LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LES CLIENTS.

 

 

A l’ensemble des citoyens libres réunis dans une gens s’opposent les individus non libres qui se trouvent sous la puissance des membres de cette gens, la familia. En tant qu’ils sont regardés simplement comme des choses, ces individus n’intéressent pas le droit public. Mais sinon de tout temps, au moins dès une antiquité reculée, il existe, à côté de l’esclavage qui n’est que l’application à l’être humain de l’idée de propriété, un état intermédiaire entre l’esclavage et la liberté que nous appellerons demi-liberté ou clientèle et dont nous devons exposer ici le développement. La demi-liberté est une idée hybride à laquelle se lie une contradiction intime. L’homme ne peut être que libre ou esclave, la vigoureuse logique romaine le reconnaît elle-même en réunissant jusque aux temps les plus récents, sous l’expression technique familia, les individus appartenant à la maison qui ne sont pas libres et ceux qui ne le sont qu’à moitié ; ce qui fait que le mot familia[1] dans lequel l’élément politique décisif sa trouve absorbé, désigne bien le point de départ de la clientèle, mais est mis de côté au cours de son évolution vers la demi-liberté, puis vers la liberté totale. Pratiquement, cette idée hybride a été le second berceau de l’État romain.

La demi-liberté est la condition dans laquelle se combinent, du côté négatif, le défaut du droit de cité, et, du côté positif, la participation à la communauté romaine. Le nom des demi-libres s’est modifié avec l’idée elle-même, et par suite la terminologie pourra plus facilement, être expliquée en même temps que le développement de cette idée. Il suffit ici de remarquer que, comme il vient d’être dit, les individus à demi-libres étaient, à l’origine, contenus avec les esclaves sous la notion collective de familia ; que plus tard la distinction des individus avant la liberté complète et de ceux ayant la demi-liberté fut traduite par les expressions corrélatives patroni et clientes, et que finalement la distinction entre les patres ou patricii et la plebs est sortie delà.

Comme sources de la demi-liberté, on peut relever la naissance, la deditio, l’applicatio, l’affranchissement par une loi et l’affranchissement par acte privé. Toutes ces sources ont pour trait commun que, si haut qu’elles remontent dans l’antiquité, elles se présentent pourtant comme des formations secondaires et évoquent, par conséquent, avec une nécessité impérieuse, l’idée d’un temps passé où la loi logique, selon laquelle l’homme est libre ou ne l’est pas, était encore une vérité pratique.

1. Lorsque la naissance ne produit ni le patriciat, ni l’esclavage, mais exclusivement la qualité de membre de la communauté Romaine, elle produit la demi-liberté. Celle-ci, surgit à titre originaire, chez l’enfant né hors mariage d’une mère patricienne, plus tard d’une mère romaine quelconque. Cet enfant n’a pas le droit de cité, il n’existe pas de droit de propriété sur lui, comma il en existe un sur l’enfant de la femme esclave, et il n’appartient à aucun autre cercle de droit qu’au cercle romain. Si donc il n’est pas exposé, — ce qui probablement était le régime normal à l’époque la plus ancienne, — il ne peut être regardé que comme ayant la demi liberté.

La demi-liberté est produite, à titre dérivé, par la naissance en mariage depuis que, comme il dut arriver de très bonne heure, le mariage légitime et par suite la puissance paternelle ont été rendus accessibles aux personnes à demi-libres. Le père légalement reconnu ne pouvant transmettre à ses enfants un autre statut personnel que celui qu’il a, les enfants du père à demi-libre entrent aussi dans l’état de demi-liberté.

2. La Deditio, le traité conclu entre le représentant de la cité romaine et celui d’une cité souveraine vaincue[2], d’après les règles en vigueur pour ces conventions[3], traité par lequel la cité vaincue transfère à Rome ses droits de souveraineté, ses citoyens et ses Dieux[4] et les livre à sa discrétion[5], n’est pas, en lui-même, la source d’un état durable pour les déditices. Ou bien ils sont, en vertu de la deditio, mis par un acte de l’autorité romaine[6] dans un état d’esclavage ou de demi-liberté ; ou bien leurs gentes sont admises dans le cercle des gentes romaines ; ou bien elles sont, dans leur ensemble, reconstituées en un État indépendant lié à Rome par un traité ; et ces conséquences juridiques peuvent également être appliquées toutes quatre, les unes à côté des autres, selon la condition des personnes. Il y a sans doute eu un temps où tout déditice devenait soit esclave, soit citoyen romain, soit citoyen d’un État lié à Rome par un traité, où la deditio n’apportait donc aucun changement à la répartition des personnes appartenant à la cité en citoyens libres et en serviteurs esclaves. Mais la notion intermédiaire de la liberté, garantie par l’État s’est peut-être d’abord appliquée à ces étrangers soumis, et, en tout cas, c’est surtout quant à eux qu’elle est arrivée à un rôle pratique et à une valeur politique[7]. Peut-être même pouvait-on leur assurer la protection des lois sans leur concéder le droit de cité, et leur faire remise de la servitude qu’ils avaient légalement encourue par l’effet de la capitulation, en exprimant cette décision dans un acte public, comme, dans le testament comitial, le peuple assure expressément la protection des lois à l’esclave du testateur. Le récit paradigmatique selon lequel, après la reddition d’Albe, le patriciat fut accordé à un certain nombre de familles, et le plébéiat au reste de la population, présente sans doute une vue exacte des choses, à condition seulement que l’on y remplace, conformément au point de vus ancien, le patriciat par la cité et le plébéiat par la liberté.

3. Nous avons vu l’institution de l’exilium fonctionner comme cause d’extinction du droit de cité qui a la famille pour base, lorsque un Romain émigre dans une ville alliée ; nous la retrouvons ici fonctionnant comme source de la demi-liberté romaine, lorsque le citoyen d’une ville alliée émigre à Rome l’acte prend alors le nom d’applicatio[8]. Les trois éléments essentiels : l’exclusion de l’esclavage, l’exclusion du patriciat et l’exclusion de la dépendance d’une cité étrangère, se trouvent réunis. Cependant ce droit est resté limité aux villes latines, et probablement, parmi elles, à celles dont l’origine était la plus ancienne et la condition la meilleure.

La question de savoir si l’étranger, autorisé par les traités à se transporter à Rome, peut encore, après ce changement de domicile, invoquer les mêmes traités pour y vivre en qualité d’hôte, c’est-à-dire si l’applicatio est facultative, doit être résolue négativement pour l’applicatio comme pour l’exil car un hôte domicilié est un non-sens. L’émigrant appartient, endroit, à la cité romaine, nous le verrons de nouveau dans la partie consacrée à l’obligation de payer l’impôt. L’impôt romain ne frappe, en dehors des. propriétaires fonciers qui ne sont pas Romains, que les membres de la communauté romaine, et il n’est pas possible que le Latin émigré ait été libre d’invoquer encore, à son profit, l’immunité des charges publiques accordée aux hôtes.

4. L’affranchissement contenu dans un testament, c’est-à-dire la déclaration faite, dans l’assemblée du peuple, par le propriétaire actuel, qu’un esclave donné devra devenir libre au moment de sa mort à lui propriétaire, est, comme tout le contenu du testament, transformé en loi par la ratification des comices. Mais, l’entrée dans le peuple ne pouvant résulter que de l’entrée dans une famille et celle-ci ne pouvant, dans ce cas, être prescrite pour une seule personne, mémé par les curies, l’intention du testateur ne tendant non plus qu’à donner à l’ex-esclave la protection des lois et la nationalité, l’affranchissement testamentaire a sans doute produit dès le principe ces résultats, et eux seulement.

5. L’affranchissement entre vifs prend des formes différentes selon qu’il se rapporte à des esclaves ou à, des personnes libres mises dans la situation d’esclaves.

a. L’affranchissement de l’esclave est en contradiction avec la logique des principes de droit romain. Le père de famille ne peut pas plus transformer ses esclaves en hommes libres qu’il ne peut, dans l’intérieur du Latium, transformer ses enfants en esclaves. Par conséquent, non seulement il n’y a pas de forme légale directement destinée à réaliser l’affranchissement par un acte de volonté privée ; mais les actes entre vifs utilisés, à cette fin par notre droit, soit remploi fictif de l’action destinée à .faire mettre en liberté une personne injustement retenue comme esclave, soit l’inscription sur la liste des membres de l’État, sont rigoureusement la reconnaissance de l’impossibilité qui s’oppose en principe à l’affranchissement de l’esclave par son maître. Car, en les considérant dans la forme, ils ne donnent pas la liberté : ils protègent une liberté qu’on prétend déjà existante ; ils détruisent le droit du propriétaire par une déclaration faite devant le préteur ou le censeur, qui est contraire à la vérité des choses, mais qui lie le propriétaire dont elle émane et ses ayants-cause. L’intervention du magistrat n’est aucunement une confirmation officielle de l’affranchissement : il ne fait là rien autre chose que ce qu’il fait ailleurs en vertu des mêmes fonctions, et il ne peut refuser un concours dont il n’a pas besoin de connaître et dont officiellement il ne connaît pas la véritable portée. Il n’y avait donc pas, à l’époque la plus ancienne, d’affranchissement entre vifs pleinement effectif : cet acte produisait seulement les effets qui résultèrent, dans le droit postérieur, de L’affranchissement sans forme[9]. La légende juridique des Romains nie également l’existence d’un affranchissement efficace à l’époque royale, et elle en lie la fondation à l’établissement de la République[10].

b. L’affranchissement est naturellement inapplicable aux personnes libres. Bien que les enfants soient sous la propriété de leurs pères et les femmes sous celle de leurs maris, cette condition de droit privé ne les empêche pas d’avoir la liberté politique. Après que l’affranchissement eut été admis pour les esclaves, et dans la mesure où il Pétait pour eux, il le fut égaiement pour les personnes libres mises dans la situation d’esclaves, par exemple, pour le fils de famille vendu par son père. Mais, la puissance paternelle n’étant dans le système primitif que suspendue par la causa mancipii, cet affranchissement, s’il détruit le pouvoir du maître, restitue en même temps le droit de propriété du père. Cependant le même procédé par lequel on est parvenu au changement de puissance paternelle, à l’adoption rendit aussi possible, probablement en même temps, certainement dès avant les Douze Tables, la libération du fils de la puissance paternelle, l’emancipatio[11]. L’adoption est la combinaison de la triple vente destinée à Déteindre la puissance paternelle et de la revendication feinte du père nouveau. L’émancipation est la combinaison de la même triple vente destinée à éteindre la puissance paternelle et de l’affranchissement, qui, le droit de retour établi au profit du père étant désormais écarté, produit ici les mêmes effets que pour les esclaves. Le droit de famille ; qui n’était que suspendu par la vente, est définitivement perdu pour le fils à sa sortie définitive de la puissance[12]. Il est libertinus et est, en effet, appelé de ce nom[13]. On considère comme l’auteur de l’affranchissement, pour lui aussi bien que pour l’esclave, celui contre lequel a été dirigée la revendication feinte qui est le dernier acte de l’émancipation[14]. — Au reste, c’est, en règle, le père émancipateur qui assume ce rôle et qui par suite change la qualité de père contre celle de patronus[15]. — Mais naturellement le fils sorti de la famille par ce détour n’est pas mis sur le rang de l’esclave libéré. Les déchéances dont ce dernier est frappé par le droit public n’atteignent que le libertinus au sens étroit ; elles n’atteignent pas l’emancipatus.

