Première partie
Depuis le brusque trépas de Jean Tzimiscès, dans la nuit
du Des deux côtés on s’arma pour une action plus énergique.
C’est certainement à cette époque du début du règne des jeunes fils de Romain
II qu’il faut placer les préparatifs nouveaux faits par le magistros
Nicéphore, préparatifs dont il est question dans La reprise de la lutte active contre les Sarrasins était
infiniment impopulaire, dans « Tous, nobles, prêtres, gens du peuple, tremblant devant la colère du maître, n’osaient implorer Nicéphore. » Seul, le serviteur de Dieu ne craignit pas de lui parler en faveur de tous. Lui, plein de respect pour les vertus du vieux Nil, ému d’admiration pour le courage avec lequel il l’entretenait si librement, remué par les paroles pleines de la grâce de l’Esprit qui tombaient de ses lèvres, s’en remit à lui du jugement des coupables et des peines à leur infliger. Alors, d’une voix douce et claire, le saint lui dit: « Certes le crime de mes concitoyens est affreux et terriblement grave. Certes ils méritent un châtiment exemplaire, mais ce n’est point le crime de quelques-uns ou même des premiers de la ville, c’est le crime de tout un peuple. Dans ces conditions, comment pourrais-tu punir, ô maître, toute une cité? Ne serait-ce pas une faute grave d’enlever à Dieu et au basileus une aussi populeuse forteresse? » « Soit, répondit Nicéphore, j’épargnerai la vie des habitants de Rossano, mais je confisquerai leurs biens pour les rendre à l’avenir plus maniables. » Alors le saint de s’écrier à nouveau: « Magistros, qu’est-ce qui profitera le plus à ta gloire: d’enrichir le trésor des basileis ou de perdre ton âme? Souviens-toi que tu n’es qu’un mortel. Comment tes péchés pourront-ils t’être remis si, toi qui existes aujourd’hui, mais qui demain ne seras plus, tu ne sais faire grâce entière à ces insensés qui t’ont offensé? Si tu te retranches derrière la volonté impériale pour demeurer sourd à mes supplications, alors permets que moi, très humble, je m’adresse par lettre directement à leurs très hautes et puissantes Majestés. Ce qu’elles auront décidé, sera exécuté. » Nicéphore, fléchi par une aussi pieuse insistance, finit par accorder à la ville coupable remise de toute peine contre le payement de deux mille sous d’or, « car il ne serait pas juste, dit-il, que le meurtre des protocarabes demeurât complètement impuni ». Nil toutefois, usant d’une sainte opiniâtreté, lui arracha encore une concession nouvelle. « Veuille, dit-il au magistros, me laisser juge du montant de l’amende », et, celui-ci y ayant consenti, le vénérable ascète condamna ses concitoyens à payer seulement cinq cents sous d’or.[3] De tout ce curieux récit, il paraît bien résulter que ces
préparatifs guerriers du magistros Nicéphore, cause première de l’émeute de
Rossano, furent entrepris par lui tout au début du gouvernement des deux
jeunes basileis, aussitôt après la mort de Jean Tzimiscès, c’est-à-dire dès
les premiers mois de l’armée 976. La suite semble en avoir été, dans cette
même année, une expédition contre les rivages de Sicile, expédition dont nous
ne savons presque rien, certainement destinée à châtier les déprédations des
Sarrasins de cette île et à tenter de calmer leur esprit d’incessante
agression. L’administration réparatrice du magistros avait, on le voit, porté
quelques fruits et la situation des thèmes italiens en face de leurs ennemis
séculaires paraît bien s’être momentanément améliorée sous son gouvernement.
Ce ne devait être, hélas, que l’affaire d’un moment. Il semble, dit Aman, que
les Pisans aient pris part à cette expédition exclusivement maritime en
qualité de mercenaires à la solde des basileis. La flotte chrétienne s’empara
d’abord par surprise de Messine, mais l’émir Abou’l Kassem, au rapport d’Ibn
el Athir, accourut aussitôt avec toute l’armée sicilienne et une foule de
hardis compagnons d’aventure. Déjà dans le courant de mai[4] il rentrait par
surprise dans la ville conquise. Les Byzantins durent repasser précipitamment
le détroit, poursuivis par l’émir, qui, alla mettre à son tour le siège
devant Cosenza. Après quelques jours d’hostilités, les habitants se
rachetèrent à prix d’argent. Puis ce fut le tour de Rocca di Cellara, petite
localité du district actuel de Cosenza, entre cette place et Rossano, puis
celui d’autres villes encore. Dès le printemps de l’année suivante, Abou’l Kassem qui,
rendu prudent par l’attaque inopinée de Messine, avait fait relever les
fortifications de Rametta demeurées à terre depuis le siège fameux de l’an
965, et y avait installé une forte garnison sous le commandement d’un de ses
plus fidèles chefs noirs, reparut à la tête de ses guerriers sur les rivages
de Calabre. Cette fois, il commença par mettre le siège devant Sainte Agathe,
probablement la localité de ce nom encore existante près de Reggio. Je viens de donner le récit d’Ibn el Athir. Aboulféda,
tout au contraire, copiant Ibn Cheddah, écrivain du XIIe siècle,
fait débarquer, cette fois, l’émir de Sicile aux « Tours ».[6] De là, l’armée
sarrasine, descendue dans le Val du Crati, y fit un immense butin de boeufs
et de moutons. Mais sa marche s’en trouva si embarrassée qu’Abou’l Kassem
ordonna d’égorger cet innombrable bétail. « Le lieu de cette colossale
hécatombe, dit le chroniqueur, en a gardé jusqu’à aujourd’hui le nom de
Monakh-el-Bakar », comme qui dirait « Poursuivant plus avant sa course dévastatrice, l’armée
pillarde, marchant toujours vers l’est, atteignit Otrante. Abou’l Kassem
assaillit encore d’autres cités murées dont nous ignorons les noms. Nous
savons seulement qu’Oria, dans la terre d’Otrante, et la lointaine Bovino,
dans Les sources mentionnent encore deux expéditions d’Abou’l Kassem en terre ferme italienne entre 978 et 981, année où Othon II parut en Calabre, mais sans nous en donner le détail. Cependant la précieuse Chronique grecque découverte au Vatican par l’abbé Cozza-Luzi note pour l’année 977-978 la prise par les Sarrasins de Giacca et pour l’année suivante celle de San Nicone. Ce durent être toujours les mêmes razzias, aussi subites que terriblement cruelles pour les misérables habitants exposés sans défense à de telles atrocités. « Saint Nil le Jeune,[9] dit son biographe, appartenait à une des premières familles grecques de Rossano. Dès son enfance, il montra la plus grande ferveur religieuse. Il reçut l’éducation la plus soignée. Il étudia les saints Pères de l’Eglise, saint Antoine, saint Saba, saint Hilarion, une foule d’autres, et ce pendant ni les facultés de l’esprit ni les livres ne lui eussent fait défaut pour s’instruire plutôt dans la science de la nécromancie s’il l’eût voulu. » Sa jeunesse s’écoula dans sa ville natale, cette forte place de l’abrupte côte de Calabre, alors une des plus importantes cités byzantines d’Italie et un des principaux centres littéraires et intellectuels de la péninsule, qui devait à la protection spéciale de sa patronne, la toute-puissante Théotokos, de n’avoir jamais encore été prise par les Sarrasins. Sitôt, en effet, que ceux-ci, dans leurs incursions de pillage, s’apprêtaient à emporter d’assaut les murailles de sa ville privilégiée, on raconte que la divine Panagia, surgissant au plus haut de la cité, lumineuse, vêtue de pourpre, une torche dans chaque main, se précipitait sur les noirs guerriers du Maghreb, et les jetait au bas des remparts. Aujourd’hui encore, l’image miraculeuse de Marie, qui alors protégeait la cité, une de ces Images « non peintes de la main des hommes », mais descendues du ciel, si chères aux Byzantins du Xe siècle, fameuse dans l’Italie entière, est demeurée l’objet d’un culte passionné de la part des descendants de ceux qu’elle préserva si souvent jadis de la fureur des fils de Mohammed. Elle se trouve conservée dans la cathédrale de Rossano, édifice vénérable qui possède dans ses archives le fameux évangéliaire de ce nom, du VIe siècle, écrit en belles lettres d’argent sur vélin de pourpre, orné de douze insignes miniatures d’un dessin encore tout antique. Devenue noire de vétusté, recouverte d’un revêtement
d’argent repoussé à la mode byzantine, la sainte Icône est trop mal exposée
pour qu’il soit possible d’affirmer que c’est bien celle qui existait au
temps de saint Nil.[10] Parfois, presque
de nos jours encore, par un prodige étrange, l’image, au dire des dévots, se
détachant du fond de sa niche, est venue se montrer à son peuple à travers le
cristal qui la ferme par devant. Le Saint Nil se fit remarquer dès son enfance pour la sagacité de son esprit, l’exquise urbanité de ses formes. Il mena d’abord auprès de ses parents, puis de sa soeur, la vie la plus calme, étudiant et travaillant, s’abstenant des réunions joyeuses qui se tenaient dans les demeures de primats et d’archontes, « ne se livrant à aucune recherche impie de sortilèges, d’exorcismes ou d’incantations ». Toutefois il ne put échapper complètement aux tentations d’un siècle mauvais et de son ardente nature. Il eut ses années de jeunesse orageuse, aima une enfant du peuple et en eut une fille naturelle. « Rossano est une ville si pleine de pièges pour la vertu d’un jeune homme ! » s’écrie son pieux biographe. Dieu, pour le faire se repentir, lui envoya une grave maladie qui le fit songer à la mort. Il avait trente ans. Un beau jour, il vendit tous ses biens, quitta ce monde de perversité, et, résolu à se consacrer à Dieu, partit sans prendre congé de sa maîtresse, ni de l’enfant qu’elle avait eue de lui, chantant le psaume «Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum ». Puis il courut prononcer ses voeux et « cacher la fleur de sa jeunesse » dans un des monastères de la région de Mercure. Parmi les congrégations basiliennes qui, à la suite du grand exode en Italie des moines chassés d’Orient, par la persécution iconomaque, si élevées de toutes parts dans les thèmes italiens et avaient valu à cette portion méridionale de la péninsule cette éclatante renaissance byzantine des VIIIe et IXe siècles, un peu mieux connue aujourd’hui grâce aux écrits de Zampélios surtout,[11] un des plus fameux à cette époque où Nil allait se vouer à Dieu était la vaste agglomération monacale de la région de Mercure, très voisine des deux antiques cités de Metauria et de Tauriana. Cette région, qui devait certainement son nom à quelque ancien temple du Messager des Dieux, est représentée aujourd’hui encore par le village de San Mercurio. On y aperçoit quelques traces de constructions antiques, mais plus aucun vestige des couvents basiliens du Xe siècle. « Là Nil, dit son chroniqueur, vit ces hommes célestes et admirables qui avaient nom le grand Jean et le très illustre Fantin et Zaccarias l’Angélique[12] et tous les autres moines aussi merveilleux dans l’art de travailler[13] que dans celui de discourir, appliqués aux saintes lettres autant qu’à la louange de Dieu. Stupéfait de leur aspect et de leur humble attitude, il versa d’abondantes larmes et se sentit enflammé du zèle divin. Les pieux moines le reçurent dans leur congrégation. Mais le gouvernement civil, qui voyait avec colère cette désertion immense, chaque jour plus grande, de la vie civile active pour la vie plus paisible et plus abritée des cloîtres, résolut de faire un exemple.[14] Un matin les moines de Mercure reçurent du gouverneur de la province, certainement le stratigos du thème de Calabre, une lettre conçue en termes violents menaçant de faire saisir les couvents par l’administration civile, menaçant surtout de faire couper les mains à ceux des moines qui oseraient imposer la tonsure à Nil. Epouvantés, les pauvres religieux firent partir le nouveau catéchumène pour un monastère où il trouverait plus de tranquillité. Cette vocation si décidée du saint était d’autant plus
méritoire que les moines, chose inouïe, n’étaient pas très considérés à cette
époque de la première moitié du Xe siècle en Calabre. « C’était, dit l’abbé
Batiffol dans l’intéressante étude qu’il a consacrée à l’abbaye de Rossano,
c’était l’âge héroïque des moines batailleurs et thaumaturges, c’était l’âge
aussi des moines mendiants et errants, des caloyers en guenilles, que le
clergé des villes tenait à distance et que la population regardait de mauvais
oeil. Saint Jean « le Moissonneur » rencontre des paysans qui fauchent,
et ceux-ci de l’insulter, « comme c’est l’ordinaire aux moines de l’être »,
ajoute humblement le biographe. Et Tout autre devait être la génération monacale qui suivit immédiatement celle-ci dans la seconde partie du Xe siècle, plus assise, plus considérée aussi, plus cultivée surtout, et dont Nil de Rossano est le plus illustre exemple. « Ses disciples ne dirent plus comme jadis saint Vital à un stratigos de Bari: « Param quasdam litteras nocis ». Ils ne trouvèrent plus non plus comme saint Élie le Spéléote, le grand saint calabrais du commencement du Xe siècle, que « le psautier suffisait à tout et qu’il ne fallait surtout pas qu’il fût trop bellement écrit ». Ce ne fut plus parmi eux qu’on put dire, lorsqu’on s’informait de la demeure « où avait habité le vénérable calligraphe du monastère », qu’il n’y était plus et que sa cellule avait été transformée en chai. Les moines avaient perdu peu à peu leur pittoresque sauvagerie, et la société allait gagner par eux des éléments supérieurs de culture. Leur influence allait se faire sentir au loin. » J’en reviens à mon
récit de la première partie de la vie de saint Nil antérieure à l’époque dont
je m’occupe. On était alors en 940. C’était l’année où les ducs Longobards de
Capoue et de Salerne livraient dans « La vraie raison des difficultés que le gouvernement
provincial opposait au choix fait par Nil de la vie monastique, a dit Fr.
