LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LE SÉNAT.

LE SÉNAT SOUVERAIN DU PRINCIPAT.

 

 

Le conseil de la cité romaine, auquel il appartenait seulement, d’après les institutions primitives, de confirmer les résolutions du peuple et de conseiller la magistrature dans ses décisions, a fini par arriver, au cours de l’évolution de la République, à dominer l’État, à réduire pratiquement le droit de résolution du peuple souverain à une formalité et à lier le droit de décision de la magistrature à sa consultation préalable et à son assentiment pour toutes les questions importantes qui ne rentraient pas directement dans le pouvoir exécutif. Sous la constitution de Sulla, il a été définitivement émancipé de la magistrature par l’établissement de l’inamovibilité des sénateurs.

Les contrastes s’attirent entre eux. La réalisation du gouvernement des optimates provoqua comme réaction une émancipation de la magistrature par rapport au sénat, qui, avec la dictature de César, aboutit à une autocratie théorique et pratique complète.

L’organisation politique d’Auguste est un compromis. Elle met l’un à côté de l’autre le gouvernement de Sulla, d’une part, et, d’autre part et surtout, l’autocratie de César. Les deux institutions sont en principe inconciliables ; mais cependant, dans les trois siècles qui s’étendent de la bataille d’Actium à Dioclétien, sinon l’équilibre, auquel on n’a jamais pu arriver, du moins la coexistence du gouvernement impérial et de celui du sénat a formé le régime constitutionnel. Le souvenir du pouvoir illimité exercé par le sénat à la fin de la République n’a pas disparu durant ce long statu quo[1], où le peuple, oublié comme titulaire de la souveraineté, ne figure que comme représenté par le sénat. Les crises dans lesquelles le sénat a cherché à se débarrasser de la prédominance du prince[2] ou dans lesquelles au contraire celui-ci s’est mis en voie de se débarrasser complètement d’un co-gouvernant toujours incommode[3] n’ont pas non plus fait défaut. Naturellement la conformation pratique de la dyarchie, qui n’a pas plus de base formulée que le gouvernement antérieur du sénat, a subi l’influence de l’individualité des divers souverains encore plus fortement que ce n’est le cas pour une monarchie pure. Puis, après que le compromis eut été dénoncé et que Gallien eut exclu les sénateurs des hauts postes militaires et en même temps de la participation au pouvoir[4], les deux tertres extrêmes, constitués par les princes qui gouvernaient sans le sénat et contre lui et par ceux qui ne voulaient être que ses généraux, ont alterné pendant quelques dizaines d’années jusqu’à ce que la monarchie gréco-orientale n’acquit une base solide sous Dioclétien par le transfert hors de Rome du centre de gravité de l’empire et qu’une classe sénatoriale appropriée à cette monarchie ne fût introduite sous le gouvernement de Constantin[5]. — Nous devons ici tracer le rôle politique que joue le Sénat sous le Principat, comme nous avons l’habitude d’appeler la dyarchie d’après son élément le plus fort ; nous le ferons d’ailleurs en laissant de côté nue portion pratiquement importante de la part prise par le sénat au gouvernement, les privilèges des sénateurs et spécialement leur droit exclusif aux magistratures militaires (p. 72) et en restreignant notre exposition aux droits exercés par le corps lui-même sous le Principat. Quoique ces droits aient déjà tous trouvé leur place, soit par opposition, dans l’étude dû Principat, soit par corrélation à l’étude des pouvoirs du sénat de là République ; dans les chapitres qui précèdent, il nous a dépendant paru à propos de rassembler ici dans une récapitulation les contrastes du gouvernement impérial. Avant de décrire les droits propres du sénat du Principat, nous allons exposer la situation occupée théoriquement et terminologiquement par le sénat du Principat soit en face de la magistrature et du peuple de la République, soit en face de la puissance impériale.

Relativement à la magistrature de la République, il n’y a rien de changé. Ce qui est la conséquence et le signe distinctif du gouvernement sénatorial républicain, l’effacement dans le sénatus-consulte de l’élément représenté par la magistrature, la transformation du décret, pris par le magistrat d’accord avec la majorité du sénat, en un acte du corps, dans lequel le président joue à peu près le même rôle que le président moderne dans une résolution du parlement, subsiste sans modification sous le Principat, même lorsque c’est l’empereur qui préside[6]. Le changement plus fréquent du président a même dû nécessairement avoir pour résultat pratiqué de rabaisser encore son influence sur la marche des affaires.

Par rapport aux comices, le sénat ne conserve pas seulement les droits qui lui avaient été attribués par Sulla : il se met progressivement à leur place. Tandis que, du temps de la République, lorsque la loi et le sénatus-consulte sont rapprochés, la première est mise légalement au premier rang[7], à moins que l’ordre inverse ne soit justifié par un rapport chronologique ou de causalité[8] ; tandis qu’à cette époque, on distingue rigoureusement l’action du sénat et celle des comices en ce sens que le sénat peut bien accomplir un acte obligatoire pour le peuple, mais non faire de cet acte un acte du peuple, les deux points deviennent terminologiquement incertains dans la période de transition qui conduit au Principat. Des affirmations matérielles, concernant l’État en général, sont rapportées dans des sénatus-consultes, certainement aux derniers temps de la République et peut-être beaucoup plus tôt ; au sénat et au peuple, de telle sorte que le premier s’exprime pour le compte du second[9], les deux étant rassemblés comme une unité et gouvernant par suite le singulier, et le peuple étant même mis le plus souvent au second rang comme étant la partie représentée. Non seulement le langage habituel suit cet usage, tout au moins dès le temps de Cicéron, et écrit senatus populos que Romanus, en le faisant suivre du singulier, partout où le sénat et le peuple sont réunis sans distinction et où il s’agit de l’État sans égard à l’action spéciale de l’une ou l’autre des parties[10] ; mais on a même rapporté, en partant de l’idée que l’acte du sénat peut être regardé en même temps comme un acte du peuple[11], les résolutions du sénat à ce double facteur[12]. Cette mise en parallèle du peuple et du sénat et le premier rang attribué au second, même lorsqu’il ne parle pas lui-même et n’est donc pas au premier plan en qualité de principal acteur, sont contraires à la nature de l’institution et étrangers au langage ancien[13]. On peut observer chez Cicéron lui-même, comment la substitution du senatus populusque Romanus au populus Romanus marche de conserve avec le développement de la souveraineté du sénat[14]. Lorsque cette souveraineté est arrivée, sous le Principat, à une reconnaissance en forme, la double désignation acquiert également un caractère officiel. L’acte concret de l’assemblée ne peut naturellement pas être rapporté au populus[15], et le senatus consultum traditionnel subsiste ; mais lorsque le sénat dédie quelque chose[16] ou fonctionne comme corps électoral[17] il est désormais appelé et s’appelle lui-même officiellement senatus populusque Romanus. Le peuple et l’État, le populus et la res publica sont devenus des notions idéales[18] qui n’ont plus d’autre expression réelle ni d’autre forme pratique que le sénat.

