Deuxième partie
La période qui suivit le second séjour en Bulgarie du
basileus Basile dans le cours des quatre années 1001, 1002, 1003 et 1004 est
la plus obscure peut-être de tout le règne, nous ne savons presque rien, des
événements qui se passèrent alors dans l'empire, rien surtout des événements
de la guerre de Bulgarie sauf que celle-ci continua, sans trêve ni repos, la
résistance acharnée des Bulgares et de leur tsar n’ayant d'égale que l'opiniâtreté
du basileus à achever de les dompter. Skylitzès, Cédrénus après lui, disent
uniquement ceci qui ne nous renseigne que bien vaguement: « Le basileus ne
manqua pas chaque année de pénétrer au cœur de la Bulgarie[1] et de faire le
vide devant lui dans chacune de ces expéditions, dépeuplant et dévastant.
Samuel, qui commençait à sentir sa force brisée, ne se trouvant plus en état
de lui faire une guerre, ouverte, se voyant sans cesse vaincu par lui, ayant
perdu son énergie d'antan, s'efforça d'empêcher le retour périodique de ces
expéditions si terribles pour son peuple, en fermant par des retranchements,
des fossés et des barricades, les défilés principaux qui donnaient accès de C'étaient bien déjà les symptômes précurseurs de la fin
devenue prochaine de ce long drame. Ce n'étaient plus maintenant les défilés
menant de Thrace et de Macédoine en Bulgarie à travers le Balkan et le
Rhodope qu'il s'agissait pour Samuel de défendre à outrance. Ceux-là se
trouvaient depuis longtemps avec leurs forteresses et leurs « clisures » aux
mains des Byzantins. Il s'agissait aujourd'hui de ceux qui conduisaient de la
vieille Bulgarie et aussi de Je suis parvenu à glaner encore çà et là quelques rares et bien brèves indications, sur cette troisième série de combats qui eut la conquête de ces défilés pour objectif. Ainsi, s'il en faut croire Mathieu d'Edesse, Basile qui était rentré à Constantinople en l'an 1005 ou 1006 après son long séjour de quatre années en pays bulgare,[2] serait retourné dès le printemps suivant en ce pays. « En l'année arménienne 455, dit cet auteur — année qui correspond aux années 1006 et 1007 de notre ère — Basile rassembla de nouveau une armée, marcha contre les Bulgares et séjourna longtemps dans leur pays, occupé à y faire une guerre terrible.[3] Dans A partir de cette date de l'an 1009 jusqu'à l'an 1014, on ne trouve plus mention nulle part d'un seul fait précis concernant la guerre de Bulgarie. On voit à quel point la disette de documents est complète, absolue, désespérante pour l'historien. Pour toute cette longue période de près de dix années force nous est, force nous sera peut-être toujours de nous contenter de la phrase de Skylitzès, d'un sens si général, que j'ai citée au commencement de ce chapitre. Poursuivant leur récit, l'historien byzantin et son
spoliateur Cédrénus, immédiatement après cette phrase, comme s'ils voulaient
donner une illustration de ce nouveau système de guerre inauguré par le fils
du « Comitopoule », racontent ce qui suit: « Le roi Samuel, voyant que Basile
II avait, coutume de pénétrer régulièrement dans ce qui lui restait de
territoire par le défilé de Cimbalongou[7] et Kleidion dans
la vallée du Strymon, résolut de fermer au basileus ce passage difficile. »
Un peu plus loin, nous verrons que Samuel, après avoir forcé ce passage, se
trouva dans Du haut des retranchements énormes, des palissades qui
barraient le défilé, les Bulgares couvrirent les Impériaux de projectiles de
tout genre. L'armée se trouva arrêtée dans sa marche. Tous les efforts se
brisèrent contre cette défense opiniâtre, Déjà le basileus songeait à la
retraite lorsqu'un de ses lieutenants, Nicéphore Xiphias, stratigos du thème
de Macédoine,[8] vint s'offrir à
lui pour chercher à tourner les positions formidables de l'ennemi. Tandis que
le basileus, à la tête du gros de ses forces, exécutait une nouvelle attaque
plus violente contre les fameux retranchements, et concentrait sur lui toute
l'attention des Bulgares, Xiphias, avec de nombreux fantassins d'élite,
tournait par les sentiers de la forêt la haute cime du Balathistès ou
Biélasitzi sise au sud-ouest de Kleidion. C'est là certainement Les Bulgares, épouvantés par cette brusque attaque,
s'enfuirent en désordre, abandonnant le retranchement si péniblement
construit, conservé au prix de tant de sang. Les troupes de Basile eurent tôt
fait de détruire toutes ces fortifications qui ne se trouvaient plus
défendues et se jetèrent sur les pas des fuyards. On fit des malheureux Bulgares
débandés un affreux massacre. On en prit une foule. Samuel lui-même allait
tomber aux mains des Grecs lorsque son fils, par sa résistance héroïque, le
sauva. Le jeune héros réussit à remettre son père en selle et tous deux,
certainement par la vallée de La grande victoire du défilé de Cimbalongou[13] eut lieu le 29 juillet de l'année 1014.[14] Basile victorieux, poursuivent les chroniques byzantines, précipita sa marche en avant, faisant dévaster par ses troupes toute la contrée environnante, s'emparant, ainsi que nous allons le voir, de nombreuses places et châteaux. Cependant, il ne se trouva pas en force pour aller attaquer son ennemi vaincu jusque dans cette formidable forteresse de Prilapon. Il l'atteignit d'une manière bien autrement cruelle. Avant de poursuivre la campagne pour recueillir le fruit de sa victoire, il se résolut à frapper un coup terrible pour épouvanter ces adversaires opiniâtres et précipiter d'autant la fin de la résistance. A la prise des défilés de Cimbalongou plus de quinze mille combattants bulgares étaient tombés vivants aux mains de ses soldats. Les chroniqueurs byzantins affirment qu'il fit crever les yeux à tous ces captifs et les renvoya ainsi mutilés à leurs compatriotes pour servir d'exemple. Par un raffinement inouï, pour chaque centaine d'aveugles, on laissa un borgne chargé de la conduite de ses infortunés compagnons. Puis le basileus expédia au tsar Samuel cette effroyable théorie. Combien de ces misérables victimes succombèrent en chemin? Combien arrivèrent à Prilapon? Nul chroniqueur ne s'est occupé de nous le dire. Seulement Skylitzès et Cédrénus racontent que Samuel, déjà gravement malade, vaincu physiquement par le désastre de sa patrie, ne put supporter la vue d'une de ces colonnes de malheureux gémissant et chancelant à chaque pas. Cette trop cruelle émotion amena une attaque d'apoplexie, rupture du cœur ou de quelque vaisseau. Le tsar infortune tomba à terre, inanimé, mourant. Une médication énergique le rappela à la vie pour quelques instants. Il demanda à boire de l'eau glacée et aussitôt retomba en une syncope d'où il ne sortit plus. Il expira deux jours après.[15] C'étaient bien vraiment la douleur des maux de la patrie, l'horreur de la vue de ses sujets mutilés, aux orbites sanglants, qui avaient eu raison de cet homme de fer, la plus noble personnification de la lutte pour l'indépendance nationale qu'aient vue ces sombres jours du xe siècle. Sa mort, qui eut lieu le 24 octobre de cette année 1014,[16] marqua l'heure de l'agonie de son peuple. Nous avons peine à nous imaginer d'aussi horribles
