LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE TROISIÈME. — LE PEUPLE ET LE SÉNAT.

LE PEUPLE DES GENTES OU LE PATRICIAT.

 

 

Le peuple s’appelle primitivement chez les Romains populus ; plus tard, on le nomme aussi civitas. Il se compose d’un nombre indéterminé de familles, gentes, et chaque famille se compose d’un nombre indéterminé tant d’hommes libres, patres ou patricii, que de clients, clientes ou plebeii ; de sorte que le peuple, au sens juridique, est formé par l’ensemble des membres libres de ces familles actuellement existants, appelés quirites ou plus tard cives. Ce sont ces principes fondamentaux de la constitution romaine que nous allons développer.

Le populus est l’État fondé sur la nationalité commune des personnes, tandis que l’État, considéré topographiquement comme le territoire soumis à une souveraineté, s’appelle imperium, empire. Le mot populus est employé, tout comme pour le peuple romain, pour n’importe quel autre État ; qu’il soit gouverné par des rois ou qu’il ait une constitution républicaine, qu’il ait eu non une ville pour capitale[1]. Il désigne peut-être, au sens direct, le peuple réuni sous les armes[2], mais les notions du peuple et de l’armée ne s’étaient certainement pas encore séparées, lorsque ce mot entra dans l’usage. Dans la langue postérieure, il n’est dans aucun rapport spécifique avec les choses militaires, et il est employé partout où l’État doit être visé dans son unité. De même que c’est la seule expression employée dans ce sens par le langage technique, c’est aussi la seule de laquelle on forme un adjectif (publicus) pour désigner les personnes ou les choses qui appartiennent à l’État[3]. Populus désigne toujours et nécessairement les citoyens considérés dans leur ensemble, et par suite, il désigne, à l’époque récente, dans la langue juridique, lei peuple patricio-plébéien, par opposition au mot plebs qui exclut les patriciens[4], et, dans la langue courante, le peuple opposé aux grands[5]. Les plébéiens ayant été, dans la notion romaine, citoyens dés le principe, nous pouvons bien, dans nos recherches à nous, parler d’un peuple exclusivement patricien en remontant à une époque où les plébéiens n’auraient pu exister qu’en qualité de non citoyens ; mais ce langage oit en désaccord avec la terminologie romaine, telle qu’elle nous est connue[6]. — Les Grecs traduisent toujours populus par δήμος.

Par rapport à l’idée collective exprimée par populus, quiris, le nom primitif du citoyen, est pour ainsi dire le singulier. Ce mot, de bonne heure disparu de l’usage courant III et conservé seulement dans des formules spéciales et dans des dérivés, a pris par là l’apparence d’un nom propre. Mais c’était originairement un nom commun[7]. L’étymologie n’en est pas fixée avec assez de certitude pour qu’on puisse en tirer des conclusions[8]. Dans les formules qui nous sont conservées, il est appliqué, dans tous les sens, au citoyen pris individuellement, exactement comme populus aux citoyens pris dans leur ensemble.

Le langage solennel met les uns à côté des autres les citoyens pris en masse et les citoyens pris individuellement[9], il les coordonne par la formule : populus Romanus quirites[10], formule à la place de laquelle la langue courante mit peut-être ensuite : populos Romanus quiritium[11].

Lorsque populus, est mis à côté de plebes, ce qui se présente dans une série de formules anciennes[12], où à côté de senatus, ce qui est habituel dans la période récente de la république et sous le principat, le sens du mot ne change pas pour cela : il désigne non pas le peuple, abstraction faite de la plèbe ou du sénat, mais, absolument comme dans populus Romanus quirites, la totalité des citoyens, à côté s6itde la plèbe, soit du sénat. L’une des tournures correspond à la formule : lex sive id plebi scitum est, l’autre à la formule : senatus consultum populique jussus. La première repose sur ce que la volonté publique peut être exprimée par la résolution de la plèbe comme par celle, de la totalité des citoyens, la seconde sur ce que cette volonté peut aussi être exprimée par le sénat.

A populus et à quiris correspondent absolument, pour la signification, civitas (dans le sens de peuple) et civis. L’étymologie en est également incertaine[13]. Le dernier mot a, peut-être, verrons-nous, lors de la transformation qui a substitué à la conception purement patricienne du citoyen la conception patricio-plébéienne moderne, remplacé l’expression vieillie quiris[14] et il est ainsi devenu officiel. Civitas se dit bien aussi, sans scrupules, du peuple romain ; mais il n’est employé par la langue technique pour désigner l’État que quand il s’agit de communautés quine sont pas à proprement parler des communautés urbaines, notamment des populations gauloises[15].

Le droit de cité s’appelle, dans la terminologie du droit public le plus ancien, caput. Ce mot qui s’efface plus tard de l’usage courant[16] et qui ne s’y maintient que dans certaines tournures établies désigne comme la tête la personnalité du citoyen pris individuellement, la capacité de l’individu[17]. Ainsi l’esclave paie pro capite l’argent qu’il donne pour être affranchi[18]. Ainsi le principe de droit, d’après lequel les suites du délit privé regardent la personne qui en est judiciairement responsable, est exprimé par la formule : noxa caput sequitur[19]. Ainsi le capite census est celui qui déclare au cens, sa personne, — et rien de plus. — Les capita civium Romanorum sont les citoyens capables civilement, et par suite en général capables de porter les armes, qui sont repensés le judicium capitis est le procès dans lequel la personnalité civile, la vie ou le droit de cité est en jeu ; la capitis deminutio est la perte[20] du droit de cité[21]. Comme antithèse du caput, on pense toujours, dans le sens du droit public, à l’absence de droit de l’esclave ou de l’étranger qui n’est protégé par aucun traité. Dans la langue du droit privé, le mot caput désigne l’indépendance de droit privé, et capitis deminutio la perte de cette indépendance, dans laquelle on fait même rentrer le simple changement d’un rapport de dépendance privée pour un autre[22]. Dans la terminologie du droit public moderne, caput est, en dehors de ces locutions établies, remplacé par civitas qui ne désigne pas seulement le peuple, comme nous l’avons déjà vu, mais qui désigne encore le droit de cité[23].

Le peuple est formé d’un certain nombre de familles, et tout citoyen doit appartenir, comme membre libre, à l’une d’elles. Il nous reste à exposer la notion de la famille et les deux manières dont on peut appartenir à une famille, c’est-à-dire les notions primitives du patricial et de la plèbe.

La totalité des personnes composant une famille, tant hommes que femmes[24], est appelée gens chez les Romains[25], de même que la totalité des citoyens est appelée populus. Le membre isolé de la famille est, par corrélation au guiris ou civis, appelé gentilis[26] ; et, comme de civis civitas, on a tiré de gentilis l’expression complexe gentilitas, synonyme de gens[27]. Le terme primitif, dont l’origine est transparente, a pour fondement l’idée de génération, et de génération au sens juridique, de génération produisant la puissance du père sur l’enfant. De là découlent les deux idées de la maison[28] et de la famille. La maison se compose des hommes libres réunis sous la puissance d’un ascendant vivant ; la famille des hommes libres qui seraient unis sous la puissance d’un même ascendant, s’il ne s’était produit aucun décès[29]. Mais, de ces deux idées corrélatives et également claires et précises en elles-mêmes, la seconde n’est susceptible d’être prouvée que jusqu’à un certain degré. Avec quelque soin que les membres de la gens puissent s’efforcer de conserver la mémoire de leurs ascendants et du lien existant entre les diverses descendances[30], la possibilité de la preuve disparaît nécessairement au delà d’une certaine limite ; et, la condition des personnes étant, en droit public et privé, liée à la  famille dont elles sont, il faut compléter non pas le principe, mais la méthode de preuve par une présomption de la loi. Cette présomption est fournie par le nomen, le signe de la famille ; elle consiste en ce que les citoyens[31] qui portent le même nomen sont réputés descendre tous d’un premier auteur commun[32]. Il faut naturellement supposer là une certaine réglementation par l’État de la constitution des familles : la participation exclusive à une seule famille devait, pour chaque citoyen, être notoirement établie ou pouvoir l’être par une procédure légale ; quand uni nouvelle famille était admise dans le peuple, on devait déterminer quels individus étaient en droit de s’y comprendre, par exemple avaient le droit de porter, et de transmettre, comma nom de citoyens, le nom des Claudii. Mais, d’après tous les indices, l’État romain n’est intervenu dans la constitution des gents que pour régler la question de preuve, et la procréation en mariage a été, dès le principe, et est toujours restée le -fondement exclusif de l’idée de famille.

Le peuple se composait donc toujours, dans le régime le plus ancien, d’un certain nombre de familles tout comme d’un certain nombre d’individus. La survenance ou la disparition d’une famille modifiait le nombre total des familles, comme la naissance ou la mort d’un citoyen modifiait celui des citoyens[33] ; mais l’un des événements n’avait pas plus d’influence que l’autre sur l’intégrité de l’État[34]. La tradition est d’accord avec ce principe. La légende admet bien, à l’époque la plus reculée, l’existence de cent maisons et fait de leurs chefs les sénateurs primitifs, conformément à l’ancien chiffre normal du sénat qui est aussi fortement marqué dans les institutions ; mais il n’est dit nulle part que le nombre normal des maisons soit resté au chiffre de cent et que chacun des familles sorties de ces maisons ait été, à titre durable, représentée par un sénateur ; au contraire, cette supposition est exclue par la conception des annalistes qui attribue au roi, de toute antiquité, le libre choix du sénat. Les recherches modernes remontent au delà de cette période et concluent de lit construction de la légende ainsi que d’autres indices à un recrutement du sénat par familles qui aurait eu lieu d’une manière stable à l’époque la plus ancienne. Mais, en supposant que cette hypothèse inconnue à la tradition soit fondée, tout ce qu’il en résulterait ce serait que le chiffre normal de cent n’aurait pas existé pour le sénat primitif et qu’il ne se serait introduit qu’à la période, en tout cas très précoce, où la nomination par le roi aurait remplacé la représentation des gents. L’idée de combiner les deux choses et de compter dix gents par curie[35] n’est pas suggérée par la tradition, et elle ne se concilie point avec une notion claire de la gens et de sa situation dans l’État.

L’idée de gentilité ayant pour base la naissance qui est la source de la puissance paternelle, les membres de la gens ne s’appellent pas seulement gentiles ; ils s’appellent aussi patres, en ce sens qu’eux et eux seuls sont ou peuvent être pères[36], ou adjectivement patricii, en ce sens qu’eux et eux seuls ont un père[37]. La première expression est employée par les Douze Tables pour désigner les membres des gents par opposition à la plèbe qui est en dehors de la gentilité[38].

Dans la terminologie postérieure, patres a pris un sens technique plus étroit : toutes les fois qu’il se rencontre par la suite dans la langue juridique, il désigne le sénat patricien ou plutôt la partie patricienne du sénat[39]. Les gentilles en général ne furent plus appelés patres ; la preuve en est, d’une part, dans le fait que jamais le membre isolé de la gens n’est appelé pater, et que cette limitation de l’usage du mot n’est explicable que par son application précise a une corporation qui ne se produisait qu’à titre collectif ; elle est, d’autre part, dans l’étymologie arbitraire liée à ce sens étroit, très anciennement attribuée aux mots patres et patricii qui étaient primitivement synonymes. Le peuple romain se composait, dit-on, primitivement de cent familles dont les pères, les patres, — les ancêtres, imaginés d’une façon plus ou moins concrète, des différentes gents, — formaient le sénat, et dent les descendants, les patricii, formaient le peuple avec leurs pères[40] ; on bien, dit-on encore pour exprimer la même idée, le mot patricius avait, dans cette acception primitive étroite, le même sens qu’eut plus tard ingenuus[41]. Cette fable étymologique a philologiquement pour base l’idée juste que patres et patricii sont entre eux dans le même rapport que dediti et dediticii, et, elle donne, sous la forme d’exemplification pseudo-historique propre à ces légendes juridiques, une expression claire de la nature du système des gents. Au reste, les patres y apparaissent en outre dans le sens récent de sénat patricien.

Si, dans la langue non technique, cette expression est employée tantôt pour les patriciens en général, tantôt pour le sénat patricio-plébéien, il n’y a là, dans les deux cas, .qu’une extension a potiori faite par mégarde[42]. Le rétrécissement remarquable du sens technique du mot concorde au contraire avec le changement de situation du patriciat dans l’État patricio-plébéien. Les membres des gents se fondent dans le peuple nouveau, et il n’y a plus de comices patriciens. Mais le sénat patricien garde en main des droits importants, la nomophylakie et l’interrègne. Les habitudes du langage récent correspondent aux attributions restées aux membres des gents dans le sénat patricio-plébéien. Après que le mot patres eut pris le sens étroit de sénat patricien et qu’à la suite de l’extension de la gentilité aux non patriciens que nous étudierons plus loin, le mot gentilis put s’appliquer aux plébéiens, il n’y eut plus, pour désigner l’ensemble des anciens citoyens, d’autre expression exacte que l’emploi comme substantif du mot patricii qui, avons-nous dit, n’était à l’origine employé qu’adjectivement[43] et qui n’était que peu usité dans la langue technique.

La famille étant basée sur le lien du sang, tous ceux qui en font partie sont liés les uns aux autres. Mais ce lien se gradue d’après sa proximité. Ceux qui peuvent établir directement qu’ils appartiennent à la famille, c’est-à-dire qui peuvent justifier des degrés intermédiaires, en latin des gradus, qui séparent chacun d’eux de l’auteur commun, les membres de la famille à un degré qui peut être prouvé et compté, — la génération constituant l’unité, — sont, sous le nom d’adgnati, séparés des autres, dont la parenté ne repose que sur la présomption de droit basée sur le nom, et pour qui par conséquent les degrés ne peuvent être ni prouvés ni comptés. Dans la mesure où la parenté fonde des’ droits au profit d’un parent par rapport à un autre, la parenté à un degré établi exclut celle à un degré qui n’est pas établi, et, dans le cercle de la première, le degré le plus proche exclut le plus éloigné, tandis qu’à égalité : de degré, il y a, sauf l’intervention d’autres règles, égalité de droit. — On ne peut déterminer, faute de témoignages directs, dans quelle mesure un droit de succession fondé sur une parenté plus proche a été admis en l’absence de la preuve du degré de parenté[44]. Nous reconnaissons bien que, dans certaines grandes familles, il se formait de petites lignes semblables à la grande famille (familiæ)[45] qui se rattachaient, à son exemple, au chef de la ligne comme à leur auteur commun et dont les membres étaient réunis par leur cognomen héréditaires comme ceux de la gens par le nomen. Cependant ce cognomen n’est jamais arrivé à la même généralité pratique que le nomen de la gens, et il n’y a pas de preuves qu’une présomption de droit, ni par suite un droit de succession par préférence aient été fondés, dans l’intérieur de la gens, sur le fait d’appartenir à la même ligne[46].

La gens n’est pas capable d’agir. Cela ne veut pas dire qu’il en ait été ainsi de tout temps. Si anciennement chaque famille avait son représentant dans le conseil de la cité, cela lui donnait un chef, qu’il fut désigné par l’âge ou de toute autre façon. Ce qui sera dit plus loin sur la condition des gents au point de vue patrimonial implique aussi, verrons-nous,de leur part une certaine activité ; et il est bien possible qu’il n’y ait là qu’un débris d’une activité de la gens plus étendue autrefois. Il est absolument conforme à la tendance unitaire du développement de Rome, d’entraver et, autant que possible, d’anéantir l’activité distincte des divers éléments de l’État. Mais la gens romaine, que nous connaissons, n’a point de représentation, ni sous la forme de magistrature, ni sous celle d’assemblées collectives. Elle est sans tête. La forme systématique attribuée à la cité primitive n’admet de chefs de gents qu’en les identifiant aux chefs de maisons ; or, la mort du chef de maison, du pure de famille, transforme de droit ses enfants en chefs de maisons, et aucun procédé légal n’existe pour renouveler fictivement la puissance paternelle éteinte, ce qui exclut la possibilité juridique de donner un chef à la gens. Par conséquent, la représentation des gentes, supposée pour le sénat primitif, ne peut, en restant dans le cercle du droit public qui nous est connu, être imaginée en ce sens que chaque famille aurait eu ou se serait nommé un chef ; on peut tout au plus admettre que le roi, avant d’avoir acquis le droit de choisir librement les sénateurs, aurait dû en prendre un dans chacune des familles existantes. De l’absence de chef il résulte, d’après la conception romaine qui n’admet pas d’assemblée collective sans chef, que la gens ne pouvait pas non plus être représentée par l’assemblée de ses membres. L’autonomie des associations, — très étendue, d’après le droit romain récent tout au moins, — n’a eu non plies aucune application à la gens, et ne pouvait en avoir aucune ; car l’idée de libre volonté et de liberté d’entrée ne peut s’appliquer aux associations de famille fermées par la loi. Il est question de résolutions prises par les membres d’une gens dans le même sens où il est question, à plusieurs reprises, d’usages de gents. De même que certains prénoms sont usités dans chaque gens, les membres de la gens peuvent aussi si l’un de ces prénoms est déshonoré, convenir de ne plus s’en servir désormais[47]. Mais ce n’est que sous ce rapport qu’il est fait allusion à de telles décisions de la gens[48], et il est absolument impossible de donner une force obligatoire à une pareille résolution[49].

