcouru ces contrées, désespérant d'arriver à repousser avec ses seules forces un de leurs retours offensifs et se rappelant une prophétie de saint Nersès dont il croyait ainsi voir l'accomplissement, réunit les principaux chefs de ses Etats et les princes de sa famille et leur proposa, certainement après s'être mis d'accord avec le basileus, de céder son royaume à celui-ci qui saurait plus efficacement le protéger contre tant de dangers. Basile lui offrait en échange de cette souveraineté le district plus paisible de Sébaste ou Siwas, bien moins exposé par sa situation à tant d'attaques du dehors, comme aussi à tant d'intrigues intérieures. Le consentement des princes et des nobles du Vaspouraçan ayant été unanime, le roi Sénékhérim envoya aussitôt à Trébizonde[55] son fils, le prince héréditaire Davith pour terminer les négociations. Le jeune prince accompagné de l'évêque des Rechtonniens, le vénérable Elisée, empochait avec lui les plus riches présents chargés sur trois cents mulets. Aucune proposition ne pouvait être à cette heure plus agréable au basileus, uniquement préoccupé d'assurer puissamment les frontières de l'empire dans cette région orientale. Cette annexion pacifique du Vaspouraçan était un grand pas de plus dans l'œuvre du démembrement de l'Arménie et de son incorporation progressive à l'empire, commencée vingt ans auparavant par la cession de l'héritage du grand curopalate Davith. Basile fit donc le meilleur accueil au prince royal d'Aspracanie. Très rapidement, semble-t-il, la convention fut conclue par laquelle, en échange de leurs Etats héréditaires avec toutes leurs forteresses et leurs châteaux, nids d'aigles des montagnes natales, le roi Sénékhérim et ses fils entraient en possession, sous la suzeraineté impériale, du territoire de la ville de Sébaste jusqu'au fleuve Euphrate avec ceux des villes de Larissa, d'Abara et un grand nombre d'autres localités.[56] Sénékhérim obtenait en plus les titres de patrice et de duc de Mésopotamie, auxquels Skylitzès ajoute, probablement à tort, celui de stratigos du thème de Cappadoce. Pour mieux assurer son nouveau lieutenant de son impériale bienveillance, Basile procéda, avec le cérémonial accoutumé, à l'adoption du prince Davith avant de le renvoyer à son père porteur de l'heureuse nouvelle du succès des négociations.[57] Aussitôt après le retour de son fils, Sénékhérim, lequel
n'avait certainement consenti qu'avec douleur à cette cession qui faisait de
lui, souverain jusqu'ici presque indépendant, un simple gouverneur de thème
byzantin, procéda, d'accord avec les commissaires impériaux, à la livraison
régulière de l'Aspracanie à l'empire. Ceux-ci prirent officiellement
possession, au nom du basileus, de cette belle province qui allait du rivage
oriental du lac Yan et des montagnes qui s'élèvent au sud de cette grande
nappe d'eau jusqu'au delà du cours de l'Araxe vers les monts de Siounik'. Les
limites de l'empire vers l'ouest se trouvaient ainsi reportées jusqu'aux montagnes
de l'Aderbaïdjan, l'Atropatène des anciens. Le Vaspouraçan était une des
quinze provinces primitives de Le Vaspouraçan, dans ce premier quart du xie siècle,
était encore fort peuplé. « L'acte de donation tel que nous le lisons dans Cette annexion pacifique d'un vaste royaume était pour l'empire un magnétique accroissement de puissance dans l'Est. C'était la frontière orientale bien mieux protégée, contre la constante agression musulmane. C’était aussi une turbulente dynastie jusqu'ici à peine, vassale de nom passant à l'état de simple famille de la noblesse féodale de l’empire, pépinière de fonctionnaires provinciaux et de dignitaires palatins. Lorsque toutes les formalités de la cession eurent été réglées suivant les usages méticuleux et infiniment compliqués de la bureaucratie byzantine, le souverain dépossédé du Vaspouraçan, quittant son antique résidence royale de Van[62] assembla ses fils: Davith, Adam, Abou Sahl et Constantin, sa famille, ses grands, les princes de son peuple et ses guerriers. A la tête d'un tiers environ de ses sujets qui avaient consenti à le suivre, se rappelant cette parole divine: « Si l'on vous chasse d'une ville, fuyez dans une, autre. » Il alla, par cet immense exode de quarante mille êtres humains,[63] emportant avec eux tout ce qu'ils pouvaient de leurs biens, prendre possession de sa nouvelle seigneurie. Nous ne savons rien de cette odyssée de tout un peuple, « tout ce qui restait de la nation de Thorgom ». Tchamtchian[64] dit seulement que les émigrés du Vaspouraçan bâtirent ou plutôt rebâtirent dans leur nouvelle patrie du thème de Sébaste les villes d'Akn sur l'Euphrate et d'Arabkir. Akn ou Agn, en turc Akin, était située dans une vallée pierreuse à une faible distance à l'ouest du fleuve. Plus au sud, se trouvait Arabkir, l'Aralracès des Byzantins, l'Arapger actuelle,[65] chef-lieu de sandjak dépendant de Siwas. Ce n'était pas, on le sait, un événement rare à cette époque qu'une de ces transplantations en masse. Certainement, bien que les chroniqueurs n'en disent rien, le gouvernement du basileus combla de son côté par des colonies militaires amenées peut-être de Syrie, plus probablement de Bulgarie, les vides laissés dans le Vaspouraçan par le départ de ces quarante mille émigrés. « Basile, dit Skylitzès, constitua en catépanat cette province nouvelle, » c'est-à-dire qu'il en fit un commandement militaire frontière. Il en donna la garde au patrice Basile Argyros; mais ce fonctionnaire, ayant complètement échoué dans sa mission, fut presque aussitôt remplacé par le protospathaire Nicéphore Comnène. Celui-ci, disent les chroniqueurs byzantins, à peine arrivé dans le pays, usant de persuasion plus que de violence, eut tôt fait d'amener la pacification de toute la contrée. Naturellement cette prise de possession ne s'était pas faite sans quelques résistances partielles. Nicéphore Comnène, probablement un frère de Manuel Comnène Eroticos,[66] le glorieux défenseur de Nicée en 978,[67] fut un brillant et parfait administrateur. Il était encore « catépano » d'Aspracanie sous le règne de Constantin VIII et avait à cette époque largement reculé les limites de la province confiée à ses soins par des conquêtes heureuses sur les dynastes sarrasins du voisinage. Il avait fait prêter à tous ses soldats le serment de vaincre toujours, sinon de périr à ses côtés. Le basileus Constantin, jaloux de ce modèle des lieutenants, le rappela plus tard à Constantinople sous une infâme accusation de haute trahison et lui fit crever les yeux. L'exode du roi ardzrounien du Vaspouraçan, de sa famille
et de ses sujets, se fit en 1021 d'après Tchamtchian, en réalité seulement
dans l'année 1022.[68] Sénékhérim
emportait avec lui les plus précieuses reliques de son royaume, surtout la
sainte Croix du monastère de Varak ou Varag près de Van, résidence de
l'archevêque de ce lieu sur une montagne à six milles dans l'est. Cette croix
très fameuse par toute l'Arménie avait été plantée jadis en ce lieu au sommet
d'un rocher par « un tendre agneau », la sainte vierge Hrhip'hsime,
martyrisée sous le règne de Tiridate, sainte très vénérée des Arméniens. La
croix, longtemps oubliée, s'était révélée, éclatante de lumière, en l'an 653
ou 654. Sénékhérim, qui avait construit en l'honneur de cet inestimable joyau
le couvent de Varak, lui éleva de même un monastère de Les parents de Sénékhérim, tous les princes du Vaspouraçan, comblés par Basile de biens, de titres et de dignités, accompagnèrent donc leur roi. Le patriarche thaumaturge Bédros vint aussi habiter près de lui à Sébaste. Mais dès 1028, il retournait à Ani. En 1048 il alla à Constantinople. Il termina bien plus tard, seulement vers 1053 ou 1054, son existence agitée, dans un monastère près de Sébaste. Le grand seigneur byzantin dont M. Wassiliewsky a retrouvé à Moscou le manuscrit si curieux,[69] dans un chapitre de ses Conseils et Récits,[70] dans lequel il est parlé de l'importance du rang des « Romains » et recommandé aussi de ne pas trop élever en dignité les étrangers parce que, du même coup, on abaisse ces mêmes « Romains », fait une allusion intéressante à cette cession du Vaspouraçan par le roi Sénékhérim. « Sénékhérim, ainsi que tu le sais bien, dit-il en s'adressant au basileus Michel VII, voulut donner son pays à Basile le Porphyrogénète pour devenir son serviteur. Le basileus Basile, ayant daigné accepter avec bienveillance cette marque de l'amour que lui portait le roi du Vaspouraçan, lui conféra la dignité de magistros, rien de plus, bien qu’il fut le descendant d’une longue lignée de rois et roi lui-même. » Voici enfin le récit que l'historien national de la famille des Ardzrouni, à laquelle appartenait le dernier roi du Vaspouraçan, fait de la cession de sa pairie au basileus:[71] « En ce temps-là, il y eut un homme, descendant du roi Sénékhérim le Grand dont parle le prophète Isaïe, portant le même nom que son aïeul. L'autorité impériale à Constantinople était aux mains d'un homme pieux nommé Basile, basileus des Grecs. Les débris encore subsistants de la maison de Thorgom eurent recours à lui qui, par un sentiment de céleste charité, s'apitoya sur le sort de leurs enfants. Il les appela chez lui du fond de leurs Etats, les admit à la cour impériale, et, en échange de leurs villes, leur octroya de grandes cités, remplaça leurs places fortes par d'imprenables citadelles, des provinces, des villages, des champs et de saints monastères? Cet échange du patrimoine de la maison Ardzrouni fut exécuté en l'an 478 de l'ère d'Arménie, c'est-à-dire dans l'an du Christ 1021, par Sénékhérim qui passa sur le territoire de l'empire grec avec quatorze mille hommes sans compter les femmes et les enfants. Tous devinrent sujets de l'empire ». Le nouveau domaine, confié à Sénékhérim par Basile devint