circonstances, cette épouvantable scène de torture aux milliers de martyrs,
ces pauvres soldats bulgares arrivant liés par milliers pour subir en
supplice, infâme, cette tempête de hurlements de douleur, puis ces files
pleurantes d’aveugles sanglants, se donnant la main, chancelant et butant à chaque
pas, puis cette entrevue dernière du roi moribond avec ces malheureux, sa
mort tragique à la vue de tous ces effroyables mutilés qu'il avait connus
quelques jours avant, combattant pleins de vaillance, aujourd'hui, misérables
infirmes, condamnés à couler des jours affreux, Le fait cependant paraît
certain, attesté par la plupart des chroniqueurs. Le fameux manuscrit slavon
de Tout au plus pourrait-il y avoir quelque, exagération dans les chiffres donnés par les Byzantins. Et cependant un autre témoignage presque contemporain, fort, important, que je vais citer, donne pour cette journée le même nombre de prisonniers bulgares à un millier près. Ce serait une grave erreur de supposer que Basile se soit laissé entraîner à un tel acte par pure cruauté ou lâche désir de vengeance. Certes, cette mutilation en masse avait des raisons d'être d'ordre essentiellement politique et, en somme, elle était bien dans les mœurs effroyablement, dures de l'époque. Il s'agissait pour le basileus de frapper un coup décisif pour en finir avec cette guerre interminable qui depuis bientôt trente années usait les forces vives de l'empire. Il s'agissait de détruire à tout jamais tous ces espoirs patriotiques, toutes ces résistances sans cesse renaissantes, en envoyant dans chaque village perdu au fond des forêts bulgares, dans chaque chaumière de Bulgarie, un de ces lamentables aveugles, témoin vivant de la puissance irrésistible de l'inexorable basileus des Grecs. Le supplice de la perte de la vue, infligé à Byzance à une foule de catégories de criminels d'Etat, était alors d'un emploi infiniment fréquent, tout à fait dans l'esprit du temps, considéré comme beaucoup moins dur que la peine capitale. En fait la mesure horrible ordonnée par le basileus
Basile, eut exactement le résultat désiré, non seulement, en précipitant la
mort de Samuel, elle priva De cette déroute des défilés de Macédoine au mois de
juillet de l'an 1014 qui sonna le glas de la puissance du tsar Samuel, aussi
de l'épouvantable exécution en masse qui en fut la suite, deux témoignages
précieux nous sont encore demeurés, l'un dans Michel Attaliatès, historien de la fin du xie siècle, faisant l'éloge du basileus Nicéphore Botaniatès son contemporain, parle à un moment du grand-père de ce prince, nommé comme lui Nicéphore. Après avoir raconté que ce fut un grand capitaine, un des meilleurs lieutenants de Basile II dans la guerre de Bulgarie, ce que ne nous avait révélé aucune autre source, il nous dit comment ce personnage se couvrit de gloire précisément dans cette journée du défilé de Cimbalongou en 1014 et comment il perdit peu après la vie. Voici ce très curieux passage qui vient confirmer très exactement les récits de Skylitzès et de Cédrénus.[19] « Basile le Porphyrogénète, s'étant vu contraint de combattre pendant quarante ans les Bulgares, fut astreint de ce fait à des guerres innombrables et à des fatigues inouïes, pendant la durée desquelles il eut en la personne de Nicéphore Botaniatès, aïeul de l'empereur dont je rédige aujourd'hui l'éloge, un auxiliaire aussi unique que fidèle et dévoué, qui fut en même temps son conseiller et son meilleur lieutenant, son aide de camp et son bras droit. Vers la fin de cette guerre interminable, comme le peuple bulgare était déjà à peu près entièrement vaincu, ce magnifique guerrier mourut au champ d'honneur, de la mort la plus belle, que tout soldat pourrait envier. Car, après avoir mis en fuite les Bulgares en les poursuivant dans le défilé de Kleïdion, il ne cessa de les combattre et de les pourfendre de sa main jusqu'à ce qu'il eût reçu lui-même un coup mortel. Quant au chef bulgare Samuel, dans sa terreur, il s'enfuit jusque dans l'île marécageuse de Presna où il mourut. La masse des Bulgares fit sa soumission au basileus. Ainsi cette nation fut réduite en esclavage par l'ingéniosité, la grandeur d'âme, le courage d'un seul homme. » Certainement il est bien question dans ce passage de la
grande bataille du La seconde allusion à la bataille du mont Bielasitzi et au drame du mois de juillet 1014 est celle-ci: l'auteur anonyme des Conseils et récits d'un grand seigneur byzantin du xie siècle, en son chapitre quarante-neuvième sur la tactique de guerre intitulé: De l'ennemi qui n'est pas en force, s'exprime en ces termes: « Envoie des émissaires avec un chef capable et quand ils seront arrivés qu'ils fassent du feu si c'est de nuit, de la fumée seulement si c'est dans le jour. Alors l'ennemi sera saisi d'épouvante et tu lui tomberas dessus. Ce fut par de tels procédés que jadis le basileus Basile Porphyrogénète vainquit les soldats bulgares de ce parfait guerrier, de ce chef expérimenté qui avait nom le roi Samuel dans les retranchements de la Zagorie[20] et qu'il fit prisonniers quatorze mille d'entre eux.[21] » La mort du grand tsar Samuel marqua vraiment la fin de
l'indépendance bulgare si admirablement personnifiée en lui. Avec ce héros si
hardi, si infatigable, périt l'espoir de sa race, et le pied, brutal et lourd
du basileus tout-puissant s'appesantit, dès lors, plus cruellement chaque
jour sur la patrie mutilée, privée des talents et de l'ardeur invincible de
son plus courageux fils. « Après la mort du tsar Samuel, dit, dans ses
souvenirs, l'auteur anonyme du manuscrit que je viens de citer, tous les
autres Bulgares durent se rendre au basileus et furent réduits en esclavage,
grâce à l'astuce, au courage, à l'énergie d'un homme, le grand Basile
Porphyrogénète. » Certes il y eut encore des années de résistance et de
luttes partielles opiniâtres, des combats héroïques, des dévouements
sublimes, mais la grande guerre était finie; l'œuvre de soumission et
