Première partie
Ce fut peu de temps après cette chute retentissante du parakimomène Basile qu’éclata enfin la grande guerre bulgare, depuis longtemps imminente, un des épisodes les plus graves, les plus extraordinaires et les plus prolongés des annales de l’empire d’Orient, qui a valu à Basile II une gloire immortelle pour l’énergie avec laquelle il soutint cette lutte de plus de trente années, depuis l’an 986 jusqu’en 1019. Cette guerre, prodigieuse par l’opiniâtreté de la résistance comme par celle de l’attaque, devait faire couler des flots de sang à travers la plus grande partie de ce long règne, mais elle se termina du moins après tant d’années de combats par une si complète victoire des forces byzantines, par un si total écrasement de la nationalité bulgare et du royaume de ce nom qui avait réussi à se constituer pour un temps au sein même de l’empire, que le peuple vaincu en demeura à demi détruit et que le prince vainqueur en conserva le nom de Bulgaroctone, ou « tueur de Bulgares », par lequel il est connu dans l’histoire. Pour cette guerre interminable dont les débuts avaient vu
les Bulgares conquérir On peut leur ajouter cependant quelques allusions faites comme en passant qui se retrouvent dans diverses sources étrangères. Ainsi les historiens arabes et arméniens, tout à fait indépendants des écrivains purement grecs, nous fournissent divers renseignements qui viennent parfois compléter admirablement, parfois même corriger, ceux des Byzantins. Il en est ainsi, par exemple, de Yahia, source souvent excellente, plus tard copiée par Elmacin. L’écrivain antiochitain, d’ordinaire si exact, est parfois très bien informé de ces affaires si lointaines. Il a été le contemporain de tous ces événements et a dû disposer de sources très nombreuses. Chose précieuse entre toutes, il fournit des dates. Malheureusement et fort naturellement il ne parle jamais de la guerre bulgare qu’à titre incident. Dans des proportions moindres, Étienne de Darôn, dit Acogh’ig, est un historien contemporain de premier ordre, une source très véridique qui, tout en narrant les destinées de l’Arménie, nous fournit des indications sur les affaires de Bulgarie jusqu’à l’année 1004 et dit parfois quelques mots précieux au sujet des Bulgares.[1] Pour l’étude d’événements à la fois si importants et si obscurs, l’historien digne de ce nom ne doit pas négliger le moindre indice. Dans sa poursuite constante du document, il ne doit dédaigner ni la plus distante allusion, ni le détail le plus insignifiant comme semé au hasard. Depuis bien des années toute l’attention, toute l’activité du parakimomène et de son impérial pupille[2] s’étaient trouvées forcément concentrées d’abord sur la révolte de Bardas Skléros qui, durant tant de mois, avait mis l’empire à deux doigts de sa perte en Asie, ensuite sur les affaires d’Italie et de Syrie. Maintenant, plus tranquille de ces divers côtés, Basile pouvait plus librement porter tous ses efforts, toute son énergie vers la frontière septentrionale de l’empire en Europe où, depuis longtemps déjà, les événements les plus graves accumulaient menace sur menace. La victoire totale de Jean Tzimiscès sur les Russes, leur
expulsion définitive de Les choses en seraient peut-être demeurées là longtemps
encore si le grand Tzimiscès eût vécu. Mais ce prince infortuné ne devait pas
même survivre quatre années à ses victoires sur le Danube. A peine avait-il expiré
au retour de sa campagne de Syrie, que le nouveau régent, le parakimomène
Basile, avait dû concentrer son énergie tout entière, user les ressources
suprêmes de l’Etat pour combattre l’immense danger de la révolte de Bardas
Skléros. Quatre années durant, cette sédition du grand chef asiatique avait
mis la maison de Macédoine aux portes de l’abîme. Il avait fallu sans doute,
pour reformer toujours à nouveau les armées d’Anatolie incessamment mises en
déroute par le terrible prétendant, retirer la majeure partie des troupes
d’occupation de Bulgarie, diminuer l’effectif de certaines garnisons, en
supprimer d’autres peut-être. Le parti national bulgare, tous ces boliades
provinciaux fort nombreux encore, très ardents, très patriotes, qui
supportaient avec une suprême impatience le joug détesté de l’étranger,
s’étaient presque instantanément agités, surexcités par les nouvelles si
désastreuses pour le gouvernement des basileis qui ne cessaient de parvenir
du théâtre de la lutte en Asie. Le corps de Jean Tzimiscès était à peine
déposé dans sa dernière demeure de l’oratoire de Les documents contemporains qui nous sont demeurés de
cette période des annales byzantines sont si peu nombreux, si imparfaits, l’histoire
surtout de la monarchie bulgare à cette époque est si complètement inconnue,
que jusqu’ici tous les historiens s’en allaient répétant sur le sujet qui
nous occupe les mêmes erreurs stéréotypées. On croyait fermement que Jean
Tzimiscès avait conquis et annexé Il appartenait à un historien russe, M. Drinov, de faire
enfin quelque lumière sur cette question. Dans un travail paru à Moscou en
1876[4] cet érudit s’est
très heureusement occupé de ces origines si ignorées de la grande guerre
gréco bulgare qui ensanglanta presque tout le règne de Basile II. Il a très
victorieusement prouvé que l’instrument principal de cette lutte nationale de
Déjà, à propos de l’organisation établie par Jean
Tzimiscès dans la portion de « Les témoignages que je viens d’énumérer, dit à peu près
cet historien, nous sont une preuve certaine qu’en dehors des provinces
bulgares danubiennes et balkaniques de Dorystolon, de « Cette théorie des deux royaumes bulgares, dont un seulement fut conquis par Jean Tzimiscès, théorie que je soutiens ici, poursuit M. Drinov, reçoit une confirmation éclatante de ce que nous savons tant sur les origines que sur les circonstances du fameux mouvement bulgare hostile à Byzance qui éclata dès 976, c’est-à-dire cinq années seulement après les victoires de Jean Tzimiscès sur le Danube. Surtout cette opinion nous explique le caractère vrai de ce mouvement de libération si puissant et si intense qui a été jusqu’ici très imparfaitement compris. « Les historiens byzantins[6] racontent
qu’aussitôt après la mort imprévue de Jean Tzimiscès c’est-à-dire dès l’année
976, les Bulgares se soulevèrent contre l’empire byzantin et envahirent les
thèmes d’Europe. Dès 980, c’est-à-dire seulement quatre ans après, nous
verrons au récit qui va être fait de cette guerre, les Bulgares en possession
de provinces telles que « Voilà donc ce qui se passait dans « Les absurdités, les impossibilités trop évidentes, découlant de ce système qui veut envisager un mouvement aussi puissant comme le produit d’une simple révolte des provinces bulgares soumises par Jean Tzimiscès, n’ont pu échapper aux partisans de cette opinion. Pour expliquer leur théorie ils ont inventé diverses hypothèses qui ne tiennent pas debout devant la critique la plus superficielle. Les uns se sont bornés à répéter que la révolte de Bardas Skléros avait à tel point absorbé durant quatre années toutes les forces et toute l’attention du gouvernement et de l’opinion à Byzance, que le premier n’avait pu prendre aucune mesure pour étouffer les débuts de l’insurrection bulgare, que la seconde ne s’était même pas aperçue des progrès gigantesques si rapidement réalisés par celle-ci. Le départ précipité de toutes les troupes impériales d’occupation pour aller combattre le prétendant d’Asie demeure donc pour ces historiens une explication très suffisante des éclatants succès des révoltés bulgares. Or, dès le début de la lutte, nous voyons des villes comme Serrès, comme Larissa, comme Corinthe, fortement occupées par des garnisons impériales. Si ces anciennes cités du territoire de l’empire avaient ainsi conservé leurs défenseurs, à bien plus forte raison les places reconquises par Tzimiscès au nord du Balkan et sur le Danube devaient avoir aussi gardé leurs garnisons byzantines. Le vulgaire bon sens doit nous être garant que le gouvernement des jeunes basileis n’avait pas ainsi stupidement dégarni ces places fortes. C’eût été courir de gaîté de coeur à l’encontre des pires complications. La preuve en est que le tsar Samuel ne put plus tard s’emparer, à cause précisément de la résistance opiniâtre que lui opposèrent certainement leurs garnisons byzantines, ni de Dorystolon, ni de Philippopolis, ni de Varna, ni de Mésembria, ni d’Anchiale, toutes places fortes reprises par Jean Tzimiscès. « D’autres écrivains, qui ne nient point la présence de
garnisons byzantines dans les principales villes de « Ma théorie, poursuit M. Drinov, a précisément le mérite
de rendre inutiles ces hypothèses qui toutes pèchent par la base. Pour moi,
je ne doute pas que la grande guerre gréco bulgare sous Basile II n’ait eu
ses origines premières dans le royaume dont l’existence était demeurée
jusqu’ici inconnue aux historiens et qui avait survécu à la conquête des
provinces de « Il ne me reste maintenant qu’à tenter de refaire en peu
de mots l’histoire forcément bien courte de cette Bulgarie occidentale depuis
son origine jusqu’au commencement de la lutte contre Byzance en 976. On se rappelle
que ce nouveau royaume de l’ouest avait été fondé du vivant du tsar Pierre,
durant la grande insurrection soulevée contre ce souverain trop ami de
Byzance par le parti bulgare dit national, dans le cours du printemps ou de
l’été de l’an On ne saurait dire exactement combien de temps il régna,
mais, par le témoignage de Skylitzès qui dit qu’après le décès du tsar
Pierre, survenu le Des quatre fils de Schischman, également nommés les Schischmanides de Ternovo ou plus simplement les « Comitopoules »: David, Moïse, Aaron et Samuel, aussi appelé Étienne ou Stéphanos Samuel, ce fut David qui lui succéda. Ce fait nous est attesté par divers témoignages historiques, entre autres par le Registre des rois bulgares de Zographos, document très ancien dans lequel ce prince se trouve nommé immédiatement après son frère: « Dieu ait pitié de Schischman, de David, de Samuel, etc. » L’Église bulgare a mis David au nombre des saints, et son image se rencontre aujourd’hui encore dans mainte église de Bulgarie avec cette légende: le « saint roi bulgare David ». Il existe un antique portrait de lui au couvent de Ryl. Un autre se trouve dans un livre religieux slavon[11] publié à Pest au siècle dernier. Ses biographies manuscrites et celle écrite au milieu, du siècle dernier à l’aide de ces documents plus anciens par le moine prêtre Païssios dans son Catalogue des saints bulgares disent que le pieux souverain, après avoir cédé le trône à son frère Samuel, se retira dans un monastère et prit l’habit religieux. Il y mena une vie sainte et agréable à Dieu et ne tarda pas à mourir. Ses reliques furent, dans la suite, transportées de Vodhéna à Ochrida. Les historiens byzantins citent à peine ce souverain. Skylitzès, on le verra, qui ne semble pas ici d’accord avec le témoignage de Vies manuscrites du saint roi, dit seulement qu’il fut assassiné par quelques Vlaques errants, quelque part entre Castoria et Prespa, en un lieu appelé « les Beaux Chênes ». Il ne serait peut-être pas impossible cependant de concilier les deux témoignages. Nous verrons dans la suite comment Samuel,[12] qui n’était que le quatrième fils de Schischman, succéda pourtant immédiatement à son aîné, parce que les deux autres frères avaient également péri de mort violente. C’est sous le gouvernement du tsar David qu’eurent lieu les premiers mouvements avant-coureurs de la grande guerre gréco-bulgare. Son règne avait commencé, nous l’avons vu, avant 969, puisqu’il durait déjà lors de l’insurrection en cette année de ce prince et de ses frères, les autres Schischmanides, contre les héritiers du tsar Pierre. Il durait probablement encore lorsque mourut, ainsi que nous le verrons plus tard, Moïse, un des quatre frères, au siège de Serrès, vers 976 ou 977. Donc, entre 977 au plus tôt et 979 au plus tard, le pouvoir passa aux mains de Samuel qui, en 980, se trouvait, nous le savons avec certitude, déjà à la tête du royaume bulgare occidental. Essayons maintenant avec M. Drinov de tracer
approximativement les limites de ce royaume de Ainsi donc l’ensemble des provinces bulgares situées à
l’ouest du Despoto-Dagh, de Il est temps d’en arriver enfin au récit de cette terrible
guerre gréco-bulgare si acharnée, si longue, sur les péripéties de laquelle
nous ne possédons, hélas, que quelques renseignements aussi épars que
déplorablement insuffisants. Les débuts surtout nous en sont à peu près
inconnus. Tout ce que nous savons d’un peu certain, c’est que presque
immédiatement après la mort de Jean Tzimiscès les hostilités semblent avoir
commencé de la part des Bulgares, encouragés par la mort de leur redoutable
adversaire, par la jeunesse et l’inexpérience de ses successeurs, surtout par
le trouble amené dans tout l’empire par la sédition de Bardas Skléros. Le
mouvement national, consistant à la fois en une agression directe de la part
