LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LA FIN ET LE RÉTABLISSEMENT DU PRINCIPAT.

Comme toute autre magistrature le principat finit, ou par l’arrivée du terme extinctif, qui, en présence du caractère viager de son autorité, se place à la mort du prince, ou par voie de retraite volontaire[1], ou par suite du retrait de la magistrature. Conformément à la règle qui domine tout le droit public et privé de Rome et selon laquelle tout rapport de droit se dissout de la même façon dont il a été formé[2], on a conclu du principe développé plus haut, d’après lequel c’est la volonté du peuple seul qui fait l’imperator, cette conséquence qu’elle peut également le défaire. C’est, en première ligne, au sénat qu’il appartient de donner expression à la volonté publique ; il est arrivé plus d’une fois qu’il déclarât le prince régnant dépouillé de l’imperium[3] et s’il ne l’a pas fait plus souvent, ce n’est pas le droit, c’est la force qui lui en a manqué. Mais la volonté du peuple n’a pas ici pour condition d’être exprimée par le sénat ; elle est, au contraire, toujours et partout légitime à condition de se révéler comme la véritable volonté de tous parle droit du plus fort. Le principat romain est, en théorie même et non pas seulement en pratiqué, une autocratie tempérée par la révolution légalement permanente. On ne peut s’attendre à trouver ce fier principe exprimé dans la littérature apprivoisée qui nous a été conservée ; mais il a vécu dans les cœurs et on a fait avec lui de l’histoire, sinon des livres. La volonté du peuple élève le prince quand et comme elle veut et elle le renverse quand et comme elle veut ; l’expression extrême de la souveraineté du peuple en est en même temps le suicide.

Nous avons déjà remarqué que la responsabilité criminelle du prince, nécessairement en suspens pendant la durée du principat, rentre en vigueur avec sa fin. Si le principat finit du vivant du prince, une poursuite criminelle peut être exercée contre lui dans les formes ordinaires ; et, quand le sénat a fait usage de son droit d’abrogation, une procédure de haute trahison a régulièrement été ouverte en même temps[4]. Mais, selon le droit romain, la continuation et même l’ouverture de poursuites criminelles sont aussi possibles contre un mort[5] ; et ce jugement des morts a fréquemment eu lieu pour les princes décédés[6]. On y appréciait si la mémoire du prince devait demeurer en honneur et ses actes rester en vigueur ou si l’on devait prononcer la condamnation de sa mémoire ou tout au moins l’annulation de ses actes[7]. Dans le dernier cas, dont les conséquences relatives aux actes ont déjà été étudiées[8], la peine relative à l’honneur se bornait à ce que le nom du souverain était omis dans la liste des souverains dont le magistrat devait jurer de respecter les actes à son entrée en charge. Au contraire, la condamnation de la mémoire entraînait les conséquences qui, d’après le droit d’alors, atteignaient le coupable de haute trahison même après sa mort : le condamné était privé de sépulture honorable et il était interdit de porter son deuil ; ses statues et les autres monuments honorifiques qui lui avaient été élevés étaient supprimés, son nom était effacé partout où il se trouvait écrit en publie et l’emploi en était, même au point de vue de l’éponymie des listes de magistrats annuels, défendu pour l’avenir[9]. — Quand ni la peine complète ni la peine moindre n’était prononcée, que par conséquent les actes du prince défunt étaient reconnus comme valables et que sa mémoire était honorée, cela s’exprimait constamment dans la forme de la consécration de l’empereur décédé dont nous avons déjà étudié le principe et l’origine[10]. — L’initiative des poursuites criminelles part d’ordinaire du sénat[11], duquel vient aussi celle de la consécration. Cependant le jugement pénal a, par exception, été exécuté par l’empereur suivant, sans sénatus-consulte[12], ce qui peut aisément s’expliquer par la juridiction impériale coordonnée à celle du sénat.