d'asservissement était véritablement commencée. Après un interrègne de quelques mois, période pour nous entièrement obscure, le fils de Samuel, Gabriel Romain, dit encore Radomir, fils qu'il avait eu d'une femme probablement d'origine grecque, capturée au sac de Larissa de Thessalie en 986, fut proclamé à sa place le 15 septembre de l'an 1015. Ce jeune prince, au témoignage de Skylitzès comme de Glycas, semble avoir été de complexion encore plus extraordinairement vigoureuse que son père, mais il lui était fort inférieur moralement, surtout intellectuellement. Nous ne savons absolument rien de plus sur la personnalité de ce pauvre souverain dont le règne aussi court qu'agité se passa tout entier dans les camps et les embuscades. Les sources byzantines disent seulement que moins d'un an après son avènement, par conséquent dès le milieu de l'an 1016, alors que Gabriel Romain avait déjà fait faire des offres de soumission au basileus Basile, il fut assassiné dans une chasse par son cousin germain, Jean Vladistlav, fils d'Aaron le « Comitopoule » que lui-même avait sauvé de la mort peu auparavant. Probablement le meurtrier fut, dans ce cas, l'instrument de la vengeance du parti national qui n'avait point encore totalement abdiqué et qui voulait punir le nouveau souverain d'avoir osé songer à traiter avec les Byzantins exécrés. Revenons à Basile et à son armée, vainqueurs au défilé de Cimbalongou. Avant d'entreprendre la campagne de cette année qui venait d'aboutir à ce grand et décisif succès, le basileus avait envoyé à Salonique en qualité de stratigos, pour y remplacer David Arianites, Théophylacte Botaniatès, lequel me paraît bien devoir être le même personnage que le Nicéphore Botaniatès, aïeul du futur basileus de ce nom dont Michel Attaliatès nous a fait le magnifique éloge que je viens de reproduire, parlant de lui comme du meilleur lieutenant de Basile dans cette terrible guerre. Ce capitaine, qui n'est mentionné par les autres Byzantins que dans cette seule campagne de l'an 1014, avait, avec l'assistance de son fils Michel, complètement battu un corps bulgare très nombreux que Samuel, probablement pour faire diversion et tenter d'entraver la marche en avant de Basile, avait envoyé contre cette seconde cité de l'empire sous le commandement de David Nestoritzès, un de ses principaux boliades. Très probablement le corps expéditionnaire bulgare avait suivi la vallée du Vardar. Nous ne savons pas autre chose sur cet épisode qui dut avoir son importance, sinon que Nestoritzès se vit contraint de prendre la fuite abandonnant beaucoup de prisonniers, tout son convoi, et que le stratigos de Salonique victorieux fut assez heureux pour rejoindre avec ses contingents le basileus alors que celui-ci se trouvait arrêté devant les fameux retranchements du défilé de Kleïdion. C'est ce qui permit à ce capitaine de prendre à la grande bataille du 29 juillet la part si décisive que nous raconte Michel Attaliatès.[22] Le basileus donc, après avoir franchi victorieusement,
grâce à l'initiative hardie de ce chef, cet obstacle en apparence
insurmontable, avait aussitôt repris sa marche dévastatrice. Quittant Melnic,
remontant entre de hautes chaînes de montagnes, la vallée de Le Botaniatès partit aussitôt pour accomplir sa mission. Les Bulgares qui gardaient le pays le laissèrent s'enfoncer dans la montagne sans lui opposer de résistance. Tout le long de la route il rétablit la voie en incendiant les abatis d'arbres, mais, quand, sa mission terminée, il voulut retourner auprès du basileus, il tomba dans une embuscade établie dans un long couloir de la montagne. Quand il se fut engagé dans ce défilé avec tout son monde, de toutes les hauteurs voisines les Bulgares l'assaillirent brusquement à coups de flèches et de quartiers de rocs. Les soldats byzantins, pressés confusément, gênés extraordinairement par l'étroitesse de la passe, ne pouvaient se défendre. Le Botaniatès[25] et la plus grande partie des siens périrent sans même avoir pu vendre chèrement leur vie. Le basileus éprouva, dit Skylitzès, de ce revers de son
lieutenant une peine très vive. Il renonça définitivement à s'enfoncer plus
loin pour cette fois en terre ennemie. Rebroussant chemin avec son armée, il
rentra dans le pays de Zagorie où il alla mettre le siège devant cette place
forte de Melnic qu'il avait laissée de côté sur sa droite lors de sa rapide
marche en avant le long de la vallée de Cette place de Melnic, qui semble avoir été la localité
principale de ce sauvage canton de Zagorie, forteresse perdue au milieu des
monts, sur les pentes du Rhodope, sur le flanc oriental de la vallée du
Strymon, était, disent les sources byzantines, d'une force extraordinaire,
admirablement disposée pour la défense sur un roc isolé, fort élevé,
complètement environnée d'immenses précipices et de profonds ravins. Les
combattants bulgares de toutes les régions avoisinantes s'y étaient réfugiés,
s'y croyant à l'abri des impériaux. C'est aujourd'hui le bourg obscur de
Melniki[26] qu'on aperçoit
de loin sur la droite en remontant la vallée du Strymon, près du confluent de
Les Bulgares de Melnic se croyaient invincibles. Basile, préférant négocier, leur envoya, dit Skylitzès, l'eunuque Sergios, un de ses plus familiers cubiculaires, personnage énergique, d'une éloquence entraînante. A force de discours, celui-ci leur persuada de se rendre au basileus, ce qui était bien certainement la seule chose raisonnable. Ils remirent leurs armes et ouvrirent les portes de leur château des montagnes. Le basileus fut plein de clémence envers eux. Laissant une forte garnison dans Melnic, il rentra à Mosynopolis. Cette ville de Mosynopolis, si fréquemment mentionnée par les Byzantins, citée pour la première fois à cette occasion par Skylitzès et Cédrénus, très souvent aussi citée par les chroniqueurs latins de la quatrième Croisade qui la nomment Messinoples, n'est pas encore très exactement identifiée. Située, au dire de Villehardouin, sur les pentes du Rhodope, sur la rive d'un fleuve et sur la route d'Andrinople à Salonique entre Sérés et Kypsela, l'Ipsala actuelle, elle est bien probablement la même ville que l'ancienne Maximianopolis sur le grand lac salé Bistonis, aujourd'hui le Bouron-Gol.[27] Précisément entre la localité actuelle de Gumourdjina et ce lac situé au nord du golfe de Lagos on aperçoit près d'un petit cours d'eau, le Karadja-Sou, quelques ruines informes connues encore sous le nom de Messin Kalé. Ce fut durant qu'il séjournait en cette ville, alors place de guerre fort importante, centre de ravitaillement et cantonnement d'hiver pour les troupes impériales,[28] que le basileus Basile apprit la mort tragique de son adversaire acharné le tsar Samuel. Aucune nouvelle ne pouvait lui être plus agréable. C'était l'âme même de cette terrible lutte bulgare qui venait de disparaître en la personne de son chef héroïque! Basile, non moins opiniâtre, non moins énergique que son ennemi abattu, put dès lors entrevoir comme en un rêve heureux la fin imminente de cette guerre interminable. Résolu à frapper un coup après l'autre, à profiter du