une seigneurie héréditaire, à la mort de l'ex-roi survenue en 1027,[72] six ans après
son exode. Son fils Davith, prince énergique et glorieux, lui succéda et
après celui-ci ses frères plus jeunes. Leur famille se répandit par la suite
par toute Sénékhérim, en mourant, avait ordonné à ses fils,
lorsqu'ils iraient l'ensevelir aux tombeaux des rois ses pères dans le saint
couvent de Maintenant que le Daïk'h et le Vaspouraçan allaient
définitivement passer au rang de simples provinces impériales, il ne restait
plus, pour que toute la vieille terre d'Arménie appartînt à l'empire jusqu'au
pied des monts qui limitent au Cependant, à Trébizonde, à travers tous ces incidents, les négociations se continuaient actives entre le basileus et le roi de Géorgie. Comme celui-ci ne se pressait toujours pas d'accepter les conditions que lui offrait l'empereur, Basile, constamment en défiance des intentions vraies de ces souverains orientaux dont la fourberie était une des armes principales, n'en poursuivait pas moins fiévreusement ses préparatifs pour reprendre la campagne dès les premiers beaux jours. On verra que bien lui en prit. Sans doute des renforts nombreux durent lui arriver de Constantinople par la voie de la mer. Nous n'avons pas d'autre indication que celle-ci; Yahia dit que « Basile réunit une flotte dans le port de Trébizonde pour porter la guerre au pays de Géorgie par mer. » Certainement cette voie était bien préférable à celle de terre dans ces contrées dépourvues de routes. Tout ceci finit cependant par impressionner quelque peu cet orgueilleux petit souverain de Géorgie qui avait tant de peine à s'humilier devant son suzerain. C'est encore Yahia qui nous apprend qu'un ambassadeur arriva enfin de sa part chargé d'implorer officiellement sa grâce auprès du basileus. Kéôrki présentait à l'autocrator ses humbles excuses; il promettait de lui restituer tous les territoires ayant appartenu à son oncle, le grand curopalate, territoires qu'il détenait injustement contre la foi des traités; il offrait de jurer fidélité immuable à l'empire et promettait de livrer en otage son fils le prince héréditaire Bagrat. Basile, persuadé cette fois de la bonne foi du roi des Aphkhases, heureux d'en finir avec cette guerre lointaine, accepta ces propositions. Un « basilikos » impérial, escorté de nombreux dignitaires et de légistes chargés de rédiger le traité définitif de vassalité, partit, probablement par la voie de mer, pour recueillir avec le serment de fidélité de Kéôrki, ceux du catholicos de Géorgie et des dignitaires ecclésiastiques et civils de la principauté. Tous jurèrent entre les mains de l'envoyé byzantin sur les saintes reliques, avec des serments extraordinaires, de remplir fidèlement les conditions du contrat conclu avec le basileus. Quand ces formalités eurent été remplies, quand toutes les garanties préalables eurent été soigneusement établies, Basile en personne, à la tête de son armée, partit à son tour de Trébizonde pour aller prendre livraison officielle des forteresses et territoires restitués par l'Aphkhase, ainsi que de la personne du fils du roi. On était au premier printemps de l'an 1022. Ce séjour prolongé du basileus à Trébizonde, reine des
villes de la mer Noire, dut certainement profiter grandement à ce port alors
déjà un des plus importants entrepôts du Levant. Nous savons par le fameux
chroniqueur arabe du xe
siècle, Maçoudi, qu'il se tenait chaque année dans cette antique cité adossée
à des montagnes richement boisées, plusieurs foires fréquentées par les
Circassiens, par tous les peuples de l'Arménie et du Caucase et aussi par une
grande quantité de marchands musulmans, byzantins, arméniens et autres. « Les
Russes, les Perses, les Syriens, les Ibères ou Géorgiens y affluaient »,
dit-il. Un autre géographe arabe, Isstakhri, écrivait de son côté: «
Trébizonde est la ville frontière des Grecs; nos marchands y vont tous: toutes
les étoffes de fabrication grecque, tous les brocarts qui sont importés sur
le territoire musulman passent par Trébizonde. » Ces marchands musulmans
venant de la vallée du Tigre, de Dans tout l'Orient on célébrait l'activité, la prudence
des habitants de Trébizonde, la beauté de leur type. Ils avaient fait de leur
cité une des premières de l'Anatolie. Leurs tissus charmants et multicolores,
tissus de lin, de laine, de soie, surtout; leurs vins, leur poisson salé
étaient, partout recherchés. Mais Trébizonde vivait bien moins de son
industrie que de son immense négoce qui amenait dans son port les
marchandises d'Occident et d'Orient, les produits de Comme le basileus venait d'envahir à nouveau la terre de Daïk'h et s'avançait à marches forcées dans la direction du Basian, un des territoires qui avaient été la cause du conflit avec le roi Kéôrki, il reçut la plus fâcheuse nouvelle et la plus inattendue, semble-t-il. Alors que l'ère des grandes séditions militaires semblait à jamais close, depuis les désastres des Bardas Phocas et des Bardas Skléros près de trente-six années auparavant, deux capitaines byzantins, parmi les plus considérables, le patrice Nicéphore Xiphias,[82] stratigos du vaste thème des Anatoliques, la grande province centrale de l'Asie Mineure, le même qui, dans la guerre bulgare, s'était tant distingué comme stratigos en Macédoine, et Nicéphore Phocas, propre fils du fameux prétendant Bardas, celui-là même qu'on désignait sous le nom de Nicéphore « au col tors » et que les historiens arméniens nomment, je ne sais pourquoi, Dzer'avis,[83] demeuré constamment en disgrâce depuis la mort tragique de son père, et sa propre défaite en Asie en 988, s'étaient soulevés contre le basileus sur les derrières de l'armée impériale! Faute de documents, nous sommes, hélas! très mal fixés sur les origines vraies de cette sédition qui vint si inopinément et si profondément troubler les plans de l'empereur. Nous demeurons toutefois assurés que ce durent être toujours encore les mêmes motifs qu'aux temps des Bardas Phocas et des Skléros: avant tout, le mécontentement persistant des hauts chefs militaires qui ne se trouvaient jamais assez payés de leurs services et qui supportaient impatiemment le joug du moins souple des maîtres. « Cependant, dit Mathieu d'Edesse en son langage image, beaucoup de hauts personnages, que pour des causes différentes Basile avait dépouillés de leurs dignités, rugissaient comme des lions enfermés dans une cage. Ils conspirèrent et décidèrent de le détrôner. Leurs chefs étaient les deux Nicéphore. » Ceux-ci, mécontents peut-être, c'est du moins la version de Skylitzès,[84] de n'avoir pas été choisis par le basileus pour commander l'expédition contre les Aphkhases et d'avoir été laissés en arrière, profitèrent de l'absence du maître et de cette guerre pénible qu'il avait sur les bras pour tenter contre lui ce dangereux soulèvement. Yahia raconte de son côté que le stratigos des Anatoliques, personnage ambitieux qui ne rêvait à rien moins qu'à se faire proclamer basileus, avait décidé de s'aboucher dans ce but avec l'autre Nicéphore, le fils du grand Bardas Phocas, à cause des sympathies si nombreuses que ce personnage et son clan familial si puissant groupaient encore autour d'eux parmi les populations de l'Asie Mineure centrale, dans cette Cappadoce surtout, pépinière de combattants intrépides, demeurée tout entière si obstinément attachée au culte de la grandeur, passée de cette maison. C'étaient tous les vieux et glorieux souvenirs des Nicéphore, des Léon, des Bardas Phocas que l'ambitieux Xiphias rêvait de réveiller dans les thèmes d'Asie par son association avec Nicéphore « au col tors ». Yahia ajoute que les deux chefs s'entendirent à merveille pour profiter de l'absence de l'empereur en vue de leur commune entreprise. Chacun d'eux cachait avec soin au plus profond de son âme son intention bien arrêtée, dès qu'on en aurait fini avec le basileus, de se débarrasser de son complice pour recueillir à lui seul les fruits de cette sédition. Les conjurés avaient bien choisi leur moment pour mettre leur plan à exécution. C'était celui où Basile, quittant Trébizonde avec son armée, s'enfoncerait à nouveau dans la direction de l'Orient à travers les lointaines et âpres campagnes du pays de Daïk'h. Naturellement ils avaient cherché des alliés parmi ces princes arméniens et géorgiens que le vieil empereur était précisément occupé à mettre à la raison ou à dépouiller de leurs souverainetés héréditaires. Mathieu d'Edesse va jusqu'à dire que les rebelles avaient réussi à attirer dans leur complot le roi Jean Sempad, son frère Aschod III, et Davith, le fils de l'ex-roi d'Aspracanie Sénékhérim, retiré dans son thème de Chaldée. De même par Skylitzès nous savons que dans l'entourage de l'empereur on fut de suite persuadé que les conspirateurs s'étaient mis secrètement d'accord pour une action commune avec le roi des Aphkhases constamment traître à nouveau. Ces nouvelles étaient fort graves. De tous les points de l'Asie Mineure, de tous les thèmes d'Anatolie, des adhésions de hauts personnages mécontents, appartenant aux partis vaincus, affluaient en foule aux deux chefs conjurés. Une véritable, armée se constituait rapidement autour d'eux en Cappadoce.