de Ces quatre jeunes hommes reconnaissaient pour leur chef et leur tsar l’aîné d’entre eux, David, qui avait été proclamé à la mort de leur père, mais tous dirigeaient en commun l’attaque contre Byzance. Ces quatre frères dont nous voudrions tant connaître un peu plus exactement l’orageuse existence, semblent avoir été de véritables héros de la patrie, restaurateurs passionnés d’une nationalité quasi expirante sous les coups de l’étranger, privée de son antique lignée royale, cherchant désespérément à se reprendre sous la conduite de ces hardis et enthousiastes chefs populaires. Dans les récits bulgares, empreints d’un patriotisme ardent, les fils du boliade Schischman sont appelés les nouveaux Macchabées, et le seul fait de ce nom glorieux donné à ces hommes par ce peuple où la lecture de l’Ancien Testament tenait une si grande place dans les préoccupations religieuses, en dit plus long sur leur compte que bien des récits contemporains. Combien nous voudrions pouvoir nous représenter ces libres et ardents guerriers conduisant à travers les immenses et impénétrables forêts, les agrestes défilés de leur montagneuse patrie, les bandes pittoresques des rustiques paysans bulgares ou les forces régulières mieux organisées de la jeune royauté du fils aîné de Schischman à l’attaque des forteresses de la frontière byzantine défendues par des mercenaires russes, arméniens ou géorgiens De toute la première période de la lutte gréco-bulgare
nous ne connaissons que deux ou trois faits à peine. Certainement, malgré les
embarras suscités par la révolte de Bardas Skléros, les Byzantins durent
opposer une résistance vigoureuse aux agressions chaque jour plus audacieuses
des Bulgares. Il dut y avoir durant toutes ces années tout le long de la
frontière grecque, aux environs des sauvages monts Rhodope surtout, des faits
de guerre nombreux, guerre de partisans, guerre de surprises; mais les
historiens byzantins, comme fascinés par la grandeur de la lutte contre le
prétendant d’Asie, absorbés par le récit de ces fameuses campagnes d’Anatolie,
ne disent pas un mot de ces événements d’ordre en apparence secondaire. Tout
ce que nous en savons durant la période qui s’étend de l’an 976 à l’an 980,
se réduit à ceci: Les quatre fils de Schischman dirigeaient l’incessante
attaque bulgare contre Byzance; David, l’aîné, était tsar; Moïse, qui le
suivait par rang d’âge, périt le premier; les Bulgares assiégeaient alors,
paraît-il, la forteresse impériale de Serres en Macédoine, aujourd’hui Sérès,
au nord-est et à peu de distance de Salonique; Moïse fut tué d’un coup de
pierre jetée des murailles. Nous n’avons sur ce fait de guerre que cet unique
renseignement. Il n’en est pas moins infiniment précieux en nous démontrant
que, puisque les princes de J’ai dit que le tsar David semble avoir régné jusqu’à une époque qu’il faut placer entre 977 et 979, date extrême. En 980, en effet, nous verrons que Samuel lui avait déjà succédé. Je rappelle encore que, suivant les sources bulgares, ce pieux souverain, après avoir abdiqué en faveur de son frère Samuel, se serait fait moine et serait mort en odeur de sainteté, mais que Skylitzès raconte au contraire qu’il fut assassiné entre Castoria et Prespa, en un lieu nommé « les Beaux Chênes », par des Vlaques errants, c’est-à-dire quelques pasteurs de cette race[17] qui se trouvaient là dans leur patrie, quelques-uns de ces sauvages bergers vlaques dont les représentants actuels, demeurés presque aussi incultes qu’ils l’étaient aux environs de l’an mille, constituent parfois une rencontre fort désagréable pour le voyageur égaré en terre de Macédoine ou de Thessalie. Samuel,[18] le grand tsar
Samuel, un des plus grands souverains de Bulgarie et un des personnages à la
fois les plus remarquables et les moins connus du Xe siècle
oriental, que nous allons voir soutenir à la tête de son peuple une lutte si
héroïque durant tant d’années contre le basileus Basile et toutes les forces
du vaste empire grec, succéda immédiatement à son frère David. En 980 nous
savons d’une manière certaine qu’il était déjà tsar de De toute la descendance mâle du grand boliade Schischman
de Ternovo, premier tsar de Certes ce dut être un homme de premier ordre que celui qui
sut si rapidement accroître sa puissance aux dépens de son colossal voisin,
au point de mettre en péril l’existence même de celui qui sut faire si vite
de ces troupes de paysans et de montagnards indisciplinés des armées
régulières, capables de lutter avec succès contre les premières troupes du
monde à cette époque et de les vaincre en bataille rangée. Certes il fut
barbare, inhumain, fourbe, peu scrupuleux dans le choix des moyens, mais en
cela il ne différait d’aucun des chefs de peuples de son époque, et le
basileus Basile, son adversaire principal, le dépassa de beaucoup en cruauté
comme en duplicité. En tout cas, ce fut un merveilleux homme de guerre, un
homme de fer, d’une bravoure parfaite, infatigable, inaccessible à la crainte
comme à la fatigue ou au découragement, infiniment fertile en ressources et
en ruses de cette guerre difficile entre toutes, tacticien consommé à l’égal
des plus habiles capitaines. Puissamment favorisé par les troubles qui
éclatèrent dans l’empire grec à la mort de Jean Tzimiscès, constamment en
éveil pour saisir toutes les occasions, d’une activité inouïe, il ne cessa
d’organiser avec ardeur le mouvement unanime de sa patrie pour rejeter le
joug byzantin abhorré. Skylitzès dit expressément, dans le passage dont je
viens de citer le début et par lequel cet auteur et après lui Cédrénus
entament le récit de la grande guerre bulgare, que l’intrépide partisan,
grâce aux embarras de l’empire, put impunément parcourir et saccager dans
d’incessantes incursions toutes les provinces byzantines occidentales[21] et il désigne nominativement
non seulement les thèmes de Thrace, de Macédoine et les campagnes de
Salonique, mais encore La vaste péninsule qu’on appelait hier encore Le versant nord de cette grande chaîne forme la portion
méridionale de la vallée du Danube, auquel elle envoie plusieurs grands
fleuves, qui sont, en allant de l’ouest à l’est: le Drin, aujourd’hui Du versant méridional de l’Hœmus, au point où il prenait
le nom d’Orbelus, deux rameaux secondaires principaux se détachent, courant
vers le sud jusqu’à la mer. Ce sont d’abord le Scombrus et le Rhodope qui, partant
de l’extrémité occidentale de l’Haemus proprement dit, descendent vers la mer
Egée dans la direction du nord-ouest au sud-est. Plus loin à l’ouest, c’est
la longue et interminable chaîne médiane de la péninsule qui, se détachant de
l’Orbelus et courant presque droit vers le sud à travers le milieu même de ce
qu’on appelle encore L’Hœmus au nord, le Rhodope à l’ouest limitent le bassin
du grand fleuve Hèbre, Sur le versant opposé de la chaîne médiane, versant
occidental qui regarde l’Adriatique, on peut citer: le fleuve Evénus,
aujourd’hui le Fidharo ou Fidaris, qui se jette dans le golfe de Corinthe; à
l’ouest de lui, l’Achelôos, aujourd’hui l’Aspropotamo, qui roule ses eaux
furieuses dans la même direction; plus au nord, l’Arachtos, aujourd’hui
l’Arta; le Thyamis, aujourd’hui qui se jette dans la mer en face de Corfou;
l’Aous, aujourd’hui Vovussa, l’Apos, aujourd’hui Beratinos, qui se jettent
tous deux dans l’Adriatique, ainsi que le Drilo, aujourd’hui Drin ou Drino
Negro, fleuve frontière de Tous ces fleuves, toutes ces chaînes de montagnes avec
leurs chaînons latéraux sont l’explication même des plus anciennes divisions
de l’empire byzantin. Les vastes territoires compris entre l’Haemus au nord,
le versant oriental du Rhodope ou le fleuve Nestos à l’ouest, la mer Noire à
l’est, les détroits du Bosphore et des Dardanelles, les mers de Marmara et de
l’Archipel au sud, s’appelèrent Thrace durant toute l’époque romaine. A
l’ouest de cette province s’étendait Le centre, le noyau, le coeur de la puissance du tsar
Samuel fut constamment, bien mieux que Quant à la résidence royale principale, l’aoul du terrible Schischmanide, et avec elle celle du
patriarche bulgare expulsé depuis l’an 976 de son siège danubien de
Dorystolon, elles changèrent très fréquemment, suivant les vicissitudes de
cette belliqueuse royauté. Elles furent à Sofia d’abord, alors connue sous le
nom de Stredetz, puis, pour un court espace de temps, à Mogléna, aux environs
de Salonique, cité byzantine aujourd’hui disparue, puis, tout près de cette
dernière ville, à Vodhéna, l’ancienne Édesse de Macédoine où Philippe fut
assassiné par Pausanias, la ville aux eaux merveilleuses, aux cascades
fameuses, au panorama unique; dès avant 986 enfin, elle se trouvait plus au
nord, à Prospa, au centre même de « Le royaume de Samuel était en effet fort riche en places
de guerre puissamment fortifiées. Dans le nord, je l’ai dit, les Bulgares
tenaient Belgrade et Nich, puis Pristina et Liplian. Sofia ou Stredetz et
Pernik avec trente-cinq autres kastra maintenaient les communications entre
le Danube et La principale force guerrière du jeune État consistait en une puissante noblesse territoriale, la classe des boliades ou propriétaires terriens, forte aristocratie dont l’influence dominante dans ce jeune empire nous est révélée par des faits nombreux et qui luttait pour son indépendance à chaque pas que faisait la royauté dans la voie de l’imitation byzantine, par conséquent de son affaiblissement à elle. Ce parti féodal national haïssait Byzance. C’est lui qui, dans la vieille Bulgarie, s’était allié à Sviatoslav et aux Russes contre Jean Tzimiscès. Comme Syméon, comme Pierre, Samuel tenait du pape de Rome sa couronne royale. Et cependant il n’y avait pas pour elle union religieuse avec le siège de saint Pierre. Dans les écrits d’un contemporain, le prêtre Kosmas, qui exalte le zèle des vieux évêques du temps de Syméon et se lamente sur les tristesses de son époque, on voit clairement que les Bogomiles, ces dissidents fameux du moyen âge bulgare, avaient leur grande part dans la direction des affaires sous Samuel déjà et que ce roi fut constamment préoccupé de ne se brouiller ni avec l’Église bulgare orthodoxe qui lui servait tant pour combattre les missionnaires de Byzance, ni avec Rome qui lui donnait sa couronne, ni surtout avec les hérétiques qui fourmillaient par toutes ses provinces. Cette situation de neutralité forcée nous explique clairement pourquoi lui et sa race, n’ayant point trouvé grâce, à cause de leur tiédeur, auprès des historiens et des panégyristes de l’Église nationale, tombèrent dans la suite et par cela même rapidement dans l’oubli, alors que leurs prédécesseurs, les Bons, les Syméon et les Pierre et plus tard les Asânides, les Tertérides et les Schischmanides de Bolyn ont continué à vivre glorieusement jusqu’à nos jours dans la mémoire de cette Église bulgare.[23] Donc Samuel et ses frères, à la mort de Jean Tzimiscès, avaient engagé résolument le bon combat contre l’ennemi héréditaire pour relever le vieil bulgare de Syméon. Dés révoltes aussi avaient éclaté un peu partout dans ces provinces de l’ancienne Mésie d’entre Balkan et Danube reconquises depuis si peu par l’empire. En très peu de temps, sans que nous puissions citer un seul renseignement précis à ce sujet, toutes les nombreuses villes du Danube et de sa vallée qui s’étaient rendues à Tzimiscès après sa victoire sur Sviatoslav paraissent être retombées aux mains des lieutenants des fils de Schischman. Très vraisemblablement il y eut peu de sang versé et toutes les garnisons byzantines durent se retirer au delà du Balkan, laissant aux troupes de Samuel le champ presque libre entre ces montagnes et le Danube. Peut-être quelques forteresses mieux défendues conservèrent-elles leurs défenseurs impériaux. En même temps qu’il reprenait ainsi possession des
anciennes provinces arrachées par Jean Tzimiscès aux héritiers du tsar
Pierre, l’infatigable Samuel, demeuré seul debout parmi ses frères, poussait
ses campagnes et ses conquêtes vers le sud dans la direction de Salonique et
aussi de De toutes ces premières agressions de Samuel et de ses
bandes en terre byzantine, la plus ancienne qui nous soit connue avec
quelques rares détails plus précis dut se produire probablement aux environs
de l’année Le fils de Schischman, en pieux et pratique souverain de son temps, n’ignorait point l’importance extrême des reliques comme dépouilles de guerre et n’eut garde de négliger ce butin, d’un ordre très spécial. Skylitzès et après lui Cédrénus, dans les quelques lignes qui résument à peu près tout ce que nous savons sur ces grands événements, racontent qu’il enleva de l’église métropolitaine de Larissa les reliques de son saint évêque Achillée qui avait évangélisé ces contrées sous Constantin le Grand et assisté avec ses collègues de cette région au concile de Nicée.[24] Des églises de Skopelae et de Trickka ou Trikkala, Samuel
enleva également les reliques de leurs patrons, les saints Rhéginos, évêque
et martyr,[25]
et Diodore, et cette simple indication du chroniqueur byzantin nous montre
bien à quel point fut complète la conquête de Samuel fit encore à Larissa un plus précieux butin. Parmi les femmes grecques de cette cité infortunée qui furent emmenées comme prisonnières de guerre, il s’en trouva une d’une grande beauté dont le vainqueur fit sa femme. Nous ignorons, hélas, jusqu’au nom de cette captive qui, sortie de si bas, vint s’asseoir sur le trône royal de Bulgarie. Fut-elle une épouse soumise et fidèle? Donna-t-elle à son seigneur de beaux et nombreux enfants? Nous ne pouvons répondre à ces questions qu’il serait si intéressant de connaître. Voilà en effet tout ce que nous savons par les
chroniqueurs grecs officiels sur cette première grande expédition historique
du tsar Samuel en territoire byzantin. Si nous en connaissons un peu
davantage, si surtout nous pouvons à peu près fixer aux environs de 986 la
date de cette victorieuse campagne des Bulgares, nous le devons à d’autres
témoignages contemporains, bien précieux malgré leur extraordinaire brièveté.
