Quoique nous nous soyons déjà occupé du sénat en étudiant le danger dans lequel la cité peut être mise soit par les ennemis du dehors, soit par la guerre civile[1], il nous faut en outre étudier à part le rôle joué par lui, spécialement dans le second cas. Quand il y a force majeure, la règle est qu’on se fait justice à soi-même : au cas extrême, tout citoyen a le droit de repousser la force par la force en face de l’ennemi du dehors ou du perturbateur comme en face d’un meurtrier ou d’un voleur à main armée. Mais les institutions des premiers temps de la République offrent, dans la dictature, qui peut être appelée à l’existence à tout moment par la volonté de l’un ou de l’autre des magistrats supérieurs et qui exerce une autorité illimitée même sur la vie des citoyens, un moyen de réaliser constitutionnellement l’augmentation de l’autorité rendue nécessaire par le péril public ; et, dès une époque précoce, le sénat a influé, seulement en fait il est vrai, sur l’établissement de cette magistrature. Les occasions d’en user soit contre les ennemis du dedans, soit contre ceux du dehors n’ont certainement pas fait défaut ; mais son fonctionnement appartient à une époque pour laquelle nous n’avons pas de tradition matérielle, et il nous échappe. L’institution a péri politiquement lorsqu’elle a été, vers le milieu du Ve siècle, soumise à la provocatio[2]. La preuve la plus claire qu’elle ne fonctionnait déjà plus sérieusement à l’époque de la guerre d’Hannibal, est que la marche d’Hannibal sur Home en 543 ne provoqua pas l’établissement de la dictature. Depuis cette disparition de la dictature jusqu’au temps des Gracques, il n’y a pas eu dans l’histoire romaine de crises intérieures qui se soient aggravées jusqu’à mettre l’État en danger, et il n’y a eu qu’une guerre qui ait menacé son existence, celle avec le grand Carthaginois. Pour résoudre la question de savoir comment, à cette époque, l’État romain se comportait en face d’un cas de force majeure, nous en sommes donc réduit au tableau militaire présenté par la marche d’Hannibal. Nous y voyons pleinement prévaloir l’initiative individuelle : la magistrature s’efface pendant ces quelques jours ; les hommes considérés, sans préoccupation de compétence légale, prennent le gouvernement en main ; le conseil de la cité donne le bon exemple aux citoyens et organise un régime provisoire appuyé jusqu’à un certain point sur les institutions régulières[3]. L’orage intérieur éclata après les premières décades du VIIe siècle et il se déchaîna avec une violence proportionnelle au calme antérieur. Les crises révolutionnaires, qui furent pour ainsi dire permanentes pendant trois générations, ont créé une pratique qui fonctionnait à côté du droit de légitime défense direct[4] et qui constituait jusqu’à un certain point un régime établi dominant cet état de dissolution. Le magistrat pourvu d’une autorisation spéciale du sénat est regardé comme l’égal du dictateur de l’ancienne république et s’attribue les pouvoirs militaires illimités que possédait ce dictateur. Le point de départ du système a été dans la façon dort le droit criminel traitait les citoyens romains passé à l’ennemi. Autant il est indubitable que la culpabilité morale du transfuge romain a été de tout temps considérée comme plus grave que celle de l’ennemi :du dehors, autant il est certain que le droit de cité n’était pas anéanti de plein droit par le crime, que le transfuge ne pouvait pas être légalement regardé comme étant à la similitude de l’ennemi dépourvu du droit de provocation : un tribun du peuple s’est opposé, en 493, à ce que la peine de mort fut exécutée par voie de coercition contre de pareils prisonniers dans l’intérieur de la ville[5]. Mais la passion a été plus forte que le sentiment du droit. C’est devenu un principe juridique reconnu que le citoyen qui a porté les armes contre son pays est un hostis et doit être puni au moins à l’égal de l’ennemi du dehors. Le dangereux principe a à son tour engendré des rejetons. Si on ne peut pas le prouver positivement, il est, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, très vraisemblable que la répression publique a été