La sphère juridique de la gens est toute privée, sous le rapport religieux aussi bien que sous le rapport patrimonial. Assurément il est, à l’époque la plus ancienne, arrivé en matière religieuse, il a même peut-être été de règle de confier à des familles déterminées le soin de dieux honorés par l’État, ce qui faisait passer aux membres de des gents les soins attachés à ce culte, peut-être même les dépenses pécuniaires qui en résultaient[50]. Cependant il n’y a là rien autre chose que la délégation d’une fonction, telle qu’elle subsista, jusque sous l’Empire, dans la forme du mandat personnel donné aux maîtres de temples (magistri fanorum). Le culte n’était pas plus lié à la famille que l’acte officiel n’est lié à la personne du magistrat ; on ne sait même point si ce mandat n’était pas conféré par voie de roulement. Mais, alors même qu’il n’en aurait pas été ainsi, il pouvait, en tout cas, être retiré à tout moment par l’État ; et au cas d’extinction de la famille, le culte ne s’éteignait pas ; l’autorité y pourvoyait d’une autre façon. — Chaque gens a son propre culte à elle-même que l’État n’assigne pas plus à la gens qu’il n’assigne le sien au citoyen, qui repose sur la gens comme les dieux de l’État sur l’État et qui périt avec la disparition de la gens[51]. Les cultes de famille à l’aide desquels ont survécu une partie des cultes publics des cités absorbées par Rome[52], ont nécessairement eu, dans l’ancien État patricien, une extension et une importance desquelles les rares renseignements qui rions sont parvenus sur eux[53] ne nous donnent aucune idée suffisante. Mais des témoignages plus clairs nous sont fournis par la relation avec la communauté des sacra dans laquelle est tout le système de la gentilité[54] et avant tout par les dispositions prises pour la conservation de ces sacra[55]. Les devoirs religieux du citoyen n’ont, en eux-mêmes, rien à faire avec son patrimoine ; la séparation du cercle de la religion et de celui du patrimoine qui a toujours prévalu dans le droit des sépultures[56] et qui s’affirme aussi dans des statuts locaux romains[57], doit avoir été un principe général dans le droit le plus ancien. Mais l’accomplissement des devoirs religieux qui incombent à la gens tenant en pratique à la possession de la fortune, le droit a assuré cette possession aux gentils astreints à un même devoir religieux et a garanti le maintien des biens dans la gens. Ce qui le montre le plus clairement, c’est la législation appliquée aux biens de la femme. Le mariage de la fille en puissance n’est soumis à aucune limitation ; car elle sort par là de la famille et ne possède ni ne peut plus tard recueillir par succession de bien de famille. Mais la femme qui n’était pas en puissance paternelle avait besoin, pour les aliénations à titre particulier importantes, du consentement de tous ses agnats du degré le plus rapproché, ou, à défaut d’agnats, de celui des gentils. La translation de son patrimoine au mari, qui était inséparable du mariage le plus ancien, lui était permise avec le consentement de ses tuteurs, si elle se mariait dans l’intérieur de la gens ; mais, pour se marier hors de la gens, il lui fallait un vote du peuple[58]. Le droit de disposer de ses biens par testament faisait absolument défaut à la femme, d’après le plus ancien droit, puisqu’elle ne pouvait participer aux comices ; mais, même depuis que l’introduction du testament privé eut fait disparaître cet obstacle, le droit de tester n’en resta pas moins absolument refusé aux femmes, pour peu qu’elles eussent des liens de gentilité. C’est seulement si la femme se mariait hors de sa gens, en vertu d’un vote du peuple ou d’un acte équivalent, qu’il lui était permis de tester avec le consentement de son tuteur, et ce n’est que par ce détour que les jurisconsultes arrivèrent à éluder là le droit de gentilité et les sacra gentilicia[59].

Les règles faites pour les hommes tendaient au même but. Des bornes étaient mises au changement de famille et au testament par la nécessité du vote du peuple ou plutôt par celle de l’adhésion du collège des pontifes requise pour ce vote. Ensuite le testament devint indépendant du vote populaire, et le droit de tester devint général. Mais alors non pas une loi, mais les pontifes, interprétant ou plutôt faisant plier la loi[60], posèrent, afin d’assurer la perpétuité des sacra privata, un principe diamétralement contraire à l’ancien système, le principe selon lequel les sacra suivent la fortune et passent, à la mort de celui qui y était obligé le premier, à tous ceux qui sont ses héritiers out qui recueillent à un autre titre une fraction importante de ses biens[61]. La généralité de cette charge religieuse héréditaire est attestée par un proverbe selon lequel une hérédité sans sacra était pour les Romains ce qu’est pour nous une rose sans épines[62]. Quoique ces charges ne leur soient pas expressément rattachées, les sacra de famille devaient, comme il a déjà été dit, en constituer la portion principale ; car la généralité des frais de ce genre ne peut s’expliquer que par l’idée que les patriciens étaient nécessairement pris dans des liens de gentilité et que, comme nous verrons plus loin, une grande partie dés plébéiens s’y trouvaient également. Il est possible que les acquéreurs du patrimoine, étrangers à la gens, aient été, en tant qu’ils n’étaient pas eux-mêmes en état de procéder personnellement aux sacra, obligés de fournir à un membre de la gens la somme à dépenser pour ces sacra[63].

Relativement aux biens, la gens a probablement été le plus ancien titulaire de la propriété immobilière. D’après des indices tirés tant de la langue que du fond des choses, l’idée de propriété s’est d’abord développée pour la fortune mobilière. Les Romains emploient comme désignation technique de la fora tune individuelle et de l’hérédité les mots domesticité (familia) et bétail (pecunia), tantôt réunis[64], tantôt séparés[65], sans qu’on puisse apercevoir une distinction dans leur mode d’emploi. Or, autant ces expressions se rapportent nettement à la vie rurale, autant elles montrent d’une manière décisive que, particulièrement en matière de successions, le sol lui-même n’était pas compris dans la fortune. De même l’acquisition de la propriété s’appelle main mise, appréhension (mancipium), et, elle est pour les choses mobilières ce que veut dire son nom[66]. L’appréhension de la chose était également prescrite dans l’action en restitution de la propriété[67], bien que, comme le remarquaient les jurisconsultes eux-mêmes, elle ne put pas s’appliquer, ou ne put s’appliquer que d’une manière forcée aux immeubles. Il est permis d’ajouter que l’idée de puissance qui est prise pour base de la propriété (potestas, manus, mancipium), ne comporte d’application directe qu’aux objets mobiliers, notamment aux hommes et aux animaux, et non à la terre. — La soustraction primitive du sol à la propriété individuelle est, quant aux points essentiels, affirmée, mais en même temps immédiatement modifiée par la légende romaine sur l’origine de la propriété foncière, selon laquelle le roi Romulus aurait donné à chaque citoyen, comme bien héréditaire (heredium), une pièce de terre de deux arpents[68]. Si nous rapprochons de cela l’observation que, dans la langue des Douze Tables, hortus désigne encore la maison du paysan et heredium le verger qui en dépend, nous ÿ verrons exprimée, dans le costume historique ordinaire, l’idée que la propriété immobilière individuelle ne s’étendait pas primitivement aux terres labourables, qu’elle se bornait à la maison et au jardin qui seuls passaient à l’origine aux héritiers. Cette opinion a pour elle de bons arguments tirés des dénominations des mesures agraires et les vraisemblances internes. Puisque les plus anciens indices fournis par le langage et le fond des choses semblent exclure absolument les immeubles de la propriété individuelle, ce fut là peut-être le régime primitif, et la propriété foncière réduite à l’heredium nous présente peut-être une seconde phase ; pourtant il se peut aussi que les esclaves et le bétail aient eu plus d’importance pour les gens fortunés de cette époque que leur petit enclos, et que celui-ci n’ait été négligé qu’à cause de cela dans les formules. D’autre part, des témoignages dignes de foi nous attestent qu’il fut encore tenu compte de la différence légale existant entre le verger et les terres arables, au début du Ve siècle, lors de la fondation de la colonie de Terracine[69] ; ce ne doit donc être que postérieurement à cette date qu’ont disparu les derniers restes de la restriction à cet enclos du droit de disposer des immeubles.

S’il y a eu une époque, où la terre n’était aucunement susceptible de propriété individuelle, ou à laquelle tout au moins cette propriété n’était admise que pour un coin de verger, il doit avoir existé alors un autre titulaire pour les droits sur le sol. Notre tradition ne nous apprend pas comment l’ancienne légende s’est figurée la condition juridique des terres arables qui ne constituaient pas un heredium et leur transformation postérieure en propriété susceptible d’être transmise par succession[70]. Mais il n’y a de concevable que deux titulaires : d’une part, l’État, ou ce qui revient au même, une fraction de l’État ; et la gens, d’autre part. Dans la première hypothèse, le sol qui n’est pas compris dans un heredium, est ager publicus ; dans la seconde, il est ager privatus[71]. Or cette dernière opinion a en sa faveur tant les considérations générales que les faits particuliers. Quoique l’antériorité de la gens par rapport à la cité ne soit guère qu’une abstraction destinée à mettre un ordre entre deux institutions qui ne sont en réalité pas concevables l’une sans l’autre, il est incontestable que, dans la constitution romaine, la gens, est l’institution qui est primitivement la plus forte et qui perd du terrain, la cité celle qui est primitivement la plus faible et qui en gagne ; c’est donc la première qui seule apparaît comme titulaire appropriée du droit primitif sur le sol. L’examen des conditions pratiques conduit à la même conclusion. La possession individuelle de bétail et d’esclaves ne se conçoit pas à côté de la possession collective du sol sans que l’on admette pour ce sol un partage de fait d’une nature quelconque. Nous ne pouvons deviner comment ce partage s’est opéré à Rome. Nous pouvons encore moins deviner jusqu’à quel point les institutions stables et les résolutions de la gens, autrefois beaucoup plus apte à agir que postérieurement, ont pu influer sur la répartition du sol. On peut songer à un usage par roulement des lots de terrain, ou à une attribution à vie d’un lot donné, ou, ce qui est peut-être la solution la plus recommandable, à une attribution durable faite à la personne et à sa descendance, si bien que, la fortune mobilière revenant également à la gens au cas d’extinction de la famille, l’absence de propriété foncière individuelle ne se serait manifestée que dans l’absence du droit d’aliéner. Mais, quelle qu’ait été la forme donnée à la chose, son application pratique est beaucoup plus compliquée en la rapportant au peuple tout entier ou à la curie qu’en la restreignant au cercle de la gens.

A ces raisons générales viennent se joindre divers indices positifs. Le terme colonies désigne à la fois une exploitation rurale isolée et l’ensemble des agriculteurs installés dans un endroit quelconque. Au lieu d’admettre une double signification première, il vaut mieux ramener ce singulier, qui est en contradiction avec le mode postérieur d’exploitation, à ce que primitivement les colons exploitaient le sol comme collectivité. — C’est un fait incontestable que les terres des membres de la gens étaient réunies au même lieu à l’époque la plus ancienne. Nous aurons à montrer ; dans la partie consacrée aux tribus de Servius, que les noms des plus anciennes tribus rurales ont tous la forme de noms de gentes, et que la plupart d’entre eux appartiennent à des gentes bien connues, et exclusivement à des gents patriciennes. Pour la seule d’entre elles dont l’entrée dans la cité soit rapportée par les annales, le territoire fermé qui lui appartenait à l’origine nous est signalé en termes exprès[72]. — Si enfin, lorsqu’un membre de la gens meurt sans héritier, ses immeubles et ses meubles reviennent à la gens, les immeubles rentrent sous sa disposition parce que c’est à elle qu’ils sont au sens propre, et les esclaves et le bétail restent avec ces immeubles parce qu’ils en dépendent, tout comme dans la loi de Gortyne : S’il n’y a pas de membres de la maison, que ceux qui ont le fonds aient aussi les biens[73].

On devrait espérer trouver quelque éclaircissement sur le fonctionnement de la propriété foncière, de bonne heure disparue, de la gens, dans un débris de cette propriété collective qui lui a survécu dans le droit de succession résultant de la gentilité qui fonctionnait encore en pratique au temps d’Auguste[74] et qui n’est indiqué comme disparu que par les jurisconsultes du second siècle de l’ère chrétienne[75]. A défaut d’héritiers testamentaires et d’agnats, les biens du membré d’une gens patricienne, — il sera question, dans la partie suivante, de la succession du gentil plébéien, — passent à ses gentils[76], et par conséquent ceux-ci sont également, d’après la règle générale romaine, appelés à la tutelle des femmes et des enfants de la gens[77] et à la curatelle des gentils atteints d’aliénation mentale[78]. Ils doivent donc forcément avoir eu tous les droits requis à cet effet, avoir pu intenter les actions et y défendre, avoir pu être envoyés en possession des biens et donner l’auctoritas tutorum. Le droit de succession des gentils ne doit pas être entendu dans le noème sens quo celui de l’État auquel les citoyens n’ont personnellement aucune part. C’étaient les gentils, et non pas la gens, qui héritaient, et les biens de la succession devaient être partagés, d’une manière quelconque, entre les membres de la gens. Mais nous ne pouvons déterminer d’une manière suffisante ni le principe, ni le fonctionnement pratique de ce droit de succession. En l’entendant de la même façon que celui des agnats, on tombe dans dés complications à peu près inextricables ; la détermination de la quote-part revenant à chacun est pour ainsi dire impossible, et le fonctionnement de l’auctoritas tutorum, qui implique le consentement de tous, les tuteurs, l’est encore plus. Il faut que, dans ce domaine, la capacité d’agir ait été personnellement donnée à la gens et qu’on ait trouvé une forme quelconque pour faire considérer l’acte d’une seule personne comme un acte de la geais.

La possession collective des membres de la gens a été l’origine de la propriété foncière individuelle. Si la propriété au sens postérieur du mot ne peut exister dans la période la plus ancienne, le droit d’exploiter séparément sa part du sol de la gens a dû primitivement en tenir la place avant d’arriver à la constituer. Le droit de libre disposition du citoyen sur la terre parait être déjà pleinement reconnu dans les Douze Tables[79]. Si la possession collective, — transportée là de l’ensemble des membres de la gens à la totalité des colons, — se rencontre encore postérieurement dans la fondation des colonies maritimes, cela se lie certainement au domicile forcé imposé à ces colons, sur lequel nous aurons à revenir dans la partie du Droit municipal, et le droit de libre aliénation de la propriété foncière peut sans difficultés avoir existé en même temps comme droit commun.

Si, après avoir exposé en quoi consiste le droit de gentilité, ou, ce qui est la même chose, le droit de cité primitif, nous nous occupons de déterminer, les formes selon lesquelles il s’acquiert et il disparaît, nous devons rationnellement laisser de côté l’origine de l’État lui-même[80] et nous poser seulement la question de savoir comment la qualité de citoyen membre d’une gens, le patriciat, s’y obtenait et s’y perdait. L’un et l’autre événement peuvent se produire de deux façons : soit par l’entrée dans la cité romaine d’une famille qui ne lui appartenait pas et réciproquement par le passage d’une famille romaine dans une cité étrangère, soit par l’entrée d’une personne dans une famille romaine et réciproquement par la sortie d’une personne d’une famille romaine. A la vérité, dans la seconde hypothèse, le changement de famille reste sans effets sur le droit de cité quand la personne sort d’une famille romaine pour entrer dans une autre famille également romaine ; néanmoins il sera bon d’étudier ici cette hypothèse dans son ensemble.

L’entrée d’une famille étrangère dans la cité romaine est un acte extraordinaire de l’autorité souveraine de cette cité, et elle exige l’observation des conditions constitutionnelles d’exercice de cette autorité, l’action commune du magistrat le plus élevé et de l’ensemble du peuple[81], ou, comme on peut encore l’appeler à cette époque, de la collectivité des gents. En ce sens, cet acte peut être considéré comme un accroissement, une cooptatio[82]. Le peuple par lequel cet acte était accompli ne peut avoir été que le peuple des curies ; l’existence d’un examen préalable des pontifes est croyable. De même que la concession individuelle du droit de cité suppose l’existence de la personne, celle-ci implique l’existence de la famille ; c’est-à-dire implique que la famille appartient à une cités considérée par les Romains comme organisée de la même façon que leur propre cité[83]. Il n’en est ainsi sans réserves que pour les cités que les Romains reconnaissaient comme appartenant à la même nation qu’eux, au nomen Latinum. On peut citer, à ce sujet, à la fois comme paradigmatique et comme certainement historique, l’admission d’au moins six gentes qui appartenaient antérieurement à Albe[84]. La même chose se produisit plus largement pour la réception d’une certaine quantité de gentes, qui coïncida probablement avec la réunion de la cité du Quirinal à la cité palatino-esquiline, et qui est rattachée par la légende au premier Tarquin. Cette dernière mesure fut assez large pour servir de base à la distinction des anciennes et des nouvelles familles en gentes majores et gentes minores et au règlement du droit de vote au sénat, à propos duquel nous y reviendrons[85]. Bien que la tradition qui nous est parvenue ne classe expressément aucune gens dans la première catégorie, on peut cependant y compter celles qui ont fourni des principes senatus, les Æmilii, les Claudii, les Cornelii, les Fabii, les Manlii et les Talerii[86]. Nous connaissons une gens de la seconde catégorie, celle des Papirii. La mémoire de cette distinction s’est conservée jusque sous l’Empire, dans la Troia, la course des enfants des majores et des minores gentes[87]. — Quant aux familles non latines, la réception de familles sabines est attestée tant par la légende attachée au nom du roi Tatius[88] que par celle, mieux établie, mais également dépourvue de date, de la réception des Claudii. L’absence de récits de même nature relatifs aux Étrusques peut être rattachée à la forte séparation existant entre eux, et le reste des races italiques ; il ne peut être question de limitation légale pour ces actes de souveraineté. La réception de gents plébéiennes comme telles est impossible, parce que, à l’époque de l’État patricien, la plèbe ne peut pas comme plus tard avoir formé de corporations familiales distinctes ; il n’en est du reste question que dans des légendes généalogiques mauvaises et récentes[89]. — Conformément à la nature de la gens, sa réception fait entrer les membres de la fraction dominante dans le patriciat et ceux de la fraction asservie dans la multitude que nous étudierons dans la partie qui suit ; cette distinction est marquée dans les meilleurs documents[90]. — Si la gens admise appartenait à une cité liée à Rome par un traité, le consentement de cette cité doit avoir été requis ; mais pourtant les réceptions de ce genre n’ont généralement eu lieu qu’après la dissolution des cités auxquelles appartenaient antérieurement les familles admises.

