Commencements de Jean sans Terre. — Il trahit son père Henri II et son frère Richard Cœur de Lion. — Despotisme et chute de Guillaume Longchamp. — Retour de Richard en Angleterre. — Soumission de Jean. Henri Plantagenêt avait eu d'Aliénor d'Aquitaine cinq fils, Guillaume, Henri surnommé Court Mantel, Richard Cœur de Lion, Geoffroi et Jean. Devenu rainé par la mort prématurée de Guillaume, Henri fut de bonne heure associé au trône et couronné, sous les yeux de son père, comme roi d'Angleterre et duc de Normandie. La Touraine et l'Anjou revenaient de droit au premier-né des Plantagenêts ; l'Aquitaine à Richard, la Bretagne à Geoffroi ; Jean seul, le dernier venu, n'avait rien à attendre de cette riche succession ; aussi les Anglais l'avaient-ils surnommé Lackland, c'est-à-dire sans Terre, et l'histoire a conservé ce surnom-au roi lâche et malhabile qui recevait, à son avènement, l'Angleterre, l'Irlande, la moitié de la France, et qui mourut sans couronne, chassé du continent, étranger dans son royaume, détrôné par ses sujets. Cependant son père et sa mère, Henri II et Aliénor, si hostiles l'un à l'autre, si divisés dans leurs amitiés et dans leurs haines, s'étaient singulièrement rencontrés pour mettre en lui toute leur complaisance. C'était pour lui que Henri Il avait fait sa plus célèbre conquête ; Jean avait douze ans tout au plus lorsque son père, en vertu d'une bulle du pape qui l'autorisait à conférer à l'un de ses fils la seigneurie de l'Irlande, investit solennellement le prince Jean de cette dignité, dans un grand conseil réuni à Oxford. Quelques années après, le jeune prince fut envoyé dans cette île pour faire l'épreuve de ses talents politiques et militaires ; au bout de neuf mois, l'Irlande était en feu, les Anglais partout repoussés et la conquête manifestement compromise ; Jean fut rappelé. Cette malheureuse expérience, qui devait éclairer la prudence du roi, ne put ébranler la partialité du père ; Henri Court Mante ! étant mort peu de temps auparavant, le bruit courut en Angleterre, et Richard fut autorisé à croire que la prédilection marquée de Henri II destinait la couronne au seul de ses fils qui ne se fût pas armé contre lui. L'âge seul, la faiblesse de ses moyens, et non la piété filiale, avaient empêché Jean d'être un rebelle comme ses frères ; l'amour et la reconnaissance de son fils puîné fut une dernière illusion que le malheureux père ne put même pas emporter dans la tombe. En 1188, une nouvelle guerre éclatait entre Henri II et Richard, soutenu par Philippe Auguste ; le vieux roi fuyait de ville en ville, du Mans à Amboise, d'Amboise à Tours, et en même temps il faisait jurer au sénéchal de Normandie de remettre au prince Jean les châteaux de sa province. Enfin, comme il sentait venir l'heure de la mort, il s'arrêta pour obtenir de Philippe Auguste non pas une paix glorieuse, mais une trêve de quelques jours, qui lui permit de mourir en repos. Dieu voulut qu'il demandât la liste des barons qui s'étaient joints au roi de France : le premier nom qui frappa ses yeux fut celui de son fils Jean ; il n'en lut pas davantage. Trois jours après, il expirait à Chinon, appelant la vengeance du ciel sur ses fils parricides, sur le dernier surtout, le plus ingrat et le plus lâche. La reine Aliénor triomphait. Les chroniques racontent que Richard, le cœur plein de remords, étant venu s'agenouiller près du corps de son père, le sang coula des narines du cadavre, et que Richard, saisi d'horreur, se prit à pleurer amèrement. Jean n'exposa pas son forfait à ce sinistre témoignage ; il ne croyait devoir à la mémoire de son père ni ses larmes, ni ses prières, ni le remords de sa conscience. Si Richard avait de grandes fautes à expier, il avait le cœur haut et chevaleresque ; il partit bientôt pour cette fameuse croisade, où la gloire qu'il acquit parmi les chrétiens, et la terreur qu'il sema