exercée de cette façon dès une époque relativement précoce, dans des domaines secondaires et extrapolitiques, en face d’incendiaires, de brigands, de meurtriers, d’empoisonneurs, que l’on regardait comme entrés, en guerre avec l’État auxquels ils appartenaient et comme ayant perdu leur droit de cité par l’effet même de leurs crimes. Les annales n’en parlent pas ; mais, lorsque la lutte des partis sortit des formes légales et que les insurrections commencèrent, on les traita d’après le même principe, on étendit la notion de l’ennemi national aux adversaires politiques. C’était évidemment illégal. Le jurisconsulte P. Mucius Scævola, consul en 621, se refusa à agir contra Gracchus selon ce système ; il a été mis en pratique pour la première fois dans les procès capitaux dirigés sur le mandat du sénat par le successeur de P. Mucius contre les partisans de Gracchus. Le parti adverse protesta à la fois par voie législative et par voie de poursuites criminelles. C. Gracchus provoqua un vote du peuple renforçant le droit de provocation et réprouvant le sénatus-consulte qui l’écartait[6]. Mais la nouvelle théorie fut appliquée à lui-même et à ses partisans de la manière la plus énergique ; et la victoire a été décidée pour elle par l’échec de l’accusation forme en 634 devant le peuple contre ceux qui avaient, en vertu d’un pareil sénatus-consulte, exécuté des citoyens romains[7]. Dans la période postérieure aux Gracques, non seulement les optimates maintiennent ce principe comme leur palladium[8], mais il n’a jamais été attaqué avec un succès durable par le parti populaire. Une accusation contraire formée en 691 n’a pas eu de résultat et est restée isolée. Le bannissement en 696 de Cicéron, qui avait en qualité de consul prescrit de pareilles exécutions ou, si l’on préfère, de pareils meurtres, n’a pas été un acte de juridiction pénale, mais un acte de violence des comices souverains. A prendre les choses en bloc, cette pseudo-dictature établie par le sénat est regardée comme une institution politique introduite au temps des Gracques[9]. Le parti populaire s’en est également servi quand il a eu la haute main dans le sénat[10], et César et les Césariens le traitent eux-mêmes comme ayant une existence légale, tout en blâmant l’usage qui en est fait[11]. Le pouvoir du sénat de soumettre les citoyens à la loi martiale, avec les conséquences illimitées de l’époque royale, n’a pas été sérieusement contesté dans le dernier siècle de son gouvernement. Les pleins pouvoirs ainsi conférés étaient en général donnés par le sénat à tous les magistrats supérieurs présents à Rome ou en Italie ; on ne rencontre pas ici d’extension à des particuliers considérés telle que celle prescrite par le sénat lors de la venue d’Hannibal. Les tribuns du peuple étaient aussi nommés, mais ils étaient pratiquement tout à fait rejetés au second plan par suite du caractère militaire de la procédure. Même au cas le plus extrême, les magistrats en fonctions par le vote du peuple s’imposent au choix du sénat ; il n’a même pas le droit de trier arbitrairement parmi eux les personnes compétentes[12] ; .cependant les magistrats infidèles à la constitution peuvent être écartés et suspendus de leurs fonctions[13]. Le rôle directeur appartient toujours aux consuls ou à leurs représentants, auxquels la hiérarchie romaine subordonne les préteurs et les promagistrats qui peuvent se trouver en Italie[14] ; s’il n’y a pour le moment qu’un consul à Rome, comme L. Opimius en 633, ou même qu’un consul en fonctions, comme Cn. Pompeius en 702, sa situation se rapproche de ce qu’était la dictature avec ses pleins pouvoirs primitifs[15]. Cette compétence consulaire extraordinaire diffère de la puissance constituante en ce qu’elle ne donne pas plus que la dictature primitive le droit d’organiser librement l’État pour l’avenir. Les pleins pouvoirs sont toujours donnés en termes généraux en vue de défendre l’État et de l’empêcher de subir de préjudice[16]. C’est à ceux qui les reçoivent de savoir comment ils doivent les appliquer et relativement à quelles personnes. Les sénatus-consultes, qui invitent en 633 le consul Opimius et en 671 les consuls