Lenormant, devait être probablement celle-ci: il était un des décurions de sa
ville natale, et, comme tel, responsable des impôts sur sa personne et sur
ses biens. L’honneur du décurionat était un dur esclavage auquel on n’arrivait
pas à se soustraire, et les autorités impériales non seulement ne
permettaient pas qu’on l’abandonnât, mais encore ne se faisaient pas faute de
saisir celui qui cherchait à y échapper, même en revêtant l’habit
ecclésiastique, et de le réintégrer de force dans son office. Nikolaos,
c’était le nom du siècle du saint, n’avait donc pu prononcer ses voeux dans
un des couvents de Saint Basile que possédait sa ville natale. Aux monastères
de Mercure encore il se trouvait sur les domaines impériaux, et donner
l’habit à un décurion sans l’autorisation du gouverneur de la province eût
été gravement compromettre le couvent. Fantin l’envoya à une grande distance
de là, probablement sur les terres du prince longobard de Salerne, qui
s’étendaient à cette époque jusque dans la portion septentrionale de Comme Nil se rendait en ce lieu, suivant solitairement à pied le bord de la mer, le saint vit à son grand effroi sortir du maquis un Sarrasin suivi d’une foule de nègres pareils à des démons. C’étaient les équipages de plusieurs gros navires arabes qui, mouillés tout auprès, attendaient le vent favorable. Sans se troubler devant cette étrange et formidable apparition, Nil, faisant le signe de la croix, répondit sans crainte au chef qui, entouré de tous les siens, l’interrogeait sur sa présence en ce lieu. Il lui dit son origine, sa famille et le but de son voyage. L’autre, voyant ce beau jeune homme encore vêtu de son riche et élégant costume de primat grec, lui dit qu’il était bien sot de renoncer au monde et de s’enfermer dans un couvent avant d’avoir atteint la vieillesse. Enfin, n’ayant pu ébranler sa résolution, il le laissa partir, lui indiqua la route à suivre et lui donna même de bonnes paroles d’encouragement. Comme Nil, saisi pour la première fois de terreur à l’idée du danger qu’il venait de courir, s’éloignait on jetant derrière lui des regards craintifs, le bon Musulman, s’apercevant qu’il était sans provisions, courut après lui et, l’appelant frère et ami, lui remit du pain qui, s’il n’était frais, était du moins de belle et blanche farine. Nil poursuivit sa marche, tremblant de tous ses membres et remerciant Dieu. « Ce charitable Musulman, dit fort bien Fr. Lenormant, devait être quelque honnête marchand qui mettait en pratique une des oeuvres de miséricorde ordonnées par le Coran. Mais les Calabrais considéraient alors tellement tout Sarrasin comme un démon incarné, que notre saint vit un miracle dans l’assistance qu’il avait reçue de celui-ci. » Arrivé enfin au couvent de Saint-Nazaire, après avoir encore rencontré sur sa route le diable sous la forme d’un cavalier, Nil y fut bien reçu par l’higoumène et les moines, refusa les poissons et le vin qu’on lui offrait, n’accepta que du pain et de l’eau et prit l’habit. Après quarante jours de macérations extraordinaires, vêtu comme l’ascète le plus rigide, il regagna les monastères de Mercure pour y vivre sous la direction de Fantin. Il y porta à un si haut degré de perfection l’obéissance, l’humilité, l’ascétisme, la mortification extraordinaire des sens et la contemplation, en même temps la prudence, la sagesse, la charité chrétienne, l’étude de la religion, qu’on l’appela vite un autre Paul, alors qu’on donnait à Fantin le nom du nouveau Pierre. Sa réputation de sainteté devint prodigieuse, « il mena la pure vie érémitique, ne s’entretenant qu’avec Dieu. » Les chefs de la province le vénérèrent. Prélats et hauts fonctionnaires accouraient le visiter et réclamer de lui conseils et prophéties. On suivait en ces temps lointains, en ce couvent calabrais vénérable, une vie céleste et angélique. « A l’aube, dit l’abbé Batiffol transcrivant la vie du saint, on se mettait au travail; de prime à tierce on copiait, c’était du moins l’occupation de Nil, « qui copiait d’une main rapide et serrée et qui remplissait un quaternion par jour »; de tierce à sexte, on récitait le psautier; de sexte à none, on lisait, « on étudiait la loi de Dieu et les oeuvres des maîtres » jusqu’à savoir par coeur des discours entiers de saint Grégoire de Nazianze; de none au soir, c’était le temps de la récréation; on se réunissait pour la « collatio » et on lisait l’Ecriture en commun. Il arrivait alors que ses frères demandaient à Nil de commenter la lecture; avec quelle joie ils recueillaient les paroles pleines de doctrine qui tombaient de ses lèvres. On lisait de même saint Grégoire de Nazianze; il était la somme de ces moines basiliens; on discutait les passages difficiles et on rivalisait à les bien entendre. Ajoutez saint Basile, saint Athanase, saint Jean Chrysostome, saint Éphrem, Théodoret, Théodore le Stoudite, saint Jean Damascène: autant d’auteurs familiers à notre saint. C’est dans ce milieu de moines lettrés, dialecticiens, exégètes que Nil devait vivre toute sa vie et devenir le plus illustre parmi eux. » Une fois, il fut dépêché à Rome pour en rapporter des manuscrits pour son monastère. Comme il se rendait à la basilique de Saint-Pierre pour y faire ses dévotions, le diable le tenta sous la forme d’une très belle femme de nation germanique qu’il vit passer. Il eut toutes les peines du monde, avec l’aide de Dieu, à chasser de sa pensée cette vision perturbatrice. Bientôt, hélas, les signes d’une rupture entre les Byzantins et les Arabes de Sicile avaient fait présager que les terribles invasions des bandes sarrasines allaient recommencer. L’asile accordé par Romain Lécapène aux révoltés agrigentins, les spéculations éhontées du stratigos de Calabre Krinitès, profitant de la famine pour vendre du blé à des prix énormes aux Arabes affamés, avaient irrité à tel point le Khalife Mansour, qu’il avait déclaré la guerre à l’empire où Constantin Porphyrogénète occupait alors seul le trône. L’higoumène Fantin, ne voulant pas se trouver en butte une
fois de plus dans sa vieillesse aux violences des infidèles, quitta De même que toute l’Italie méridionale était à ce moment
couverte de monastères élevés par les fils de Basile, ainsi les monts qui
avoisinaient Rossano fourmillaient de laures monastiques qui en faisaient une
véritable sainte montagne. Il en était, du reste, ainsi par toute l’étendue
des thèmes byzantins d’Italie. On voit encore dans Dans la montagne même du Patir, derrière Rossano, la tradition prétend reconnaître encore l’ermitage du glorieux Nil. « J’y ai visité, dit l’abbé Batiffol, De tous ses contemporains ayant mené cette existence
étrange, Nil est le seul qui ait laissé après lui une trace profonde. Afin de
sauver son âme, il abandonna la vie du monde, il passa son existence entière
à mortifier sa chair, à lutter contre ses passions quelles qu’elles fussent
et de quelque manière qu’elles se manifestassent. Il arriva ainsi au plus
haut degré de perfection dans ce genre de macérations et nous avons vu, nous
verrons encore combien sa gloire et sa réputation franchirent les bornes de Souvent cet excès de rigorisme le rendait dur, même cruel.
Dans un monastère près du Mont Cassin, les moines, durant qu’ils étaient à
leur repas, prenaient plaisir à entendre de la musique. Nil appela sur eux
les châtiments célestes. Un jour, dans un de leurs voyages, son propre neveu,
devenu son disciple, ayant bu de l’eau d’une fontaine dans le calice
conventuel qui avait été confié à sa garde, Nil en conçut contre lui une
haine si violente qu’il ne lui adressa plus jamais la parole. Le malheureux
en tomba malade et mourut sans que le saint se laissât fléchir. Sur bien des
points, ce grand ascète n’était, quant à la moralité, que le fils de son
siècle. Que devenait en effet son désintéressement de tout ce qui est
terrestre dès qu’il s’agissait des intérêts de sa caste, des intérêts de ses
moines? « Il ne faut pas s’occuper de défendre Cette rapide analyses que j’ai empruntée presque tout entière à un curieux travail de feu M. Brun d’Odessa nous prouve surabondamment que Nil n’était qu’un produit plus raffiné du milieu dans lequel il vivait. La masse même du peuple demeurait grossière et peu civilisée, et notre saint n’était que la manifestation suprême des idées les plus élevées qui couraient alors dans la société. L’intolérance et l’ascétisme, voilà deux des traits dominants du caractère des populations grecques de l’Italie méridionale à cette époque. Nil, vivant dans sa cellule de pierre, vêtu d’un sac de
peau de chèvre, de plus en plus adonné aux pratiques du rigorisme le plus
extraordinaire, s’imposant les plus constantes, les plus pénibles pénitences,
donnant en même temps de plus en plus l’exemple plus admirables, des plus
touchantes vertus chrétiennes, priant, écrivant et lisant, habitait son
ermitage avec ses deux compagnons lorsque l’orage qui menaçait Quand les pillards furent partis, il redescendit et constata que tous leurs misérables effets avaient été enlevés, jusqu’à son cilice de rechange fait de poil de chèvre. Inquiet de son compagnon Stéphanos qui, dans la tourmente, s’était séparé de lui, et ne reparaissait pas, il le crut prisonnier des infidèles et se mit courageusement à sa recherche. A peine avait-il atteint la vieille route militaire qui traversait ce territoire, qu’il vit arriver une troupe de dix cavaliers armés, portant sur la tête des kouffiehs flottantes à la façon arabe. Quel ne fut pas son étonnement quand ces hommes, qu’il prenait pour des Sarrasins, descendant de cheval, s’agenouillèrent à ses pieds. C’étaient des gens de la place forte voisine de Seminara qui couraient la campagne sous un déguisement pour ramasser les fugitifs et les conduire en lieu sûr. Nil apprit par eux avec une grande joie que saint Stéphanos, qu’il croyait perdu, avait été recueilli dans leur cité. A la suite de ces événements, Nil se décida à rentrer dans Rossano, sa patrie, où il se trouverait plus en sûreté. Il y fonda, dans un site poétique autant que solitaire, le célèbre monastère de Saint Adrien[18] et en gouverna admirablement les moines.[19] On aperçoit encore aujourd’hui les bâtiments à demi ruinés de cet édifice vénérable à peu de distance de Rossano, et aussi de la petite localité albanaise de San Demetrio à cinq milles de Bisignano. Nil réorganisa de même le couvent de femmes de Sainte Anastasie qui venait d’être fondé dans la partie haute de sa ville natale par Euphraxios, juge impérial des deux thèmes d’Italie ou Longobardie et de Calabre, lequel paraît avoir été également originaire de Rossano. Des années et des années durant, sous Constantin
Porphyrogénète comme sous Romain II, sous Nicéphore Phocas comme sous Jean
Tzimiscès, le saint administra ainsi son cher couvent avec la plus parfaite
sagesse. La renommée de son extrême sainteté s’était de plus en plus répandue
dans toutes ces contrées; de toutes part on accourait le consulter. Il était
encore fixé à Saint Adrien lorsque la mort de Jean Tzimiscès fit des deux
fils de Romain II les seuls maîtres de l’empire. Nous avons vu son
intervention si ardente et si heureuse auprès du magistros Nicéphore lors de
la sédition soulevée à Rossano par l’ordre d’y construire des chelandia pour
la guerre contre les Sarrasins de Sicile. Un jour que Nil se trouvait malade, on vit arriver pour le
visiter le métropolitain de Reggio, Théophylacte (on sait que ce prélat, le
plus important de l’Italie byzantine, portait le titre officiel de
métropolitain de Calabre), et avec lui le domestique Léon, homme prudent et
vertueux, le protospathaire Nicolas, d’autres grands personnages enfin très
sages et très discrets, des prêtres, des primats, une foule de peuple. Ce
Léon et ce Nicolas étaient certainement de hauts officiers de l’armée
byzantine en Italie, dont le chef suprême était Nicéphore.[20] Ils venaient attirés
par le désir de connaître le fameux religieux, « moins curieux, remarque son
biographe, de s’édifier de ses discours que d’apprendre jusqu’où allait
l’étendue de son savoir ». Nil s’en aperçut. Après les politesses d’usage,
après que tous ces grands personnages se furent assis autour de lui, il
présenta à Léon pour que celui-ci en donnât lecture, un livre où se
trouvaient. cités, à propos des faits et gestes de saint Syméon dit du Mont
des Miracles, divers passages touchant le petit nombre des élus. Comme on se
récriait, trouvant ces maximes infiniment trop sévères, Nil soutint qu’elles
étaient conformes aux principes de l’Évangile et des Pères. « Elles vous
paraissent effrayantes, dit-il, parce qu’elles sont la condamnation de votre
conduite. Si vous ne vivez saintement, vous ne pourrez échapper aux
châtiments éternels. » Ceci ne laissa pas que d’impressionner vivement
les assistants. Tous répétèrent à la fois « Malheur à nous, misérables pécheurs
», et se mirent à poser des questions à Nil. L’un, pour l’embarrasser, lui
demanda si Salomon serait sauvé ou au contraire damné. « La seule chose qu’il
importe de savoir, répondit le saint, est que le Christ menace de damnation
éternelle tous ceux qui commettent le péché d’impureté. » Nil faisait de la
sorte allusion aux moeurs paraît-il, fort dissolues de son interlocuteur. Cet
étrange entretien, auquel le domestique Léon prit également part, se
poursuivit longtemps encore, à la plus grande gloire du saint. Quelques jours
plus tard, Léon et Nicolas firent une nouvelle visite au solitaire. Après les
avoir à nouveau quelque peu exhortés, il se retira dans son oratoire pour
prier. Les deux officiers, étendus sur le foin et fort en gaieté, en profitèrent
pour se déguiser avec la cuculle d’un moine. Le saint, s’en étant aperçu,
leur fit les plus vifs reproches, et Sur ces entrefaites, le juge impérial des deux thèmes d’Italie et de Calabre, Euphraxios, le fondateur, du moins le protecteur du couvent de femmes de Sainte Anastasie à Rossano, malade depuis longtemps, se sentit tout à coup perdu. Ce haut fonctionnaire avait constamment témoigné d’une grande hostilité contre Nil, arguant de diverses malversations injustement attribuées au saint, mais, en réalité, parce que celui-ci avait refusé de lui envoyer des présents, comme faisaient d’ordinaire les autres higoumènes pour se concilier sa faveur.[21] Voyant sa fin approcher, il se repentit, fit appeler Nil, implora avec grande humilité son pardon et le supplia de lui imposer de ses mains la vêture monastique. « Les voeux du baptême suffisent, lui dit cet homme si éclairé pour son temps, touché jusqu’aux larmes par son désespoir « la pénitence n’en exige point de nouveaux. Aie seulement un coeur contrit avec le désir sincère de changer de vie. » Euphraxios, ayant encore insisté pour recevoir l’habit, finit par l’obtenir. Nil, par humilité, voulut se faire remplacer pour cette pieuse cérémonie par le métropolitain de Santa Severina, Stéphanos alors de passage à Rossano, mais finalement ce fut lui qui imposa l’habit. Il le fit en présence du métropolitain, de l’évêque de Rossano, de beaucoup d’higoumènes, d’archimandrites et de prêtres, enfin du célèbre médecin juif Domnulo Sciabtaï, aussi appelé Sabbathaï Donolo grand admirateur du saint, son émule dans l’art de guérir, mais par des moyens plus terrestres. Aussitôt après cette cérémonie, Euphraxios fut comme un homme nouveau. Il affranchit ses esclaves, distribua ses biens aux églises et aux pauvres. Trois jours après il mourut dans les sentiments de la plus haute piété. On l’ensevelit dans son couvent, dédié à la très pieuse vierge Anastasie. Vers ce même temps, l’évêque de Rossano étant mort, Nil
dut se soustraire par la fuite aux obsessions des habitants, qui voulaient
faire de lui son successeur. En compagnie d’un seul frère, il demeura caché dans
la montagne jusqu’à ce qu’on eût renoncé à lui faire cette violence. Vers ce
même temps encore, le saint étant déjà âgé de soixante ans environ, donc vers
970 ou 971, on vit passer à Rossano un certain archevêque Vlattos, que Il avait pu les racheter, grâce à l’influence d’une soeur à lui qui, tombée elle aussi en captivité, était devenue une des favorites du Khalife Fatimide Mouizz, lequel ne mourut, on le sait, qu’en 975. Ayant demandé et obtenu une entrevue du saint sous prétexte de lui exposer quelques-uns de ses doutes et de profiter de ses prières, il lui fit aussitôt part de ses plans. Il ne songeait en effet qu’à retourner en Afrique pour y pour suivre son oeuvre de rachat. Nil essaya de détourner le fougueux prélat, lui prédisant qu’il y laisserait sa vie. « Ne t’en retourne pas parmi cette race de vipères qui te tueront après t’avoir fait mille grâces, lui dit-il. Dieu ne le verrait point de bon oeil. » Et le neveu de l’archevêque ayant demandé au saint s’il se doutait combien d’âmes son oncle avait déjà ainsi rachetées, Nil répondit rudement: « Il n’a pas racheté des âmes, il n’a racheté que des corps. Si Dieu ne voyait pas le bien des pécheurs dans les calamités de ces captivités, il ne les tolérerait pas. Donc il ne faut pas chercher à les empêcher. » L’archevêque, dit le chroniqueur, ayant refusé de se laisser persuader par ces motifs d’un ordre si élevé, repartit pour l’Afrique. Il y périt bientôt, ainsi que Nil le lui avait prédit. Les hostilités venaient en effet de recommencer entre Byzantins et Arabes, et me voici tout naturellement ramené au point d’où j’étais parti pour raconter la vie du saint. Le domestique Léon et le protospathaire Nicolas étaient probablement deux des officiers de l’armée réunie par le magistros Nicéphore pour lutter avec l’aide des Pisans contre les forces de l’émir Abou’l Kassem. Probablement ils assistèrent au massacre des capitaines de navires par les révoltés de Rossano, massacre qui amena la courageuse intervention de Nil auprès du magistros. L’influence du saint était vraiment, dès cette époque, sans rivale. Il faisait ce qu’il voulait des autorités byzantines tant civiles qu’ecclésiastiques. Il obtint ainsi la grâce d’un jeune homme de Bisignano qui avait tué et volé un Juif et que les magistrats voulaient livrer à la communauté israélite pour en tirer tel châtiment qu’il lui plairait, c’est-à-dire le crucifier. Les Israélites étaient alors nombreux et puissants dans toute cette région. Ils y comptaient des hommes savants et très considérés, comme le médecin Sciabthaï Domnulo[23] dont j’ai parlé plus haut, qui professait une si grande admiration pour Nil, qui le fréquenta toute sa vie durant et disputa publiquement avec lui sur les matières religieuses. Un jour que le Juif voulait reprendre cette éternelle controverse, le saint lui cria: « Va d’abord passer quarante jours dans le désert, nous discuterons après. » Lors de l’émeute de Rossano, le saint avait prophétisé que
la guerre qu’on entreprenait se terminerait par un désastre et deviendrait le
point de départ d’une nouvelle longue suite de misères. Il avait été jusqu’à
déconseiller à Basile, pour lors, paraît-il, stratigos du thème de Calabre,
de bâtir une église à Rossano, affirmant que celle-ci serait aussitôt
détruite par les Sarrasins, tant il prévoyait que ceux-ci seraient bientôt
maîtres de toute l’Italie byzantine, Il est vrai que les événements parurent
d’abord, donner tort à ces sinistres prédictions. La guerre, on l’a vu,
sembla débuter heureusement et Messine fut surprise par les chrétiens dans
les premiers mois de l’année 976. Mais il fallut l’évacuer presque aussitôt
devant l’arrivée de l’émir de Sicile et de ses troupes qui durant deux
campagnes successives, dont la seconde eut lieu au printemps de 977,
ravagèrent horriblement, je l’ai raconté plus haut, tous ces pauvres rivages
de Calabre et d’Apulie. Ce fut seulement à l’automne de cette année que
l’émir se décida à reprendre la route de A l’approche des hordes musulmanes, Nil s’était réfugié
avec ses moines dans le kastron même de Rossano, que l’émir dut renoncer à
assiéger, tant étaient fortes les murailles de la citadelle byzantine, tant
était grande aussi la réputation de la protection accordée par la divine
Théotokos. Trois frères seulement étaient à la garde du couvent, qui fut
pillé. Eux furent emmenés en Sicile avec la masse des captifs. Le saint, qui
n’abandonnait jamais ses fils spirituels, voulut les racheter. Il rassembla à
grand’peine cent sous d’or, qu’il confia, avec une lettre pour l’émir, à un
frère en qui il avait pleine confiance, lui enjoignant d’aller les porter à
Palerme, lui donnant pour la route un cheval qu’il avait reçu en don du
stratigos Basile.[24] Le pauvre
caloyer de Rossano, recommandé par Nil à un notable palermitain, chrétien
très zélé, fut admis à l’audience du puissant émir, qu’il trouva de fort
belle humeur, disposé à écouter favorablement sa prière. Abou’l Kassem
s’étant fait traduire la lettre du saint, en admira les termes et trouva
qu’elle émanait d’un véritable serviteur de Dieu. Il rendit sans rançon leur
liberté aux trois frères prisonniers, gardant seulement le cheval en souvenir
du saint. Il leur donna de l’argent, des peaux de cerf pour Nil, « pour qu’il
s’en fit des vêtements », enfin une lettre où il lui disait: « C’est ta
faute si ton monastère a souffert. Tu n’avais qu’à t’adresser à moi; je
t’aurais envoyé aussitôt une lettre de sauvegarde[25] que tu n’aurais
eu qu’à placarder à la porte de ton couvent. Celui-ci aurait été respecté de
tous mes soldats et tu n’aurais pas été obligé de le quitter un seul jour.