jusqu'au fond de l'Orient, effacèrent le pénible souvenir de ses premières années. Pendant son absence, les barons anglais, livrés à eux-mêmes, commencèrent à porter la main sur l'administration du royaume. Jean, sourdement hostile à son frère, comme il avait. été rebelle à son père, bien loin de soutenir les droits de l'autorité royale, excitait dans l'ombre les chefs de l'aristocratie, préparant ainsi les chaînes dont les barons, par un juste retour, devaient, quelques années plus tard, le charger lui-même. Il sacrifiait la royauté, voulant être roi. Deux obstacles le séparaient du trône où il aspirait à monter, Richard son frère, et son neveu Arthur de Bretagne, fils de Geoffroi ; mais celui-ci n'était qu'un enfant, et Richard était bien loin : on avait vu si peu de gens revenir de la croisade ! Celui qu'on avait appelé Jean sans Terre pouvait hardiment répudier ce surnom de mauvais augure ; comte de Mortagne en Normandie, comte de Cornouailles, de Dorset, de Somerset, de Glocester, de Derby, de Lancastre, de Nottingham, en Angleterre, il possédait environ le tiers du royaume. Mais la dédaigneuse libéralité de Richard qui, pour condescendre aux prières de la vieille reine Aliénor, lui avait fait cette riche fortune, n'avait eu garde de confier à ses mains suspectes le dépôt de l'autorité royale. Un Normand de naissance obscure, Guillaume Longchamp, rapidement porté par la faveur du maitre au faite des honneurs, chancelier d'abord, puis évêque d'Ely, justicier d'Angleterre, enfin légat du Saint-Siège, avait reçu les pleins pouvoirs du roi partant pour la croisade. Orgueilleux, insolent et avide, cet homme qui, suivant l'expression d'un chroniqueur, était à la fois le roi et le pontife de l'Angleterre, déployait un faste indigne d'un évêque ; jamais il ne voyageait qu'entouré d'hommes d'armes, suivi de quinze cents cavaliers et d'une foule de clercs. Pour alimenter un tel luxe, églises, abbayes, châteaux ; manoirs, tout passait, tout fondait entre ses- mains ; enfin, il n'est sorte de pratiques infâmes où Guillaume Longchamp n'abaissât toutes ses dignités : le ministre de Richard Cœur de Lion, le représentant du souverain pontife se fit usurier : il prêta au mois ! Quelque redoutable que fût le despotisme de cet homme, les barons indignés résolurent de le renverser à la première occasion : c'était là que Jean les avait attendus. Des espions, qu'il avait auprès de Richard, l'avertissaient que, dans ses relations avec le pape et le roi de Sicile, Richard désignait Arthur comme l'héritier présomptif du trône. Chasser le régent avec l'aide des barons et se mettre à sa place, tel était le projet du prince ; de la régence à la royauté, le pas lui semblait facile à franchir. Le début fut heureux ; tandis que Longchamp assiégeait dans Lincoln un certain Gérard de Camville, qui avait encouru sa disgrâce, Jean, à la tête d'une armée nombreuse, surprit deux forteresses importantes ; pris au dépourvu, le régent se vit forcé de capituler ; on convint qu'un certain nombre de châteaux seraient livrés à la garde de plusieurs barons, pour être remis au comte Jean, si le roi venait à mourir. Ce premier succès enhardit les conjurés, à qui l'imprudence du chancelier donna bientôt une victoire complète. Un fils naturel de Henri II, nommé Geoffroi, avait été nommé à l'archevêché d'York ; mais la mauvaise volonté de Richard l'avait empêché jusque-là de prendre possession de son siège. Encouragé par les barons et soutenu par le pape, il se fit sacrer par l'archevêque de Tours ; après quoi il partit pour l'Angleterre et débarqua à Douvres. Mais le chancelier avait pris contre lui les dispositions tes plus menaçantes. Accueilli comme un rebelle et sans moyens pour se défendre, l'archevêque s'était réfugié dans le prieuré de Saint-Martin, au pied des autels. Après un siège de quelques jours, l'enceinte sacrée fut forcée, l'église