On évite en général de donner une expression, formelle au rapport existant entre le sénat et l’empereur. Si, dans les solennités publiques extraordinaires, telles que la réception des princes étrangers à Rome[19], l’entrée solennelle[20] et les funérailles de l’empereur[21], le sénat est distingué d’une manière analogue à celle dont il l’était depuis la période intermédiaire de la République dans les fêtes populaires, il est simplement signalé par là comme l’ordre le plus élevé : la même chose avait lieu pour les chevaliers. Naturellement on ne s’efforçait pas d’afficher clairement aux yeux du public la coordination de deux pouvoirs les plus élevés, le double gouvernement de la personne et de la corporation. Il n’est pas exprimé dans les titres officiels de l’empereur, ou du moins il ne l’est que négativement : l’empereur est appelé pater patriæ ; mais il n’est guère appelé pater senatus[22], parce que la subordination ne conviendrait pas au sénat ; comme titulaire formel de la souveraineté de l’État ; au contraire, la qualification de mater senatus[23] est fréquemment attribuée aux impératrices au lire siècle. Mais quand l’existence simultanée de l’empereur et du sénat est exprimée, elle apparaît comme une dyarchie. Cette dyarchie se manifeste à nous d’une manière sensible dans les représentations figurées du sénat[24] et dans la formule des vœux. Non pas dans les monnaies de l’empire[25], mais dans les monnaies municipales des provinces administrées par le sénat, la tête du sénat personnifié est traitée de la même façon que celle de l’empereur[26], est employée pour lui faire pendant ou à côté d’elle[27], tandis qu’au contraire le populus Romanus est autant dire disparu de ces représentations[28]. Dans les formules de vœux du peuple romain, la prière pour le prince fut immédiatement adjointe à celle pour le peuple usitée sous la République et son nom y fut mis avant celui du peuple. De même le sénat a été mentionné, dans les formules des vœux municipaux et privés, dès le temps d’Auguste dans le territoire extra-italique soumis à son administration[29] et postérieurement en Italie[30] et dans les provinces impériales[31]. Pour les actes faits proprement au nom de l’État, cela a aussi eu lieu de bonne heure et fréquemment, mais ce n’est devenu sans doute général que depuis Hadrien ou Antonin le Pieux[32]. En outre, lorsque le sénat est nommé, il est placé après l’empereur et avant, le peuple. La cause, pour laquelle cet usage n’est pas devenu plus tôt général, a probablement été uniquement la subordination au dessous du prince qui était là inévitable, la considération qu’il était plus convenable de ne pas nommer le sénat que de le nommer au second rang.

La dyarchie se manifeste dans les institutions en ce que le sénat a la prépondérance, en qualité de représentant juridique actuel du peuple, dans tous les actes qui viennent directement de la souveraineté[33] et que, dans les diverses branches de l’administration, tantôt les deux pouvoirs les plus élevés agissent en commun, tantôt les sphères de compétences sont divisées entre le prince et le sénat, et tantôt aussi tous deux sont concurremment compétents dans certains domaines, la puissance impériale étant alors constamment la plus forte. L’autorité du sénat est légale et perpétuelle et, dans l’intervalle des principats, le vide est comblé de droit par l’intervention du sénat ; celle de l’empereur demeure, au point de vue juridique, une magistrature extraordinaire, qui se renouvelle constamment mais non nécessairement. Nous devons ici préciser dans son ensemble ce système, étonnante construction du droit public romain et de l’art politique romain, dont nous avons déjà précédemment décrit tous les éléments isolés.

L’institution avait eu pour origine l’action commune du magistrat conseillé et du sénat qui le conseillait et elle est revenue en un certain sens à son point de départ. L’annulation du magistrat qui préside, qui est sous la République le fondement du gouvernement du sénat, subsiste. Mais la coopération personnelle du chef du peuple et de la représentation de celui-ci est la pensée maîtresse de la constitution d’Auguste[34] ; et lui-même et les plus importants de ses successeurs, Tibère durant la première moitié de son règne[35], Vespasien[36], Hadrien[37] ont délibéré et se sont concertés sérieusement avec le sénat de l’empire. A la vérité les faits mettaient à cette coopération des limites mesurées. Sans parler de ce qu’elle disparaissait lorsque le prince quittait la capitale ou jugeait à propos de se soustraire à cette charge toujours difficile, les projets de loi pouvaient bien être discutés avec cette assemblée plénière d’au moins six cents membres, et elle pouvait aussi être employée comme haute cour de justice et comme assemblée électorale ; mais le prince ne pouvait pas aisément vider de la même façon avec elle les questions administratives et gouvernementales qui avaient été prédominantes dans le sénat de la République et qui y avaient été la condition essentielle de son rôle politique. Auguste a prouvé son sérieux désir de laisser même là une influence déterminante au sénat en décidant, au mépris de la répulsion républicaine pour les commissions préparatoires sénatoriales, de préparer les propositions destinées à être soumises au sénat dans une commission formée par lui et renouvelée de semestre en semestre[38] et en ne se soumettant pas, lors de l’interrogation des sénateurs, à l’ordre de la liste peu favorable à l’expédition matérielle des affaires, mais il est compréhensible que ses successeurs aient abandonné ces pratiques et que, quand ils ont consulté des conseillers, ils aient préféré la forme du consilium, où les sénateurs lie figuraient qu’à côté des membres de l’ordre équestre[39]. C’est moins par suite de la jalousie du Principat à l’égard du corps avec lequel il partageait le pouvoir qu’en vertu de la nature des choses qu’il n’est sorti du gouvernement du sénat de la République aucun partage du gouvernement sous le Principat et qu’en dehors de ses séances judiciaires et électorales, le sénat de l’Empire n’a guère ou de résolutions à prendre sur d’autres matières que sur des questions de droit civil assez peu importantes et sur des affaires administratives qui l’étaient encore moins[40].