Marius et Flaccus à agir d’après les lois de la guerre, ne désignent pas l’ennemi public duquel il s’agit ; mais les consuls le font ensuite en conséquence[17]. Cependant le sénat s’immisce toujours davantage dans le domaine de l’exécution. Plus tard, les pleins pouvoirs des magistrats ne sont pas sans doute limités à des personnes déterminées ; mais ils en mentionnent certaines expressément. On a ajouté pour la première fois à la proclamation de la loi martiale en 667, lors de la première restauration de Sulla, que les deux Marius, le père et le fils, et dix autres citoyens désignés devraient être considérés comme des ennemis publics[18]. Depuis, la même chose s’est produite fréquemment[19]. Lors du mouvement de Catilina, les pleins pouvoirs généraux ont été donnés aux consuls à la fin d’octobre et les deux chefs de l’armée des insurgés Catilina et Manlius ont été déclarés ennemis publics en novembre[20]. En 711, le sénat décrète la loi martiale en février et il proclame ennemis publics, Dolabella en mars, après la catastrophe de Trebonius, Antoine en avril, à la nouvelle de la bataille de Mutina[21]. La déclaration peut même être exprimée contre quelqu’un sous une forme conditionnelle[22] ; en particulier on peut, à l’explosion d’une guerre civile, déclarer ennemi public celui qui restera dans l’armée insurgée postérieurement à un jour déterminé[23]. Il est dans la nature des choses que le sénat ait le pouvoir de retirer la mise hors la loi prononcée par lui et de restituer le droit de cité ainsi anéanti. La proclamation de la loi martiale met les personnes qui y sont expressément désignées ou auxquelles les magistrats chargés de l’exécution la rapportent dans la situation où sont les membres d’un État eu guerre avec Rome qui se trouvent sur le territoire romain et ne sont pas en la puissance des Romains : les citoyens ont le droit et le devoir de les saisir et de les mettre à mort[24]. C’est là que se montre surtout clairement la parenté intime de ce gouvernement émancipé des consuls et du sénat et de celui des magistrats constituants : ces mises hors la loi sont, en fait et en droit, sur la même ligne que les proscriptiones[25]. En conséquence, les pleins pouvoirs donnés ainsi aux magistrats par le sénat s’étendent bien au delà du droit de légitime défense qui se comprend de lui-même dans tout État en face du citoyen insubordonné. Selon la théorie et la pratique du siècle de la révolution, les consuls et le sénat ont le droit et le devoir non seulement de frapper celui qui résiste à l’autorité légitime pendant qu’il le fait, mais de le dépouiller de tout droit, comme ennemi public, à raison de cette résistance et de procéder contre lui en conséquence, ou même de lier ce résultat juridique à l’accomplissement d’actes déterminés commis ou à commettre. L’extension de l’état de guerre au territoire qui ne lui est pas constitutionnellement soumis fait naître pour le magistrat le droit et le devoir d’appeler le peuple aux armes, de conduire les opérations militaires et de rendre la justice militaire. 1. Les consuls ou celui qui les remplace appellent le peuple aux armes en vertu du sénatus-consulte[26]. L’apparition des citoyens non plus en toge, mais en costume militaire, le saga sumere[27] est l’expression extérieure de l’établissement du régime d’exception. On emploie là le mode abrégé de recrutement de l’armée par le magistrat, le tumultus. Si les magistrats s’y refusent, comme cela arriva pour le cas de Ti. Gracchus, le recrutement de l’armée qui n’est pas fait par un magistrat, l’evocatio elle-même[28] peut venir y suppléer. La suspension de la justice (justitium) est toujours liée avec l’appel accéléré des hommes propres au service. L’appel s’adresse naturellement en première ligne aux citoyens actuellement présents à Rome et il en résulte une troupe formée comme le permettent les circonstances[29]. Les pleins pouvoirs comprennent celui de prescrire sans nouveau sénatus-consulte la levée de légions en forme ; mais on n’en arrivait naturellement là que quand l’insurrection ne pouvait pas être étouffée à Rome même et en général seulement après d’autres délibérations avec le sénat[30]. — Le péril écarté, l’ordre de quitter le costume militaire est donné dans la même forme[31]. 