trouble affreux où ce qui restait de Bulgares indépendants se trouvait jeté
par le grand désastre de Biélasitzi, par la mutilation de ces milliers de
leurs compatriotes et la mort de leur souverain, Basile, ce basileus vraiment
infatigable, quittant Mosynopolis dès qu'il eut ouï cette grave nouvelle, en
toute hâte par la route du rivage amena son armée à Salonique. Sans perdre
une heure, il en repartit presque aussitôt entraînant son armée à de nouveaux
combats. Cette fois, nous disent les chroniqueurs byzantins, il se dirigea
vers Malheureusement, comme c'est toujours le cas pour ces luttes orientales des environs de l'an 1000, nous n'avons aucun renseignement sur cette campagne capitale de l'arrière automne de l'an 1014. Si nous possédons exactement six lignes de Skylitzès[30]! mais nous ne savons même pas quelle route l'empereur et l'armée prirent en quittant Salonique. Ils suivirent probablement la même que celle qu'ils devaient prendre au retour, c'est-à-dire l'antique Voie Egnatienne par Vodhéna, Ostrovo et son lac, d'où ils durent déboucher dans les vastes, fertiles et déjà populeuses campagnes de Bitolia, plaine magnifique de quinze lieues de longueur sur trois de largeur. Donc Skylitzès ne nous dit que ceci: « Basile ne commit
aucun pillage en Pélagonie, sauf qu'il incendia l'aoul royal à Bitolia.[31] » Cette grande
ville bulgare était située à deux kilomètres environ des ruines de Cantique
Héraclée de Lyncestide, sur la limite même de la plaine qui porte son nom,
dans une vaste cavité dont le pourtour est formé par des montagnes
verdoyantes dominées par les cimes neigeuses de Prilapon, Le château du héros serbe légendaire Marko Kralievitch qui
a remplacé la vieille forteresse byzantine, domine encore la ville à quelque
distance vers le nord. Les défenseurs de Prilapon, découragés par tant de
désastres, n'opposèrent probablement, eux aussi, aucune résistance sérieuse.
Il dut en être de même de Stypion située bien plus au nord, au delà de la
vallée du Vardar, sur un des affluents de ce fleuve appelé aujourd'hui Le territoire demeuré libre aux mains des derniers
défenseurs de cette nationalité expirante se rétrécissait chaque jour.
Basile, laissant des garnisons dans les villes reconquises, reprit la route
de ses cantonnements. Skylitzès dit seulement que dans ce retour l'armée dut
franchir Il semblait que cette lutte de géants fut tout près d'être terminée. L'indépendance bulgare ne se maintenait plus intacte, semble-t-il, que dans les hautes terres sauvages et retirées de la région des grands lacs de Castoria, de Prespa et d'Achrida. Mais autant l'attaque était vive, soutenue, impitoyable, autant la résistance, se maintenait acharnée, désespérée, sans cesse renaissante au milieu de ces contrées à peine soumises par quelque rapide passage des armées impériales, où cent foyers mal éteints rallumaient à toute heure l'incendie. On en eut une preuve tragique dès le printemps de cette nouvelle année 1015. Dès les premiers beaux jours, Basile, qui avait très certainement passé le reste de l'hiver à Salonique, dut en hâte faire reprendre les armes à ses troupes. Il s'agissait de reconquérir la forte place de Vodhéna, l'ancienne Edesse des rois de Macédoine, enlevée par les Grecs, on se le rappelle, en l'année 1003 et qui venait de leur échapper à nouveau. Sa nombreuse population, raconte Skylitzès, s'était soulevée contre le gouvernement impérial, probablement après avoir massacré, pour le moins chassé la garnison byzantine, certainement en suite de quelque trahison. Le chroniqueur, comme toujours, ne donne aucun détail. Il dit seulement que Basile attaqua la ville rebelle avec la dernière violence et que ses défenseurs furent bientôt contraints de se rendre à merci. Pour éviter le retour de pareils incidents, qui retardaient d'autant la pacification générale, les habitants de la malheureuse cité furent en bloc déportés dans ce canton maritime de Voléros sur le bas Strymon qui avait donné asile déjà à tant de populations vaincues depuis le commencement de cette terrible guerre. Puis, pour empêcher à l'avenir de nouvelles incursions bulgares en ces parages, le basileus fit construire, pour la défense de la sombre et étroite passe au sortir de laquelle Vodhéna est bâtie, deux forts kastra. II donna à l'un construit en plein défilé le nom caractéristique de Kardia, à l'autre celui de Saint-Élie, probablement à cause de quelque chapelle ou monastère du voisinage, bâti en l'honneur de ce grand saint de l'Ancien Testament si vénéré des Byzantins. Puis Basile regagna une fois déplus son quartier général de Salonique. Durant qu'il séjournait en cette glorieuse cité, dans l'hiver de l'an 1016, son antagoniste le nouveau souverain bulgare, le fils du tsar Samuel, Gabriel Romain, lui envoya un de ses fidèles: Romée, surnommé « Chirotmète »,[32] parce qu'il était manchot, avec des lettres par lesquelles il lui faisait sa soumission, lui promettant obéissance et fidélité. Mais le prudent basileus se défia, dit Skylitzès, de la forme insolite de cette communication. Croyant à quelque ruse destinée à gagner du temps, il estima qu'au lieu de recevoir le roi des Bulgares à composition, le moment était, au contraire, venu de porter à cette cause perdue des coups de plus en plus impitoyables et incessants. Dans le sauvage pays de Moglènes, quelque peu au nord-est
de Vodhéna, dans la haute vallée du Moglénitiko, l'un des principaux