[85] Levant les derniers voiles, révélant leurs desseins au grand jour, les deux chefs installèrent leur camp dans une vaste plaine, peut-être bien celle de Césarée, où ils furent encore rejoints par de nombreux partisans. D'abord chacun des deux feignit de renvoyer à l'autre les honneurs impériaux. Enfin, les principaux conjurés s'étant mis d'accord, le sceptre fut définitivement offert à Nicéphore Phocas, qui, à cause de son nom glorieux et des souvenirs encore si récents de sa race, offrait plus de garanties de succès que Xiphias, infiniment moins connu. Le fils de Bardas qui hésitait à s'engager à ce point commença par refuser formellement, mais il avait affaire à des gens décidés. Après de longues résistances, il dut consentir à se laisser proclamer. C’était le second Phocas qui briguait, le sceptre depuis la mort du glorieux basileus Nicéphore. Nous ne savons absolument rien sur le lieu et les circonstances du couronnement de ce nouveau prétendant. L'anxiété de Basile fut grande à ces terribles nouvelles. Le vieux basileus se trouvait jeté aux extrémités de l'empire, en plein pays hostile, au milieu de ces populations guerrières mal soumises, placé entre deux périls: devant lui, le roi des Aphkhases, qui pouvait d'un moment à l'autre reprendre les armes, lente par cette diversion inattendue sur ses derrières, la grande sédition militaire dont je riens de parler. Avec sa lucidité accoutumée, il comprit aussitôt la nécessité d'une action très prompte confiée à un chef énergique. Son choix tomba sur le protospathaire et drongaire Théophylacte Dalassénos, le fils de ce Damien Dalassénos que nous avons vu duc d'Antioche à une autre page de cette histoire. Cet homme audacieux et froidement résolu, eut mission de se transporter sur le champ, en grand secret, dans le thème des Anatoliques dont le basileus l'avait nommé stratigos en place du rebelle Xiphias. Aussitôt, arrivé, il devait, après s'être rendu compte de l'étendue de la révolte des forces comme des ressources dont elle disposait, s'efforcer d'attirer au plus vite les deux chefs dans quelque habile souricière. Basile donna à son lieutenant pleins pouvoirs pour les moyens à employer et tout l'argent pour lever les troupes nécessaires. Le secret fut parfaitement gardé. Seuls Théophylacte Dalassénos et le basileus, qui tenait à ne pas inquiéter son monde, se trouvaient au courant. Ne voulant pas s'engager plus avant en pays ennemi, tant qu'il aurait derrière lui ce grand péril, Basile résolut d'interrompre son expédition et d'aller, avec ses troupes, attendre les événements dans la place de Mazdat.[86] C'était, paraît-il, une forteresse très puissante. Nous en ignorons le site précis. M. Brosset la place, probablement avec raison, dans le pays de Basian.[87] « Le basileus prit ses cantonnements, dit l'historien géorgien, suivant une ancienne coutume des empereurs grecs en pareille occurrence. » Aussitôt arrivé dans le thème des Anatoliques, Théophylacte Dalassénos, dit Yahia,[88] n'eut pas de peine à se convaincre de la gravité du péril. Les deux chefs rebelles étaient rapidement parvenus à grouper autour d'eux un nombre très considérable de partisans, autant de la noblesse provinciale que du menu peuple. Ce n'était pas tout. Malgré toutes les précautions prises pour garder le secret de ces événements, la nouvelle en avait été vite connue un peu partout, jusque dans l'armée impériale et beaucoup parmi les soldats du basileus fatigués par cette longue campagne, surtout parmi ceux originaires des thèmes où la rébellion était le plus acclamée, perdant tout sentiment du devoir, entièrement dévoyés, commençaient à déserter en masse pour courir défendre leurs foyers et leurs familles, craignant la vengeance des rebelles. Heureusement pour l'empire que cette audacieuse
entreprise, sur laquelle nous sommes malheureusement si peu renseignés, et
qui semble avoir été, dès le début, très mal dirigée, ne tarda pas à devenir
désastreuse pour ceux qui l'avaient si follement inaugurée. Et d'abord,
circonstance qui devait très vite amener une première catastrophe, toutes les
sympathies de cette foule de rebelles surexcités allaient au seul Nicéphore
Phocas. Tous ces révoltés d'Asie ne voulaient connaître pour chef que le fils
de Bardas Phocas, le petit-neveu du glorieux basileus Nicéphore. De Nicéphore
Xiphias, personne ne se souciait. Celui-ci, dit Yahia, en conçut une violente
jalousie contre son trop heureux complice et résolut de s'en défaire. Il
n'eut, pour cela, qu'à le convier à une entrevue à laquelle le malheureux,
sans défiance, accourut sans escorte, monté sur sa mule. Comme, après s'être
entretenus de leurs communes affaires, lui et Xiphias se séparaient pour
retourner chacun chez lui, un des serviteurs du traître, sur un signe de lui,
d'un coup de bâton, abattit Nicéphore Phocas de sa monture. Aussitôt on lui
trancha la tête.[89] C'était le jour
de la grande fête de l'Assomption, le 15 août de l'an 1022. Nous ignorons
jusqu'à la localité qui fut le théâtre de ce drame. Telle est, sur ce
meurtre, la version des Byzantins comme celle de Yahia et aussi de l’Histoire
de Pour d'autres enfin, pour Mathieu d'Edesse en particulier, le meurtrier de Nicéphore Phocas « au cor tors » aurait été, non point Xiphias, mais le prince Davith, le fils aîné de l'ex-roi Sénékhérim d'Aspracanie. Mis par les deux chefs rebelles dans la confidence de leurs projets, probablement mécontent de sa position infime dans ce petit thème de Sébaste, où lui et son père n'étaient plus que les humbles lieutenants du basileus, le jeune imprudent avait ouvertement fait cause commune avec eux. Bientôt cependant, devant la mauvaise tournure qu'avaient prise presque aussitôt les affaires des conspirateurs, il était revenu à la raison. « Semblable à quelqu'un qui se réveille d'un profond sommeil, ou à l'homme fort qui secoue son ivresse », ne voyant pas d'autre moyen de sortir de la fausse situation où il s'était placé, il aurait conçu le premier l'idée d'attirer Nicéphore Phocas dans ce piège, et, sur l'ordre du basileus, avec lequel il s'était secrètement entendu, l'aurait fait massacrer par ses gens au moment où ils se séparaient après une violente altercation dans laquelle le malheureux l'avait conjuré de lui demeurer fidèle. Un autre historien arménien, Sempad le Connétable, va jusqu'à dire que le basileus Basile paya royalement ce service du prince Davith en lui confiant le gouvernement des importants territoires de Césarée, de Tzamandos et de Khodovanik.[90] Aussitôt que la nouvelle du meurtre eut été connue, ce fut parmi les partisans de la victime une fuite générale. « Tous ceux qui n'en tenaient que pour lui, dit Yahia, se dispersèrent jusqu'au dernier, courant chacun chez soi. » De toute cette vaste conspiration, il ne demeura rien. La tête du rebelle fut sur le champ expédiée au basileus. Suivant la version de cet assassinat admise par chaque chroniqueur, les uns disent qu'elle lui fut envoyée par le prince Davith d'Aspracanie, les autres, par Sénékhérim en personne, les autres enfin, et c'est l'opinion de Yahia, par Xiphias qui, désespéré par l'abandon soudain des partisans du mort, prit peur lui aussi, et, tout en prenant la fuite, expédia au basileus la tête de sa victime avec un message suppliant. Il affirmait à Basile qu'à l'ouïe de la révolte du fils de Bardas Phocas il n'avait feint de faire cause commune avec lui que pour arriver plus sûrement à le faire périr. Revenons à l'autocrator et à son armée perdus en ces régions lointaines. Le perfide roi des Aphkhases pleinement d'accord avec les rebelles du thème des Anatoliques, avait simplement attiré le basileus dans un guet-apens! Il n'avait pas plus tôt appris la révolte et la proclamation de Nicéphore Phocas qu'il avait dénoncé insolemment le traité à peine signé par lui et déclaré à nouveau la guerre au basileus. Tout était, en apparence, à recommencer! Basile, conservant son sang-froid, toujours prudent malgré l'envie qu'il put avoir de châtier de suite ce fourbe roitelet, préféra attendre l'issue des événements dans ses cantonnements de Mazdat où il se sentait inexpugnable contre les attaques de son trop faible adversaire. Bientôt arrivèrent l'heureuse nouvelle du meurtre de Nicéphore Phocas et de la totale dispersion de ses partisans. « Basile, dit un chroniqueur, ordonna d'exposer la tête de l'usurpateur en haut d'une perche, à la vue du camp, parce que dans son armée se trouvaient en grand nombre des soldats qui, à la vérité, le suivaient des pieds, mais qui, de parole et d'esprit, étaient unis à Dzer'avis. Il agit ainsi dans sa profonde sagesse afin que ce spectacle éloignât de ses troupes les pensées vaines et replaçât dans leurs coeurs l'obéissance à l'empereur. » Puis le hideux trophée fut expédié au roi des Aphkhases pour épouvanter l'imprudent et lui démontrer l'étendue de ses illusions. Ainsi se termina, piteusement la prise d'armes des deux Nicéphore. Disons de suite ce qu'il advint du second d'entre eux,