Il est légalement impossible de régler la transmission du principat avant sa vacance, ni l’hérédité ni la désignation n’étant compatibles avec son caractère,

Quoique le droit du premier prince au pouvoir se fonde sur sa qualité de fils et d’héritier du dictateur César, que par conséquent le principat soit en fait issu de l’hérédité et que l’élément dynastique y soit arrivé à un développement et à un rôle très décidés, particulièrement dans sa première période[13], le droit public de l’empire ne commit cependant pas de droit héréditaire au pouvoir[14]. Un pareil droit est inconciliable à la fois avec le caractère de magistrature que possède le principat et avec ce que nous avons dit précédemment sur l’acquisition de l’imperium et de ses corollaires. Quand il est question de transmission du pouvoir par voie d’institution d’héritier[15], ce que cela veut dire, c’est que l’institution principale comme héritier dans le testament de l’empereur défunt, avait pour condition pratique préalable la succession simultanée au principat, par suite du caractère spécial de la fortune de l’empereur, privée en théorie et inséparable en fait de la possession du pouvoir[16], et qu’en ce sens le prince défunt en faisant la première faisait en même temps une proposition pour la seconde, ce qui eut ensuite pour conséquence naturelle que lorsque la succession au trône se heurtait à une opposition, la fortune du prince n’allait pas non plus à l’héritier institué.

Le principat ne connaît pas davantage la désignation du successeur[17] faite pendant que le prédécesseur est encore en fonctions, qui est propre à la magistrature supérieure ordinaire de la République. L’imperium et le nom d’Auguste excluent toute espèce de terme, la volonté du peuple ne pouvant s’exprimer ici qu’avec un effet immédiat ; personne ne peut donc, tant que le principat reste ce que veut dire son nom, le gouvernement d’un seul, y être appelé autrement qu’après. la disparition ou au moyen du renversement de celui qui gouverne. En outre, la puissance tribunicienne est, ainsi que nous avons expliqué, organisée selon le système suivi pour les magistratures extraordinaires de la République, avec lequel la désignation est inconciliable ; en la forme, les attributions sont déterminées pour chaque prince par une loi spéciale, dont le caractère juridique ne change pas parce que les dispositions s’en transmettent sans changement. Par conséquent, la désignation ne peut s’appliquer au prince que relativement aux magistratures supérieures de la République, accidentellement et temporairement liées au principat, c’est-à-dire au consulat et à la censure.

Naturellement, le prince n’est pas empêché de faire une proposition relative à sa succession, et, si cette proposition elle-même est, en la forme, dénuée de force obligatoire, elle a pourtant, en fait, eu souvent une .portée décisive. En présence du développement pratique du principe dynastique, que nous avons déjà exposé, la succession parait naturellement devoir aller, quand l’empereur à un fils ou un petit-fils unique, à celui-ci, au, quand il a plusieurs descendants agnatiques au même degré, à l’un d’eux. C’est par adoption ; la raison pour laquelle, depuis le commencement du principat, la proposition de successeur, si elle vise d’autres personnages que des descendants agnatiques du sang de l’empereur, se présente toujours sous la forme d’une adoption[18], qui est faite à l’origine dans les formes habituelles du droit privé[19], qui, plus tard, la toute puissance impériale se mettant au-dessus des règles de forme du droit privé, est accomplie en dehors des formalités légales prescrites pour l’adoption ordinaire[20] par une simple déclaration de volonté[21]. On est parvenu de la sorte à entourer d’une apparence de succession dynastique le principat qui exclut théoriquement l’hérédité et même à établir par de pareilles fictions de longues séries d’ancêtres : ainsi Commode se cite comme le cinquième souverain de sa lignée[22] et Caracalla même comme le septième[23].

Quand il existe plusieurs descendants agnats au même degré, qu’ils soient adoptifs ou naturels, le principat ancien n’a pas de moyen satisfaisant pour établir entre eux une préférence. La marche du développement politique a bien fait entrer dans le principat l’hérédité, mais non le droit d’aînesse. Pour fixer en pareil cas la succession, dans la mesure où le prince le peut, il faut une déclaration expresse de lui[24] ou la présentation indirecte par voie d’institution principale d’héritier dont nous avons déjà parlé : formes qui, d’ailleurs, pouvaient s’appliquer à d’autres personnes qu’aux descendants. Plus tard, on a trouvé pour la désignation du successeur une forme arrêtée dans l’attribution du cognomen de la gens Julia qui avait appartenu au premier prince.