affluents de La courageuse garnison, se voyant perdue, renonça à prolonger la lutte. Les montagnards bulgares vinrent en suppliants demander au basileus la vie sauve et rendirent leur ville. La résistance du haut pays de Mogléna était terminée. Entre autres captifs de marque, les Byzantins s'emparèrent ici de Domitien Kaukanos, un des plus puissants archontes de la région, conseiller intime du tsar Gabriel, et d'Ilitzès, l'archôn même ou prince du pays de Moglènes, avec beaucoup d'autres hauts hommes de la contrée. On fit prisonniers de très nombreux combattants. Fidèle à sa pratique constante, Basile, pour rendre impossible tout soulèvement nouveau, fît transporter toute la population valide de Moglènes en état de porter les armes, en Asie, à l'autre extrémité de l'empire « sur la frontière de Perse », dans ses nouvelles possessions de l'Aspracanie, le Vaspouraçan d'aujourd'hui. Quel exode affreux pour ces libres enfants des monts du Rhodope si tendrement attachés à leurs vallées natales! Le restant misérable de ces infortunés fut, sur l'ordre du basileus impitoyable, dépouillé de tout. Le kastron de Moglènes fut incendié. Il n'en demeura que les ruines informes actuelles. Les troupes impériales s'emparèrent encore d'un autre kastron voisin, que Skylitzès désigne sous le nom d'Enotia. M. Delacoulonche en a retrouvé l'emplacement dans celui du village actuel de Notia, à l'angle nord-est de la vallée. Certainement, ici comme partout, Basile remplaça la population déportée par de nouveaux colons venus d'Asie, arméniens ou géorgiens probablement. Ces immenses chassés-croisés de peuples couvraient incessamment les routes impériales de longues théories d'infortunés voyageurs. Ils expliquent en partie l'infini mélange des races en Orient.[34] « Cinq jours après, dit Skylitzès, — probablement cinq
jours après la chute de la forteresse de Mogléna, — on vit reparaître au camp
impérial Romée à la main coupée, l’ancien messager du tsar Gabriel Romain,
dit Radomir. Ce personnage mystérieux amenait avec lui des envoyés de Jean
Vladistlav, le fils d'Aaron, un des quatre « Comitopoules » par conséquent le
propre neveu de Samuel. Ces ambassadeurs apportaient au basileus des lettres
par lesquelles Jean lui mandait qu'il venait d'assassiner de sa main dans la
ville de Pétric,[35] dans le val de Nous n'avons aucun détail sur les circonstances de ce crime. Il semble, d'après ce que Skylitzès dit de la durée du règne de Jean Vladistlav, qu'il dut être commis au plus tôt dans le courant de l'été de cette année 1016, date qui correspond bien avec cette campagne de l'armée impériale dans le pays de Moglènes. Le meurtrier, par la bouche de ce Romée « à la main coupée
», qui paraît avoir abandonné avec la plus parfaite désinvolture le service
de la victime pour celui de l'assassin, offrait, lui aussi, au basileus sa
soumission sans conditions. A travers les phrases brèves du chroniqueur
racontant ces tentatives successives des chefs bulgares au fur et à mesure de
leur avènement pour obtenir la paix et fléchir le tout-puissant basileus de
Roum, on devine l'agonie sans cesse croissante de la résistance. Gabriel
Romain avait échoué auprès de l'empereur qui avait répondu à ses offres de
soumission par la conquête et le sac du val de « Le basileus, dit Skylitzès, ayant pris connaissance des lettres de Jean Vladistlav, lui envoya sous pli bulle d'or, preuve qu'il le traitait encore en souverain indépendant, les conditions qu'il exigeait de lui pour le recevoir à merci. Celles-ci furent acceptées aussitôt et au bout de bien peu de jours on vit l'ambassadeur manchot reparaître une fois de plus au camp impérial. Cette fois il était porteur d'une lettre de soumission pleine et entière signée de la main du nouveau tsar et de celles des principaux archontes et boliades bulgares survivants. Tous se reconnaissaient suivant la formule byzantine « les esclaves et les sujets du basileus », ses hommes liges suivant la formule occidentale. Skylitzès cite un des premiers parmi les hauts hommes de Bulgarie, un certain Kaukanos, frère de ce Domitien Kaukanos fait prisonnier au siège de Mogléna, comme ayant passé ouvertement à cette occasion au service du basileus. Basile paya cette défection éclatante de l'accueil le plus flatteur. » Il semblait une fois encore que c'en fût bien fini de cette résistance désespérée. Mais, à l'exemple de son prédécesseur, Jean Vladistlav semble n'avoir agi de la sorte que pour mieux tromper le basileus, surtout pour gagner du temps. Malgré des engagements si solennels, le basileus fut secrètement informé que son adversaire n'avait pas été de bonne foi dans sa soumission et qu'il tramait à nouveau les pires entreprises. La réponse de Basile à l'attitude déloyale du roi bulgare
ne se fit pas attendre. Prompt comme l'éclair, bien qu'il eut pris déjà avec
l'armée la route du retour, le basileus fit volte-face. Par une marche
rapide, il se porta d'abord de Vodhéna sur Ostrovo, suivant la route
charmante de la fraîche et verdoyante vallée de A l'extrémité méridionale de ce lac fameux, le plus grand
de la péninsule des Balkans, s'élevait la capitale principale du défunt tsar,
la royale cité d'Achrida,[37] que jamais
encore les troupes du basileus Basile n'avaient contemplée. Partout à la
ronde, aux yeux surpris des légionnaires de Roum, se profilaient les pentes
élevées couvertes de bois de chênes sous lesquels disparaissaient les
villages bulgares. Au centre de cette ceinture de montagnes étincelaient les
eaux bleues merveilleusement limpides du lac dont les rives comptent plus de
cent kilomètres de tour. Le Drin noir en sort qui va se jeter près d'Alessio
dans l'Adriatique, confondant aujourd'hui une partie de ses eaux avec celles
de Sous les pieds des rudes soldats de Basile, arrêtés au
sommet des monts, se dressaient tout au nord du lac les maisons du village
qui est devenu l'Ochrida bulgare et turque actuelle, cité toute moderne qu'il
ne faut pas confondre avec l'Achrida médiévale. Au loin, sur la rive sud du
lac, étincelaient au soleil, parmi les noyers superbes, les toits du grand
monastère de Saint-Naum fondé, dit-on, par Justinien, auprès de l'emplacement
de l'antique Lychnidos. C'est, aujourd'hui encore, un des plus riches