Maintenant, si tu veux venir me visiter, je t’y invite. Tu circuleras et
séjourneras librement dans les pays de mon obéissance, et tu y seras respecté
et honoré de tous. » Ce serait une grave erreur d’avancer qu’il n’y avait à
cette époque d’autres relations entre chrétiens et Sarrasins que guerres et
violences de toute sorte. Ces récits de Il est impossible de ne pas remarquer encore que le fanatisme de ces guerriers sarrasins était d’essence bien moins étroite que celui précisément de ces chrétiens qui les accablaient de leur constant mépris. La vie de saint Nil nous fournit des preuves nombreuses de cet esprit d’intolérance des sectateurs du Christ. A propos du meurtre du juif de Bisignano, ne voyons pas le grand saint Nil, un des hommes les plus éclairés de son siècle, s‘écrier qu’il n’était pas juste d’exécuter un chrétien pour avoir tué un juif « parce que le sang d’un chrétien valait celui de sept juifs ». Lui, qui avait été si bien traité par Abou’l Kassem, ne craignait pas d’appeler les Sarrasins « fils de serpents ». Evitez-les à tout prix, disait-il aux siens, ils vous entraîneront dans leurs filets pour sucer ensuite votre sang chrétien » Tout en entretenant cette curieuse correspondance avec
l’émir de Sicile, Nil ne se faisait donc aucune illusion sur les intentions
véritables de ce prince qui continuait à organiser ses expéditions annuelles
de déprédations au delà du détroit. Le saint, dit son biographe, voyait
l’avenir très en noir. « Les Sarrasins impies détruiront tout chez nous,
avait-il coutume de dire, et Donc l’higoumène Nil, las d’habiter un pays si incessamment ravagé, émigra avec ses humbles moines vers un séjour plus paisible. Prenant la route du nord, la pieuse théorie gagna d’abord Capoue où le fameux Pandolfe Tête de Fer, l’ancien adversaire de Nicéphore Phocas et des Byzantins, reçut le saint avec les marques du plus profond respect. Même il voulut le faire nommer évêque. Nil, en retour, lui prédit la mort qui devait, nous le verrons, le frapper bientôt. Pandolfe enjoignit aux moines du célèbre monastère de Saint-Benoît du Mont Cassin, alors compris dans ses États, d’attribuer aux cénobites basiliens un des petits couvents dépendant de l’abbaye. L’abbé Aligerne s’empressa d’obéir et, en attendant d’avoir choisi le lieu où il installerait les nouveaux venus, invita Nil à venir avec ses compagnons se reposer au Mont Cassin. La petite communauté voyageuse, comprenant plus de soixante religieux, y fut reçue avec honneur par tous les moines, venus en habits de fête à sa rencontre au pied de la montagne, et le vieux Nil, âgé déjà d’au moins soixante-dix ans, officia suivant le rite grec dans la grande église de l’abbaye, chantant des hymnes de sa composition en l’honneur de saint Benoît. Le costume des moines grecs, leurs grandes barbes en éventail, leurs longs cheveux flottants, leurs usages particuliers durent être un sujet d’étonnement pour leurs confrères latins. Il y eut, semble-t-il, au début quelques froissements et Nil soutint des disputes théologiques en règle pour la défense des pratiques de son Eglise. Enfin sa douceur, sa merveilleuse sainteté, ses édifiantes causeries, ses réponses topiques aux questions les plus subtiles finirent par avoir raison de tous les préjugés occidentaux, et les enfants de saint Basile se remirent à vivre dans la meilleure intelligence avec ceux de saint Benoît. On attribua à Nil et à ses compagnons le monastère de Saint-Michel au val de Lucia, où ils demeurèrent plusieurs années. Nous retrouverons l’illustre solitaire à une autre page de l’histoire de ce règne. Revenons aux événements qui se passaient dans la malheureuse Calabre. Le prévoyant Nil avait judicieusement agi en quittant avec ses moines ces contrées infortunées. Il ne s’était trompé que sur la source même des calamités prochaines. Un orage bien autrement formidable que tous les précédents se préparait pour les thèmes byzantins d’Italie, dans le nord cette fois, orage formidable qui allait même forcer bientôt Grecs et Arabes, sinon à faire alliance, du moins à faire trêve pour essayer de lui tenir tête. Ce nouvel et tout-puissant adversaire avait nom Othon II d’Allemagne, celui-là même que les Romains allaient, très injustement du reste, surnommer le Sanguinaire.[26] Les huit premières années du règne du successeur du grand
Othon de Germanie, du jeune époux de la princesse byzantine Théophano,
s’étaient écoulées de 973 à 980 dans une tranquillité relative pour ses
possessions de son royaume d’Italie. Absorbé par les pus graves affaires
intérieures en Allemagne, par des guerres contre des vassaux soulevés ou de
turbulents ennemis du nord, placé d’abord sous la tutelle de sa mère
Adélaïde, Othon II était apparu dans l’automne de 978 avec une puissante
armée sous les murs de Paris et y avait fait chanter un alléluia célèbre par
les cent mille voix de ses guerriers massés sur les hauteurs de Montmartre.
C’était très justement que, dans un document en date du Les plus récents événements du règne, dit Giesebrecht,
surtout la fameuse expédition vers Paris qui avait conduit les guerriers
saxons jusqu’aux portes de la capitale de Chlodowig, jadis centre de la
puissance franque, avaient vivement grandi la situation du jeune empereur
parmi ses peuples. Si jusqu’ici la voix publique avait porté des jugements
souvent sévères sur son caractère tantôt violent, tantôt trop faible, sur
l’influence toujours croissante qu’avait prise sur lui son épouse étrangère,
à mesure que diminuait celle de l’impératrice mère, sur la venue au pouvoir
et aux affaires de toute une jeune génération dédaigneuse des prudents
conseils des anciens, maintenant tout symptôme de mécontentement tendait à
disparaître, car on croyait déjà voir revivre dans le fils la grande âme de
son illustre père, on estimait le nouvel empereur arrivé à sa parfaite
maturité, capable des plus grands exploits, réservé par A peine eut-il rétabli définitivement l’ordre et la
tranquillité en Germanie, à peine se sentit-il assuré de pouvoir repousser
victorieusement toute attaque nouvelle du côté de Le 5 décembre, Othon II était à Pavie où, par l’entremise
de l’abbé Maïeul de Cluny, il se réconcilia avec sa mère l’impératrice
douairière. Celle-ci, voyant son influence sur son fils fort diminuée à la
suite d’incidents qui sont sans intérêt pour cette histoire, s’était depuis
quelque temps retirée de la cour dans sa patrie bourguignonne. Elle était
venue à Pavie pour faire sa paix avec son fils. Othon la fit de même avec le
frère de la vieille princesse, son oncle à lui, le roi Conrad de Bourgogne.
De là, il gagna Ravenne. Il y fêta Vers les derniers jours de janvier 981, Othon Il, quittant
Ravenne, prit enfin le chemin de Rome. Les plus vastes projets emplissaient
son âme ardente autant que généreuse. Non seulement il voulait restaurer dans
Je passe rapidement sur les débuts de cette première campagne italienne du jeune empereur. Ils n’intéressent qu’indirectement ce récit. L’armée allemande fit son entrée dans Rome sans se heurter à aucune résistance. On sait les graves événements dont cette ville avait été le théâtre peu après la mort d’Othon Ier. Une partie de la noblesse romaine, le parti dit national, hostile au pape Benoît VI, créature du défunt empereur et successeur de Jean XIII, mort, on se le rappelle, en septembre 972, s’était groupée sous la direction de la puissante famille des Crescentius, de vieille race romaine. Un des principaux représentants actuels de cette illustre maison portait, suivant la coutume du temps, un surnom emprunté à sa demeure, probablement élevée dans les ruines des Thermes de Constantin. Il s’appelait « a cavallo marmoreo », des deux chevaux colossaux avec leurs dompteurs aujourd’hui placés devant le palais du Quirinal, alors encore disposés en face des Thermes de Constantin sur le mont de ce nom, qui en a gardé jusqu’à maintenant l’appellation de Monte Cavallo. Il courait en ces temps sur ces chevaux et leurs cavaliers les légendes les plus mystérieuses. Mais le véritable chef des événements d’alors fut un autre membre de cette même famille, Crescentius de Théodora », ainsi désigné du nom de sa mère.[28] Lui, fut le grand meneur du parti national contre le pape Benoît VI. La jeunesse d’Othon II, son absence si prolongée en Allemagne pour y établir son autorité sur des bases incontestées, certainement aussi les encouragements plus ou moins directs de la part des chefs militaires byzantins dans l’Italie méridionale avaient donné courage aux adversaires des Allemands à Rome. Ils avaient cru le moment venu de reconquérir, eux aussi, leurs anciens droits, peut-être de se débarrasser à jamais du dur joug de l’étranger. Excités par Crescentius, le fils de Théodora, les Romains soulevés s’étaient emparés du pape, qui avait été jeté au château Saint-Ange. Il y avait péri d’une mort horrible en juillet 974, et durant qu’il vivait encore, le parti vainqueur lui avait donné pour successeur le cardinal diacre Franco ou Francon, fils de Ferrucius, de famille romaine inconnue.[29] Franco avait pris le nom de Boniface VII. Ses
contemporains nous l’ont représenté sous les traits d’un monstre horrible
couvert du sang de ses victimes. Hélas, nos renseignements sur ce personnage
sont si peu de chose que nous sommes réduits à nous demander s’il n’y a pas
là quelque exagération colossale. A peine du reste ce nouveau pape avait-il
été proclamé qu’on l’avait vu disparaître à son tour. Après un mois et douze
jours de règne on nous dit seulement qu’il avait dû fuir de Rome et s’était
sauvé à Constantinople avec le trésor pontifical enlevé par lui. Nous ne savons
malheureusement rien sur sa venue et sur son séjour dans Après la fuite précipitée de Boniface VII, l’élection de
son successeur avait été fort difficile. Un saint homme, Maïeul, abbé de
Cluny, avait refusé la tiare que lui offrait Othon II. Finalement, le parti
vainqueur avait porté au pouvoir en octobre 974, avec l’assentiment de
l’empereur germanique, l’évêque de Sutri, de la famille d’Albéric et de Jean
XII, qui prit le nom de Benoît VII. Le premier soin du nouveau pontife avait
été d’excommunier son prédécesseur dans un concile réuni à cet effet. Ce pape
courageux devait à force d’énergie se maintenir neuf années au pouvoir dans
ces circonstances terribles, à travers mille agitations et mille périls.
Maintenant, après avoir attendu vainement la visite qu’Othon II lui
promettait depuis tantôt cinq années, après avoir durant tout ce temps
maintenu la suprématie du parti allemand dans des circonstances difficiles
demeurées pour nous fort obscures, il venait de succomber momentanément, lui
aussi, aux attaques de la faction adverse et avait dû s’enfuir de Rome. Nous
venons de voir qu’il était allé rejoindre l’empereur d’Allemagne à Ravenne.
Ses instantes prières pour que celui-ci le délivrât de ses ennemis acharnés
avaient été une des raisons déterminantes de la descente du jeune souverain
en Italie. Entre autres événements notables de ce règne pontifical si agité,
je ne puis passer sous silence la reconstruction de l’église et du couvent
des Saints Boniface et Alexis sur l’Aventin, le plus célèbre monastère de
Rome à cette époque, celui-là même où Crescentius avait cherché un asile.
Benoît VII en avait fait don dès 977 au métropolite grec Sergios de Damas,
chassé de son évêché par les troupes africaines du Fatimide d’Égypte et réfugié
à Rome. Sergios releva le beau couvent confié à ses soins et en fut le
premier abbé. Bien que ses moines suivissent la règle de saint Benoît,
cependant des religieux basiliens y vivaient à côté des Latins et
certainement Sergios en arrivant dans Benoît VII rentra donc en vainqueur dans Rome, dans son palais du Latran, aux côtés de son tout-puissant protecteur. Toutes les résistances cessèrent dans la grande ville et Othon II triomphant, installé dans la cité « Léonine », « au palais près de l’église de saint Pierre », y tint sa cour et y célébra solennellement les fêtes de Pâques au milieu d’une immense et brillante assistance de seigneurs laïques et ecclésiastiques, de hauts barons et d’évêques, non seulement d’Allemagne et d’Italie, mais aussi de France et de Bourgogne, entre sa mère et sa femme, les deux impératrices, son oncle, le roi Conrad de Bourgogne et le duc Hugues de France, le futur chef de la dynastie royale des Capétiens, accouru à Rome pour gagner, lui aussi, la faveur du jeune césar réconcilié avec le roi Lothaire. Mais, pour l’âme haute de ce fier empereur Othon, c’était
peu que d’avoir rétabli son autorité dans Rome. De bien plus amples projets
occupaient son esprit. Il lui fallait la possession incontestée de toute
l’Italie. Or, depuis la chute du roi Bérenger et de ses fils, depuis
l’installation dans les principaux comtés et évêchés du nord, de la péninsule
des plus chauds partisans de la maison de Saxe, la seule Italie du sud
demeurait vraiment encore à conquérir pour les Allemands. Seule encore elle
offrait un ample champ d’activité aux fougueux appétits d’aventure et de
gloire du jeune prince. Sur elle seule, il tenait constamment ses yeux
dirigés. Et véritablement l’entreprise était digne de ce vaillant esprit.