Ce sont d’abord quelques lignes de A la nouvelle terrible de l’approche de ces redoutables
bandes qui, dans leur marche dévastatrice, ne laissaient derrière elles qu’un
désert, Très longtemps on a cru que cette expédition du roi
Samuel, signalée par la conquête de toute Je demande la permission d’entrer dans quelques détails
sur ce document si précieux pour expliquer comment on peut, à l’aide des
renseignements qu’il nous fournit, arriver à fixer cette date si importante à
une époque postérieure à celle admise jusqu’ici. Il est d’un intérêt capital
de pouvoir déterminer ainsi avec plus d’exactitude ce premier et principal
point de repère dans l’histoire encore si mal connue de la grande guerre de
Basile II contre les Bulgares. Toute la première période de cette lutte,
période encore infiniment obscure, en devient sinon plus claire, du moins
plus nettement définie, et nous pouvons du moins affirmer maintenant qu’elle
dura presque exactement dix années, depuis la mort de Jean Tzimiscès en 976,
époque des premières hostilités et des premiers soulèvements dans la portion
de J’en reviens au document publié par M. Wassiliewsky. Ce
profond érudit, si versé dans l’étude des questions byzantines, a fait
connaître, il y quelques années seulement, divers extraits d’un très curieux
monument inédit de la littérature byzantine conservé dans Ce manuscrit contient donc des matériaux du plus haut intérêt pour connaître l’existence intime des Byzantins du XIe siècle, leur manière de comprendre et d’appliquer la morale à la vie de famille, à la vie de société, aux relations du particulier avec l’État, mais les indications très nombreuses qu’il contient d’une importance historique immédiate ont une valeur bien plus grande encore. L’auteur illustre par des aventures et des impressions personnelles, par des faits qui lui ont été racontés, par des souvenirs tirés de son existence guerrière comme de celle non moins active de son grand-père, presque chacun de ses exposés de stratagèmes ou de ruses militaires, chacun de ces récits de prises de villes ou de forteresses, d’émeutes, de révoltes de souverains ou de peuples vassaux de l’empire, chacun de ses exposés de fautes familières aux chefs d’armée, causes de grands malheurs pour la monarchie. Tous ces épisodes d’histoire militaire, politique, diplomatique, sont cités sous forme d’exemples explicatifs très brièvement rédigés. Les byzantinistes y découvrent avec joie un grand nombre d’indications entièrement nouvelles pour la connaissance de l’empire byzantin au XIe siècle, pour celle de toutes les contrées si diverses dont il était formé, pour celle de ses alliés comme aussi de ses adversaires. Les Russes y sont déjà cités comme étant au service de l’empire. Mais le plus souvent c’est le nom des Bulgares et de leur roi Samuel qu’on y rencontre, et c’est là ce qui donne pour la présente histoire une importance particulière à ce manuscrit. La plus grande partie de ces courts récits historiques, si précieux par leur caractère entièrement inédit, se rapportent à deux époques dont la première seule nous importe ici: c’est précisément celle de la fin du Xe siècle et des grandes luttes de Basile II contre le tsar Samuel. L’autre est celle des règnes de Constantin Monomaque et de ses successeurs dans la seconde moitié du XIe siècle jusques et y compris celui de Romain Diogène jusqu’à l’année 1071. Les derniers récits qui s’arrêtent à cette date, on dû être rédigés par l’auteur anonyme en qualité de témoin oculaire. Ceux de la première époque, qui seuls nous intéressent aujourd’hui, lui ont été transmis, semble-t-il, par son grand-père. Dans toute la première partie du manuscrit, l’auteur
anonyme s’adresse à ses enfants. Il désigne son grand-père sous le nom de
Kékauménos, et dans un paragraphe assez obscur il dit que cet aïeul avait
jadis pris une part personnelle à la conquête de l’inexpugnable forteresse de
Tovin d’Arménie sur un stratigos qui semble avoir été byzantin. Kékauménos
était donc alors encore un adversaire pour les Grecs. M. Wassiliewsky, qui a
fait, pour tenter d’identifier ce mystérieux personnage, de patientes
recherches demeurées à peu près sans résultat, pense que ce dut être quelque
prince ou dynaste arménien de rang secondaire, peut-être bien l’ancien émir
sarrasin de Delmastan et de Tovin, Abel Hadj, ou plutôt encore un des alliés
de race arménienne de ce personnage.[29] Plus tard il se
rallia à l’empire, car nous voyons par d’autres récits de notre manuscrit
qu’il entra au service de Basile II vers les premiers temps de la lutte
active contre le tsar Samuel, par conséquent un peu après 980, et qu’il
occupait à ce moment le poste fort important de stratigos du thème de
Hellade, commandement qui s’étendait sur une grande partie de Pour ce qui est de l’auteur même du manuscrit, il nous raconte qu’il avait, lui aussi, servi quelque temps dans l’administration du thème de Hellade et qu’il y avait connu un saint évêque de Larissa du nom de Jean. C’est tout ce que nous savons de lui, sauf qu’il était de noble naissance et de hautes capacités. Certainement il a dû s’appeler Kékauménos, comme son grand-père. M. Wassiliewsky a vainement cherché à l’identifier avec quelque personnage déjà connu. Il ne paraît pas se rattacher même de loin au fameux Katakalon Kékauménos de la fin du XIe siècle ou à la descendance de celui-ci. Ce n’est pas tout. Une dernière portion de ce manuscrit, rédigée du reste dans une forme exactement analogue, présente ces deux particularités, qu’elle a été écrite par un autre auteur également anonyme et qu’elle s’adresse non plus à la famille de l’écrivain, mais bien au basileus régnant, auquel les conseils et les préceptes de ces derniers paragraphes sont destinés. Ce second auteur[30] désigne à son tour son aïeul, probablement paternel, sous le nom de Nikolitza et nous apprend que ce personnage avait été nommé par le basileus Basile duc du thème de Hellade. Ce second aïeul fut donc très probablement le père du célèbre personnage du même nom, Nikolitza ou encore Nikolitzès, que nous allons voir jouer un rôle considérable dans la guerre bulgare et qui servit tour à tour le basileus Basile et le tsar Samuel, trahissant successivement l’un pour l’autre. La famille du Nikolitza du manuscrit s’était alliée de son vivant à celle des Kékauménos, c’est-à-dire que son fils avait épousé la fille de Kékauménos, grand-père de notre premier écrivain, ou vice-versa, ce qui paraît encore plus probable. Son petit-fils, rédacteur de la seconde portion du manuscrit, s’appelait de même Nikolitza et nous voyons qu’il fut longtemps un fidèle serviteur de l’empire byzantin, un des combattants contre la révolte bulgare de l’an 1040. Plus tard, en 1067, il fut chef d’une insurrection de Vlaques et de Bulgares. Il devait être encore fort jeune en 1040 et semble n’avoir rédigé son écrit que bien plus tardivement, à l’intention du basileus Michel VII, qui monta sur le trône en 1071, étant encore en bas âge. Les deux auteurs dont je viens de dire le peu que nous en savons furent certainement intimement unis par leurs liens de voisinage comme de parenté. Probablement même le troisième auteur, celui de l’Introduction, descendait de tous les deux. Leurs écrits, pour nous si précieux, sont rédigés sous forme de chapitres ou paragraphes indépendants, consacrés chacun au développement et à l’illustration d’un précepte d’art militaire, de morale ou de vie familiale. Ils sont, du reste, sans aucun mérite littéraire. Kékauménos avoue qu’il n’a reçu aucune instruction de cette nature et qu’il est demeuré constamment étranger aux lettres. Mais cette simplicité, cette inexpérience du style ont leur charme d’originalité. Kékauménos était, nous l’avons vu, de double origine étrangère. Il parlait le bulgare. Il éprouve le besoin constant de se distinguer des simples sujets grecs du basileus. Il rêve la situation quasi indépendante de dynaste vassal. Je profiterai, dans le cours de ce récit, de tous les renseignements historiques inédits que ce manuscrit si important nous fournit. Malheureusement la plus grande partie se rapporte à une époque postérieure au règne de Basile II. Pour le moment, avant de reprendre le récit de la lutte bulgare et de m’aider, chemin faisant, des récits du petits-fils de Kékauménos, je ne résiste pas au désir de reproduire pour mes lecteurs quelques-uns des exemples de morale ou de conduite qu’il expose à ses enfants avec une si charmante naïveté. Ces fragments de littérature familière byzantine du XIe siècle sont bien amusants et bien instructifs à la fois. Le paragraphe Le paragraphe 101 traite « de la manière dont il faut se conduire avec ses amis ». Il ne nous donne du reste pas une très haute idée de ce qu’étaient les relations d’amitié à Byzance à cette époque, de même aussi la fidélité des épouses grecques: « Si tu as un ami demeurant au loin qui vienne à passer par ta ville, ne le reçois pas dans ta maison, laisse-le descendre autre part et envoie-lui le nécessaire. Il t’en sera très reconnaissant. Si tu le reçois chez toi, tu n’en auras que des désagréments. D’abord, ni ta femme, ni tes filles, ni tes brus n’auront la liberté de sortir de leurs appartements et de diriger les serviteurs comme il convient. Et si elles se trouvent forcées de se montrer, ton ami allongera le cou et fixera son regard sur elles. Quand tu seras présent, il feindra de baisser les yeux, mais il épiera quand même pour voir comment elles sont faites, quelle est leur démarche, leur attitude, comment elles sont habillées, quel regard elles ont. Bref il les examinera des pieds à la tête, et, une fois de retour chez lui, il les imitera devant les siens et s’en moquera. Ensuite il trouvera tout mauvais chez toi, tes gens, ta table, ta manière de vivre. Il te questionnera sur tes affaires, te demandera si tu as ceci, si tu as cela. S’il en trouve l’occasion, il fera des signes d’amour à ta femme et la fixera avec des yeux éhontés. S’il le peut, il la séduira, et s’il n’a pu y réussir, il ne s’en vantera pas moins plus tard de l’avoir fait. Même si lui ne s’en vante pas, ton ennemi ira le disant partout en se moquant de toi. Le paragraphe 125 est intitulé: « Sur ce qu’il faut éviter de tomber aux mains des médecins ». Nous y voyons une fois de plus que les médecins de Molière furent de tous les temps comme de tous les pays: « Prie Dieu que tu ne tombes entre les mains d’un médecin, même du plus savant, car il ne te dira jamais ce qu’il faut. Si ta maladie est sans gravité, il l’exagérera outre mesure et te dira: il te faut prendre des herbes bien coûteuses, mais je te guérirai tout de même ». Puis, ayant pris ton argent, il te dira qu’il n’y en a pas assez encore pour toutes les drogues que tu dois prendre. Décidé à t’exploiter à tout prix, il te fera manger ce qui ne te vaut rien et augmentera ainsi ta maladie pour pouvoir te soigner plus longtemps. Il mettra ta bourse à sec tout en te donnant à peine les soins les plus élémentaires. Donc, si tu tiens à ne pas tomber entre ses mains, mange à ta faim à chacun de tes repas quotidiens, mais évite les festins, les longs soupers. Ne charge pas ton estomac de trop de nourriture. Fais maigre de temps en temps et tu te porteras bien sans médecin. Rends-toi compte des causes de la maladie dont tu souffres. Si tu t’es refroidi, réchauffe-toi. Si c’est d’avoir trop mangé, pratique l’abstinence. Si cela vient de trop de fatigue ou de t’être exposé au soleil, repose-toi et tu guériras avec le secours de Dieu. Ne te mets jamais de cataplasmes sur l’abdomen, cela te ferait du bien pour trois ou quatre jours peut-être, mais ensuite tu iras plus mal. Ne bois ni antidote ni remède d’aucune sorte. J’en connais beaucoup qui en sont morts et qui passent pour s’être suicidés. Si tu veux boire quelque chose qui te fasse du bien, bois de l’absinthe. Si tu souffres du foie, prends de la rhubarbe uniquement. Toutes les tisanes sont nuisibles, surtout lorsqu’on est jeune encore. Fais-toi saigner trois fois par an, en février, mai et septembre exactement, mais pas plus. Ne châtie pas tes fils et tes filles avec la verge, mais par la parole. Ne donne pas à autrui le pouvoir de les punir, etc. » Dans un autre chapitre,[31] cette idée est développée « que les défenseurs d’une ville assiégée ne doivent, pas insulter l’ennemi du haut des remparts ». « Tout au contraire ils doivent s’adresser à lui amicalement, car, en l’injuriant et en lui criant des propos obscènes, tu ne fais que l’irriter davantage contre toi. Bien au contraire, si tu entends quelque soldat grossier l’invectiver, ferme-lui la bouche et force-le à rougir de honte. Je termine en te conjurant de ne rien faire à la légère et sous l’empire de la colère. Qu’en toutes choses, la raison, la sagesse, la crainte de Dieu te guident. Ces vertus, unies à la prière, te donneront le bonheur. Ton bon ange marchera devant toi et plus tard tu vivras éternellement dans le domaine des bienheureux. » J’en reviens, après cette trop longue digression, à ceux
des paragraphes de ce manuscrit qui nous fournissent de précieuses
indications sur les débuts de la guerre bulgare ou plutôt sur cette première
grande expédition du tsar Samuel à travers les terres de l’empire. Nous avons
vu que les Byzantins Skylitzès et Cédrénus racontent que le « Comitopoule »