monastères de A Achrida s'élevait le palais principal, l'aoul royal de la dynastie des Schischmanides. C’était là qu'était conservé le trésor de la couronne. En un mot c'était là la cité royale de la nouvelle Bulgarie comme Durazzo en (Mail le port de guerre sur l'Adriatique. Samuel avait choisi ces deux villes avec habileté, surtout Achrida. Celle-ci, en effet, tout en tenant sa sécurité de sa situation si retirée sur la rive de ce lac des montagnes, se trouvait placée sur cette fameuse Via Egnatia, une grande voie romaine aulique, toujours encore en usage à cette époque, qui conduisait de Salonique à Durazzo, en franchissant la chaîne centrale, et établissait ainsi une communication facile entre les deux sections orientale et occidentale de la portion européenne de l'empire byzantin, c'est-à-dire entre l'Adriatique d'une part, Salonique et la mer de l'Archipel de l'autre jusqu'à Constantinople. Pour la possession de cette voie unique, d'une importance capitale, ces deux illustres adversaires Basile et Samuel avaient lutté durant des années déjà avec la plus opiniâtre énergie. Pour la conquérir, des milliers et des milliers de leurs soldats avaient versé leur sang. La plupart des grands combats dont je viens de faire le récit, soit que l'initiative en vînt d'Achrida ou au contraire de Salonique, ont eu pour théâtre cette voie ou ses environs immédiats, à gauche ou à droite. Jusqu'à ce jour, aucun légionnaire de Basile n'avait pu contempler du haut des monts la capitale bulgare reposant aux bords charmants de son lac délicieux. Quelle dut être l'angoisse des habitants longtemps si confiants dans leur sécurité séculaire lorsqu'ils virent descendre des monts les files pesantes des hoplites du grand empereur de Roum! Nous n'avons aucun détail sur ce que fut la résistance. « Basile, dit Skylitzès, s'empara de la capitale bulgare. Il y mit tout en bon ordre et se disposa à marcher aussitôt de là sur Dyrrachion qu'il craignait de reperdre et qui réclamait sa présence immédiate. » Le chroniqueur byzantin, d'ordinaire si concis, entre, à
propos de cette dernière cité, dans quelques détails. Samuel, raconte-t-il en
substance, avait confié à son propre gendre Vladimir, mari de sa fille
Kosara, le gouvernement de Cette mort était devenue pour toute la région avoisinant Dyrrachion le signal d'une immense anarchie, de troubles violents. L'usurpateur bulgare n'avait cessé de diriger les plus vives attaques contre la puissante place forte byzantine. Acharné à la prise de cette ville dont la possession lui importait tant pour la sécurité de ses derrières, tantôt il la faisait assaillir par ses généraux, tantôt il l'assaillait en personne. Zonaras[40] dit qu'il la serrait de fort près au moment même où le basileus entrait dans Achrida. Aussi ce dernier, pour voler au secours de sa forteresse, se disposa-t-il aussitôt à franchir en hâte l'espace qui séparait les deux villes, et qui est aujourd'hui la province d'Albanie. Mais à cet instant même un incident fâcheux vint très subitement traverser ses projets. Au moment de la marche sur Achrida, Basile avait laissé en arrière un corps nombreux sous le commandement du stratigos Georges Gonitziatès et du protospathaire Oreste, personnage que Skylitzès désigne sous le nom du « captif », certainement parce que c'était quelque prisonnier de guerre passé au service de l'empire. Ces deux chefs avaient ordre du basileus de faire des incursions dans-la plaine de Pélagonie, ce qui, bien probablement, signifie qu'ils devaient parcourir le territoire de cette province en tous sens pour en achever la pacification, surtout pour détruire définitivement fous ces foyers de révolte si constamment prêts à renaître de leurs cendres. Un fort détachement de guerriers bulgares sous le commandement d'un des principaux boliades, Ibatzès, d'origine illustre, d'une rare valeur, réussit à attirer ce corps dans une embuscade où il périt massacré tout entier. A cette nouvelle, le basileus, désolé, abandonnant pour le moment Dyrrachion à son sort, ne songeant qu'à sa vengeance, rebroussa chemin sur l'heure. Laissant certainement une forte garnison dans Achrida avec un corps d'occupation pour assurer sa récente conquête, il franchit à nouveau la chaîne qui le séparait de la plaine de Pélagonie et se jeta à la poursuite d'Ibatzès et de ses bandes fuyant devant lui. Skylitzès ne nous dit même pas si Basile réussit à
atteindre le boliade et à le châtier. Le bref chroniqueur termine le récit de
cette expédition pour cette année 1016 par ces seuls mots: « L'armée
impériale et son chef regagnèrent Salonique et de là leurs cantonnements
habituels de Mosynopolis. » Seulement, un corps détaché sous le commandement
du patrice David Arianites fut envoyé par l'empereur contre la ville forte de
Stroumnitza[41] située au
sud-est de Skopia, à l'entrée de la vallée du fleuve du même nom qui sort de
là pour se jeter dans le Strymon. On se rappelle que les troupes impériales
avaient subi un échec devant cette localité en 1014. Nicéphore Grégoras dit
qu'elle était située sur un rocher fort élevé. David Arianites, par une
marche rapide, parut d'abord devant le château de Thermitza dont il s'empara.
On ne nous dit pas si Stroumnitza succomba également, mais c'est chose
probable. En même temps, Basile envoyait un autre corps sous le commandement
de Xiphias jusque sur le territoire de Triaditza, Les premiers résultats obtenus en cette année 1010 étaient véritablement décisifs. La nouvelle Bulgarie avait été traversée, parcourue de part en part par les armées impériales depuis les approches de l'Adriatique jusqu'à la plaine lointaine de Triaditza. Presque toutes ses dernières forteresses étaient aux mains des impériaux. Sa mystérieuse capitale elle-même, auprès de son lac perdu, était tombée en leur pouvoir. Son souverain actuel n'était plus qu'un usurpateur souillé de sang, errant de lieu en lieu avec quelques poignées de fidèles. Tout n'était pas encore fini cependant et l'opiniâtre basileus allait avoir à compter deux années encore avec la résistance de cette race indomptable. Pour la fin de cet an 1016, les chroniqueurs, Skylitzès en tête, signalent encore une expédition. Le basileus qui, du Mosynopolis, était déjà revenu à Constantinople, repartit une fois de plus pour cette région de Triaditza qui semble avoir été un des derniers centres principaux de résistance. Il voulait y assiéger la place de Pernikon qui, seule en cette région, semble-t-il, était demeurée aux: mains des Bulgares après l'expédition victorieuse de Xiphias de l'an précédent. Pernikon, Il nous faut interrompre un moment le récit de la guerre
bulgare pour parler, à propos de cette même année 1016, d'une autre lointaine
expédition militaire dans une région toute différente, expédition bien
intéressante sur laquelle nous ne possédons, hélas, que quelques lignes de
Skylitzès reproduites par Cédrénus. « Le basileus, disent en substance ces
chroniqueurs, de retour dans sa capitale au mois de janvier de l'an du monde
6524, qui est l'année 1016 après Jésus-Christ, expédia une flotte en
Khazarie, sous la conduite de Bardas Ducas, surnommé Mongos, fils du duc
Andronic Lydos, l'ancien partisan de Bardas Skléros, mort durant la sédition
de celui-ci.[44] Mongos, aidé par