Les jurisconsultes romains considèrent l’affranchissement comme ayant été l’origine directe de la plèbe[16]. En particulier la définition donnée par le pontife Q. Scævola (consul en 659) de ceux qui ont héréditairement la gentilité passive, c’est-à-dire essentiellement des clients ou plébéiens, n’indique pour cette condition d’autre cause de droit que l’affranchissement[17]. Une des raisons qui ont pu contribuer à répandre cette idée est que l’affranchissement par émancipation ne comporte aucune tache et qu’on ne pouvait trouver, pour relier les nouveaux citoyens aux anciens, aucune expression plus honorable que l’idée de la transformation de patriciens en plébéiens. Quand le même nom de famille est porté par des familles patriciennes et des vieilles familles plébéiennes, comme cela se présente pour les Claudii et les Veturii, il se peut en réalité fort bien que les secondes aient perdu le patriciat par émancipation.

Nous avons ainsi justifié la notion de la demi liberté entendue comme une protection de la loi assurée à un membre de la communauté qui n’est pas citoyen. Il nous faut en outre montrer que cette protection légale était accordée dans la forme de la clientèle, que l’individu à demi-libre était sous la protection d’un citoyen déterminé et, par suite, en face de lui et de sa famille, dans un rapport durable et héréditaire de dépendance.

Cette dépendance se révèle d’abord dans la terminologie : les expressions liber et cliens s’y rapportent toutes deux.

Le mot liberi désigne primitivement, par opposition aux servi, les personnes qui ne sont pas en puissance dominicale, mais en puissance paternelle, peut-être les déliés, tandis que les premiers sont les liés[18], par conséquent, pas opposition aux individus qui sont leurs maîtres, ceux qui sont bien libres au point de vue de la cité, mais qui, en droit privé, sont sous la propriété d’autrui[19], qui sont en servitude par rapport à leurs pères[20]. Ensuite l’expression fut étendue aux personnes en état de demi-liberté, comme le prouve la formule infiniment ancienne : liber esto de l’affranchissement testamentaire. L’idée qui est prise pour base est que l’individu à demi libre est dans la dépendance du citoyen auquel il est rattaché comme le fils dans celle du père, en même temps qu’ils ont tous deux droit à la protection de la loi. L’esclave libéré doit être tenu en dépendance comme un fils et non pas comme un esclave ; et son ancien maître doit lui servir de père. C’est pourquoi il est appelé patronus, d’un mot qui est avec pater dans le même rapport que matrona avec mater. La matrona est la femme qui est susceptible d’être mère. Le patronus est l’individu qui est susceptible d’être comme un père, à côté et au-dessus de ses protégés. Il est possible que-les clients aient été, tant que la protection à laquelle ils avaient droit ne fut pas considérée comme un droit de cité, opposés, en qualité de liberi, aux quirites ou cives. Mais, lorsque cette protection de la loi fut elle-même considérée comme un droit de cité, leur libertas se confondit avec la civitas. En s’étendant, l’idée de libertas se dépouilla de son élément restrictif tiré de la dépendance paternelle ou patronale ; il ne resta que son opposition d’ordre relatif avec la servitus ; et par suite, dans le langage que nous connaissons, les personnes complètement libres, même au point de vue domestique, sont comptés parmi les liberi ; la libertas et la civitas se confondent comme principe[21].

L’état de dépendance des individus à demi libres ressort plus fortement dans le nom : cliens, c’est-à-dire celui qui écoute, de cluere, écouter[22], et celui qui écoute non pas tout le peuple, mais un citoyen isolé. C’est l’expression qui en est arrivée à être employée quand on veut faire une opposition avec l’individu qui a la liberté complète, à être le nom technique du Romain qui n’est ni esclave, ni complètement libre, mais à moitié libre.

La désignation de l’ensemble des individus à moitié libres comme la multitude, plebes[23], d’où l’on a ensuite tiré plebeius, appartient à une phase postérieure du développement où l’idée de soumission à une personne déterminée perdait du terrain et où celle qui prenait le premier plan était l’idée de défaut du droit de cité, de distinction entre les citoyens et la masse des non citoyens.

Dans les conceptions juridiques des Romains, la clientèle rentre rationnellement et nécessairement dans la demi-liberté, ou plutôt c’est elle qui constitue la demi-liberté. La clientela est unanimement étendue par la tradition à tous les non patriciens libres et domiciliés, à tans les futurs plébéiens[24]. — La même conclusion résulte du lien de dépendance personnelle produit par chacune des différentes sources de la clientèle et du rapport dans lequel la clientèle se trouve ainsi mise avec la gens.

Nous avons peu de renseignements sur la naissance hors mariage. Lorsque qu’un enfant naissait dans ces conditions, il tombait sous la protection du ou des patriciens qui avaient la mère en puissance ou en tutelle, par conséquent sous la protection des gentils. La preuve en est le nom de famille de la mère attribué par la loi aux enfants nés hors mariage.

En matière d’affranchissement, le droit de patronat du propriétaire antérieur et de ses héritiers, c’est-à-dire, à l’époque la plus ancienne, de ses agnats et de ses gentils, a subsisté de tout temps.

Pour l’applicatio, il est attesté expressément que le Latin immigrant doit s’appliquer à un citoyen choisi par lui qui sera son héritier, s’il meurt sans enfants. On peut joindre à cela le fait que, du temps de la République, le nouveau citoyen prenait le nom de famille du citoyen Romain qui avait principalement contribué à lui faire obtenir la cité[25] traduit de la langue de l’époque moderne dans celle de l’époque ancienne cela veut dire que le nouveau citoyen avait le droit de choisir son patron, et par conséquent la gens à laquelle il s’attachait.

Le droit de patronat trouvait aussi sa place au cas de deditio. Cela résulte de ce que, si cette deditio aboutit à la reconstitution comme cité alliée de la cité qui s’était rendue, le général qui a reçu la deditio et ses, héritiers ont sur la cité le patronat de droit des gens[26]. Par analogie, lorsque la deditio conduit à un état de liberté garanti par la loi, les individus qui y sont compris, doivent également passer sous le patronat d’un patricien, qu’ils aient pour patron le magistrat entre les mains duquel ils se sont rendus, ou que, comme il n’est pas invraisemblable pour l’époque ancienne, la distribution des clients entre les patriciens, admise par la légende, doive être considérée comme une attribution des clients vaincus aux différentes gentes.

Toutes les causes légales de clientèle sont donc organisées de telle sorte que chacune conduit avec nécessité à mettre chaque client en face d’un patricien déterminé dans un rapport héréditaire part et d’autre. Par suite, dans l’ancien État patricien, tout individu libre appartenant à la cité, a pour patrons un ou plusieurs patriciens égaux en droit.

De là résulte la relation existant entre la clientèle et la gens. De même que le patricien est toujours et nécessairement gentilis, le client est, selon les institutions primitives, qui furent d’ailleurs plus tard défigurées par l’introduction de la pseudo-gentilité plébéienne, toujours et nécessairement en dehors du groupe des gentils[27]. Mais il appartient à la gens elle-même aussi bien que le patricien ; car, dépendant du patron, il dépend aussi forcément de sa gens ; ce qui fait que les plébéiens ont forcément appartenu, dès le principe, aux curies. Comme le patricien, le client ne peut avoir d’autre patrie que Rome[28]. Comme le droit de cité patricienne, le titre auquel le client appartient à l’État est durable et héréditaire. Comme les peuples de Rome et de Préneste, les deux cercles des Romains qui sont membres des gentes et de ceux qui en dépendent sont des cercles qui existent l’un en face de l’autre et qui s’excluent.

Avant de décrire l’ensemble de droits et de devoirs qui constituent la clientèle, il nous faut exposer la transformation de la clientèle en plébéiat. Les deux ont, comme il a déjà été dit, la même base et ne se distinguent que par une question de plus ou de moins de droits politiques, par une question de plus ou de moins dans la dépendance envers le patron. Il est d’autant moins permis de les séparer que l’on ne peut le plus souvent arriver, à retrouver leurs formes anciennes qu’en raisonnant du présent au, passé.

La condition des non patriciens est une capacité de droit qui est sortie de l’absence de droit. C’est une liberté reconnue par l’État, protégée par ses tribunaux, en règle avec le concours du patron, mais, au cas le plus extrême, même contre lui, un état légal, qui a dd être fixé à chaque époque, mais qui, à première vue, nous apparaît comme ondoyant, et que, quand bien même nous le connaîtrions plus exactement, nous ne pourrions définir que comme vacillant entre les deux points extrêmes, l’élément servile, la clientèle y perdant constamment du terrain et l’élément libre, le plébéiat en gagnant toujours jusqu’à ce que l’évolution se termine par la transformation de la demi liberté en liberté complète. De même que la cité a eu pour point de départ la distinction des hommes libres et des esclaves et que cette distinction a été obscurcie par’ l’intervention du terme intermédiaire de la demi-liberté, le plébéiat ramène, dans une certaine mesure, à la constitution la plus ancienne : tout homme libre sous la protection de la lei, est de nouveau, pourvu qu’il ne soit pas étranger, tenu pour citoyen[29].

On ne peut fixer le moment où cette transformation s’est achevée, parce que la plèbe a acquis le droit de cité par fractions. L’acquisition du droit de famille et du droit du patrimoine, celle du droit de porter les armes, celles de la pleine capacité d’ester en justice, du droit de vote, du conubium, celle du droit aux magistratures et aux sacerdoces ont été les phases de cette évolution, et elles n’ont pas elles-mêmes eu lieu pour la plupart en vertu d’un acte isolé d’une année déterminée. Elles ont, ainsi que le montre clairement la dernière phase -qui nous est exactement connue, été enfin réalisées après des luttes qui ont duré des siècles. Pour certains points, elles ne l’ont jamais été. Pour d’autres, le but a même été dépassé, en ce sens que le patricien de l’époque moderne parait, dans la forme, mis encore plus au-dessous qu’au-dessus du droit commun. Il n’est exact ni en droit, ni en raison, de lier l’avènement de l’égalité de droit à l’un de ces termes de l’évolution, bien que l’exposition historique, obligée de ne pas oublier la forêt pour les arbres, parle à ban droit de l’établissement de l’égalité entre les patriciens et les plébéiens et de la fin de la lutte des classes. La transformation de la liberté protégée par la loi en droit de cité inférieur se placé assurément, ainsi qu’il est démontré dans la partie de l’État patricio-plébéien, au moment où l’ancienne assemblée patricienne des citoyens cesse d’être l’organe absolu de la volonté du peuple et ou l’ensemble de la population patricio-plébéienne en droit de porter les armes, qui est militairement disposée en centuries, acquiert le pouvoir d’exprimer, à la majorité, cette volonté du peuple.