envahie par une multitude armée d'épées et de bâtons, le prélat, l'étole au cou et la croix à la main, arraché violemment du sanctuaire, traîné par les jambes, sa tête heurtant le pavé, jusqu'au château de Douvres. Mais alors les barons et le clergé s'émurent, et Longchamp effrayé rendit la liberté au captif. Il était trop tard. Jean, se prenant tout à coup d'une belle affection pour ce frère, qu'il avait renié jusqu'alors, écrivit à tous les évêques et à tous les barons de se trouver réunis au pont de Loddon, entre Reading et Windsor, le premier samedi après la fête de saint Michel, pour aviser aux grandes et difficiles affaires du roi et du royaume. En -vain le régent s'efforça de détourner l'orage sur la tête du prince, dont il accusait l'ambition et les secrètes menées ; cette grande conjuration, fomentée par le comte Jean, prétendant à la couronne d'Angleterre, tint ses assises presque au même lieu où, vingt-cinq ans plus tard, le roi Jean devait subir la volonté des mêmes barons et des mêmes prélats, fondateurs de la Grande Charte. D'abord les évêques, solennellement réunis, lancèrent l'excommunication la plus terrible, à la lueur des cierges, contre tous ceux qui, de près ou de loin, avaient pris part au sacrilège attentat commis sur la personne de l'archevêque d'York ; puis, devant tous les barons, fut produite une certaine charte royale, dont l'histoire peut à bon droit suspecter l'origine, mais qui n'en est pas moins une pièce importante dans ce grand procès engagé entre la royauté et l'aristocratie féodale. Le roi, dit Matthieu Pâris, écrivait en ces termes aux nobles d'Angleterre : Le roi Richard à Guillaume Marshall, à Geoffroi Fitz-Peter, à Henri Bardolf et à Guillaume Briwere, salut. S'il arrive que notre chancelier, à qui nous avons confié le gouvernement de notre État, ne s'acquitte pas fidèlement de ses devoirs, nous ordonnons que vous décidiez comme vous l'entendrez de toutes les affaires du royaume. Une autre lettre, adressée aux mêmes barons, enjoignait aux membres du conseil de régence de prendre en toutes choses l'avis de Guillaume, archevêque de Rouen. Ainsi se trouvait garantie l'alliance de la noblesse et du clergé. Le chancelier cependant avait rassemblé une armée formidable ; mais le cœur lui faillit au moment d'agir : abandonnant ses troupes à Windsor, où il ne se croyait pas en sûreté, il essaya d'intéresser à sa cause les bourgeois de Londres, qui lui montrèrent un visage hostile ; à peine eut-il le temps de se jeter dans la Tour, qu'il avait fortifiée. Déjà les barons se présentaient aux portes de la ville ; il y eut là quelque tumulte ; des chevaliers de la suite du chancelier, armés de toutes pièces, se jetèrent l'épée nue sur le comte Jean et lui tuèrent ou blessèrent un peu de inonde. Mais, le comte et les barons ayant juré d'être fidèles à Richard et de maintenir les franchises de la Cité, les bourgeois firent cause commune avec eux, et les rares défenseurs du chancelier ne songèrent plus qu'à se perdre dans la foule. Le lendemain, le comte Jean, les deux archevêques, les évêques, les barons et les comtes se réunirent dans l'église de Saint-Paul avec le chancelier lui-même ; après de longs débats, tous les membres de l'assemblée sans exception, Jean le premier donnant l'exemple, jurèrent fidélité au roi Richard. Le jeudi suivant, une conférence eut lieu dans la partie orientale de la Tour ; on y déclara d'une commune voix qu'on ne pouvait plus souffrir la domination d'un homme qui tramait à l'ignominie l'Église de Dieu et le peuple à la misère. Car le chancelier et ses satellites avaient tellement pillé les richesses du royaume, qu'aux chevaliers ils avaient enlevé leurs baudriers brodés en argent, aux femmes leurs colliers, aux nobles leurs anneaux d'or, aux juifs leurs marchandises précieuses. Ils avaient à ce point vide le trésor même du seigneur roi, qu'au bout de deux ans à peine, on n'avait plus rien trouvé que les clefs aux cassettes et des sacs vides dans les coffres. Il fut résolu en conséquence que tous les châteaux dont le chancelier avait arbitrairement confié la garde à ses satellites seraient remis aux barons, à commencer par la Tour de Londres. Guillaume Longchamp, ayant juré d'obéir à toutes ces
