VII. L’ORDRE CHRONOLOGIQUE DES SÉNATUS-CONSULTES RELATIFS AUX MATIÈRES MILITAIRES. La relation chronologique dans laquelle les sénatus-consultes sur la formation de l’armée et le partage des troupes et du commandement sont avec l’élection et l’entrée en fonction des magistrats et la manière dont ces actes s’enchaînent entre eux réclament un examen distinct. Les sénatus-consultes qui prescrivent la levée des armées et ceux qui s’y rattachent sont, lorsqu’ils ne sont pas provoqués par des circonstances extraordinaires, délibérés en général dans l’hiver qui précède cette levée. A l’époque ancienne de la République, tant que le changement des magistrats ne fut pas fixé à une date du calendrier[1], les résolutions du sénat ne peuvent pas avoir été subordonnées à ce changement, et elles se sont, le cas échéant, nécessairement appliquées à deux années consulaires ; les consuls entrés en fonction le 1er juillet 425, se conformèrent pour la campagne en cours aux dispositions prises dans l’hiver de 421-425, et les dispositions convenues par eux avec le sénat dans l’hiver suivant réglèrent leur conduite à eux-mêmes dans la première moitié de la campagne suivante, puis, dans la seconde, celle de leurs successeurs. Pratiquement le changement périlleux du commandement en chef doit aussi avoir été alors restreint le plus possible ; mais nous ne savons rien à ce sujet. On discerne en revanche jusqu’à un certain point comment, depuis la fixation du commencement de l’année des magistratures, au plus tard au début du VIe siècle, au 15 mars, et à partir de 601, au 1er janvier[2], le règlement des affaires militaires, qui concerne désormais toujours la prochaine année militaire, se rapporte aux périodes de l’élection, du tirage au sort et de l’entrée en fonction des magistrats. La détermination par le sénat du commandement consulaire général, qui fut nécessaire jusqu’à Sulla, suivait, dans le système primitif, immédiatement l’entrée en fonctions des consuls[3] et a même fréquemment eu lieu, dès la première séance du sénat, au jour même de cette entrée en fonctions[4], que ce fut parce qu’elle résultait d’elle-même de la nature des choses ou que les résolutions à prendre eussent déjà été préparées dans l’année précédente. Il n’a pas été rare que la date en ait été anticipée ; mais pourtant même alors le sénat n’a déterminé les commandements qu’après l’élection, par conséquent en connaissance des personnes entrant on fonctions[5]. La loi de C. Gracchus, de 631, mentionnée précédemment, qui prescrivit au sénat de déterminer les provinces consulaires dès avant l’élection des consuls, remédia à l’inconvénient des considérations de personnes, et, la désignation ne précédant probablement pas alors de beaucoup le renouvellement des magistrats[6], elle ne produisit pas d’inconvénient pratique ; la situation militaire générale de l’année suivante pouvait facilement être discutée dans le sénat et faire l’objet d’une résolution avant le mois de novembre, dans lequel avaient alors vraisemblablement lieu les élections. Le tirage au sort a en général suivi immédiatement soit la détermination des départements, tant que la détermination a suivi l’élection, soit l’élection, depuis que la détermination précéda le vote. — L’assignation des troupes suit en général immédiatement le tirage au sort et peut en conséquence avoir lieu comme lui l’année précédente, quoique cela n’ait pas été fréquent[7]. Par exception, la distribution des troupes a été intercalée entre la détermination des départements et le tirage au sort des consuls, pour parer à l’influence illégitime d’intérêts des personnes[8]. La détermination des commandements prétoriens excluait en droit l’intervention du sénat, puisque la loi prescrivait la fixation par le sort de leur chiffre et de leur répartition, et elle a souvent en lieu sans cette intervention[9]. Mais, au VIe siècle, la faculté reconnue au sénat de supprimer et d’intercaler des commandements et, à l’époque