A partir de là, le mot populus n’exprime plus seulement l’idée des gentiles exerçant le pouvoir, mais celle des patriciens privilégiés et des plébéiens, appelés à partager les droits politiques, l’exerçant ensemble. Nous voyons constamment, en terminologie, les mots rester et leur sens changer : la distinction des anciens et des nouveaux citoyens est, autant que possible, ignorée ou tout au moins dissimulée. Pour le sénat, elle a, au sens strict, subsisté dans les patres (et) conscripti ; mais, quant à la compréhension courante, on l’a mise de côté par la suppression soigneuse de la conjonction : dans le langage ordinaire, cette formule ne désigne pas deux classes de personnes, mais le corps tout entier comme un seul tout. Le nom de quiris peut avoir été réservé aux anciens citoyens mais, précisément pour cela, il est disparu de la langue encore vivante. En général, tous les termes politiques et ceux du droit privé touchant à la politique ont passé de l’ancienne constitution dans la nouvelle : comitia, magistratus, curia, tribus, caput, adrogatio et même gens ont été étendus, dans le langage aussi bien que dans le fond, aux non patriciens, et par suite les institutions de l’ancienne cité, par exemple la réunion des patriciens, sont, dans la nouvelle constitution, dépourvues non seulement de sphère d’application, mais encore de nom.

La conception de nos vieux maîtres romains, — auxquels le plus grand péché de la critique moderne est de ne pas se rattacher immédiatement, dans lesquels-i1- vaudrait mieux chercher le vrai ou ce qui s’en approche au lieu d’errer en se fiant à sa propre inspiration, la conception de nos vieux maîtres romains ne concorde pas complètement avec celle que nous venons d’exposer. Ils partent sans douté de l’idée en dehors de laquelle il n’y a pas de conception de l’histoire romaine de possible, de l’idée selon laquelle l’État se composait au début d’un certain nombre de gentes et chacune de ces gentes de chefs, qui étaient les patriciens, et de serviteurs, qui étaient les clients ou plébéiens. Mais ils ne regardent pas ces deux catégories de personnages comme étant les uns des citoyens et les autres des non citoyens. Ils les regardent comme des citoyens inégaux en droits. Ils admettent que le droit de vote et le droit de porter les armes auraient appartenu même aux citoyens de la seconde catégorie à partir du temps de Romulus[30] et que la lutte des citoyens opprimés contre les citoyens privilégiés, dans laquelle ils voient avec raison le fond du développement de l’État, aurait eu pour objet : d’abord une organisation du service militaire et du vote conforme aux intérêts de la plèbe, dort la constitution de Servius est l’expression légendaire, puis,la communauté de conubium et le droit aux magistratures et aux sacerdoces de l’État. Les sources ne disent pas non plus que les clients aient jamais été esclaves ni que les patriciens aient été les seuls hommes libres à l’origine. Elles ne disent pas davantage que, lorsqu’une protection quelconque fut accordée aux clients par l’État, la mesure des droits qui leur furent d’abord concédés doit avoir été si faible qu’il est impossible d’appeler cela un droit de cité. Mais, dans des questions pareilles, il ne peut y avoir de témoignages, et nos prédécesseurs de Rome étaient réduits comme nous à des déductions. Il nous est donc permis, à nous qui avons à notre disposition nu horizon plus large avec des connaissances infiniment plus faibles, de nous écarter ici d’eux[31], quoique leurs conceptions fondamentales puissent, à notre point de vue, être approfondies peut-être mais non pas être changées.

Si l’on se demande, non plus au point de vue formel du droit public, mais au point de vue historique, c’est-à-dire au point de vue matériel, quand et comment s’est accompli l’affranchissement des clients dans la cité romaine, il s’agit là essentiellement de la rupture du lien de dépendance personnelle existant entre un client déterminé et son maître. Or non seulement cette rupture n’a jamais été prononcée légalement, mais le principe que nous aurons à étudier à propos de la nobilitas, selon lequel l’occupation d’une magistrature curule fait sortir le plébéien de la clientèle, a encore été pratiquement invoqué dans un procès au milieu du VIIe siècle[32] ; le plébéien qui n’appartenait pas à la nobilitas était par conséquent, encore à cette époque, légalement soumis à la clientèle. Mais les formules du droit étaient là en retard de plusieurs siècles sur la réalité des faits. A la vérité, l’inégalité intime impliquée par la nature de la clientèle est d’une importance essentielle pour le maintien de fait du patronat. La clientèle, condition intermédiaire entre la servitude et la liberté, confinait aussi étroitement d’un côté à la première que de l’autre à la seconde, et, bien que le premier domaine se soit constamment rétréci et le second aussi constamment élargi, l’inégalité n’en subsistait pas moins. Mais le caractère héréditaire du rapport suffit à impliquer la possibilité d’en sortir : si la dépendance de l’affranchi en face de celui qui l’avait affranchi correspondait aux circonstances de fait normales, son domaine se rétrécissait nécessairement avec chaque nouveau degré ajouté d’un côté ou de l’autre par l’hérédité. Dans les grandes maisons patriciennes, la masse des gens soumis à la protection devait atteindre un chiffre qui suffisait à lui seul à supprimer les relations individuelles[33]. Il a déjà été remarqué que, pour les clients produits par la deditio, qui l’emportaient probablement déjà par le nombre, la clientèle fut, peut-être dès le principe en grande partie, seulement nominale, surtout à raison de la fortune qu’ils conservaient et du souvenir qu’ils gardaient de la condition qu’ils avaient occupée dans leur ancienne patrie[34]. Et ce fut toujours plus vrai avec le temps. Les éléments patriciens incorporés dans la plèbe par émancipation perdaient leurs droits de succession fondés sur la gentilité mais le lien de clientèle ainsi créé par rapport au père naturel ne peut avoir différé que dans la forme du lien ordinaire existant entre le père et l’enfant. Nous ne savons dans quelle condition pouvaient être les clients des gentes qui furent expulsées, comme celle des Tarquin, ou qui s’éteignirent, ainsi que c’est établi pour plusieurs autres ; mais il n’est jamais question d’un remplacement du patronat, et les clients doivent être restés dans la condition de serviteurs sans maître. Enfin les transformations politiques exercèrent ici leur influence. L’admission des plébéiens au service militaire a probablement été moins sollicitée par eux que commandée par la nécessité des circonstances ; mais le plébéien qui se trouvait dans les rangs à côté du patricien et qui se procurait comme lui son équipement à ses frais, quand bien même il s’appelait encore son client, ne pouvait plus l’être en réalité. Le développement de la conscience politique et l’effort vers l’égalité de droit, qui en est la conséquence fatale, devaient, une fois suscités par l’égalité militaire, se rendre rapidement et énergiquement marres du terrain. Par suite, la multitude soumise en droit aux patriciens se divisait en individus dépendant en fait d’un maître et en individus indépendants de fait, en plébéiens qui étaient encore clients et en plébéiens qui ne l’étaient plus, ou, comme les annalistes l’expriment, exactement en se plaçant au point de vue du fond, en clients et en plébéiens[35].

Quoique la distinction des clients et des plébéiens résulte Séparation principalement de la mesure de fait dans laquelle ils jouissent du plébéien est de leur indépendance politique et économique et qu’elle échappe donc par la aux déterminations juridiques, les institutions politiques ont cependant établi des délimitations légales entre les plébéiens qui sont libres et ceux qui ne le sont pas. On peut faire rentrer dans cet ordre d’idées, bien qu’il lui soit donné une base théorique différente, le fait que la plèbe, en se réunissant par tribus rurales au lieu de s’assembler par curies, a de très bonne heure exclu de ses réunions les citoyens qui n’avaient pas de biens fonds. Nous devons ici étudier deux, institutions qui tendent au même but : l’ingénuité plébéienne et la gentilité plébéienne.

L’ingénuité, c’est-à-dire la naissance d’ascendants libres n’existe pas comme notion juridique distincte pour la cité patricienne ; car cette cité exclut quiconque descend d’un affranchi, que cet affranchi soit sorti par l’affranchissement de l’esclavage ou de la causa mancipii. Mais, lorsque le cercle des plébéiens comprit à la fois les affranchis qui n’avaient jamais été esclaves et qui étaient seulement sortis par un acte juridique formel de leur maison patricienne d’origine et les anciens esclaves et leur postérité, lorsque aussi la tache inhérente à l’esclavage s’effaça naturellement dans la dernière catégorie avec le nombre des générations, il se fit une séparation entre les plébéiens de naissance honorable, les ingenui, et ceux dont l’origine avait une tache, les libertini[36]. La ligne de démarcation n’a pas toujours été la même. D’après une tradition digne de foi, la dernière désignation se serait d’abord appliquée non pas seulement aux anciens esclaves, mais aussi à leurs descendants au premier degré[37] ; et cette version est confirmée par le fait que les descendants dont il s’agit restèrent, jusqu’à une époque récente, exclus de la magistrature[38] et, par conséquent, du sénat et même de l’ordre équestre[39]. Il est probable que sinon la même désignation, au moins la même déchéance s’étendait aux enfants nés hors mariage et à leurs descendants au premier degré[40]. L’expression corrélative ingenuus doit donc avoir désigné, à l’origine, le citoyen né d’un père né libre et d’une mère libre[41]. Le droit de cité du père n’est pas requis, voit-on en matière d’éligibilité : le nouveau  citoyen, s’il était de bonne naissance dans son ancienne patrie, reste tel dans la patrie romaine.

Plus tard, le cercle des ingenui a été tracé d’une manière plus large. Nous montrerons, dans la partie des Affranchis, qu’à la suite du plébiscite Térentien de 565, les enfants d’affranchis furent mis, pour le droit de vote, sur le même rang que les ingénus ; par conséquent, ils furent désormais comptés parmi les ingenui. La même chose eut lieu, pour les individus nés hors mariage et leurs enfants, par une entorse à la loi : on a, en profitant de l’ancien prénom Spurius, transformé le Surius filius en un Spurii filius, et on lui a procuré par là le père qui lui manquait. C’est ainsi que s’est constituée l’idée d’ingenuus, au sens large récent, dans lequel tout citoyen romain né d’une mère libre est ingenuus[42] et est opposé au libertinus de notre langage ordinaire, à l’esclave affranchi[43].

Les conséquences tirées de l’idée d’ingénuité sont indiquées soit dans la partie de l’Éligibilité, soit dans celle des Affranchis ; sa principale importance politique tient à ce que l’ingénuité est une condition requise pour l’occupation des magistratures et pour le service militaire régulier. Mais, sous le dernier rapport, elle ne commence, montrerons-nous en son temps, à jouer un rôle que vers le milieu du Ve siècle, et par suite elle ne s’y présente que sous sa forme moderne. L’institution a pour origine l’éligibilité aux magistratures plébéiennes, pour laquelle elle fonctionne avec son ancienne délimitation et devient en réalité indispensable. Pour les élections patriciennes, la bonne naissance de l’élu était une conséquence du jeu même de la constitution ; les plébéiens ont sans douté pourvu de bonne heure à ce qu’elle ne fit pas non plus défaut aux chefs de la plèbe, et ils ont juridiquement exclu de la candidature au tribunat et à l’édilité ceux qui apparaissaient comme gardant la marque de la servitude. Il en fut de même à plus forte raison quand les plébéiens devinrent éligibles aux magistratures de l’État : leur intérêt, plus encore que celui de la noblesse d’origine, exigea la création chez eux d’un droit de naissance.