s’empara à ce moment de la ville de Larissa, capitale de La suite du paragraphe nous fait voir qu’il y eut cependant un moment où, dans cette lutte incessante entre les assaillants bulgares et le troupes du valeureux stratigos impérial, les premiers semblèrent avoir pris définitivement le dessus. Le souple chef byzantin dut, en apparence du moins, accepter le fait accompli et Larissa paraît bien être à ce moment tombée une première fois entre les mains du tsar, mais ce n’était là qu’une feinte voulue. Bientôt Kékauménos eut la joie de triompher à nouveau de son royal adversaire par une de ces ruses de guerre dont il était coutumier et que son petit-fils, le narrateur de notre manuscrit, raconte avec amour. « Quand, dit-il, le tyran Samuel eut complètement pris le dessus, mon grand-père le reconnut pour son souverain et le proclama (dans Larissa). L’ayant ainsi une fois de plus trompé, il put cette fois encore tout à l’aise semer et récolter, puis il écrivit au basileus Basile la lettre que voici: « Seigneur, contraint par le rebelle Samuel, j’ai dû le faire reconnaître pour leur souverain par les habitants, de Larissa, ce qui leur a permis de faire en paix leurs semailles et leurs récoltes, et par la puissance des prières de Ta Majesté, ses récoltes ont été si belles que les gens de Larissa ont devant eux pour quatre ans de vivres. Aussi nous voici à nouveau tes fidèles esclaves. » Basile, au vu de cette lettre, approuva hautement la ruse imaginée par mon grand-père. Ce paragraphe 169, si précieux pour nous, traite spécialement des qualités nécessaires à un bon et sage commandant de place forte. La conduite tenue par Kékauménos pour défendre Larissa contre les entreprises de Samuel sert ici d’illustration au précepte suivant formulé par le narrateur son petit-fils « Pour être le plus fort, il faut savoir amasser à temps des provisions dans la forteresse dont on a la garde. » Dans cette guerre aux procédés si différents de ceux de nos jours, alors que les magasins de vivres n’existaient que dans quelques places fortes de tout premier ordre, le châtelain, pour être en état de résister à un siège prolongé, devait avant tout chercher à faire rentrer dans la forteresse confiée à sa garde la récolte des campagnes environnantes. C’est en veillant à ce détail si important que Kékauménos avait réussi tant d’années durant à empêcher Samuel de prendre Larissa. Toutefois un moment vint où, comme le dit le narrateur, le tsar bulgare eut si bien le dessus qu’il fallut du moins feindre de se soumettre. Kékauménos, sans même essayer de prolonger la résistance, s’empressa de reconnaître et de faire reconnaître par ses subordonnés l’autorité de l’envahisseur. Samuel, trompé par cette apparente résignation, laissa les gens de Larissa faire en paix leurs semailles et leurs récoltes. C’était tout ce que voulait le rusé stratigos. Dès que les moissons, très abondantes, furent rentrées dans la ville, Kékauménos fit fermer les portes aux troupes bulgares. Le tour était joué; la fidèle cité thessalienne redevenait sujette de son basileus bien-aimé. Tout était à recommencer pour les soldats du roi Samuel. Toutes ces premières tentatives du tsar bulgare contre la place forte byzantine avaient donc définitivement échoué grâce à l’énergie de Kékauménos, de cet étranger devenu le loyal et intrépide lieutenant, du basileus. Mais l’opiniâtre « Comitopoule », de son côté, ne savait pas ce que c’était que le découragement. Constamment il revenait à la charge. Le jour vint, au bout de six années, où il finit par réussir et c’est toujours le même inappréciable manuscrit de Moscou qui, dans le paragraphe suivant relatif aux chefs incapables, nous donne l’explication de son succès. C’est que, dans l’intervalle, l’habile et dévoué Kékauménos avait été remplacé par un autre stratigos qui, lui, était un chef complètement insuffisant. Alors, la famine aidant, parce que les précautions de ravitaillement si soigneusement prises chaque année par Kékauménos n’avaient pas été cette fois maintenues par son successeur, l’opiniâtre Schischmanide réussit enfin à s’emparer définitivement de cette ville qui le bravait depuis si longtemps. C’est là la fameuse prise de Larissa par les Bulgares, qui nous est si brièvement signalée par Skylitzès et Cédrénus, à la suite de laquelle, pour en finir, la population tout entière de la malheureuse cité fut transportée en terre bulgare avec les vénérables reliques de ses premiers évêques arrachées à leurs sanctuaires. Voici comment s’exprime le noble narrateur byzantin: « Au bout de trois ans le basileus nomma un autre stratigos pour l’Hellade et mon grand-père retourna dans la capitale. Son remplaçant ne fut pas assez avisé pour inventer des ruses nouvelles. Samuel arriva de nouveau et cette fois empêcha les gens de Larissa de faire la récolte. Il les avait bien laissés procéder à l’ensemencement au printemps, mais lorsque l’été fut venu, au moment où il aurait fallu moissonner, il ne les laissa pas sortir de la ville. Il procéda de même trois années de suite. La disette à Larissa devint telle, qu’on mangea des chiens, des ânes et autres animaux immondes, même des ordures. Une femme alla jusqu’à dévorer la cuisse de son mari mort. Ce fut cette famine atroce qui mit enfin Larissa aux mains de Samuel sans qu’il lui en coûtât une goutte de sang. Il réduisit en esclavage toute la population, sauf la seule famille de Nikolitzès.[33] A celle-là il ne fit aucun mal, mais lui laissa ses biens et en fit partir les membres en disant à son chef: « Je suis très reconnaissant au Porphyrogénète Basile d’avoir rappelé de Hellade ton parent Kékauménos et de m’avoir ainsi délivré de ses ruses de guerre dans lesquelles il était passé maître. » Appliquons maintenant ces renseignements inédits à la
connaissance plus parfaite de cette première expédition de Samuel vers le
sud, signalée surtout par la prise de Larissa. Par la suite du récit, nous
savons qu’un premier Nikolitzès, le père certainement de celui dont il vient
d’être question, père lui-même de l’auteur anonyme de la seconde portion de
notre manuscrit, avait été duc du thème de Hellade dès le règne de Romain II
et qu’il l’était encore en 980: « Mon aïeul, le « vestis »[34] Nikolitzès, qui,
par ses fidèles services, a beaucoup fait pour le bien de Tout ce passage est bien imprévu, bien précieux. Il présente plusieurs particularités intéressantes sans compter cette curieuse lettre du basileus. D’abord l’arrivée à Constantinople du jeune prince franc, Pierre, neveu du roi des Francs ou de Germanie. Malgré les plus minutieuses recherches il n’a pas été possible à M. Wassiliewsky d’identifier ce personnage, quelque cadet de race royale occidentale, forcé pour une raison grave de quitter pays et venant chercher fortune auprès du basileus de Roum. Ce devait être certainement un fort haut personnage. Voyez l’accueil que lui fait l’empereur, et cependant tant est grand l’orgueil des sujets du basileus, de ces Byzantins provinciaux, que Basile, si autoritaire cependant, n’ose nommer stratigos de ce thème reculé cet homme qui se dit neveu du roi de Germanie ! Cela aurait pu humilier les Romains ! L’empereur se borne à le placer à la tête d’un corps de troupes provinciales sous l’autorité du stratigos. Ce passage nous fait voir encore combien cette organisation militaire du thème était puissante et perfectionnée à cette époque. Pour ce seul thème de Hellade, outre les milices provinciales, on nous parle de deux corps spéciaux d’importance assez grande pour être placés chacun sous le commandement d’un domestique, les excubiteurs du thème et les Vlaques.[37] Ces derniers devaient être spéciaux à ce thème de Hellade, où la population vlaque était si nombreuse. Ceux d’entre ces barbares qui devaient le service militaire à l’empire formaient probablement un corps spécial sous le commandement d’un chef désigné par le basileus, parfois nommé à vie comme ici ce Nikolitzès. Nous en arrivons enfin au point le plus important qui se
trouve éclairé par la lecture de ce passage capital. Si Nikolitzès était bien
encore duc de Hellade en la quatrième année du règne de Basile, c’est-à-dire
en 980, et si cette date donnée par notre manuscrit est bien exacte, ce dont
nous n’avons aucune raison de douter, Kékauménos, qui a dû certainement être
son successeur dans cette charge, n’a pu en être investi que dans le courant
de cette année au plus tôt. Or nous venons de voir d’autre part que ce même
Kékauménos demeura dans ce poste de duc de Hellade, autrement dit de
stratigos à Larissa, durant trois années entières, donc jusqu’en 983, qu’il
eut alors un successeur incapable, lequel, également au bout de trois ans de
mauvais gouvernement, par conséquent dans le cours de 986, finit par se
laisser enlever Larissa par les troupes de Samuel qui depuis des années
renouvelaient leurs attaques contre Quelle est la conséquence capitale à tirer de cette
succession de dates que nous pouvons considérer comme à peu près certaines?
C’est que cette grande expédition de Samuel vers le sud, qui valut aux
Bulgares la prise définitive de Larissa et les mena jusqu’à l’isthme de
Corinthe,[38]
n’a point eu lieu vers 980, plutôt même vers 981, ainsi qu’on l’a toujours
cru jusqu’ici sur le témoignage obscur de Skylitzès et de Cédrénus, mais bien
cinq années plus tard, en 986, dans la même année que la première grande
attaque de Basile contre On saisit maintenant de quelle extrême importance est en l’espèce cette mention du gouvernement de Nikolitzès dans le thème de Hellade en la quatrième année du règne du basileus Basile et combien cette indication nous est précieuse pour arriver à préciser enfin d’une manière, espérons-le, définitive et en tout cas rationnelle, cette date si importante de la lutte entre le basileus Basile et le tsar Samuel, cette date à partir de laquelle le conflit qui durait depuis dix années déjà prit enfin des proportions formidables. Il devient aujourd’hui de toute nécessité de reporter à cette année 986, à l’année même de la fatale première campagne de Basile en Bulgarie, cette prise de Larissa par les Bulgares, cette pointe poussée par eux jusqu’à l’Isthme de Corinthe, toute cette campagne qu’on plaçait jusqu’ici cinq années plus en arrière. On ne peut faire autrement. Il faut trouver six années à partir de 980, trois pour le gouvernement de Kékauménos, trois pour celui de son incapable successeur. Du reste, dans Skylitzès comme dans son plagiaire Cédrénus, le récit de la prise de Larissa par Samuel précède immédiatement celui de la fameuse première expédition de Basile au delà du Balkan, et si on avait placé jusqu’ici vers 980 la campagne de Samuel vers le sud, c’est simplement parce que ces auteurs en parlent immédiatement après nous avoir dit la fin de la révolte de Bardas Skléros dans cette même année. De même ces auteurs confirment virtuellement le récit fait par notre écrivain anonyme de l’exception faite par Samuel en faveur de Nikolitza ou Nikolitzès et de sa famille après la prise de la capitale thessalienne par les Bulgares. Ils racontent en effet plus loin que le tsar de Bulgarie confia à ce personnage si favorablement traité par lui le commandement de la place forte de Servlias après qu’il eut réussi à s’en emparer par surprise. Je répète que ce Nikolitzès était le fils de celui qui avait été duc du thème de Hellade. C’est lui qui fut le père du troisième Nikolitzès, chef de l’insurrection des Vlaques et des Bulgares en 1067, auteur de la seconde partie du manuscrit de Moscou dédiée au basileus Michel VII, contemporain aussi et parent de Kékauménos, petit-fils de l’auteur du « Traité de la stratégie ». Nous voyons encore que l’invasion bulgare se fit cette année 986 en plein été, puisque ce fut tout naturellement le moment choisi par Samuel pour empêcher les habitants de Larissa de récolter leurs moissons. De tout ce qui précède, du passage de la vie de saint
Nikon Métanoite, comme du témoignage du manuscrit de Moscou, on peut donc
conclure que l’extension successive des conquêtes bulgares dans Au paragraphe 76 du manuscrit de Moscou, l’auteur anonyme, préoccupé d’expliquer qu’un chef de ville assiégée ne doit jamais s’écarter de son poste, a fait une allusion de plus aux faits de guerre de cette première période de la guerre gréco-bulgare. Racontant la prise de la forteresse macédonienne de Servlias par les Bulgares, événement probablement antérieur à la campagne de l’an 986, il s’exprime en ces termes: « Un stratigos impérial du nom de Magyrinos et deux taxiarques, chacun commandant à mille hommes, gardaient cette place. Mon grand-père maternel Démétrius Polémarkos, général du tsar Samuel, chef distingué sur cette frontière, passa une année entière avec bien des nuits sans sommeil pour chercher à s’emparer de cette ville vraiment imprenable. Toutes ses tentatives échouèrent devant ces murailles
défendues par des rochers énormes et des précipices effroyables. Heureusement
qu’en bas de ces rochers coulaient des eaux dans lesquelles le stratigos
Magyrinos et ses deux lieutenants allaient parfois se livrer aux douceurs du
bain. Mon grand-père, arrivé de nuit avec ses cavaliers dans le bois qui
faisait face à ce lieu, ordonna à chacun de ses hommes de couper une grosse
branche qu’il tiendrait d’une main et qui le cacherait entièrement lui et son
cheval. Deux vedettes placées sur la hauteur, voyant les trois officiers
descendre au bain, donnèrent le signal convenu. Immédiatement les cavaliers,
dissimulés derrière les branches d’arbre, donnant de l’éperon, entourèrent
les baigneurs et se saisirent d’eux. Ce fut ainsi que la forteresse de
Servlias fut conquise par les Bulgares sans effusion de sang. » « Depuis,
ajoute l’auteur anonyme, après la pacification définitive de Sur ces dix années de luttes entre les Bulgares et les
Byzantins, dix années exactement depuis 976, date de la mort de Jean Tzimiscès
jusqu’à l’expédition de 986, nous ne connaissons rien de plus. Les rares
indications fournies par le manuscrit de Moscou que nous a fait connaître M.