Le sénat du Principat est peut-être moins important par son droit de résolution que comme l’organe à l’aide duquel le gouvernement se tient en relation avec le public. C’est un usage constant, observé sous tous les gouvernements, que le prince développe son programme au début de son règne dans un message au sénat[41] et qu’il adresse au sénat des communications sur les événements importants survenus sur le théâtre de la guerre ou à l’intérieur[42]. Ces relations, dont l’étendue et l’objet dépendaient d’ailleurs exclusivement de la volonté du prince, n’étaient pas publiées au sens propre : cela résulte déjà de ce qu’il n’est pas rare de trouver à côté d’elles des édits impériaux adressés à tout le peuple[43]. Mais ces ordonnances ont nécessairement eu pour but précis de porter leur contenu à la connaissance du publie, et le sénat avait coutume de faire insérer dans les journaux les messages impériaux qui lui étaient adressés. Il n’est jamais question d’un message au sénat destiné à être tenu secret. Le contact continuel, dans lequel le gouvernement se trouvait ainsi particulièrement avec le public de distinction, a eu une importance essentielle pour le développement du Principat. Si l’histoire de la monarchie romaine nous présente une proportion de fautes et de hontes princières supérieure à la, moyenne, il ne faut pas laisser hors de cause cette reddition de compte constante ; ce qui, dans d’autres monarchies, est resté enseveli derrière les murs du palais, a eu à Rome régulièrement son écho dans la curie. Cette coutume peut avoir contribué à augmenter l’impudence des crimes des despotes ; mais le souci de la reddition de compte doit aussi avoir sous plus d’un rapport empêché l’injustice, elle doit aussi avoir fourni aux princes les meilleurs la possibilité d’exprimer ce qu’ils voulaient et ce qu’ils faisaient, de stimuler et de diriger ainsi l’opinion publique[44].

Les départements qui, sous la République, étaient légalement réservés aux comices et auxquels était attachée l’idée de la souveraineté, ceux de la législation et de l’élection des magistrats ont passé au sénat sous le Principat.

Le droit de légiférer pour un cas isolé, qui avait appartenu législation ; au sénat dès le temps de la République, d’abord en matière urgente et sous réserve de la ratification des comices, ensuite depuis Sulla sans ces limitations, spécialement quand il s’agissait de dispenser des prescriptions des comices, lui a été attribué par Auguste dans une plus large mesure. Le Principat n’est pas allé plus loin par voie de règle doctrinale. Il n’a pas transporté au sénat le droit de faire des lois générales ; il n’a pas assimilé légalement le sénatus-consulte à la résolution populaire, comme on lui avait autrefois assimilé le plébiscite. Mais en pratique l’interruption apportée sous Tibère à l’activité législative des comices a fait passer cette activité au sénat. Au contraire, les empereurs n’ont prétendu faire ni lois spéciales ni lois générales et, quoique, comme il est naturel, leur droit de rendre des constitutions valables se soit fréquemment confondu ou croisé avec la législation du sénat, ils n’apparaissent là normalement que comme auteurs de propositions faites au sénat.

Parmi les élections des magistrats, les élections extraordinaires, qui impliquent une loi constitutive, rentrent dans la catégorie de lois spéciales dont nous venons de parler et appartiennent à la compétence du sénat tant à la fin de la République qu’au début de l’Empire. Il n’y a que l’attribution de la puissance tribunicienne au nouvel empereur que, bien qu’elle appartienne à ce cercle, on ne trouve pas convenable pour des raisons faciles à comprendre de réaliser ex senatus consulto ; là, conformément à l’ancien système, toujours applicable en théorie, la loi est préalablement délibérée par le sénat et est proposée sur son mandat au peuple par les consuls.

L’élection des magistrats ordinaires appartenait encore au peuple sous Auguste. Tibère l’a transférée non pas proprement au senatus, mais au senatus populusque Romanus, c’est-à-dire qu’il a ici, à la différence de ce qui a eu lieu en matière législative, attribué à l’acte électoral des sénateurs la même valeur qu’avait celui des comices populaires et mis ainsi définitivement le sénat souverain à la place du peuple souverain. Le droit de se recruter lui-même étant par là donné au sénat du même coup, il s’est trouvé, comme le prince, émancipé du mandat direct du peuple. Le conseil de la Cité formé par cooptation représente désormais le peuple, avec une puissance souveraine, comme le prince issu de sa volonté directe.

L’élection et la déposition de l’empereur ne rentrent pas parmi les actes ainsi formulés ; selon les institutions du temps, l’une et l’autre ont lieu légitimement par l’expression directe et irrésistible de l’opinion publique : la naissance et la subsistance de l’autorité de chaque prince ont pour condition légale que la volonté du peuple existe et persiste dans ce sens[45]. On ne peut déterminer théoriquement comment s’exprime cette volonté : ses porte-paroles ordinaires sont le sénat, d’une part, et les troupes, de l’autre[46], et la sanction n’est fournie, pour la nomination comme pour la déposition, que parle succès. Cependant on considère comme la manifestation la plus convenable et la plus naturelle de la volonté du peuple la déclaration du sénat, faite dans les deux cas dans des formes républicaines : pour la nomination, par l’invitation à prendre le titre d’imperator[47], pour la déposition, dans la forme de la proclamation de la loi martiale et de la mise hors la loi[48].

En matière judiciaire, pour l’institution de l’appel civil introduite sous le Principat, les appels devraient en principe, conformément à la division de l’administration du territoire, être portés du territoire soumis à l’autorité du sénat devant le sénat comme de celui soumis à l’autorité impériale devant l’empereur. Mais cette distinction n’a été observée qu’au profit de l’empereur. De même qu’il intervient dans l’administration de la moitié sénatoriale de l’empire, il en accueille aussi les appels[49].

Les deux pouvoirs les plus élevés sont en principe concurremment compétents en matière criminelle. Chacun d’eux peut statuer sur n’importe quel procès criminel, et, de même que l’empereur juge les sénateurs, le jugement funèbre de l’empereur appartient au sénat[50]. Au IIIe siècle, l’équilibre se dérange même, au point de vue théorique, au préjudice de l’empereur, les empereurs ayant alors coutume de s’engager, au début de leur règne, à ne prononcer la peine de mort contre aucun sénateur[51].

Nous arrivons à l’administration de l’empire. Le prince était exclusivement compétent sur le commandement et sur tout ce qui se rattache aux choses militaires en sa qualité de général permanent de l’État. On ne peut soumettre au sénat de propositions relatives aux affaires militaires, et il semble même choquant d’y exprimer une pensée sur elles[52]. Les rapports entre les sénateurs et les hommes de la garde impériale furent interdits par un sénatus-consulte sous Claude. Le commandement militaire n’a, dès le début, été accordé qu’exceptionnellement par l’empereur aux gouverneurs des provinces sénatoriales, et il leur a été bientôt complètement enlevé[53]. Les dépenses militaires sont encore tout au plus soumises au sénat dans la forme de la demande d’un supplément de fonds pris sur l’Ærarium pour la conduite d’une guerre. Le droit de résolution du sénat en matière militaire se restreignait pour le reste aux enrôlements faits en Italie et dans les autres portions du domaine sénatorial, qu’il prescrivait sur la proposition de l’empereur. Ce dernier fait a été riche en conséquences, parce que les empereurs retirèrent, sauf des exceptions fugitives, les dépôts de troupes de l’Italie et de tout le territoire soumis à l’administration sénatoriale et préférèrent en général, lorsqu’ils avaient des enrôlements à faire, prendre les hommes dans le territoire soumis à leur administration propre. Or cela a eu pour suite d’enlever entièrement l’habitude des armes à l’Italie et aux provinces soumises à l’administration du sénat

Pour les relations, pacifiques ou guerrières, avec l’extérieur indépendant, le sénat n’était plus désormais également autre chose qu’en certaines circonstances un lieu de publication. A la vérité, l’État romain se suffisait, sous le Principat, à lui-même, à peu près comme fait par exemple aujourd’hui la République de l’Amérique du Nord, et cette portion de l’administration publique avait une importance relativement minime.