Il y a une parenté entre le développement de l’ingénuité plébéienne et le développement, seulement partiel il est vrai, qui se fit d’une gentilité plébéienne. Il a été établi que les droits de gentilité appartiennent aux patriciens et qu’au sens strict ils n’appartiennent qu’à eux, même à l’époque récente : la gentilité, n’est générale qu’en ce sens que les plébéiens appartiennent passivement, en qualité de clients, aux gentes patriciennes. C’est[44] dans les maisons patriciennes que, de tout temps, le système de la gentilité a continué de fonctionner principalement. Mais il y a aussi une gentilité plébéienne, en ce sens que les plébéiens se sont appuyés sur une parenté, qui est appelée fréquemment gens et, en langage technique, stirps, pour réclamer des droits de succession[45] et de tutelle[46] et aussi probablement pour constituer, en matière religieuse, des sacra gentilicia sous l’autorité des pontifes ; car ces sacra ne restèrent aucunement restreints aux familles patriciennes. Tous les éléments nécessaires existaient. Du droit de succession aux biens du client, établi par préférence à son maître au profit de son fils[47], la succession des agnats se développa forcément, pour les degrés suivants, dans le sein de la plèbe. Puis, quand une maison plébéienne se fut consolidée pratiquement, il y eut possibilité d’organiser juridiquement le lien de fait de parenté en lien de droit, soit pour les sacra, soit pour les droits de succession et de tutelle. Cela a dû se faire sur le désir des intéressés et sous l’autorité des pontifes. Peut-être exigeait-on, pour la reconnaissance d’une gens plébéienne, une décision des curies patricio-plébéiennes, qui n’étaient pas compétentes pour concéder la gentilité patricienne, mais qui peuvent assez facilement l’avoir été pour conférer la plébéienne. On aura sans doute alors tenu compte de la restriction des droits de gentilité patricienne existants qui résulte de la constitution d’une gens plébéienne. Mais la possibilité d’un conflit entre le droit de succession des pseudo-gentils et l’ancien droit de succession des gentils patriciens subsistait. Un procès de ce genre concernant la maison des Claudii, a été tranché par les centumvirs au dernier siècle de la République, sans qu’il nous soit dit dans quel sens. En somme, il a existé dans la plèbe un certain nombre de gentes légalement reconnues, en même temps que d’autres plébéiens sont restés en dehors des liens de gentilité[48].

 

Il nous reste maintenant à exposer, principalement sous le rapport de la dépendance qu’elle implique, la notion juridique de la clientèle, comme aussi du plébéiat qui en est issu, à décrire l’ensemble de droits et de devoirs des membres protégés de la gens en face de leurs protecteurs en même temps que les infériorités de droit imposées aux clients et aux plébéiens. La nature même du sujet fait que nous ne trouverons qu’à leur déclin les diverses inégalités dont nous entreprenons l’étude. Notre tradition ne nous a conservé que les derniers débris de l’institution de la clientèle, et les plébéiens que nous connaissons sont des clients parvenus à l’égalité. Pourtant le plébéiat lui-même a gardé des traits de sa nature première, et son caractère particulier ne peut être élucidé que par ce rapprochement.

On doit se figurer le cliens, qui n’est ni esclave[49] ni complètement libre, comme étant à l’époque la plus ancienne avec son patron essentiellement dans le même rapport dans lequel sont restés l’affranchi et son ancien maître jusqu’aux temps les plus récents. La clientèle est sans doute, au premier rang, une relation morale de foi réciproque[50], comme la tutelle et les liens personnels en général ; mais ce n’en est pas moins une idée juridique ; la comparaison faite par les jurisconsultes romains entre l’autonomie restreinte des alliés et la clientèle du droit privé[51], leurs solutions selon lesquelles les droits et les devoirs résultant de la clientèle sont primés par ceux venant de la tutelle et priment ceux venant de la parenté et de l’alliance[52] suffisent à le démontrer. Il nous faut étudier ici : le nom de famille des clients ; leur participation aux sacra de la gens ; leur capacité privée ; l’absence de conubium existant entre citoyens et clients ; la protection légale dont jouit le client et l’absente d’action civile entre lui et le patron ; l’aptitude du client à figurer dans les procès civils ; les relations économiques existant entre lui et le patron ; le droit de succession existant entre eux ; enfin la participation des non patriciens à l’usage des terres publiques ; en résumé, la condition civile du client. L’infériorité politique du client, ou plutôt du plébéien, en face du patricien et son effacement progressif, qui n’est autre chose que la continuation de l’évolution du droit privé, ont été exposées où il convenait ou le seront plus loin. Le point de départ donné à cette exposition, l’absence de capacité politique des plébéiens, soit pour consulter les Dieux, pour les auspicia[53], soit pour exercer l’autorité de magistrat, l’imperium[54] suffit à démontrer que l’évolution de la plèbe commence par le défaut du droit de cité et que par conséquent le patriciat était le droit de cité primitif. Cette opinion se confirmera dans chaque partie des développements qui vont suivre.

1. L’individu à moitié libre emprunte en principe à son maître son nom de famille, signe caractéristique de la gens à laquelle on appartient. Il en est ainsi sans réserves, comme nous l’avons déjà remarqué, pour l’enfant né hors mariage ; c’est également vrai pour l’individu sorti de l’esclavage par un affranchissement[55]. Même dans l’affranchissement de l’homme libre qui avait été mis en état de servitude, dans l’émancipation, l’affranchi doit avoir suivi la gens de l’auteur de l’affranchissement, alors même que ce n’était pas celle à laquelle il appartenait précédemment[56] ; mais le changement de nom était ordinairement évité par l’intervention du père comme auteur de l’affranchissement. Enfin le nouveau citoyen qui avait jusqu’alors porté un nom en désaccord avec le système romain prenait le nom du Romain qui avait le plus contribué à lui faire obtenir la cité. — La question se posé différemment pour les personnes qui portaient déjà, au moment où elles entraient dans la plèbe, un nom conforme à la nomenclature romaine. Il y a, sans nul doute, changement de nom quand l’entrée dans la plèbe implique un changement de famille, ainsi au cas d’adoption d’un fils de famille latin par un citoyen romain. Mais il en a difficilement été ainsi aux cas d’applictatio et de deditio ; les Latins ont alors probablement conservé leurs noms de famille. Autrement les anciennes gentes patriciennes occuperaient, dans la nomenclature récente de Rome, une place plus large qu’elles ne font, et la grande quantité des noms de famille romains serait inexplicable. Ce doit être par suite de cela que les Marii d’Arpinum se trouvaient dans là clientèle des Herennii, sans doute aussi d’Arpinum. Au reste, on voit encore par là que le patronat de cette dernière espèce a toujours dû être moins rigoureux que celui de l’auteur d’un affranchissement sur son affranchi.

2. Appartenant à une gens, on participe par suite à ses réunions et à ses fêtes religieuses : en tant que la population libre était appelée à de telles cérémonies, les clients y figuraient à la suite de leurs maîtres, ce principe doit s’être appliqué tant aux sacra de la gens qu’à ceux du peuple réuni dans son ensemble ou distribué dans ses parties régulières ; on a la preuve que la fête des Fornacalia, qui se célébrait par curies, s’étendait aux patriciens et aux plébéiens[57].

3. La capacité civile a sans doute été le premier élément de la condition juridique des individus à demi-libres, celui qui les a le premier distingué des esclaves. Certains désavantages légaux résultent du reste, même dans ce domaine, pour les clients, de leur infériorité politique et religieuse. Le plébéien n’a pas pu faire de testament avant qu’il n’eut le droit de voter dans les curies ou que le testament n’eut commencé à se faire par la mancipation, dont l’usage fut peut-être d’ailleurs amené là précisément par l’exclusion primitive des plébéiens du testament comitial. L’adrogation, pratiquement moins importante, lui fut en tout cas inaccessible tant qu’il ne figura pas sur le pied d’égalité dans les curies. Tant que la propriété foncière appartint aux gentes, le plébéien s’en trouva exclu légalement dans la même mesure. Mais, en dehors de ces limitations indirectes, la capacité civile du plébéien est, autant que nous voyons, de la même espèce et de la même vigueur’ que celle du, patricien : il a la plénitude du commercium, la puissance domestique, le jus proprium civium Romanorum[58], l’aptitude à la mancipation, au nexum, la capacité active et passive en matière de succession ab intestat, en un mot la communauté complète du droit national qu’a le Latin, communauté de droit profondément différente de celle qui fut plus tard accordée à l’étranger par le droit international postérieur. Il n’y a pas trace, dans cette sphère, de droits exclusivement patriciens.

4. Le droit matrimonial occupe une place à part. Il faut distinguer l’admission des plébéiens au mariage en général et leur admission au mariage avec les patriciens. La première rentre essentiellement dans la capacité : elle est la condition de la puissance paternelle et du droit de succession ab intestat et ne peut pas avoir jamais fait défaut aux personnes à demi-libres. C’est par là surtout qu’il est reconnu officiellement qu’elles appartiennent à la cité ; car le mariage ne peut être conclu que selon le droit d’un État déterminé, et il doit, comme le testament, pour être valable s’appuyer ou sur le droit national de Rome, ou sur celui de Préneste, ou sur celui d’Athènes. Le droit nous montre aussi deux formes de mariage également valables, le mariage des citoyens qui se forme par confarréation, sous l’aspect d’un mariage religieux, et le mariage consensuel des personnes à demi-libres. Le premier, qui ne se rencontre que chez les patriciens, a dû être légalement interdit aux plébéiens ; pour ne pas nous avoir été transmise expressément, cette solution n’en est pas moins sure. L’introduction singulièrement précoce du mariage civil dans l’État romain, a sans nul doute été provoquée par le fait qu’il semblait également impossible de concevoir la capacité sans le droit au mariage et d’admettre les individus à moitié libres à la plaine communauté religieuse impliquée par la nature du mariage religieux et exprimée dans les auspicia gentilicia[59].

Par conséquent, le mariage entre deux plébéiens ou entre un plébéien et une patricienne doit avoir été valable depuis qu’il y eut des hommes libres protégés par la loi à côté des citoyens. L’impossibilité du mariage entre le patricien et la plébéienne est au contraire encore reconnue par les Douze Tables ; c’est seulement la loi Canuleia, placée par la tradition des annalistes en 309 de Rome, qui a introduit le conubium entre les deux ordres, c’est-à-dire qui a reconnu le mariage consensuel conclu entre un patricien et une plébéienne comme faisant les enfants tomber sous la puissance du père et suivre sa condition[60]. — L’exclusion des affranchis du mariage avec les citoyens, générale jusqu’à Auguste et maintenue sous le Principat quant à l’ordre sénatorial, sera étudiée dans la partie des Affranchis.