Le cognomen de Cæsar a, ainsi que nous l’avons dit, appartenu, de droit, à l’origine, comme au fondateur du principat, à tous ses descendants agnatiques du sexe masculin. Même après l’extinction de sa famille, il a été pris, comme nous l’avons aussi expliqué, par les fondateurs des dynasties postérieures et il est resté, sous les Claudiens, les Flaviens et les premiers descendants de Nerva, ce qu’il avait été dans la première période du principat, le signe distinctif de la famille régnante. Mais, lorsque Hadrien adopta d’abord L. Ælius, puis, après sa mort rapide, le futur empereur Antonin le Pieux, il restreignit dans les deux cas la concession du nom de César à son fils adoptif, en la refusant aux petits-enfants, d’abord au fils par le sang de L. Ælius, le futur empereur Verus[25], puis aux deux enfants adoptés, sur l’ordre d’Hadrien, par Antonin le Pieux avant sa propre adoption, le futur empereur Marc-Aurèle et le même Verus[26]. Il fut ainsi établi que le cognomen de César n’appartient qu’à celui des descendants du gouvernant actuel qui est le plus rapproché de lui et qui doit lui succéder sur le trône. Conformément à cela, Antonin le Pieux, bientôt après être arrivé lui-même au pouvoir, ne donna le nom de César qu’à l’aîné de ses deux fils adoptifs[27], en excluant tant son autre fils adoptif qu’un enfant de son sang[28]. Depuis, il est de règle que la dénomination de Cæsar n’est pas acquise par la naissance ou l’adoption[29] et que l’attribution de ce nom ouvre officiellement une espérance de succession au trône. Les deux fils les plus âgés de Marc-Aurèle, Commode, né le 13 août 464, et Aunius Verus, né en 163, furent ainsi tous deux appelés Cæsares le 12 octobre 166[30] et, depuis, le nom a été d’ordinaire employé de cette façon. Le nom garde en général, même dans cette fonction, sa relation familiale primitive, le successeur étant d’ordinaire aussi le descendant du souverain actuel ; cependant il est arrivé pour Gordien III qu’il fut proclamé César sans entrer dans un rapport de filiation avec les Augusti d’alors[31]. — C’est de l’empereur que dépend directement la concession du nom de César, quoique le sénat puisse l’inviter à la faire et qu’il lui soit fait notification de la concession[32]. — Au IIIe siècle le César est constamment qualifié du titre de nobilissimus[33], à raison de l’origine noble qu’a nécessairement le fils de l’empereur plus encore que l’empereur.

La création d’Hadrien marqua un pas essentiel dans la trans- formation légale du principat en monarchie, parce qu’aucun pouvoir de magistrat n’était attaché au nom de Cæsar, et que le César était seulement un successeur, et non pas un co-gouvernant. Le nom de César pouvait donc être donné à des enfants impubères, et il a été appliqué de cette façon dès le temps de Marc-Aurèle. Il ne faudrait pourtant pas croire que l’élévation au rang d’Auguste, en cas de vacance du trône, résultât avec une nécessité légale de la concession du nom de César, ou, ce qui revient au même, que le prince ait de cette façon désigné son successeur. C’est si peu le cas que le principat devenant vacant, les pouvoirs qu’il implique devaient être attribués au César lui-même par les voies ordinaires, au moyen d’une loi ou d’un sénatus-consulte[34]. Il n’y avait donc, dans l’attribution de ce nom, qu’une proposition faite par le prince actuel pour la prochaine nomination à son poste, proposition qui était formelle, mais qui n’était pas légalement obligatoire pour ceux auxquels appartenait la nomination du prince.

Tant qu’il n’y a pas eu de formes légales directes pour la proposition du successeur, cette proposition ne peut avoir entraîné aucun honneur spécial pour celui qui en était l’objet. La salutation du titre de princeps juventutis implique bien en général, pour le porteur de ce titre, la perspective du futur principat du peuple ; mais elle n’est pas un privilège réservé au successeur proposé ; ce titre n’a pas de caractère exclusif, et il est ordinairement attribué à tous les princes arrivés à l’âge d’hommes. — Quand, au contraire, le titre de César s’est introduit, on a pu y attacher immédiatement des honneurs déterminés, le droit de faire porter devant soi des torches et peut-être même le droit de se vêtir de pourpre, d’une manière gardant une différence quelconque avec la pourpre impériale proprement dite[35]. L’espèce d’entrée en fonctions résultant de l’occupation du consulat, a aussi été étendue aux Césars ; en ce sens qu’ils revêtent le consulat ordinaire le 1er janvier, qui suit leur nomination de César[36] pourvu que leur âge le permette ; car, tandis que cette dernière distinction n’est subordonnée légalement à aucune condition d’âge et est même tout à fait habituellement accordée à des impubères, les lois sur l’âge restent toujours en vigueur pour le consulat, et les dispenses qui en sont accordées doivent correctement, tout au moins, respecter l’exigence de la puberté[37]. La cooptation, dans les grands collèges de prêtres, accompagné aussi la concession du nom de César[38] depuis que l’indication du successeur a lieu dans cette forme : l’obstacle résultant de l’âge ressortait moins ici, puisque le sacerdoce n’était pas subordonné, comme la magistrature, à l’arrivée à un âge précis. Celui de tous les privilèges qui ressort le plus nettement, est le droit d’effigie : nous avons déjà montré que, depuis qu’il y a eu des Césars au sens récent, ils ont régulièrement mis leur effigie sur des monnaies. Cependant, notre tradition ne nous permet pas de délimiter nettement les honneurs distincts des membres de la famille impériale, des successeurs déclarés et des corégents, d’autant qu’il a dit y avoir en cette matière, à côté des règles générales, de nombreuses dispositions individuelles.