Certes, dans ces régions lointaines, le parti allemand, toujours sous la
conduite du valeureux Pandolfe et de sa maison, avait conservé toutes ses
positions, remporté même la victoire dans maintes luttes secondaires, mais la
situation de ce côté n’en demeurait pas moins fort grave, ne fût-ce qu’en
raison de l’éternelle agression sarrasine. Chaque année, Rome, toute l’Italie
du sud, tremblaient sous l’incessante terreur d’une invasion arabe plus
formidable encore que les précédentes. Il fallait à tout prix, pour pouvoir
régner paisiblement et glorieusement sur la péninsule, commencer par extirper
dans sa racine ce mortel péril. La puissante forteresse provençale des
Sarrasins du Fraxinet venait, il est vrai, d’être détruite de fond en comble
par Guillaume de Provence, mais leurs coreligionnaires de Sicile, sous la
conduite de cet intrépide émir Abou’l Kassem, véritable champion de la foi
musulmane à cette époque dans Ces brillants projets à peine formés n’étaient pas sans rencontrer déjà de sérieuses, résistances. De même que le pape fugitif Boniface avait de suite tourné ses regards vers Constantinople, de même tous ceux en Italie qui redoutaient exclusivement l’affermissement de la puissance allemande dans la péninsule jetaient les yeux de ce côté. Il en était ainsi surtout dans les malheureuses contrées du sud, à la fois déchirées par des querelles de partis et par la guerre étrangère. Toujours en effet la balance y demeurait hésitante entre les deux grands empires d’Orient et d’Occident qui y avaient leurs frontières. Toujours aussi la guerre sarrasine y faisait rage. Les trois grandes puissances du monde à cette époque, par une coïncidence effroyable, semblaient s’être donné rendez-vous sur cette étroite bande de terre pour se la disputer constamment. Seule, la victoire éclatante d’un des partis pouvait mettre un terme à cette situation abominable. Outre l’Apulie et Le chef du parti allemand était toujours encore le fameux
Pandolfe Tête de Fer, auquel Othon le Grand, outre ses principautés
héréditaires de Capoue et de Bénévent, avait aussi concédé, en qualité de
fiefs de la couronne d’Italie, le duché de Spolète et la marche de Camerino.
Nous avons que dès le mois de mai 974, à peine de retour de sa dure captivité
à Constantinople, Pandolfe avait tenté d’arracher de force le vacillant
Gisulfe de Salerne à l’alliance qui lui avait été imposée par les Grecs. Il
avait échoué cette fois dans sa tentative de s’emparer de Salerne. Mais dès
le 4 juillet il avait, on le sait, repris cette ville sur Landolfe de Conza
qui venait d’en chasser Gisulfe, son neveu, et n’avait consenti à réinstaller
ce dernier dans sa principauté qu’à la condition que celui-ci adoptât et prît
pour corégent à ses côtés son propre second fils à lui, nommé comme lui
Pandolfe. En mai 978 enfin nous le trouvons définitivement seigneur de cette
ville par son association avec ce même second fils Pandolfe. Gisulfe, auquel
en 974 il avait imposé ce fils comme collègue et fils d’adoption, était mort
dès la fin de 977 après un règne agité, et Pandolfe le jeune avait ainsi
passé de l’adoption de Gisulfe et de celle de Landolfe de Conza à celle de
son propre père Tête de Fer. Dès lors Salerne, comme Capoue, comme Bénévent,
avait reconnu; elle aussi, la suzeraineté de l’empereur germanique. Quant à
Landolfe de Conza, l’oncle de Gisulfe, il s’était, je le rappelle, réfugié,
lui aussi, à Byzance auprès de Jean Tzimiscès, réclamant son appui à
l’exemple du pape Boniface. Il revint plus tard de là-bas, dit-on, à la tête
de vaisseaux byzantins. Il avait fallu tous les terribles embarras de la
guerre contre les Russes, de la conquête de Précisément en 976, comme venait d’éclater la révolte de Skléros et comme les attaques de l’émir de Sicile Abou’l Kassem avaient en même temps recommencé, on avait fait, on l’a vu, quelque effort dans ces villes italo-byzantines pour amener une flotte capable de tenir tête à cet adversaire si redoutable. Mais cet effort avait été insuffisant et on 976 comme en 977 les bandes innombrables de l’émir avaient presque impunément porté le pillage et l’incendie à travers les deux thèmes. Depuis lors chaque nouvelle année, sans que nous possédions le détail de ces expéditions, avait vu les flottes et les soldats de Sicile et du Maghreb traverser le détroit et pénétrer presque sans résistance sur territoire italien. Voyant que nul n’était en état de le repousser sérieusement, Abou’l Kassem, enivré de ses faciles triomphes, songeait déjà à conquérir l’Italie entière. Seul, Pandolfe semblait pouvoir lui opposer quelque résistance mais les forces respectives des deux princes étaient par trop inégales, aussi le courageux prince de Bénévent, se sentant, lui aussi, gravement menacé, appelait-il de tous ses voeux la venue tant désirée, tant attendue du jeune empereur d’Occident. On en était donc arrivé à cette année 980 où l’armée
impériale de Germanie venait enfin, après un si long intervalle, de
reparaître sur le versant méridional des Alpes. Jamais moment n’eût pu être
plus heureusement choisi pour permettre à un jeune et puissant souverain tout
enfiévré de désirs de gloire et de conquêtes, de se distinguer dans ces
belles campagnes de l’Italie du Sud. Tandis que sous l’énergique impulsion
d’Abou’l Kassem la constante agression arabe avait repris les proportions les
plus menaçantes; la cour de Constantinople, bien que délivrée pour un temps
du danger mortel de la sédition de Bardas Skléros, se trouvait, tant du côté
de Othon II, dans sa maturité précoce, se rendait parfaitement compte que jamais il ne réussirait à empêcher les Sarrasins de venir chaque année menacer l’Italie, s’il ne les délogeait définitivement de cette île magnifique d’où chaque printemps, comme d’une forteresse avancée, leurs flottes n’avaient que quelques milliers de pas à franchir pour déposer sur la terre de Calabre les noirs guerriers de l’Islam. Et comme ses deux beaux-frères de Constantinople paraissaient pour le moment incapables de veiller à la sûreté de leurs possessions d’au delà de l’Adriatique, il fallait bien que lui, Othon, annexât ces provinces extrêmes à sa couronne d’Italie, pour les conserver à la chrétienté.[30] Bien que nous
soyons à peine renseignés sur ces faits, nous savons avec certitude que les
vastes projets d’Othon n’étaient point demeurés ignorés à Constantinople. Ils
y avaient excité la plus vive irritation. Si on ne s’était trouvé si
impuissant, si on n’avait eu tant d’affaires sur les bras, on s’y serait
aussitôt opposé par la force. On dut se contenter, au dire du moine de
Saint-Gall, d’envoyer à Othon des ambassadeurs, lesquels, on le verra,
n’eurent aucun succès auprès de lui. Alors, quand toutes les objurgations
d’ordre diplomatique eurent échoué auprès du fougueux jeune guerrier, on se
résolut au Palais Sacré à prendre une attitude délibérément hostile. On y aimait
mieux encore, tant se maintenait intense à la cour byzantine la haine de race
pour les Occidentaux, on y aimait mieux, dis-je, mille fois, voir les thèmes
d’Italie aux mains des Infidèles, que de les laisser tomber avec toute la
péninsule et Jusqu’au commencement de l’été de 981 l’empereur Othon II
était demeuré dans L’armée qu’Othon avait amenée l’an d’auparavant d’au delà des monts était belle et forte, mais peu nombreuse, composée en majeure partie de Saxons. On y voyait aussi de nombreux seigneurs bavarois et souabes groupés sous la bannière du duc Othon. L’empereur, ne voulant marcher vers le sud qu’avec des forces imposantes, avait convoqué, pour les joindre à ces premières troupes, les milices des évêchés de Bavière, de Souabe, de Franconie et de Lotharingie. Elles accourent en foule, conduites la plupart par leurs évêques ou leurs abbés. Avec ces bandes redoutables marchaient encore beaucoup de seigneurs laïques de ces mêmes provinces de Franconie et de Lotharingie surtout, à la tête de leurs chevaliers.[31] C’était pour donner à ces renforts le temps d’arriver qu’Othon avait décidé de passer l’été dans la sauvage contrée des Marses. Outre tous ces contingents d’origine purement germanique, de très nombreux soldats italiens marchaient certainement aussi sous ses étendards, surtout les guerriers des principautés longobardes vassales. Une grande infortune, plus douloureuse encore dans les circonstances actuelles, avait frappé l’empereur dès le printemps. Son fidèle vassal, son précieux allié qui eût été son guide, son auxiliaire capital en cette expédition lointaine si nouvelle pour lui, Pandolfe Tête de Fer, l’illustre prince de Capoue, de Bénévent et de Salerne, le puissant chef du parti allemand dans l’Italie du sud, l’homme dont il aurait eu à cette heure le besoin le plus pressant, était mort dans le courant du mois de mars de cette année 981. C’était pour Othon II une perte irréparable. L’influence de Pandolfe était encore toute-puissante en ces régions. Le prince défunt avait bien laissé ses principautés de Bénévent et de Capoue à son fils aîné Landolfe IV qui lui succéda aussi dans ses fiefs de Camerino et de Spolète. Mais la force de ce grand État longobard, basée uniquement sur la valeur personnelle de son illustre fondateur, demeurait à jamais brisée par sa mort prématurée. Lui disparu, il s’effondra soudain. Le second des fils de Tête de Fer, nommé comme lui Pandolfe,[32] conservait Salerne où il avait régné d’abord aux côtés de Gisulfo, puis, peu après la mort de celui-ci survenue vers la fin de 977, comme associé de son propre père.[33] En fait, les principautés longobardes demeuraient, comme avant, sous la dépendance de l’empire occidental, et les fils de Tête de Fer se montrèrent disposés à favoriser de tout leur pouvoir la grande expédition qu’Othon préparait. L’empereur germanique ouvrit sous ces fâcheux auspices cette campagne mémorable au mois de septembre de l’an 981. Ce fut un moment solennel, dans l’histoire du monde, que celui qui allait mettre en présence sur cette extrême limite des terres italiennes les troupes des trois plus grandes puissances de ce Xe siècle finissant, des empires de l’Occident, de l’Orient et du Sud, des Allemands, des Grecs et des Arabes. L’armée impériale, qui était entrée à Luceria en septembre, se préparait à envahir délibérément les territoires byzantins pour achever l’oeuvre commencée par Othon Ier. Elle avait pénétré sur les terres du prince de Salerne. Déjà elle avait atteint Capaccio, lorsqu’on la vit rebrousser chemin subitement. C’est qu’à ce moment, certainement à l’incitation des Byzantins ardents à créer les incidents propres à détourner Othon de ses projets si redoutables pour eux, des troubles graves avaient éclaté simultanément dans les villes de Bénévent et de Salerne. Un prétendant, Pandolfe II, fils de Landolfe III, membre de la famille de Tête de Fer, avait réussi à expulser le gouvernement de Landolfe IV de la première de ces villes. Pour ne pas être trop longtemps retenu, Othon dut accepter le fait accompli. En octobre, il entra à Bénévent et reconnut Pandolfe II. La vieille cité longobarde, séparée de Capoue qui seule allait rester au fils aîné de Tête de Fer, demeura à l’usurpateur. A Salerne ce fut bien une autre affaire. Le duc Manso ou Mansone III d’Amalfi avait conquis cette ville à la tête de ses troupes, en avait chassé Pandolfe Ier et s’y était fait proclamer avec son fils Jean Ier. Sur son ordre, la suzeraineté des empereurs d’Orient y avait été de nouveau acclamée. Certes, bien que nous ignorions tout, on peut affirmer ici encore que les incessantes intrigues byzantines furent pour beaucoup dans ce résultat survenu à l’instant précis de la marche en avant des Allemands. Les Grecs, incapables de lutter ouvertement en Italie contre les Teutons, ne négligeaient naturellement aucun moyen de leur susciter en sous-main les plus graves embarras. On ne pouvait ainsi laisser derrière soi cette principauté de Salerne devenue hostile et qui eût à l’occasion pu couper le chemin de la retraite aux forces impériales. Force était de reprendre avant tout cette forte place et de châtier l’usurpateur. L’armée germanique, après avoir passé à Naples, où l’empereur, toujours accompagné de sa fidèle épouse, fit, le quatrième jour de novembre, son entrée solennelle,[34] vint incontinent assiéger le duc Mansone, qui se défendit avec énergie pendant presque tout le mois de décembre. Le prince rebelle finit par avoir le dessous, mais il fallut cependant que l’empereur se résignât à traiter avec lui et à abandonner à son sort le seigneur légitimé, le fils du fidèle et glorieux vassal Tête de Fer. Soit qu’il y trouvât maintenant quelque avantage, soit qu’il voulût simplement se donner au plus vite les coudées franches, Othon laissa la principauté de Salerne aux deux princes amalfitains, qui, le père comme le fils, reconnurent sa suzeraineté. Amalfi et Salerne, dont l’école de médecine était alors déjà célèbre bien au delà des limites de l’Italie, ne formèrent plus qu’une même seigneurie.[35] En quelques mois donc, toute la situation politique de ces principautés longobardes de l’Italie méridionale venait d’être une fois de plus brusquement bouleversée. Toute la descendance de Pandolfe avait été aussi vite renversée que la puissance de cette maison s’était jadis brusquement élevée. De nouvelles seigneuries avaient subitement surgi qui avaient bien accepté par force la suzeraineté d’Occident, mais sur la fidélité desquelles on ne pouvait compter. Pour espérer maintenir définitivement Bénévent et Salerne sous son influence il fallait à Othon II le prestige des plus heureuses actions militaires. L’attitude même du jeune empereur à l’égard du duc Mansone comme de l’heureux prétendant Pandolfe de Bénévent prouve combien il avait hâte d’en finir avec toutes ces agitations pour pouvait reprendre la suite de sa grande entreprise. Certes, à force d’habileté et de concessions, il avait réussi à prolonger sa suzeraineté sur les principautés longobardes, même à mettre dans son parti Naples et Amalfi, mais, combien ces résultats si rapidement acquis n’étaient-ils point précaires, combien leur durée ne dépendait-elle point uniquement des plus prochains succès de l’armée allemande? Othon II célébra les fêtes de Noël dans l’« opulente Salerne », auprès de son nouveau vassal. C’est dans cette ville aussi que se concentrèrent les contingents de ses divers alliés et vassaux longobards de l’Italie méridionale. C’est là enfin que le rejoignirent les derniers renforts qu’il attendait d’Allemagne. Dès le mois de janvier 972 la campagne, un moment interrompue, fut définitivement reprise. L’armée un pénale, ayant à sa tête la fleur de la noblesse d’Allemagne et d’Italie, pénétra par Brizia, qui est proche de Capaccio, sur territoire byzantin. Une fois de plus, les vastes campagnes d’Apulie tremblèrent sous les pas des cavaliers du nord habillés de fer. Les guerriers teutons ne rencontrèrent presque pas de résistance, probablement parce que les garnisons grecques, trop faibles, se retiraient devant eux. Très rapidement l’armée d’invasion par Brizia pénétra en Lucanie et parut sous les murs de Bari. La capitale des possessions byzantines dans la péninsule se défendit mal et succomba après un siège très court. Othon II était plus heureux devant cette ville que ne l’avait été son illustre père en 970. Nous ignorons jusqu’au nom du chef qui y commandait en ce moment au nom des deux basileis. Nous ne savons rien non plus des forces byzantines qui s’y trouvaient concentrées, pas plus que de celles qui occupaient les autres places fortes des deux thèmes italiens. Du magistros Nicéphore il n’est plus question dans les quelques lignes consacrées à ces faits par les chroniques italiennes contemporaines. Probablement le magistros avait, dans l’intervalle, été rappelé à Constantinople. De tous ces événements, les chroniqueurs byzantins ne
soufflent mot. Nous les ignorerions absolument, n’était le témoignage d’un
certain nombre de documents d’archives qui ont survécu et aussi celui des
annales occidentales contemporaines. Malheureusement, parmi ces dernières,
les unes sont d’une extraordinaire brièveté; d’autres, une surtout qui avait
longtemps passé pour la plus importante pour l’histoire de ces événements, la