5. Le statut personnel du plébéien est protégé par le préteur, la contestation de son affranchissement ou de l’affranchissement de l’un de ses ancêtres est soumise aux formes des actions en revendication de propriété. En présence du caractère rigoureusement héréditaire du droit de propriété qui portait sur les esclaves et de l’absence en cette matière de toute limitation de temps[61], il n’y avait pas de plébéien dont la condition personnelle ne put être attaquée par cette voie ; et les dispositions exceptionnelles prises, dans cette espèce de revendications, à l’encontre du demandeur sont autant de sauvegardes de la liberté plébéienne. On peut y faire rentrer indirectement la publicité de l’acte d’affranchissement, résultant de son accomplissement devant le préteur, le censeur ou les comices, qui aura pour effet d’en faciliter la preuve. Il faut y comprendre directement les privilèges nombreux et importants accordés aux procès de liberté : l’admission générale de la représentation chez celui qui plaide pour la liberté[62] ; l’abaissement de l’amende à payer par lui s’il succombe[63] ; le règlement de la possession intérimaire dans le sens de la liberté[64] ; l’exclusion de la force de chose jugée pour la sentence rendue contre la liberté ; enfin et par dessus tout, l’établissement d’un tribunal spécial[65] auquel le préteur était tenu de renvoyer ces procès.

La tendance plébéienne caractéristique se manifeste avec une vigueur particulière dans la création de ces judices decemviri, ou, comme on les appela plus tard, de ces decemviri litibus judicandis ; car, en premier lieu, tandis que les jurés de la procédure civile étaient ailleurs en général pris dans le sénat, les décemvirs lui sont nécessairement étrangers, et, en second lieu, ils furent, lors de la reconstitution de la plèbe qui suivit la chute du décemvirat, garantis a la plèbe en même temps que ses magistrats et déclarés comme eux sacro-saints.

6. Le droit d’intenter une action en justice contre son patron fait défaut au client, tant pour les actions d’ordre purement patrimonial que pour celles nées de délits[66] ; cette incompétence des tribunaux du peuple dans les contestations entre patrons et clients est un indice remarquable du défaut de liberté complète de ces derniers. A la question de savoir ce qui arrive soit lorsque le patron enlève ou détériore la propriété de son client, soit au cas inverse, on nous répond, pour le premier cas, que la procédure civile qui n’est pas possible est remplacée par une poursuite criminelle : l’injustice qui fonde contre son auteur une action du citoyen lésé, peut, lorsqu’elle est commise par un patron contre son client, sans défense en face de lui, fonder nue poursuite intentée au nom du peuple[67]. En outre, le client parait avoir eu, en pareil cas, la faculté de réclamer la protection spéciale des tribuns[68] ; si en principe le tribun n’intervient pas en présence des injustices privées et laisse e. la victime le soin de faire valoir son droit devant les tribunaux, la protection des tribuns est en revanche logiquement assurée lorsque le droit d’agir fait défaut. Pour le cas inverse, il n’est pas question de peine publique : le patron se sera alors fait justice à lui-même, et, par conséquent, il doit avoir eu, au moins dans cette mesure, le droit de juridiction sur ses clients[69].

7. Selon le droit des temps historiques, le citoyen non patricien peut, en dehors du cas qui vient d’être étudié, intenter une action et y défendre d’une manière indépendante. Le patronus et le cliens de la procédure sont le conseil et la partie, sans que la différence de rang exerce une influence : l’assistance du patron est facultative pour le client. Mais, l’assistance incombant au patron comme un devoir héréditaire et nettement formulé[70] et ne servant pas à compléter la connaissance du droit, mais à, fortifier une comparution eu justice qui est valable par elle-même et qui n’a donc pas besoin d’être fortifiée ; il est naturel de se demander s’il n’en a pas été autrement à l’époque de l’établissement de cette institution incompréhensible dans la forme où elle existe, si la personnalité judiciaire n’était pas alors incomplète. Les expressions caractéristique : employées montrent en outre que l’assistance en justice n’était fournie à l’origine que par le protecteur à son protégé et, qu’elle était alors juridiquement requise, c’est-à-dire que le second pouvait bien poursuivre et être poursuivi, mais seulement avec le concours et par conséquent l’adhésion du premier. — Sous ce rapport comme sous celui du commercium l’individu à demi-libre parait avoir été dans la même position que le Latin protégé par un traité ; car probablement ce dernier ne pouvait pas non plus, selon le droit le plus ancien, intenter une action sans l’assistance de son hôte[71].

8. Il a sûrement existé aussi une obligation à l’obéissance du personnelle, comme l’indique l’expression cliens ; mais elle n’a pas laissé son empreinte juridique dans notre tradition. Nous ne savons non plus rien de satisfaisant sur les relations patrimoniales qui existaient entre vifs entre le patron et le client. Du temps où le partage du sol entre les gentes et l’institution de la clientèle coexistaient, le gentil peut avoir partagé sa portion de terrain entre ses clients, et cela, puisqu’il ne peut y avoir de rapport contractuel sanctionné par une action entre le patron et le client, dans la forme d’une possession précaire (precarium), et en retour avoir reçu le revenu du sol, soit sous la forme de corvées fournies gratuitement par le précariste sur les champs restés entre ses mains, son directement , sous la forme d’une fraction des produits ; le patronat apparaît ainsi comme tenant sa place dans la répartition des terres[72]. — La propriété immobilière privée, d’abord des patriciens, mais aussi ensuite des clients, sera sortie d’un pareil mode de culture. La tradition ne nous arien transmis sur ce régime. A l’époque qui nous est connue, les services qui pouvaient être ainsi fournis par les clients ont disparu comme les corvées dues à l’État, et ce sont les rapports contractuels qui dominent en économie rurale. Il est mentionné à plusieurs reprises que les clients sont obligés de soutenir le patron dans ses dépenses extraordinaires[73] ; on ne peut déterminer dans quelle mesure il y avait là un devoir d’affection ou un droit susceptible d’exécution forcée.

9.  L’aptitude à laisser une succession et à en recueillir une est une partie intégrante de la capacité de droit. L’individu à demi-libre peut de toute antiquité recueillir, une succession, mais exclusivement ab intestat, en vertu du droit d’agnation qui a pour base la puissance paternelle. L’individu à demi-libre laisse une succession comme celui qui l’est complètement. Si elle n’est pas recueillie en vertu du droit d’agnation, le patron intervient. Et cette vocation héréditaire du patron ne s’est pas seulement maintenue, jusqu’aux temps les plus récents, en matière d’affranchissement ; elle est aussi reconnue en matière d’applicatio. Les Douze Tables, en appelant au dernier rang à toutes les hérédités les gentils, par conséquent, d’après la conception la plus ancienne, uniquement les patriciens, reconnaissent même que tous les plébéiens sont ou doivent être clients des différentes gentes. L’égalité entre les plébéiens et les patriciens en matière de succession a ensuite été réalisée sait par la substitution déjà indiquée du testament privé au testament comitial, soit aussi par le développement également déjà étudié de la pseudo-gentilité plébéienne.

10. Il va de soi que les plébéiens furent plus mal traités que les patriciens, relativement aux terres publiques, tant que les patriciens occupèrent le pouvoir. La disposition des terres publiques était une partie du gouvernement, et la forme aristocratique est la pire de toutes les formes politiques, parce qu’elle poursuit toujours, plus ou moins directement, l’enrichissement des membres de la classe dirigeante aux dépens de la masse. La tradition le reconnaît en regardant la situation inférieure faite aux plébéiens relativement aux terres publiques comme la cause immédiate de l’agitation politique qui aboutit à l’égalisation des plébéiens et des patriciens par rapport aux magistratures[74]. Mais la gestion partiale des biens de l’État n’appartient pas plus à notre sujet que l’administration partiale de la justice. Il n’a probablement existé d’inégalité en forme que dans d’étroites limites, et, en tant qu’il a pu y en avoir une, elle se place à l’époque qui nous est inconnue. Cependant l’importance politique de la question justifie tout au moins l’essai de distinguer les divers rapports juridiques qui y interviennent.

a. La propriété du sol conquis n’est, à l’époque ancienne, probablement restée à l’État que dans une mesure limitée. Lorsque la deditio conduisait, comme ce devait tare le cas le plus ordinaire, à l’établissement d’un rapport de clientèle, les terres qui y étaient comprises durent être attribuées à la gens dans la clientèle de laquelle entrait le deditus tant que la propriété foncière appartint aux gentes, et ensuite, depuis la reconnaissance de la propriété individuelle, au deditus lui-même qui, en droit privé, n’était pas au-dessous du patricien. Lorsque l’adsignatio des terres conquises n’accompagnait pas la deditio[75], elle avait souvent lieu plus tard, tantôt à titre de vente, tantôt à titre de donation[76]. Par conséquent, si la conquête transformait, en droit, tout le territoire conquis en propriétés du peuple romain, il a dû fréquemment ne rester dans la possession de l’État romain que les terres qui appartenaient déjà à la communauté conquise.

b. Quand le sol public était transformé en propriété privée par l’un des procédés indiqués précédemment, cela ne pouvait, à l’époque où la propriété foncière appartenait aux gentes, augmenter que la propriété immobilière patricienne. Il est même possible que, depuis l’établissement de la propriété immobilière individuelle, les patriciens aient encore été seuls admis à profiter de la vente et de la donation des terres publiques. Mais notre tradition, si tant est qu’il y en ait une, ne sait rien d’une pareille faveur faite aux patriciens. C’est au contraire, et probablement avec raison, dans le maintien de ces terres sous la propriété de l’État qu’elle voit une faveur pour eux[77]. En qualité de terres publiques, elles étaient sous l’administration du gouvernement patricien. Au contraire, non seulement les plébéiens étaient admis, avec les patriciens, à participer aux ventes et aux donations, mais il était, autant que nous sachions, de règle, dans les donations de terres publiques, d’accorder à chaque gratifié la même quantité de terrain[78].

c. Nous n’avons naturellement pas à nous occuper ici de la partie dès terres publiques que l’État soustrait à l’usage privé ou afferme à loyer[79].