Wassiliewsky sont les premières données un peu précises qu’on ait pu
recueillir sur ces faits de guerre qui ont dû être si nombreux et qui
paraissent avoir eu pour théâtre principal les campagnes et les places fortes
de Il est inadmissible que, durant tant d’années, le gouvernement impérial ne se soit point extraordinairement ému de ces incessantes incursions des bandes bulgares, que des hommes, tels que Basile II et le parakimomène n’aient pas mis tout en oeuvre pour y mettre obstacle, pour porter au contraire la guerre sur le territoire ennemi. Conçoit-on bien à quel point une semblable situation était à la fois périlleuse et humiliante pour l’empire toutes les plus vieilles provinces de la monarchie parcourues et ravagées sans trêve ni repos par ce prince hardi et ses bandes féroces; les plus puissantes places fortes menacées, même prises par lui; la terreur de ces invasions dévastatrices se répandant jusque dans le Péloponnèse aux extrémités de l’empire; des soulèvements se succédant sans relâche dans les provinces bulgares récemment annexées situées au nord du Balkan; ces territoires rendus presque inhabitables par les évolutions sans fin de ces troupes de partisans, Il est impossible d’admettre qu’un Basile II, un parakimomène, n’aient pas rendu à de tels adversaires violence pour violence, coup pour coup. Seulement les historiens dont les oeuvres ont survécu se sont abstenus de nous en rien dire dans leurs récits misérablement abrégés et tronqués, et ceux qui peut-être ont parlé plus en détail de tous ces faits, nous demeurent inconnus, tous leurs ouvrages ayant disparu. Ces dix années d’invasions et d’incursions durent être des années terribles pour ces malheureux thèmes de Macédoine, du Strymon, de Salonique, de Hellade et de Thessalie. A cette époque vivait à Constantinople le célèbre écrivain Jean surnommé Géométros, vulgairement désigné sous le nom de Jean Géomètre, théologien, poète, orateur, qui, plus tard, fut évêque de Milet. J’ai déjà parlé de lui à diverses reprises, entre autres à propos de la belle épitaphe composée par lui pour le tombeau de Nicéphore Phocas. Ce personnage, qui fut le contemporain des empereurs Constantin Porphyrogénète, Romain II, Nicéphore Phocas et Jean Tzimiscès, qui fut célèbre à son époque et qui, depuis, était bien retombé dans l’oubli, nous est un peu mieux connu depuis les récents travaux de M. Wassiliewsky et le mémoire du Père P. Tacchi Venturi,[39] qui l’ont du moins replacé à son époque vraie. Outre diverses oeuvres littéraires d’un ordre très
différent et aussi de nombreuses poésies religieuses particulièrement en
honneur de Il finit par embrasser la vie monacale, pour laquelle il avait à maintes reprises exprimé ses sympathies dans ses écrits et ses vers, et se retira probablement au célèbre monastère de Stoudion, la plus belle demeure conventuelle de l’Orient chrétien. Plus tard, mais seulement après 990, Jean Géomètre fut nommé métropolitain de la lointaine ville de Malatya ou Mélitène sur l’Euphrate. Jusqu’alors il ne semble guère avoir quitté sa chère Constantinople où il avait été élevé et qu’il appelle sa ville natale. Par certaines de ses pièces de vers, nous apprenons qu’il fut le témoin attristé de toutes les catastrophes, de toutes les guerres qui ensanglantèrent les quinze premières années du règne de Basile II. Naturellement, dans ces trop courtes poésies il nous a fait de cette époque lamentable un tableau douloureux. A maintes reprises il se plaint de l’abandon affreux dans lequel la science et les lettres étaient tombées à Constantinople, des moqueries dont lui-même était sans cesse poursuivi parce qu’il avait consacré sa vie à des occupations purement intellectuelles. Par Psellos nous savions déjà qu’autant Basile II fut grand guerrier et administrateur intelligent, autant il ne cachait pas son aversion pour l’étude des sciences et des lettres, surtout pour les savants et les rhéteurs, pour lesquels il témoignait d’un parfait mépris. Tout naturellement les opinions professées par le souverain se reflétaient sur son entourage. Parmi les pièces de vers de ce poète contemporain qui peuvent intéresser nos recherches historiques, il s’en trouve une surtout qui est comme un écho précieux de ces luttes sauvages dont je viens de parler, luttes dont nous savons si peu, pour la connaissance desquelles le plus léger indice nouveau est une découverte véritable. On y trouve une allusion saisissante à la terreur inspirée aux populations de l’empire par les agressions incessantes du féroce souverain bulgare et de ses bandes, aux appels désespérés que ces multitudes désolées adressaient à un secours suprême. Le nom même que l’auteur a donné à cette pièce est frappant. Elle est intitulée « le Comitopoule », c’est-à-dire « Samuel », car par ce titre il faut certainement entendre ce prince, de beaucoup le plus célèbre des quatre frères de ce nom. « Au firmament, s’écrie le poète, la comète a embrasé l’éther. Sur la terre, le « comite » ravage toutes les provinces d’Occident. Cet astre a été comme le symbole annonçant ce cataclysme. Il disparaissait au lever du soleil,[41] et cette autre comète « Samuel » s’est allumée au coucher de Nicéphore. Cet horrible Typhon, fils de scélérats, brûle tout. Où sont les rugissements de ta force invincible, ô basileus par la naissance et Nicéphore par tes hauts faits[42]? Sors pour un moment de ton tombeau. Rugis, ô lion ! Apprends à ces renards qu’ils doivent demeurer cachés parmi les tanières de leurs montagnes ». Le lecteur aura compris le jeu de mots, d’une ingéniosité douteuse. Comite, comte, s’écrivait comitès, exactement comme le mot comète. Le poète fait un rapprochement entre le terrible souverain bulgare et l’astre errant qui tant et si longtemps épouvanta les populations de l’empire durant l’été de 975 et qui passa pour avoir prophétisé entre autres calamités la mort inopinée de Jean Tzimiscès. Les expressions mêmes employées par Jean Géomètre viennent confirmer ce fait, que cette catastrophe fut bien le vrai signal de la levée de boucliers générale des sujets de l’enragé « Comitopoule ». Bien que le poète traite Samuel et ses guerriers de renards qui n’ont qu’à aller se réfugier dans leurs tanières, il est très évident qu’il les redoute fort, puisqu’il appelle à grands cris au secours de l’empire un héros disparu. Seulement, en place de Jean Tzimiscès, qui n’est même pas nommé, il n’est question que de Nicéphore, et c’est lui, l’empereur assassiné, que Jean Géomètre supplie de sortir de la tombe pour chasser les Bulgares. C’est que, fidèle à sa haine pour l’Arménien, auquel il ne peut pardonner le meurtre de son héros favori, il le passe sous silence et ne peut se décider à le mentionner à côté de Nicéphore. Bien donc que le soulèvement bulgare n’ait éclaté de fait qu’après la mort de Jean Tzimiscès, Jean Géomètre représente tous ces événements comme s’ils n’avaient été que la suite du déplorable meurtre de Nicéphore. Ce n’est pas l’Arménien qu’il évoque de la tombe où le héros vient de se coucher, mais comme toujours, comme jadis contre les Russes, comme plus tard encore contre les Bulgares après la grande déroute des gorges du Balkan, c’est Nicéphore et toujours Nicéphore qu’il appelle.[43] On retrouve encore une très brève mais précieuse allusion
aux souffrances causées par les constantes agressions du tsar bulgare en
Thessalie dans l’Apologie manuscrite de saint
Photios, document encore inédit que cite M. Wassiliewsky dans un très récent
mémoire.[44]
Voici comment s’exprime l’auteur anonyme de cette vie du saint thessalien: «
Le roi des Mésiens bulgares s’insurgea contre le pouvoir impérial. Toute Et c’est bien là tout ! Nous ne savons pas un mot de plus
sur ces dix premières années de guerre entre Peu à peu le nouveau royaume bulgare acquérant sans cesse
de nouvelles forces sous l’énergique impulsion de son audacieux souverain, le
péril et aussi l’affront devinrent tels pour l’empire, qu’il fallut aviser
aux mesures les plus graves.[46] Aujourd’hui que
nous connaissons mieux la date de la grande expédition qui porta Samuel et
son armée jusqu’aux limites du Péloponnèse, il semble certain que ce fut le
danger terrible créé par cette marche en avant et par la conquête de J’ai déjà cité un bien curieux passage de la vie
manuscrite de saint Nikon Métanoite. Quand le saint accourt auprès du
stratigos du Péloponnèse accablé sous le poids des dangers qui le menacent,
ses premiers mots sont pour lui annoncer que l’armée bulgare vient de se
mettre subitement en pleine retraite vers le nord. Aucune explication n’est
donnée de ce fait étrange venant interrompre si brusquement une longue suite
de succès. Et cependant, aujourd’hui que nous sommes mieux informés, cette
expédition nous apparaît très clairement. Si le tsar victorieux et ses
troupes, au lieu de poursuivre jusqu’au coeur du Péloponnèse leur marche
dévastatrice et triomphante, ont brusquement repris le chemin de leur patrie,
c’est qu’ils ont été soudain informés de l’orage qui se forme enfin à
Constantinople et qui menace plus spécialement Cette mémorable campagne de Basile, la première dirigée
personnellement par ce prince contre Quoi qu’il en soit, ces malheureux princes ne réussirent
pas dans leur entreprise. Ils n’atteignirent même pas Je reprends le récit de Yahia. « Les montures des pauvres fugitifs étaient épuisées. Ils descendirent de cheval, et se sachant probablement poursuivis, craignant d’être pris, se cachèrent parmi les hauteurs boisées, voulant continuer leur route à pied. Là de nombreux Bulgares qui gardaient les passages des montagnes contre les brigands[49] les atteignirent. Boris, qui avait pris les devants et portait un déguisement,[50] ne fut pas reconnu par eux sous les traits de cet humble voyageur isolé. Un d’eux le tua aussitôt. Alors survint Romain, le cadet, marchant sur les pas de son aîné. Il réussit à leur faire comprendre qui il était et évita le sort du pauvre roi Boris. » Ici les récits byzantins et orientaux divergent complètement. Tandis que les premiers disent que Romain retourna reprendre à Constantinople sa triste vie de captivité, les seconds affirment que les Bulgares par lesquels il s’était fait reconnaître au défilé de Trajan l’emmenèrent en triomphe chez eux. Yahia ajoute qu’une foule de partisans se groupèrent aussitôt autour de lui et le proclamèrent leur tsar.[51] Probablement sa qualité d’eunuque, qui ne lui permettait pas de devenir vraiment le roi de ce peuple si brave, fit que Samuel, ne le redoutant point, le dédaigna et l’épargna. En tous cas, il ressort de tous ces récits que Romain ne joua plus de rôle actif, mais qu’il demeura dès lors dans l’ombre à côté du véritable nouveau souverain Samuel. Plus tard, en effet, nous le retrouverons, lamentable ironie du sort, voïvode ou gouverneur bulgare à Skopje, l’Uskup d’aujourd’hui, pour le compte du fils de Schischman, usurpateur du trône de ses pères. Il avait donc accepté le fait accompli, en pauvre et faible eunuque qu’il était. Il trahit; du reste, nous le verrons, ce maître qui l’avait définitivement écarté de la couronne, et livra au basileus la ville dont la garde lui avait été confiée. Immédiatement après ces événements qui se relient certainement à elle par des liens fort étroits, peut-être même concurremment avec eux, eut lieu la fameuse première campagne du basileus Basile en Bulgarie. L’expédition de Samuel en Thessalie, la conquête faite par lui de cette province, sa marche on avant à travers le thème de Hellade vers le Péloponnèse créaient un danger tellement pressant que l’empire ne pouvait plus se contenter de la seule défensive. Il fallait agir, agir de suite, attaquer à son tour, écraser à tout prix ce péril mortel avant qu’il ne s’accrût jusqu’à devenir insurmontable. Les temps étaient venus de vaincre ou de périr.