Pour l’administration générale, l’empire était divisé topographiquement. A Rome et en Italie les consuls et le sénat possédaient la haute direction — d’ailleurs restreinte aux plus faibles proportions par l’exemption de l’impôt et bientôt du service militaire ainsi que par l’autonomie municipale. — Les gouverneurs des provinces sénatoriales et leurs auxiliaires n’étaient pas nommés par l’empereur ; le droit d’occuper les gouvernements était, de même que sous la République, la suite de l’élection aux magistratures républicaines[54]. Mais le droit du sénat d’en disposer librement est remplacé par la loi ou par le sort, et il subsiste seulement un reste de la prorogation dans l’admission de l’itération. La direction supérieure de l’administration de la moitié sénatoriale de l’empire demeura au sénat. — Une série de compétences importantes, mais spéciales ont été transportées au prince à Rome et en Italie. Il a en outre, m0me sur ce territoire, une haute direction générale qui existe concurremment avec celle du sénat et qu’il est de l’essence du gouvernement constitutionnel de ne pas exercer là[55], mais dont l’application pratique a de plus en plus ruiné le gouvernement du sénat[56]. La limitation apportée à l’autonomie dans le cours des temps notamment en Italie par la nomination de fonctionnaires du gouvernement chargés spécialement de l’administration de la fortune des villes, ne vient pas du sénat, mais de l’empereur[57]. — Aucune immixtion n’a été permise au sénat dans l’administration impériale soit des provinces directement soumises à l’empereur, soit des États annexés à l’empire romain, spécialement de l’Égypte, soit des principautés et des villes libres dépendantes de Rome[58].

Le partage de l’administration de l’empire fut étendu pratiquement au trésor. En droit, le sénat le conserve. Mais, d’une part, le trésor privé du prince constitue de fait à côté de l’ærarium populi Romani, une seconde caisse publique, bientôt beaucoup plus importante que la caisse publique officielle ; d’autre part, l’empereur a pris, dès le cours du Ier siècle, l’administration de l’Ærarium en main, de façon à ne plus dépendre que théoriquement de la décision du sénat.

La frappe des monnaies commence par être faite par les deux pouvoirs, dans une concurrence parfaite, avec un équilibre légal entre la frappe du sénat et celle du général. Mais, dès l’époque d’Auguste, il y a eu un partage : l’empereur a désormais le droit exclusif d’émettre les espèces d’or et d’argent, et le sénat le droit exclusif d’émettre celles de cuivre, la frappe du cuivre étant cependant contrôlée par l’empereur.

Tous les honneurs officiels, à l’exception des décorations accordées aux officiers et aux soldats, en particulier le triomphe du général victorieux et ses succédanés, l’érection de statues[59] et l’attribution de surnoms honorifiques, même à des légions, sont prononcés par le sénat, du reste en général sur la proposition du prince, s’il s’agit de particuliers, tandis que, pour le prince, l’initiative appartient en la forme au sénat. Le pouvoir de censurer le régime impérial, qui se trouvait impliqué par là, a été, dans certaines circonstances, ressenti par le prince avec déplaisir.

Le droit de proclamer la loi martiale et de déclarer certains personnages ennemis publics reste en la forme au sénat, sous le Principat, dans toute la plénitude où il l’avait exercé au dernier siècle de la République. Les empereurs ne l’ont jamais exercé eux-mêmes ; ils se sont servis pour cela du sénat, comme du véritable titulaire de la souveraineté, à peu près de la même façon dont, au temps de la République, le sénat s’est servi du peuple pour la déclaration de guerre.

On ne peut refuser de reconnaître à la dernière création du droit public romain ce mérite que les idées maîtresses y sont encore appliquées, dans la division du pouvoir entre le principat et le sénat, avec cette clarté et cette fermeté qui sont le privilège commun des institutions romaines. La magistrature de la République a été subjuguée par son sénat et le peuple souverain a été paralysé par lui. Le Principat, a, d’une part, réalisé la substitution du sénat au peuple comme titulaire de la souveraineté ; d’autre part, il a paralysé la nouvelle autorité souveraine, le senatus populusque Romanus, d’une façon plus complète et plus durable que le sénat de la République n’avait paralysé les comices, et, revenant ainsi aux origines, il a reconquis le gouvernement effectif pour la magistrature.

 

FIN

 

 

 



[1] La transition, lentement accomplie et compliquée de nombreux détours, qui a conduit l’opinion publique de l’Italie et de la moitié latine de l’empire de la foi en la vertu bienfaisante exclusive de la République à la conception monarchique pure, ne peut être exposée par le droit public. On peut mentionner le langage, immédiatement relatif aux élections sénatoriales, d’un sénateur du temps de Trajan (Pline, Ép. 3, 20, 12). En général, les écrivains romains appartenant aux sphères élevées regardent le gouvernement du Principat comme un état de décadence par rapport au gouvernement sénatorial de la République, mais en même temps comme une nécessité inévitable (v. les paroles de Galba, Tacite, Hist. 1, 16, tome V, dans la théorie de la Fin et du renouvellement du Principat, sur les vacances entre les principats). Quant aux lettrés en sous-ordre, en particulier à ceux de la ville de Rome, non seulement les formules, comme celles selon lesquelles Auguste a rétabli la Romana res publica, si reparata dici potest libertate deposita (Vita Cari, 3) et la monarchie a perdu l’État (Vita Albini, 13), mais en outre les rêves millenaires du sénat empereur (Vita Taciti, 12 ; cf. tome V. la théorie des affaires extérieures, sur la participation du sénat), dont le prince sera le général ou du dernier prince qui soumet tous les barbares et restitue ensuite au sénat le gouvernement d’après le anciennes lois (Vita Floriani, 2) sont chez eux choses courantes.