« Chronique de Avant de livrer bataille aux troupes de l’émir de Sicile, l’empereur allemand tenait à s’assurer la possession des places fortes byzantines qui lui serviraient de base d’opérations et de lieux de refuge en cas d’insuccès. Après Bari il prit Matera le 31 janvier. Aux premiers jours de mars il parut devant Tarente, une des plus fortes cités des Grecs en Italie. Les guerriers saxons, souabes et bavarois campèrent sur les rivages de cette mer azurée, sous les murs de l’antique cité du héros Taras que, quelques années auparavant, avaient assiégée les Arabes. La garnison byzantine se rendit après une molle défense.[39] L’Apulie tout entière, qui constituait plus d’une moitié des possessions des basileis en Italie, se trouvait dès maintenant, semble-t-il, en grande partie occupée. Il en avait coûté quelques semaines à peine d’efforts aux guerriers allemands. Le reste des garnisons byzantines, trop faibles pour leur tenir tête en rase campagne, se tenaient enfermées dans quelques châteaux et places fortes sans importance stratégique pour les envahisseurs. Othon et ses troupes firent un long séjour dans Tarente
ainsi prise de force sur d’anciens alliés auxquels on ne s’était même pas
donné la peine de déclarer la guerre. Ils y célébrèrent pieusement les fêtes
de Pâques, se préparant aux grands événements qui étaient proches, car
l’heure allait enfin sonner du choc suprême avec les Infidèles. Abou’l Kassem,
dédaigneux de l’approche de l’armée allemande, avait, dès les premiers jours
du printemps, reparu avec ses bandes aux blancs manteaux sur les rivages de
Calabre, et les guerriers du Maghreb, plus nombreux que jamais, fourmillaient
sur cette infortunée terre byzantine, devenue le champ clos des guerriers du
Septentrion et de ceux du Se faisant précéder par de nombreux espions, par de plus
nombreux éclaireurs, « décidé », suivant l’expression du moine de Saint-Gall,
« à conquérir l’Italie jusqu’à la mer de Sicile », Othon, vers la fin de mai
seulement, alors que la saison était
déjà brûlante sur ces étincelants rivages, quitta enfin, ses cantonnements de
Tarente, se dirigeant sur Ce fut à Rossano, la cité byzantine par excellence de toute cette région, la patrie du grand Nil, qu’on se heurta enfin aux premières avant-gardes de l’armée arabe et que les blonds Saxons étonnés virent pour la première fois les noirs guerriers du Maghreb dans le blanc burnous d’Afrique. Comme si le départ du vieux solitaire, si longtemps le protecteur de sa chère cité, avait entraîné aussi celui de cette divine Théotokos qui si souvent avait repoussé les Sarrasins des remparts de sa ville d’élection, la rude forteresse n’avait su cette fois résister à l’assaut des fils d’Ismaël. Les éclaireurs d’Abou’l Kassem l’occupaient à l’approche des Allemands. Cependant ils ne cherchèrent point à défendre cette position si forte adossée à cette haute montagne couverte de bois jusqu’à son sommet aigu, ces bois touffus où se cachaient en foule les humbles cellules des moines basiliens et leurs chapelles creusées dans le tuf, ornées de fresques naïves. Après quelques vives escarmouches où les Allemands eurent le dessus, les Arabes se retirèrent dans la direction du sud-ouest, évacuant Rossano qui fut aussitôt occupée par les impériaux. Othon, comprenant bien que le gros de l’armée ennemie était proche et que les choses allaient prendre la plus grave tournure, pressait sa marche sur les derrières de l’ennemi. Il laissa dans Rossano, sous la garde de l’évêque Dietrich de Metz, chancelier de l’empire, avec toute sa suite, son épouse grecque qui l’avait courageusement suivi jusque dans ces régions extrêmes, bravant, pour ne point le quitter, les fatigues atroces de cette vie des camps, si dure sous ce soleil presque africain. Quels sentiments devaient être ceux de la jeune souveraine qui se trouvait ainsi, par ces circonstances tragiques, transportée en ennemie dans cette cité si profondément byzantine, si passionnément fidèle au gouvernement de ses deux propres frères à elle, habitée par une population parlant la langue, suivant les coutumes qui avaient été les siennes durant les années déjà lointaines de son enfance agitée? Les sources ne nous disent point si le fils qu’elle avait donné deux ans auparavant à son glorieux époux, avait, lui aussi, suivi cette mère dévouée jusqu’aux rives de Calabre. Mais la chose paraît vraisemblable. Abou’l Kassem, dit Ibn el Athir, s’était mis en marche avec toute son armée dans le mois de ramadhan de l’an 371 de l’Hégire, qui correspond à peu près au mois de mai de l’an 982. Il remontait lentement la rive calabraise à la rencontre des Allemands, lorsque ses avant-gardes chassées de Rossano lui annoncèrent l’occupation de cette place par l’ennemi. Les plus fougueux parmi ses lieutenants voulaient aller de suite attaquer les Allemands, mais lui, plus prudent, ordonna résolument la retraite. La flotte et l’armée arabes cheminaient de conserve. Cependant Othon, qui, à l’exemple de tous les autres envahisseurs de l’Italie méridionale à cette époque, ne possédait pas de flotte et en éprouvait de cruelles difficultés, s’était abouché avec les capitaines ou protocarabes de deux grands et magnifiques chelandia byzantins rencontrés par lui dans un port de la côte, probablement à Tarente.[41] Tous deux étaient munis d’appareils à feu grégeois, « de ce feu, dit Thietmar, que rien n’éteint, sinon le vinaigre ». Il avait pris à son service les capitaines de ces bâtiments. Eux s’étaient engagés à aller en haute mer brûler la flotte musulmane, mais ils n’y songeaient nullement en réalité, deux fois traîtres, traîtres à leurs souverains, qu’ils abandonnaient ainsi pour servir à prix d’or l’envahisseur étranger, traîtres envers celui qu’ils s’apprêtaient déjà à abandonner de même au cas où il serait vaincu. « Leurs navires, dit Thietmar avec une admiration naïve, étaient des bâtiments très allongés, et, par ce fait, merveilleusement agiles et rapides, portant double rang de rames sur chaque bord. Chacun avait cent cinquante hommes d’équipage. » C’était le type le plus parfait du vaisseau de guerre byzantin à cette époque. Ce furent probablement ces navires que l’empereur allemand expédia au-devant de lui en reconnaissance. Ceux qui les montaient ne furent pas longs à lui faire savoir que les troupes musulmanes battaient en retraite le long du rivage calabrais et qu’il eût à se hâter. Laissant en arrière ses derniers bagages, tous ses impedimenta, le jeune héros, croyant enfin tenir la victoire tant cherchée, se jeta en avant avec la fleur de ses troupes, faisant telle diligence que dans la journée du 13 juillet[42] il atteignit l’armée sicilienne. De loin, il crut l’ennemi en petit nombre. Le moine de Saint-Gall dit qu’apercevant ces groupes de combattants épars, il s’écria: « Ce ne sont que des coureurs de grands chemins ». Hélas, il n’avait pas la pratique des guerriers de l’Islam, qu’il voyait pour la première fois. Il ordonna d’attaquer aussitôt. Une grande bataille s’engagea sur la plage même, au bruit
des flots de Abou’l Kassem, arrêtant sa retraite, avait résolument fait face aux assaillants qui, seigneurs et hommes d’armes, se ruaient à sa poursuite comme un torrent furieux. Son armée, rangée en bataille sur le bord de la mer, barra la route à l’empereur allemand. L’heure était solennelle. Des deux côtés on se disposa vaillamment à la lutte suprême. Jamais, depuis Poitiers, les hommes du nord n’avaient eu en face d’eux si grand armement sarrasin. L’exaltation religieuse paraît avoir été à son comble parmi les troupes germaniques. Beaucoup de guerriers persuadés qu’ils ne contempleraient plus l’aube prochaine, écrivirent leurs testaments et firent à l’Eglise des donations considérables. Un chevalier lorrain, Conrad, fils d’un comte Rodolphe, fit, sous la bannière impériale, en présence de toute l’armée, don à l’empereur de tous ses biens dans son pays natal, pour que celui-ci les donnât en fief, au cas où lui, viendrait à périr dans le combat, au couvent des Bénédictins de Gorze, près de Metz. Les bataillons allemands se jetèrent sur l’ennemi avec un
brillant courage. Ils rencontrèrent la plus opiniâtre résistance. Abou’l
Kassem et ses guerriers, très nombreux, ne brûlaient pas moins que leurs
adversaires chrétiens de l’enthousiasme religieux le plus ardent. Tous les
combattants siciliens avaient fait avec joie le sacrifice de leur vie.
Encouragés par leurs ulémas, ils luttèrent avec héroïsme. Enfin, après une
longue et terrible mêlée, la victoire sembla se dessiner en faveur de
l’empereur germanique. Un escadron allemand, chargeant le centre des
Siciliens, le rompit et le mit en déroute. Emportés par leur élan, les
cavaliers saxons atteignirent les étendards de l’émir, que défendait un
groupe nombreux de la noblesse arabo-sicilienne, sous le commandement
d’Abou’l Kassem en personne. Une lutte furieuse s’engagea autour de ces
bannières sacrées. Les Arabes succombèrent tous. Soudain on vit tomber
également l’émir, trépas glorieux qui devait le faire inscrire au nombre des
martyrs de l’Islam morts pour C’était en apparence un premier grand succès pour les armes impériales. Hélas, il n’en était rien en réalité. Les guerriers allemands, il ne faut pas l’oublier, combattaient dans les pires conditions, inhabiles, sous leurs chemises de fer, à supporter l’écrasante chaleur d’une journée de juillet en ces parages si méridionaux, alors que leurs adversaires étaient dès leur enfance accoutumés à lutter sous des températures africaines autrement redoutables. Othon II crut trop vite qu’il avait partie gagnée. Sans perdre une heure, il fit reprendre la poursuite d’un ennemi qu’il croyait définitivement vaincu, et cela par des chemins difficiles, bordés à gauche par la mer, à droite par des montagnes à pic, coupés à chaque instant par des lits de torrents, routes propices à toutes les surprises. L’armée chrétienne se rua sur les pas des Arabes sans se garder aucunement, les croyant uniquement occupés à fuir. Mais déjà la majorité des fils d’Ismaël rompus à cette guerre de rapides chevauchées et d’embuscades qui transforme si facilement les victoires en déroutes, s’étaient jetés à droite dans la montagne et s’y étaient ralliés, ardents à venger la mort de leur émir, guettant et là le passage de l’ennemi débandé. L’occasion ne se fit guère attendre. Othon s’était imprudemment jeté avec une trop faible escorte à la poursuite d’un petit groupe de cavaliers qu’il serrait de près sur le rivage. Instantanément des bandes innombrables d’Arabes apparurent, descendant de toutes les hauteurs avec des cris affreux. L’armée allemande, surprise, se vit tout à coup attaquée avec la dernière violence, en tête, en queue et sur le flanc droit. A gauche, on était acculé à la mer, c’est-à-dire à la pire mort, car en fait de navires il ne devait guère y avoir là que ceux des Arabes. Ce second combat paraît avoir été livré très peu de temps après le premier, plus loin de Cotrone, dans la direction du sud et de l’ouest, probablement donc près du cap de Colonne. La plus horrible confusion s’ensuivit parmi tous ces malheureux guerriers d’Allemagne et d’Italie. Ce ne fut bientôt plus, qu’un affreux massacre, dans ce site étrange et tragique, sous ce ciel de feu, entre ces arides et brûlantes montagnes et la mer qui reluisait comme de l’or fondu. Une foule de soldats de Germanie périrent sous le cimeterre et la masse d’armes des Siciliens et des noirs d’Afrique. D’autres, en nombre, se jetèrent dans les flots, comme plus tard les Bourguignons à Morat, et périrent noyés. Le combat sans merci dura jusque bien avant dans la nuit, et plusieurs, dans l’obscurité profonde, succombèrent, paraît-il, aux coups de leurs compatriotes affolés. Richardi, porte-lance de l’empereur, le comte Udo ou Otto, chef des guerriers francs, grand-oncle maternel de Thietmar, les margraves Berchthold et Gonthier de Misnie, l’évêque Henri d’Augsbourg, l’abbé Verner de Fulda, les comtes Thietmar, Bezelin, Gebhard et son frère Ezelin, Bourcard, Dedi, Conrad, Irmfrid, Arnold et d’innombrables autres guerriers et prélats allemands « desquels, dit Thietmar de Mersebourg qui y perdit cet oncle de sa mère, Dieu seul sait les noms », tombèrent en ce lieu. « Là périt, sous l’épée des Infidèles, s’écrie douloureusement un autre contemporain, la fleur éclatante de la patrie, l’ornement de la blonde Germanie, cette jeunesse si chère à l’empereur, qui dut voir le massacre du peuple de Dieu sous l’épée des Sarrasins, la gloire de la chrétienté foulée aux pieds des païens. » Une foule aussi de hauts personnages longobards payèrent ici de leur vie leur attachement à la cause allemande. Landolfe, le prince de Capoue, le fils aîné du fameux Tête de Fer, et l’autre fils de celui-ci, Aténulfe, périrent, puis aussi leurs neveux Ingulfe, Vadiperto et Guido di Sessa et le marquis Thrasemond de Tuscie. Mais le sort des survivants fut peut-être plus terrible encore. La chaleur torride, la soif ardente en firent périr une foule dans les pires souffrances. Parmi ceux qui avaient échappé au massacre, beaucoup succombèrent plus tard à des fièvres malignes, suite immédiate de ces surhumaines fatigues. Une multitude enfin tombèrent immédiatement dans l’esclavage des Siciliens et des Africains. Dépouillés, entièrement nus, étroitement liés de cordes, ils furent expédiés comme un vil bétail pour être vendus sur les marchés de Palerme, de Mehedia et du Caire, d’où bien peu devaient revoir leur brumeuse patrie. Le moine de Saint-Gall cite parmi ces derniers plus heureux l’évêque de Verceil qui fut envoyé comme esclave sur le marché d’Alexandrie d’Égypte et racheté après de longues années de servitude. Le même écrivain assista, nous dit-il, au retour de cet infortuné dans son pays, et à celui de plusieurs autres. De même on en vit rentrer peu à peu un certain nombre d’autres, clercs et laïques, qui regagnèrent l’Allemagne et l’Italie. Ce fut donc le 13 juillet de l’an 982 que fut livrée cette bataille fameuse de Stilo, si douloureuse au coeur du vieux peuple allemand, où périt sous la main d’Ismaël la brillante noblesse teutonne et italienne. Longtemps, dans toutes les terres de Germanie, cette date demeura dans la mémoire populaire comme celle d’un des deuils les plus cruels, les plus universels, les plus sanglants. Il n’y eut presque pas une église, dans toute l’étendue de l’empire, dont le livre des morts ne contînt au moins un nom inscrit à ce jour. Il semblerait presque, dit Giesebrecht, que la postérité se soit attachée avec un soin jaloux à ignorer jusqu’au lieu précis où vint ainsi sombrer la gloire militaire du peuple allemand. Tout ce qu’on peut tirer du témoignage si insuffisant des sources contemporaines est, je l’ai dit, que la bataille dut être livrée sur le bord de la mer, quelque part aux environs et au sud de la ville de Cotrone.[47] Outre cette foule de prisonniers de marque, l’armée chrétienne perdit sur le champ de bataille plus de quatre mille morts.[48] Ce qui survivait se dispersa dans une fuite éperdue. L’empereur Othon lui-même n’échappa à la mort que par miracle. Le récit de sa fuite tient du roman le plus extraordinaire. Comme les Sarrasins l’entouraient déjà de toutes parts, il réussit un instant à leur échapper et, suivi de son neveu Othon, le duc de Bavière, lança son cheval à toute bride vers la mer, où les deux grands chelandia grecs qui avaient assisté de loin au combat, lui apparaissaient comme un dernier espoir de salut. Une meute d’Arabes le poursuivait. Soudain son cheval, abîmé de fatigue, s’arrête, refusant de le porter davantage. Les Sarrasins se rapprochaient; il allait périr. Alors un Juif nommé Kalonymus,[49] probablement un Juif d’Apulie ou de Calabre, qui lui était dévoué, dans un élan sublime, descendant de sa monture, la lui donna, lui disant seulement ces mots: « Prends mon cheval et, si je meurs ici, donne du pain à mes fils. » En un clin d’oeil, Othon bondissant sur le cheval du Juif,