La réception de nouvelles familles patriciennes ne se place qu’à l’époque de l’État composé de familles. Dans l’État patricio-plébéien postérieur, le droit d’y procéder n’a pas été transporté à un autre pouvoir ; il a été supprimé. L’ensemble des patriciens a peut-être encore été, au commencement, réuni en curies ; mais il n’a plus concédé le droit de cité ; et, après l’admission des plébéiens dans les curies, il n’a plus eu à exprimer de volonté législative dans l’État nouveau, tandis que le peuple patricio-plébéien ne faisait du droit de cité que des concessions individuelles. — Cependant l’assemblée souveraine du peuple pouvait proposer, aussi bien que toute autre chose, le rétablissement de la cooptation des gents. Et c’est ce qui fut fait par la loi dans laquelle le dictateur César se fit donner le pouvoir de concéder le patriciat, comme par les dispositions postérieures qui firent de ce droit un attribut d’abord de la Censure[91], puis du Principat. Le grand pontificat de César a peut-être joué là son rôle ; car, l’acte des curies devait être précédé d’une enquête des pontifes. Il est possible que, comme dans le cas de Camille qui a peut-être servi de modèle, les curies aient été invitées par une loi à concéder à la personne désignée le droit de gentilité pour elle et sa descendance ; la concession personnelle impliquant l’incorporation dans une gens existante, on aura regardé cet acte comme la réception d’une gens patricienne nouvelle.

 

La sortie de la gens de l’union romaine est l’inverse de la réception. De même que les Claudii sont entrés dans l’union des gentes romaines, les Tarquinii en ont été exclus[92]. La cession d’une partie du territoire de l’État, folle que fut, par exemple, d’après la légende, celle faite à Porsenna des sept pagi pris par Romulus aux Veiens[93] doit, puisque les gents ne peuvent être conçues sans leur territoire, être également considérée comme une deditio partielle, et elle doit, avoir diminué le nombre des gents. — Il ne nous est pas parvenu d’autre tradition sur ce point.

 

L’entrée d’une personne dans une gens existante résulte de quatre causes : la naissance, le mariage, l’adoption et la loi[94], auxquelles il faut joindre le retour en vertu du postliminium. Elle exige que le membre entrant prenne une place précise dans la famille et soit avec le reste de ses membres à un degré certain de parenté. Lorsque la personne qui entre dans la gens a elle-même d’autres personnes sous sa puissance, le nouveau rapport de puissance s’étend nécessairement à ces dernières. Il est à peine besoin de signaler le caractère héréditaire du droit ainsi établi.

Le changement de famille comporte à 1a fois l’acquisition de droits nouveaux et la perte de droits anciens. L’entrée sous la puissance maritale et le passage d’une puissance paternelle sous une autre éteignent un droit de succession et en font naître un. Au reste, dans les cas oit la logique du droit eut conduit à des iniquités, on y a plus d’une fois remédié par des dispositions d’exception.

1. L’entrée de l’enfant sous la puissance paternelle et, par conséquent, dans les droits de gentilité de son père, a pour condition le mariage légitime de ses parents. Nous n’avons pas à préciser plus rigoureusement la notion du mariage légitime qui, en toute hypothèse, se détermine d’après les lois générales en vigueur au moment de la conception et de la naissance, et qui, par conséquent, n’est pas restée la même dans tout le cours des temps. Il y a eu une époque à laquelle, par suite de l’absence de conubium entre les patriciens et les plébéiens, la mère elle-même devait être patricienne ; il peut aussi y en avoir en une où le mariage religieux (confarreatio) était seul tenu pour, légitime, même quant à la condition juridique des enfants. Mais, lorsque cela se fut modifié et que l’on n’exigea plus pour la validité du mariage que la seule volonté de le contracter, lorsque ensuite le mariage d’une plébéienne avec un patricien fut aussi permis, l’enfant procréé dans un mariage contracté conformément au droit nouveau n’en acquit>pas moins le patriciat paternel. On ne s’est non plus jamais demandé, pour régler l’état des enfants, si la femme était ou non sous la puissance du mari,’pourvu qu’il y eût un mariage valable. — Les droits de gentilité de la mère ne peuvent, la gentilité étant une conséquence du rapport de puissance et la mère ne pouvant avoir son enfant sous sa puissance, — passer d’elle à l’enfant, même quand il n’est pas issu d’un mariage légitime et qu’il n’a par suite pas de père légal.

2. Le mariage formé par confarréation, dans Ies formes religieuses prescrites, fait passer la femme de sa maison antérieure dans celle du mari[95] : son mari lui tient lieu de père, elle perd ses droits de succession dans son ancienne famille, et en revanche elle hérite de son mari et des parents de celui-ci, comme si elle était sa fille. Si la femme appartient à une autre gens, ou, en supposant un mariage valablement contracté en vertu d’un traité international, à une autre cité, elle passe par le mariage dans la gens et dans la cité du mari. Lors d’un tel changement de gens, que du reste l’on subordonne à des conditions prohibitives pour les femmes ayant une fortune propre, le nomen du mari, qui est le signe et l’expression de la communauté .de gens avec lui, ne doit pas avoir été à l’origine refusé à la femme, et il y a encore des traces qu’elle le prenait à l’époque la plus ancienne[96]. Cependant l’influence juridique du mariage sur les droits personnels de la femme a été restreinte dès une époque très reculée. Le mariage formé par confarréation a bien gardé pour le reste les suites indiquées[97] ; mais, sans doute pour ne laisser aucune différence extérieure entre les femmes mariées, qu’elles le fussent avec ou sans les formes religieuses, les femmes mariées par confarréation conservèrent leurs noms de jeunes filles et au moins extérieurement ne changèrent pas de famille[98]. — Dans le mariage qui se forme par le simple consentement et qui était déjà reconnu à l’époque de la loi des Douze Tables comme faisant tenir pour légitimes les enfants qui y étaient conçus, le droit de la personne ne change pas. La femme ainsi mariée n’a jamais été regardée comme sortie de sa gens d’origine et entrée dans celle du mari. Par suite, on lui refusa non seulement le nomen du mari, mais la communauté de cité avec lui : si une non Romaine épouse, en vertu d’un conubium international, un Romain, elle est bien la mère légitime de ses enfants, mais elle n’est pas elle-même citoyenne romaine[99]. En conséquence, elle reste, malgré ce mariage, sous la puissance paternelle ou, à défaut de puissance paternelle, sous la tutelle familiale de ses agnats et de ses gentils ; elle est également héritière dans sa maison et non dans celle du mari. C’est seulement dans le cas où le mari acquiert à titre de vente la femme vivant avec lui en mariage consensuel ou encore dans celui où elle passe sous sa propriété en vertu des règles sur la prescription acquisitive des meubles, que la puissance paternelle et la tutelle disparaissent à raison de cette acquisition de propriété, et que ta femme devient la fille du mari et son héritière. On n’est pas allé plus loin dans cette voie : on n’a touché ni au droit de gentilité, ni au droit de cité, et l’on a supporté la choquante anomalie selon laquelle une Cornelia peut être sous la puissance d’un Æmilius, une patricienne sous celle d’un plébéien, et même une Prénestine sous celle d’un citoyen romain[100]. Quant à son influence sur l’état de la personne, le mariage romain est une ruine, et c’est à peine Si on peut le citer parmi les sources légales du Patriciat.

3. L’adoption[101] est en conflit avec les principes fondamentaux du droit ; car la puissance paternelle peut bien, tant que le père et l’enfant appartiennent à la cité romaine, être suspendue par la translation de propriété accomplie du père à un tiers, mais elle ne peut pas être définitivement brisée. Par conséquent, il n’y a pour arriver à l’adoption aucun procédé juridique direct. Cependant elle est rendue possible par un détour. D’après une règle de droit qui ne peut pas remonter aux temps primitifs, quoique la tradition romaine prétende qu’elle ait toujours existé[102], mais qui en tout cas se trouvait dans les Douze tables[103], la puissance du père sur le fils est définitivement supprimée par un triple exercice de son droit de vendre ce fils, et celle du père sur la fille ou du mari sur la femme est, d’après l’interprétation postérieurement donnée à la loi, également éteinte par un seul acte d’exercice du même droit. Maintenant, la puissance du père naturel étant, d’une part, détruite parla triple vente de l’individu à adopter et, d’autre part, le droit du père de revendiquer son fils comme touts autre chose dont il est propriétaire étant fictivement exercé par le père adoptif relativement à l’adopté, on arrivait ainsi à établir une paternité fictive, mais reconnue judiciairement et en règle reconnue par le père véritable lui-même[104]. Les deux actes simulés étaient entre eux dans une contradiction directe, puisque le premier reconnaissait et anéantissait la puissance du père naturel et que le second l’écartait comme n’ayant jamais existé. C’était le second qui déterminait, le nouvel état de la personne. Le changement de maison amenait, si le père ancien et le père nouveau appartenaient à des gents différentes, un changement de gens. Il pouvait de plus entraîner le changement des qualités de patricien et de plébéien, et même un changement de cité : non seulement le fils d’une maison patricienne pouvait passer par cette voie dans une autre maison patricienne ; mais cela permettait également au fils d’un plébéien, voire même au fils d’un Latin quelconque[105] d’entrer dans une maison patricienne. Chaque gentil avait ainsi la faculté d’incorporer dans sa gens autant de personnes qu’il lui plaisait, de concéder à sa fantaisie la gentilité à des plébéiens, le droit de cité à des Latins[106] ; car il n’y a, dans l’adoption, plus récente, rien qui corresponde aux barrières opposées à l’adrogation. Nous ne savons quand elle s’est introduite ; on la trouve déjà en pleine vigueur à la fin du vie siècle de Rome[107]. Le droit de gentilité doit avoir déjà été en décadence au temps de son introduction : tant qu’il eut une existence réelle, il n’aurait pas laissé faire de la lettre de la loi cet usage destructeur du droit.

4. La concession individuelle de la gentilité par une loi se présente sous la forme d’une adrogation, d’une adoption testamentaire, ou à titre de restitution de la personne dans sa condition antérieure.

a. Il est permis au citoyen pubère et sui juris de changer de maison et, par suite, de gens : il faut pour cela qu’après un examen préalable des circonstances fait par les pontifes et avec l’assentiment de ces pontifes[108], il déclare, devant les curies, se mettre, en qualité de fils, sous la puissance d’un autre citoyen qui y consent également, et que les curies  déclarent elles-mêmes y consentir[109]. Cet acte est nécessairement accompagné de la detestatio sacrorum, c’est-à-dire de la déclaration, également faite devant les comices par le citoyen qui entre dans une nouvelle famille, qu’il sort des liens religieux dans lesquels il était jusqu’alors[110]. Le citoyen en puissance ne peut pas, même du consentement de son père, procéder à la déclaration d’adrogation, puisqu’il ne peut disposer de lui-même et que le titulaire de la puissance paternelle ne peut la transférer à un tiers. Ce droit n’appartient pas davantage à l’enfant impubère et à la femme qui ne sont pas sous la puissance d’autrui ; car ils ne peuvent ni l’un ni l’autre ni disposer d’eux-mêmes, ni pénétrer dans les comices.

b. Le changement de gens peut résulter, après la mort d’un testateur, d’une institution d’héritier testamentaire faite par lui sous cette condition[111]. C’est là l’adoption par testament, qui, au sens rigoureux, n’est pas autre chose qu’une adrogation où le consentement du père adoptif est remplacé par son testament[112]. Il n’y a pas d’objection théorique à ce que le changement de famille soit ratifié par les curies[113] ; après enquête préalable des pontifes[114], de façon à faire considérer l’héritier institué comme adopté par le testateur au moment de sa mort ; puisque toute loi peut se donner à elle-même un effet rétroactif. Le rapport de puissance est assurément ici fictif[115], en ce sens qu’il est atteint par la mort au moment où même l’on place sa constitution, et c’est pour cela qu’an n’emploie pas le mot : adrogatio. Mais, pour le reste, cette adoption fait naître, comme l’adrogation, le droit de gentilité avec toutes ses conséquences[116].

c. Les droits de cité et de gentilité qu’il avait perdus par son émigration furent restitués au vainqueur de Veii, M. Furius Camillus, le premier par un vote des centuries ou des tribus patricio-plébéiennes, le second, sans doute sur l’ordre de la première assemblée, par les curies[117], la restitution lui, donnant la place qui lui revenait dans sa gens. C’est le seul cas que nous connaissions dans lequel la gentilité soit acquise sans la qualité d’enfant : on passa sur l’irrégularité de l’acte, au fond sous l’empire de la nécessité des temps, dans la forme en vertu de la décision de l’assemblée souveraine du peuple. Au contraire, la concession des droits de gentilité à une personne sans que l’acte lui-même lui assigne sa place dans une gens déterminée est un non sens qui se démentit lui-même et qui ne se présente que dans des récits héraldiques récents et indignes de foi[118].

5. Le droit de cité romaine et les droits de famille sont rendus par le postliminium à celui qui les avait perdus en se trouvant, dans un État étranger, dans une situation personnelle incompatible avec eux, — c’est-à-dire en étant prisonnier de guerre ou en exerçant les droits de citoyen dans une cité alliée à Rome[119], — à condition que ce prisonnier de guerre ou que cet émigré rentre dans sa patrie ; car ces événements, qui suspendent le droit de cité, perdent leur effet par le retour de la personne dans l’État romain.

 

La sortie d’une personne des liens de gentilité, et par suite de l’État fondé sur la gentilité, résulte, en dehors de la sortie naturelle produite par la mort, de l’entrée de cette personne dans un cercle juridique étranger à Rome. Une perte purement négative de la condition individuelle est quelque chose d’étranger à la constitution ancienne de la cité. Le droit plébéio-praticien postérieur lui-même ne connaît pas de déclaration efficace de sortie de l’État ; cette déclaration pouvait encore bien moins être admise, à l’époque la plus ancienne, pour le droit de cité fondé sur la famille. Le mirait de ce droit par la loi peut bien avoir été possible, dès l’origine, dans la mesure où le principe de la souveraineté de la puissance publique l’exige ; mais il se présente dans de si étroites limites, pour le droit de cité postérieur, que l’on peut, pour l’époque la plus ancienne, placer le droit de cité dans cette sphère légale dans laquelle l’État s’abstient de pénétrer par des dispositions concrètes. La perte du droit de cité basé sur la famille tient par conséquent toujours au passage du citoyen romain dans un autre État reconnu par Rome ; la disparition de la personnalité, la capitis deminutio au sens du droit public se produit lorsqu’un citoyen romain devient esclave, client ou citoyen dans un autre État[120]. La perte du droit de gentilité[121] est à la vérité aussi entraînée par le changement de gens que nous avons étudié plus haut, quand le droit de gentilité existant se trouve détruit dans le mariage par confarréation et dans l’adrogation ; mais, un autre droit de gentilité étant nécessairement créé par le même acte, il ne peut être question, dans ces cas, de perte du droit de cité qui résulte de la gentilité. Depuis que la qualité de plébéien a été considérée comme un droit de cité existant à coté du patriciat et excluant celui-ci, l’attribution de la qualité de plébéien à un patricien a entraîné pour lui la perte de son droit de cité fondé sur la gentilité cependant les cas où un patricien dévient plébéien seront plus convenablement indiqués, sous leur aspect positif, parmi les causes d’acquisition de la qualité de plébéien, qu’ici parmi les causes d’extinction du patriciat, et cela d’autant plus qu’ils sont naturellement tous étrangers à l’époque la plus ancienne. Au contraire, comme la différence de l’État fondé sur la gentilité et de l’État patricio-plébéien n’influe pas à beaucoup près aussi profondément sur la perte du droit de cité que sur son acquisition et comme les règles sont assez semblables dans les deux époques, il nous semble à propos d’étudier dès maintenant la perte du droit de cité plébéien symétrique à la perte du droit de cité fondé sur gentilité.

I. — Transformation du citoyen romain en esclave d’une cité étrangère[122].

D’après les institutions non seulement de Rome, mais des villes Latines, il n’était pas légalement possible à un citoyen de mettre sous sa puissance un de ses concitoyens comme esclave, et le même principe était posé par le droit international dans le sein de la ligue latine. Afin de transformer un citoyen romain en esclave, il faut donc le faire passer, d’une manière valable selon les idées romaines, sous la propriété d’un étranger appartenant à une race ennemie[123]. Quand cela a eu lieu, la perte du droit est définitive et subsiste alors même que l’individu qu’elle a frappé reviendrait plias tard dans le Latium : pour employer l’expression romaine, le postliminium est exclu en pareil cas[124]. — A cette idée se ramènent les cas suivants, parmi lesquels au reste les quatre premiers sortirent de bonne heure de la pratique et ne subsistèrent que dans la théorie juridique. Ce qui était alors requis, ou tout au moins ce qui devait l’être pour la perte de la cité, ce n’était pas l’acte qui préparait la venue de la servitude, par exemple le jugement rendu dans ce sens ou, au cas d’extradition, l’offre d’extradition[125], mais l’arrivée de la servitude elle-même.

4. Dans le droit criminel le plus ancien, le magistrat compétent pour l’application de la peine avait, en matière de crimes militaires, le choix entre la peine de mort et la vente en esclavage. A l’époque de la République, le choix du premier parti est interdit par la provocatio. Mais le consul peut toujours prescrire la vente du coupable comme esclave. Cette peine est appliquée à la désertion[126], à la non comparution au recrutement[127] ou ais cons qui le prépare[128] ; mais, dans ce dernier cas, c’est toujours le consul et non pas le censeur qui a le droit de procéder à la vente de la personne[129].

2. D’après le droit des gens romain, le citoyen qui avait violé ce droit des gens pouvait être transféré par la cité à ; laquelle il appartenait sous la propriété de la cité lésée pour dégager la première de la responsabilité de son acte[130].

3. Lorsque la propriété romaine que le père a sur son fils sans que cette servitude relative affecte la liberté au sens du droit public, est transférée par le père à un étranger appartenant à une race ennemie, la servitude relative se transforme en servitude absolue[131].

4. Lorsque le défendeur à un procès civil, attribué en propriété au demandeur, a été mis par la sentence dans un état transitoire de servitude, sa vente à l’étranger supprime également sa liberté[132]. Si l’individu ainsi attribué au créancier avait été condamné à raison d’un vol manifeste, certains jurisconsultes admettaient que la perte de la liberté se produisait pour lui, même sans vente à l’étranger ; mais l’opinion contraire avait III 46 la logique pour elle[133].