Si donc la République et la royauté ont pour fondement la continuité légale de la magistrature supérieure, et si, dans toutes deux, au moment de la disparition du magistrat le plus élevé, ses successeurs légitimes surgissent immédiatement, c’est juste le contraire pour le principat : au cas de survenance d’une vacance, il y a régulièrement un intervalle petit ou grand entre la disparition de l’imperium et sa nouvelle attribution[39] et il n’y a pas d’institution qui comble le vide entre deux principats[40], comme fait l’interrègne de la royauté et de la république. En droit formel, le principat est, comme toutes les magistratures extraordinaires, constitutionnellement admissible sans être constitutionnellement nécessaire ; comme après la retraite de Sulla et après le meurtre de César, le principat meurt aussi, dans la constitution d’Auguste, avec le prince[41] et l’ancien régime consulaire rentre alors en vigueur[42], quoique dans chaque cas particulier la nécessité des choses ait toujours de nouveau rappelé d’entre les morts le gouvernement impérial.

Il est clair que, comparé avec cette institution qui élevait l’anomalie à la hauteur d’une règle et qui provoquait littéralement à l’attribution de la plus haute magistrature par la violence et l’injustice, tout système fixant la transmission du pouvoir, même le plus mauvais, eut été une bénédiction ; les conséquences pratiques elles-mêmes n’ont montré que trop clairement que le pire de tous lés systèmes politiques est l’oscillation entre deux principes opposés et que la République d’Auguste avec son sommet monarchique, pour être un monument d’art juridique, n’en réunit pas moins pratiquement les vices des deux formes de gouvernement. Ce n’est pas au droit public d’expliquer comment il s’est fait que l’État romain, quoique ayant d’abord eu la royauté à vie pour magistrature supérieure ordinaire, n’ait pas pu, quand il revint à la monarchie, donner à cette forme de gouvernement une constitution juridique, et que le défaut, non pas seulement d’hérédité, mais de succession fixe quelconque, soit resté inhérent à la nouvelle monarchie jusqu’à l’époque byzantine[43]. Nous devons seulement remarquer ici qu’il n’y aurait eu aucune difficulté juridique à organiser le principat d’après les règles de la magistrature ordinaire et à en assurer ainsi la transmission[44]. L’obstacle n’était pas un empêchement de forme, mais le manque de foi des créateurs du principat en eux-mêmes et en l’institution qu’ils créaient. La défiance pénible, dont est pénétrée la constitution d’Auguste et qui a trouvé son expression extrême, aussi effroyable que grandiose, chez celui qui lui succéda et qui mit la dernière main au système, n’a jamais disparu du principat tant qu’il y eut des Romains ou seulement des gens de Rome. Cette défiance du prince était dirigée contre tout et contre tous, mais surtout contre les représentants et contre les successeurs, et contre ces derniers elle ne trouvait de sûreté que dans l’exclusion du système de succession lui-même. Le principat a volontairement abandonné la succession réglée d’avance, parce que le prince ne s’estimait pas assez en sécurité pour désigner lui-même ou faire désigner autrement son successeur de son vivant.

La question de savoir qui succéderait au prince ne pouvait donc, en droit, être décidée qu’après sa disparition ; pourtant la décision pouvait déjà en être introduite et préparée de son vivant. C’est essentiellement de là qu’est sorti le système de l’association au pouvoir de la corégence. Plus tard, on est allé encore plus loin et l’on a, sous la forme du gouvernement en commun, introduit jusqu’à un certain point une succession du survivant ; ce qui, à la vérité, était l’abandon du principat. Nous allons finir par l’étude de ces deux institutions.