toujours suivi de ces noirs démons, arrive aux flots de Quel drame ! Sur le pont de ce beau et fier bâtiment byzantin porteur du feu grégeois, triomphe de l’art naval à cette époque, auprès de cette côte lointaine, sous ce ciel étincelant de juillet, sur cette mer incomparablement bleue, quatre rangs de rameurs esclaves condamnés à la chiourme, cent cinquante marins, de nombreux pamphyles[51] sans cloute, contemplent ce sauvetage étrange de ce jeune guerrier au somptueux accoutrement, nageant sur les flots comme jadis les héros antiques. Cependant ils ne se doutent point encore qu’ils ont devant eux le premier personnage de l’Europe, le tout-puissant empereur d’Occident ! Sur la rive, une foule de cavaliers noirs visages, aux coursiers agiles, guerriers pittoresques de blanc vêtus, agitant leurs armes au soleil, poussent dans leur rauque langage des clameurs de rage, voyant leur proie leur échapper. Tout danger n’était pas écarté pour l’empereur allemand. Il avait la vie sauve, mais, pressé par la mort qui le traquait, il avait, dû prendre refuge chez ses plus grands ennemis, ceux dont il venait d’envahir si injustement le territoire sans provocation aucune. Il n’osa se nommer, redoutant le pire traitement au cas où il serait reconnu, tremblant d’être pour le moins conduit captif à Byzance. Mais le destin s’en mêlait. Sur le chelandion grec se trouvait embarqué un officier de fortune, d’origine slavonne, nommé dans sa langue natale Xolunta, et Henri en allemand,[52] qui avait jadis servi l’empereur. Il le reconnut aussitôt, eut pitié de lui, et durant qu’il était couché et que le protocarabos l’interrogeait, lui fit signe de ne trahir à aucun prix son incognito. Puis, lui-même, beau parleur, alla raconter aux Grecs que l’homme qu’ils venaient de sauver était un des grands officiers de l’empereur d’Allemagne, son chancelier, celui qui avait à sa disposition le trésor impérial tout entier, que c’était donc une prise excellente, et qu’on obtiendrait une grosse somme pour son rachat, mais qu’il fallait pour cela le ramener à Rossano, où se trouvait précisément la caisse impériale.[53] C’est ainsi que le rusé Xolunta qui, probablement, s’entretenait avec l’empereur dans quelque langue du nord inintelligible aux officiers du chelandion, réussit, en se donnant lui-même pour garant de ses promesses, à décider le protocarabos à faire voile avec son précieux fardeau pour la place forte byzantine que tenait encore l’arrière-garde de l’armée allemande, et où se trouvaient l’impératrice, le chancelier, une foule de hauts personnages, le service du train avec les bagages et le trésor. Le voyage, bien que court, dut être plein d’angoisses pour l’empereur, si complètement isolé au milieu de ses ennemis, réduit à compter uniquement su la foi de ce grossier officier de fortune. Celle-ci ne lui fit point défaut. On navigua « nuit et jour », ce qui signifie, pense Aman, que le voyage dura un jour au moins, et on atteignit sans nouvel incident la rade de Rossano. Aussitôt Xolunta, se faisant descendre à terre sous prétexte de négocier la rançon, courut haletant trouver de la part de l’empereur son chancelier, l’évêque de Metz, qui, en l’absence de celui-ci, avait le commandement suprême. On vit bientôt le prélat accourir sur la plage avec l’impératrice éperdue. Une longue file de bêtes de somme suivait qui portaient, cria-t-on du rivage aux marins grecs, le trésor impérial.[54] A cette vue, le protocarabos alléché ordonna de jeter l’ancre aussitôt, et l’évêque de Metz, s’élançant dans une barque avec quelques officiers, se fit conduire au chelandion. Les Byzantins, toujours plus sans défiance, le laissèrent monter à bord et s’entretenir avec l’empereur. Sous prétexte de faire honneur à l’impératrice, Othon alla endosser un costume de cour qu’on lui avait probablement apporté, et qui devait être plus léger que l’habit de guerre, la cotte de mailles avec la quelle il s’était embarqué. Tout en conversant avec l’évêque, il se rapprochait insensiblement du bord du navire. Soudain on le vit d’un bond se jeter dans les flots, puis nager vigoureusement vers la rive. Un marin grec avait tenté de le saisir par son vêtement. Mais il tombe instantanément à la renverse, transpercé par l’épée du brave chevalier Liuppo, un des compagnons de l’évêque. Les autres Grecs, revenus de leur prodigieuse surprise, veulent s’élancer à leur tour, mais les autres suivants de l’évêque, mettant l’arme au poing, les repoussent. En même temps, de nombreuses barques se détachent du rivage, pleines de guerriers allemands accourant au secours de leur prince. Cependant Othon, nageur intrépide, a déjà gagné la plage. Le tour était joué. « Ainsi », s’écrie Thietmar dont, à l’exemple d’Aman, j’ai surtout suivi le récit d’apparence si véridique,[55] « ainsi les Danaens, qui avaient trompé toutes les nations de l’univers, furent trompés à leur tour. Quant à l’allégresse que témoignèrent les siens à l’empereur lorsqu’ils le virent revenu sain et sauf d’une telle aventure, je n’ai pas d’expressions pour la décrire. » Le même chroniqueur affirme que l’intention d’Othon était de remplir ses engagements vis-à-vis du protocarabos byzantin et de le récompenser magnifiquement, mais que celui-ci, bouleversé par cette aventure, ne se fiant plus à la parole de son prisonnier, mit aussitôt à la voile et s’éloigna sans attendre son dû.[56] Othon II, en atteignant la plage, avait bondi sur le cheval qu’on lui avait amené. Eperdu de joie par cette délivrance miraculeuse après cette captivité pleine d’angoisses, bénissant Dieu pour cette grâce inespérée, il galopa à toute bride vers la cité, où il tomba dans les bras de l’impératrice et de tous les siens. Il paraîtrait même qu’à ce moment aurait eu lieu une scène caractéristique. L’impératrice Théophano, énervée par ses récentes inquiétudes, se serait laissée aller à tourner en dérision les armées de Germanie, d’où fureur d’Othon et dispute violente puis réconciliation tardive des deux époux. Ce serait, du reste, l’unique fois qu’une querelle aurait éclaté entre eux,[57] et l’évêque de Metz en aurait été l’instigateur. Lui, aurait, dans la suite, réussi à envenimer la querelle en répétant à Othon les paroles de sa femme. Tel semble bien être le plus ancien et le plus vraisemblable récit de cette impériale aventure à laquelle ne manquent ni les traits de l’audace la plus fabuleuse, ni ceux de la ruse la plus habile, ni ceux surtout du dévouement le plus sublime, dévouement allant chez le Juif jusqu’à la mort, chez le Slavon jusqu’à la fidélité la plus inébranlable. Les basileis et le parakimomène Basile, apprenant quel captif illustre leur avait échappé de la sorte après être demeuré tant d’heures en leur pouvoir, durent éprouver une violente colère. Plus tard cet histoire, déjà si merveilleuse par elle-même, a été amplifiée et travestie par d’infidèles écrivains désireux de lui donner une saveur plus romanesque encore. De cette bataille affreuse où succomba la fortune jusqu’alors sans cesse grandissante de la maison de Saxe, beaucoup de détails demeureront à toujours obscurs, tant nos informations au sujet de ce grand drame sont rares, incomplètes, parfois contradictoires. J’ai longé ces beaux rivages par une éclatante matinée de printemps. Une barque aux rameux pittoresques m’a porté du petit port de Cotrone à la plage déserte où blanchit au soleil la colonne solitaire, dernier débris du temple de Junon. J’ai vainement tenté de retrouver en esprit ce point précis de la rive où les cavaliers du Maghreb fondirent à l’improviste sur la cavalerie du nord, où le fier empereur d’Allemagne, pour échapper à ses ennemis, se précipita par deux fois dans les flots de la mer, renouvelant les prouesses des héros antiques; j’ai dû me résigner à passer mon chemin, sans emporter même cette satisfaction fugitive. Dans un manuscrit grec du Xe siècle de L’armée de Germanie était entièrement débandée. Tout ce
qui n’avait pas été tué ou pris, fuyait dans toutes les directions, poursuivi
par les cavaliers d’Afrique. L’empereur si miraculeusement délivré,
l’impératrice, l’évêque de Metz et leur suite quittèrent presque sans
escorte, dans la plus grande hâte, Rossano et Jusqu’ici j’ai négligé de dire ce qu’étaient devenus les
Sarrasins vainqueurs à Stilo. Dja’ber, le fils d’Abou’l Kassem, avait pris le
commandement à la mort de son père. Bouleversé par cet événement,
probablement fort pressé de rentrer à Palerme pour y devancer les
compétiteurs possibles, il avait, après la fin du combat, fait immédiatement
sonner le rappel, ne laissant même pas à ses guerriers le temps de piller les
morts, de ramasser les armes innombrables éparses sur la rive et dans la
campagne. Puis il avait repris la route de Cependant la nouvelle de cette immense catastrophe s’était presque instantanément répandue par l’Europe entière et y avait causé la plus incroyable stupeur, l’impression la plus profonde. Une légende s’établit aussitôt, grossissant encore, amplifiant à plaisir ces faits déjà si extraordinaires.[60] De toutes parts, cette terrifiante nouvelle produisit des contrecoups immédiats. En Allemagne, la douleur fut à son comble jusque dans les villages les plus reculés, en Saxe et en Thuringe surtout. Vers les frontières du nord et de l’est de l’empire, les Danois et les Wendes, comprenant que la puissance des Saxons abhorrés était gravement atteinte, reprirent les armes pleins d’espoirs. Vers l’extrême sud, la situation eût été bien plus grave encore et tout eût été à redouter de la part des Sarrasins vainqueurs si, par une circonstance véritablement providentielle, le noble émir de Palerme, l’ennemi acharné des chrétiens, n’était venu à périr dans ce combat où ses guerriers avaient remporté une si complète victoire. Non seulement cet événement, jeta le découragement parmi les Arabes de Sicile, mais, en brisant leur unité, il ne leur permit pas de poursuivre aussitôt leurs succès contre les Allemands et de recueillir ainsi les fruits de leur triomphe. Le Khalife Fatimide Al-Azis se refusa en effet à reconnaître Dja’ber pour successeur de son illustre père dans l’émirat de Sicile, bien que le jeune prince se fût fait proclamer aussitôt il investit de ce haut commandement un de ses favoris à lui du nom de Djafar. Une autre condition heureuse pour les Allemands fut que le rapprochement, bien fragile du reste, opéré en face du danger commun entre Arabes et Byzantins, se trouva aussi tôt détruit par le fait de la disparition de ce péril même. Les circonstances n’en demeuraient pas moins fort critiques, parce que, dans tout le sud de la péninsule, malgré le peu d’aide qu’on pût en ce moment espérer de Constantinople, le parti grec avait repris courage de toutes parts après le désastre si complet des guerriers de Germanie et déployait l’activité la plus extrême. L’Apulie comme De toutes parts, par contre, arrivèrent d’Allemagne au jeune souverain des témoignages de fidélité que lui adressaient ses grands vassaux et qui lui mirent quelque baume au coeur. Décidé à l’action la plus vive pour venger terriblement sa défaite, le vaillant, prince, qui avait enfin retrouvé son équilibre après ce choc cruel, convoqua déjà pour le mois de juin à Vérone une assemblée solennelle de tous les princes et seigneurs d’Allemagne et d’Italie. Il semble à ce moment aussi s’être réconcilié avec Théophano, avec laquelle il était en froid depuis l’altercation de Rossano. A la voix de son jeune chef, toute la noblesse de Germanie presque sans exception passa les monts, et la ville de Vérone vit bientôt réunie dans ses antiques murailles, sur les rives de l’Adige impétueux, la plus auguste assemblée, tous les grands, tant laïques qu’ecclésiastiques, de Saxe, de Franconie, de Souabe, de Bavière, de Lotharingie, tous, ceux de Lombardie et des terres romaines, tous ces hommes vaillants, de nation, de langue, de coutumes si diverses, tous consternés par ce grand désastre, brûlant de le venger, tous groupés autour de leur empereur bien-aimé, demeuré plein d’énergie malgré ses malheurs, de sa belle compagne l’impératrice Théophano, de sa mère l’impératrice douairière Adélaïde, alors encore dans la force de l’âge, de son fils le petit Othon III âgé de trois ans, de sa soeur Mathilde, la sainte et vertueuse abbesse de Quedlinbourg, de sa cousine la très prudente Béatrice, fille du duc Hugues le Grand, épouse de Frédéric, duc de Haute Lotharingie. Le Reichstag de Vérone fut caractérisé par la préoccupation très visible de l’empereur de considérer désormais ses terres d’Italie et d’Allemagne comme ne constituant qu’un seul et unique empire. Sur son désir exprès, les grands vassaux des deux nations y proclamèrent solennellement « roi de l’empire de Germanie et d’Italie » le petit Othon et il fut convenu que cet enfant recevrait plus tard la couronne à Aix-la-Chapelle à la fois des mains du premier archevêque d’Allemagne et de celles du premier archevêque italien. Pour pouvoir se consacrer plus complètement aux
préparatifs de la guerre prochaine, Othon nomma encore régente pour Alors seulement l’ardent empereur put se livrer avec toute
son énergie à ses préparatifs de vengeance, reprendre tous ses plans de lutte
contre les Arabes et de conquête définitive de l’Italie méridionale. Ne pouvant
compter aussi complètement qu’il l’aurait voulu sur le concours de ses
vassaux d’Allemagne qui avaient déjà la tâche de protéger l’empire sur ses
frontières du nord et de l’est, il résolut de se former une armée surtout
italienne. Par toutes les provinces de la péninsule, les hommes qui devaient
le service militaire furent convoqués sous les bannières de l’empereur. Othon
se flattait de jeter toute l’Italie sur Le brillant Reichstag de Vérone fut clos vers la fin de juillet. Le jeune empereur y avait déployé la plus grande activité, dont témoignent les nombreux actes qui y furent dressés par son ordre. On ne se sépara pas toutefois sans de fâcheux pressentiments. Le vénérable abbé Mayeul de Cluny, ce saint homme qui passait pour un voyant, saisit un jour les mains d’Othon, le suppliant de ne pas retourner à Rome, où il trouverait son tombeau. Mais le jeune héros ne songeait pas un instant à reculer. Il jetait sans crainte dans la balance l’enjeu de sa vie, tout entier aux glorieux projets qu’il s’était proposés pour but de son existence. Ses fidèles guerriers allemands prirent congé de lui et, faisant escorte au petit Othon III, repassèrent les monts. L’empereur, toujours suivi de l’impératrice Théophano, se
rendit alors par Mantoue à Ravenne. Dans cette ville, il fut fort occupé de
régler la situation de Venise, bouleversée par les luttes intestines qui
avaient suivi le massacres du tyrannique doge Pierre IV Candiano, le Déjà au Reichstag de Vérone, dans la journée du 7 juin,
Othon, pardonnant le meurtre de Candiano, avait conclu à nouveau alliance
avec le doge et la jeune République qui naissait à la puissance. Il avait le
plus grand besoin de son aide, puisque, seule avec Amalfi, elle se trouvait à
cette époque en état de lui fournir les vaisseaux indispensables à la
conquête de La campagne contre les Arabes de Sicile était une seconde
fois ouverte. L’armée impériale, longeant le rivage de l’Adriatique, s’avança
rapidement vers le sud, en apparence insouciante des ardeurs d’une température
estivale. Le 24 août déjà, l’empereur, paraissant vouloir éviter cette Rome
qui devait lui être fatale, campait sur les bords du Trigno, rivière qui
coule à travers la terre des Abruzzes. Le 27, il était à Larino, sur le
Biferno, dans la province actuelle de Molise, à deux pas de la frontière
byzantine. Au lieu de la franchir, il dut, hélas, accourir à Rome où le pape
Benoît VII se mourait lentement. A tout prix il fallait empêcher la faction
hostile à l’empire de lui donner un successeur de son choix. Benoît n’expira
qu’en octobre,[63]
après neuf ans de pontificat, et Othon fit élire à sa place son plus dévoué
serviteur, l’évêque Pierre de Pavie, ancien archi-chancelier de l’empire, qui
prit le nom de Jean XIV. C’était un grand succès pour la politique impériale
allemande. Mais le sort contraire s’en mêlait et les plus graves nouvelles
arrivèrent malheureusement à ce moment de Germanie à l’empereur. Les
frontières du nord et de l’est étaient en feu. Les Danois et les Wendes,
retournés au paganisme, s’étaient jetés sur les terres de l’empire, sur Tant de préoccupations tant de calamités dépassèrent les
forces déjà très affaiblies du jeune souverain. Les Grecs d’Italie comme les
Sarrasins de Sicile, de nouveau si gravement menacés, allaient pouvoir
respirer. Comme Othon se disposait à rejoindre son armée qui l’attendait sur
l’extrême frontière d’Apulie, il tomba gravement malade de la dysenterie.