2. Le magistrat peut à sa guise ordonner des mesures de guerre proprement dite à Rome et au dehors[32]. S’il se trouve au cours de l’exécution de son mandat, dans le cas d’employer les armes contre une cité alliée, il n’a pas besoin pour cela d’une déclaration de guerre des comices[33]. 3. La situation exceptionnelle se manifeste de la manière la plus énergique pour la coercition et la justice, qui se retrouvent alors, comme à l’origine, confondues[34] et illimitées[35]. Le magistrat, entre les mains duquel tombe le citoyen auquel s’appliquent ses pleins pouvoirs, peut le traiter comme un prisonnier de guerre et, par conséquent, d’après les lois militaires des Romains, prononcer contre lui n’importe quelle peine,même la mort[36]. Ce droit subsiste pour les magistrats, même après que le costume de guerre a. été déposé, jusqu’à leur retraite de charge, à moins que les pleins pouvoirs ne leur aient été retirés auparavant, ce dont nous n’avons aucun exemple. Les pleins pouvoirs s’appliquent sans autre forme à ceux qui ont été déclarés nominativement ennemis publics soit par le magistrat en vertu du sénatus-consulte, soit par le sénatus-consulte lui-même et qui sont ainsi jugés par anticipation[37]. Quant aux autres, le magistrat les juge par voie de cognitio, en se faisant assister, s’il veut, de conseillers[38]. La remise de la décision par le magistrat non pas à un consilium, mais au sénat tout entier comme fit Cicéron pour les partisans de Catilina qui étaient emprisonnés, est un acte qui n’est justifié par aucun précédent[39], et qui est également contraire à l’usage et à la nature de l’institution ; cette dernière admet l’autorisation par le sénat d’une libre juridiction du consul, mais non la juridiction du sénat. C’était le dernier pas, et un pas de faiblesse, dans cette voie périlleuse par laquelle le pouvoir exécutif passa de la magistrature à la majorité du sénat. Le sénat avait sans doute déjà anticipé sur la justice depuis le temps de Sulla ; mais c’était une mauvaise aggravation d’un mauvais commencement que désormais le collège dirigeant, non content de mettre hors la loi les citoyens qu’il n’avait pas en son pouvoir, prescrivit à la majorité des voix aux bourreaux de faire leur office contre ceux qu’il avait en son pouvoir. — La décision, de quelque façon qu’elle soit rendue, est considérée comme un jugement ; l’exécution du jugement anticipé reçoit cette aggravation déjà signalée que, tant que le condamné n’est pas tombé en la puissance du gouvernement, chaque citoyen peut et doit exécuter sur lui la condamnation à mort. Il y a grâce, si la peine de mort n’est pas exécutée[40], et la sentence capitale entraîne forcément de plein droit la confiscation de la fortune[41]. Les pouvoirs des consuls et du sénat qui se rattachent à la loi martiale ont perdu de leur importance sous le Principat par suite du changement des circonstances politiques ; mais ni ses conditions ni ses conséquences légales n’ont été essentiellement modifiées. Lorsque l’empereur est renversé avec la participation du sénat, la forme régulière employée consiste à le déposer et à le déclarer ennemi public[42]. D’autre part, la juridiction anticipée exercée par le sénat en déclarant un individu ennemi public a été fréquemment utilisée par les empereurs comme un instrument plus efficace que la procédure criminelle proprement dite[43]. Il est encore fait allusion sous Auguste, en l’an 734 de Rome, à une application sérieuse de la loi martiale faite contre des troubles intérieurs de la ville sous la direction du consul alors en fonction[44] ; sous le Principat, cela ne se présente que dans des essais isolés d’écarter ce dernier et de revenir au gouvernement républicain du sénat. Mais, quant à la forme, les sénats de l’ancienne et de la nouvelle Rome ont encore, en présence de crises intérieures, prononcé des mises hors la loi[45] et invité les citoyens à prendre le costume de guerre, à la fin du IVe siècle. |
[1] V. tome II, la théorie des Fonctions de magistrat exercées par le citoyen au cas de force majeure.