Nicéphore Xiphias, et combien cher il paya sa trahison. Ici encore les
versions dictèrent quelque peu, mais seulement dans les détails. Yahia
raconte simplement que Théophylacte Dalassénos, à la tête des troupes qu'il
avait levées avec l'argent du basileus, rejoignit dans sa fuite le chef
rebelle et le fit prisonnier. L'Histoire de Quoi qu'il en soit, Xiphias fut conduit, enchaîné, devant le basileus. Celui-ci,[91] tenant compte des services jadis rendus par l'infortuné alors qu'il combattait à ses côtés dans la guerre de Bulgarie, « aussi parce que, sous l'action de la bile noire, le malheureux était sujet à des crises de mélancolie[92] », lui fit grâce de la vie. Il le condamna à l'exil dans la petite île d'Antigoni, la plus éloignée du groupe des Iles des Princes,[93] ce rocher perdu de la mer de Marmara où tant d'autres déportés de haut rang avaient déjà cruellement expié leurs crimes. Les Byzantins disent que Xiphias fut tondu de force, c'est-à-dire fait moine et enfermé dans le monastère construit sur cet aride îlot. Ses biens furent confisqués. L'histoire ne parle plus de lui dans la suite. Si Basile témoigna de quelque indulgence pour son ancien
compagnon d'armes, il ne se vengea que plus terriblement sur les autres
rebelles. Beaucoup des partisans de Xiphias, considérés comme plus coupables
que lui, furent décapités ou privés de la vue. L'Histoire de la Géorgie[94] cite parmi
ceux-ci un haut personnage du pays de Daïk'h, Phériz, Ph'erz ou Pherz,
peut-être bien le fils[95] de ce Djodjic[96] dont le nom est
revenu à plusieurs reprises dans le cours de ce récit et qui était en l'année
1016 préfet impérial à Dorystolon sur le Danube. L'Histoire de Les soldats envoyés à la recherche de Pherz ayant réussi à
se saisir de lui ainsi que d'Andronic, son gendre et son complice, les
menèrent à la forteresse de Khogh'do'-Ar'idj,[98] sur les confins
du district de Garin.[99] Parvenus au
village qui fait face à ce château, ils mirent pied à terre, et, conduisant
leurs prisonniers au pied de ces hautes murailles, ils leur tranchèrent la
tête, conformément aux ordres qu'ils avaient reçus de l'empereur. « Pherz et
Andronic, poursuit l’Histoire de Les autres complices de Nicéphore Xiphias qui furent exécutés ou mutilés étaient des sujets grecs. Tous ceux qui ne subirent point le supplice furent jetés en prison. Leurs biens furent confisqués. Un cubiculaire impérial, convaincu d'avoir tenté d'empoisonner le basileus à l’instigation du traître, fut jeté en pâture aux lions des jardins impériaux à Constantinople. Le docteur A. Mordtmann de Constantinople, possesseur d'une magnifique collection de sceaux byzantins, a publié celui d'un Théophylacte Dalassénos qui pourrait, bien être le même, personnage que le drongaire de ce nom envoyé par Basile dans le thème des Anatoliques pour réprimer la révolte des deux Nicéphore. Sur ce précieux petit monument, Théophylacte porte bien encore comme dans le récit des Byzantins le titre de protospathaire, mais celui de drongaire est remplacé par celui de stratigos. C'est donc là le sceau de Théophylacte alors qu'ayant commencé la pacification du pays il avait déjà succédé à Nicéphore Xiphias en qualité de stratigos du grand thème des Anatoliques.[101] Grâce à son admirable vigilance, à sa prudence constante, le basileus Basile avait évité de tomber dans le guet-apens que lui avait tendu le roi de Géorgie. Par les récits des auteurs, de Yahia surtout, quelque brefs et déplorablement incomplets qu'ils soient, on peut facilement se rendre compte à quel point la situation avait été un moment périlleuse, presque tragique, pour l'année impériale et son chef, combien aussi le roi Kéôrki avait cru tenir en sa main le basileus pris entre son armée et celle des rebelles d'Anatolie, ses complices secrets. Cette trahison de l'Aphkhase, son entente avec les rebelles, peuvent être considérés comme des faits absolument certains. Du reste, Skylitzès lui-même en affirme nettement la réalité. Toutes les ambassades envoyées par Kéôrki à Trébizonde, toutes les propositions de soumission, tous les saints serments prêtés sur les reliques vénérées n'avaient été que pour mieux endormir la vigilance de Basile, pour donner à la révolte du thème des Anatoliques le temps d'éclater durant que l'armée impériale hivernait dans la capitale du Pont. Yahia dit formellement la même chose. Il ajoute ce détail que l'âme de ces machinations, pour entraîner le basileus au fond de l'Aphkhasie avec cette formidable rébellion sur ses derrières, avait été le premier ministre même du roi Kéôrki, personnage qu'il appelle « vizir » en son langage oriental et qu'il nomme d'un nom étrange, difficile à retrouver sous la forme arabe dont le chroniqueur syrien l'a affublé.[102] La sagacité du vieux basileus vite revenu à sa prudence habituelle après ce premier mouvement de confiance qui l'avait entraîné jusque dans le Basian, la valeur de ses troupes qu'il avait eu, dit Yahia, la précaution de choisir parmi les meilleures et parmi lesquelles figurait certainement le contingent russe, le sauvèrent de ce grand péril aux extrémités de son empire où il se trouvait comme perdu. Quant à l'Aphkhase, qui croyait bien cette fois tenir le basileus et son armée en sa main, sa désillusion fut aussi complète que terrible. Avant de tirer une vengeance éclatante de ce perfide
adversaire, le basileus avait voulu tenter une dernière fois de la
conciliation. Encore de son camp de Salk'ora il fit sommer à nouveau Kéôrki
de lui restituer la totalité des places fortes et des territoires de
l'héritage du curopalate qu'il détenait injustement.[103] A ce prix il
consentait encore à lui promettre le pardon. Les messagers qu'il lui expédia
étaient porteurs d'une lettre rédigée en termes conciliants: « Abandonne, lui
disait-il, tous ces territoires qui ne font en rien partie de ton patrimoine,
demeure paisiblement dans ta terre et ne songe point à t'opposer à ma marche
vers Le basileus était véritablement exaspéré. Quittant enfin son campement de Salk'ora, il s'avança avec son armée jusqu'à la localité de Schègh'ph'â.[104] A cette nouvelle, dit Arisdaguès de Lasdiverd, l'Aphkhase, sans laisser à Basile le temps de faire dresser son camp et de s'y retrancher, imagina encore un stratagème. Il envoya en députation au basileus un autre de ses principaux évêques, et suivit de près celui-ci à la tête de toutes ses troupes. Il comptait ainsi surprendre les Grecs et jeter à l'improviste l'épouvante parmi eux. « Les cavaliers géorgiens, dit le chroniqueur national, partirent au galop de leurs chevaux, marchant en désordre à la file, chacun devançant son compagnon, non pas à la manière de soldats qui vont au combat, mais bien à la maraude, comme jadis, au temps de Joram, les Moabites se jetèrent sur les enfants d'Israël et furent impitoyablement massacrés par l'épée. Le sort de ces insensés fut affreux. Accourus témérairement sur leurs chevaux, le poids de leur armure de fer, la vitesse et la longueur de la course ayant épuisé leurs forces, ils tombèrent au milieu des Romains, tout frais en ce moment, qui en exterminèrent un nombre incalculable. Les autres coururent se renfermer avec le roi dans leurs forteresses, poursuivis par les Grecs qui les massacrèrent jusqu'au coucher du soleil. L'empereur ordonna de réunir dans le même lieu les têtes des ennemis morts et de distribuer un tahégan[105] par tête à chacun des soldats qui en apporterait. Ceux-ci, fouillant de tous côtés, apportèrent les têtes devant l'empereur et les amassèrent en piles, puis, par son ordre, ils en élevèrent des monceaux de distance en distance le long de la route, pour frapper d'étonnement et d'épouvante ceux qui les verraient. » Suivant un autre récit,[106] les choses se seraient passées un peu différemment. À la nouvelle de la marche en avant du basileus, l'Aphkhase aurait dépêché, non plus un de ses évêques, mais un de ses « éristhaws » nommé Zwiad, à la tête d'un corps considérable, le chargeant d'occuper quelque temps le basileus, tout en négociant la paix. « Zwiad donc s'installa de ce côté-ci du Basian, c'est-à-dire dans la portion orientale de cette contrée, comme pour y hiverner, car la saison était déjà avancée. Quant au roi, il le suivit avec une armée non moins nombreuse, et Zwiad s'avança avec la sienne. Son plan était tel: « Si l'empereur veut la paix, qu'elle se fasse; s'il veut combattre, faisons nos préparatifs en conséquence. » Mais ceux qui ne voulaient pas d'accommodement disposaient tout pour la guerre, et ces « aznaours », doublement perfides, ne permettaient pas au roi de faire la paix, car ils n'en voulaient pas. Ils marchèrent contre Basile rangé en bataille et conseillèrent au roi de s'en rapporter aux armes, l'animant contre l'empereur qui les attendait leur supposant des intentions pacifiques. « Cependant les gens de Kéôrki ayant entamé le combat