Sphengos, le Svenki des chroniques russes, frère[45] du grand prince
Vladimir, soumit toute cette contrée à la puissance impériale. L'archôn du
pays, Georges Tzoulos, avait été fait prisonnier dès la première rencontre. »
Nous ne savons rien de plus, rien sur les causes de l'expédition, rien sur le
lieu du débarquement et l'historique des opérations, rien sur les suites de
cette annexion. Cependant comme l'empire des Khazars, qui allait encore à
cette époque des rives de « Les Khazars sur le Don, dit M. Rambaud dans son admirable étude sur l'Empire grec au xe siècle, étaient en ce temps, avec les Petchenègues sur le Dnieper, la principale et plus puissante nation des rivages de la mer Noire, sur laquelle les Byzantins avaient des notions fort précises. Ils étaient les seuls pour lesquels la chancellerie impériale eût des formules honorifiques. Un Khagan les gouvernait, dont l'autorité était sans bornes. Il disait à un de ses sujets: « Va, et tue-toi. » Et il était obéi sur l'heure. « Certes la puissance des Khazars avait décliné depuis le viie siècle,
même au xe
elle demeurait encore incontestée entré le Don et « Les Khazars étaient infiniment plus civilisés naturellement et intellectuellement que les Petchenègues. Ils avaient abandonné la vie errante et le système de guerre tumultuaire des peuples barbares. Le Khagan avait une armée permanente et soldée de douze mille hommes. Avec la civilisation byzantine, ils avaient pris quelques-uns de ses défauts: cette armée se composait d'étrangers mercenaires. Ces anciens dominateurs de l'Orient semblaient avoir renoncé à se défendre eux-mêmes; ils payaient des émigrés arabes, des Russes, des Slaves païens pour se battre à leur place. « Les Khazars possédaient des villes. Même ils en
bâtissaient. Sur le Don, en 833, le protospathaire Pétronas, envoyé par le
basileus Théophile, avait bâti, à la prière du Khagan, pour arrêter les
incursions petchénègues, la forteresse de Sarkel, « Les Khazars, grâce à leurs rapports avec les Khalifes de
Bagdad et les basileis byzantins, grâce à l'influence de « Depuis le mariage de Constantin Copronyme avec la fille du Khagan qui devint impératrice sous le nom d'Irène et apporta à Byzance les modes khazares, le vêtement khazar, entre autres le fameux tzitzakion, une paix de plus de trois siècles, presque une alliance sans refroidissement aucun, avait continué entre les deux nations et toujours dans l'armée byzantine, il y avait eu régulièrement un corps auxiliaire de troupes khazares. C’était pour la première fois depuis tant de temps en cette année 1016 que l'empire se trouvait en guerre avec ses fidèles alliés, et, chose étrange, il avait précisément pour auxiliaires contre eux ses vieux ennemis les Russes. Très probablement, dans cette lutte sur laquelle nous ne savons que si peu de chose et qui semble avoir marqué le début définitif du déclin rapide de la monarchie khazare, ce n'est point celle-ci qui eut les premiers torts. » Dans le si bref récit que nous donnent, de ces faits les
chroniqueurs byzantins, il y a encore un enseignement a glaner. Ce détail si
curieux du secours apporté à l'expédition byzantine par le propre frère du
grand prince Vladimir, secours sur lequel se taisent du reste les sources
russes, est, en effet, une preuve de plus que l'alliance russo-byzantine
s'était; maintenue intacte depuis le mariage déjà lointain de Vladimir avait donc continué, à partir de cette fameuse
année 989 qui vit sa conversion et celle de sa nation, de régner sur ses
peuples et de vivre dans la religion chrétienne. « Il avait, raconte Ce court mais très précieux récit montre combien étaient devenues étroites les relations établies entre Byzance et la monarchie russe convertie au christianisme. C'est de Byzance encore que partit en 991[47] le premier métropolitain élu de Kiev. Ce fut le patriarche Eustathios qui le désigna. Il avait nom Léon ou Léonce. « Vladimir, dit M. Rambaud, s'occupa avec ardeur d'orner
d'églises sa capitale veuve d'idoles. Outre celle consacrée à On cacha quelque temps la mort du héros. On fit, la nuit,
un trou au milieu du plancher, entre deux chambres, sa demeure étant
probablement construite sur pilotis; on enveloppa le corps dans une
couverture; on le descendit à terre avec des cordes; on le mit sur un
traîneau, puis on alla l'ensevelir dans cette somptueuse église de Vladimir laissait de ses nombreuses femmes une foule d'héritiers. Son fils aîné, Sviatopolk, fut son successeur et s'établit à Kiev. Ce prince eut un début de règne fort agité. Il fit traîtreusement assassiner à coups de lance son frère Boris, fils de son père et d'une Bulgare, durant que le malheureux jeune prince chantait des psaumes. Avec celui-ci, Sviatopolk fit encore tuer un jeune Hongrois du nom de Georges que Boris aimait, auquel il avait fait don d'un grand collier d'or. Puis ce fut le tour de Gleb, un autre des fils de Vladimir. Les noms des deux jeunes princes martyrs devinrent parmi les plus populaires de l'histoire russe. Ils furent dès lors les saints nationaux par excellence. Quatre-vingts ans à peine après leur mort, leur fête était déjà la fête de la terre russe. Sviatopolk tua encore son frère Sviatoslav, prince des
Drevlianes, fils de Vladimir et d'une Tchèque. Il voulait tuer tous ses
frères. Toujours dans cette année 1015, première de son règne, il partit en
guerre contre son frère Iaroslav de Novgorod, le fils de Rogniéda. Après
trois mois d'alerte, la bataille s'engagea sur les rives glacées du Dnieper.
Sviatopolk battu dut s'enfuir, Iaroslav, vainqueur, alors âgé de vingt huit
ans, s'installa dans Kiev, sur le trône de ses pères. Il devait être un des plus
grands princes de |
[1]
C'est-à-dire dans les régions d'Achrida, de
Prespa, de Mogléna, dans toutes ces terres montagneuses de
[2] Séjour dont la durée nous est connue par la seule Chronique de Yahia.
[3]
Op. cit.,
liv. I, chap. xxxiii. Il faut
croire que cette guerre fut véritablement très sérieuse, car, un peu plus loin,
au chapitre suivant, Mathieu ajoute que « Basile, après avoir achevé la
conquête de
[4] Voyez Épopée byzantine, I.
[5]
Voyez cet épisode dans
[6]
Boué, Rec. d'itinér. dans
[7] Kimbalung, Cimpu-Lung, « Longchamp ».
Ce nom romain, dit M. Xénopol, Revue Historique, 1891, p. 279, L’empire
valacho-bulgare, est une preuve que dans cette époque les Romains
habitaient ces contrées. »
[8] Du thème de « Philippes » suivant
l’expression même de Skilitzès et de Cédrénus,
[9] Je trouve à côté du col le village de Biélavoda.