5. La captivité des prisonniers de guerre suspend leur droit de cité tant qu’elle subsiste, et elle le détruit lorsqu’ils meurent en captivité, en faisant considérer le défunt comme sorti de la cité non pas au moment de sa mort, mais au moment où il a été fait prisonnier[134]. Par contre, si le prisonnier revient libre[135] dans sa patrie, il rentre, en vertu du postliminium, dans l’exercice de ses droits, comme s’il ne les avait jamais perdus.

Lorsque un citoyen romain entre dans la condition d’esclave (in causam mancipit) dans l’intérieur de la confédération romano-latine, par exemple aux cas de vente d’un fils par son père ou d’adjudication d’un débiteur à ses créanciers, les droits personnels de nature privée sont suspendus par analogie à ce qui se produit au cas de captivité à la guerre, de telle sorte que, tant que la servitude subsiste, ils sont réputés inexistants et que, lorsqu’elle cesse, ils sont réputés n’avoir jamais été perdus. Car, d’une part, il est attesté expressément qu’en pareil cas, il y avait condition d’esclave et capitis deminutio, que par conséquent il y avait exclusion de la gens et suspension de l’exercice des droits de gentilité[136], et, d’autre part ; il est certain que la puissance paternelle, et avec elle tous les droits de gentilité rentraient en vigueur lors du retour à la liberté[137].

Ce n’est que dans les institutions impériales que l’on rencontre la perte du droit de cité produite dans l’intérieur de l’État, par la réduction en esclavage à la suite de certaines peines, notamment à la suite de la condamnation à mort et de celle aux travaux forcés dans les mines[138].

II. Entrée du citoyen romain dans une autre cité.

Il est logiquement et pratiquement aussi impossible d’avoir en même temps plusieurs droits de cité ou d’appartenir en même temps à plusieurs cités[139] que d’avoir en même temps plusieurs pères ou plusieurs gents, puisque la gens est aussi bien la base de l’État que la maison celle de la gens. Les Romains sont, tant dans la constitution patricienne que dans la constitution patricio-plébéienne, restés, jusqu’aux temps les plus récents, invariablement fidèles à ce principe qui est fondé dans la nature des choses, mais qui a été ailleurs obscurcir notamment par les droits de cité fictifs honorifiques ; ils en ont seulement atténué, dans des cas particuliers, les conséquences rigoureuses. Naturellement cette loi ne s’applique que par rapport aux droits de cité reconnus Rome, par conséquent en face des États en rapport d’alliance avec Rome, en particulier des États fédérés. Le droit de cité dans un État qui est en guerre avec Rome, ou qui simplement n’a pas de traité avec Rome, n’existe pas pour le droit romain et ne peut avoir d’influence sur lui ; le transfuge romain ne cesse pas d’être Romain parce que le droit de cité lui est accordé à Carthage.

Les cas rapportés ici dans lesquels le droit de cité romaine est perdu par l’acquisition de la qualité de membre d’un. État reconnu par Rome, ont ce caractère commun que la qualité de membre de la nouvelle cité n’est ni ne peut être, au sens rigoureux, attribuée du côté romain et que l’autorité romaine ne peut provoquer le changement qu’à titre en quelque sorte indirect[140].

1. Le cas le plus important de cette espèce est l’exilium, le départ. Selon la constitution de la ligue romano-latine, — que nous aurons plus loin à étudier par rapport au Latium, — le droit de cité et la qualité de membre d’un État sont réciproquement reconnus dans leur effet exclusif. Si par conséquent un citoyen romain devient membre de la cité de Préneste, son droit de cité romaine est perdu[141], tout comme nous verrons à l’inverse, dans la partie de la Clientèle, que le citoyen optimo jure de Préneste, qui entre dans la clientèle romaine, est rendu par là étranger à sa patrie et devient un client romain, ou, d’après la conception moderne, un plébéien romain. L’acquisition de la qualité de membre d’une cité n’est pas facultative, expliquerons-nous dans la partie de la Latinité ; elle se lie, avec une nécessité légale, au changement de domicile. Le même droit a été étendu, bien que sans réciprocité, par des traités, à d’autres cités fédérées, soit italiques[142], soit extra-italiques[143]. Dans la conception romaine, le Romain qui émigre à Athènes devient client d’Athènes et cesse par là d’être citoyen romain ; mais l’Athénien qui émigre à Rome n’est pas considéré comme plébéien Romain et par conséquent est, au point de vue romain, toujours Athénien. Dans tous ces cas, il n’y a besoin d’autorisation spéciale, ni du coté de la cité d’off l’on sort, ni de celui de la cité où l’on entre : le traité international suffit pour les deux. Le passage dans une cité avec laquelle il n’y a pas de traité pareil, ne supprime pas le droit de cité romaine, sauf quand, comme, en présence du fréquent usage de ce droit fait dans la procédure criminelle, cela devait sans doute avoir lieu, l’assemblée souveraine du peuple reconnaissait, par une faveur spéciale, ce passage comme légalement valable[144] ou encore tenait pour régulièrement accomplie une sortie de la cité qui n’avait pas été déclarée[145].

La conception de cette institution, aussi ancienne qu’importante, a été faussée, parce qu’on l’a expliquée par l’incompatibilité de l’ancien et du nouveau droit de cité, tandis qu’elle se rattache à celle du droit de cité romaine avec le fait d’appartenir à une commune étrangère. A l’époque de la constitution fondée sur la famille, qui a sans nul douté été une institution latine commune, l’acquisition du droit de cité par une émigration est absolument impossible ; on ne connaît d’acquisition individuelle du droit de cité que par l’entrée dans une des gents existantes, le Prénestin qui émigre à Rome ou le Romain qui émigre à Préneste n’appartient à la nouvelle cité qu’en qualité de client. Assurément ce lien de clientèle est plus tard devenu à Rome le droit de cité plébéien, et nous retrouverons par suite notre institution parmi les sources de ce droit ; c’est ce qui explique que, dans les traités récents, la réciprocité soit écartée. Mais cela ne change rien à la nature de l’institution. Jamais on ne se demande, pour l’exlium, si le citoyen qui en use devient ou non citoyen dans la nouvelle cité ; il suffit, pour la suppression du droit de cité romaine, qu’il entre sous la protectorat de la nouvelle cité qui lui est assuré par lu traité international ; qu’il y acquière ou non le droit de cité, c’est là chose accidentelle et de pure faculté[146]. Du côté romain, il n’y a d’exigé, pour l’exilium, que le changement de domicile (solus vertere) avec l’intention de perdre la qualité de membre de la cité (exilii causa). Quant à son fondement, ce droit doit être considéré comme un droit de libre circulation, c’est-à-dire comme un droit introduit dans l’intérêt du commerce, principalement afin d’écarter, dans l’intérieur du Latium, la séparation de la nationalité et du domicile. Mais, dans l’époque dont nous avons une connaissance précise[147], le droit de cité romaine n’était pars facilement échangé contre une autre nationalité pour une autre raison que pour mettre de côté les conséquences personnelles d’une condamnation imminente, conséquences qui disparaissaient par la perte du droit de cité, comme par la mort[148], quoique au surplus le procès continuât son cours dans les deux cas[149]. Plus tard, on permit au citoyen d’échapper par l’exilium, même après le prononcé de la condamnation criminelle[150] ou civile[151], à ses conséquences déjà produites[152]. Mais lorsqu’il était fait usage de l’exilium dans ce but, on interdisait toujours au condamné la communauté du toit et de l’abri, de l’eau et du feu sur la surface du territoire romain en vertu de cette sentence, il était execratus et les consuls, rendaient un édit coutre lui[153]. Cette interdiction du territoire empêchait le condamné de revenir dans son ancienne patrie. Le condamné pouvait ensuite séjourner dans les États alliés, ne faisant pas partie du territoire romain, dans l’un desquels il avait cherché asile et y acquérir le droit de cité, si les circonstances le voulaient.

2. Le passage d’un citoyen romain dans une cité fédérée peut aussi se produire en vertu de la résolution prise par l’autorité romaine de créer une nouvelle cité de ce genre ou d’an augmenter une déjà existante[154]. On fait, en pareil cas, d’abord appel aux volontaires[155] ; à défaut de déclarations suffisamment abondantes, le nombre de colons requis est tiré au sort parmi les citoyens, et les récalcitrants sont frappés d’une amende. Il intervient donc là une contrainte indirecte pour forcer à abdiquer le droit de cité.

3. Lorsque un esclave romain a acquis le droit de cité romaine par affranchissement, mais qu’avant l’esclavage il a appartenu à un autre État en qualité d’homme libre, il recouvre, par son retour dans sa patrie, pourvu que celle-ci soit en traité avec Rome, son droit de cité primitif, jure postliminii, et il perd ainsi son droit de cité romaine[156].

 

 

 



[1] Parmi les témoignages sans nombre on peut signaler le langage des listes de Pline, en particulier l’opposition des populi ou civitates aux oppida dans la description de l’Espagne citérieure (3, 3). Par suite, il est hasardeux de rapprocher étymologiquement populus et πόλες.

[2] Magister populi ne peut s’entendre dans un autre sens (cf. tome III, la partie de la Dictature, sur le rôle de général du dictateur), et populari peut difficilement être séparé de populus, bien que Corssen (Ausspr. 1, 524. 2, 427) le fasse venir de spolium. L’étymologie de populus (à côté de poplicus, poublicus) n’est pas certaine. Si l’opinion qui est aujourd’hui courante parmi les étymologistes, celle qui considère le mot comme formé par redoublement de la racine qui se retrouve dans plenus et πολύς (Curtius, Griech. Etym, p. 277 ; Corssen, Ausspr. 1, 368) est conforme à la vérité, il n’a, pris à la lettre, aucune signification militaire ; mais cela n’empoche pas qu’il n’ait pu en recevoir une telle dans l’usage le plus ancien.

[3] La manière dont l’idée de cité souveraine était attachée à ce mot, se révèle aux principes poses sur son emploi par rapport le la cité non souveraine du droit nouveau, au municipe : Publica appellatio, dit Gaius, Digeste, 50, 16, 16, in compluribus causis ad populum Romanum respicit ; civitates enim privatorum loco habentur, règle qui à la vérité n’est observée que rarement dans la terminologie (C. I. L. X, 787). Dans les cités latines de l’époque la plus récente, publicus est, montre la loi municipale de Malaca, remplacé par communis, pour caractériser ces cites comme dépourvues de la souveraineté politique qu’il implique.

[4] Gaius, 1, 3. Capiton, dans Aulu-Gelle, 10, 30. Festus, p. 233. Egalement, p. 330, v. Scitum populi.

[5] Populus est, dans le langage ordinaire, employé partout où l’on ne fait pas ressortir la distinction des classes et où l’on veut désigner l’ensemble des citoyens, en particulier ceux de rang inférieur (populares). Tite-Live, 4, 51, 3 : A plebe consensus populi consulibus negotium mandatur, où les plébéiens votent et où le peuple en général approuve. 5, 51, 1 : Cooptatos tribunos non suffragiis populi, sed imperio patriciorum, où populus désigne la masse de ceux qui ont le droit de vote par opposition à des individus influents. 25, 2, 9 : Ædiles plebei aliquot matronas apud populum probri accusarunt (de même 25, 3, 16. 37, 58, 1. 43, 8, 9).

[6] Tite-Live emploie, dans quelques textes qui sont discutés dans la partie de la Plèbe (1, 36, 6. 3, 71, 3. 6, 20, 11), concilium populi ou en considération de circonstances particulières, ou d’une manière incorrecte, pour désigner une assemblée délibérante du peuple ; mais cela ne justifie en aucun cas l’interprétation de cette formule dans le sens d’une assemblée distincte des patriciens. — Sur la formule populus plebesque, cf. Cicéron, Ad fam., 10, 35.

[7] La formule : Ollus quiris leto datus, employée dans les annonces de funérailles (Festus, v. Quirites, p. 254), la seule dans laquelle, en dehors des textes poétiques, on rencontre le singulier (indiqué par Denys, 2, 46, comme faisant défaut) et le cri de détresse : Porro quirites (les exemples dans Hand, Tursell. 4, 483) impliquent le sens de citoyen et ne peuvent s’accorder avec le caractère de nom local. Quiratare, que les anciens rapprochent déjà de ce cri de détresse (Varron, 6,68), pourrait bien, comme me fait remarquer Willamowitz, être plutôt l’imitation du cri naturel d’un animal (verris quiritare : Suétone, éd. Reiff, p. 249). Il n’est pas non plus tout à fait rare de rencontrer quirites Romani (Tite-Live, 5, 41, 3. 26, 2, 11. Populi Romani quirites, Pline, 16, 32, 132). Le mot ne désigne jamais une localité ; car le Quirinalis tire son nom du Dieu, et les quiritium fossæ sont les fossés des citoyens. Par conséquent, l’étymologie tirée de Cures, déjà proposée dans Varron, loc. cit., et depuis traditionnelle, est impossible, même abstraction faite de ce que les citoyens de Cures s’appellent Curenses et que la Juno quiritis et Quirinus, que l’on ne peut séparer de quiris, n’ont rien de commun avec Cures. La légende qui rattachait la villa des Quirites au roi de Cures Tatius existait probablement déjà, lorsque fut fondée la tribus Quirina, et ce peut avoir été l’origine du nom de cette tribu, bien que Cures elle-même n’appartienne pas à la tribu Quirina.

[8] Il ne peut, parmi les étymologies proposées, être question pour quirites que de deux étymologies, toutes deux déjà indiquées dans l’antiquité : ou bien celle tirée du mot sabin (à la vérité cité seulement à l’appui de cette étymologie) : curis, lance (Varron, dans Denys, 2, 48, comme origine de Cures ; Ovide, Fastes, 1, 292 ; etc.), on invoque la lance de Quirinus (Festus, Ép. p. 49 ; Macrobe, Sat. 1, 9, 16) et de Juno Quiritis (Plutarque, Q. Rom. 87. Rom. et 9 ; Festus, Ép. p. 62, v. Cœlibari) et on pourrait rapprocher cette formation de celle d’arquites ; ou bien celle tirée de curia, mot qui ne peut être séparé de la divinité protectrice de la curie, la Juno caris (Festus, Ép. p. 64), curitis, currilis, quiritis (toutes ces formes sont attestées par des inscriptions, Jordan sur Preller, Myth. 1, 218), κυριτία (Denys, 2, 50). Il peut dans ces formations se produire aussi bien un allongement de la vocale comme dans prudens = providens, qu’une abréviation, comme dans decuria, de sorte que la formation quirites à côté de curia n’est pas impossible. D’après cela, quiris est synonyme de curialis et la curia est une collectivité de citoyens, ce qui est d’accord avec l’usage de ces termes. La Juno curitis est également identifiée, avec raison, avec la Juno populona. Sur l’étymologie, Willamowitz me fait remarquer que : les quirites sont οί τό κύρος έχοντες, le quiris un κύριος έαυτοΰ τών έκυτοΰ, un αύτάρκης dans la notion aristotélique du citoyen. Le thème a un κ palatal, par conséquent qu n’est pas = κ, mais l’û comme la montre cûria appartient au thème ; κοίρανος est la forme la plus voisine.

[9] Formule de déclaration de guerre dans Tite-Live, 1, 32 : Quod populi Priscorum Latinorum hominesque Prisci Latini adversus populum Romanum quiritium fecerunt.

[10] Les tables arvales m’écrivent jamais autrement, par exemple dans la formule d’indiction, années 81, 401, lis, 420, 155, Antonin le Pieux, b, et en outre p. CXXX, an 91, — p. CLXXVIII, CLXXX, sous Marc-Aurèle, — p. CCVI, an 218. De même Fabius Pictor dans Aulu-Gelle, 1, 42, 14 et la formule des compitalia dans Aulu-Gelle, 10, 24, 3 = Macrobe, 1, 4, 27. La particule conjonctive (populus Romanus quiritesque) qui ne se met pas à la bonne époque pour des idées complémentaires comme celles-ci, se rencontre dans Tite-Live, 8, 6, 13, et Festus, Ép. p. 67, v. Dici.

[11] Varron, 6, 86 ; Tite-Live, 1, 32. 8, 9, 8. 41, 16, 1. Il n’y a pas de témoignages pleinement certains. La formule était, ainsi que le montrent les tables arvales, habituellement écrites seulement par ses lettres initiales, et il a pu facilement en être fait une traduction fausse soit par le copiste, soit par l’auteur lui-même.

[12] La manière dont il faut comprendre le composé populus plebesque est indiquée par l’adresse de la lettre de Lépide (Cicéron, Ad fam. 10, 35) : Senatui populo plebique romanæ comparée avec l’adresse habituelle (voir tome III, la partie du Tribunat, sur le droit de relatio) : Consulibus prætoribus tribunis plebei senatui. Il s’agit là de la proposition au sénat et au peuple régulièrement provoquée par des missives de ce genre. C’était la même chose de les adresser au populus ou aux consules prætores ; on pouvait aussi les adresser soit à la plebs, soit aux tribuni plebis. Le rapport semblable dans lequel se trouvent les deux expressions dans des formules de vœux (Tite-Live, 29, 27, 2 ; Cicéron, Pro Mur, 1, 1. Verr. 5. 14, 36) et dans des oracles (Tite-Live, 25, 12, 10 = Macrobe, Sat., 1, 17, 28) est déterminé par là même. Au contraire dans les legs d’Auguste populo et plebi (Tacite, Ann., 1, 8), le populus est le populus Romanus, l’Ærarium, et la plebs est la plebs urbana (cf. Mon. Ancyr. 2e éd. p. 59). La formule est bien comprise par Soltau, Altröm. Volksvers., p. 84.

[13] Corssen, Ausspr. 1, 385, rapproche κεΐμας et l’allemand Heim ; peut-être faut-il penser plutôt à cire, citare, bien qu’à la vérité cette étymologie ait été ensuite oubliée dans l’emploi du mot au féminin (qui d’ailleurs ne s’accorde pas bien avec la formule du cens : capita civium Romanorum) et dans civis sine suffragio.