[2] V. tome III, la théorie de la Dictature, sur sa soustraction à la provocation.
[3] V. tome II, la théorie précitée, sur la force majeure dans le territoire domi.
[4] C’est sur un tel droit que s’appuyaient ceux qui défendaient la légalité de la catastrophe de Ti. Gracchus et de celle de P. Clodius (cf. tome II, la même théorie, sur le cas de guerre civile).
[5] Cf. tome I, la théorie du Commandement militaire, sur l’imperium militaire du triomphateur, et tome III, la théorie du Consulat, sur la juridiction criminelle des consuls, dans le territoire militiæ : Il est d’autant moins douteux que la protestation du tribun fut justifiée qu’elle est formulée en faveur des demi-citoyens campaniens, auxquels aucun Romain n’aurait accordé plus que leur droit strict et dont le droit de provocation était au moins discutable.
[6] La loi de C. Gracchus, établissant un tribunal populaire, visait P. Popillius : (Plutarque, Ti. Gracch. 4). Cf. tome III, la théorie du Consulat, sur la juridiction criminelle, soustraite à la provocation des consuls de la République.
[7] Plutarque, C. Gracch. 18. Cf. tome III, la théorie de la Dictature, sur sa soustraction à la provocation. La controverse est formulée juridiquement avec plus de rigueur dans le procès qui fut intenté de ce chef en 634 ; par le tribun P. Decius contre Opimius et qui détermina probablement la théorie du droit publie postérieur. Cicéron, De orat. 2, 30, 133.
[8] C’est à ce point de vue qu’il faut considérer l’exil de Cicéron : il mettait pratiquement en question l’élément décisif du gouvernement du sénat et la totalité du parti favorable au maintien des institutions existante. ; avait toutes les raisons possibles de réagir énergiquement et rapidement contre lui.
[9] Nos autorités traitent communément le senatus concultum ultimum, comme un droit reconnu du sénat, par exemple relativement au meurtre de Saturninus et des siens, Cicéron, Pro Rab. ad pop. (prononcé avant l’exécution des Catilinaires), 7, 20. 21 ; Asconius, In Pison., éd. Orelli, p. 6 ; Appien, 1, 32 ; De viris ill, 67. Les déclarations postérieures de Cicéron sont assurément un témoignage fourni par lui dans sa propre cause mais elles ne permettent pas de douter que, dans sa conviction, le consul et le sénat pouvaient légalement agir comme ils l’avaient fait. Ainsi par exemple il déclare à Catilina, dès le principe (1, 13, rapproché d’Asconius, in Pison. p. 6) qu’il aurait déjà dû le faire exécuter, mais que le sénatus-consulte n’a pas encore été rédigé par écrit et il dit en outre Pro Mil. 26, 70 : Quis hoc credat, Cn. Pompeium, juris publici, moris majorum, rei denique publicæ peritissimum, cum senatus ei commiserit ut videret, ne quid res publica detrimenti caperet, quo uno versiculo satis armati semper consules fuerunt, etiam nullis armis datis, hunc exercitu, hunc dilectu dato, judicium exspectaturum fuisse in ejus consiliis vindicandis, qui vi judicia ipsa tolleret ? Peu importe que ce mos majorum n’ait été introduit que soixante-dix ans auparavant.
[10] Le sénat de Marius décréta, en 671, ut curarent consules (Norbanus et Scipio), ne res publica aceiperet detrimetum (Exuperantius, c. 7.)