 

 

 



[1] Tibère en montra la perspective ; Vitellius et Julianus (Hérodien, 2, 12) essayèrent d’échapper à la mort par cette voie ; Néron eut aussi cette pensée (Suétone, 47). Dioclétien et Maximien ont, comme on sait, plus tard abdiqué réellement.

[2] Digeste, 50, 17, 100.

[3] Le sénat reconnut Galba, dès avant que Néron fut mort (Plutarque, Galba, 7) ; pareillement Sévère, du vivant de Julianus (Hérodien, 2, 12), et les deux Gordiens du vivant de Maximin et Maxime (Vita Maximini, 14. 15). Si, d’après Eutrope, 10, 11, Vetranio est forcé à abdiquer nono inusitatoque more consensu militum, ce qu’il a sans doute dans l’esprit, c’est que cette initiative revenait au sénat.

[4] Ainsi, contre Néron (Suétone, Nero, 49), contre Julianus (Dion, 73, 17 ; Hérod. 2, 12), contre Maximin et son fils (Vita, 15). [Le sénat prononça aussi la mise hors la loi contre Avidius Cassius (Vita Marci, 24, Cassii, 17) ; contre Sévère (Vita Juliani, 5) ; contre Clodius Albinus (Vita Albini, 8) ; contre Elagabal (Dion, 78, 37). Cf. tome VII.]

[5] La coutume selon laquelle le perduellis, comme, par exemple, le transfuge, est infâme, remonte à la plus haute antiquité (Digeste, 3, 2, 11, 3. 11, 7, 35) et on n’a certainement pas fait de distinction selon que des poursuites criminelles avaient été intentées de son vivant ou qu’il était mort auparavant. On ne peut établir, mais il est dans la logique que, même au second cas, il ait pu y avoir de tout temps un procès véritable aboutissant à la damnatio memoriæ. Certainement, en ce cas, la notoriété a souvent tenu lieu de jugement, mais cependant il pouvait arriver que les faits fussent douteux ; peut-être contestés par les descendants du prétendu déserteur, et on ne voit pas pourquoi un procès criminel n’aurait pas pu avoir lieu en pareil cas. On peut même agir en confiscation des biens contre le perduellis après sa mort (Cod. Just. 9, 8, 6).

[6] Les faits sur lesquels on se fondait pour demander la damnatio memoriæ étant en général notoires pour les empereurs décédés et le sénat ayant lorsqu’il juge toute liberté de forme et de fond, il n’y a pas le moindre obstacle à considérer l’acte comme un jugement.

[7] Nous avons déjà montré, que la rescision des acta était aussi une peine criminelle, que l’on prononçait contre des magistrats iniques.

[8] Dion, 78, 17, indique de la manière la plus énergique cette façon de procéder intermédiaire, c’est-à-dire il n’y eut ni consécration ni condamnation.

[9] Il parait inutile de suivre à titre spécial les conséquences entraînées sous l’Empire par l’infamie (Dion, 60, 4) prononcée contre le perduellis ou l’hostis publicus.

[10] Appien, B. c. 21, 148.

[11] Vita Commodi, 20. Des sénatus-consultes semblables furent rendus après la chute de Domitien (Suétone, Dom. 23 ; Procope, Hist. arc. 8) et d’Élagabale (Vita, 11). C’est là le droit de judicare de principibus des sénateurs (Vita Taciti, 4).

[12] Lorsque le sénat prononça l’infamie contre Caligula, l’empereur Claude intercéda contre ce sénatus-consulte, mais il en mit lui-même les conséquences a exécution (Dion, 60, 4), tandis que le sénat faisait également fondre les monnaies de cuivre frappées par lui à l’effigie de Caligula.

[13] Tacite, Hist. 1, 16.

[14] Florianus est blâmé de s’être, après la mort de son frère, emparé du pouvoir, quasi hereditarium esset imperiam (Vita Flor. 1, Prob. 10. 1 ; cf. Taciti, 6).