[14] Cela se manifeste en particulier clairement pour l’emploi de jus quiritium, qui ne s’est, conservé que dans des formules traditionnelles, et de jus civile qui le remplace. On reconnaît aussi clairement ici que, dans l’opposition faite entre le droit civil et le jus publicum, le dernier se rapporte à l’État envisagé comme tel et le premier aux citoyens pris individuellement. Si la concession du droit de cité faite à un Latin est ordinairement désignée comme la concession non pas des droits de citoyen, mais des droits de Quirite (Ulpien, 3, où l’identité souvent contestée de la civitas Romana et du jus quiritium est affirmée expressément ; Gaius, 3, 72 ; Pline, Ad Traj. 5, 11 ; Suétone, Claude, 19), tandis que, pour les Pérégrins, on dit habituellement dans ce sens civitas, l’explication est que l’acquisition du droit de cité romaine par les Latins s’est introduite dans le système du droit romain d’une manière tout autre et à une époque bien plus ancienne que la concession de la cité romaine aux Pérégrins.

[15] C’est ce que montre le langage des inscriptions, en particulier de celles de la Gaule Cisalpine (C. I. L. V, p, 1195).

[16] Inst. 1, 16, 4 : Servus manumissus capite non minuitur, quia nullum caput habuit n’est qu’une continuation de cette formule ; de même que le capitis minor d’Horace. Tributum capitis n’appartient pas à notre ordre d’idées ; c’est une traduction d’έπικεφάλαιον. Dans les expressions plus tard usuelles caput liberum (Gaius, 1, 166a, etc.), et caput servum ou servile (Tite-Live, 27, 16,7. 29, 29, 3), caput ne désigne pas la sujet de droit, mais l’être humain.

[17] Pas la vie ; la mort n’est pas une capitis deminutio et la causa capitis n’atteint pas nécessairement la vie matérielle ; mais elle atteint toujours l’existence civile.

[18] Plaute, Pseud., éd. Ritschl, 225. Pers. éd. Ritschl, 36. Pœn. Prol., 24 ; Sénèque, Ép. 80, 4.

[19] Gaius, 4, 77, et ailleurs. Pour les délits des esclaves, il ne peut s’agir du caput qui fait défaut à l’esclave ; il est fait allusion au caput de celui contre qui l’action est dirigée ; c’est-à-dire du maître qui a la possession au moment où l’action est intentée, ou, après l’affranchissement, de l’affranchi.

[20] Deminuere signifie enlever, aliéner (par exemple de bonis deminuere aliquid) et non pas affaiblir. D’ailleurs, on peut bien être dépouillé de sa personnalité, mais elle ne peut être affaiblie ; elle est ou elle n’est pas.

[21] Les jurisconsultes romains ont, pour y rattacher lettre trois divisiones des personnes en liberi et servi, en cives, Latini et peregrini, en sui et alieni juris, obscurci l’idée en distinguant trois degrés de capitis deminutio ; bien qu’eux-mêmes les ramènent fréquemment et doivent les ramener à deux, puisque, dans le droit privé récent, la liberté et la cité se confondent. En réalité, il n’y a pas deux degrés, mais il y a deux principes différents, bien que corrélatifs : le principe de droit public du droit de cité, et le principe de droit privé de l’indépendance personnelle (sui juris) ; en se tenant fermement à cette idée, tout est simple et clair.

[22] De même que la capitis deminutio du droit public résulte de la transformation d’un citoyen libre d’après ce droit en un homme non libre d’après ce droit, celle du droit privé consiste dans le passage d’un homme libre au point de vue du droit privé dans l’état de non liberté privée, ou encore de celui de l’individu non libre en droit privé dans un autre rapport de dépendance privée, dans l’entrée sous la potestas, la manus ou le mancipium de quelqu’un quand elle ne résulte pas, comme pour le fils de famille, de la naissance. La rupture du lien de famille sans fondation d’autre rapport de puissance, qui se produit pour le fils à la mort du père, pour le flamine ou la vestale à l’acquisition de son sacerdoce, n’y est donc pas comprise. Au contraire, il faut y faire rentrer tous les actes créateurs de la puissance paternelle autres que la naissance, ainsi l’adrogation ; ensuite tous les actes créateurs de la puissance qui résulte pour l’homme du mariage ; enfin la causa servilis (que Paul, Digeste, 4, 5, 3, 1, nomme seule par une inexactitude) qui se trouve à la base de l’adoption et de l’émancipation. L’indication de la coemptio en matière de mariage (Gaius, 4, 38) ne prouve pas que la confarréation et l’usus ne produisent pas les mêmes effets juridiques. L’usus disparut de bonne heure, et la confarreatio ne modifiait, à l’époque récente, la condition personnelle qu’ad sacra (Gaius, 1, 136), tandis que la coemptio subsista plus longtemps dans la pratique, grâce à ses applications fictives.

[23] Dans la langue du droit civil récent, status remplace caput ; ainsi, par exemple, la status quæstio civile correspond à la causa capitis criminelle ; mais ce mot n’est pas employé dans la langue du droit public.

[24] La droit de cité a toujours été reconnu aux femmes par la théorie romaine ; cela se manifeste tout d’abord dans la mention de la gentilité faite dans les noms pour les femmes comme pour les hommes, mais aussi dans la situation, faite à la femme romaine en matière d’impôt et de succession. Cicéron, Pro Balbo, 24, 55, donne des exemples de concession du droit de cité à des femmes. Le défaut de droits politiques n’exclut aucunement le droit de cité.

[25] Lorsqu’il s’agit de l’organisation politique, par conséquent des choses de l’intérieur, le mot gens désigne les individus politiquement unis par la communauté d’origine. Au contraire, lorsque on ne tient pas compte des rapports politiques, par conséquent relativement à l’extérieur, il désigne les individus qui, d’après leur conformation physique, paraissent avoir une origine commune. L’idée est toujours la même. Seulement, en parlant de gens Julia, on pense à la postérité du premier Julus, et, en parlant de gens Numidarum, à celle du premier qui parla Numide et eut l’air Numide. Au dernier sens, les gents sont l’étranger, comme dans les anciennes tournures : jus gentium, ubi gentium. — Stirps, au sens propre, la racine, et, par suite, ce qui en sort, le Stamm, correspond, pour la signification, au mot gens, mais le remplace lorsque on veut éviter sa portée politique. Nous reviendrons sur ce point à propos de la gentilité plébéienne. — Le genus n’est pas, comme la gens, une pluralité de personnes réunies par la naissance. C’est, en premier lieu, le caractère natif et plus largement le caractère quelconque d’une personne, par conséquent le type propre appartenant à l’homme en général (genus humanum), celui résultant de la nationalité (genus Numidarum), de la naissance (nobili genere malus), d’une particularité originaire ou acquise, comme notre rang, notre classe (genus agreste, genus militare ; Tite-Live, 8, 20, 4 : Opificum vulgus et sellularii, minime militiæ idoneum genus ; 10, 21, 3 : Dilectus omnis generis hominum ; 40, 51, 9 : Mutarunt suffragia regionatimque generibus hominem causisque et questibus tribus discripserunt ; Cicéron, Ad Att. 2, 19, 2 : Omnibus generibus ordinibus ætatibus offensus). Il s’emploie aussi pour exprimer la capacité politique. Ainsi Festus, Ép. v. municipium, p. 427, appelle genus hominum les nouveaux citoyens créés par la guerre italique, et Lælius Felix, dans Aulu-Gelle, 15, 27, indique les genera hominem comme la base de la constitution des curies, en pensant aux associations fondées sur le lien du sang, maïs en évitant le mot gents pour ne pas exclure les scirpes plébéiennes. De là se développa ensuite l’usage général du mot pour désigner toute espèce de catégorie.

[26] La limitation de ridée à ceux qui ne sont ni les sui, ni les adgnati du défunt (si adgnatus nec escit, gentiles familiam habento) a été amenée par le droit de préférence existant, en matière héréditaire, au profit de parents les plus proches. Mais il ne faudrait pas y voir un refus ai de l’agnation aux sui, ni de la gentilitas aux agnats et aux sui.

[27] De même que civitas désigne en même temps les citoyens et le droit de cité ; gentilitas s’emploie à la fois pour l’ensemble des membres de la gens (Varron, dans Nonius, éd. Mercier, p. 222 ; Pline, Panég. 39 ; Victor, Viri ill. 24) et plus fréquemment pour les liens et les droits de gentilité (Varron, De l. L. 8, 4 ; Cicéron, De orat. 1, 38, 173. c. 39, 476 ; Pline, Panég. 37, etc.).

[28] Par un phénomène singulier, la terminologie romaine n’a pas de terme corrélatif à populus et à gens pour désigner la maison. Les sui sont les membres de la maison ; mais le chef de maison duquel ils dépendent n’y est pas compris. La familia est ce qui se trouve dans la maison, en premier lieu la domesticité, ensuite les biens en général ; le chef de maison et les sui sont à la tête de la familia, et s’appellent, dans ce sens, pater, mater, filius familias, mais ils n’appartiennent pas eux-mêmes à la familia et la maison ne s’appelle pas de ce nom. Au contraire, familia est pris, à l’époque récente, dans un sens complexe, tantôt pour désigner une fraction de la gens dont il sera question plus loin, tantôt pour désigner la gens elle-même. Cicéron, In Pis. 23, 53, appelle Pison familiæ non dicam Calpurniæ, sed Calventiæ dedecus ; Labéon, (dans Festus, v. Popularia, p. 253) désigne les sacra gentilicia comme certis familiis attributa (voir de même Aurelia familia, p. 23 ; Nautiorum, p. 166 ; les prétendus Potitii, p. 231) ; Ulpien, Digeste, 50, 16, 195, 4, dit : Appellatur familia plurium personarum, quæ ab ejusdem ultimi genitoris sanguine profeciscuntur, sicut dicimus familiam Juliam. Il est tout à fait habituel de voir gens et familia pris l’un pour l’autre dans Tite-Live (1, 1, 12. 2, 41, 10. 3, 25, 3. 38, 59, 11, rapproché de c. 58, 3) et dans Tacite (Ann. 6, 51. 1, 25. Hist. 2, 48).

[29] L’expression la plus claire de cette idée se trouve dans Varron, 8, 4 : Ut in hominibus quædam sunt agnationes ac gentilitates sic in verbis : ut enim ab Æmilio homine (Becker, le ms. homines) orti Æmilii (Spengel supprime ac) gentiles, sic ab Æmilii nomine declinatæ voces in gentilitate nominati. L’opinion qui intervertit les faits, selon laquelle gens n’aurait pas désigné à l’origine un groupe de parents, mais une division politique arbitrairement limitée, n’a plus besoin aujourd’hui de réfutation. La gens a été partout à l’origine ce que signifie son nom. Assurément des individus qui ne sont pas parents peuvent être introduits dans le cercle de la parenté, en vertu de règles générales on de mesures spéciales ; et l’on peut concevoir des réunions ou des fractionnements arbitraires des groupes de parents existants, mais le principe reste toujours dans la puissance paternelle fondée sur la naissance.

[30] On peut douter que les Romains se soient, sous ce rapport, distingués des autres peuples. Nous montrerons, dans la partie des Noms, que la généalogie m’était. A l’origine, aucunement indiquée dans les noms et qu’elle ne le fut plus tard que dans une mesure restreinte. Les arbres généalogiques sont certainement très anciens ; mais ils semblent avoir eu plutôt pour but de constater la nobilitas que de constater la filiation en général.

[31] Il faut rappeler ici que, comme nous montrerons plus loin avec plus de détails, il n’y avait, à cette époque primitive, que les patriciens de citoyens et que par suite les plébéiens qui portaient le même nomen étaient exclus comme n’étant pas citoyens. Lorsque Cicéron ajoute à la définition rapportée ci-dessous : Non est satis, et exige encore l’ingénuité à l’infini en ligne ascendante, cela est bien vrai pour le peuple patricio-plébéien ; mais pour le peuple patricien, la proposition principale suffirait.

[32] La définition traditionnelle porte, dans Cicéron, Top. 6, 29 : Gentiles sunt inter se qui eodem nomine sunt ; dans Cincius (Festus, Ép. p. 94, v. Gentiles) : Gentiles mihi sunt qui meo nomine appellantur.

[33] Les annalistes rapportent que, lorsque, après l’abolition de la royauté, les plébéiens furent pour la première fois appelés à faire partie du sénat, il en entra 169 et le sénat fut par là ramené au chiffre normal de 300 (Festus, v. Qui patres, p. 254 ; Plutarque, Popl. 11). Ce peut, à la vérité, être une invention faite sur le même modèle que celle des 527 Sabines d’Antias. Mais peut-être le chiffre a-t-il pour origine que l’analyse de la table complète des magistrats donnait 136 familles patriciennes existant à l’époque dé la République. Nous ne pouvons établir l’existence que de tout au plus 50 à 60 de ces familles, (Rœm. Forsch. 1, 121). Les familiæ Trojanæ dont ont traité Varron (Servius, Ad Æn. 5, 704), Hyginus (Servius, Ad Æn. 5, 389) et sans doute aussi Messala Corvinus (traité de familiis : Pline, H. n. 35, 2, 8), étaient, à l’époque d’Auguste, encore environ 50 (Denys, 4, 85) ; nous ne trouvons pour cette époque qu’environ 14 gents patriciennes (γενεαί), et environ 30 familles (οΐκοι), (Rœm. Forsch. 1, 122).

[34] Ce principe ressort énergiquement dans Festus, p. 245 : Publica sacra quæ publico sumptu pro populo fiunt quæque pro manlibus pagis, curiis, sacellis : at privata, qua pro singulis hominibus, familiis, gentibus fiunt. Denys, 2, 65. Tite-Live, 1, 52, 4, oppose également les sacra gentilicia aux publica.

[35] Les decuriæ de Denys, sont, selon lui, des parties de l’armée populaire la plus ancienne et seront étudiées à propos de l’organisation des curies ; la tradition qui nous est parvenue ne les lie pas aux gents. — On rencontre aussi la mention d’un chiffre de 1000 gents : Gentilicia nomina, dit le traité de nominibus, 3, Varro putat fuisse numero mille, prænomina circa triginta. Le dernier chiffre est le résultat d’un calcul empirique ; mais il est difficile qu’il en soit de même pour le premier, puisque il n’y a pas cires et que le chiffre est un chiffre rond. Cependant nos chiffres schématiques ne fournissent aucun appui à celui-là ; car le nombre 1000, que l’on trouve donné pour les maisons de l’État composé de 10 curies (Plutarque, Rom. 9), ne s’applique pas aux gents, et en outre Varron peut, après son calcul des prénoms basé sur l’expérience de son temps, avoir fait celui des noms en le rapportant à l’État composé de trente curies. Quoi qu’il en soit, Varron n’a pas plus voulu attester un chiffre normal durable pour les noms gentilices que pour les prénoms.

[36] Cf. Ulpien, Digeste, 50, 16, 195, 2. La considération que la plus ancienne acception politique du mot est mise par là dans un rapport direct avec son sens physique, est favorable à cette conception. Elle se rencontre même chez les anciens (Plutarque, Q. R. 58) ; mais ordinairement elle est rattachée à l’amour paternel (Cicéron, De re p. 2, 8, 14 ; Festus, Ép. p, 246 ; Victor, Viri ill. 2, 11), ou à l’âge et à l’autorité qu’il donne dans le conseil (Salluste, Cat. 6, 6 ; Festus, p. 339 ; Tite-Live, 1 8, 2). Toutes les étymologies anciennes partent de la relation du mot avec le sénat, plus tard la seule technique.

[37] Cette interprétation d’un mot transparent pour quiconque parle latin est commune à toute la tradition. La seconde moitié en a paru à tous les anciens juristes un simple suffixe ; le jeu de mots qui apparaît à l’époque d’Auguste, selon lequel les patricii seraient ceux qui patrem ciere possent (Tite-Live, 10, 8, 10 ; Plutarque, loc. cit.), aboutit au même pour le fond. Christensen a démontré dans l’Hermes, 9, 208, que le mot n’est pas seulement employé au pluriel, mais aussi au singulier, ainsi que l’avait affirmé Becker. — Les Grecs conservent le plus souvent (ainsi Denys et Diodore) l’expression latine Plutarque et Dion la traduisent par εύπατρίδης.

[38] Les décemvirs interdirent, d’après Cicéron, De re p. 2, conubia... ut ne plebi et patribus essent, d’après Tite-Live, 4, 4, 5, ut conubium patribus cum plebe esset, et Gaius (Digeste, 50, 16, 238), en disant, dans le sixième livre de son commentaire sur les Douze Tables, où devait nécessairement se trouver l’interprétation de cette disposition : Plebs est ceteri cives sine senatoribus, fait clairement le commentaire de ce mot. Je n’ai pas justement apprécié la force probante de ces textes dans les Rœm. Forsch. 1, 228.

[39] La preuve en est dans les formules techniques : Patres (et) conscripti, patres auctores fiunt, dans le retour des auspices ad patres au cas d’interrègne (voir tome I, la partie des Auspices, sur les auspicia patrum), dans la proditio de l’interroi a patribus (voir tome II, la partie de l’interrègne, sur les patres). Rœm. Forsch., 1, 227.

[40] Cicéron, De re publ. 2, 12, 73. Tite-Live, 9, 8. Denys, 2, 8.

[41] C’est cela, et rien de plus, que veut dire Cincius, dans son traité de comitiis (dans Festus, p. 241) : Patricios..... eos appellari solitos, qui nunc ingenui vocantur, source dont doit aussi dépendre Tite-Live, 10, 8, 10. Cela s’accorde parfaitement avec la légende de Romulus. Au reste, ces textes ne disent pas qu’ingenuus puisse être employé pour patricius, et le mot n’est en effet pas employé dans ce sens, ingenuus se rapporta à la limitation plébéienne de la tache de la libertinité ; il ne désigne pas, dans le langage technique, comme patricius, celui parmi les ascendants duquel il n’y a pas d’affranchi, mais primitivement le citoyen qui a deux ascendants libres, et plus tard tout citoyen qui n’a jamais été esclave (cf. tome II, la partie des Caisses d’inéligibilité absolue, sur l’inéligibilité des affranchis et de leurs fils).