d. L’usage par les particuliers des terres publiques non affectées à la culture, des prairies, des bois et en général de tout le terrain qui donne des fruits sans que culture en forme, est soumis, pour ses modalités, à. la volonté du magistrat compétent ou même du peuple. Les droits de servitude existant, en vertu d’un acte public ou d’un usage équivalent, au profit d’un fonds de terre sur les terres ou les prairies de l’état[80] bénéficient au propriétaire de ce fonds. Il se peut que ces droits de jouissance disparussent quand le propriétaire était plébéien, ou que les plébéiens fussent exclus de la répartition de ces avantages. Mais cette infériorité des plébéiens reste, en face de notre tradition, assurément hypothétique. Le droit de faire paître son bétail sur les pâtures publiques, qui a certainement joué un rôle économique important à l’époque ancienne, a pour condition nécessaire la réglementation officielle du titre auquel le propriétaire de bétail aura ce droit, du nombre maximum de têtes de bétail pour lequel il pourra en user, du montant de la redevance qu’il devra en retour. Or les patriciens ont certainement été tout au moins avantagés dans ces réglementations, tant qu’ils restèrent seuls citoyens, et même après que les plébéiens eurent commencé à voter dans les centuries. On peut rattacher à cela le récit qui nous est transmis sans date, selon lequel divers individus auraient été expulsés des terres publiques, à cause de leur qualité de plébéiens[81]. Mais rien n’autorise à admettre que les plébéiens aient été exclus de cet usage des terres publiques par une règle générale et législativement établie. L’exclusion et l’admission devaient plutôt dépendre de l’arbitraire des magistrats qui étaient pour le moment en exercice, d’abord, à notre époque ancienne, des rois, et ensuite des consuls.

e. Lorsque la terre publique destinée à l’agriculture restait en la, propriété de l’État, il était, d’après les coutumes romaines, permis à un particulier d’en occuper et d’en exploiter la partie qu’il voulait contre une quote-part du produit qu’il versait à titre de redevance à la caisse publique[82]. En droit, c’était là un colonat partiaire, perpétuellement révocable au gré du bailleur. Autant il est certain que les patriciens ont encore été avantagés dans cette sphère[83], autant il est impossible qu’ils y aient eu un privilège légal. Le but qu’on poursuivait là par dessus tout, c’était de faire retirer à l’État de ses immeubles un revenu plus élevé que celui fourni parle droit de pacage. C’était une mesure économique, s’adressant à ceux qui étaient disposes à employer leur travail et leur capital au défrichement des terres arables. Par conséquent, les plébéiens ont sûrement dû prendre part à ces occupations ; et l’on peut établir qu’ils ont exercé le droit d’occupation dès avant les lois Liciniennes[84].

 

 

 



[1] L’étymologie du mot est incertaine. Probablement il se rattache à l’Osque faamat = habitat et correspond au mot maison, soit pour désigner ceux qui appartiennent à la maison, sens dans lequel il peut être rapproché de gens, soit pour désigner les gens de service, οίκέταιι, acception prédominante dans le langage technique. L’idée de participation à la maison prévaut dans famulus, qui, à cause de cela, se dit de préférence des domestiques libres.

[2] La capitulation d’une cité de citoyens insurgée, comme par exemple celle de Capoue dans la guerre d’Hannibal, n’en est légalement pas une ; car, dans la conception romaine, une pareille cité n’est pas in sua potestate. Ce ne sont pas non plus les conséquences de la deditio qui interviennent alors ; le crime ne modifiant pas le statut personnel, ce sont les peines du droit criminel romain que l’on applique.

[3] Cf. tome I, la partie des actes conclus entre l’État romain et un État étranger. Il est, comme toutes ces conventions, conclu par demande et réponse ; on le rédige aussi par écrit (Val. Max. 6, 5, 1). La formule est donnée par Tite-Live, 1, 38. La deditio était souvent accompagnée de la constitution d’otages (Tite-Live, 22, 20, 11).

[4] La théorie juridique qui fait dériver de l’État, les droits privés et religieux les plus essentiels intervient ici dans ses conséquences pratiques. Le droit de cité et la propriété foncière tout au moins étant donnés par l’État au particulier, il peut les lui retirer. Les dieux de la cité tirent également leur existence et leurs biens de l’État.

[5] Polybe, 30, 4, 2. Sur la reddition in fidem qui n’est pas autre chose qu’une atténuation de la deditio, cf. la partie des sujets.

[6] La mesure dans laquelle le magistrat pouvait agir seul on devait obtenir le concours du peuple n’a pas d’importance pour les conséquences juridiques de l’acte, que nous avons ici à étudier.

[7] Tite-Live, 4, 23, 7 (cf. c. 30, 1), l’exprime relativement aux Albains. Les Cæninenses et les Antemnates sont, d’après la description de Denys, 2, 35, inscrits au nombre de 3.000 exactement. Il raconte la même chose pour l’immigration des Sabins de Tatius (2, 46) ; pour l’admission dans le peuple des Veiens captifs (2, 55) ; des Albain (3, 29. 31) ; des habitants de Politorum (3, 37). Ils conservent la liberté (2, 35) et reçoivent le droit de cité, c’est-à-dire, comme cela est dit expressément pour les Albains, le droit de cité plébéien tel qu’il existait alors ; ils conservent leurs biens immeubles et leur fortune mobilière (2, 35 ; 2, 55 ; 3, 29), tandis que les Romains disposent de l’ager publicus de la cité soumise (3, 29). Autant les cas particuliers sont peu certains, autant la procédure elle-même est sûrement rapportée conformément à la vérité historique.

[8] Cicéron, De orat., 1, 39, 187. Cf. Rœm. Forsch, 1, 381 (résumé Hist. rom. 4, 412).

[9] Cette notion de l’affranchissement est développée, Rœm. Forsch. 1, 358-360 (résumé Hist. Rom. 4, 441. 412). L’expression servus a même été usitée jusqu’à une époque récente pour les affranchis, montrerons-nous dans la partie consacrée à ces derniers.

[10] Tite-Live, 2, 5. Plutarque, Popl. 7. Par conséquent ; cet affranchissement n’est pas considéré comme le premier, mais comme le premier qui ait donné le droit de cité ; on se représentait les antérieurs de la même façon que les affranchissements sans forme du droit nouveau Denys, 4, 22 et Zonaras, 7, 9, font au contraire remonter I’affranchissement pleinement efficace au roi Servius, sans doute parce qu’ils se représentaient la manumissio censu comme née avec le cens, et ils ont par suite modifié dans ce sens la première légende (Denys, 5 ; 13).

[11] Emancipare n’est, en soi, rien autre chose qu’un renforcement de mancipare ; il est fréquemment employé pour désigner l’aliénation des choses (Orelli, 4121 = C. I. L. VI, 2006 ; Aulu-Gelle, 45, 22, 3 ; Horace, Epod. 9, 12 ; Cicéron, De senect., 11, 38) ; de même, quand il est appliqué aux personnes, il désigne aussi bien, selon la juste observation de Festus, Ép. p. 77, la sortie d’une puissance pour passer sous une autre, c’est-à-dire l’adoption (Cicéron, De fin. 1, 7, 24) et le passage de la filia familias sous la manus du mari (C. I. L. VI, 4537 a), que celle réalisée par le passage sous le mancipium destiné à éteindre la puissance paternelle. Ici le mot est pris dans le dernier sens qui est le sens technique chez les jurisconsultes récents.

[12] Au sens strict, le droit de famille ne disparaît pas au moment de l’émancipation ; il disparaît dès la troisième mancipation, quoique, à la vérité l’état du fils reste, en un certain sens, en suspens tant qu’il est in mancipii causa. Au reste, la même extinction du droit de famille par la causa servilis existe dans l’adoption ; mais elle n’y ressort pas aussi fortement que dans l’émancipation, parce que la naissance d’une nouvelle puissance paternelle, à laquelle sont liés en règle de nouveaux droits de famille, y cache le passage par la condition d’esclave.

[13] Tite-Live, 41, 8, 40.

[14] La préférence est bien donnée au père sur l’extraneus manumissor en matière de tutelle (Gaius, 4, 472 ; Inst., 1, 49) et de succession prétorienne (Inst. 3, 9, 3) ; mais c’est toujours le manumissor qui reste le véritable patronus.

[15] On sait comment cela se fait : le père peut, après la troisième vente, faire accomplir l’affranchissement par l’acheteur (extraneus manumissor) ; mais ordinairement il se fait revendre le fils par cet acheteur, et ensuite il fait lui-même la manumissio (parens manumissor).

[16] Denys, 2, 8. Cela se rattache à l’équivalence ou plutôt au rapprochement de patricius et d’ingenuus dans Cincius ; et, dans la combinaison donnée pour base aux institutions primitives, il n’y avait assurément guère place, à côté du patriciat, que pour une servitude plus ou moins mitigée ; la sortie de la plèbe de la servitude est par suite probablement une doctrine traditionnelle et non pas seulement l’avis d’un jurisconsulte isolé. Mais, en dehors de ces données schématiques très anciennes, les jurisconsultes romains ne considèrent jamais comme des idées synonymes celles de patricien et d’ingénu, ni encore moins celles de plébéien et d’affranchi.

[17] Scævola, dans Cicéron, Top. 6, 29, définit les gentils en droit de succéder, en exigeant, outre l’identité de nom, trois autres conditions : Qui ab ingenuis oriundi sunt, quorum majorum nemo servitutem servivit, qui capite non sunt deminuti. La première des trois conditions exclut Me personnes qui ont un esclave affranchi pour père ou une esclave affranchie pour mère, (cf., tome VII, la partie des Affranchis) ; la seconde ceux qui ont parmi leurs ascendants plus reculés un ex-esclave ; la troisième les anciens gentils exclus de la gens par le passage sous la puissance maritale, par l’adrogation ou par l’émancipation. Cependant les femmes qui se marient et les enfants adrogés ne sont capite deminuti que relativement à leur gens d’origine et non relativement à celle où ils entrent.

[18] Servus doit certainement être réuni à serere ; l’étymologie de liber (formes anciennes : loeblubleib, osque : lovf —) est contestée ; mais le mot peut difficilement être séparé de lûo.

[19] La justification de l’idée qui considère la puissance paternelle et maritale comme une propriété contient en elle la limitation légale de cette propriété. Dans le domaine du droit civil, la main est toujours la même, qu’elle saisisse un citoyen, un esclave ou une autre chose ; il n’y a plus de possibilité d’arriver a une construction juridique si l’on cherche des principes différents pour la puissance paternelle en maritale et pour la propriété, si l’on sépare en principe les sui du droit des personnes et les sua du droit des choses. Mais le statut personnel du droit publie est indépendant dit droit de propriété privée ; et, en tant que le droit publia donne la droit dé cité u une partie des individus soumis à la propriété privée, il tire entre les personnes soumises à la potestas ou à la manus et les esclaves une ligne de démarcation profonde ; les personnes placées dans la condition d’esclaves (in causa mancipii), qui sont pour le moment en servitude, mais qui sont libres sous condition, occupent entre les deux catégories une place intermédiaire.

[20] La condition du fils de famille est considérée à Rome comme une servitude relative, ainsi que la montrent non seulement les choses, par exemple le droit de vente du père, etc., mais aussi les mots : les Douze Tables expriment l’extinction de la puissance paternelle par les mots : Filius a patre liber esto ; c’est donc que le fils de famille est a patre servus. C’est une des gaîtés de la formation du langage que libertas ait, à l’origine, beaucoup plus désigné la servitude que la liberté.

[21] Cicéron, Pro Cæcina, 33, 96 (de même, De domo, 29, 77).

[22] On peut rapprocher ob-œdiens et dicto audiens.