[2] Toutes les dynasties ont fini par un essai de renouvellement du gouvernement du sénat (v. tome V, la théorie de la Fin et du renouvellement du Principat, sur les vacances entre les principats) soit celle des Julii, après la catastrophe de laquelle le sénat a exercé le gouvernement en fait pendant quelques jours, soit celle des Claudii, dont la crise fut provoquée par Galba, en qualité de legatus senatus populique Romani (Suétone, Galb. 10), où les légions de Germanie, avant de faire leur empereur, jurent fidélité au sénat (Suétone, Galb. 16), et où Vitellius dépose son autorité entre les mains des consuls (Tacite, Hist. 3, 68 ; cf. tome II, la théorie du Costume militaire des magistrats, sur l’épée), soit aussi pareillement celle des descendants de Nerva, après l’issue de laquelle Pertinax essaya de gouverner comme fondé de pouvoirs du sénat (cf. Vita, 13), et où le sénat dirigea la haute administration intérimaire après la mort de Julien (v. tome V, loc. cit.). Ces restaurations de la République, tout intérimaires qu’elles aient été, ne doivent pas être rabaissées dans leur portée. Ce sont des applications pratiques de la théorie selon laquelle la légitimité fait défaut au Principat et il ne constitue légalement rien de plus qu’une succession de magistratures extraordinaires restreignant l’autorité proprement légitime qui est celle du sénat.

[3] C’est à quoi arrivent tous les gouvernements considérés comme inconstitutionnels, celui de Gaius (Dion, 59,23), qui reçoit des appels de décisions du sénat (v. tome III, la théorie du consulat, sur les consuls comme juridiction d’appel, in fine) ; celui de Néron, qui s’arrogea le droit réservé au sénat d’émettre des monnaies de cuivre (v. tome V, la théorie de la Monnaie, sur les rapports du prince et du sénat en matière monétaire) et qui méditait de supprimer le privilège sénatorial en matière d’occupation du commandement, fondement propre de la co-autorité du sénat (Suétone, Ner. 37) ; celui de Perennis sous Commode, qui commenta pratiquement ce retrait du commandement, mais qui succomba à la tâche (Vita Commodi, 6). Les catastrophes provoquées par de telles tentatives montrent combien profondes étaient, même en pratique, les racines du gouvernement commun.

[4] Cette transformation n’atteignit pas seulement l’ordre sénatorial, mais, quoique avec une moindre vigueur, l’ordre équestre. Les empereurs de ce temps cherchent à gouverner en dehors des deux, ordres jusqu’alors privilégiés, et le soldat sorti du rang, le primipilaire, est la base du système.

[5] Sur la transformation par Constantin de ce gouvernement de l’officier inférieur, mis d’abord à la place du système d’Auguste, en l’aristocratie de cour postérieure ; cf. Eph. ep. V, 131.

[6] Il n’est dit nulle part que les résolutions prises sous la présidence de l’empereur présentent une singularité quelconque ; il ne faut pas confondre la présidence avec la proposition orale ou écrite faite par l’empereur.

[7] Cet ordre est suivi dans le décret de L. Paulius de l’an 566 concernant la reprise par une loi ou un sénatus-consulte du sol concédé aux Hastenses (VI, 2, p. 364, note 3, cf. VI, 2, p. 375, note 2) ; dans Polybe, 21, 10, 8, relativement à la confirmation de la paix (par conséquent dans l’ordre inverse de l’ordre chronologique) ; dans l’alliance avec Astypaltea de 649 aussi bien relativement au territoire soumis ait peuple et au sénat que relativement aux changements qui plairaient à l’un ou l’autre ; mémé encore chez Auguste, dans son inscription commémorative, aussi bien, 1, 31 = Gr. 3, 2, relativement ê la dictature qui lui a été a donnée n par le peuple et le sénat (où c’est sans doute à tort qu’il est question, dans mon commentaire, d’une simple démonstration du peuple, et où il s’agit sans doute d’une loi préalablement délibérée par la sénat), que 2, 1, relativement à la création de nouveaux patriciens (où j’entendrai aussi aujourd’hui le jussu populi et senatus du sénatus-consulte préparatoire de la loi Sænia). Pour les déclarations de guerre et les actes analogues de souveraineté où le peuple et le sénat concourent, l’infraction des magistrats à ce principe est à plusieurs reprises représentée comme un acte fait injussu populi ac (aut dans Cicéron, In Pis. 21, 50, est une fausse lecture) senatus : Cicéron, Verr. l. 2, 5, 14. l. 3, 8, 19. In Pison. 20, 48. 21, 50. De off. 3, 30, 409. Tite-Live, 1, 49, 7. Ép. 64 (au contraire jussu senatus aut populi, Salluste, Jug. 112 ; senatus Romani populive jussu, Tite-Live, 41, 21, 11). Cette façon de s’exprimer est peut-être, comme remarque Weissbrodt, Miscellanea epigraphica, Braunsberg, 1883, p. 12, zeugmatique en ce sens que jussus ne s’applique au sens technique qu’au peuple, quoique jussu ou injussu senatus se trouve aussi dans Cicéron, Verr. 4, 39, 85. c. 61, 137. In Cat. 3, 4, 8) ; mais la prépondérance du peuple reste toujours prouvée par le fait qu’on ne dit pas senatus populique jussu ou injussu, mais jussu ou injussu populi et senatus. Il faut comprendre de même les mots de Cicéron, De l. agr. 1, 4, 12 : Amplissimo populi senatusque judicio exercitus habuistis et bella gessistis, quoiqu’il puisse aussi être question là de l’ordre chronologique de succession de l’élection des comices et de la détermination des provinces. — Chez les écrivains postérieurs, en ne rencontre le peuple mis au premier rang qu’exceptionnellement : Salluste, Jug. 41, 2 ; Vitruve, Præf. 1, 1 ; Tite-Live, 7, 31, 10. 24, 31, 1. 29, 21, 1 (immédiatement après, l’ordre inverse). L’habitude de langage récente étudiée plus loin prédomine constamment depuis le temps de César : Bell. Alex. 68 ; Salluste, Jug. 9, 2. 21, 4. 104, 5. 111 ; 1 ; Tite-Live, très souvent et même dans des formules anciennes comme 22, 10, 3. 6. 36, 1, 2, c. 2, 4. — Relativement à d’autres villes, on trouve chez Cicéron l’une et l’autre construction (Verr. 3, 45. 108, l. 2, 21, 50). — Il faut bien distinguer de lit les textes où populus n’est pas employé pour désigner l’État romain en général, mais comme équivalent de plebs à coté de senatus (cf. Tacite, Ann. 1, 7 ; 11, 30 ; cf. 14, 11) on bien ceux où, comme chez Tacite, Hist. 1, 4, 35, le peuple, séparé en qualité de populus et de plebs par des qualifications déterminatives en gens comme il faut et bas peuple, est opposé aux deux classes supérieures.