postérieure, la supériorité presque constante du nombre des places de préteurs sur celui des préteurs ont rendu l’exception plus fréquente que la règle et fait que le tirage au sort entre les préteurs a été d’habitude préalablement réglé par le sénat : au vie siècle, des compétences extraordinaires sont, presque chaque année, ajoutées aux départements à tirer au sort entre les préteurs, et plus tard on a soustrait au tirage au sort, en se servant de la prorogation, autant de places qu’il a été nécessaire[10]. En règle, ce sénatus-consulte est aussi voté immédiatement après l’entrée en fonctions des préteurs qu’il concerne[11] ; mais il peut, dans l’intérêt d’une accélération, particulièrement désirable pour l’administration de la justice[12], être voté dès l’année précédente, cependant seulement après l’accomplissement de l’élection et par conséquent en connaissance des personnes participant ait tirage au sort[13]. — Le tirage au sort suit presque toujours immédiatement ce sénatus-consulte[14]. Le sénat statue toujours après le tirage au sort sur les ressources attribuées aux provinces prétoriennes[15]. Selon la constitution de Sulla, la détermination des commandements consulaires faite par le sénat se transforma en prélèvement de deux des provinces antérieurement prétoriennes pour les prochains consuls à élire, qui ne pouvaient d’ailleurs en prendre possession que Pannée après celle de leur magistrature. Le terme où les provinces consulaires étaient ainsi mises à part resta le terme antérieur, en ce sens qu’elles devaient être arrêtées avant que la question de personnes ne fût tranchée ; mais, comme les comices avaient en général lieu à cette époque en juillet et que les provinces ne pouvaient, avons-nous dit, être occupées qu’après la sortie du consulat, il y eut désormais un temps intermédiaire normal de dix-huit mois entre la fixation des provinces consulaires et leur prise de possession. C’était possible parce que les provinces consulaires de la constitution de Sulla étaient des postes administratifs ordinaires et non, comme les commandements consulaires des premiers temps de la République, des missions militaires extraordinaires. Le tirage au sort peut suivre immédiatement la désignation[16] ; mais il peut aussi n’avoir lieu que pendant l’année de magistrature[17]. La réglementation par le sénat des provinces prétoriennes occupées d’après la constitution de Sulla dans l’année qui suit immédiatement les fonctions, ainsi que le tirage au sort[18] et l’attribution de ressources[19] qui s’y rattachent ont lieu, après comme avant, postérieurement à l’entrée en fonction des préteurs[20] ; on ne se préoccupe plus désormais de les accélérer, parce que les commandements ne sont revêtus qu’à l’expiration de l’année de magistrature[21]. |
[1] V. au tome II, la théorie des Termes de l’entrée en fonctions et de la magistrature, sur l’année des magistrats consulaires et prétoriens.
[2] V. même tome, la même théorie, sur la durée égale et le commencement fixe des années des magistrats récentes.
[3] Tite-Live, 30, 1, 1 : Cn. Servilius et C. Servilius consules... cum de re publica belloque et provinciis ad senatum rettulissent, censuerunt patres, ut consules inter se compararent sortirenturve, uter Bruttios adversus Hannibalem, uter Etruriam ac Ligures provinciam haberet. c. 27, 1 : Principio insequentis anni M. Servilius et Ti. Claudius senatu in Capitolium vocato de provinciis rettulerunt ; Italiam atque Africain in sortem coici volebant. Il n’y a pas besoin d’autres exemples.
[4] Tite-Live, 26, 26, 5 : M. Marcellus cum idibus Martiis consulatum inisset, senatum eo die moris modo causa habuit, professus nihil se absente conlega neque de re publica neque de provinciis acturum. 33, 43, 1 : L. Valerius Flaccus et M. Porcius Cato consules idibus Martiis, quo die magistratum inierunt, de provinciis cum ad senatum rettulissent, patres censuerunt. De même 26, 1, 1. 27, 7, 7. 33, 35, 7. 41, 3, 4 et ailleurs souvent.