[11] Dans le vote sur les complices de Catilina, César reconnaît le droit du sénat, mais détourne d’en faire une application capitale. Lorsque le sénat lui applique le même principe après sa rupture avec lui, il n’attaque en la forme (B. c. 1. 7), que la violation du droit d’intercession, mais non le droit du sénat dont il s’agit : Quotienscumque sit decretum, darent operam magistratus, ne quid res publica detrimenti caperet, qua voce et quo senatus consulto populus Romanus ad arma sit vocatus, factum in perniciosis legibus, in vi tribunicia, in secessione populi templis locisque editioribus occupatis : atque hæc superioris ætatis exempla expiata Saturnini atque Gracchorum casibus docet ; quarum rerum illo tempore nihil factum, ne cogitatum quidem, nulla lex promulgata, non cum populo agi cœptum, nulla secessio facta. Le Césarien Salluste définit de même en détail ce droit du sénat, probablement d’après une tradition de droit public établie, c. 29 : Senatus decrevit, darent operam consules, ne quid res publica detrimenti caperet. Ea potestas per senatum more Romano magistratui maxima permittitur : exercitum parare, bellum gerere, coercere omnibus modis socios atque civis, domi militiæque imperium atque indicium summum habere ; aliter sine populi jussu nullius earum rerum consuli jus est ; et toute son exposition a pour base l’existence de ce droit. Willems, qui considère, 2, 252, note 6, ce passage comme interpolé, regarde aussi le De domo comme de la fabrication d’un rhéteur.
[12] Cette restriction prêtait souvent à objection ; qu’on se rappelle le rôle au moins équivoque du consul Marius en face du mouvement de Saturninus et celle d’Antoine en face de celui de Catilina.
[13] V. tome II, la théorie des Fonctions de magistrat exercées par le citoyen en cas de force majeure, sur la force majeure dans le territoire demi. Après la concession des pleins pouvoirs faite en 692, le préteur César et le tribun Metellus allèrent si loin que ambo administratione rei publicæ decreto patrum submoverentur, ce qui fut d’ailleurs bientôt retiré pour le premier (Suétone, Cæs. 16 ; Dion, 37, 43). En 706, à la suite des désordres provoqués par le préteur M. Cœlius, le sénat concède les pleins pouvoirs au consul, P. Servilius Iscuricus seul présent (Dion, 42, 23). César, B. c. 3, 21. On procéda de même contre Glaucia et Saturninus. C’est là une suspension des fonctions et non une abrogation ; elles peuvent être reprises et la place n’est pas attribuée à un autre.
[14] V. tome III, loc. cit. Pour la conjuration de Catilina, il n’y a que les consuls de nommés expressément (Salluste, Cat. 29, etc.) ; mais la suite des choses (en particulier Salluste, Cat. 42 ; Drumann, 5,452 et ss.) montre que les préteurs et les proconsuls ad urbem étaient compris. On peut encore bien moins déduire l’existence d’une formule différente de ce qu’il n’est fait allusion qu’aux consols on au consul dans les résolutions semblables de 633 (Cicéron, Phil., 8, 4, 14), de 692 (Dion, 37, 43) et de 702. La collégialité égale limite les pouvoirs du magistrat supérieur, l’inégale les augmente.
[15] V. tome IV, la théorie des Pouvoirs constituants extraordinaires, sur le Consulat de Pompée de 702.
[16] Cf. tome III, loc. cit. Dans la résolution de 633, reproduite textuellement par Cicéron, Phil., 8, 4, 14, il y a : Uti L. Opimius consul rem publicam defenderet, que Plutarque, C. Gracch. 14 (de même, Cic. 15) traduit par : σώζειν τήν πόλιν όπως δύναιτο καί καταλύειν τούς τυράννους. Le discours de Philippus en 617 dans Salluste, Hist. 1, 49, est la proposition d’un tel sénatus-consulte.
[17] Plutarque, C. Gracch. 17. C’est sans doute par un simple hasard qu’on ne trouve pas l’expression hostis publicus pour l’individu mis hors la loi par un édit consulaire en vertu d’un sénatus-consulte général ; l’expression hostis judicatus appliquée à Ti. Gracchus dans Val. Max. 4, 7, 1, est en tout cas inexacte.
[18] Tite-Live, 77 : Ex qua (factione Sulpici et Mari) XII a senatu hostes, inter quos C. Marius pater et filius, judicati sunt. Val. 1, 5, 5. Plutarque, Sulla, 10, appelle incorrectement cet acte une condamnation à mort prononcée par le sénat contre Marius.
[19] Appien, 1, 86, sur l’an 671. Dion, 41, 3. 46, 39. Cicéron, Ad fam., 12, 10, 1, etc.
[20] Salluste, Cat. 36, etc. Drumann, 5, 450. 476.