[8] Quand, dans les adresses de lettres, on nomme à côté des magistrats et du sénat populus plebsque Romana (Cicéron, Ad fam. 10, 8. Ép. 35 ; aussi, relativement à d’autres villes, Cicéron, Cat. 3, 5, 10. 11), ces derniers occupent toujours la dernière place parce que le peuple reçoit connaissance de la lettre par un sénatus-consulte comme le sénat en reçoit connaissance par les magistrats. Lorsque, dans Polybe, tandis que la peuple et le sénat confirment la paix, 21, 10, 8, les ambassadeurs pacifiques sont immédiatement après envoyés 21, 17, 9, au sénat et au peuple ; quand un emplacement de sépulture est donné à L. Poblicius Bibulus senatus consulio populique jussit, (C. I. L. VI, 1319) ; lorsque, selon Cicéron, Pro Plancio 17, 43, senatus censuit populusque jussit, c’est l’ordre chronologique qui est déterminant ; de même la désignation anticipée des fils d’Auguste a lieu d’après lui (Ancyr. 3, 1) par le sénat et le peuple, parce que le sénat leur accorde d’abord leur dispense et que le second les élit ensuite. César, B. c. 1, 9, pense aussi aux sénatus-consultes qui préparent les élections populaires.

[9] Le sénatus-consulte concernant les Tiburtins rentre déjà dans cet ordre en ce que les excuses présentées au sénat sont désignées comme suffisantes par rapport au peuple. Le sénatus-consulte d’Asclépiade, ligne 11 ; en outre les sénatus-consultes chez Cicéron portent senatui populoque Romano gratum esse (Phil. 5, 13, 36 ; de même 8, 15, 38. 10, 11, 25. 11, 12, 31. 31, 21, 50). Dans la proposition faite par le dictateur César pour les Juifs dans Josèphe, 14, 10, 7, le sénat est de même nommé deux fois avant le peuple et une fois après ; la construction alterne également relativement à une décision analogue dans Cicéron, Ad fam. 15, 2, 4. 5.

[10] Cicéron, Verr. l. 1, 37, 68. 5, 4, 9 ; De l. agr. 2, 33, 90 ; In Cat. 3, 8, 20 ; Pro Mur. 11, 24 ; Pro Sulla, 9, 26 ; Pro Flacco, 40, 101 ; De domo, 24, 64 ; De har. resp. 11, 22 ; Pro Sestio, 5, 12. 23, 51 ; Pro Balbo, 4, 10 ; Pro Planc. 10, 26. 37, 90 ; Pro Rab. Post. 2, 4. Dans les Philippiques, cette formule se trouve à toutes les pages.

[11] Cicéron, Verr. 1. 2, 49, 121 et de même Pro Balbo, 16, 35.

[12] Dans une série de passages des Verrines, 2, 3, 9. c. 39, 90. 3, 15, 38. c. 16, 40. c. 15. 173, des règlements relatifs à la province de Sicile qui n’ont certainement pas été soumis aux comices sont attribués au senatus populusque Romanus ; cette formule est encore employée avec la même valeur pour la reconstruction du Capitole par Catulus (Cicéron, Verr, 4, 31, 69) et pour la déclaration æ guerre contre Mithridate (Pro Mur., 16, 34). Il ne petit non plus s’agir que du sénatus-consulte dans le plus ancien exemple épigraphique qui nous en soit connu (C. I. L. IX, 2628, d’Æsernia). Lorsqu’il s’agit du sénatus-consulte et de la loi, la formule est en général (cf. César. B. c. 1, 9) modifiée ; ainsi De prov. cons. 4, 7 : Civitas libera (Byzance) et... a senatu et a populo Romano liberata ; Cum pop. gr. eg. 5, 11 : Senatum aut populum est cohortatus (de même Verr. 3, 49, 117 ; In Pis. 16, 37) ; De l. agr. 1, 4, 12.

[13] Quand, à l’époque ancienne, le résultat de l’acte du sénat est rapporté an peuple, par exemple, quand l’amicus populi Romani devient tel par un sénatus-consulte, le sénat ne se met pas à côté du peuple, il est absorbé par lui comme étant son organe.

[14] Dans la première période de Cicéron, l’État s’appelle pour lui populus Romanus ; mais Antoine fait la guerre de Mutina contra senatum populumque Romanum (Phil. 2, 9, 72, et beaucoup d’autres textes).

[15] C’est vrai naturellement pour tous les temps. Dans les mots ad senatum populumque referri du sénatus-consulte de Cælius, Ad fam. 8, 8, 6, populumque est une interpolation.

[16] C’est toujours le peuple qui, est considéré comme constructeur des monuments et des édifices à l’époque de la République, quoiqu’il y soit difficilement nominé expressément. Si les inscriptions nomment, à la meilleure époque, le magistrat avec ou sans addition du sénat, et rarement, à la fin de la République, la loi (C. I. L. VI, 872), le senatus populusque Romanus prend leur place sous Auguste. Le plus ancien exemple que je connaisse d’emploi officiel de cette formule, qui peut déjà appartenir à la République postérieure à. Sulla est de l’an 725 de Rome : Senatus populusque Romanus imp. divi Cæsari Juli f. cos. quinct... re publica conservata (C. I. L. VI, 873). Désormais elle est caractéristique de toutes les constructions et monuments édifiés par l’État à Rome ou au dehors. — Les écrivains de cette époque parlent de même ; la forme de gouvernement républicaine s’appelle chez Tacite, Ann. 1, 2, senatus populique imperium.

[17] Tandis que, dans la loi d’investiture de Vespasien, le sénat est ailleurs cité sans addition, les commendations électorales sont signalées comme faites senatui populoque Romano.

[18] En ce sens, ces expressions restent encore en usage sous le Principat. Vita Hadriani, 8.

[19] Lors de la réception de Tiridates, roi d’Arménie en l’an 66, Néron parut au Forum, suivi de sa garde et du sénat (Dion, 63, 4).

[20] Dion, 74, 1. Hérodien, 3, 8, 3. 4, 1, 3.

[21] Déjà les funérailles de Sulla sont suivies par ή βουλή πάσα καί αί άρχαί (Appien, B. c. 2, 106) ; de même les cortèges funèbres d’Auguste (Dion, 56, 42) et de Pertinax (Dion, 74, 4).

[22] Pater senatus se rencontre seulement sur quelques monnaies de Commode de l’an 187 (Cohen, 2e éd. n. 396-398) ; patres senatus sur une empreinte isolée (Cohen, Pup. 19) des empereurs du sénat Balbinus et Pupienus.

[23] Julia Domna est la première à être appelée mater castrorum et senatus et patriæ (Eckhel, 1, 190 ; Henzen, ind. p. 12) ou encore senatus castrorum et patriæ (Actes des Arvales de 213) ; à partir de là, l’Augusta porte fréquemment des titres semblables. La mise en parallèle des soldats et du sénat est remarquable.