décisions, quitta la Tour avec toutes ses richesses, le jeudi de la semaine
suivante, et se rendit à Bermundshea, de l'autre côté de la Tamise. Ses deux
frères Henri et Osbert restaient comme otages, et lui-même avait juré de ne
point sortir du royaume avant que la remise de tous les châteaux fût
accomplie. Il se rendit ensuite à Cantorbéry, où il
déposa, pour prendre le signe du sacré pèlerinage, la croix de légat qu'il
avait portée un an et demi, depuis la mort du pape Clément, au grand
préjudice de l'Église de Rome et de celle d'Angleterre. Cela fait, il se
dirigea vers Douvres, accompagné de l'évêque Gilbert et de Henri de
Cornouailles, vicomte de Kent. Là, dans l'espoir de tromper les yeux des
matelots, il imagina une ruse nouvelle et peu digne ; d'homme il se fit femme,
et changea le vêtement sacerdotal pour l'habit d'une coureuse, une robe
verte, une cape de même couleur, un voile sur la tête ; puis il descendit
vers la mer, portant, comme une marchande, une pièce de toile sous le bras.
Ainsi accoutré, le prélat s'était assis sur une pierre du rivage, attendant
un vent favorable. Un matelot s'approcha ; voyant une femme, il voulut
badiner avec elle ; mais quelle surprise ! cette femme portait un
haut-de-chausses. Lui aussitôt de crier : Venez, venez tous ! une chose
prodigieuse, un homme en femme ! La foule accourt, se presse autour de la
fausse marchande : on lui demande malignement le prix de la toile qu'elle
porte avec elle. Point de réponse ; le malheureux Normand ne sait pas un mot
d'anglais. Là-dessus les femmes se concertent, s'animent, et, soupçonnant
quelque ruse, elles soulèvent le voile qui lui cache le bas de la figure ; à
peine ont-elles aperçu ce visage noir, cette barbe fraîchement rasée,
qu'elles se mettent à. vociférer à leur tour : Holà ! ici ! lapidons ce
monstre qui déshonore votre sexe et le nôtre. Aussitôt il se fait un
grand concours d'hommes et de femmes ; on lui arrache son voile ; on le
renverse, on le traîne ignominieusement par les manches, par le capuce, tout meurtri,
sur le sable et sur les pierres. Ses serviteurs accourent pour délivrer leur
maître : impossible. La populace, avec une joie féroce, ne se lasse pas de le
poursuivre de place en place, de rue en rue ; les injures, les soufflets, les
crachats pleuvent sur lui ; pour en finir, on l'enferme dans une cave sous la
prison de la ville. Plût à Dieu, ajoute le moine chroniqueur, que l'homme
seul eût souffert des outrages du peuple, et que la dignité sacerdotale eût
été respectée ! Celui qui avait traîné l'archevêque d'York fut traîné de même
sorte ; celui qui l'avait saisi, enchaîné, emprisonné, fut saisi, enchaîné,
emprisonné à son tour, afin qu'à l'énormité du crime fût mesurée la grandeur
du châtiment. Enfin, après avoir ainsi compromis les otages et violé son
serment de ne pas sortir du royaume avant que les châteaux fussent rendus, le
chancelier passa la mer et se retira en Normandie. C'était une chute mortelle pour la vanité du personnage ; il eut cependant l'audace de reparaître, encouragé sans doute par le comte Jean, avec lequel il renoua de secrètes intrigues. Cette révolution, qui comblait les vœux de la nation anglaise, avait plutôt entravé que servi les projets de l'ambitieux fils d'Aliénor. Ce n'était pas pour se voir forcé, par deux fois, de prêter un serinent solennel de fidélité au roi Richard, que Jean sans Terre avait poussé à la ruine du chancelier Longchamp. Il est vrai, d'un autre côté, qu'en renversant le despotisme du chancelier Longchamp, la