LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LE SÉNAT.

LA GUERRE.

 

 

IV. CRÉATION DE COMMANDEMENTS AUXILIAIRES EXTRAORDINAIRES.

Le commandement est exercé exclusivement par les consuls et les préteurs, et les uns et les autres sont nommés par le peuple dans un nombre arrêté une fois pour toutes. Tout en respectant cette règle, le sénat a pendant un certain temps organisé extraordinairement des commandements militaires ayant la compétence qu’il lui plaisait et presque le nombre qu’il voulait. Nous avons déjà expliqué, relativement aux consuls, la direction qu’il imposait à leurs pouvoirs militaires universels. Il nous reste à exposer la façon dont il pourvoyait les préteurs et les promagistrats de Commandements extraordinaires ou bien les invitait à établir de pareils commandements.

a. Le préteur urbain peut exercer un commandement hors de la ville, non pas en personne[1], mais, puisqu’il a l’imperium, par l’intermédiaire d’un mandataire ; et il a parfois fait usage de ce droit, sur la demande du sénat[2]. Sans doute, ce mandataire n’est pas lui-même magistrat, il n’est que représentant d’un magistrat et sa nomination est en la forme étrangère au sénat.

b. La seconde préture judiciaire instituée vers l’an 512 était, semble-t-il, en vertu de la loi même qui l’avait introduite, en même temps un commandement éventuel laissé au gré du sénat ; par suite, le sénat pouvait ou bien, en rassemblant les deux juridictions, mettre parmi les départements à tirer entre les préteurs, un commandement délimité à sa guise, ou bien, même après le tirage au sort, investir d’un tel commandement celui à qui ce département était échu, auquel cas ce préteur déléguait sa juridiction à son collègue urbain[3].

c. Par rapport aux autres préteurs, le sénat n’eut aucune liberté d’action, tant que leur nombre fut égal à celui des commandements spéciaux à tirer au sort annuellement d’après les prescriptions de la loi. Si cependant des préteurs pouvaient être rendus disponibles d’une façon quelconque, par exemple au moyen de la prorogation ou à l’aide de la combinaison de deux commandements prétoriens parfois admise pour les deux Espagnes[4], le sénat disposait d’eux de la même façon que du préteur pérégrin.

d. La prorogation du commandement aboutit nécessairement, lorsqu’elle s’applique au consul, à l’établissement d’un commandement extraordinaire fonctionnant à cité de celui des consuls suivants. La prorogation de la préture peut se présenter aussi bien comme une continuation du commandement spécial ordinaire qu’en combinaison avec le transfert d’un commandement extraordinaire, en particulier lorsqu’elle s’applique à un préteur chargé de la juridiction. Par conséquent, en tant que le sénat peut proroger, ce droit comprend celui d’établir un commandement extraordinaire.

La compétence attachée à ces autorités auxiliaires est déterminée par le sénat, sans doute d’accord avec les magistrats qui le président et non pas exclusivement à sa guise ; mais il conserve encore par la suite sa liberté ; et il peut à son gré employer à autre chose le détenteur d’une pareille autorité auxiliaire[5], tandis qu’il n’a pas ce pouvoir en face des préteurs et des propréteurs qui exercent un commandement spécial fixe[6].

Ces nominations n’ont en général aucune influence sur le commandement supérieur légal des consuls. En dehors des limitations qui lui sont apportées par l’introduction des commandements spéciaux fixes et par la prorogation quand elle exclut les pouvoirs consulaires, tous les détenteurs d’un imperium sont subordonnés au consul et sont, en un certain sens, ses auxiliaires.’ Il en est ainsi par exemple des commandements spéciaux italiques de la guerre d’Hannibal et du commandement de la flotte toujours attribué de cette façon, et ces chefs sont aussi certainement nommés d’ordinaire par le sénat d’accord avec les consuls auxquels ils doivent obéir. Mais, comme les généraux en chef pourraient, si le sénat ne leur attachait pas de tels auxiliaires, régler ces départements à leur guise et les confier à des officiers de leur choix, l’établissement par le sénat de pareilles autorités auxiliaires reste toujours une limitation sensible apportée aux poussoirs du commandement en chef.

Ce droit illimité du sénat de procéder à sa guise, moins encore relativement aux personnes que relativement aux compétences, se restreint, d’après notre tradition, au vie siècle de Rome. Auparavant, la matière manque pour la création de telles positions en laissant de côté le commandement fondé sur la délégation du préteur urbain. Ensuite, la législation peut avoir limité l’arbitraire du sénat ; par exemple, la liberté de disposition relative à la préture pérégrine peut lui avoir été enlevée lors de la réorganisation de cette préture en 605[7]. Mais il est difficile que le sénat ait perdu son droit complètement. D’une part, ce droit dut trouver encore plus d’occasions d’application qu’auparavant pendant les grandes guerres dont est issue la domination de Rome sur l’univers. D’autre part, la perte des annales récentes soustrait à nos regards ce qui concerne les rapports des magistrats. Si nous connaissions l’histoire de la guerre sociale aussi bien que celle de la guerre d’Hannibal, nous n’y verrions peut-être aucune différence à ce point de vue.

Dans la période postérieure à Sulla, la concession d’autorités auxiliaires se résume dans le pouvoir général du sénat étudié plus loin, dans celui d’employer à titre extraordinaire comme généraux ou commandants en sous-ordre tous ceux qui sont investis d’un imperium.

 

 

 



[1] Il en est ainsi à l’époque qui suit la création de la seconde préture urbaine ; au Ve siècle, il a lui-même souvent reçu un tel commandement à titre exceptionnel.

[2] Cf. tome II, la section de la Représentation du général absent, sur les conditions d’application.

[3] Cf. tome III, la théorie de la Préture, sur l’intervention du sénat dans la sortition prétorienne, n° 2, et tome II, la théorie de la Præfectura urbis, sur la nomination du représentant, dernier alinéa.

[4] Cf. tome III, au même lieu, n° 3.

[5] Ainsi, en 539, M. Valerius Lævinus, qui a tiré au sort la préture pérégrine, est employé pour l’exercice d’un commandement d’abord en Apulie, puis en Macédoine (Tite-Live, 23, 39, 18. e. 32, 16, c. 38, 11). Ainsi un ex-préteur urbain est employé comme propréteur, d’abord en Étrurie, puis à Tarente (Tite-Live, 26, 28, 6. 27, c. 5. c. 35, 2). D’autres exemples existent en grand nombre.

[6] D’ailleurs le sénat traite aussi ces préteurs comme étant à sa disposition jusqu’à leur départ pour leur province ; ainsi M. Marcellus qui avait tiré la Sicile pour 538, est employé en Italie (Tite-Live, 23, 35, 5. c. 57, 1). Cas analogues concernant les gouverneurs de Sardaigne dans la théorie de la Préture, sur l’intervention du sénat dans la sortition, n° 3.

[7] L’envoi d’un des préteurs judiciaires en Campanie en 552 pour y étouffer un soulèvement (Diodore, 36, 2) est évidemment extraordinaire.