et mis en fuite une portion de l’armée grecque, l’empereur fait attacher à la
pointe d’une pertuisane la lettre que lui avait écrite le roi Kéôrki au sujet
des conditions de paix, la fait élever en haut, et la présentant à Dieu dit:
« Vois, Seigneur, la lettre de ces gens et ce qu’ils font à cette
heure. » Puis entrant en fureur, il fit apporter le bois de Cette grande bataille qui mettait fin à la guerre d'Aphkhasie eut lieu le 11 septembre de l'an 1022.[107] Le généralissime géorgien Liparit, fils de Rhat, qui avait été l'âme de cette résistance déloyale, demeura parmi les morts avec la fleur de la noblesse géorgienne.[108] Son oncle l’« éristhaw » Zwiad, frère de son père, fut fait prisonnier et ce fut même pour le racheter que Kéôrki consentit ensuite à donner son fils en otage. Il y a probablement pour ce dernier personnage confusion avec la précédente bataille du lac Balagatsis. C'en était fait de la résistance. Kéôrki s'enfuit de toute
la vitesse de son cheval « vers les monts intérieurs d'Ibérie », serré de
près par les troupes du basileus qui le poursuivaient. Réduit au désespoir,
il envoya humblement supplier Basile de le laisser s'en aller en paix. Touché
de compassion, le basileus lui écrivit ces belles paroles: « Ne pense pas que
parce que je t'ai vaincu j'exige aujourd'hui de toi plus qu'auparavant; rends-moi
les terres que le curopalate m'a données en héritage et livre-moi ton fils en
otage; alors il y aura paix entre toi et moi. » Kéôrki enfin dompté consentit
à tout. Les pourparlers pour la paix durèrent peu tant le basileus se montra
accommodant. « Il redoutait en effet beaucoup, dit l'Histoire de Il est bien difficile, à travers les indications des chroniqueurs si vagues et si confuses, de se faire une idée quelque peu précise de l'étendue des territoires restitués à l'empire par ce traité avec le roi vaincu d'Aphkhasie. La principale difficulté vient de ce qu'aucune source ne nous a jamais dit exactement de quelles villes et de quels territoires se composait cette portion du patrimoine du grand curopalate qui avait été indûment retenue par le roi Kéôrki. Constamment les auteurs se sont contentés des indications les plus vagues, les plus incomplètes. De même nous ne savons pas exactement quelles portions de sa souveraineté particulière Kéôrki se vit contraint de céder au basileus. Toujours est-il que les frontières byzantines furent reportées jusqu'à la vallée du Kour, peut-être jusqu'au delà de Tiflis. A supposer même que la grande vallée du Caucase ne fit pas intégralement partie de l'empire, elle appartenait à un prince désormais retenu par les liens de la plus étroite vassalité. Dans ces hautes régions de extrême orient de la monarchie, véritable dédale de monts et de vallées, les terres du basileus qui venait encore de s'annexer le Vaspouraçan environnaient maintenant de toutes parts le patrimoine particulier de la maison royale Pagratide. Pour que celui-ci vint à retomber, lui aussi, sous le sceptre des basileis, il ne s'en fallait plus maintenant que de la fin d'un règne. « L'empereur, poursuit Arisdaguès de Lasdiverd, établit dans les districts que lui avait cédés l'Aphkhase des commandants qui en firent le recensement et les partagèrent maison par maison, village par village, champ par champ, exactement sur l'ancien pied, comme par le passé. » Les kastra de la frontière du Daïk'h comme ceux du Vaspouraçan furent mis en état de défense contre toute attaque nouvelle des Turks Seldjoukides. Les machines de guerre construites par ordre de l'empereur pour la protection de ces places étaient d'une force et, d'une solidité telles que lorsque ces terribles cavaliers envahirent à nouveau ces contrées sous le règne de Constantin Monomaque, ils les trouvèrent encore en place, en état de servir. En recevant les otages dont le principal était le fils même du roi Kéôrki, le petit prince Pakarat, alors âgé de trois ans, le futur Pakarat IV, celui-là même que les Byzantins nomment, Pankratios et qui fut à cette occasion créé magistros, Basile s'engagea par les plus solennels serments à les renvoyer en Aphkhasie au bout de trois ans. Ces longues négociations avaient pris toute la fin de
l'année. Le glorieux basileus, avec ses troupes fidèles, emmenant avec lui
l'enfant royal,[110] au lieu de
pouvoir de suite regagner sa capitale, dut s'enfoncer plus loin encore dans
la direction de l’est. Nous n'avons que bien peu de détails sur cette fin
d'expédition. Décrivant un immense circuit tout autour des frontières du
royaume d'Arménie proprement dit, le vieil empereur vint camper avec sa cavalerie
dans les vastes plaines de lier sur la rive nord-ouest du grand lac d'Ourmiah,
sur la limite extrême des terres chrétiennes en ces parages. Toute hypothèse
sur la route parcourue par l'armée byzantine depuis le pays de Basian jusqu'ici
serait vaine. Nous ne possédons pas la moindre indication. Nous savons seulement
que l'empereur campa aux portes d'une ville dont Arisdaguès de Lasdiverd ne nous
a pas dit le nom, sur la rive du lac d'Ourmiah, au nord de la ville d'Ourmi, ville
faisant partie de ce qu'alors encore on appelait Pendant que le basileus et ses troupes fidèles parcouraient ces contrées si lointaines et que, par tout le pays, les Perses, c'est-à-dire les Sarrasins, consternés et tremblants, s'enfuyaient devant lui, « tout à coup, poursuit le chroniqueur, le ciel se voila de nuages épais et des torrents d'eau fondirent, sur les campagnes. Sous l'influence d'un vent du Nord perçant, des ouragans du Nord couvrirent la terre de glace. On était au coeur de l'hiver de l'an 1022. La neige ne cessait de tomber. Bientôt les chevaux, les mulets, paralysés par le froid, furent dans l'impossibilité de marcher. Par cette température si basse, les pieds, les mains des fantassins gelaient, les extrémités se détachaient. Les cordes des tentes et les piquets, fixés à terre par la violence de la gelée, demeuraient rigides. Ces froids excessifs accablèrent les impériaux non pas seulement sur le sommet des montagnes, mais bien dans les plaines les plus basses et les lieux les plus chauds, en face de leurs ennemis; « juste châtiment de leur cruauté à l'endroit, des chrétiens, » s'écrie le chroniqueur national. Dans ces circonstances, ceux qui, plus vigoureux, avaient résisté au fléau, montèrent à cheval, et fuyant devant le froid comme devant les ennemis, insoucieux de leurs biens, passèrent avec l'empereur sur le territoire des Ardzrouni, c'est-à-dire dans le Vaspouraçan tout voisin. Les habitants de Her, apprenant cette retraite, s'élançant à l'improviste hors de leurs murs, se précipitèrent ivres de joie sur les traces des Grecs et leur enlevèrent un butin considérable en chevaux, mulets, tentes et autres objets d'équipement que ceux-ci ne purent défendre, tant ils étaient incommodés par le froid. Ainsi outragé par les pillards, l'empereur comprit clairement que le Seigneur avait livré les Géorgiens en ses mains, selon qu'il est écrit au livre des Rois que « ce n'est point par sa propre force que le vainqueur remporte la victoire, c'est le Seigneur qui ôte à l'ennemi sa force. » L'empereur étant donc parti avec le reste de son armée, arriva après de nombreuses haltes dans Constantinople, sa capitale. Au bout de trois ans il renvoya, comblé de présents, le fils de l'Aphkhase: « Seule la mort de Basile, s'écrie l'historien Tchamtchian, survenue moins de trois années après cette expédition, permit à l'Arménie de respirer quelque peu sans rien appréhender de la part des Byzantins. » En dehors de ces incidents racontés par un seul chroniqueur, et qui nous montrent l'armée impériale en retraite se défendant mal au milieu des neiges contre les agressions de ces peuplades farouches et pillardes, nous ne savons rien absolument sur les circonstances qui accompagnèrent le retour du basileus victorieux et de ses troupes, depuis les plateaux lointains du Vaspouraçan jusqu'à Constantinople, dans les premiers mois de l'an 1023.[111] Ce dut être encore là un beau triomphe pour le vieil
autocrator, le dernier de sa longue et belliqueuse carrière. Constantinople,
maintenant réhabituée à toutes les joies des grands succès militaires, vit
serpenter une fois encore à travers ses rues parées de verdure la prodigieuse
et lente théorie des dépouilles opimes. Les princes et les hauts personnages
des rives de |
[1] Aussi désigné sous le titre d’« archôn » d’Abasgie (Cédrénus, II, 477); « roi de l’Ibérie septentrionale », etc. etc.