[24] Le sénat est représenté comme un homme barbu portant la tunique à bande de pourpre et la toge à bordure de pourpre, la tète couronnée (Dion, 68, 5). Sur le médaillon de Constantin, note suivante, il apparaît en pied pleinement à l’égal de l’empereur. Sur les monnaies provinciales, la tète est le plus souvent une tête d’homme, plus rarement, par suite de sa dénomination au féminin en grec, une tête de femme ; elle est tantôt jeune, tantôt barbue, nue ou couverte, ou avec le bandeau et la couronne (Eckhel, 4, 224). — Je ne saurais décider si la Victoire, dont l’autel dressé dans la curie par Auguste le 23 août 125 (Dion, 54, 22 ; C. I. L. I, p. 400 ; cf. Suétone, Aug. 100) y resta jusqu’au IVe siècle ; (Jordan, Top. 1, 2, 250), peut être considérée comme une personnification du sénat ; je ne saurais dire davantage si la fête publique du 4 août vic(toria) senatus citée dans le calendrier du IVe siècle se rapporte à cet autel ou s’il s’agit de quelque victoire du sénat.

[25] On ne trouve pas de représentation figurée du sénat sur des monnaies de l’empire du temps du Principat. Le médaillon d’or de Constantin le Grand, Cohen, 6, 1re éd. 28 (reproduit sur la page du titre ; un semblable du cabinet de Berlin reproduit dans la Zeitschrift für Numismatik de Sallet, 9, 20, pl. 11 est le premier à représenter sur une face, le buste de l’empereur avec le diadème, le sceptre et le globe terrestre, et la légende Constantinus max. Aug., et, sur, l’autre la même figure debout avec les mêmes insignes et la légende senatus. Il n’est pas douteux pour moi que la seconde figure représente non pas l’empereur, mais le sénat lui-même comme représentant de l’État romain. Il n’y avait plus d’objection à représenter l’empereur sénat princeps senatus) depuis que sa participation à la souveraineté avait disparu. Ces médaillons et ceux voisins avec equis (sic) Romanus et le cavalier (Eckhel, 8, 83) sont sans doute rapportés avec raison à la fondation de Constantinople (Sallet, Zeitschrift für Numismatik, 3, 129) et doivent exprimer que la nova Roma a aussi son sénat et ses chevaliers.

[26] La tête du sénat apparaît très fréquemment sur les monnaies de la province d’Asie, avec la légende σύνκλητος précédée souvent de ίερά, plus rarement de θεός (Eckhel, 4, 224), Elle se trouve en outre sur des monnaies de Corinthe (Mionnet, 2, 170, 170. S. 4, 53, 400) avec la légende SENATV~ (sic sur des exemplaires d’Imhoof) P. Q. R. et sur des monnaies crétoises à Axos (Babelon, Rev. num., 1885, p. 159) et de Kydonia du temps de Tibère (Mionnet, 2, 258, 2. 3). Elle ne se rencontre pas dans le territoire administré par l’empereur. Sestos en Chersonèse de Thrace qui l’a (Catalogue de Londres, p. 199 et collection Imhoof) a, selon toute apparence, appartenu administrativement à la province d’Asie et non a la Thrace. La Cilicie, où Mallus a frappé sous Trajanus Decius des monnaies avec la légende sacer Senatus (Imhoof, Annuaire de la soc. franç. de num. 1883, p. 120, mieux que Mionnet, S. 8, 444, 71) ne parait pas, comme pense Waddington (Bull. de corr. hell. 1883, p. 294), avoir été jusqu’à Dioclétien soumise à un légat, mais bien avoir été alors soumise à un proconsul (Handb. 1, 388).

[27] Une monnaie d’Ilion (Imhoof, Monnaies grecques, p. 262) présente l’une à côté de l’autre les deux têtes et les légendes Γάλβασυνκλητος. Celles de Kydonia et d’Axos (note ci-dessus) présentent d’un côté la tête de Tibère avec la légende Τιβερίω Καίσαρι Σεβαστώ ou Τι. Και. Σεβαστός et le nom du gouverneur (έπί Κρο. Λύπου), sur l’autre celle du sénat avec la légende συνκλήτω Κρήτες et Κυδωνιατών ou Άξ(ίων). Il y a des monnaies de Kotlaeion du même magistrat Claudius Secundus soit avec les têtes de Galba (Imhoof, Monnaies grecques, p. 398) et de Vespasien (Mionnet, S. 7, 545, 280), soit avec celle du sénat (Imhoof, loc. cit.)

[28] Le populus Romanus est aussi nommé sur les monnaies de Corinthe, mais le sénat et le peuple n’y sont représentés que par la tête du premier. Sur une monnaie de Synnada (Mionnet, 4, 366, 973, rapproché de S. 7, 621, 589, la face représente la tête du sénat avec la légende ίεράν σύνκλητον et le revers un jeune homme debout avec la légende δήμος 'Ρωμαίων ; le droit de battre monnaie, c’est-à-dire la souveraineté, est donc attribué là au sénat et il n’est fait allusion qu’idéalement au peuple. Une autre monnaie de Stektorion (cabinet de Berlin ; rapportée inexactement par Proketsch, Inedita, 1854, p. 292, a Synnada) est semblable sauf que côté de la tête il y a βουλή, ce qui indique sans doute ici comme partout le conseil municipal. Dans une conception inverse, une monnaie frappée peut-être à Lamin en Thessalie (en dernier lieu, Friedlænder, Zeitschrift für Numismatik, 7, 218) montre, sur le droit, la tête du peuple romain (difficilement une tête d’empereur) avec la légende δήμος 'Ρωμαίων, et, sur les revers, une femme assise avec la légende ίερά συνκλητος.

[29] Le plus ancien exemple qui me soit connu est fourni par l’autel de Narbo (C. I. L. XII, 4333) de l’an 11 après J.-C., qui nomme le senatus populusque Romanus après l’empereur Auguste, sa famille et sa gens et avant la ville de Narbo. On peut citer au temps de Tibère le temple construit à Smyrne par la province d’Asie avec sa dédicace à Tibère, à sa mère et au sénat (Tacite, Ann. 4, 15 rapproché de 37. 55. 56) ; de celui de Claude, l’inscription d’Ilion, C. I. Gr. 3610, qui nomme seulement le sénat ; de celui de Trajan, celles de Thera, C. I. Gr. 2454, et de Nicée en Bithynie, C. I. Gr. 3744. Inscriptions postérieures de Lapina en Phrygie, C. I. Gr. 3956 à et de Syros 2347 k. Les exemples seraient faciles à multiplier.

[30] Du temps de Sévère, par un particulier à Rome, C. I. L. VI, 410 ; de celui de Gallus à Ostie (C. I. L., XIV, 42).

[31] Du temps d’Hadrien à Gerasa en Syrie (C. I. Gr. 4661) ; de celui de Marc-Aurèle à Isauria (C. I. Gr. 4385) ; de celui du second Claude, à Nicée en Bithynie (C. I. Gr. 3748).