Voulant guérir vite, il absorba des médicaments à trop haute dose. Bientôt la
fièvre devint ardente. Tout espoir disparut. Lui-même ne se fit aucune
illusion et prit ses dispositions suprêmes. Il mourut au Palais impérial de
Saint Pierre, environné de ses compagnons de guerre éperdus, assisté du pape,
des cardinaux, des évêques, de sa femme l’impératrice Théophano, après avoir
confessé sa foi à haute voix en langue latine et reçu l’absolution et la communion.
C’était dans la journée du Avec l’infortuné Othon II, mort sans avoir pu tirer vengeance des Sarrasins d’Afrique, s’évanouit à jamais la gloire de la maison de Saxe, la plus puissante du monde à cette époque. Le sceptre des empereurs tombait aux mains d’un enfant, le petit Othon III, son fils unique.[65] Les Byzantins triomphaient. Si leurs jeunes basileis eussent été matériellement en état d’utiliser à ce moment la grande victoire de l’Islam à Stilo et la mort d’Othon Il, l’empire d’Orient eut peut-être réussi, comme l’a fort bien dit Gregorovius, à réinstaller pour un long temps ses exarques à Ravenne, et à Rome des papes de son choix. De tous ces événements qui tant agitèrent l’Italie méridionale à cette époque, qui durent avoir un si grand retentissement à Constantinople et tant occuper les conseils du Palais Sacré, qui surtout durent procurer de si cruelles insomnies aux malheureux gouverneurs byzantins des thèmes péninsulaires, abandonnés avec des forces si réduites en face de si grands périls; de tous ces événements, je l’ai dit, les chroniqueurs byzantins ne soufflent mot. C’est comme s’ils n’avaient jamais ouï parler de la grande expédition d’Othon II, de la prise de Bari par les guerriers allemands, de leur rapide conquête des villes d’Apulie, de la grande catastrophe surtout qui ruina si misérablement tout ce beau début des armes germaniques. De tout cela nous ne saurions absolument rien si les chroniqueurs occidentaux et arabes n’avaient pris à tâche de nous renseigner quelque peu. Mais naturellement ceux-ci ne nous ont parlé que de ce qui se passait dans les armées d’Othon II ou dans celles d’Abou’l Kassem. De ce qui se passait dans celles des très pieux basileis nous ne savons pas un mot, pas, même le nom des chefs. Ce n’est que par de rares allusions éparses dans les récits des chroniques italiennes ou siciliennes que nous parvenons à glaner quelques maigres indications. Nous ne savons même ni quand ni comment finit l’administration du magistros Nicéphore. Nous ne savons pas davantage, je l’ai dit plus haut, ce qui se passa réellement entre Byzantins et Arabes réunis contre le péril commun du nord. Seulement toute idée d’une alliance formelle entre les deux puissances, idée longtemps acceptée sur la foi de sources falsifiées, doit être définitivement abandonnée. Pour le reste, nous en sommes réduits à des suppositions. Certainement il y eut action commune motivée par des intérêts communs, mais action uniquement diplomatique, se manifestant du côté des Byzantins par des envois de subsides.[66] Il ne paraît pas que, sur aucun point, les troupes byzantines, aient combattu à côté des troupes arabes. Les garnisons grecques se défendirent mollement en Apulie contre l’attaque formidable des Allemands, et sur la plage de Stilo, les bataillons sarrasins se trouvèrent seuls en présence des forces germaniques. Il est vrai que les deux chelandia byzantins du port de Rossano qui tant excitèrent l’admiration du chroniqueur Thietmar suivaient de loin les opérations des deux armées, mais, malgré qu’en dise cet historien, ils semblent avoir tenu dans cette circonstance un rôle de simple observation, non celui de belligérants. Outre les indications déjà données au cours de ce récit, voici encore quelques maigres renseignements empruntés à diverses chroniques et qui sont relatifs à l’histoire des thèmes byzantins d’Italie durant ces premières années du règne commun de Basile II et Constantin depuis 976, date de leur avènement définitif, jusqu’à la fin de 983, date de la mort d’Othon II. En 978, suivant En août 979, toujours d’après la même Chronique, un certain protospathaire Porphyrios tua l’évêque d’Oria dans des circonstances que nous ignorons. Les Annales dites de Bari placent à la même année la fondation du monastère de Saint-Benoît de cette ville par le vénérable abbé Hiéronymos.[67] Le protospathaire Lupus dit encore que vers l’année 980 le patrice Kalocyr Delphinas était à la tête de l’administration impériale en Italie. Peut-être était-ce ce catépano qui avait succédé au magistros Nicéphore? Nous ne savons presque rien de son gouvernement. Ce fut lui qui organisa la résistance à l’invasion allemande de 982. Très vraisemblablement même il avait dû être envoyé de Constantinople à cette intention avec des troupes de renfort dès qu’on y eut été informé de l’arrivée d’Othon II en Italie en 980 et de ses projets si menaçants pour la sécurité des thèmes de Calabre et d’Apulie. Les dates concordent. Kalocyr Delphinas paraît s’être acquitté assez mal de la tâche qui lui avait été confiée, puisque les villes de l’Apulie pas plus que Bari sa capitale, résidence du catépano, n’offrirent de résistance sérieuse, mais tombèrent successivement aux mains d’Othon. La déroute des Allemands au cap Colonne vint très heureusement tirer le général byzantin de la cruelle extrémité dans laquelle il se trouvait. Grâce à ce complet désastre des guerriers d’Occident, ses troupes purent rentrer aussitôt dans toutes les villes qu’elles avaient perdues. Dans un document en date du mois d’août de l’an 983, le seul que nous connaissions de ce catépano, adressé par lui à l’évêque grec Rhodostamos et conservé aux Archives de la cathédrale de Trani,[68] il déclare qu’il a été tout spécialement chargé par les très pieux basileis de recevoir à composition tous ceux qui, dans les thèmes d’Italie, désirent rentrer en grâce auprès de leurs souverains à la suite des récents événements. Il rappelle qu’il a dû faire le siège du kastron de cette cité pour la reprendre aux ennemis de ses seigneurs, et que son entreprise a été couronnée de succès. En conséquence, il confirme dans son siège ledit évêque demeuré fidèle aux basileis dans ces circonstances douloureuses. Il signe ce document de ses titres d’anthypatos, de patrice, de catépano d’Italie, et déclare qu’il y a appendu sa bulle de plomb aux types accoutumés. Bien que ce précieux parchemin ne fasse pas directement allusion aux Allemands, la date du mois d’août 983 est là pour indiquer que c’est bien sur ceux-ci que Kalocyr Delphinas a repris Trani, la garnison installée lors du passage de la grande armée impériale germanique ayant probablement tenté de tenir bon après le désastre du cap Colonne. Nous aurons à reparler, dans la suite, de ce personnage qui gouverna l’Italie byzantine jusqu’au delà de l’an 980 et qui, un peu plus tard, compta parmi les plus énergiques partisans du prétendant Bardas Phocas. Peut-être avait-il dû sa nomination en Italie à déjà très puissante à ce moment, du fameux domestique des Scholes d’Anatolie. A l’année 981, les Annales dites de Bari notent une guerre entre les habitants de Siponto et ceux d’Ascoli,[69] probablement quelque lutte sans importance et toute locale entre les milices de ces deux cités, situées à peu de distance l’une de l’autre. A l’année suivante, nous verrons un certain Sympathikios, stratigos du thème de Longobardie,[70] signer un diplôme qui est aujourd’hui encore conservé aux Archives de Naples. Ce fonctionnaire a certainement été un des lieutenants du catépano Kalocyr Delphinas dans la lutte contre les envahisseurs allemands dans ces années 982 et 983. Par la lecture de Dans mon Histoire du basileus Nicéphore Phocas, j’ai
insisté longuement sur cette question de la grécité si complète de l’Apulie
et de Ces documents, d’autres encore, malheureusement bien rares, nous font deviner combien dure et tyrannique était cette administration impériale dans ces provinces cependant si passionnément attachées à la mère patrie. Le basileus, représenté par ses impitoyables stratigoi, était un souverain sans entrailles dans son dominium. Les republicae hactionarii étaient d’une cupidité, d’une dureté intolérables. Qu’on se rappelle ce « juge des thèmes d’Italie et de Calabre » auquel saint Nil refusait de faire aucun présent et ce qui s’ensuivit. En Calabre, les soulèvements sont fréquents contre les stratigoï accablant le peuple d’impôts. La fraction latine de la population était surtout pleine d’animosité et de rancune contre ces fonctionnaires odieux. Pour tout éloge de l’évêque Byzantios de Bari, mort en 1035, le chroniqueur anonyme de cette ville disait: « Il fut un très pieux père pour les orphelins, mais il se montra terrible et sans crainte contre tous les Grecs ».[74] De là, au XIe siècle, nous le verrons plus loin, les continuels soulèvements de « conterati » ou paysans révoltés contre l’autorité centrale; de là, nous le verrons encore, la fameuse insurrection du patriote Melo qui sonna le glas de la puissance byzantine en Italie, révolte encouragée par le pape Benoît VIII et par l’empereur Henri II lui-même; de là encore, lorsque les catépanos, ne parvenant plus à assurer la frontière du nord, eurent été forcés de prendre des Normands au service de l’empire et de leur confier la garde de Melfi et de Troia, de là encore, dis-je, l’attitude d’Ardouin, leur chef, « lequel, feignant qu’il estoit dolent de la grevance que les gens de Longobardie souffroient de la seignorie de li Grex, lor promettoit de vouloir fatiguer et travailler pour lor délibération ». Les Archives de l’Italie, celles de Naples surtout,[75] si riches
encore, contiennent, on le sait, de nombreux diplômes grecs et aussi latins
aux noms des basileis byzantins. Parmi eux, un certain nombre sont contemporains
du long règne commun de Basile II et de Constantin, son frère. Ainsi, dans la
belle publication consacrée par Capasso aux documents relatifs à l’histoire
du duché de Naples,[76] se trouvent
publiés quarante et un actes, tous en langue latine, rédigés dans cette ville
sous le règne de ces empereurs, marqués, en tête, de leurs noms, datés des
années de leur commune administration. Tous en effet, sans exception, portent
en tête, au-dessus du nom du « consul et duc régnant »,[77] celui de Basile
seul ou ceux de Basile et de son frère, preuve frappante de l’état de
vassalité dans lequel se trouvait la république italienne vis-à-vis du Palais
Sacré, état de vassalité à peine modifié par l’éphémère conquête d’Othon II
lors de sa descente en Italie. Le dernier de ces documents, qui tous
concernent des intérêts privés, porte la date de 1021, soixante-cinquième
année « nostri magni imperatoris Basilii »,
soixante-deuxième année « fratris ejus Constantini
».[78] De même dans la
grande et belle publication intitulée: Napolitani (regii) archivi monumenta
edita et illustrata, sont publiés de très nombreux diplômes ayant également
trait à des intérêts privés et se rapportant à toutes les régions de l’Italie
byzantine, rédigés tous en langue latine, portant tous aussi en tête les noms
des deux empereurs.[79] Les plus anciens
portent en outre le nom de Jean Tzimiscès. Tous ces documents, je le répète,
sont d’intérêt privé, et s’ils sont très précieux pour l’étude des coutumes,
des moeurs, du droit social dans les thèmes byzantins à cette époque, ils
n’ont pas d’importance proprement historique. Quant aux diplômes italiens
rédigés en langue grecque au nom des fils de Romain j’en ai cité déjà, à
diverses pages de ce récit, un certain nombre ayant un intérêt plus
particulièrement historique. Il existe encore bien d’autres de ces documents
dans les diverses Archives de l’Italie méridionale. Un, daté de l’an 983,
précisément de l’année de la mort d’Othon II, est conservé aux Archives de
Naples. C’est un accord entre l’higoumène du fameux monastère basilien de
Saint-Pierre en l’Ile de Tarente et un certain Mousouros. Nous possédons
aussi le texte de deux autres, délivrés en Calabre en 982, année même de
l’invasion d’Othon II, l’un par un certain protospathaire Georgios, l’autre
par Sympathikios, également protospathaire et qui s’intitule « stratigos de
Macédoine, de Thrace et de Longobardie ».[80] Ces deux
diplômes avaient été primitivement rédigés en double exemplaire, en grec et
en latin. Le texte en cette dernière langue est le seul qui soit parvenu
jusqu’à nous. Nous croyons donc que si, à cette époque, le grec était devenu
depuis longtemps déjà la langue dominante en ces provinces extrêmes de
l’empire byzantin le latin cependant maintenait à ses côtés jusque dans Laissons là pour le moment les affaires de la péninsule à
partir de la mort d’Othon II, le |
[1] Voyez Un Empereur Byzantin au Dixième Siècle.
C’est par erreur, je l’ai dit déjà, que j’ai fait une seule et même personne de
ce magistros Nicéphore et son homonyme et contemporain le saint évêque Nicéphore
de Milet. Ce sont deux personnages distincts.
[2] C’est-à-dire l’Apulie.
[3] Cette triste affaire s’étant ainsi heureusement
terminée, grâce à l’intervention du saint, peut-être bien plutôt, dit Aman,
parce que le magistros ne se trouvait pas assez fort pour châtier les rebelles
aussi sévèrement qu’il l’eût désiré, toute la colère de ce dernier, poursuit
[4] Ramadhan de l’an 365 de l’Hégire.
[5]
[6] Abrâgia. Il n’est pas possible d’identifier cette
localité.
[7] « Serait-ce Vaccarizzo dans
[8] C’est du moins ainsi qu’Aman a lu le dernier nom
qui figure dans Ibn el Athir.
[9] Ainsi nommé pour le distinguer du premier saint
Nil, ancien préfet de Constantinople sous Théodose Ier.