[52] Skylitzès s’exprime en ces termes: « Le basileus Basile, brûlant de venger de telles injures, dès qu’il en eut fini avec Bardas Skléros,[53] rassembla les forces romaines et décida de les conduire de sa personne en Bulgarie. Il ne communiqua pas sa résolution à Bardas Phocas, qui était en Asie, où il exerçait encore depuis l’écrasement de Bardas Skléros son commandement suprême de domestique des Scholes Orientales. » Le rude capitaine était fort jaloux de sa situation à la tête de l’armée et c’était un véritable coup d’Etat qu’accomplissait le jeune empereur en le tenant ainsi dans l’ignorance de ses résolutions et en se substituant à lui dans le commandement de l’expédition. « Basile, poursuit, le chroniqueur, ne souffla du reste mot de ceci à aucun des autres chefs de l’armée d’Orient, estimant qu’aucun ne méritait sa confiance ». Bien que Skylitzès et Cédrénus n’en disent rien, il ne semble pas davantage que Basile ait consulté le parakimomène, dont il devait, alors déjà, supporter impatiemment le joug pesant. Il faut se rappeler que le jeune basileus avait à cette époque de l’an 986 tout près de vingt-huit ans. Sa décision de gouverner seul détermina la formation du vaste et dangereux complot que nous commençons seulement à soupçonner aujourd’hui et dont l’avortement provoqua la chute définitive du parakimomène et la disgrâce, du moins momentanée, de Bardas Phocas et de plusieurs des autres grands chefs militaires. Cette attitude nouvelle du jeune basileus se révéla évidemment par une sorte de coup de théâtre comme le fut, dans d’autres circonstances, la brusque entrée de Louis XIV au Parlement en 1655. Les courts récits de Skylitzès et des autres Byzantins ont bien cette signification. Ils expriment du moins avec une extrême énergie, certainement voulue, cette idée, que Basile partit à la tête de son armée de sa volonté propre, ne demandant l’avis de qui que ce fût. C’est la même idée que Lebeau a traduite dans cette phrase prétentieuse: « Basile, né pour la guerre, commençait à se reprocher son caractère; il rougissait de languir comme un eunuque dans la molle oisiveté d’un palais. » Basile donc déclara qu’il commanderait seul l’expédition et ne voulait personne à ses côtés, puis il partit sans consulter les grands chefs militaires, les Bardas Phocas et autres, sans même les prévenir, semble-t-il malgré les engagements qui avaient été certainement, pris avec eux dans ce sens par l’eunuque lors de l’envoi de Bardas Phocas contre Skléros, dans la situation presque désespérée où l’empire se trouvait à ce moment. De là la fureur des généraux contre leur jeune souverain volontairement oublieux de ce pacte, de là leur tentative de conspiration vivement déjouée, puis la disgrâce et, un an après, la révolte de Bardas Phocas exaspéré. Le réveil du lion pour être tardif n’en fut que plus
terrible. Basile, dans la seconde moitié de l’an 986, vers le mois de juillet
vraisemblablement, prit donc avec toute l’armée d’Europe le chemin de C’est ici le lieu de placer le vivant portrait que nous a donné Psellos des vertus militaires de cet illustre empereur guerrier:[54] « Une des particularités de Basile, dit cet auteur, était de ne tenir aucun compte de la coutume traditionnelle qu’on a eue de tout temps de limiter à certaines saisons les époques favorables à faire campagne. Dédaigneux de ne partir en guerre qu’au milieu du printemps, pour regagner les cantonnements d’hiver dès la fin de l’été, comme l’avaient constamment fait tous les basileis ses prédécesseurs, il avait coutume de plier les saisons aux exigences du but qu’il poursuivait dans ses expéditions. Il supportait sans se plaindre le froid le plus vif comme les plus brûlantes chaleurs. Véritablement c’était un homme de fer. Jamais, même mourant de soif, on ne le vit se précipiter avidement vers la source désirée. Toujours il sut se vaincre. Il possédait à fond toute science militaire, étant non seulement instruit parfaitement de tout ce qu’il importait à un chef de connaître, mais également bien informé sur les devoirs et les fonctions d’un sous-officier, voire d’un simple soldat. Il s’entendait admirablement à mettre chacun à la place qui lui convenait, à tirer parti des aptitudes de chacun. Cette connaissance si parfaite de l’art de la guerre était le double produit de ses immenses lectures et d’une sorte de science innée qui l’aidait à ne point faiblir. Il aimait à combattre en bataille rangée. Détestant toutefois de laisser le champ libre au hasard, préoccupé de s’assurer contre les chances du sort, il ne dédaignait point d’avoir recours aux ruses, aux embuscades, à tous les artifices de guerre. Son principe favori de tactique était qu’il ne fallait jamais rompre l’ordre de bataille. Pour lui, c’était le secret de la victoire, la recette suprême qui rendrait ses légions à jamais invincibles, inaccessibles à la déroute. Une fois que chaque soldat, chaque cohorte, chaque bataillon avait pris son ordre de combat, il ne permettait à qui que ce fût de s’en écarter, fût-ce pour se précipiter sur l’ennemi, à moins de nécessité absolue, et punissait avec la dernière rigueur, en le chassant de l’armée au lieu de le récompenser, l’audacieux qui, impatient de la consigne donnée, se serait précipité de son propre mouvement sur l’ennemi et l’aurait mis en déroute. Quand cette discipline si inflexiblement rigoureuse faisait murmurer ses soldats, il avait coutume de leur dire en souriant, dans le plus grand calme, qu’il ne voyait pas d’autre moyen pour eux comme pour lui d’en arriver à ne plus être forcés de faire la guerre. Il avait comme une double nature qui le rendait propre à la fois aux travaux des armes et aux occupations de la paix. Pour mieux dire, il était plus ingénieux dans la guerre, plus impérial dans la paix. Lorsque quelqu’un de ses subordonnés avait commis en campagne une faute grave, il savait admirablement dissimuler sa colère, la couver en son coeur comme sous la cendre, pour pouvoir mieux, une fois de retour au Palais Sacré, châtier le coupable avec la dernière rigueur. Bien qu’il fût d’habitude fort dur, inaccessible à la pitié, il savait au besoin s’adoucir et pardonner les fautes dont on parvenait à lui faire apprécier les circonstances atténuantes. Une fois qu’il avait pris une décision, décision souvent très lentement préparée, aucune force humaine ne lui eût fait changer d’avis. Jamais son attitude ne se modifiait à l’égard de ceux auxquels il voulait du bien, à moins que ce ne fût par leur faute. Toujours il se décidait de lui-même, comme poussé par une force supérieure. » « Le basileus Basile, dit encore Psellos, avait un souverain mépris pour la masse de ses sujets. Il voulait être craint plutôt qu’aimé. A mesure qu’il eut conquis de l’expérience avec les années, il éprouva de moins en moins le besoin de s’entourer de conseillers éprouvés, car il faisait tout par lui-même, dirigeant et présidant en personne toutes les délibérations, organisant et commandant en personne ses armées. Il gouvernait ses Etats, non point par les lois déjà établies, mais par celles que fabriquait de toutes pièces son esprit vigoureux et fort. Aussi n’avait-il que dédain pour les docteurs, mépris absolu pour les lettres. Et chose étonnante, malgré cette disgrâce dans laquelle étaient tombées sous ce règne les choses de l’esprit, le nombre de ceux qui cultivaient la philosophie et l’éloquence demeura fort respectable. A ce phénomène étrange je ne vois qu’une explication possible, c’est que ceux qui dans ce temps s’intéressèrent aux lettres étaient bien uniquement dirigés par leur ardent amour pour elles, alors que d’ordinaire ce culte des choses de l’esprit n’est, comme tant d’autres recherches, qu’un moyen d’arriver, moyen qu’on s’empresse de mettre de côté dès qu’il ne vous a pas conduit de suite au succès et à la gloire. » Ce prince vraiment remarquable fut peut-être un des hommes les plus inébranlablement opiniâtres de l’histoire. Merveilleuse fut la patience obstinée avec laquelle, à travers sa longue vie presque entière, après les grands échecs du début, il poursuivit son plan d’anéantissement, on pourrait dire d’extermination de la nation bulgare. Il avait estimé qu’il n’était pas d’autre moyen d’en finir avec ce peuple rude, belliqueux, passionnément avide d’indépendance, qu’aucune violence ne lasserait. Pas un jour il ne se découragea. Enfin, après quarante années de luttes, de flots de sang versé, de cruautés effroyables, alors que lui-même était un vieillard, il vit le but de ses constants désirs définitivement atteint. Ce basileus, au coeur rude et dur, adoré du clergé, haï du
peuple qui succombait sous le poids des impôts, ce souverain qui vivait comme
un moine, qui vivait sans femme, qui était d’une sobriété d’ascète, n’aima
jamais d’un grand amour que sa puissante armée et sa belle flotte de guerre,
dont il s’efforça constamment d’augmenter la puissance par le choix des chefs
les plus capables, par l’application des règles les plus perfectionnées
appuyées sur l’expérience des siècles. Philippopolis, Mosynopolis, dont
l’emplacement se retrouve dans la basse vallée de J’ai déjà dit ce que devaient être au temps des tsars
Schischman et David, les limites du royaume bulgare occidental demeuré
indépendant. C’était à cette époque déjà une vaste et puissante monarchie.
Mais au moment de la première invasion de Basile les victoires de Samuel
avaient encore très considérablement accru aux dépens de l’empire byzantin
ces domaines déjà si étendus. D’abord une notable portion sinon la totalité
des provinces situées au nord du Balkan entre cette chaîne et le Danube,
jadis reconquises par Jean Tzimiscès, avaient très probablement déjà fait
retour à Samuel, soit qu’elles eussent été réoccupées par lui lors de ses incursions
incessantes en terre byzantine dont nous parlent les chroniqueurs, soit
qu’elles se fussent soulevées avec succès contre les troupes d’occupation
impériales. Puis nous avons vu que les bataillons du fils de Schischman
venaient à ce moment même de s’emparer de vastes territoires parmi les plus
vieilles provinces de l’empire au sud du Balkan, en Thrace comme en
Macédoine. Surtout ils avaient conquis Certainement, dans ces lignes curieuses, le célèbre évêque de Tyr a voulu faire allusion aux conquêtes du tsar Samuel, bien plus rapprochées de son époque, et non point à celles du vieux Syméon, beaucoup trop anciennes pour qu’il ait pu en avoir une connaissance aussi précise. Remarquez que par deux fois, une fois dans le texte de l’historien français, l’autre dans celui de l’historien versificateur Tzetzès, revient cette expression: « presque jusqu’à Constantinople ». Ces paroles, dans leur tragique simplicité, en disent plus que bien des récits sur l’étendue formidable des conquêtes de Samuel durant ces années douloureuses où toute l’attention du Palais Sacré avait été forcément concentrée du côté de l’Asie. En admettant même que ces chroniqueurs, insuffisamment informés sur des événements survenus tant d’années auparavant, aient commis de fortes exagérations, il n’en demeurerait pas moins acquis que l’immense territoire si rapidement conquis par Samuel dut à un moment comprendre, outre la presque totalité de la portion occidentale de la péninsule balkanique, non seulement la majeure partie des provinces jadis reprises par Tzimiscès au nord de cette chaîne, mais encore une vaste étendue de terrain au sud du Balkan comme au sud du Rhodope, dans les plus vieilles provinces de l’empire, dans la direction de Constantinople, de Salonique et d’Athènes. Il était grandement temps en 986 pour le salut de Byzance que Basile portât à son tour la guerre en pays bulgare. Par suite de l’occupation par les Byzantins de cette
portion de Maintenant il était à Vodhéna. Plus tard, vers 995, il devait fixer à Prespa sa cour errante au luxe barbare, dans ce site étrange et poétique que j’ai brièvement décrit. Vers l’an 1000 enfin il alla à Ochrida.[55] Le jeune basileus, espérant terrasser d’un seul coup cet
adversaire qu’il commettait l’erreur de trop mépriser, voulant surtout
contraindre Samuel à ramener vers le nord l’armée à la tête de laquelle,
après avoir conquis J’ai dit qu’on était jusqu’à ces dernières années demeuré
dans une complète erreur sur la date de cette première des grandes guerres
bulgares du règne de Basile II. Lebeau, Hase dans ses notes à Léon Diacre,
puis MM. Hilferding Raéki, Paparrigopoulos, etc., même encore Muralt, puis M.