[32] Suétone, Nero, 37. Dion, 68, 3. Le collège des Arvales n’a intercalé le sénat dans cette formule qu’entre l’an 120 (C. I. L. VI, 2080, ligne 16) et l’an 155 (C. I. L. VI, 2986, ligne 18 ; cf. 2084, ligne 42).

[33] Encore chez Dion, qui, en sa qualité de consulaire du IIIe siècle et de grec d’origine, est absolument libre de la nostalgie italique de l’ancienne République, non seulement le sénat a le pouvoir législatif, mais il est de la dignité et de la considération de l’État que le sénat paraisse avoir sous tous les rapports le pouvoir souverain.

[34] Néron s’excuse prés du sénat de ne pas y venir en invoquant un enrouement, (Suétone, Ner. 41 ; Dion, 63, 36).

[35] Suétone, Tib. 30. Dion, 57, 7, sans doute d’après Suétone. Tacite, Ann. 4, 6.

[36] Dion, 66, 10.

[37] Dion, 69, 7. Vita, c. 8.

[38] V. tome V, la théorie du Droit du prince d’agir avec le sénat, sur les commissions sénatoriales.

[39] Cf. tome V, loc. cit.

[40] Pline le jeune décrit, Ép. 8, 14, 8, le temps de Domitien, cum senatus aut ad otium summum aut ad summum nefas vocaretur et modo ludibrio, modo dolori retentus numquam seria, tristia sæpe censeret. Mais il atteste lui-même, pour le temps de Trajan, l’absence ale portée des délibérations du sénat, sauf en matière judiciaire : et Tacite la montre aussi, Ann. 13, 49, et dans beaucoup d’autres passages.

[41] Dion, 59, 6, de Gaius. Tacite, Ann. 13, 4, et Dion, 61, 3, nous renseignent sur la déclaration relative à la forma futuri principatus arrêtée par Sénèque et lue par Néron au sénat à son avènement. Des déclarations du même caractère sont mentionnées pour Trajan (Dion, 63, 5, écrite et de sa propre main), pour Commode (72, 4, après son entrée à Rome), pour Sévère (Dion, 74, 2, rapproché de 75, 8 ; Vita, 7, verbale), Élagabal (Dion, 79, 2), Claude (Vita, 5).

[42] Telles sont par exemple la lecture du testament d’Auguste et des pièces s’y rapportant dans le sénat (Suétone, Aug. 101. Tib. 23 ; Dion, 56, 33) ; les communications de Claude sur les projets de meurtre contre lui (Suétone, Claud. 36, 37) ; la lettre de Néron au sénat sur la mort de sa mère (Dion, 61, 14) ; la relation de Plotina au sujet de l’adoption d’Hadrien (Dion, 69, 1) ; les communications de Sévère sur la catastrophe de Plautianus (Dion, 76, 5) ; de Caracalla sur celle de Geta (Dion, 77, 3) et sur le soulèvement d’Alexandrie (Dion, 17, 22). Dion, 78, 8, cite la dernière lettre de ce dernier au sénat. En particulier, c’était l’usage de faire connaître au sénat les peines capitales prononcées’ contre des hommes connus (Dion, 67, 11). On relève les cas où l’empereur n’en informe pas le sénat (Dion, 79, 4). Ces communications rentrent dans le cercle de celles étudiées au chapitre Règlement des travaux du sénat, qui ne contiennent pas de proposition et qui n’en ont pas nécessairement une pour conséquence.

[43] De pareils édits (edicta, γραμμάτα) adressés à tout le peuple a côté de la lettre au sénat sont mentionnés par Dion, 79, 2, et Vita Pii, 12 ; Vita Severi, 6 ; Vita Caracallæ, 4 ; Vita Claudii, 5. On rencontre aussi des écrits adressés ad senatum et populum (Vita Maximini, 12) et ad senatum legenda populo (Vita Claudii, 7).

[44] Vita Pii, 12 : Omnium quæ gessit et in senatu et per edicta rationem reddidit.

[45] Ce principe tranchant n’apparaît, chez les écrivains haut placés, que dans ses conséquences ; mais ceux des basses classes l’expriment sans scrupule. On peut lire avec quelle absence d’embarras les représentants littéraires de la plebs urbana font l’empereur Marc-Aurèle s’exprimer sur ses prédécesseurs mis à mort (Vita Cassii, 8) où exposent à ce sujet leur sentiment à l’empereur Constantin (Vita Elagabali, 1. 34).

[46] V. tome V, la théorie de l’Imperium ou puissance proconsulaire du prince, sur son acquisition du sénat ou de l’armée. Le sénat et les troupes sont souvent mis sur le même pied à ce point de vue. Suétone, Claud. 6. Marc-Aurèle demande que les soldats ou le sénat statuent entre lui et Cassius (Dion, 1, 24). Les meurtriers attaquent Commode en criant : Hunc tibi pugionem senatus mittit (Vita, 4 ; Dion, 72, 4 ; Hérodien, 4, 8, 6), Pertinax en criant : Τοΰτό σοι τό ξίφος οί στρατιώται πεπόμφασι (Dion, 73, 40). Élagabal demande au sénat et aux troupes d’enlever à Alexandre Sévère le titre de César (Vita, 13 ; v. tome V, la théorie de la Fin et du renouvellement du principat, sur la proposition du successeur par l’attribution du titre de César).

[47] V. tome V, la théorie de l’Imperium du prince, sur son acquisition du sénat ou de l’armée.

[48] V. tome V, la théorie de la Fin du principat, sur la déposition du prince.

[49] V. tome III, la théorie du Consulat, sur la juridiction d’appel des consuls.

[50] V. tome V, la théorie de la Fin du principat, sue la procédure criminelle suivie contre le prince défunt.

[51] V. tome V, la partie de la Juridiction criminelle du prince, sur son application aux sénateurs.

[52] V. tome V, le chapitre des Affaires extérieures, sur l’administration militaire.

[53] V. tome III, la théorie du Gouvernement de province, sur la disparition du commandement militaire.

[54] V. la même théorie, sur le gouvernement de province comme magistrature indépendante.

[55] Ce sont là les antiqua munia senatus, que Néron promet, ü son entrée au pouvoir, de respecter (Tacite, Ann. 13, 4).

[56] V. tome V, la théorie de l’Imperium du prince, au sujet des provinces sénatoriales.

[57] Cf. tome V, loc. cit.

[58] V. tome V, le chapitre de l’Administration des provinces impériales et celui de l’Imperium du prince, sur leur étendue topographique.

[59] La différence de principe, qui sépare le principat d’Auguste et la monarchie de Dioclétien et de Constantin, ne s’exprime nulle part plus énergiquement que dans la règle selon laquelle l’érection des monuments honorifiques officiels est décidée, sous le premier, par le sénat, sur la proposition de l’empereur, et, sous la seconde, par l’empereur, sur la proposition du sénat.