[21] Drumann, 1, 254 et ss. 269 et ss. 306. Les témoignages décisifs sont pour la prise du costume militaire, Cicéron, Phil. 8, 1, pour la mise hors la loi de Dolabella, le même, Phil. 4, 9, c. 6, 15, c. 12, 29 ; pour celle d’Antoine, Tite-Live, 119, etc. L’importance politique du dernier acte réside notamment en ce que la proclamation générale de la loi martiale laisse ouvertes les négociations sur le pied de paix avec toute personne isolée, tandis que le sénat ne peut plus envoyer d’ambassadeurs à l’ennemi public.
[22] Selon Dion, 37, 32, le sénat menace de traiter comme ennemi public quiconque accuserait ceux qui ont participé à l’exécution des Catilinaires.
[23] Au cas d’insurrection, l’impunité est en général promise à ceux qui quitteront l’armée insurgée avant un terme extrême, Salluste, Hist. 3, 63, éd. Dietsch : Post reditum eorum, quibus senatus belli Lepidani gratiam fecerat. Le même, Cat. 36. Cicéron, Phil. 8, in fine. Dion, 46, 29, 51.
[24] Il suffit de rappeler la catastrophe du second des Gracques. Vita Gord., 11 : Hostes publicos qui occiderit præmium mereatur.
[25] V. tome V, la théorie des Magistrats constituants extraordinaires, sur leurs pouvoirs illimités en matière pénale.
[26] C’est pourquoi la mesure est désignée par les mots populum Romanum ad arma vocare dans César, B. c., 1, 7, en général, dans Cicéron, De or. 2, 30, 132, Tite-Live, Ép. 61, et Plutarque, C. Gracch. 14, relativement à C. Gracchus (cf. Cicéron, Phil. 10, 9, 19). Le tumultus se rencontre souvent sans la proclamation de l’état de guerre, mais la seconde ne se rencontre jamais sans le premier (Cicéron, Phil. 5, 12, 31. 6, 1, 2. Dion, 46, 29).
[27] Saga sumere : Tite-Live, 72. 118. Orose, 5, 18, 15. Cicéron, Phil. 5, 13, 31. 6, 1, 2. c. 6, 16. 3, 2, 6. 12, 1, 16. 13, 10, 23 ; ad saga ire : Cicéron, Phil. 6, 3, 9. 14, 1, 1. Velleius, 2, 16, 3. Dion, 37, 43. 40, 50. 41, 3, pour la déclaration de guerre contre César en 705. 46, 29. 44. 50, 4. La senatus auctoritas sagaria dans Sisenna (fr. 12, éd. Péter) n’est pas certaine critiquement. Les consulaires n’avaient pas coutume de quitter la toge en pareil cas (Cicéron, Phil, 8, 41, 32 ; le même Ad Cæs. jun. dans Nonius, p. 532).
[28] V. sur le tumultus et l’evocatio, tome II, la théorie des Fonctions de magistrat exercées par le citoyen en cas de force majeure, sur la force majeure dans le territoire domi.
[29] Une image animée de celle de 633 et surtout de celle de 634 est donnée par les descriptions de Cicéron, Pro Rab. ad pop. 1, 20.21. Phil. 8, 4, 44. 15, et Appien, B. c. 1, 32.
[30] Cicéron distingue en ce sens Pro Mil. 26, 70 la concession ordinaire des pleins pouvoirs nullis armis datis et celle de 702 dilectu dato. Selon Salluste (Cat., 29), l’exercitum parare est au contraire contenu dans les pleins pouvoirs et le magistrat pouvait certainement y procéder sans nouvelle interrogation du sénat, si cela lui paraissait nécessaire ; mais en général il s’en faisait donner l’autorisation expresse par le sénat, comme fit Pompée en 702. On a procédé de même en 691 (Salluste, Cat. 30).
[31] Saga ponere ou deponere : Tite-Live, Ép. 73. Orose, loc. cit. Cicéron, Phil. 14, 1, 1. Dion, 46, 39.
[32] Ordres de ce genre à Rome : Salluste, Cat. 30 ; Cicéron, Pro Mil. 23, 61 ; Dion, 42, 29. 32. 46, 44.