[5] Tite-Live, 21, 63, 2 : Consulum designatorum alter Flaminius, cui eæ legiones quæ Placentiæ hibernabant evenerant ; où il faut remarquer cependant que la relation de Tite-Live, selon, laquelle Flaminius quitte Rome avant son entrée en fonctions, soulève des objections sérieuses et que par suite la fixation connexe de la sortition n’est pas historiquement certaine. 27, 35, 5 : In consules designatos omnes versi, quam primum eos sortiri provincias... volebant. c. 36, 10. 44, 17, 7. Il n’est partout question que du tirage au sort ; mais ce dernier suppose l’existence du sénatus-consulte sur les provinces consulaires.
[6] V. tome II, la théorie de la Désignation, sur les termes de désignation des magistrats patriciens.
[7] Cela se produisit en 546 (Tite-Live, 27, 35. 36).
[8] Ainsi le sénat attribue pour l’an 585 aux deux consuls la Macédoine et l’Italie, et il prend en outre une résolution sur Ies troupes à affecter à chacun des deux commandements, priusquam id sors cerneret, in incertum, ne quid gratia momenti faceret (Tite-Live, 43, 12, 2). De même pour 563 (Tite-Live, 35, 41, 2. 36, 2, 1).
[9] Ainsi par exemple, en 557, tandis que les départements consulaires provoquent de longs débats, les six départements prétoriens — ce sont les réguliers : les deux départements judiciaires, la Sicile, la Sardaigne et les deux Espagnes — sont simplement tirés au sort, et l’annaliste remarque : Prius de prætoribus transacta res est, quie transigi sorte poterat (Tite-Live, 32, 28). II est procédé d’une manière semblable en l’an 560 (Tite-Live, 34, 43).
[10] V. tome III, la théorie de la Préture, sur la sortition depuis Sulla, n° 4.
[11] V. la même théorie, sur la sortitio provinciarum.
[12] Les préteurs pour 584 accélérèrent le tirage au sort propter jurisdictionem (Tite Live, 43, 15, 2, rapproché de c. 11, 8).
[13] Tite-Live, 38, 12, sur l’an 567. En 577, les préteurs tirent au sort avant l’entrée en charge et les consuls après (Tite-Live, 41, 8. 9 ; de même 25, 11, 13. 12, 28, 6. 13, 1l, 8). L’inverse en 516 (Tite-Live, 27, 36, 16).
[14] Les provinces des préteurs de 583 sont réglées avant leur entrée en charge (Tite-Live, 12, 28, 6) ; mais ils les tirent au sort après (Tite-Live, 12, 31, 9).
[15] Il était aussi possible de statuer in incertum ; mais nous n’en connaissons pas de cas et il y a de nombreux exemples de la procédure contraire.
[16] Cicéron, Verr. 3, 95 ; 222 : Quid agis, Hortensi ? Consul es designatus, provinciam sortitus es.
[17] Les consuls de 659 s’entendent sur les provinces seulement à la fin de leur année d’exercice (Salluste, Hist. l. II, fr. XVI, éd. Jordan). Cicéron, Ad fam. 1, 9, 23.
[18] Les préteurs procèdent alors à deux tirages au sort, d’abord pour les juridictions, après la désignation (voir tome II, la théorie de la Désignation, sur les droits des magistrats désignés), et ensuite pour les provinces.
[19] Cicéron, Ad Att. 3, 24, 2 : Neque enim umquam arbitror ornatas esse provincias designatorum se rapporte directement aux préteurs postérieurs à Sulla, mais peut aussi être vrai pour ceux d’auparavant ; cela n’est pas absolument exact pour les consuls antérieurs à Sulla.
[20] V. tome II, la théorie de la Préture, sur la sortition depuis Sulla, n° 5, in fine.
[21] Q. Cicéron, préteur en 692, ne procède au tirage au sort de sa province qu’à la fin de février ou au commencement de mars 693 (Cicéron, Ad Att. 1, 13, 5. Ép. 11, 5. Ép. 15, 1). Cela s’explique pour les premiers mois de la dernière année par la suspension des affaires publiques prononcée par le sénat ; mais cela montre cependant que l’ajournement du tirage au sort jusqu’à la fin de la 1re année de magistrature n’était pas surprenant et peut-être même était habituel.