Deuxième partie
Ce second volume de l’Épopée byzantine (laquelle
fait elle-même suite à mon Nicéphore Phocas publié il y a dix ans) est
consacré entièrement au gouvernement du grand basileus Basile II, dit le « Bulgaroctone » Pour donner un aperçu du contenu de ce second volume, il me suffira de reproduire les termes dans lesquels j’en parlais dans l’Introduction du tome Ier. J’exposerai dans ce second volume, disais-je, les infinies péripéties de la guerre bulgare, qui dura en tout plus de quarante années, l’écrasement final de cette nation et de la dynastie royale des Schischmanides puis l’annexion à l’empire des principautés arméniennes et géorgiennes; les campagnes foudroyantes de Basile en Syrie; les premières luttes avec les Normands en Italie; la grandeur militaire enfin de l’empire byzantin sous ce fameux basileus guerrier. En terminant, j’ajoutais cet exposé celui du quatrième et
dernier volume que je compte écrire encore, si j’en ai le temps, pour clore
cette série « Si Dieu me prête vie »,
disais-je, je raconterai après cela, en un ou deux volumes, le court
gouvernement de Constantin VIII, après la mort de son frère Basile les règnes
surtout si étranges, si mouvementés de se filles Zoé et Théodora et des époux
ou amants successifs de la première de ces princesses, jusqu’à l’abdication
du vieux Michel VI Stratiotikos, arrivée en 1057. Cette date, par l’élévation
au trône d’Isaac Comnène, marque la fin suprême de la brillante dynastie des
empereurs de race macédonienne. Ainsi j’aurai rédigé les annales d’un siècle
d’histoire byzantine, depuis l’avènement de Nicéphore Phocas jusqu’à celui de
cet autre général non moins valeureux qui fut le premier des empereurs
Comnènes: tout un siècle dont on ne s’était occupé jusqu’ici que pour le
dépeindre en quelques centaines de pages, comme l’a fait Lebeau. Alors je
passerai la plume au futur historien de l’époque des Comnènes. » Les trente-cinq années de l’empire byzantin dont j’ai tenté d’écrire le récit dans le présent volume comptent, comme les quatorze premières de ce long règne de Basile II, parmi les plus inconnues de Byzance. Finlay, disais encore dans la préface de mon premier volume, a eu raison de dire que le règne commun des deux fils de Romain II et de Théophano, qui dura toute la fin du Xe siècle, tout le premier quart du XIe était la période la plus obscure du Moyen âge oriental. C’est la période de toute pauvreté des sources, des lacunes sans fin, des ténèbres. Aucune expression ne saurait donner une juste idée d’une pareille disette de documents. La grande guerre de Bulgarie, longue de près d’un demi siècle, est très mal connue, de même que les guerres en Syrie et en Arménie. La vie intérieure de cet immense empire, son existence administrative et sociale à cette époque, sont tout aussi ignorées. Chose inouïe, personne ne s’était encore occupé d’écrire l’histoire d’ensemble de cette vaste période depuis les quelques chapitres que lui a consacrés Lebeau. De même les travaux de détail sont en nombre infime. Je donnais à la suite un aperçu du labeur vraiment énorme par lequel j’ai tenté, en portant mes recherches de cent côtés divers, de remédier à cette extrême disette de documents. Je racontais comment j’avais dépouillé des centaines de volumes et de mémoires pour y chercher parfois un renseignement de trois lignes, minutieusement étudié toutes le sources en tant de langues diverses, interrogeant les manuscrits, les miniatures, les inscriptions des monnaies, les sceaux, les débris d’architecture, parcouru les vies de saints et les rares pièces de vers contemporaines. Je renvoie pour plus de détails le lecteur à ces lignes, où j’ai tenté de l’initier aux difficultés bien grandes de mon oeuvre. J’ai patiemment tenté de reconstituer, cartes en main, les si nombreuses campagnes en Bulgarie et les deux campagnes en Arménie: ce travail n’avait jamais été même tenté. Grâce aux indications nouvelles fournies par la portion de la précieuse chronique syrienne de Yahia traduite et si remarquablement annotée par le baron V. de Rosen, j’ai pu, dans ce nouveau volume, comme dans le précédent, rédiger des chapitres presque entièrement inédits sur les guerres des soldats de Basile en Syrie contre les troupes africaines des Fatimides d’Egypte celles de leurs vassaux. Je reproduis encore quelques phrases de l’Introduction du tome précédent qui s’appliquent non moins exactement à celui-ci. Les événements disais-je, racontés dans ce volume, hélas, beaucoup trop guerrier, même presque exclusivement guerrier, n’offrent pas le puissant attrait dramatique et romanesque du premier tome de la série consacrée à l’époque tragique de Nicéphore Phocas. L’histoire de Basile II, pourtant fut un très grand prince, comporte de trop graves lacunes. L’éternel élément féminin fait entièrement défaut à ce règne. Nous ignorons même si Basile fut marié. Nous ne possédons guère que de brefs récits de ses campagnes incessantes, toujours les même recommençant chaque printemps. Pour l’historique préoccupé de ne dire que strictement ce qu’il sait, il est humainement impossible d’éviter la monotonie. J’en demande pardon d’avance. » Je n’ai pas eu la chance de rencontrer pour ce volume des
récits tels que ceux de l’expédition de Crète, ou des amours de Théophano et
de Tzimiscès, un journal de voyage comme celui du prélat diplomate Liutprand.