[23] Il est incontestablement établi que la racine première de plebes est la même qui se retrouve dans plenus et πλήθος ; sur la suite de la formation cf. Corssen, Ausspr. 1, 565 ; Curtius, Griech. Etym. p. 277.

[24] Cicéron, De re p., 2, 9, 16 ; Plutarque, Rom. 16 ; Festus, p. 283 ; Denys, 2, 9. Ampelius, 49. Tite-Live, bien qu’il distingue ordinairement, et avec raison les plébéiens des clients, reconnaît lui-même que la plèbe se compose proprement de clients : ainsi la tribu Claudia est formée des clients d’Appius et Manlius crie à la plèbe (6, 20, 6) : Quot clientes circa singulos fuistis patronos, tot nunc adversus unum hostem eritis. Cf. Rœm. Forsch., 1, 356 = Hist. rom. 4, 410.

[25] L’Africain Muttones, comme l’appelle Polybe, ou Omottenes, comme l’appelle le tableau de proxénie de Delphes (Dittenberger, Syll. 198, 88), prend, après que le droit de cité lui a été accordé, en 544, par un plébiscite a l’instigation du consul M. Valerius Lævinus, en qualité de citoyen romain, le prénom et le gentilicium du consul (Dittenberger, Hermes, 15, 158). Cicéron, Verr. 4, 17, 37. 13, 35 et 36. Le Gaditan Balbus qui reçut de Pompée le droit de cité, en vertu des pouvoirs donnés à Pompée par la lex Gellia Cornelia (Cicéron, Pro Balbo, 8, 19. 14, 32), prit le nom des Cornelii. Dans le système de la République, c’est, en règle, le peuple lui-même qui accorde le droit de cité, et, par conséquent, il n’est, au sens du droit, donné par personne individuellement ; on peut choisir le nom de celui qui a été le promoteur de la loi comme parait avoir fait Balbus (Drumann, 2, 595) ; mais le gratifié était également libre de prendre le nom du Romain qui l’avait, en fait, aidé à obtenir la cité ou de celui avec lequel il était dans les rapports personnels les plus intimes. Au cas de concession médiate, le gratifié peut aussi, comme montrent les cas cités plus haut, procéder de la même manière et il n’est pas obligé de prendre le nom du magistrat qui lui a conféré le droit de cité quant à la forme. Ce ne fut que sous le principat que l’on vit un manque de loyalisme à ce que l’individu gratifié du droit de cité prit un autre gentilicium que celui de l’empereur. La défense de l’empereur Claude d’intenter de ce chef (nous connaissons, dans le fait, un P. Cornelius Q[uirina] Macer a divo Claudio civitate viritim donatus, C. I. L. II, 159), des poursuites de lèse majesté (Dion, 60, 17), explique comment cette attribution de nom devint constante à l’époque postérieure. Mais il n’y a jamais dû avoir dans ce sens d’obligation légale ; on n’a pas assez tenu compte de cette idée dans l’étude des gentilicia anormaux d’affranchis impériaux qui se rencontrent encore postérieurement (cf. par exemple, Eph. epigr. V, p. 109).

[26] Cicéron, De off. 4, 11, 35. On trouve ce principe appliqué à C. Fabius, consul en 476, pour tout le Samnium et fréquemment par la suite. On a lié à ce patronat, qui, en lui-même, ne repose pas plus sur un contrat que toute autre variété de ce droit, l’hospitium conventionnel. Tandis que, dans le statut municipal césarien de Genetiva, le patronat et l’hospitium sont encore distingués en droit, tout hospitium est abusivement qualifié du nom de patronat sous le principat. Cf. Rœm. Forsch. 1, 358. 371 = Hist. Rom. 4, 411. 416 ; Eph. ep. 2, p. 146 ; Handb. 4, 187.

[27] D’après Cicéron (Verr., 1, 45, 115), où le patricien hérite gente, le plébéien le fait scirpe. Dans Tite-Live, 10, 8, 9, un plébéien dit : Semper ista audita sunt eadem, penes vos auspicia esse, vos solos gentem habere. Mais les témoignages isolés sont moins clairs encore que celui qui résulte de tout l’ensemble du droit.

[28] La tradition qui nous a été transmise ne sait absolument rien d’une différence de nationalité entre le peuple formé par les gentes et les éléments existants en dehors de lui ; toutes les relations de droit desquelles vient la plèbe sont rapportées par les anciens au Latium. Non seulement les Albains et les autres peuples soumis sont aussi Latins que les Romains qui les soumettent ; mais les affranchis eux-mêmes sont seulement inscrits comme citoyens Romains par Servius Tullius (Denys, 4, 22) : ils sont donc regardés comme des Latins faits prisonniers à la guerre.

[29] À la vérité, les dediticii, que nous aurons à étudier plus loin et qui sont libres bien que n’étant ni citoyens ni étrangers, se trouvent avec ce principe dans une contradiction qui ne peut être écartée.

[30] Cf. la partie des Institutions de l’état patricien.

[31] Soltau (Altrœm. Volksvers., notamment p. 83) s’approprie l’opinion des anciens, selon laquelle les patriciens et les plébéiens auraient, de toute antiquité, existé les uns a côté des autres comme citoyens libres et voté dans les curies ; il n’a, en le faisant, suffisamment pesé ni l’origine de la plèbe, ni la valeur des prétendus témoignages relatifs aux temps préhistoriques.

[32] Dans un procès d’ambitus intenté contre Marius qui n’appartenait pas à la nobilitas, C. Herennius se refusa è déposer contre lui parce que la maison des Herennii avait celle des Marli dans sa clientèle ; à quoi Marius répliqua que ce lien avait été rompu par l’édilité qu’il avait revêtue. Plutarque, Mar. 5, dit que cela n’est pas exact. C’est sur ce principe que repose en droit la nobilitas.

[33] La manière dont les anciens se figuraient la situation est attestée par les histoires des 5.000 clients propres à porter les armes d’Ap. Claudius (Denys, 5, 40) et des Fabii (Festus, p. 344, v. Scelerata.)

[34] Il ne faut pas omettre de remarquer que la deditio ne produit pas, en elle-même, une condition personnelle durable, mais est seulement la base juridique de l’établissement dune telle condition. La clientèle effective résulte du partage des dediti entre les citoyens. S’il n’y a pas de partage et s’il n’est pas pris d’autre mesure relativement à ces dediti, leur clientèle par rapport à la maison du général auquel ils se sont rendus n’est qu’un pis aller juridique, destiné § maintenir la règle de l’universalité de la clientèle pour ceux qui appartiennent n la cité sans être patriciens.

[35] C’est ainsi que parlent Tite-Live (2, 35, 3 ; de même c. 56, 3. C. 64, E. 3, 14, 4. c. 16, 5) et très souvent Denys (6, 47. 63. 7, 18. 39. 9, 41. 10, 15. 27. 40. 43), mais du reste constamment dans un style figuré, car ce langage ne pourrait se défendre dans la rigueur da droit. Lorsque Denys, 6, 63, oppose aux plébéiens retirés sur le mont sacré, comme alliés des patriciens, τοΰς πελάτας άπαντας καί τοΰ δημοτικοΰ τό περιόν, il peut vouloir dire que outre les clients dépendants, une partie des plébéiens indépendants désapprouvait la sécession ; au reste, il importe peu que l’auteur grec ait ou non compris exactement les choses.

[36] En droit privé, l’expression s’emploie aussi pour l’individu né libre qui a été émancipé. En droit public, on ne considère comme affranchi que celui qui servitutem servivit, et c’est dans ce sens que le mot est employé ici.

[37] Suétone, Claude, 24.

[38] V. tome II, la partie des causes d’inéligibilité absolue.

[39] Pline, H. n., 33, 2 ; 32. Cf. la partie des Chevaliers.

[40] Les enfants nés hors mariage, parmi lesquels il faut compter tous ceux qui ont été conçus dans un mariage nul pour disproportion de rang ou pour toute autre cause, n’ont été que plus fard compris parmi les ingenui ; en peut le voir clairement dans le système des noms. Puisque ils étaient considérés ainsi que l’on sait, comme n’ayant pas de père légal, sine patre filii (Gaius, 1, 64 ; Plutarque, Q. R. 163), et que les individus nés libres et les affranchis étaient séparés dans la liste des citoyens, ils étaient bien mis dans la première catégorie, mais avec la mention, toujours abrégée dans cette liste : Sp(uruus) f(ilius) ; il reviendrait au même qu’ils fussent, comme prétend Plutarque, loc. cit., mentionnés par la note : S(ine) p(atre) f(ilius) ; mais il n’y a probablement là qu’une conjecture défectueuse dés jurisconsultes récents. Quoi qu’il en soif, cette mention les excluait du nombre des ingénus, tant que l’ingénuité réclama l’existence d’un père. Mais on la leur étendit en conservant l’ancienne abréviation et en la lisant Sp(urii) f(ilius). Spurius n’a guère été employé comme prénom réal, en dehors de quelques vieilles familles patriciennes. La mention Sp. f., que l’on rencontre fréquemment, même à l’époque récente, doit être là, comme je viens de dire, ainsi que l’attestent les anciens (Festus, p. 474, v. Nothum), et que le confirment quelques inscriptions qui l’écrivent en toutes lettres (C. I. L. V, 3884. 6148. IX, 2696. X, 3834. 5947). Mais, sans nul doute, elle désigne en règle, non pas le fils dan père nommé Spurius, mais un fils procréé hors mariage (C. I. L. V, p. 1213. X, p. 4487).

[41] Voir une discussion plus détaillée dans la partie des Affranchis. Il est aussi démontré là que les petits-fils d’affranchis ont toujours été classés parmi les ingenui.

[42] Pour la terminologie juridique, il n’y a pas besoin de preuves. Ainsi Horace, quoique libertino patre natus, est ingenuus (Sat. 1, 6, 7), et Plaute, Mil. 784 = 3, 1, 189. 961 = 4, 1, 15 emploie déjà ingenuus et libertinus ou e servo liber factus comme deux termes opposés. D’ailleurs, l’emploi métaphorique du mot suffit pour impliquer l’existence antérieure de la délimitation plus étroite du sens attesté par Suétone.

[43] Nous montrerons dans la partie des Affranchis, qu’en dehors du passage cité de Suétone (Claude, 24), libertinus ne désigne jamais le fils de l’affranchi.

[44] La prononciation de l’infamie pour certains noms ne nous est rapportée que relativement à des gentes patriciennes. La disette de témoignages sur les usages gentilices des maisons plébéiennes parmi lesquelles les plus distingués n’étaient pas au dessous des patriciennes (Popillii, Cicéron, De leg. 2, 22, 5, — Sarrani Atiliens, Pline, 19, 1. 8 et ailleurs encore çà et là), rapprochée de l’abondance des mêmes témoignages sur ceux des maisons patriciennes beaucoup moins nombreuses doit s’expliquer par le faible développement de la gentilité dans le milieu plébéien. Le gentile stemma des Cassii est cité dans Suétone, Nero, 37.