Jirececk dans son Histoire des Bulgares,
trompés par une phrase mal comprise de ce même Léon Diacre qui fut le témoin
oculaire de ces faits, se sont obstinés à la placer en 981, immédiatement
après la fin de la première révolte de Bardas Skléros. Gfroerer le premier,
puis tout dernièrement M. G. Fischer ont prouvé, en s’appuyant principalement
sur les dates fournies par le chroniqueur arabe Elmacin, historien toujours
très précis et très digne de foi, que cette première expédition de Basile II
en Bulgarie n’eut lieu qu’en 986. Je renvoie le lecteur à ces auteurs. Il demeurera
convaincu comme je le suis moi-même. Du reste Skylitzès et Cédrénus comme
Zonaras, tout en copiant incorrectement Léon Diacre et paraissant déclarer
avec lui que la première guerre bulgare suivit immédiatement la ré volte de
Skléros, se contredisent, sans s’en apercevoir, un peu plus loin, lorsqu’ils
viennent tranquillement nous dire que la révolte de Bardas Phocas, présentée
avec raison par eux comme une conséquence immédiate de cette première
campagne contre les Bulgares, fut inaugurée le Léon Diacre a simplement sauté par-dessus six années dans le récit rétrospectif qu’il a fait de ces événements à propos de l’apparition de la comète de l’an 975. Quant à Cédrénus et à Zonaras, simples annalistes copiant Skylitzès, ils ont tout uniment omis après lui le récit de six années, sans même daigner nous en avertir. C’est à Skylitzès et à Cédrénus, aussi à Léon Diacre, un peu enfin à l’historien arabe Yahia, à son tour copié par Elmacin, que nous devons la connaissance du peu que nous savons sur cette première campagne de Basile II en Bulgarie, campagne qui devait se terminer si vite et si malheureusement pour les armes byzantines. Le plus ancien de ces écrivains, Léon Diacre, ne nous a parlé de ces événements terribles que d’une manière épisodique, à propos de l’apparition de la comète de l’an 975 qui, selon lui, les aurait prédits.[56] Son témoignage n’en est pas moins d’une importance capitale, puisqu’il est celui d’un témoin oculaire. Nous apprenons en effet à cette occasion que lui-même avait fait partie de cette expédition lamentable en qualité de diacre, plutôt d’aumônier probablement attaché à la chapelle impériale. Ce détail donne un intérêt extrême au récit malheureusement très court de ce chroniqueur, d’autant qu’il passe à juste titre pour un des plus dignes de foi parmi les Byzantins. Le plan du basileus, en s’emparant des grands passages de la montagne sur la route entre Philippopolis et Stredetz ou Serdica, aujourd’hui Sofia, et en occupant cette dernière cité, était certainement de couper avant tout les communications entre les Bulgares danubiens et ceux de Macédoine. L’inexpérience militaire de Basile, le relâchement de la discipline dans son armée furent peut-être causes que ce projet d’opérations en apparence fort bien conçu échoua lamentablement. Nous n’avons de renseignements ni sur la composition, ni
sur la force numérique de l’armée impériale. Nous ignorons les noms de
presque tous les lieutenants du basileus, même la date précise de l’entrée en
campagne. Certainement Basile dut se mettre en route avec des forces très
considérables, vers la fin de juin, peut-être seulement vers le commencement
de juillet, et ce dut être la nouvelle de sa marche en avant qui interrompit
brusquement l’invasion du Péloponnèse par le tsar Samuel vainqueur en
Thessalie. Très rapidement nous l’avons vu par le récit trop bref de L’armée impériale remonta lentement la large et plate vallée
de l’Hèbre, Au nord de Philippopolis, de la plaine de Thrace et de la
vallée de Basile et son armée, après avoir passé dans la localité
aujourd’hui appelée Tatar Bazardjik, l’antique Bessapara, jadis capitale des
Bessiens, dont Strabon parle comme les gens les plus féroces du monde, après
avoir remonté l’Hèbre longtemps encore, franchirent ces monts fort peu élevés
en ce point, par la voie ordinaire de ce défilé, si, souvent trempé du sang
byzantin, qui s’appela jadis Porte de Trajan et qui se nomme de nos jours
Kapoulou Derbend. J’ignore quel était son nom à l’époque byzantine. Par cette
voie avaient constamment passé depuis des siècles aussi bien les armées
impériales en marche vers le nord-ouest que les armées barbares accourant de
l’Occident et de Sofia à l’assaut des remparts de Byzance. C’était, à
l’époque où nous sommes, une longue route grimpante entre des séries fort
rapprochées de hauteurs boisées, franchissant successivement deux seuils
d’ailleurs peu élevés avant de redescendre dans la plaine de Stredetz
enfermée dans son enceinte de montagnes. Aujourd’hui le chemin de fer qui unit la capitale de Le principal ouvrage jadis élevé pour défendre ce passage, la fameuse Porte Trajane, Kapoulou Derbend, attribuée par les habitants du pays, qui l’appellent encore Markovo Kapouya, au héros serbe Marko, n’a été détruit qu’en 1835 ou 1836 par un pacha stupide, lors de la construction de la route actuelle. On peut en voir encore une représentation fort rudimentaire dans l’ouvrage écrit au siècle dernier par Marsigli sur le Danube et la région de ce fleuve. Il n’en reste aujourd’hui que quelques blocs informes; puis sur les collines du voisinage les restes de deux anciens châteaux et d’une tour. Après avoir traversé, probablement sans encombre, la
première ligne de faîte et cette porte fameuse, l’armée, descendant par des
gorges boisées, vint camper auprès d’une petite place forte que Skylitzès
nomme Stoponion. C’était à cette époque le nom nettement bulgare de la
localité que les Turcs appellent aujourd’hui Iktiman, à deux heures
seulement, dix ou douze kilomètres, de L’arrêt des troupes impériales en ce point, au milieu d’une plaine de peu d’étendue entourée de montagnes boisées, avait vraisemblablement pour but de préparer le siège de Stredetz, dont on n’était plus éloigné que d’une soixantaine de kilomètres, surtout de donner aux différents corps le temps de se rejoindre. Il ne semble pas que les Grecs eussent pris jusqu’ici contact avec l’ennemi, qui cependant n’était pas éloigné. Il se disait partout dans l’armée que le tsar Samuel et ses guerriers, accourus du sud à marches forcées à l’annonce de l’invasion impériale, tenaient les cimes des monts environnants, résolus à éviter toute bataille rangée, uniquement occupés à tendre des embûches aux envahisseurs. Stéphanos dit Contostéphanos, c’est-à-dire le « Court », à cause de sa taille exigue, accompagnait le basileus dans cette campagne en qualité de domestique des Scholes d’Occident, autrement dit le généralissime des forces impériales en Europe.[59] Mais, comme je l’ai dit, Basile avait assumé le commandement en chef. L’armée reprit sa marche, elle franchit le dernier seuil,
haut d’un peu plus de huit cents mètres, qui porte aujourd’hui le nom de
Vakarel et qui marque la ligne de séparation entre les eaux de l’Hèbre
coulant vers la mer Égée et celles de l’Isker et des autres affluents du Danube.
Elle descendit les monts, ayant le Grand Balkan à sa droite, le superbe
massif du Vitochasa gauche, et atteignit enfin les campagnes magnifiques
recouvrant le bassin de l’ancien lac desséché qui forme la plaine
triangulaire riche et monotone où s’élève Je suis ici pas à pas le récit si curieux mais si bref, hélas, de Léon Diacre, que l’on doit croire de préférence, puisque cet historien fut le témoin de tout ce drame. Sa narration diffère fort de celle de Skylitzès. « Après, dit-il, que le basileus Basile eut franchi les défilés des montagnes et atteint la forteresse de Serdica, qui porte aussi le nom scythique de Triaditza, il installa son camp en face de cette ville et l’assiégea durant vingt jours[62] pendant que Samuel et ses troupes occupaient toutes les hauteurs environnantes. Mais, hélas, rien ne marcha à souhait, parce que l’armée, par la négligence, l’inertie ou la trahison des chefs, ne fit pas son devoir, demeurant dans l’inaction. Comme nos gens se dispersaient aux environs pour faire du fourrage et couper de l’herbe pour la cavalerie, ils furent attaqués par surprise par les Bulgares embusqués sur les hauteurs qui en firent un grand massacre et s’emparèrent d’une foule de chevaux et de bêtes de somme. De même nos machines et autres engins de siège, tortues, etc., ne produisirent aucun effet, parce qu’elles furent si déplorablement mal servies que l’ennemi réussit à les incendier. Finalement les vivres que nous avions apportés s’épuisèrent, parce qu’on les vilipendait abominablement. Tout le blé que l’armée avait amené se trouva consommé. Il advint donc que le basileus se vit forcé de battre en retraite et de regagner Constantinople avec tout son appareil.[63] On leva le siège de Triaditza et on retourna en arrière. Le premier jour de marche[64] se fit sans que l’armée éprouvât de pertes. Nous campâmes au milieu des bois. Dans cette même nuit, avant la fin de la première veille, une énorme étoile extraordinairement brillante, montant subitement dans l’éther jusqu’au firmament, sur le versant occidental de la vallée, éclata soudain, illuminant le camp, et vint tomber à l’orient en mille étincelles éblouissantes, tout près du fossé creusé par les troupes pour la garde du camp. « La chute de cet astre prodigieux[65] était le présage de notre ruine si prochaine », s’écrie tristement le Diacre, qui aussitôt entame une digression historique sur d’autres phénomènes célestes analogues. Un seul parmi ceux-ci nous intéresse ici: « De même, dit-il, nous avons tous été témoins de la chute de cet astre tout semblable qui tomba sur la demeure du proèdre Basile (le parakimomène) et qui précéda de si peu sa disgrâce et sa mort. » « Le jour suivant, poursuit Léon Diacre, (évidemment
durant que l’armée repassait en sens inverse la fameuse passe de Yahia, qu’Elmacin a copié, explique la panique des Byzantins par la rumeur, répandue durant la nuit dans le camp grec, que la route de la retraite avait été coupée par les Bulgares. Cet auteur est aussi seul à nous dire la date infiniment précieuse de cette grande déroute des armes impériales, où l’audacieux Samuel commandait en personne les forces de sa nation, date que nous ignorions jusqu’à la publication par le baron Rosen des extraits de cette Chronique. La catastrophe du défilé de Trajan eut lieu, d’après cet auteur d’ordinaire si précis, le septième jour du mois de rebia II de l’an 376 de l’Hégire, qui correspond au dix septième jour du mois d’août de l’an 986, un mardi.[68] Le récit de Skylitzès, qu’a suivi Cédrénus, sensiblement différent de celui de Léon Diacre, mérite moins de créance puisqu’il n’est pas celui d’un témoin oculaire. Skylitzès, on le sait, n’a rédigé sa Chronique que près d’un siècle après ces événements. Il se peut aussi que le Diacre, écrivain contemporain, ait tenu à faire le silence sur les dissensions des lieutenants du basileus, dissensions que Skylitzès semble considérer comme la cause principale de cette déroute. Sans paraître admettre un instant que l’armée impériale ait pu être forcée à la retraite par l’effort victorieux des Bulgares, ce chroniqueur met en effet toute la faute de cette défaite sur l’un des principaux chefs byzantins, dont il signale l’odieuse conduite. La vérité est probablement que les deux récits, exacts chacun dans sa partie principale, se complètent l’un l’autre et qu’il y eut à la fois impéritie, peut-être même trahison, des chefs byzantins et surtout surprise de l’armée par les Bulgares. Voici le récit de Skylitzès: « Stéphanos Contostéphanos était le mortel ennemi de Léon Mélissénos, auquel le basileus avait confié le commandement des troupes d’arrière-garde destinées à surveiller les passes de la montagne et à empêcher les Bulgares de couper la retraite. Il imagina d’aller un soir à la tombée de la nuit trouver le basileus pour l’avertir que Léon le trahissait et songeait, lui aussi, à se faire couronner empereur. Tout était perdu, affirmait le fourbe, si Basile ne regagnait sur le champ la capitale. Troublé par ces indignes révélations, auxquelles il eut le tort d’ajouter foi, le jeune basileus donna aussitôt l’ordre de la retraite. Mais Samuel le Bulgare, prenant ce mouvement pour une fuite honteuse, attaqua de suite avec fureur. Ses troupes, épouvantant les Grecs de leurs cris incessants et de mille bruits affreux, s’emparèrent du camp byzantin avec la tente de l’empereur, même des insignes impériaux. Quand Basile, non sans les plus instants périls et d’affreuses fatigues, après avoir surtout perdu beaucoup de monde, eut réussi à grand’peine à atteindre Philippopolis, il y trouva le Mélisséniote fort tranquillement installé, demeuré parfaitement fidèle à sa consigne et n’ayant nullement songé à conspirer, surtout fort étonné de voir son souverain si tôt de retour. Alors la fureur de Basile fut telle, que quand Contostéphanos paraissant devant lui, au lieu de s’humilier, voulut payer d’audace et soutenir insolemment qu’il l’avait bien conseillé, le souverain, exaspéré, bondit de son trône, jeta à terre le fourbe et lui arracha à poignées les cheveux et la barbe ». La colère de Basile contre le domestique des Scholes d’Occident n’aurait-elle point eu tout simplement pour origine l’impéritie déployée par celui-ci dans le commandement et dans la retraite? Zonaras, qui fait le même récit que Skylitzès, donne un autre mobile non moins bas à la conduite infâme du généralissime d’Europe. « Léon Mélissénos estima, dit-il, que si Basile réussissait à vaincre les Bulgares dans cette première expédition, il en serait encouragé à n’en plus jamais faire qu’à sa tête, à commander toujours en personne, à ne plus jamais consulter ni lui ni ses autres lieutenants. C’est pour cette raison qu’il s’efforça par tous les moyens de faire échouer l’expédition et qu’il poussa le basileus à la retraite par les affirmations les plus menteuses. Les vagues allusions faites par le chroniqueur
contemporain Yahia à un vaste complot organisé contre le basileus, allusions
dont j’ai parlé à propos de la guerre en Syrie et de la chute du
parakimomène, se trouvent confirmées par chacun de ces indices. A travers les
réticences des chroniqueurs, à travers leurs renseignements épars, si
incomplets, on saisit toujours mieux à quel point la volonté témoignée par le
jeune basileus de gouverner par lui-même avait irrité les chefs de l’armée.
Certainement dans la déroute de Ainsi le mouvement de colère furieux de Basile contre Stéphanos Contostéphanos devient aussi explicable que vraisemblable. Le basileus exhala sa fureur contre son lieutenant qui, après s’être dès le début montré coupable de tant d’impéritie, ajoutait à ce crime celui de s’être fait battre si complètement. Quant à la grossière intrigue imaginée par les autres Byzantins, Skylitzès, Cédrénus, Zonaras, qui est en si complet désaccord avec le récit très simple de Léon Diacre, elle me paraît un conte à dormir debout, inventé pour excuser à tout prix la défaite des armes impériales.[69] Quoi qu’il en soit, ce fut bien à deux jours de marche en
arrière de Triaditza, Acogh’ig, l’écrivain arménien contemporain, qui raconte aussi ce grand désastre, donne ce détail inédit précieux, que le basileus dut son salut à son infanterie arménienne. Ces courageux auxiliaires, voyant leur empereur en danger de mort, privé de toute sa cavalerie, l’environnèrent, lui faisant un rempart de leur corps. Par des chemins détournés, en faisant un circuit énorme, ils le ramenèrent sain et sauf en terre romaine. Non seulement De cette déroute fameuse, un écho lointain est parvenu jusqu’à nous sous la forme d’une pièce de vers de Jean Géomètre inspirée par cet événement affreux sous ce titre significatif: Du désastre des Romains dans le défilé bulgare. Cette fois encore, le poète adresse aux mânes de son héros favori, Nicéphore Phocas, une objurgation suprême, le suppliant de sortir de sa tombe pour accourir au secours de son peuple bien-aimé si gravement meurtri. « Qui jamais eût pu croire, s’écrie-t-il douloureusement, que le soleil éclairerait un jour pareille disgrâce, les lances bulgares victorieuses des flèches d’Ausonie?[70] O forêts, ô montagnes funestes, ô sinistres amas de rochers parmi lesquels les fauves bondissent sur les cerfs aux abois ! ô Phaéton, tandis que tu guides au-dessus de l’univers ton char tout éclatant d’or, raconte ces événements à la grande âme de César.[71] Dis-lui que le Danube a conquis la couronne de Rome. Dis-lui de voler à ses armes. Car, hélas, les lances bulgares sont victorieuses des flèches ausoniennes ». |
[1] Toutes ces sources de l’histoire de la grande
guerre de Bulgarie se trouvent indiquées et étudiées avec quelque détail dans
le travail de M. A. Lipowsky, intitulé: De l’histoire de la lutte gréco aux
Xe et XIe siècles (en russe), dans le Journal du
Ministère de l’instruction publique russe, numéro de novembre
[2] Je ne nomme que Basile. Son frère Constantin ne
comptait pas, ne prenant aucune part effective au gouvernement de l’empire.