[10]
Prilapon, Prilep, Perlépé, Prilopi, Pirlip,
à vingt heures de cheval d'Uskub. C'est aujourd'hui une ville murée de huit à
dix mille âmes, une des plus commerçantes de
[11] Actuellement Kara-Sou.
[12] Michel Attaliatès, à la suite de la phrase que je cite plus haut, racontant la défaite des Bulgares, dit que « Samuel s'enfuit plein de terreur, jusque dans l'île marécageuse de Presna où il mourut! »
[13]
Gregorovius, op. cit.,
I, p. 101, la désigne sous le nom de victoire de
[14] 29e jour de juillet de la douzième Indiction.
[15] Mathieu d'Édesse, éd. Dulaurier, p. 40, le confond, je l'ai dit, avec Alousianos.
[16] Le 15 septembre pour Lipowsky, op. cit., p. 75, et pour le baron V. de Rosen, op. cit., note 358.
[17] Publiée pour la première fois en 1853 par M.
Brunet de Presle.
[18] Voyez surtout Épopée,
t. I.
[19] Michel Attaliatès, éd. Bonn, p. 229.
[20]
[21] Une des pièces de vers de Jean Géomètre contient
des allusions à cette grave défaite. Voyez Cramer, op. cit.,
p. 296; Migne, op. cit., col. 919.
[22] Le Nicéphore Xiphias du récit de Skylitzès et Cédrénus ne serait-il pas aussi le même personnage que le Nicéphore (ou Théophylacte) Botaniatès de Michel Attaliatès? Cela semble improbable, car nous voyons Xiphias reparaître au siège de Mogléna (voyez quelques pages plus loin).
[23] Boué, op. cit., I, 213.
[24] Cédrénus, II, 459.
[25] Ce récit semblerait une nouvelle preuve que le Nicéphore Botaniatès de Michel Attaliatès et le Théophylacte Botaniatès de Skylitzès ne sont qu'un seul et même personnage.
[26] Ou Menlic.
[27] C’était déjà l’opinion de Du Cange.
[28] Il s’y était rendu vraisemblablement par Sérès,
Kavala et Ienidsche, par la route qui suit le rivage le long des dernières
pentes du Rhodope.
[29] Bitolia est le nom bulgare.
[30] Cédrénus, II, 460-461.
[31] Skylitzès nomme cette ville Boutelion.
[32] Littéralement: « à la main coupée ».
[33] Lebeau, op. cit., t. XIV, p. 207, confond Mogléna avec Vodhéna qu'il nomme de son nom antique d'Édesse.
[34]
Sur ces immenses transplantations des
populations bulgares, voyez aussi Kokkoni, op. cit.,
p. 123. Voyez encore le témoignage d'Ibn el Athir, dans Rosen, op. cit.,
note
[35]
Que Cédrénus appelle Pétriscon. Yahia et
Elmacin l'ont allusion à ces événements, Seulement le premier auteur confond
Jean Vladistlav avec son père Aaron. Il place le meurtre de Gabriel Romain en
l'année 407 de l'Hégire (
[36] Ou Presna.
[37] Ce nom dérive du mot slavon: ahar, « cour », la résidence royale bulgare.
[38] On ne saurait dire à quelle époque la cité perdit son nom antique pour celui d'Achrida, dénomination byzantine signifiant: hauteur, éminence, parfaitement caractéristique de la position de Lychnidos.
[39]
La position ainsi fixée concorde, pour les
distances, avec le tracé de
[40] Éd. Dindorf, t. IV, p. 123.
[41] Stroumbitza,
Stroumpitza, Stroummitza.
[42] Wassiliewsky, Conseils et récits, pp.
282-283.
[43] L'auteur anonyme des Conseils
et récits d'un grand seigneur byzantin, dans son chapitre lxxxi intitulé Histoire d'une autre forteresse,
fait allusion au siège par le basileus Basile d'une place forte du nom de «
Morie », entre Philippopolis et Stredetz, nom slave de Triaditza ou Sofia. Ce
nom de « Morie » m'est inconnu, Pas plus que M. Wassiliewsky, je ne suis
parvenu à l'identifier. Voici le texte de l'auteur anonyme: « Étant parti pour
une de ses expéditions, Basile, arrivé devant la forteresse de Morie, disposa
ses machines, battit longuement les murailles, puis, pour mieux attaquer, fit
construire un château de bois. Mais les assiégés détruisirent cet engin grâce à
un stratagème qui mérite d'être sauvé de l'oubli. Ils décidèrent, par de riches
cadeaux plusieurs jeunes hommes à se glisser secrètement clans l'appareil par
les interstices des poutres extérieures, emportant avec eux des torchés, du
goudron, des matières inflammables et de quoi faire du feu. Ces hardis
compagnons, après avoir allumé l'incendie à l'intérieur du château de bois,
réussirent à s'éloigner. Extérieure ment, on ne se doutait de rien, aucune
flamme ne paraissant. Toute la nuit le feu brûla au centre du vaste
échafaudage, dévorant peu à peu la charpente. Au matin les flammes apparurent,
mais le château était détruit. L'empereur, fort chagrin, dut se retirer, et les
habitants de cette cité conservèrent leur indépendance. » De quelle cité et de
l'expédition de quelle année s'agit-il? Achrida avait aussi nom Morra, mais
Achrida n'a jamais été située entre Philippopolis et Sofia. II, 464. Voyez
Wassiliewsky, op. cit., p. 51.
[44] Voyez Épopée,
I, où j'ai écrit à tort Antoine pour Andronic.
[45] Une variante de Cédrénus dit « beau-fils ».
[46] Des variantes le nomment Joachim. Voyez Muralt, op. cit., t. I, p. 572.
[47] Muralt, op. cit., I, 572. Nestor L. et G. 6499. — L. Novg. 2 b: 6497 et 3: 6496 désignent Photius comme le patriarche qui envoya Joachim de Cherson
[48] A ce même moment, son neuvième fils, Boris, se battait contre les Petchenègues. Un autre, Sviatopolk, était en prison à Kiev.
[49] Skylitzès, au contraire (voyez Cédrénus, II, 478.20), fait survivre cette princesse à son époux. Même il semble dire qu'elle ne mourut qu'après la fin de la grande guerre de Bulgarie, même après l'expédition de Basile au pays des Abasges et la révolte de Xiphias, c'est-à-dire après l'an 1021. Du moins il ne raconte la mort d'Anne qu'immédiatement après ces grands événements.
[50] Muralt, op. cit., I, 587, dit que Vladimir fut enterré à l'église Saint Clément, au milieu de son église, vingt-huit ans après son baptême, auprès de son épouse « Hélène »!