[2] En 1015 seulement (464 de l'ère arménienne) suivant Arisdaguès de Lasdiverd.
[3]
Dans les ruines encore debout de la fameuse
cathédrale de Koutaïs ou Kouthatis, capitale de l'Iméréthie, l'ancienne Ibérie,
édifice le plus beau sinon le plus ancien de
[4] Ed. Brosset,
t. I, pp. 301-302. Voyez
encore Brosset, Quatrième rapport sur un voyage archéologique dans la. Géorgie
et l'Arménie, etc.,
C'est
ici le cas de citer encore un autre curieux récit de Mathieu d'Édesse, contenu
au chapitre xxxiii de sa
Chronique. Dans l'impossibilité où je me trouve de donner de ce passage une
explication tout à fait satisfaisante, je préfère en donner ici un simple
résumé: A cette époque, raconte l'évêque d'Édesse, c'est-à-dire en l'an 433 de
l'ère arménienne (
Basile,
à l'avis de ces massacres, assembla ses docteurs, s'enquit de la cause de ces
événements, et mécontent des réponses qu'on lui fit, connaissant la science
divine des docteurs arméniens, désira les consulter. Il écrivit à Jean Sempad,
roi d'Arménie, le priant de lui envoyer deux d'entre eux qu'il connaissait de
nom: Joseph ('Ovseph'), l'éminent abbé du monastère de Hentzoutz dans le
district de Garïn, et Jean, surnommé « Gozer'n » du district de Darôn, l'un des
savants arméniens les plus distingués de cette époque. Sur le refus de ces deux
personnages qui consentirent seulement à envoyer au basileus leur opinion par
écrit, Basile expédia un nouveau message au roi Jean et au catholicos Sarkis,
pour qu'ils lui envoyassent Samuel, docteur très savant et très profond.
Celui-ci discuta avec les docteurs grecs en séance publique en présence du
basileus qui, charmé par les arguments de Joseph, fit venir sur la demande des
Grecs, un des plus grands savants de l'époque, un israélite chypriote du nom de
Moïse (Mouçi). Cet homme, éloquent et savant, debout dans l'assemblée, donna
raison au docteur arménien contre les Grecs et détermina avec certitude,
d'après Samuel, le point fixe au milieu de la divergence des calendriers.
Alors, Basile, irrité contre les savants de sa nation, destitua un grand nombre
d'entre eux de leurs fonctions ecclésiastiques et les dépouilla de leurs
honneurs, puis il renvoya Samuel, comblé de présents, en Arménie.
Voyez
sur la situation de l'Eglise arménienne vers cette année
[5] On conserve de ce patriarche Melkisédec au Comptoir du Synode géorgien de Tiflis une copie du plus ancien document daté de cette collection, copie exécutée en même temps que celle de tous les autres documents de Mtzkhétha au nom du catholicos Antoine IV, à la fin du siècle dernier. Ce document que j'ai vu à mon passage à Tiflis en 1895 est une charte de l'an 1020 (n° 378 de l'Inventaire de Mtzkhétha) (année géorgienne 240) énumérant ces croix, icônes et autres objets précieux, aussi les villages et autres propriétés acquises ou données à l'église patriarcale de Mtzkhétha, tous les précieux cadeaux, enfin, faits par le basileus Basile II à cet édifice. C'est l'unique pièce remontant au xie siècle, sur deux mille que contient cette collection.
[6] Chap. lvi.
[7]
Histoire de
[8] De l'occupation byzantine du pays de Daïk'h, aussitôt après la mort
du curopalate Davith, un curieux témoignage nous est demeuré. C'est une
inscription commémorative, encore admirablement conservée, dans une église de
Notre-Dame, sise au village d'Egrek ou Agrak, aux environs de la ville de
Thorthom, au nord-est d'Erzeroum. Celle-ci nous apprend que l'église ou du
moins une de ses chapelles fut construite en l'an du monde 6515 (qui correspond
à l'an du Christ 1007), « sous les grands basileis et autocrators Basile et Constantin
Porphyrogénètes par le patrice Grégoire, stratigos de Larissa (a), fils du
patrice Sympatios (b) Kikhatzi (c) ». Encore un exemple de l'active
participation des hauts personnages d'origine géorgienne ou arménienne dans
l'administration de l'empire byzantin à cette époque. Voici un archonte du pays
de Daïk'h, un noble géorgien qui, après avoir rempli, en Macédoine et en
Thessalie, les importantes fonctions de stratigos, de retour peut-être dans sa
châtellenie natale, y fait élever une église dont il date la construction du
règne des bienheureux basileis ses suzerains. L'inscription si précieuse
d'Egrek a été publiée par M. Brosset dans les Mém. de l'Acad. imp. de Saint-Pétersbourg,
dans un mémoire intitulé: Inscriptions géorgiennes et autres, recueillies par
le P. Nersès Sargisian, etc. (p. 13 du tirage à part).
A la
page 19 du même mémoire, M. Brosset a publié une autre inscription géorgienne
fort intéressante (n° 22), encore existante avec beaucoup d'autres sur les
parois de l'église de la petite localité dïchkhan, non loin d'Olti, l'Ouktick
des auteurs arméniens. Cette inscription dit qu'une des chapelles de cette
église fut bâtie en l'an 1006 par le roi des rois Gourgon. C'est là le roi
Gourguen, père de Pakarat III, qui mourut, en 1008, deux ans après l'érection
de cette chapelle.
(a)
C'est-à-dire de Thessalie et du thème de Macédoine.
(b) Ou
Sempad.
(c) Suit un autre nom illisible.
[9] En réalité, Davith était l'oncle à la mode de Bretagne du roi Pakarat, cousin germain de son père. Il était donc bien le grand-oncle du jeune roi Kéôrki.
[10] Açogh'ig, historien arménien contemporain, ne fait aucune allusion à ces faits.
[11] Histoire de
[12] Açogh'ig, liv. III, chap. lxiv,
confondant du reste cette expédition du basileus en Arménie avec celle de l’an
1000, dit que Kéôrki rompit avec Basile parce qu’il considérait comme un
affront de n’avoir reçu de lui que le titre de magistros.
[13] Kémal ed-din (Voyez Rosen, op. cit., notes 336 et 372) dit que
Basile, au moment où il apprit la nouvelle de la disparition du Khalife, se
trouvait à Merdj-Al-Dibâdja, en route pour marcher au secours de l'émir d'Alep,
Azis Eddaulèh, menacé par une expédition égyptienne envoyée contre lui (en l'an
1020) par le Khalife contre lequel il s'était révolté. Azis Eddaulèh offrait au
basileus de lui céder sa principauté en échange de son aide. Merdj-Al-Dibâdja,
au dire de Yakout, est une vallée charmante à dix lieues de Massissa de
Cilicie. Il n'y a aucune raison pour douter du témoignage plus vraisemblable de
Yahia et il demeure peu probable que Basile se soit avancé de sa personne aussi
loin vers le sud que le prétend Kémal ed-din. A Merdj-Al-Dibâdja, poursuit ce
dernier, Basile aurait reçu d'Azis, qui avait été entre temps informé de la
mort du Khalife, un message rétractant sa parole et menaçant le basileus, au
cas où il s'avancerait plus loin vers le sud, de l'attaquer avec ses troupes
unies aux contingents des Bédouins Béni Kilab de Saleh le Mirdâside. Alors
seulement le basileus se serait détourné dans la direction de Manaskerd
d'Arménie, et aurait fait route pour l'Aphkhasie. Ce ne fut, en tout cas, point
par peur de l'émir d'Alep et de ses alliés, nous le savons par le récit plus
vraisemblable de Yahia, que Basile prit finalement cette direction de l'est.
Certainement Kémal ed-din a pris pour le gros de l'armée impériale, quelque
détachement expédié jusqu'en Cilicie par le basileus pour mieux masquer le but
vrai de son expédition, et c'est vraiment bien à propos, comme le fait
remarquer le baron V. de Rosen (Op. cit.,
note 372.), que cette demande de secours avait été adressée par l'émir d'Alep à
son impérial suzerain. Le récit de Kémal ed-din me semble une explication
habile inventée de toutes pièces par Azis Eddaulèh.