[45] Les témoignages sur les prétentions successorales soulevées par les Claudii Marcelli et les Minucii (plébéiens), sont relatés au chapitre précédent.

[46] La définition juridique des gentils en droit de succéder ne s’applique exactement qu’aux maisons patriciennes et aux massons plébéiennes qui tirent leur origine d’une émancipation. La clause : Quorum majorum nemo servitutem servivit exclut du moins absolument la postérité des affranchis. Cependant il n’est pas inconcevable que ces derniers eux-mêmes puissent prétendre à un droit de succession fondé sur la gentilité sinon comme gentiles, au moins comme gentilium numero.

[47] La manière dont se pesaient en détail les droits réciproques du maître et des parents du client rentre dans le droit des successions. Selon les Douze Tables, le maître ne recueille rien, si l’affranchi laisse des enfants ou même s’il fait un testament, ce qui se sera lié avec le caractère législatif du testament. Ce dernier point fut modifié par le préteur, qui donna au patron la bonorum possessio contra fabulas (Gaius, 3, 49).

[48] Oraison funèbre de Turia : Neque enim familiæ gens ulla probari poterat.

[49] La clientèle n’est pas l’esclavage : Clientes nostros, dit Proculus, Digeste, 49, 15, 171, 1, intellegimus liberos esse.

[50] La fides joue ici, même dans la terminologie, exactement le même rôle que dans les rapports d’alliance analogues : Quoia in fide is exit majoresve in majorum fide fuerint, dit pour le client la loi repetundarum, ligne 10, au sujet de l’assistance en justice. Rœm. Forsch. 1, 355. 377. Hist. Rom. 4, 408. 419.

[51] Ce point est traité dans la partie consacrée aux Alliés.

[52] Aulu-Gelle, 5, 13. Le patronat passe-t-il avant l’hospitalité ou l’hospitalité avant le patronat, c’est à Rome un point controversé. La question de préférence se rapportait surtout à l’assistance en justice. Si un pupille et un client du même homme plaident l’un comme l’autre, il la doit au pupille ; si les deux plaideurs sont un client et un parent, il la doit au client. Cf. Rœm. Forsch. 1, 378 (Hist. rom. 4, 419).

[53] V. tome I, la partie des Auspices.

[54] V. tome III, la partie du Tribunat du peuple.

[55] Cf. la partie des Affranchis.

[56] En voyant les généalogistes de Rome faire venir de Numa Pompilius les Pomponii et les Calpurnii, on pourrait penser qu’ils employaient, pour satisfaire les familles plébéiennes qui désiraient une origine patricienne, à côté de l’expédient tiré des maisons patriciennes éteintes, utilisé pour les Junii et les Marcii, celui tiré de la supposition d’une sortie du patriciat par émancipation où un plébéien aurait procédé au dernier affranchissement et, par conséquent, aurait donné son nom de famille à l’affranchi. Mais il est très incertain, que les fictions modernes de cette espèce se soient astreintes à être d’accord, ne fut-ce qu’avec la légalité extérieure.

[57] Ovide, Fastes, 2, 527 et ss.

[58] Gaius, 1, 55.

[59] Voir, tome I, dans la partie des Auspices, ce qui concerne les auspicia privata.

[60] Cicéron, De re p. 2, 37, 63. Le récit amplifié des annalistes dans Tite-Live, 4, 1 et ss., (cf. Denys, 10, 60. 11, 23), n’ajoute aucun élément juridique nouveau. L’essentiel est suffisamment certain ; pour la séparation des Douze tables en dix bonnes et deux mauvaises et pour la date de la loi Canuleia, les moyens de contrôle nous font défaut.

[61] La prescription était appliquée aux personnes libres en puissance, ainsi que le prouvé l’acquisition de la maous par ce moyen, et il est possible qu’elle ait également protégé la femme mariée et le fils de famille contre la vindicatio in servitutem. Mais l’idée contradictoire selon laquelle on se prescrirait soi-même, n’a certainement pas été appliquée aux personnes libres sui juris.

[62] A la vérité, un représentant a toujours été exigé de l’homme libre qui n’est pas en puissance et il ne lui était pas permis d’être dans le procès à la fois objet du litige et partie, qu’en fait il fût ou ne fût pas en possession de la liberté.

[63] Le petit sacramentum de 50 as suffit toujours. Gaius, 4, 14.

[64] Quintilien, Inst. 5, 3, 1. 11, 1, 78.

[65] Voir, tome IV, la partie du Vigintisexvirat.

[66] Denys, 2, 10. L’ancien droit ne connaissant pas d’accusations criminelles privées, on ne peut penser ici qu’à la procédure civile ; la procédure des quæstiones, pour laquelle des règles semblables sont en vigueur, a, comme on sait, pour origine la procédure privëeplut8t que la procédure publique. Ce point est développé de plus prés, Rœm. Forsch. 1, 377 (Hist. rom. 4, 418).

[67] La règle : Patronus si clienti fraudem fecerit [Diti patri] sacer esta est citée à la fois comme une loi de Romulus (Denys, 2, 10) et comme une disposition des Douze Tables (Servius, Ad Æn. 6, 609). Tout ce que l’on entend par le, c’est qu’une accusation capitale peut être intentée de ce chef (cf. tome III, la partie du Grand Pontificat, sur les délits religieux). La détermination de ce que c’était que fraudem facere (cf. Aulu-Gelle, 20, 1, 40) était, évidemment avec intention, laissée à l’arbitraire de l’autorité qui jugeait.

[68] Dion, 60, 28. Cf. tome III, la partie du Tribunat, sur la défense d’un acte de magistrat.

[69] Pour soutenir que le patron aurait eu, d’une manière générale, à l’époque la plus ancienne, le droit de justice sur ses clients, on pourrait invoquer la juridiction criminelle qui lui est encore reconnue à l’époque récente sur ses affranchis (Rœm. Forsch. 1, 309 = Hist. rom. 4, 415) ; cependant il n’y a pas d’autre indice que le droit de patronat s’étendit à la juridiction criminelle.

[70] Parmi les devoirs du patricien, on cite l’assistance de ses clients dans leurs procès civils (Denys, 2, 10), et l’obligation de les renseigner sur le droit qui se lie avec la première (Denys, loc. cit. ; Horace, Ép. 1, 104) ; notre droit ne connaît pas de devoir du client d’assister le patron.

[71] Il est traité de cette condition légale de l’hôte dans le préambule de la partie des Latins.

[72] Festus, Ép. p. 247 : Patres senato des ideo appellati sunt, quia agrurum partes attribuerunt tenuioribus ac si liberis propriis. C’est probablement là l’origine de l’institution du précaire. Rœm. Forsch. 1, 366 (Hist. rom. 4, 414). — Sur les colonies de citoyens et leur patronat, qui est forcément intervenu comme une anomalie dans le partage des terres par familles, on comparera la partie de la Constitution municipale.

[73] Pour de grandes dépenses imprévues (paiement de rançon, Denys, 2, 10 ; Plutarque, Rom. 13, — condamnation à une amende, Denys, 2 10. 13, 5 ; Tite-Live, 5, 32. 38, 60, — établissement d’une fille, Denys, 2 ; 10 ; Plutarque, loc. cit., — dépenses d’une magistrature, Denys, 2, 10), le patron peut demander une aide à ses clients. Rœm. Forsch. 1, 269 (Hist. rom. 4, 416). Au contraire, en dehors de telles nécessités il était interdit au patron par les bons usages et il lui fut même plus tard interdit par la loi de mettre ses clients à contribution ou seulement d’en recevoir des présents, Rœm. Forsch. 1, 367. 371 (Hist. rom. 4, 415. 418).

[74] Selon Tite-Live, (451, 5. c. 53, 6. 6, 5, 4. c. 37, 2. c. 39, 9. 10) et Denys (8, 74. 10, 32) les patriciens se trouvent par la force, par occupation (6, 37, 2 — Nec agros occupandi modum... patribus umquam fore) en possession exclusive des terres publiques, et elles leur sont arrachées par les lois Liciniennes (Tite-Live, 6, 35, 5). Mais cette conception, — ce n’est rien de plus, — ne résiste pas à un examen juridique l’occupation de l’ager publicus n’est pas un acte de violence et la fixation d’un maximum pour l’ager occupatorius atteint les riches et non les nobles. Des annalistes bien informés ne peuvent avoir dit rien de plus que ce qui est écrit ci-dessus.

[75] Appien, B. c. 1, 7.

[76] Appien, loc. cit. Tite-Live, 4, 48, 3.

[77] Tite-Live, 1, 48, 2. Nous pouvons nous représenter le territoire primitif comme étant, en première ligne, la propriété privée des gentes patriciennes et les terres nouvelles comme constituant soit des terres publiques, soit des propriétés privées établies par assignation et principalement plébéiennes.

[78] Voir, tome IV, la partie des Magistrats agris dandis adsignandis.

[79] Appien, loc. cit.

[80] Il a certainement existé, à l’époque ancienne, de telles servitudes pesant sur les terres publiques de Rome. Il y avait sur le territoire de Suessa des agri culti, qui habent in monte Massico plagus silvarum determinatas (Frontin, éd. Lachmann, p. 48) ; ces parcelles de bois sont regardées à l’époque récente comme étant, de même que les champs, en propriété privée et comme en constituant l’accessoire (le même, p. 16 : De proprietate controversia est plerumque ut in Campania cultorum agrorum silvæ absunt in montibus ultra quartum aut quintum forte vicinum : propterea proprietas ad quos fundos pertineat disputatur) ; mais elles ont évidemment été autrefois en la propriété de la cité et en la simple jouissance des riverains. Cf. Rudorff, Grom. Inst. 2, 393 et ss. Il a existé à Rome un régime analogue et la question des Allrnende a dû jouer son rôle dans les luttes des classes.

[81] Hemina (dans Nonius, p. 149, éd. Peter, fr. 17) : Quicumque propter pebitatem agro publico ejecti sunt. Lorsque Salluste (Hist., fr. 1, 46,éd. Dietsch) cite l’agro pellere parmi les injustices des patriciens qui amenèrent la constitution du tribunat, cela peut être rapporté à ceci, mais il est encore, plus naturel de rapporter le teste de Salluste a la possession précaire des clients.

[82] Appien, B. c. 1, 7. Il parle, 1, 18, des maux résultant de ce κήρυγμα τήν άνέμητον έξεργάζεσθαι τόν έθέλοντα προλέγον. Ce n’est pas ici le lieu d’insister davantage sur les détails.

[83] On peut rattacher à cela le fait que Tite-Live n’attribue l’occupation des terres qu’aux patriciens.

[84] Le plébéien C. Licinius Stolo fut condamné, en 397, en vertu de sa propre loi, pour avoir dépassé le maximum fixé à l’occupation des terres (Tite-Live, 7, 16. 9 ; Val. Max. 8, 6, 8 ; Columelle, 1, 3, 11 ; Pline, 18, 3, 17 ; Plutarque, Camill. 39). La version du De viris ill., c. 20 repose évidemment sur une confusion ; le maximum était également imposé aux patriciens et aux plébéiens.