[15] Tibère avait dans son testament institué ses deux petits-fils Gaius et Tiberius comme héritiers de ses biens pour parts égales. Lorsqu’ensuite le sénat appela le premier seul au pouvoir, cela fut considéré comme une dérogation à la façon dont l’ancien empereur avait réglé la succession. Suétone, Gaius, 14. Cf. Tibère, 16. Les Grecs (Philon, Leg. ad Gai. 4 ; Dion, 50, 1) comprennent cela positivement comme si Tibère avait par disposition de dernière volonté désigné ses petits-fils comme ses successeurs dans son testament ; tandis que, suivant une autre version représentée par Josèphe, Ant. 18, 6, 9, Tibère aurait, au contraire, désigné oralement Gaius comme son héritier. Les deux versions sont absolument fausses et en contradiction avec l’assertion expresse de Tacite selon laquelle (Ann. 6, 46) il ne s’exprima pas sur sa succession. — Quand l’empereur Gaius institue sa sœur Drusilla héritière de ses biens et de son pouvoir (Suétone, Gaius, 24), cela ne peut vouloir dire qu’une chose, c’est qu’il lui laissa sa fortune et indiqua la succession au principat comme la conséquence forcée de ce legs. — Le testament de Claude dans lequel Britannicus était vraisemblablement (Suétone, Claude, 44) tout du moins mis sur le même pied que Néron fut supprimé : (Haud recitatum) ne antepositus filio privignus (c’est-à-dire pas par le père dans le testament, mais par le sénat dans la succession) injuria et invidia animos vulgi turbaret (Tacite, Ann. 12, 69 ; cf. Dion, 61, 1). Donc, selon l’opinion publique, l’institution de Britannicus comme héritier ou cohéritier des biens aurait aussi entraîné la succession au pouvoir, ainsi que le dit aussi Dion. — Ce que Suétone, Dom. 2, dit de Domitien, peut égaiement vouloir dire qu’on discutait si Vespasien avait dans son testament institué héritiers ses deux fils ou seulement l’aîné. — Il est inexact qu’Alexandre Sévère ait porté, en qualité de César, le titre d’imperii [heres] ; il s’appelait plutôt imperii consors.

[16] En ce sens on peut dire avec Hirschfeld, p. 8, que l’institution est en même temps une désignation du successeur du prince ; seulement cela ne doit pas être pris dans un sens trop absolu. Quand Auguste instituait Tibère pour héritier de deux tiers et Livie pour héritière d’un tiers de sa fortune, il n’y avait là aucun partage de l’empire.

[17] Quand les Pisans appellent le fils aîné d’Auguste Gaius jam designatum justissimum ac simillumum parentis sui virtutibus principem, ils font allusion au titre de princeps juventutis, qui impliquait en général, en effet, la perspective de la succession au trône. Les vers qui circulaient après l’élévation au trône de Gaius et qui sont conservés chez Suétone, Gaius, 8, portent également : In castris natus, patriis nutritus in armis jam designati principis omen erat.

[18] Tacite, Hist. 1, 14 et ss., en fait une description animée pour Galba. Il appelle le choix de l’adopté par le prince sans enfant du nom de nomination du prince (comitia imperii) et la proposition d’adoption de celui d’offre du pouvoir (principatum offerre). Il considère comme un reste de République (loco libertatis) que le principat, dans le cours des temps, en soit venu à se transmettre non pas d’après la parenté du sang (sub Tiberia et Gaio et Claudio unius familiæ quasi hereditas fuimus), mais d’après la parenté née du choix : Finita Juliorum Claudiorumque domo optimum quemque adoptio inveniet, avec une allusion transparente à Trajan.

[19] Auguste (Suétone, Auguste, 64. 65) et Claude (Tacite, Ann. 12, 26) adoptèrent encore leurs fils adoptifs dans les formes ordinaires du droit privé. L’adoption, testamentaire de Livie n’est également, avons-nous montré ailleurs, autre chose que l’application de formes juridiques existantes. — [La lettre de Plotine, veuve de Trajan, à Hadrien, Zeitschrift der Savigny-Sitftung, 12, p. 153, montre que cette adoption pouvait s’étendre à la mère.]

[20] C’est pourquoi on ne tient pas compte des conditions d’âge de l’adoption ordinaire : Gaius, âgé de vingt-cinq ans, a adopté son cousin âgé de dix-sept, ni de l’absence de l’adopté, comme dans les adoptions de Trajan et d’Hadrien.

[21] Galba n’abrogea pas Piso lege curiata apud pontifices, ut moris est (Tacite, Hist. 1, 15), mais par une déclaration publique solennelle (nuncupatio pro contione : Tacite, Hist. 1, 17. Suétone, Galba, 17), de même Nerva pour Trajan (Dion, 68, 3), et il en a par la suite probablement toujours été ainsi. C’est pourquoi la rescision des actes d’Hadrien aurait mis en question l’adoption de son successeur.