[14] On sait que Jean Sempad venait de succéder à son père, le roi Kakig, mort en l'an 1002. « Le basileus, dit Tchamtchian, op. cit., II, 900-907, lui avait expédié ses titres d'investiture par l'entremise de Kyriakos, directeur général de l'hospice du patriarcat dans la capitale. »
[15] D'après divers chroniqueurs orientaux, le basileus semble s'être fait précéder dans cette ville en l'an 407 de l'Hégire (juin 1010-rnai 1017) par une avant-garde sous les ordres d'un certain « prince de Nicomédie », probablement stratigos du thème de l'Opsikion. Aussitôt arrivé, celui-ci aurait décrété une levée en masse et, après avoir réuni un nombre considérable de soldats, aurait commencé à faire reconstruire Garin.
[16] L'ancienne Garanitis de Pline.
[17] Voyez sur tous ces noms si divers d'une même cité, Heyd, op. cit., pp. 44-45.
[18] Ville du district de Pakrevant, dans la province d'Ararad.
[19] Ecighik, l'ancienne Acilisène.
[20] Certainement le Basian devait aussi faire partie de cet héritage du grand curopalate Davith, objet du litige.
[21] Ou Okom. C'est aujourd'hui une bourgade habitée exclusivement par des Arméniens, à une heure de distance environ du couvent de Hassan-Kaleh, dans la montagne de ce nom. Hassan-Kaleh (ou Kalaah) était autrefois une forteresse importante.
[22]
Ou « Carrnir Phorac ». Voyez Histoire de
[23] Açogh'ig (liv. III, chap. xliv) dit que Kéôrki dut se retirer sans avoir pu forcer la citadelle d'Oucktick'. — Arisdaguès dit la même chose. Même il ajoute qu'il y eut collision entre les troupes ennemies et que l'avant-garde impériale fut défaite « Ce fut là, dit-il, le commencement de la ruine de la province de Daïk'h. »
[24] Ou Bagh'agatsi.
[25] Voyez de curieux détails sur ce personnage et
cette famille dans l’Histoire de
[26] Samuel d’Ani dit que ce fut pour racheter Zovat
que le roi Kéôrki livra ainsi son fils.
[27] Yahia dit qu’il se trouva acculé à une rivière
infranchissable.
[28] Ou « Zwiad ».
[29] Ou « Kours ».
[30] Tchamtchian semble dire que Basile fut de suite
vainqueur.
[31] Ce récit, d'Arisdaguès concorde parfaitement avec celui des Byzantins qui disent que dans une première rencontre entre les Géorgiens et les impériaux, la victoire demeura indécise. Mathieu d'Edesse (éd. Dulaurier, p. 36) fait de cette bataille un récit empreint d'exagération et de haine violente contre les Grecs bourreaux de son pays. Il présente leur défaite comme complète, ce qui est tout à fait faux. Tout aussi faussement il place ces faits ainsi que, la cession du Vaspouraçan, aux environs de l'an 1000.
[32] Ou Samtzkhé.
[33] Açogh'ig (liv. III, chap. xliv)
dit que le roi Kéôrki, après son échec final à l'attaque d'Oucktick', se retira
avec son armée dans la vallée de Mamrovan où Basile le fit poursuivre par un
corps de troupes sous le commandement d'un chef dont il n'indique pas le nom,
mais seulement le titre. Il le désigne, en effet, sous le nom du « magistros du
Kaniklion », autrement dit: « préposé à l'Encrier impérial ». Ce corps détaché
suivit la même route que le basileus avait prise en l'an 1000, vingt ans
auparavant, pour envahir le Basian. Pendant ce temps, Basile, toujours au dire
d'Açogh'ig, était demeuré avec le reste de ses forces campé dans cette
province. Il est probable que le « magistros du Kaniklion » fut laissé en
arrière pour achever la pacification du pays quand le basileus fut allé prendre
ses quartiers d'hiver à Trébizonde (et non dans le Basian, comme le dit à tort
Açogh'ig). Car Arisdaguès dit qu'après la fin de la mauvaise saison, ce fut
encore ce même personnage qui fut chargé par le basileus de traiter de la paix
avec Kéôrki. — Tchamtchian, même M. Brosset, ont pris à tort ce nom du «
Kaniklion » pour un nom d'homme et appellent le lieutenant de Basile « le
magistros Kaniklé »!
Yahia dit que Basile poursuivit l'armée géorgienne jusqu'à une rivière que ses soldats ne purent franchir, et qui fut le salut des fuyards. Cette rivière est certainement le Kour.
[34] Voyez Heyd, op. cit., I, 45.
[35] « Deux cent mille », ne craint pas de dire Yahia d'ordinaire si peu enclin à l'exagération.
[36] Ou Dschorokli.
[37] Bédros était le frère de Kakig Ier, patriarche de 972 à 992. Il venait, à ce moment, de succéder (en 1019) sur le trône patriarcal d'Arménie à ce Sarkis ou Serge, successeur de son frère, lequel avait régné vingt-sept années et transféré en 993 la résidence patriarcale dans la ville royale d'Ani.
[38] C'est-à-dire « orthodoxes ».
[39] Je combine ici les deux récits d'Arisdaguès de Lasdiverd et de Guiragos.
[40] Voyez Sempad le Connétable, op. cit., p. 47 où les mêmes faits sont racontés en abrégé.
[41]
Tradition consignée dans
[42] Lui et la reine Katramide sa vertueuse épouse, Sarkis étant catholicos d'Arménie, avaient achevé vers l’an 1010 ou 1012, la superbe cathédrale d'Ani aujourd'hui encore existante, commencée par le roi Sempad, ainsi qu’en témoigne une belle inscription parfaitement conservée jusqu'à nos jours. Voyez Brosset, Les ruines d’Ani, p. 23.
[43] Les historiens nationaux disent
qu'il alla trouver le basileus alors que celui-ci était encore à Constantinople
même, mais les dates s'y opposent. En réalité, il dut rejoindre Basile au camp
impérial quelque part au cours de l'expédition dont je fais le récit. Tous ces
princes et dynastes arméniens ou géorgiens avaient coutume de se réfugier
auprès du basileus dès que leur situation vis-à-vis de leur suzerain, le roi
des rois, devenait critique pour un motif quelconque. Ainsi nous voyons que les
deux princes pagratides Dimitri et Pakarat, fils des rois pagratides Gourguen
et Sempad, père et fils, détenus par le roi de Géorgie Pakarat dans une prison
où ils moururent, s'étaient à un moment réfugiés auprès du basileus Basile II à
Constantinople. Voyez Hist. de
[44] Mathieu d'Edesse, chose curieuse, ne souffle mot
de toutes ces guerres entre Pagratides.
[45] Mathieu d'Edesse donne pour date de cette
première incursion des Turks le commencement de l'année d'Arménie 467 (mars
1018-mars 1019) mais, au paragraphe suivant, il place à cette même année la
mort du basileus Basile qui ne mourut qu'en 1025. On voit combien il est
difficile de se fier aux indications chronologiques de cet historien.
Saint-Martin, op. cit., I, p.
[46] Ou « Sapor ».
[47] Vasag fut tué. D'après Grene, op. cit., p.
120, il aurait au contraire été complètement défait par les Turks.
[48] Ce triste événement avait été de même annoncé
quelques années auparavant par le moine lettré Jean Cazern, astronome et
chronologiste.
[49] Skylitzès et Cédrénus le nomment sous la forme arménienne du nom de « petit Jean » « Ovhannécig » (diminutif d'Ovhannès) grécisée.
[50] Tchamtchian dit expressément que Basile n'accorda la paix à Jean Sempad qu'à cette condition qu'il tiendrait à l'avenir l'Arménie en fief de l'empire sa vie durant, puis la lui léguerait en toute propriété après sa mort. Suivant Vartan (Hist. univ., p. 126), le roi d'Arménie ne se serait décidé à signer cette donation post mortem si cruelle pour son amour-propre, qu'afin de se soustraire par l'appui de Basile aux incessantes agressions du roi Kéôrki.
[51] Arisdaguès de Lasdiverd est le seul historien qui parle de ce fils de Jean Sempad, issu d'un premier mariage dont on ne trouve aucune autre mention dans l'histoire. Jean Sempad épousa, à la fin de 1028 au plus tôt, en secondes noces, une nièce du basileus Romain III Argyre.
[52] Ou Ardzrouniens.
[53]
Voyez sur ces Ardzrouniens du Vaspouraçan
qui faisaient l'enrouler leur origine aux deux fils de Sennachérib, roi
d’Assyrie, réfugiés en Arménie: Saint-Martin, op. cit., II. p. 425.
Cette cession du Vaspouraçan à l'empire est placée à tort par Skylitzès aux
années 1015 et 1016 (Cédrénus, II, 464). Yahia, Rosen, op. cit., p. 62,
dit expressément qu'elle eut lieu durant le séjour du basileus Basile à
Trébizonde. Les historiens arméniens confirment cette opinion. Tchamtchian
dénie la date de 1021 qui est à bien peu de chose près exacte. Arisdaguès de
Lasdiverd est d'un avis identique, car il indique l'an 470 de l'ère arménienne.
(
[54]
Skylitzès le nomme encore « l'archôn de
[55] Et non à Constantinople, comme Lebeau le dit par erreur (t. XIV, p. 211).