[42] Nous aurons à revenir là-dessus au sujet du Sénat. La terminologie est étudiée d’une manière spéciale dans les Rœm. Forsch., loc. cit., et avec plus de détails par Christensen, dans l’Hermes, 9, 196 et ss. La portée primitive du mot, maintenue dans la mémoire des jurisconsultes par la loi des Douze Tables, aura sans doute contribué à faire naître son emploi récent pour désigner les patriciens. Mais, d’un autre côté, le Sénat et les patriciens marchaient si bien la main dans la main, dans les luttes des partis de la période récente de la République, qu’il n’y avait pour les annalistes, auxquels seuls appartient ce langage en dehors des Douze Tables, rien de plus naturel que de les confondre.

[43] Patricius est employé de cette façon pour les proci patricii de la discriptio classium de Servius Tullius (Festus, p. 254), et dans magistratus patricii, calceus patricius. Le dernier mot se rapporte aux patres au sens étroit, puisque le noble n’a droit à cette chaussure qu’en qualité de sénateur ; il n’a non plus été tiré, même dans ce sens, aucune autre forme adjective de patres.

[44] Gaius, 3, 17, et Ulpien, 26, 1, se bornant à remarquer qu’à défaut d’agnats, les gentiles héritent en vertu des Douze Tables ; ils ne disent rien de la répartition, parce que, de leur temps les gentilicia jura étaient sortis de l’usage. Si, selon des probabilités qui seront expliquées plus loin, la gens pouvait, à l’époque la plus ancienne, être elle-même propriétaire, et spécialement y était la titulaire de la propriété foncière, l’hérédité d’un individu sport sans agnats revenait certainement, à l’origine, à cette gens elle-même. Plus tard, il est établi qu’il y avait une répartition (Suétone, Cæsar, 1 : Gentiliciis hereditatibus multatus) ; mais on peut y avoir tenu compte de la proximité du droit de succession et avoir fixé la part en conséquence. Quand des frères et des enfants de frères héritaient les uns à côté des autres, les seconds étaient, en toute hypothèse, éloignés de l’auteur commun d’un degré de plus que les premiers.

[45] Familia opposé à gens, Salluste, Jug. 95, 3 : Sulla gentis patriciæ nobilis fuit, familia jam prope extincta ; Festus, v. Publica sacra ; Tite-Live, 38, 58, 3 : P. Scipio Nasica... orationem... habuit plenam veris decoribus non communiter modo Corneliæ gentis, sed proprie familiæ sum ; Suétone, Nero, 1 : Ex Gente Domilia duæ familiæ claruerunt Calvinorum et Ahenobarborum ; aussi Festus, Ép. p. 94, Gens : Ælia appellatur quæ ex multis familiis conficitur. Le mot est encore plus fréquemment employé pour les grandes maisons, closes de fait, que ce soient des gents ou des fractions de gents ; ainsi Cicéron, Pro Ses. Roscio, 8, 15, appelle familiæ les Metelli, Servilii, Scipiones ; on doit entendre ainsi les familiæ Trajanæ. C’est par 1à qu’il faut expliquer l’usage fréquent de familia à la place de gens (p. 9, note 3). Si la lecture est bonne dans Tite-Live, 9, 29, 10 et Val. Max. 1, 1, 17, familia y est, par opposition à gens, la maison du pater familias isolé ; cependant la relation de Festus, p. 237, v. Potitium, amène à une conception différente et cette façon de parler n’est pas autrement attestée. — Stirps n’est jamais employé dans ce sens.

[46] Les développements que j’ai donnés à ce sujet, Rœm. Forsch. 1, 48, et ss., demandent une correction. De ce que les familles nobles se partagent de fait en plusieurs lignes, il ne résulte pas qu’il y ait une séparation de droit correspondante. Un argument décisif en sens contraire est que le cognomen héréditaire ne s’est introduit qu’à une époque tardive et que même alors les dérogations y étaient licites et fréquentes. Lorsque un Sulla ou un affranchi d’un Sulla mourait sans héritier, on aura écarté les Scipions de la succession, probablement parce que la preuve était faite par des arbres généalogiques remontant jusqu’au commencement de la branche. Mais il n’y a pas de preuve que les Sullæ aient eu parmi les Cornelii une vocation par préférence semblable à celle que les Cornelii avaient parmi les autres citoyens, ni, d’une manière générale, que la familia ait eu un litre de droit propre, existant entre celui de la gens et celui de la familia. La fausse compréhension du récit de Cicéron, De or. 1, 39, 176 sur le procès de succession des Claudii a provoqué ici beaucoup de confusions.

[47] Suétone, Tibère, 1. — Cicéron, Phil. 1, 13, 32 ; de même Festus, Ép. p. 125 s. v. M. Manlium, et p. 151, v. Manliæ gentil ; Tite-Live 6, 20, 14 ; Plutarque, Q. R., 91 ; Aulu-Gelle, 9, 2, 11.

[48] Des usages de familles, comme celui que Denys, 9, 22, rapporte pour les Fabii, n’impliquent aucune décision expresse. La contribution des gentiles aux frais produits par l’exercice d’une magistrature (Denys, 2, 10), au rachat de captivité (Appien, Hann. 23), au paiement d’amendes judiciaires (Denys, 13, 5 ; Dion, fr. 24, 6) n’en suppose pas davantage.

[49] En ce sens, Suétone désigne à bon droit l’acte par le mot consensus, l’expression technique pour un sentiment dépourvu de force légalement obligatoire (Mon. Ancyr. 6. 14, et mon commentaire sur ce passage, p. 146). Decretum, dans Cicéron et Festus, ne peut pratiquement vouloir dire rien de plus ; car il n’y aurait pas de pouvoir exécutif pour appliquer la décision.

[50] V. tome III, la partie du Grand Pontificat, sur les charges religieuses de l’État.

[51] Cicéron, De domo, 13, 35. Cf. De har. resp. 15, 32.

[52] Cincius, dans Arnobe, 3, 38 : Solere Romanos religions urbium superatarum partim privatim per familias spargere, partim publice consecrare. Le Vediovis des genteiles Juliei leege Albana (C. I. L. I, n. 807) peut avoir appartenu à cette classe. Le culte d’Apollon doit aussi avoir été un culte gentilice des Julii (Servius, Ad Æn. 10, 316). Cf. Macrobe, Sat. 1, 16, 1.

[53] Le caractère de ces sacra nous est montré par un fragment de l’ouvrage de Messala Corvinus († l’an 9 après J.-C.), qui est rapporté dans Pline, H. n. 34, 13, 237. En dehors des sacra étudiés, tome III, dans la partie du Grand Pontificat, ceux que l’on rencontre le plus souvent sont le sacrificium statum in Quirinali colle genti Fabiæ (Tite-Live, 5, 46, 2. c. 52, 3. 4 ; Val. Max. 1, 1, 11, etc. ; Denys, 9, 19) ; celui des Nautii relatif à Minerve (Festus, p.166. 167, v. Nauticrum ; Denys 6, 69 ; Servius, Ad Æn. 2, 166. 5, 704) ; le sacrificium gentil Claudiæ (Festus, p. 238, v. Propudi ; Denys, 11, 14 ; Macrobe, Sat. 1, 16, 7). Il est aussi fait allusion aux feriæ propriæ des Æmilii et des Cornelii (Macrobe, loc. cit.). Cf. Denys, 2, 21. Il résulte des paroles de Caton dans Festus, p. 344 : Quod tu quod in te fuit sacra stata sollemnia capite sancta deseruisti, que la négligence de ces sacra pouvait provoquer une accusation capitale.

[54] On objecte aux mariages mixtes patriclo-plébéiens qu’alors personne ne saura plus quorum sacrorum il est (Tite-Live, 4, 2, 6). Tite-Live, 10, 23. Cicéron, De off. 1, 17, 55. Le même, De domo, 13, 35. Il sera question plus loin de la sacrorum detestatio. Cicéron, De leg. 2, 22, 55. Les textes semblables se rencontrent en foule.

[55] Dans sa constitution Cicéron, De leg., 2, 9, 22, exprime ce principe par les mots : Sacra privata perpetuo manento, qu’il commente c. 19-21.

[56] Il y a des sepulcra familiaria et hereditaria (Gaius, Digeste, 11, 7, 5) ; mais les premiers l’emportent absolument. Handb. 1, 361.

[57] Caton, Orig. l. II, fr. 61, éd. Peter : si quis mortuus est Arpinatis (Arpinum était une cité de citoyens), ejus heredem sacra non sequuntur.

[58] D’après Tite-Live, 39, 19, 5, le sénat décida, en 563, uti Feceniæ Hispallæ datio deminutio gentis enuptio tutoris optio item esset, quasi ei vir testamento dedisset. Il fallait donc pour la gentis enuptio quelque chose de plus que le consentement des tuteurs requis pour le mariage de toute femme qui n’était pas en puissance paternelle ; je l’ai déjà remarqué, Rœm. Forsch. 1, 9. L’exigence légale d’une loi dans ce but est indiquée soit par le renvoi au testament, qui était primitivement une loi et qui en a toujours gardé la portée, soit par l’intervention du sénat pour concéder ce droit.

[59] Cicéron, Pro Mur. 12, 27 : Sacra interire (majores) noluerunt : horum ingenio senes ad coemptiones facietidas interimendorum eacrorum causa reperti sunt. La femme conclut, du consentement de ses tuteurs, un mariage avec manus avec un vieillard appartenant à sa gens (il faut, à cause de la gentis enuptio, ajouter cette condition pour l’époque ancienne), et elle se fait donner par lui dans son testament la gentis enuptio. Gaius indique, 1, 114, 115, des expédients voisins de celui-là.

[60] Les deux questions de savoir comment le testament privé a acquis la force d’une loi et comment la charge des sacra a été transportée de la personne aux biens se résolvent peut-être l’une par l’autre. Les pontifes qui rivaient sous leur autorité le testament comitial comme plus tard l’adrogation, ne l’auront pas autorisé quand la perpétuité des sacra n’était pas assurée, et ils auront, en vertu de leur pouvoir d’interprétation, fait produire effet au testament par mancipation, nul en lui-même, quand l’héritier se chargeait des sacra. On comparera à ce sujet la partie des Comices.

[61] Cicéron, De leg. 21, 52. c. 10, 48. c. 20, 50.

[62] Festus, p. 290 : [Sine sacris hereditas] (restitué d’après le proverbe qu’on trouve plusieurs fois dans Plaute) in proverbio dici solet, [cum aliquid obvenit] sine ulla incommodi appendice, quod olim sacra non solum publica curiosissime administrabant, sed etiam privata, relictusque heres si (Ms. : sic) pecuniæ, etiam sacrorum erat.

[63] La rédaction des textes cités plus haut conduit assurément à admettre que l’héritier ou l’individu soumis à la même chargeait se chargeait personnellement des sacra ; et ce devait aussi être la règle lorsque, d’après le droit religieux, l’héritier pouvait satisfaire à cette obligation. Mais il y a forcément eu des dispositions spéciales pour le cas oit l’héritier manquait d’une qualité nécessaire à cet effet. La mesure dans laquelle les sacra gentilicia pouvaient être continués par des personnes n’appartenant pas à la gens, ne se laisse pas déterminer.

[64] Formule du familiæ emptor : Familia pecuniaque tua... esta mihi empia (Gaius, 2, 104).

[65] Familia tout seul dans les dispositions des Douze Tables sur les successions éd. Schœll, 5, 4 ; 5, 5 ; aussi, 5, 8, pour le droit de succession du patron quelque chose comme : Ex ea familia [qui liberatus erit ejus, bona] in eam familiam [revertuntor] ; de même dans les dénominations techniques de l’héritier nominal le familiæ emptor, et de l’action en partage de la masse héréditaire, l’action familiæ erciscundæ. — Pecunia dans les Douze Tables, 5, 1, pour les biens de l’individu en curatelle : Adgnatum gentiliumque in eo (furioso) pecuniaque ejus potestas esta ; 5, 3, pour le testament : Uti legassit super pecunia tutelave sua rei ; 30, 7, pour le prix de la lutte : Qui coronam parut ipse pecuniave ejus, où il doit s’agir en premier lieu des chevaux.

[66] Gaius, 1, 119, où il faut préférer le rem tenens du manuscrit à l’æs tenens de Boèce. 121 : Personæ... item animalia... nisi in præsentia sint, mancipari non possunt, adeo quidem, ut eum qui mancipio accipit adprehendere id ipsum quod ei mancipio datur necesse sit : unde etiam mancipatio dicitur... pradia vero absentia solent mancipari. Il n’est naturellement question ici que de l’idée première de la mancipation ; dans sa transformation, de beaucoup postérieure (Rœm. Gesch., 1, 7e éd. 151 = tr. fr. 1, p. 203), elle est, ainsi qu’il va de soi, requise en première ligne pour les immeubles.

[67] Gaius, 4, 46. 17.

[68] Varron, De re rust. 1, 10, 2. Le mot heredium se rencontre aussi, dans les Douze Tables, avec le sens d’hortus (Pline, 19, 4, 50 ; Festus, Ép., p. 99) Pline, H. n. 13, 2, 7. Plutarque, Popl. 21. Il est aussi fait allusion aux bina jugera comme plus ancien lot de terre par Tite-Live, 6, 36, 11 ; Juvénal, 14, 163 ; Siculus Flaccus, p. 153 ; Festus, Ép. p. 53. La centuria, mesure de superficie de 200 jugera, se rencontre souvent (Varron, De l. L. 5, 35 — d’où Columelle, 5, 1, 1 et Isidore, 15, 15, 7 — : Centuria primum a centum jugeribus dicta est, post duplicata retinuit nomen, explication qui doit évidemment s’effacer devant l’autre explication, aussi donnée par Varron et tirée des heredia descentum cives ; Balbus, Grom. p. 95 ; Hyginus, p. 110 ; Siculus Flaccus, p. 153). Il sera démontré, dans la partie du régime municipal, qu’elle s’applique aussi probablement aux colonies les plus anciennes.

[69] Parmi les partages de terres faits aux citoyens Romains qui ont pour lot la mesure de l’heredium ou une mesuré approximativement égale, il n’y a pas à tenir compte ici de ceux où il n’est question d’aucune déduction (Tite-Live, 8, 11, 14 ; cf. C. I. L. I, p. 88) ou bien pour lesquels il est établi que la prétendue déduction de colonie est une fiction (ainsi Labici, Tite-Live, 4, 47, 6 ; Satricum, Tite-Live, 6, 16, 6). Mais il ne parait pas y avoir d’objection contre le témoignage de Tite-Live, 8, 21, 11, sur l’année 425. Au reste, tout ce qui résulte de là, c’est que la démarcation subsistait encore, à cette époque pour la fondation des colonies de citoyens ; nous aurons à revenir sur ce point dans la partie des Colonies de citoyens.

[70] Les témoignages relatifs à l’assignation des bina jugera par Romulus ne s’occupent pas de la condition juridique du reste des terres arables. Les annales qui nous été transmises n’ignorent pas seulement les bina jugera, elles les excluent, en rattachant à Romulus l’assignation totale. Denys, 2, 7 (cf. Plutarque, Rom. 27). On ne dit pas si la terre attribuée aux ourles leur resta, et par suite resta terre publique (car, de même que les sacra des curies sont publica, les possessions des curies devraient également être publiques) ou si elle fut répartie entre les curiales ; mais la dernière solution est impliquée par la fait que la terminatio est ensuite établie par Numa (2, 74 ; d’où Plutarque, Numa, 16). Les assignations de terres publiques que l’on rencontre ensuite ne sont évidemment autre chose que les partages de terre de l’époque récente reportés par antidate à l’époque la plus ancienne. Numa. : Denys, 2, 62 ; Cicéron, De re p. 2, 14, 26. — Tullus : Denys, 3, 1. — Ancus : Cicéron, De re p. 2, 18, 33. — Servius : Tite-Live, 1, 46, 1 ; Denys, 4, 43, rapproché de c. 9, 10. 11 ; Zonaras 7, 9. — Sp. Cassius : Tite Live, 2, 41, 2. Cette exposition se borne donc à faire dériver la propriété privée de la propriété publique au moyen de l’assignation, et elle fait l’assignation avoir lieu immédiatement sans limite au profit des individus ; elle rejette par conséquent forcément l’assignation individuelle limitée qui a pour objet l’heredium.

[71] La question générale de savoir depuis quand l’idée de propriété a été appliquée au sol peut être laissée ici hors de cause, d’autant plus que la tangue Romaine n’a pour désigner la propriété d’autre expression ancienne que l’emploi du génitif ou des adjectifs correspondants. On a sans doute dit de toute antiquité ager populi ou publicus tout aussi bien que servus populi ou publicus, et l’idée de puissance qui réside dans les mots potestas, manus, mancipium a dû, dès un temps très reculé, se fondre avec celle du droit exclusif de jouissance de la terre pour constituer une même notion de droit.

[72] La migration elle-même n’a pas de date. Elle est placée sous Romulus (Suétone, Tibère, 1), mais plus ordinairement en l’an 258 de Rome, Tite-Live, 2, 16 (cf. 4. 4). Denys, 5, 40. De même Plutarque, Popl. 21 (d’où Zonaras, 7, 33) ; Virgile, Æn. 7, 706 ; Suétone, Tibère, 1. — Peut être les mêmes conceptions jouent-elles un rôle dans la légende du château fort des Fabius à la Cremera, bien que la tribu Fabia ne soit pas indiquée là, et dans celle inventée à son imitation par un écrivain héraldique du temps d’Auguste d’une colonia Vitellia (Suétone, Vitellius, 1).

[73] 5, 25. L’explication de Schaube (Hermes, 21, 222) me parait avoir rencontré la vérité.

[74] Loi des Douze Tables, éd. Schœll, 5, 5. Cicéron, Verr. 11, 45, 115. Le même, De orat. 1, 39, 476. Suétone, Cæsar, 1.

[75] Gaius, 3, 47 ; Ulpien, 26, 1a ; Paul, Sent. 4, 8, 3.

[76] C’est au droit de succession des gentils patriciens que se rapportent soit le témoignage de Suétone (note ci-dessus), soit en première ligne la définition des gentiles, donnée dans Cicéron, Top. 6, 29, qui délimite évidemment le cercle des gentils appelés à la succession et ne s’applique exactement qu’aux patriciens.