[10] M. Diehl (L’Art Byzantin dans l’Italie
méridionale), dit qu’il a pu examiner l’Icône d’assez près et que ce n’est
autre chose qu’un fragment de fresque transporté dans la basilique avec la
pierre sur laquelle elle avait été tracée. — Dans cette ville de Rossano, qui
fut la plus formidable citadelle de l’Italie byzantine, M. Diehl, après une exploration
minutieuse, n’a trouvé à signaler qu’un seul monument vraiment intéressant de
cette époque, c’est la petite église de San Marco, construite au Xe siècle.
[11] Voyez sur l’extension du monachisme grec en
Italie, particulièrement dans
[12] Certainement les higoumènes des monastères de
Mercure.
[13] A l’égal de leurs grands amis occidentaux les
Bénédictins, les Basiliens se livraient aux travaux de la terre.
[14] Peut-être bien aussi Nil se trouvait-il poursuivi
sur la plainte de la femme dont il avait eu un enfant.
[15] Voyez dans Minasi, op. cit., les raisons
pour lesquelles ce monastère de Saint-Nazaire ne peut avoir existé dans les environs
de Seminara, comme on l’avait dit jusqu’ici, comme le dit encore Aman, op.
cit.
[16] Voyez sur l’emplacement de cette grotte: Minasi, San
Nilo di Calabria.
[17] Voyez Fr. Lenormant, Gaz. archéol.. Voyez
aussi Batiffol, op. cit. Voyez surtout dans Diehl, L’Art Byzantin
dans l’Italie méridionale, les curieux chapitres intitulés Les peintures
byzantines de
[18] Fr. Lenormant, Grande Grèce, t. I, p. 352,
appelle par erreur ce premier couvent fondé par Nil: Santa Maria del Patir. Le
fameux monastère rossanitain de ce nom ne fut fondé que vers 1100 par saint
Barthélemy. Voyez Battiffol, op. cit., pp. 5 sqq., et aussi Diehl, L’Art
Byzantin dans l’Italie méridionale,
p. 493, qui donne des renseignements assez différents.
[19] Fut-il réellement higoumène de Saint Adrien ou le
fut-il officieusement?
[20] Voici comment Lenormant a reproduit ce récit en
l’altérant étrangement (Grande Grèce, t. I, p. 353). « En 976,
Basile II et Constantin, à leur avènement au trône, envoyèrent le domestikos
Léon et le protospathaire Nicolas en mission extraordinaire, pour régler les
affaires de
[21] Il est peu probable que, comme le dit
[22] Voyez dans Minasi, op. cit., note 25, pp.
328-331, les raisons pour lesquelles il paraît fort probable que ce Vlattos ou
Vlatton était archevêque d’Otrante, vraisemblablement même le premier
métropolitain de cette église, une des nouvelles métropoles érigées par Nicéphore
Phocas en 968. Les deux seules métropoles à ce moment existantes en Calabre
étaient Reggio et Santa Severina. Cosenza ne semble avoir été élevée au rang de
métropole que vers la seconde moitié du xie
siècle. En 984, lors de l’élévation de Salerne au rang d’archevêché, une grande
partie de
[23] Domnulo ou Domnolo ou encore Donolo avait été
fait prisonnier en 925 par les Sarrasins lors de l’effroyable sac d’Oria et
nous possédons de lui un curieux récit de ces événements et de son odyssée à ce
moment.
[24] Au sujet de ce personnage,
[25] Littéralement: « mon emblème. »
[26] Voyez Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom.
[27] Depuis peu, cette influence de Théophano sur
l’esprit de son époux avait pris un développement extraordinaire, remplaçant
absolument celle de l’énergique impératrice Adélaïde.
[28] Il n’existe aucun document, dit Gregorovius,
disant que cette Théodora ait été la célèbre sénatrice romaine de ce nom, ce
qui ferait de Crescentius le fils du pape Jean X. Cette opinion est une simple
fantaisie.
[29] Peut-être ce surnom de « Franco »
indique-t-il une origine franque.
[30] Voyez dans Giesebrecht, Jahrbuch des Deutschen Reiches
unter d. Herrsch. K. Ottos II, pp. 114, 599, l’Excurs IX
sur les véritables raisons qui poussèrent Othon II à entreprendre cette
expédition fameuse et sur les prétendus droits de ce prince sur les provinces
grecques de l’Italie méridionale. Voyez encore dans Moltmann, un autre exposé
de ces mêmes motifs qui déterminèrent la campagne d’Othon II dans les provinces
grecques d’Italie. M. Moltmann estime que le jeune empereur y fut surtout
poussé par les sollicitations de l’impératrice Théophano et de l’évêque
Dietrich de Metz, son conseiller.
[31] Sur ces renforts envoyés d’Allemagne à l’empereur
dans le courant de l’an 981, voyez une très intéressante note dans Giesebrecht,
op. cit., concernant un manuscrit de Bamberg qui donne des indications
précieuses sur ce point.
[32] Dans la série des princes de Salerne il est
Pandolfe Ier.
[33] A partir du milieu de mai 978. Il est faux,
malgré le témoignage de Giesebrecht, qu’un quatrième des fils de Tête de Fer
ait eu Gaète.
[34] Nous sommes tout à fait dans l’ignorance des
circonstances qui amenèrent et accompagnèrent ce séjour de l’empereur
germanique dans la république napolitaine, séjour qui nous est connu jusqu’ici
par un unique document. Il est probable que le duc de Naples, qui était alors
Sergios III, favorable jusque-là à l’alliance byzantine, dut se résigner à
accepter celle du puissant empereur d’Occident.
[35] A la fin de 983, après la déroute d’Othon à
Stilo, les Salernitains chassèrent les deux ducs et les remplacèrent par Jean
II de Lamberto et son fils Guido. Jean II régna sur Salerne jusqu’en automne de
l’an
[36] Parmi ces sources occidentales, c’est encore
[37] Il était noble, de la famille des comtes de
Waldeck. Il mourut en 1018.
[38] C’est ainsi qu’ils désignent Othon.
[39] On conserve encore aux Archives
du Mont Cassin un document, en date d’avril 981, délivré précisément Tarente et
par lequel un certain citoyen grec de cette cité, Léon Aichmalotes, fils de
Jannitzi, et ses fils, les prêtres Christophore et Kalocyr, en vue de la
rédemption de leurs péchés, font une donation (dimidium
vivarii, quod a vivario curticis Protopapae non aberat) au célèbre et vénérable
monastère des Saints Pierre et Paul de Tarente, aussi nommé monastère de Saint
Pierre Impérial ou de Saint Pierre-en l’Ile, ou des Saints Apôtres. Les donateurs,
au cas où ils révoqueraient dans la suite cette donation, appellent sur leurs
propres têtes les malédictions du Père, du Fils, du Saint-Esprit, de notre mère
la sainte Théotokos et des trois cent dix-huit saints pères de l’Eglise.
Ce
document, daté du règne des grands basileis et autocrators Basile et
Constantin, a été rédigé de la main de Grégoire Courtice, catépitrope,
protopapas et taboularios dudit kastron de Tarente.
Les mêmes Archives
possèdent un autre document, du mois de janvier de l’an 984, qui est un accord
entre le très pieux higoumène Syméon, du même monastère, et divers autres
personnages, accord rédigé par les mêmes fonctionnaires.
[40] Ou Basente.
[41] Thietmar qui raconte ce fait ajoute ce renseignement
curieux, que ces deux navires, qu’il appelle salandria, des « salandres », corruption évidente de «
chelandia », avaient été jadis, sous le règne de Nicéphore Phocas, expédiés en
Calabre par ordre de cet empereur pour y recevoir l’argent du tribut annuel de
la province.
[42] Aman dit le 15. Thietmar donne la date du 13 « tertio idus Julii ».
[43] L’appellation grecque Stilo répond à celle de
Colonne.
[44] Amari estime qu’il ressort des particularités
tant de la retraite d’Abou’l Kassem que de la fuite d’Othon que la bataille du
15 juillet dut avoir lieu en plus à l’ouest, certainement sur le rivage de la
mer Cotrone,
[45] Bulcassimus, Bullicasimus, Bullicassinus, Bullcassim.
[46] Les sources différent ici quelque peu. Thietmar
et Ibn el Athir font remporter la victoire immédiatement à cet escadron
sarrasin du centre, enfoncé puis rapidement rallié. Le moine de Saint-Gall et
la plupart des autres sources donnent le récit plus probable de deux combats successifs,
un premier où les Allemands furent vainqueurs, l’autre qui vit leur déroute. C’est
à cette deuxième version que je me suis rallié.
[47] C’est sans aucun fondement qu’on a longtemps, sur
le témoignage de Sigonius, fixé l’emplacement de cette bataille historique en
une localité du nom de Basentello qu’on plaçait sur la rive du Basiento. Voyez
Giesebrecht, op. cit., p. 849, et Aman, op. cit., II, fin de la note de la page
3. Quant à l’indication du site de Squillace fournie par
[48]
[49] C’est l’opinion d’Amari. Giesebrecht estime que
la très importante famille juive des Kalonymus établie vers l’an 1000 à Mayence
et à Spire fut la descendance de cet obscur et sublime héros, transportée en
Allemagne par l’empereur reconnaissant.
[50] Alpert, qui écrivait sa Vie de Thierry (Vita Theodorici) vers 1005, dit qu’Othon s’était préalablement
déshabillé et que l’officier slave dont il va être question, lui donna plus
tard ses propres vêtements.
[51] Soldats de marine.
[52] Voyez Amari. En raison même de ces deux noms,
Thietmar désigne encore plus bas cet officier sous le nom de « Binomius. »
[53] Ici j’ai suivi également le récit d’Alpert dans
sa Vita
Theodorici. Thietmar dit
seulement que le Slavon reconnut l’empereur: que celui-ci, après avoir
longtemps cherché à cacher qui il était, finit par se nommer au protocarabos,
et lui demanda de le débarquer à Rossano pour qu’il pût y prendre sa femme et
son trésor avant de quitter à jamais cette terre maudite où il était venu pour
ses péchés. « Nous irons alors à Constantinople, dit-il, avec tous mes trésors,
et les très pieux basileis mes beaux-frères m’y feront le meilleur accueil dans
ma détresse et récompenseront largement celui qui aura sauvé les jours de leur
allié. » Le Grec, ayant accepté, mit à la voile pour Rossano. A partir de là,
les deux récits concordent. Dans l’un comme dans l’autre, les Grecs sont joués
par Othon qui leur brûle la politesse dès l’arrivée du bâtiment byzantin devant
Rossano.
[54] Dans d’autres récits, cette file de bêtes de
somme se réduit à un cheval de prix qu’on amène pour l’empereur. L’évêque paraît
sur le rivage avec ce cheval et quelques serviteurs. Aussitôt qu’il l’a aperçu,
sans attendre sa visite, Othon saute dans la mer. — Dans le récit d’Alpert,
l’évêque n’accourt d’abord qu’avec deux seuls serviteurs, Itupo et Richizo,
pour ne pas éveiller les soupçons des Grecs.
[55] Les récits des historiens arabes concordent avec
celui de Thietmar pour les premiers épisodes comme pour la fuite d’Othon.
D’autres historiens ont raconté les faits un peu différemment. Puis sont venues
les interpolations de Pratilli à
[56] .Jean Diacre, le chroniqueur vénitien, dit que
l’empereur fut retenu trois jours en tout sur le chelandion byzantin. Alpert a
donné beaucoup de détails évidemment inventés; tels les exploits des deux
compagnons de l’évêque de Metz, Itupo et Richizo, sur le pont du chelandion byzantin.
[57] Il est fort curieux de remarquer, dit cet auteur,
qu’à partir de ce moment et jusqu’au mois de juillet de l’année suivante, le
nom de l’impératrice ne figure plus sur aucun diplôme impérial à côté de celui
de son époux, comme c’était si souvent le cas auparavant. —Moltmann fait la
même remarque et accuse aussi l’évêque de Metz d’avoir fait tout le mal. Toute
cette histoire de la querelle des cieux époux et de la part d’influence de
Théophano dans cette expédition est bien obscure, de même les raisons de la
brouille de l’impératrice avec l’évêque de Metz.
[58] Fr. Lenormant,
[59] Le vie du saint grec sicilien Sabas le Jeune
raconte qu’Othon emmena comme otage le fils du prince de Salerne et que saint
Sabas, sur les supplications de ce dernier, se rendit à Rome et obtint de l’empereur,
qui s’y trouvait en ce moment, qu’il relâchât son prisonnier. Saint Sabas le
Jeune vint encore une fois à Rome, cette fois-ci pour y mourir en février 975.
Il fut hébergé au monastère de Saint César de la voie Appienne et fut bien
accueilli par l’illustre Jean de Plaisance, chancelier de l’empire germanique,
qui se trouvait en ce moment dans
[60] Voyez Giesebrecht pour tous ces récits
légendaires qui ont petit à petit transformé la déroute de Stilo en une
victoire complète des Allemands. Voyez surtout le premier de ces excurs pour l’étude et la critique des sources
authentiques concernant l’histoire de l’évasion quasi miraculeuse d’Othon. Au
moyen âge cette légende de la victoire complète des Allemands était si bien
enracinée qu’Othon II était connu surtout sous le surnom de Pallida mors
Sarracenorum. — Voyez aussi dans l’Excurs XIII
les considérations sur le prétendu banquet sanglant célébré à Rome par Othon sanguinarius, ivre de vengeance.
[61] Le chroniqueur dit par erreur « Darius »
[62] Lors de la reconstruction de cet édifice par le
doge Pierre Orseolo, le Chronicon Venetum dit qu’un tableau d’or et
d’argent fut commandé à Constantinople.
[63] L’inscription funéraire de ce souverain pontife
se voit encore dans l’église de Santa Croce.
[64] Sur le tombeau d’Othon II, voyez Gregorovius.
[65]
[66] Les Arabes « soudoyés par Basile »,
battirent Othon au cap des Colonnes (Chronicon venetum navale).
[67] Voyez Hirsch, De Italiae inferioris
annalibus.
[68] Voyez Beltrani.
[69] « Hoc anno fecerunt bellunt Sipontini et
Asculenses in vado Somilo. »
[70] C’était, on le sait, le nom officiel de l’Apulie.
[71] Voyez dans Beltrani, op. cit., un très
curieux bref latin conservé aux Archives de la cathédrale de Trani, daté du
mois d’avril de la huitième Indiction de la dix-septième année du règne de
Basile II et de Constantin (avril 976), promulgué au nom de Jean, archevêque de
Canosa et Brindisi, concernant un certain Maraldus, fils du spatharocandidat
impérial Inquintos (?). Voyez ibid., un autre acte en latin, conservé
aux mêmes Archives, daté de la quarante-troisième année du règne de nos deux
basileis, par lequel Smaragdos, juge de la cité de Trani, confirme un document
daté de la vingtième année desdits empereurs (979), dans lequel il est question
de Musando (?), fils de ce Maraldos.
[72] Cependant, d’après le document adressé à l’évêque
de cette ville par Kalocyr Delphinas, document cité auparavant, il semble bien
qu’à ce moment du moins cet évêché fût grec. Voyez Beltrani.
[73] Page xviii
de l’introduction.
[74] « Fuit piissimus pater orfanorum, atque terribilis
et sine metu contra omnes Graecos »
[75] Archives royales. Bibliothèque de
[76] Monumenta
ad neapolitani ducatus historiam pertinentia, Naples,
1881.
[77] Voici, d’après Capasso, la série des ducs de
Naples sous le long règne de Basile II et Constantin: Marinus II, fils de Jean,
anthypatos impérial et patrice, 969-976. Sergios (III) avec son fils, 977-998.
Jean (IV), 998-1005 (à partir de 1002 s’associe son fils Sergios), Sergios (IV)
fils du précédent,
[78] La formule ordinaire
est: « Imperante d. n. Basilio m. i. an... sed et Constantino m. i. fratre
ejus an... »
[79] Voici un exemple de
suscription: « In nomine domini Dei salvatoris nostri Jhesu Christi
Imperante domino nostro Basilio magno imperatore anno decimo (970) sed
et Constantino magno imperatore fratre ejus anno septimo. »
[80] Comment ce fonctionnaire, en devenant stratigos
d’un thème italien, avait-il pu conserver en outre l’emploi si considérable de
stratigos des deux thèmes de Thrace et de Macédoine, ce dernier thème si
important?