nation anglaise n'avait pas entendu travailler pour le despotisme de Jean sans Terre. Elle voulait mettre un frein à l'autorité de Richard, mais elle aimait ses qualités brillantes ; elle jouissait de la gloire incomparable que la valeur du roi chevalier faisait rejaillir sur l'Angleterre aux yeux de l'univers chrétien et musulman. Cet amour se manifesta d'une manière éclatante lorsqu'on apprit tout à coup que, jeté par la tempête sur les côtes de Dalmatie, Richard était retenu prisonnier en Allemagne. L'élan fut universel ; le clergé, les barons, le peuple, tous renouvelèrent spontanément leur serment d'allégeance ; de toutes parts, on donnait, on recueillait de l'argent pour la rançon de l'illustre captif. Un seul homme se réjouissait ouvertement du malheur qui frappait son roi, son frère. A la première nouvelle de cette catastrophe, Jean s'était rendu en toute hâte à Paris, auprès de Philippe Auguste, et lui avait fait hommage pour les possessions continentales de la couronne d'Angleterre ; puis, tandis que le roi de France envahissait la Normandie jusqu'à Rouen, il était retourné à Londres avec une troupe de mercenaires, espérant enlever, par surprise ou par intimidation, cette couronne tant convoitée. Mais, suivant le mot de Richard, qui connaissait bien la lâcheté de son frère, Jean n'était pas homme à réussir par la force quand la force lui était opposée. La vue seule de l'étendard royal, que tenaient haut et ferme les prélats et les barons, fit évanouir ses velléités belliqueuses ; il se rejeta dans l'intrigue. De concert avec son allié Philippe Auguste qui, lui du moins, était dans son rôle de roi de France, il offrit à l'avide empereur d'Allemagne, Henri VI, de lui garantir une somme plus forte que celle qui avait été fixée pour la rançon du roi d'Angleterre, ou de lui payer Vingt mille livres par chaque mois d'emprisonnement. La loyauté des barons allemands mit un terme à ces honteuses négociations ; Richard fut libre. Une foule considérable l'attendait au Port de Sandwich ; de Sandwich à Cantorbéry, où il visita pieusement le tombeau du bienheureux Thomas, et de Cantorbéry à Londres, son voyage fut un triomphe. Jean n'avait plus un seul adhérent dans le royaume ; de ses nombreux châteaux, celui de Nottingham seul fit quelque résistance. Cependant, avant de le poursuivre sur le continent où il s'était réfugié, Richard, devant le grand conseil du royaume réuni à Nottingham, l'accusa solennellement de trahison, ainsi que l'évêque de Coventry, Hugues, son conseiller intime ; l'un et l'autre furent sommés de comparaître dans un délai de quarante jours, sous peine de proscription et de confiscation. Pendant ce temps, Richard, cédant au conseil des grands de son royaume, se fit couronner de nouveau à Westminster par Hubert, archevêque de Cantorbéry. Enfin, le délai fatal étant expiré sans que le prince accusé de trahison et son complice se fus- sent présentés devant le conseil, le roi s'embarqua à Portsmouth et passa en Normandie. Au moment où il abordait, un homme était à genoux sur le rivage, les mains tendues vers lui, et pleurant amèrement, non de hante, mais de terreur. Jean se frappait la poitrine, accusant un peu sa faiblesse, beaucoup les mauvais conseils, plus encore la fatalité et ce qu'il appelait hardiment l'opinion commune ; il n'avait pu, disait-il, agir autrement : on croyait que le roi ne reviendrait pas. Richard, cœur généreux, releva son frère en pleurant, et lui pardonna ; il parut même lui rendre, sa bienveillance, sinon sa confiance et son estime. Jean n'était qu'à moitié satisfait ; non pas qu'il regrettât l'estime et la confiance de son frère, mais il se retrouvait encore une fois Jean sans Terre, et il regrettait ses châteaux, que Richard avait nettement refusé de lui rendre. Cependant, un peu plus tard, il les recouvra, grâce à l'influence de la vieille reine Aliénor. |