[77] Dans l’oraison funèbre de Turia (entre 746 et 752 ; C. I. L. VI, 1521), il est dit qu’elle a refusé de se soumettre à la tutelle des gentils, parce qu’il n’existait pas de droit de gentilité sur sa maison. Cicéron, De domo, 13, 35, relativement au changement de gens de Clodius.

[78] Douze Tables, 5, 7.

[79] Sans doute l’heredium s’y présente comme verger : mais c’est au fundus et non pas à lui que la prescription acquisitive est appliquée.

[80] La façon dont le droit public s’en rend compte a été indiquée plus haut. Les gents sont primitivement des individus et c’est le roi qui procède à leur choix et à leur assemblage. Comme pour la loi, comme pour la propriété, comme en général pour tout ce qui est primitif dans l’État, le début n’est pas placé dans l’accord de plusieurs personnes, mais dans la volonté d’un seul maître.

[81] En écartant Romulus, la réception des gentes ne peut être accomplie par le roi seul. Il faut que les curies y participent. C’est une conséquence non seulement du principe de la souveraineté du peuple, que nous aurons à étudier dans la partie de la Compétence des comices mais encore du fait que la réception des gentes devint impossible avec la disparition des comices composées de familles.

[82] Cet acte est considéré comme une cooptation chez Tite-Live, 4, 4, dans un discours adressé au Sénat, et dans Suétone, Tib. 1. La cooptata dont il s’agit ne peut se rapporter au sénat patricien ; car le Sénat n’a jamais eu le droit de se recruter lui-même ; si le sénat patricien l’avait possédé, la possibilité de compléter le patriciat se fut maintenue par lui-même. Il est plus admissible de désigner du nom de cooptatio la décision des curies patriciennes sur la réception d’une nouvelle gens, attendu que chaque curie se compose d’un certain nombre de gentes ; le choix de l’expression peut s’expliquer par l’idée que les interprètes récents de droit public ne voulaient pas parler d’une décision des curies, les curies patrico-plébéiennes d’alors n’étant pas compétentes pour une telle réception. La relation n’a, en aucun cas, de valeur historique ; mais la conception dos anciens maîtres de droit est enfermée dans cette légende, et elle est pour nous le seul instrument de recherches.

[83] Une famille existant en dehors d’une communauté politique aurait difficilement été reconnue par l’intelligence juridique ancienne. Mais la reconnaissance de cette communauté par Rome n’était naturellement pas plus requise pour na réception : que ne fut plus tard pour la concession du droit de cité à un non Romain la reconnaissance de son droit d’origine.

[84] Ce sont les Clœlii, — les Curiatii, — les Ceganii, les Julii, — les Quinctilii (et non Quinctii, Rœm. Gesch. 1, 51 = tr. fr. 1, 731, les Servilii : Tite-Live, 1, 30 ; Denys, 3, 29. Sur les Metilii du dernier, cf. Rœm. Forsch. 1, 104. L’origine albaine de la maison des Jules est attestée tant par une bonne tradition que par l’ancienne ara des genteiles Juliei leege dlbana dicata (C. I. L. I, 807).

[85] Cicéron, De rep. 2, 20, 36. Ad fam. 9, 21, 2. Tite-Live, 1, 35, 6 (d’où De viris ill. 6, 6). Dans Tacite, Ann. 1, 25, Claude nomme des patriciens paucis jam reliquis familiarum quas Romulus majorum et C. Brutus minorum gentium appellaverat. Suétone, Auguste, 2. Tandis que, dans Cicéron, la réception est encore nettement rapportée aux gentes, Tite-Live et Ies écrivains latins postérieurs, et encore plus nettement Denys la comprennent comme une réception des individus, dans le patriciat pour eux et leur descendance et dans le Sénat pour eux-mêmes ; Suétone refuse même le patriciat aux individus ainsi admis et Tacite confond l’incorporation des plébéiens dans le Sénat par Brutus et la réception des minores gentes patriciennes par Tarquin.

[86] Rœm. Forsch. 1, 259. Nous aurons à étudier ce point de plus près dans la partie du Sénat.

[87] Cf. Handbuch, 6, 525. Les deux troupes majorum minorumque puerorum, qui participaient à cette course (Suétone, Cæs. 39. Aug. 43. Tib. 6 ; Plutarque, Cat. min. 3), se rattachent bien plus vraisemblablement aux gentes majores et minores qu’à des âges différents — dont il n’est du reste pas question dans Virgile, Æn. 5, 545 et ss. — Sans doute il y participait aussi des plébéiens ; ainsi, par exemple, dans la plus ancienne mention qui en est faite, à l’époque, de Sulla, l’une des turmæ est conduite par le patricien Faustus Sulla, et pour la direction de l’autre, il est question des plébéiens Sex. Pompeius, le père du consul de 719, et Caton d’Utique. Mais le jeu semble néanmoins avoir été regardé comme un jeu patricien auquel les plébéiens étaient seulement admis ; ce n’est pas fortuitement que Dion désigne à plusieurs reprises les enfants du nom d’εύπατρίδες (43, 23. 51, 22. 54, 26 ; εύγενεΐς, 48, 21. 53, 1. 59, 7. 11 ; τών βουλευτών παϊδες, 49, 43 ; οί πρώτοι, 55, 10). Si Virgile, loc. cit., suppose trois turmæ, c’est, comme l’admettent les scolies, par relation avec les Titienses, les Ramnes et les Luceres ; et par conséquent aussi par une allusion à des traditions patriciennes.

[88] Les Valerii sont surtout mentionnés ici. Denys, 4, 46. Un auteur héraldique du temps d’Auguste (Q. Elogius l43, dans Suétone, Vit. 1), découvrit qu’après que les Vitellii eurent autrefois eu sous leur autorité tout le Latium, horum residuam stirpem ex Sabinis transisse Romam atque inter patricios adlectam.

[89] Suétone, Auguste, 2.

[90] Dans la légende des Claudii, la réception des membres patriciens et celle des membres plébéiens de la gens sont clairement distinguées ; si Attus Clausius y entre seul parmi les gentiles et tous les autres membres de la gens parmi les clients, c’est qu’il est, lui qu’une des versions fait émigrer dès l’époque de Romulus, considéré comme un des patres de Romulus, comme une des souches de gentes. Parmi les Albains, Denys, 3, 29, fait sept familles devenir patriciennes, et le reste être versé dans la plèbe ; Tite-Live (1, 30. 4, 4) ne comprend pas autrement la réception. Il n’est pas question des clients ; cependant le récit ne les exclut pas.

[91] Voir, tome V, la partie de la censure impériale.

[92] Pison, dans Aulu-Gelle, 15, 29 ; Varron, dans Nonius, éd. Mercier, p. 222 ; Cicéron, De re p. 2, 25, 46. c. 81, 54 ; Tite-Live, 1, 59. 2, 2.

[93] Schwegler, 2, 739.

[94] Les anciens jurisconsultes distribuaient aussi ces causes d’une manière analogue, en disant : ut sit civis aut natus sit oportet aut factus (Quintilien, Inst. or. 3, 10. 65).

[95] Denys, 2, 25. Modestin, Digeste, 23, 2, 1.

[96] La formule du mariage conservée par Plutarque, Q. R. 30, n’a de sens que si la fiancée, avant d’entrer dans la nouvelle maison et les nouveaux sacra, promet de porter le nomen du mari, et ce nom ne peut être que le gentilicium car, d’une part, l’identité du prénom des deux époux serait contradictoire, et, d’autre part, la femme n’a pas, juridiquement parlant, de prénom. C’est par un pur hasard que la formule ce rapporte plutôt à Gavius qu’à Æmilius on à Cornelius.

[97] Il fut décidé par un sénatus-consulte de 743 : Ut hæc (probablement la flaminica Dialis), quod ad sacra tantum videatur in manu esse, quod vero ad ceteras causas peoinde habeatur, atque si in manum taon convenisset (Gaius, 1, 136). La même décision fut prise législativement en l’an 23 de l’ère chrétienne (Tacite, Ann. 4, 16).

[98] Nos vieux maîtres romains semblent déjà ne pas avoir eu idée qu’il en ait jamais été autrement.

[99] Toutes les informations concernant le conubium international jusques et y compris les diplômes des vétérans montrent que le droit de cité de la femme qui se mariait en vertu de ce conubium n’était pas changé par là. Sur la gentilité, les témoignages exprès font défaut. Mais elle va avec le droit de cité et le nomen.

[100] Il n’y a pas de raison de douter que, du moment qu’un mariage international était permis ; il était régi par le droit commun et par conséquent comportait l’intervention de la confarréation et de la manus.

[101] L’expression est ici employée par corrélation au fils qui passe d’une puissance sous une autre, par conséquent en excluant l’adrogation.

[102] C’était là déjà, d’après Denys, 2, 27, une dés lois de Romulus, et même la meilleure de toutes. Précisément parce que cette disposition heurtait le vieux principe de l’inaliénabilité de la puissance domestique et que l’adoption et l’émancipation l’avaient pour base, Ies juristes auront voulu lui attribuer une haute antiquité.

[103] Loi des Douze Tables, 4, 2, éd. Schœll : Si pater filium ter venum duit, filius a patre liber esto. L’interprétation pratique, selon laquelle une seule aliénation suffisait pour les filles et les petits-enfants, avait pour seule base le désir des jurisconsultes de faciliter l’adoption ; en droit, il aurait fallu conclure de la loi ou que par f1iue on devait entendre tous les descendante, ou sinon que la puissance n’était pas susceptible d’être supprimée sur les filles et les petits-fils. Le système d’après lequel, en matière de noxa, il suffisait d’une seule vente même pour le fils, rentre dans le même ordre (Gaius, 4, 79).

[104] Le défendeur au procès fictif est naturellement le propriétaire actuel de la personne a adopter, c’est-à-dire celui entre les mains duquel le père a aliéné son fils pour la troisième fois, ou, si ce dernier a retransféré son droit au père naturel, ce père lui-même. On préférait la dernière voie, quoiqu’elle exigeât un détour de plus, parce que de cette façon le père naturel niait lui-même sa puissance paternelle et reconnaissait le père adoptif pour le véritable. Gaius, 1, 134. Aulu-Gelle, 5, 19.

[105] La preuve en est dans les combinaisons qui sont rapportés par Tite-Live, 41, 8, sur l’an 577, et qui seront examinées dans la partie de la Latinité.

[106] Aulu-Gelle, 5, 19.

[107] Le plus ancien témoignage de l’entrée d’un plébéien dans une maison patricienne concerne L. Manlius Acidinus Fulvianus ; consul patricien de 575, mais fils d’un Fulvius et frère par le sang de son collègue plébéien. Voir d’autres exemples, Rœmisch. Forsch. 4, 74 et ss., où il est démontré que l’esprit nobiliaire patricien désapprouvait ces façons d’agir. Cependant on ne peut décider si ce changement de gens a pour base l’adoption, proprement inadmissible en droit, ou l’adrogation, qui a été admise de toute antiquité.

[108] V. tome III, la partie du Grand Pontificat, sur le rôle législatif du Grand Pontife et des curies.

[109] Gaius 1, 99 ; Aulu-Gelle, 5, 19. Tacite, Hist. 1, 15.

[110] Detestari est avec testari dans le même rapport que demere avec emere, dejicere avec jacere, et signifie par conséquent abandonner devant témoins. La sacrorurn detestatio est citée dans Aulu-Gelle, 15, 27, à côté du testament, comme étant également accomplie in comitiis calatis, et, les comices tenus sous la présidence d’un pontife s’appelant calata dans la langue technique (voir tome III, la partie du Grand Pontificat, sur les comitia calata), il ne peut s’agir ici de rien autre chose que de l’adrogation que l’on a toujours principalement en vue dans la matière des comices pontificaux. Servius, Ad Æn. 2, 156, s’accorde avec cette idée. Il est aussi bien d’accord avec cela que les anciens jurisconsultes traitent en détail de cette detestatio : Ser. Sulpicius écrivit deux ou plusieurs livres de sacris detestandis (Aulu-Gelle, 7, 12) : Ulpien (Digeste, 50, 16, 40, pr.) définit la detestatio une denuntiatio facta cum testatione, Gaius (Digeste, 50, 16, 238, 1) detestatum, testatione denuntiatum. — J’ai précédemment, en restreignant à tort la sphère des comitia calata aux comices d’ordre testimonial, limité la detestatio sacrorum à la transitio ad plebem, pour laquelle nous la retrouverons assurément ; mais le cas principal est celui de l’adrogation.

[111] Le plus ancien cas d’adoption testamentaire qui nous soit connu est celui de l’adoption du fils de sa fille par l’orateur L. Crassus (Cicéron, Brut. 58, 212), qui mourut en 663 ; le plus connu et le seul par lequel l’institution soit élucidée est celui de l’adoption du fils de sa sœur par le dictateur César. Les circonstances de ce dernier cas excluent toute procédure exceptionnelle ; il n’y a là qu’une application du droit reconnu en vigueur ; aussi la validité de cette adoption n’a-t-elle jamais été attaquée par les adversaires de l’adopté, quelque conforme que cela eût été à leur intérêt. Appien (B. c., 3, 94) regarde l’adition d’hérédité accompagnée de la prise du nom comme une première adoption et pense que le second César a adjoint celle résultant du vote des curies, parce qu’il fallait cette dernière pour lui donner droit aux hérédités des affranchis. En droit, la dernière seule peut être regardée comme une adoption. Appien a été conduit à son interprétation par le fait que, de son temps, où l’on usait arbitrairement du nom et où les autres droits attachés à l’agnation s’effaçaient de plus en plus, il ne restait guère d’autre effet que la prise du nom, et l’adoption en forme était remplacée pratiquement par l’institution de l’individu comme héritier sous la condition qu’il prendrait le nom (cf. Digeste, 36, 9, 63, 10).

[112] Si, dans Appien, 3, 14, César s’adresse au sujet de son adoption, au préteur urbain, et ce dernier prend acte de la déclaration, il n’y a là que la déclaration ordinaire de l’ouverture de la succession et la demande de la bonorum possessio en vertu du testament, demande qui dans ce cas implique la déclaration de l’adoption.

[113] Dion, 45, 5. Appien, 3, 94. Dion, 46, 41 fait la même relation, en ajoutant qu’il porta dès auparavant le nom du dictateur.

[114] Cette enquête n’est pas mentionnée ; mais elle ne faisait sans doute pas défaut.

[115] Peut-être suffisait-il même, dans ce cas, du testament d’une femme ; car la communio comitiorum qui excluait la femme de l’adrogation était ici hors de cause, et l’on rencontre des cas de ce genre (Cicéron, Ad Att. 7, 8 Suétone, Galba, 4) ; que l’on peut, il est vrai, rapporter à ce qu’Appien appelle la première adoption. A la vérité, il aurait fallu alors une fixation du rapport établi entre la femme et l’adopté, qui donna à celui-ci une place précise dans la famille ; main cela pouvait être fait par la loi. — Au contraire, l’adoption de Livie par Auguste ne peut être justifiée que comme nous le faisons, au tome V, dans la partie de l’adoption par le prince.

[116] Appien, 3, 94. L’adopté par testament ne prend pas seulement le nom du testateur ; il s’appelle aussi son fils ; ainsi Atticus dans Cicéron (Ad Att. 3, 20 ; et Nepos, Att. 5) et Metellus Pius Scipio, consul en 702, dans une inscription (Jahrbush der preuss. Kunstsammlungen, 1, 192 ; cf. Dion, 40, 51). Cf. Hermes, 3, 64 = Mommsen, Étude sur Pline, tr. Morel, p. 36.

[117] Tite-Live, 5, 46. L’objet de cette loi curiate n’est pas la confirmation de l’imperium dictatorial, mais la restitution de l’état personnel perdu, montre la suite du récit. Camille reste en exil jusqu’à ce qu’il apprenne que la loi a passé, quod nec injussu populi mutari finibus posset nec nisi dictator dictas auspicia in exercitus habere ; et, à la fin, lex curiata lata est dictatorque absens dictus, nomination après laquelle seulement pouvait venir la loi sur l’imperium. D’après cela et d’après la répétition faite, 5, 51, 1, il faut réunir les mots : jussu populi revocatus de exilio. Cette résolution ne put être prise que dans les comices centuriates ou tributes et lui restitua le droit de cité ; la mention des comices curiates, qui assurément sont introduits dans le texte d’une manière incorrecte, doit se rapporter à ce qu’ils durent être invités par la même loi à. renouveler le droit de gentilité qui ne pouvait être rendu que par eux, si tant est qu’il put l’être. Tite-Live rattachant plus bas la dictature de Camille a un vote du peuple (6, 6, 8. 22, 11 14 ; d’où Plutarque, Cam. 40), il a donc aussi considéré la concession de la dictature comme liée avec la restitution du droit de cité.

[118] Ils appartiennent principalement à Denys et à ses copistes, et sont des transformations de la concession du patriciat à des gentes, provoquées par le fait que, dans les concessions de cette espèce, on signale particulièrement l’entrée des chefs dans le sénat. La concession personnelle da patriciat faite tantôt par un acte royal, tantôt par un vote des curies, est affirmée pour Numa (4, 3) ; pour le premier Tarquin avant son arrivée au trône (Denys, 3, 41 ; Dion, fr. 9, 1 Zonaras, 7, 8) ; pour ses cent sénateurs nouveaux (Denys, 3, 61 ; Zonaras, 7, 8, où ils sont devenus 200 ; Suétone, Auguste, 2) ; enfin pour les sénateurs choisis par les premiers consuls (Denys, 5, 13 ; cf. 7, 55, et Tacite, Ann. 11, 25). La désignation minorum gentium, spéciale à ces sénateurs récents, suffit à montrer que les meilleurs témoignages rapportaient ce choix de sénateurs ou à des familles patriciennes qui n’étaient pas représentées dans le sénat ou à des familles nouvellement entrées parmi les patriciennes. Mais il est fait clairement allusion à une concession personnelle, il y est fait allusion le plus clairement possible dans la distinction faite par Suétone entre la concession du siège au Sénat, et celle de la gentilité. Il se peut fort bien que cette version ne soit pas seulement une erreur, mais une falsification historique imaginée en faveur des nominations de patriciens de César et d’Auguste.