[3] Probablement des filles.
[4] Les Slaves méridionaux et Byzance au Xe siècle.
[5] La conquête du royaume de Pierre et de Boris
avait été entièrement achevée dès l’an précédent. C’étaient donc bien là des
envoyés du royaume occidental de Bulgarie.
[6] Skylitzès et Cédrénus.
[7] M. Kokkoni, dans son Histoire des Bulgares
parue à Athènes en 1877, ne croit pas à l’existence de ce royaume bulgare occidental
ou schischmanide immédiatement après la conquête du royaume bulgare proprement
dit par Jean Tzimiscès. Il croit plutôt à une formation de ce second royaume
consécutive au succès de la révolte des fils du « Comitopoule ».
[8] Tels sont le fameux Registres de Zographos et
aussi une charte de l’an 994 concernant le boliade Pincius réfugié en Croatie.
[9] L’Eglise bulgare célèbre ce jour-là l’office de
ce malheureux prince.
[10] Voyez Un Empereur Byzantin au Xe
siècle.
[11] Stemmatographion de Jejerovicz à Vienne.
[12] Le document de l’an 994 concernant le boliade
Pincius accuse formellement Samuel d’avoir fait crever les yeux à son frère,
puis de l’avoir fait assassiner. Ce témoignage est complètement unique. Il
demeure par conséquent, jusqu’à nouvel ordre, douteux.
[13] Ce qui prouve bien que Sofia n’avait pas été
conquise par Jean Tzimiscès et qu’elle était demeurée bulgare.
[14] Voyez dans l’ouvrage de M. Drinov l’opinion de
cet auteur sur la prétendue venue de l’armée byzantine après la conquête de
[15] Sur ce terme curieux de
« Comitopoule », Voyez Rosen et aussi le compte rendu de cet ouvrage
par N. Th. Ouspensky (Journal du Ministère de l’instruction publique russe,
livraison d’avril 1884). M. Ouspensky, combattant l’opinion du baron Rosen,
traite avec beaucoup de science dans ces pages des erreurs et des confusions
(principalement sur le rôle de Samuel le Comitopoule) qui enlèvent ici aux renseignements
fournis par Yahia la plus grande partie de leur valeur. Les historiens
arméniens appellent les Comitopoules, les « Komsadzag ». Le récit que fait
Acogh’ig de leur soulèvement est certainement très inexact.
[16] En bulgare: boliade, bolar. Les boliades étaient
les représentants de la noblesse territoriale. Voyez Th. Ouspensky.
[17] A. D. Xénopol, L’Empire valacho-bulgare, Rev.
Hist., t. XLVII, 1891.
[18] Encore appelé Stéphanos Samuel.
[19] Je rappelle que la charte dite du boliade Pincius,
un des descendants de Syméon, fait également allusion à la cruauté de Samuel,
non seulement envers son père, qu’il fit aveugler, mais envers ses frères et
les autres membres de sa famille.
[20] Zonaras ne nomme également que ce seul fils de
Moise, mais il l’appelle Jean Spendoslav. Il y a certainement là quelque
confusion.
[21] Littéralement « tout l’occident »
[22] «
[23] Dans un unique document dont j’ai parlé déjà
conservé au monastère de Zographos et découvert par K. Petkovié, Schischmann et
ses fils David et Samuel se trouvent mentionnés parmi les autres tsars
bulgares.
[24] L’Église grecque le fête le quinzième jour du
mois de mai. Ce fut un saint et non un martyr.
[25] L’Eglise grecque le fête le 25 février
[26] Parmi les nombreuses villes de Thessalie prises
par Samuel dans cette campagne et dont les noms ne nous sont pas connus, M. Lipowsky
propose de placer le kastron de « Teinasa », mentionné par Elmacin et qui
serait
[27] Publiée seulement en traduction
latine dans Martène et Durand, Amplissima Collectio, VI, p. 867, e. 49, et dans
[28] De la famille du célèbre grand-duc de ce nom au xive siècle.
[29] Voyez Wassiliewsky. Cet Abel Haddj, émir de Delmastan
ou pays des Deïlémites, contrée montagneuse du Gitan sur le rivage sud-ouest de
la mer Caspienne, petit-fils d’El-Merzebân ibn Mohammed connu sous le nom
d’Es-Salar, s’était allié, nous dit l’historien arménien Acogh’ig, au roi
chrétien de Kars Mouchel « qui, oubliant la crainte de Dieu, vivait
entouré de prostituées. »
En 982,
Abel-Haddj attaqua et brûla un monastère grec du district de Schirag,
Khoromosi-Vank, appartenant au roi Sempad. La même année il fit précipiter à
terre à l’aide de cordes la croix de la coupole de l’église de Séhah-Akat. En
suite de quoi il fut atteint par la colère de Dieu, et « un démon impur vint
habiter en lui. » Il fut vaincu dans une guerre contre l’émir Abou Taleb
de Goghtène qui le fit prisonnier. Il dut lui céder Tovin, qu’il venait de
conquérir, et toutes ses villes. On le vit alors errer avec sa famille et ses
domestiques à travers l’Arménie et l’Ibérie, racontant que, parce qu’il était
devenu l’ennemi de
Que ce soit lui ou
un autre qui ait été le grand-père de l’auteur anonyme du manuscrit, le surnom
tout byzantin de Kékauménos, le Brûlé, donné à cet étranger, n’en
demeure pas moins inexpliqué.
[30] Une Introduction, d’une troisième main, qui se
trouve en tête du manuscrit, le présente ainsi au lecteur: Un homme sage, de
noble naissance, éminent dans l’art de la guerre, qui avait pris part à une
foule d’expéditions dans divers pays avec diverses armées, qui a fait de nombreuses
et grandes actions, qui a beaucoup vu, beaucoup entendu de ses aïeux, et, chose
plus notable encore, qui a fait la guerre aux plus grands souverains, qui a vu
leurs victoires et leurs infortunes et connu les causes des unes comme des autres,
a estimé qu’il serait coupable en n’écrivant rien de tant de souvenirs. Alors
il se mit à l’oeuvre et rédigea ce livre.
[31] Paragraphe 190.
[32] C’est-à-dire « stratigos » ou plutôt
encore « préteur » de ce thème.
[33] Ou Nikolitza. Cette famille appartenait
évidemment à l’aristocratie locale.
[34] Sorte de chambellan.
[35] Ces nominations à vie devinrent bien plus
fréquentes plus tard.
[36] Voyez sur ces excubiteurs provinciaux, chefs d’un
des corps de troupes régulières du thème, les notes de M. Wassiliewsky.
[37] Il y avait probablement dans chaque thème un
corps semblable.
[38] Une note d’un scoliaste de Strabon écrite vers le
Xe siècle fait certainement allusion à cette invasion destructrice
du tsar bulgare. Il y est dit ceci: « En ce moment les Scythes slaves dévorent
toute l’Epire et l’Hellade et presque tout le Péloponnèse et
[39] Commentariolum
de Joanne Geometra ejusque in S. Gregorium Nazianzenum inaudita laudatione in
cod. vaticano-palatino 402 adservata, Rome, 1893. Tirage
à part des Studi e documenti di storia e diritto, 44 (1893).
[40] Voyez dans le mémoire du Père P. Tacchi-Venturi,
qui n’est pas de cet avis, les charmantes pièces de vers sur ce père qui mourut
au loin, séparé des siens, et dont Jean, avec son frère, rapporta pieusement et
péniblement les cendres à Constantinople.
[41] Lucifer.
[42] Jeu de mots. Nicéphore, en grec, signifie «
victorieux ».
[43] Ces derniers vers du poète relatifs à Nicéphore,
si semblables à ceux de l’épitaphe de ce basileus qu’on savait avoir été
rédigée par un évêque Jean de Mélitène, n’ont pas peu contribué à permettre à M.
Wassiliewsky de prouver par de très solides arguments que Jean Géomètre et cet
évêque de Mélitène ne faisaient en réalité qu’un seul et même personnage.
[44] Un des recueils manuscrits grecs de
[45] Le basileus Basile.
[46] Mathieu d’Edesse raconte que Basile cita devant
son trône le tsar Samuel (que l’écrivain arménien nomme à tort Alousianos) et
ses boliades, mais que ceux-ci refusèrent de comparaître.
[47] La première fois ils avaient été envoyés à
Constantinople en qualité d’otages par leur père sous le règne de Nicéphore
Phocas. A ce moment avait commencé l’insurrection des quatre « Comitopoules. »
Après la mort du tsar Pierre, survenue en janvier 969, ils avaient été renvoyés
en Bulgarie par Nicéphore, précisément pour tenter de réprimer ce soulèvement.
Le basileus comptait ainsi réduire à néant les espérances du parti national;
mais dès cette même année, on se le rappelle, les jeunes princes avaient été
faits de nouveau prisonniers, cette fois par les Russes. Cette seconde
captivité de Constantinople était donc en vérité la troisième qu’avaient subie
les fils de Pierre.
[48] Certainement dans le commencement de l’été.
Elmacin, d’ordinaire historien très exact, dit que les deux princes s’enfuirent
dans le cours de la huitième année de leur captivité, ce qui nous mettrait à
980 ou 981 au plus tard, puisque Jean Tzimiscès les avait ramenés avec lui à
Constantinople dans le courant de l’automne de l’an 972, mais à un autre
endroit le même auteur précise et indique, comme Yahia, l’été de 986, l’année
même de la prise de Larissa par les Bulgares et de la première campagne de
Basile contre eux. C’est cette date qui me paraît devoir être adoptée de
préférence. M. Rosen est de cet avis ou plutôt il place, je ne sais pourquoi,
la fuite des princes en 985, l’année d’auparavant, ceux-ci certainement
tentèrent de profiter de l’absence de Samuel et de son armée, qui guerroyaient
à ce moment en Thessalie et jusque sur les confins du Péloponnèse. M. Lipowsky
défend la date de 976. Les arguments de l’écrivain russe ne m’ont pas convaincu
et je crois qu’il a fait ici complètement erreur.
[49] Bien plutôt des soldats des postes frontières de
Samuel.
[50] C’est là le vêtement à la romaïque dont parle
Cédrénus.
[51] Ces derniers renseignements de
Yahia sur le second des fils du tsar Pierre, semblent bien moins véridiques que
ceux qui nous sont fournis par Skylitzès et les autres Byzantins sur les
destinées ultérieures, en réalité bien moins brillantes, de ce prince. M.
Lipowsky cependant, donne plutôt raison à l’écrivain syrien et admet d’après
lui que Romain fut vraiment proclamé tsar de Bulgarie, qu’il prit une part
active aux luttes contre Basile, et que Samuel fut son dévoué chef d’armée. M.
Ouspensky, dans un mémoire consacré à la critique des renseignements nouveaux
fournis à l’histoire de
[52] Certains chroniqueurs semblent dire encore que
Basile partit en guerre contre
[53] Le chroniqueur byzantin commet, je l’ai dit, une
erreur de date de plusieurs années. Bardas Skléros s’était réfugié dans l’année
986 auprès du Khalife de Bagdad.
[54] Très malheureusement pour nous, Psellos s’est
contenté de nous donner ce portrait sans entrer dans le détail des campagnes
entreprises par son héros.
[55] Le patriarche autocéphale, chassé de Dorystolon,
suivit le tsar à Prespa d’abord, à Ochridra ensuite.
[56] On sait que la portion conservée de
[57] Ou encore Léon de Mélisséniote.
[58] Ou encore Serdica.
[59] Les deux domestiques d’Orient et d’Occident
étaient donc en ce moment Bardas Phocas et Stéphanos Contostéphanos.
[60] Yahia la nomme Abarie (Anarie, Atarie,
Asarie) pour Verria, la confondant avec Béroé. — Stredetz, nom slave,
dégénérescence de Serdica, signifie « centre ». La ville s’élevait au
sud et au centre de la plaine, adossée au dernier éperon du Vitoch.
Elmacin dit précisément que Basile et son armée campèrent « au centre » de
[61] Bulgare.
[62] Zonaras dit vingt-trois.
[63] Elmacin, qui raconte ces faits à peu près de
même, dit aussi que le basileus se décida à la retraite pour éviter d’être
cerné par les Bulgares qui occupaient toutes les hauteurs.
[64] Qui ramena vraisemblablement l’armée à Stoponion
ou Iktiman.
[65] Certainement un simple aérolithe.
[66] Probablement les plateaux du sommet de la chaîne.
[67] Littéralement « Il s’en est fallu de peu que mes
pieds ne m’aient manqué ». C’est une portion du verset 2 du psaume LXXII.
[68] Dans les tables de Wüstenfeld, le
[69] Très naturellement et très justement aussi, la
trahison de Léon Mélissénos l’an d’auparavant à Balanée avait rendu ce chef
très suspect à l’empereur. C’est peut-être là l’explication la plus vraie de
tout cet épisode étrange. L’attitude de Mélissénos en Syrie aura servi de thème
pour l’invention de sa trahison imaginaire dans le Balkan.
[70] C’est-à-dire « de Grèce ».
[71] C’est-à-dire « de Nicéphore ».