Cependant, pour ce second volume de l’Épopée comme pour le premier, l’intérêt
demeure bien grand encore. La lutte géante de toutes les forces de l’empire
contre les Bulgares et leur audacieux souverain Samuel passionnera le
lecteur. Il lira avec émotion les péripéties étranges de ce long drame, les
convulsions suprêmes de cette fière agonie de tout un peuple, le voyage
triomphal et si curieux du basileus victorieux, jusqu’à Athènes, la cité de
Minerve. Il s’intéressera à ces étranges luttes aussi du basileus de fer
contre les souverains féodaux de Géorgie et d’Arménie, à cette marche
lointaine des armées byzantines jusqu’aux rives de J’ai dû, je le répète ici encore, restituer cette histoire à peu près de toutes pièces. Rien d’approchant n’existait. Ce troisième volume est encore une pierre de plus au modeste édifice que je voudrais élever à la connaissance de cette histoire byzantine si ignorée, dont l’étude cependant a fait d’immenses progrès depuis l’époque encore récente où je publiais mon premier volume sur Nicéphore Phocas. Je crois que ceux qui voudront bien parcourir ce gros volume se feront une idée singulièrement nouvelle de ce que fut le règne de ce grand Basile, ce grand souverain de l’an mille, maître de plus de la moitié du monde oriental de cette époque, maître en Europe et en Asie, et cependant encore aujourd’hui totalement ignoré de l’immense majorité des lecteurs d’Occident. Je rappelle que rien n’avait été écrit sur ce prince extraordinaire depuis Lebeau. J’oppose aux quelques chapitres de cet écrivain ce volume de plus de six cents pages dans lequel je n’ai pas écrit cent lignes de hors-d’oeuvre. Si j’insiste sur ce point c’est que le reproche m’en a été fait avec une injuste âpreté au sujet de mon premier livre sur Nicéphore Phocas. J’avais de propos libéré dans cet ouvrage fait de longues digressions en dehors du récit historique proprement dit parce que je tenais à donner au lecteur totalement novice en cette matière une vue d’ensemble de ce qu’étaient l’empire et le peuple byzantins à l’époque de leur grandeur. Dans le présent volume, on ne trouvera, rien de pareil; mais bien seulement la stricte énumération des événements. Le chapitre de l’illustration très nombreuse m’a coûté cette fois encore beaucoup de soucis. Je crois avoir réalisé certains progrès. J’ai continué à ne faire figurer autant que possible dans ce nouveau volume que des monuments contemporains de l’époque dont je raconte l’histoire, c’est-à-dire de la seconde moitié du dixième siècle ou de la première moitié du onzième. C’est comme une illustration des faits par l’art et l’archéologie. Tout le monde connaît l’extraordinaire rareté des monuments encore existants, datant de cette époque reculée: Une bien vaste et minutieuse correspondance m’a fourni les documents qui m’étaient nécessaires pour me procurer cette fois encore une moisson abondante. L’automne dernier, je suis retourné à Constantinople et à Athènes, j’ai visité Salonique et le Péloponnèse. Je renouvelle l’expression de ma reconnaissance à bien des
que je remerciais déjà dans la préface de mon dernier volume, en première
ligne à M. G. Millet, professeur d’archéologie religieuse byzantine à l’École
des Hautes Éludes, qui, par son inépuisable obligeance, mérite une place à
part dans ma gratitude. Je lui dois une grande partie des documents qui ont
servi à l’illustration de ce livre. Je remercie de même M. A. Sorlin-Dorigny,
de Constantinople, qui m’a fourni entre autres les plus précieux documents
inédits sur la grande muraille de Byzance, documents relevés par lui-même,
puis encore M. Omont, de Puisse le public de plus en plus nombreux qui s’intéresse aux choses de Byzance accueillir avec indulgence ce nouveau travail consacré sa tragique et merveilleuse histoire.[1] GUSTAVE SCHLUMBERGER. Paris, mars 1900. |
[1] Pour