[119] Cicéron, Pro Balbo, 12, 30. La question est étudiée d’une manière plus approfondie dans la partie des Alliés.

[120] Le changement de droit de cité implique capitis deminutio, dit Festus, Ép. p. 70, et, pour l’émigration dans une colonie latine, Boèce sur Cicéron, Top. 4, 18, éd. Orelli, p. 302. Cela résulte au reste déjà de ce que toute perte du droit de cité est une capitis deminutio.

[121] La sortie de la gens a des points de contact multiples avec la capitis deminutio du droit privé, la soumission à une puissance domestique d’une personne qui était auparavant soit sui juris, soit sous une autre puissance, lorsque le changement de maison est en même temps un changement de gens. Mais elles ne se confondent pas. L’adoption testamentaire et la transitio ad plebem entraînent un changement de gens sans qu’il y ait passage sous une puissance domestique. La femme prise pour vestale ne tombe pas en puissance, elle devient sui juris ; mais elle sort de sa maison et de sa gens.

[122] Les sophismes transparents par lesquels Cicéron, Pro Cæc. 33. 34 et De domo, 29. 30, défend le principe que, dans l’État romain, le droit de cité et la liberté ne peuvent être perdus par le citoyen malgré lui, n’ont pas besoin d’être réfutés. Avec la clause : Si quid jus non est rogarier, jus ea lege nihilum rogatum, un avocat peut réduire toutes les lois à néant. Mais assurément, dans la période du plein développement de la République, après que l’expulsion du coupable et du débiteur à l’étranger, sur le territoire ennemi, avaient disparu et avant que l’exilium de Sulla n’entra en vigueur, la liberté et la cité étaient a Rome, dans le cours ordinaire des choses, des droits impérissables.

[123] Cela n’est à la vérité dit expressément que dans les Douze tables, pour la vente du débiteur insolvable, trans Tiberim, mais la régie s’appliquait sûrement à tous les cas de vente analogue. Seulement on n’oubliera pas que la guerre supprime les liens d’alliance et que, par conséquent, si le Romain insolvable ne peut pas être vendu à un Prénestin, le Prénestin fait prisonnier de guerre devenait parfaitement esclave à Rome.

[124] Cicéron, De or. 1, 40, 181.

[125] Cicéron, Top. 8, 37 ; de même Pro Cæc. 34, 99. Cela est évidemment exact ; mais, comme il était incommode de rester tenu de la réparation lorsque l’État lésé la refusait, ou lia la réparation a l’offre et l’on contesta même le postliminium à ceux qui revenaient ensuite (Cicéron, De orat. 1, 40 ; Digeste, 49, 15, 4. 50, 7, 18). Le droit de cité fui, en 611, rendu à Mancinus par un vote du peuple (v. tome II, la partie de la Capacité d’être magistrat, sur l’itération d’une même magistrature autre que le consulat).

[126] Tite-Live, 55.

[127] Cicéron, Pro Cæc. 34, 99. Menander, Digeste, 49, i6, 4, 10. Dans le cas de 474 de Rome, rapporté par Varron dans Nonius, p. 18, Tite-Live, Ép. 14, Valère Maxime, 6, 3, 4, il y a plutôt bonorum venditio.

[128] Gaius, 1, 460. Tite-Live, 1, 44, 4. Denys, 4, 15. 5, 75. Cicéron, Pro Cæc. 34, 99.

[129] V. tome I, la partie de la Juridiction administrative et celle du Droit de coercition.

[130] Cela comprend en première ligne, l’attentat contre les ambassadeurs (Digeste, 50, 7, 13), relativement auquel des exemples d’extradition nous sont transmis pour le cas des Apolloniates en 488 (Tite-Live, 15 ; Dion, fr. 42 ; Zonaras, 8, 7 ; Valère Maxime, 6, 6, 5) e) pour celui des Carthaginois en 567 (Tite-Live, 38, 42 ; Val. Max. 6, 6, 3) ; puis la participation d’ambassadeurs romains au combat contre le peuple prés duquel ils sont envoyés (Diodore, 14, 113 ; Tite-Live, 5, 36 ; Plutarque, Camill. 18) ; et enfin le traité de paix conclu à tort par le magistrat (v. tome I, la partie des Actes conclus entre l’État et un État étranger).

[131] Cicéron, De orat. 1, 40, 181 ; Pro Cæc. 34, 99. La propriété peut être transférée noxæ causa. Mais le droit de père n’est pas restreint à ce cas.

[132] D’après les Douze Tables, aut capite pænas dabant aut trans Tiberim peregre venum ibant (Aulu-Gelle, 20, 1, 48).

[133] Les Douze Tables ne prescrivent, dans ce cas, que l’addiction, qui précède également la peine de mort ou l’esclavage pour le débiteur : Utrum servus efficeretur ex addictione an adjudicati loco constitueretur, veteres quærebant (Gaius, 3, 189). La dernière opinion est la bonne, d’autant que l’adjudicatus peut, dans la conception ancienne, être vendu et même tué, la première (indiquée aussi dans Aulu-Gelle, 20, 1, 1) se heurte au principe que la liberté romaine ne peut se transformer en esclavage romain.

[134] L’ancienne jurisprudence place la captivité la guerre parmi les causes de capitis deminutio ; Festus, Ép. p. 70, le fait aussi et il est question dans César, B. c. 2, 32 (cf. tome II, la partie du Serment des soldats) de la capitis deminutio du général fait prisonnier de guerre. La jurisprudence nouvelle ne le fait pas routes deux ont étalement raison. Les conséquences civiles de cette dualité d’état ne peuvent être étudiées en droit public.

[135] Le prisonnier renvoyé avec obligation de retour est par suite exclu (Aulu-Gelle, 6, 18).

[136] Gaius, 1, 138 : Ii qui in causa mancipii sunt, quia servorum loto habentur, vindicia sensu testamento manumissi sui juris fiunt, tandis que, comme on sait, les modes de manumission sont inapplicables aux individus libres en puissance. Festus, Ép. p. 70 : Deminutus capite appellabatur..... qui liber alteri mancipio datus est, rapproché du principe connu d’après lequel sont seuls gentiles ceux qui capit non sunt deminuti (Cicéron, Top. 6, 29).

[137] La situation de ces personnes libres mises dans la condition d’esclaves ressort de la manière la plus claire dans Gaius, 1, 135. Le droit de l’enfant d’une telle personne est en suspens tant que le père vit. Si le père est affranchi, l’enfant tombe sous sa puissance. S’il meurt dans son espèce de servitude, l’enfant reste, d’après l’opinion de Labéon, évidemment la seule logique, dans la condition du père, tandis qu’il serait, d’après les modernes, en pareil cas, sui juris. L’individu libre dans cette condition servile a donc des héritiers comme l’homme libre et il leur transmet son statut personnel (cf. Gaius, 1, 435) ; mais ce statut personnel lui-même est en suspens, et lui et ses descendants sont en droit privé (mais non pour l’exercice des droits de citoyen) des esclaves, jusqu’ç ce que, lorsque la libération se produira pour lui ou les héritiers, leur statut personnel ne renaisse. Les nombreuses atténuations, apportées à cette servitude (Gaius, 1, 140. 141 ; Collatio, 2, 3) sont évidemment des innovations, datant peut-être seulement du temps de l’Empire.

[138] Ces condamnés sont les servi pœnæ. Tous ces rapports de droit qui appartiennent immédiatement au droit civil et au droit criminel ne peuvent être que signalés par la droit public. — L’homme libre qui s’est laissé intentionnellement vendre comme esclave pour partager le prix, se voit, me fait remarquer Pernice, déjà refuser, dans le droit de la République (Digeste, 40, 12, 23, pr.), l’action pour sortir d’esclavage : on ne lui enlève pas, à proprement parler, sa liberté ; mais seulement on maintient sa servitude de fait (Digeste, 40, 12, 7, 2. tit. 13, 1, pr.)

[139] Cicéron, Pro Balbo, 11, 28. Sur la relation entre la communis patria Roma et la patrie municipale, on comparera la partie du Droit municipal.

[140] Cicéron, Pro Balbo, 12, 29 : Civi Romano liçet esse Gaditanum sine erilio site posiliminio sine rejectione hujus civitatis. 11, 27 : Jure nostro neque mutare civitatem quisquam invitus potest neque, si velit, modo adsciscaiur ab ea civitale, cujus esse se civitatis (mieux civil is) velit, ut si Gaditan sciverint de aliquo cive Romano, ut sit is civis Gactitanus, magna potestas sit nostro civi nec jcedere impediatur, quominus ex cive Romano avis Gaditanus possit esse, et plus bas, 28 : Multi stiperim e memoria cives Romani sua voluntate indemnati et incolumes suis rebus relictis alias se in civitates contulerunt. 13, 31 : O jura præclara... ne quis... in civitate maneat invitus. On en rencontre des applications dans Cicéron, Pro Balbo, 12, 30 : Vidi egomet nonnullos imperitas homines nostros cives Athenis in numero judicum atque Areopagitarum certa tribu, certo numero, cum ignorarent, si illam civitatem essent adepti, hanc se perdidisse, nisi postliminio reciperassent. Peritus vero nostri moris ac juris nemo umquam, qui hanc civitatem retinere vellet, in aliam civitatem se dicavit, et Nepos, Att. 3 rapporte que les Athéniens lui auraient accordé le droit de cité quo beneficio ille uti noluit, quod nonnulli ut interpretantur amitii civitatem Romanam alia adscita. Ce n’est pas là une glose, cela veut dire : parce que certains jurisconsultes pensaient que le droit de cité Romaine était perdu par l’acquisition d’un autre droit de cité. Il indique par conséquent comme controversé ce que Cicéron affirme positivement.

[141] Cf. la partie de la Latinité. Des applications de ce droit à l’exilium se rencontrent pour Préneste (Polybe, 6, 14, 8 ; Tite-Live, 43, 2, 10) ; Tibur (Polybe, loc. cit., Tite-Live, loc. cit., et 3, 58, 10) ; Ardée (Tite-Live, 5, 43, 6 ; Denys, 13, 5) ; Lavinium (Tite-Live, 2, 2, 10 ; Denys, 8, 49) ; Lanuvium (Tite-Live, 3, 29, 6) ; pour ne pas parler de Suessa Pometia (Tite-Live, 1, 41, 7).

[142] On trouve mentionnées Neapolis (Polybe, loc. cit. ; Tite-Live, 29, 21, 1) et Nuceria, (Cicéron, Pro Balbo, 11, 28). Sur Tarquinii, cf. la note qui suit. On ne peut pas décider si la mention des Tusci dans Tite-Live, 3, 13, 8 doit être entendue dans ce sens ou est destinée à motiver la continuation de la procédure criminelle malgré l’exilium. L’exil in Volscos de Coriolan après sa condamnation (Tite-Live, 2, 35, 6) ne rentre certainement pas dans ceci.

[143] On trouve mentionnées Gades (Cicéron, Pro Balbo, 12 ; 29) ; Massalia (Asconius, In Milon. éd. Orelli, p. 54 ; Tacite, Ann. 4, 43) ; Athènes (Cicéron, Tusc. 5, 37, 408) ; Délos (Appien, B. c. 1,37) ; Dyrrhachion (Cicéron, Pro Sest. 67, 140). Tarraco peut aussi avoir été autonome avant de devenir une colonie (Cicéron, Pro Balbo, 11, 28). Mais il est surprenant de rencontrer comme ville d’exil Smyrne qui n’est pas autonome (Cicéron, loc. cit.) ; le séjour y aura peut-être été simplement toléré.

[144] Puisqu’il est dit relativement a un départ pour Tarquinii (Tite-Live, 26, 3, 12) : Id ei justum exilium esse scivit plebs, il faut que le droit d’exil n’ait pas été exclu dans le traité entre Rome et Tarquinii.

[145] Tite-Live, 25, 4.

[146] L’exposition de Cicéron, De domo, 30, 78, et Pro Cæcina, 34, 106, peut à la vérité est comprise dans ce sens que le droit de cité romaine ne serait perdu que par l’acquisition du droit nouveau ; mais l’expression recipere, sans doute choisie intentionnellement, admet aussi une autre explication. D’après l’exposition de Tacite, Ann. 4, 43, l’acquisition du nouveau droit de cité vient au contraire après l’exilium ; et c’est, en droit, la seule conception possible. Les traités internationaux peuvent bien avoir accordé à l’exilé romain un protectorat, mais il est impossible qu’ils lui aient tous garanti sans autre forme la plénitude du droit de cité la concession de ce droit dépendait des institutions propres de chaque cité elle pouvait ne pas être demandée, et, quand elle était demandée, elle pouvait être refusée.

[147] L’exilium des Tarquins semble avoir été construit de plusieurs façons. Selon Pison (dans Aulu-Gelle, 15, 29), les Tarquinii, en dehors du roi et de ses fils, se rendent volontairement en exil, et cette version est en accord avec la nature de l’institution ; seulement on ne peut pas facilement la concilier avec l’interdiction de l’eau et du feu. Dans le système ordinaire, (Tite-Live, 1, 59, 11 ; c. 60, 2 ; 2, 2 ; Denys, 4, 84, de même Varron, dans Nonius, éd. Mercier, p. 222 et Cicéron, De re p. 2, 25, 46), il faut admettre une accusation capitale avec prononciation de l’exilium accompagnée de l’execratio et de l’aquæ et ignia interdictio ; son extension à la gens reste alors, il est vrai, inexpliquée.

[148] Polybe, 6, 14, exprime de la manière la plus nette cet ancien système la condamnation personnelle y peut être évitée par un bannissement volontaire tant que le jugement n’a pas encore été rendu. Les cas des Annales rapportés dans Cicéron, De domo, 32, 86, peuvent aussi être compris dans le sens d’un exilium précédant la condamnation.

[149] Il n’y a pas de loi pénale ou d’accusation tendant à un exilium de possible, dit Cicéron (In Cæc. 34, 100) et montre tout l’ensemble des choses. Denys, 7, 64 (d’où Plutarque, Cor. 20). 11, 46, s’est trompé sur ce point.

[150] Salluste, Cat. 51, 40. Ce qui se passe pour Milon (Asconius, p. 54) le confirme. Cicéron, De domo, 30, 78 (cf. c. 31, 82), accorde aussi le jus exilii à ceux qui erant rerum capitalium condemnati ; de même, par un anachronisme, Tite-Live, 3, 29, 6, et 3, 58, 10. 25, 2, 9.

[151] L’exlium doit avoir éteint les procès civils en suspens au moment où il se produit, comme la mort et l’adrogation ; car il n’y a plus de sujet de droit pour la condamnation. Par suite, la lex repetundarum de 631-632 décide, ligne 29 : [De judicio in eum quei mortuos e]rit aut in exilium abierit. Quorum nomen ex h. l. delatum eri[t, sei is prius mortuos erit aut in exili]um abierit, quam ea res judicata erit, pr(ætor)... rem... item quærito ; il fallait cette disposition exceptionnelle pour rendre la condamnation possible. La matière faisant défaut pour une translation de l’action comme celle quia lieu lors de la mort ou de l’adrogation, celui qui exilii causa solum vertit, a nécessairement ses biens saisis, pour peu que des actions civiles aient été ou soient intentées contre lui (Cicéron, Pro Quinctio, 49, 60, 28, 86). L’exilium a certainement été employé aussi souvent ou même plus souvent pour éviter les suites de procès civils que pour atténuer les effets d’une condamnation prononcée par les comices, et il remplit le même rôle en face des quæstiones perpetuæ, qui viennent des actions civiles, qu’on face des procès jugés par les comices.

[152] La gravité de l’accusation ne parait pas avoir eu d’influence ; il y avait là un droit du citoyen Romain encore plus qu’un droit des villes alliées. Si, d’après une version, Q. Pleminius en route pour l’exil fat arrêté à Naples (Tite-Live, 29, 21, 1) et si L. Hostilius, préteur en 62, fut rappelé de son exil (arcessitus) et poursuivi comme s’il n’était jamais parti (Asconius, In Scaur. éd. Orelli, p. 23), ce sont la sans doute des cas où le gouvernement Romain passa, en matière criminelle, par dessus les traités. Cf. Tite-Live, 3, 58, 10. — Sur la relation existant entre l’exilium et l’emprisonnement, cf. tome I, la partie du droit de coercition.

[153] Tite-Live, 25, 4, 9. L’interdictio elle-même coïncidait sans doute avec l’execratio du droit sacré (Caton, orig. l. IV, éd. Jordan, p. 21). Cette loi fut naturellement jointe à la condamnation de l’exul, tant que l’exilium dut précéder la condamnation. Plus tard, lorsque l’exilium fut aussi permis aux condamnés, l’interdiction parait avoir, dû être éventuellement jointe, pour le cas d’exilium, à la condamnation (Cicéron, De domo, 30, 78). Il ne faut pas comprendre autrement les procès devant le peuple intentés contre P. Popillius en 631 et Q. Metellus en 654 (Cicéron, De domo, 31, 82 ; Appien, B. c. 1, 31 ; la procédure fut ouverte contre eux en vertu de la loi en question et, lorsqu’ils se soumirent à l’exil, avant ou après la condamnation, la procédure ordinaire en pareil cas fut observée. — Sur l’expulsion de l’exul par édit consulaire, cf., au tome III, la partie du Consulat, in fine.

[154] Cicéron, De domo, 30, 78. Pro Cæc. 30, 98. Témoignages à ce sujet dans Tite-Live, 10 ; Denys, 7, 13. C’est à cela aussi qu’appartient le projet de loi démocratique de 629 (Val. Max. 9, 5, 1) de provocatione ad populum eorum qui civitatem mutare noluissent (voluissent est une mauvaise correction) ; il y avait là assurément une limitation sensible des pouvoirs du Sénat.

[155] A Ardée, les magistrats qui procèdent à la déduction font eux-mêmes partie de ces volontaires, (Tite-Live, 4, 11, 7).

[156] Cicéron, Pro Balbo, 12, 29 ; De orat., 1, 40, 182. Voir, pour une discussion plus approfondie de cette situation compliquée, la partie des Alliés.