[56]
Larissa, dit M. Ramsay, op. cit., p. 274, se trouve souvent mentionnée comme turma
dans les chroniqueurs byzantins. Tout ce qu'on sait de précis sur cette cité
est qu'elle était située sur la route de Mélitène, pas très loin à l'est
d'Arasaxa, probablement près d'Erpa sur la rivière Karmalas. « Quant à Abara,
m'écrit M. Ramsay, tout ce que j'en puis dire c'est que cette place commandait
un des défilés allant en Laviniane qui est l'antique Sargarausene: « that it
commands one of the passes in Laviniane
or Sargarausene (Const. III, 228). There is not a pass of any military
importance on the road Tzamandos-Sebasteia; and it is therefore more probable
that Abara was on the road Sebasteia-Gaitraina, which must have been a road, of
some importance. But this is a mere probability, unless some march can be found
which passes by Abara. »
[57] Lebeau dit à tort que cette adoption eut lieu à Sainte-Sophie.
[58] Ces quatre derniers districts étaient tous situés
sur les rives du premier de ces lacs.
[59] Voyez Saint-Martin, op. cit.
[60] Arisdaguès dit « quatre mille quatre cents localités ». Un autre dit « quatre mille ». Ailleurs il n'est question que de quatre cents localités, ce qui semble plus vraisemblable, Yahia parle de quarante, forteresses el, châteaux, mais il ne mentionne certainement que les places de première importance. Samuel d'Ani ne parle que de huit villes de marque livrées aux Byzantins. Ailleurs il dit dix, y compris Van la capitale, avec soixante-douze châteaux et mille bourgs.
[61] Ailleurs il est dit « dix-neuf cents »
[62] Suivant d'autres cette résidence aurait été «
Osdan, capitale du district de Rheschdounik’ ». — Osdan signifie « cité libre
d'impôts », la résidence, privilégiée d'un souverain ou d'un prince, sa
capitale, et ce nom peut être pris dans ce sens général. Voyez Mathieu
d’Edesse, op. cit., éd. Dulaurier, note 37 de la p. 392.
[63] D'autres sources donnent le
chiffre fabuleux de quatre cent mille âmes. Tchamtchian dit seulement quarante
mille, Thomas Ardzrounien (Brosset, op. cit., pp. 246-249) dit à peu
près de même: « quatorze mille hommes sans compter les femmes et les
enfants. » Voyez Conseils et Récits d’un grand seigneur byzantin,
pp. 326 sqq.
[64] Hist. d’Arménie, t. II, p. 903.
[65] L'Arauraka, l'Aralraka ou Saralraka de Constantin Porphyrogénète. Voyez Saint-Martin, op. cit., 1, 189, et Ramsay, op. cit., pp. 275 et 286 Saralraka était une station à cinquante milles à l'ouest de Satala sur la route de Nicopolis.
[66] Voyez Gfroerer, op. cit., III, p. 120 et Ducange, Famil. byzant., p. 170.
[67] Voyez Épopée, I.
[68]
Exactement dans le cours de l'année 470 de
l'ère arménienne (
[69] Voyez entre autres, Épopée, I.
[70] Chap. ccxlv.
[71] Collection d’Hist. Arméniens, éd. Brosset, pp 246-249.
[72] 475 de l’ère arménienne, (mars 1026 à mars 1027).
[73]
Sur les futures destinées de cette Croix
célèbre, voyez Dulaurier: Recherches sur
[74] Rosen, op. cit., pp. 62-63.
[75] Ibid., note 316.
[76] Éd. de Gœje, p. 250.
[77] District situé au nord du lac d'Ourmiah.
[78] Voyez Mokaddasi, op. cit., p. 376, 13 et 377,15, et aussi Ibn el Athir, VIII, pp. 173 et 377.
[79] Daïrâni ou Dirâni est la transcription arabe pour Derenik.
[80] Continuation de l'histoire de Thomas Ardzrouni. Voyez Brosset, Collection d'Hist. arm., I, 246-248.
[81] W. Fischer, Studien zur byzant. Gesch. das elften Jahrhunderts,
p. 4.
[82] Appelé « Xiphen » par les Arméniens. Peut-être était-il le fils du « catépano » du même nom mort à Bari en 1007.
[83] « Tzarwig » ou « Dzrhaviz ».
[84] Cédrénus, II, 477. Rosen, op. cit., notes 141 (note 6 de la p. 174) et 378.
[85] Skylitzès désigne tout particulièrement cette province et le district voisin de Podandos ou Rhodandos au pied des monts de Cilicie comme ayant fourni à ce moment le plus de contingents rebelles.
[86] Ou Maztad.
[87] Un district du Douroupéran s'appelait Martaghi. Saint-Martin, op. cit., II, 363.
[88] Nous n'avons aucun renseignement sur les localités où le chef byzantin séjourna.
[89] A partir de ce meurtre, la brillante race des Phocas disparaît presque de l'histoire. Il y aura bien encore un Bardas Phocas, petit-fils du prétendant, auquel Constantin VIII fera crever les yeux, mais après celui-là je n'en connais plus d'autre. Le basileus Nicéphore Botaniatès, cependant, monté sur le trône en 1078, se réclamait de cette illustre origine.
[90] C'est-à-dire les thèmes de Cappadoce, de Tzamandos et un troisième commandement dont je ne suis pas parvenu à identifier le nom de Khodovanik'. —Arisdaguès de Lasdiverd et d'autres chroniqueurs de sa race disent que le meurtrier fut Sénékhérim, irrité des maux causés par cette guerre inutile qu'il avait d'abord soutenue. Ces historiens ont probablement confondu le père avec le fils. Ou bien, ce qui est en somme le plus probable, le fils aura agi à l'instigation du père.
[91] Yahia est seul à nous donner ces détails.
[92] Cela signifie évidemment que les facultés de Nicéphore Xiphias étaient quelque peu atteintes et qu'on ne le jugeait pas entièrement responsable de ses actes.
[93]
Yahia dit seulement que Xiphias fut exilé «
en province ». D'après le récit du chroniqueur syrien il semble bien que Basile
n'ait statué sur le sort de son lieutenant rebelle qu'après son retour à
Constantinople. En ce point il existe malheureusement une lacune dans le texte
que nous possédons de
[94] Éd. Brosset, II, p. 307.
[95] C'est du moins l'opinion de M. Brosset.
[96] Ou Dchodschig.
[97] Ou Salakora.
[98] Ou Kheghtoïarhidj.
[99] Erzeroum.
[100] Que ce récit nomme simplement « l'Aphkhase ».
[101] J'ai vainement prié le Dr A. Mordtmann de vouloir bien m'envoyer un calque de ce sceau précieux dont je désirais reproduire l'image dans ce livre.
[102] R-fâ-d-s. — C'est bien probablement, dit le baron V. de Rosen, le même personnage que le Liparit de Skylitzès et de Cédrénus.
[103] Arisdaguès de Lasdiverd dit « trois forteresses ». Il s'agit certainement ici des trois places les plus importantes jadis cédées par le grand curopalate à Basile et retenues contre toute justice par le roi Kéôrki.
[104] Ou Ahghpha. — Non loin d'Erzeroum, dit je ne sais pourquoi M. Wassiliewsky. Voyez La droujina vaeringo-russe, etc., p. 135.
[105] Pièce de monnaie arménienne.
[106]
Histoire de
[107]
C'est Skylitzès (Voyez Cédrénus, II, 478),
qui donne cette date du 11 septembre, mais on se rappelle qu'il est pour ce
chroniqueur question de l'an
[108]
Cédrénus, II, 478. Histoire de
[109]
Açogh'ig, liv. III, chap. xliv, raconte ces événements à sa
manière. Suivant lui, l'empereur ayant passé l'hiver dans le Basian, et Kéôrki
dans la vallée de Mamrovan, ce fut encore le préfet du Kaniklion que Basile
chargea à la fin de la mauvaise saison de la reprise des opérations. « Alors le
magistros du Kaniklion ayant parlé de paix avec Kéôrki et lui ayant dit que le
basileus ferait tout ce qu'il demanderait, Kéôrki et le magistros (et non le
basileus ainsi que le dit M. Brosset par erreur) allèrent l'un au-devant de
l'autre sur la montagne boisée de Medzob (Metzobatz, Metzabatz, Metzbatz (Voyez
Açogh'ig, éd. Émin, p. 202, note 4), au village de Sourb Astovadzadzin (ou Astouat-Zatzine,
c'est-à-dire
[110]
Le jeune prince fut loyalement renvoyé dans
son pays après les trois ans écoulés (Yahia parle de deux années seulement).
Son père, l'inquiet et remuant Kéôrki, vécut longtemps encore. Dans l'église
ruinée de Khoni, près de Kouthaïs, on lit encore un fragment d'inscription qui
parle d'une image de saint Georges fabriquée aux frais des « aznaours »
khartles, c'est-à-dire des nobles géorgiens, « pour prier pour le roi
invincible Kéôrki, pour ses fils et pour la rémission de ses péchés ». Voyez
Brosset, Rapports sur un voyage archéol. dans
[111]
En l'an 414 de l’Hégire, dit Yahia (