[33] Le bellum gerere de Salluste (Cat., 29) en corrélation avec le populi jussu qui suit ne peut être compris que dans ce sens ; et avant l’ex-tension du droit de cité à toute l’Italie, la faculté reconnue au consul d’user du droit de la guerre contre toutes les villes italiques en vertu de ces pouvoirs avait parfaitement une signification.
[34] V. tome I, la théorie de la Coercition du magistrat, sur la coercition et la juridiction.
[35] Salluste (Cat., 29). Coercere omnibus modis socios atque cives, domi militi æque... judicium summum habere.
[36] Salluste, Jug. 33 : Regi infesta plebs erat... jubebat pars... more majorum de hoste supplicium sumi. Tite-Live, 26, 31, 2 : Quidquïd in hostibus feci, jus belli defendit. Cela s’applique pareillement, à la guerre civile : cum ipsius victoriæ condicione, dit Cicéron à César (Pro Marc. 4, 12), omnes victi occidissemus, tua clementia conservati sumus.
[37] C’est là ce à quoi pense Cicéron, lorsqu’il se reproche à lui-même, In Cat. 1, 1, 2. 2, 2, 3, de n’avoir pas immédiatement fait mourir Catilina en vertu des pleins pouvoirs que lui a donnés le sénat.
[38] V. tome III, la théorie du Consulat, sur la juridiction criminelle des consuls de la République au cas de suspension de la provocation. Cicéron, Læl. 11, 37. Plutarque, Ti. Gracch. 20.
[39] Le silence de Cicéron suffit à le prouver. Il invoque assez souvent le fait que le sénat a condamné Lentulus et autres et qu’il n’a fait qu’obéir au sénat (par ex. In Pis. 7, 11. Phil. 2, 8, 18), et il parle en ce sens du judicium senatus aut populi capital (De domo, 43, 35) ; mais il ne s’appuie nulle part sur l’exemple d’une justice analogue du sénat.
[40] Salluste, Cat. 42 : Complures Q. Metellus Celer prætor ex senatus consulto causa cognitia in vincula conjecerat. 51, 43, César vote publicandas eorum (de Lentulus et autres) pecunias, ipsos in vinculis habendos per municipia. C’est l’ajournement jusqu’à nouvel ordre de l’exécution de la peine de mort signalé au chapitre Justice, qui peut pratiquement conduire à sa transformation en détention perpétuelle, et Cicéron comprend ainsi la proposition de César, In Cat. 4. 8, 10 : Homo mitissimus... non dubitat P. Lentulum æternis tenebris vinculisque mandare.
[41] Salluste, Cat. 31, 42. Plutarque, C. Gracch. 17. Cicéron, Ad fam. 10, 21, 4. Dion, 46, 39. Vita Marci, 24. Cassii, 7. Albini, 12. Le principe est encore ici que les hostes sont dépouillés de leurs biens comme de la vie.
[42] V. tome V, la théorie de la Fin et du renouvellement du Principat, sur la poursuite criminelle du prince déposé.
[43] Suétone, Gai. 7 (cf. Tib. 54). Vita Commodi, 6, Vita Albini, 12. Cette procédure diffère de la justice criminelle des consuls et du sénat en ce que cette dernière demande que les accusés soient présents et entendus et qu’ici les deux choses disparaissent.
[44] Le sénat de Constantinople mit ainsi Stilicho hors la loi en 397 (Zosime, 5, 11). Peu après, le sénat de Rome mit hors la loi le gouverneur d’Afrique Gildo. Symmaque, Ép. 4, 5 [4]. Claudien, De cons. Stilichonis, 4, 326.
[45] Lorsque fut fait à Rome, en 394 après J.-C., sous l’empereur Eugenius, le dernier essai de rétablir l’ancienne religion, cette procédure fut encore observée selon le témoignage de la remarquable poésie contemporaine (Bährens, Poet. Lat. min. 3, 287), vers 32. 33 : Quis tibi justitium incussit, pulcherrima Roma ? Ad saga confugerent, populus quæ non habet olim.