[22] C’est pourquoi l’on célèbre sa nobilitas (C. I. L. V, 4867 ; Eckhel, 7, 116).

[23] Pour faire remonter l’arbre généalogique de ce dernier à Nerva, il faut, à la vérité, admettre l’adoption fictive de Sévère par Marc-Aurèle. En outre, quoique d’après l’ancien système la ligne des ascendants ne puisse être fondée que sur l’agnation, on ne dédaigne pas, le cas échéant, dans les arbres généalogiques impériaux, l’ascendance maternelle ; Néron se nomme en ce sens l’arrière petit-fils d’Auguste (cf. Hermes, 3, 135 = tr. fr. 199) et Gordien III parfois le petit-fils de Gordien Ier.

[24] Quand, par exemple, Tibère après la mort de ses fils recommande au sénat ses deux petits-fils les plus âgés ou quand Claude déclare au sénat, pendant une maladie, que son fils Néron est, s’il doit mourir, propre à exercer le pouvoir en passant Britannicus sons silence (Zonaras, 11, 11), ces actes constituent une présentation plus ou moins directe de successeurs. Cf. Suétone, Vespasien, 25.

[25] Tous les monuments officiels s’abstiennent de lui donner le nom de César avant son arrivée au trône ; c’est seulement sur ses briques de l’an 148 qu’il est appelé incorrectement L. Æl(ius) Cæs(ar) Com(modi ?) f(ilius) (Mur. 497, 9) ou L. Æl(ius) Cæs(ar) (Marini, Arv. p. 318). Au reste, il doit avoir été émancipé avant l’adoption de son père, puisqu’il s’appelle, sur une brique gravée avant son adoption par Antonin le Pieux (Fabretti, 508, 132) L. Ceio(nius) Com(modus) C(æsaris) f(ilius). Sa sœur s’appelle aussi Ceionia Plautia (Eph. ep. V ; n. 298. 532), elle n’est donc pas entrée dans la famille impériale.

[26] Les biographes impériaux sentent bien la différence de l’ancienne et de la nouvelle portée du nom de César, mais ils la définissent faussement et placent la ligne de démarcation parfois exactement à l’adoption de L. Ælius par Hadrien, parfois faussement à celle d’Hadrien par Trajan. Victor fait la seconde chose, Cæsaribus, 13, 11. Il parait avoir confondu l’adoption dont Hadrien fut le sujet passif avec celle accomplie par lui. Au contraire, la relation du biographe de Lucius, c. 2 (cf. c. 1 et Vita Veri, 1) est exacte pour les points essentiels : Quem sibi Hadrianus... adoptavit. Nihil habet in sua vita memorabile nisi quod primas tantum Cæsar est appellatus non testamento, ut antea solebat (il est sans doute fait allusion là à l’adoption d’Auguste) neque eo modo, quo Trajanus est adoptatus, sed eo prope genere, quo nostris temporibus a vestra clementia (il s’agit de Dioclétien et Maximien) Maximianus et Constantius Cæsares dicti sunt quasi quidam principum filii veri (faut-il lire) et designati Augustæ majestatis heredes, ce dont on doit encore rapprocher la notice voisine de la Vita Albini, 2 ; mais le point essentiel, à savoir qu’Hadrien attribue le titre de César au moment de l’adoption au fils et non au petit-fils, est encore négligé et l’écrivain ne peut guère s’être fait une notion claire des choses.

[27] Vita Marci, 6 : Consulem secum Pius Marcum designavit (pour l’an 140) et Cæsaris appellatione donavit. Le nom de César apparaît sur les monnaies depuis l’an 139, avec lequel commencent les monnaies de Marc-Aurèle. Au reste, Antonin l’a probablement fait en vertu d’une ordonnance d’Hadrien assurant la succession du trône à Marc-Aurèle. Dion, 69, 21.

[28] L’un des deux fils par le sang d’Antonin le Pieux, M. Galerius Aurelius Antoninus (C. I. L. VI, 989) a, d’après le témoignage des monnaies (Eckhel. 7, 42), survécu à sa mère et est donc mort seulement après l’an 141.

[29] Les fils aînés de Marc-Aurèle nés et morts du vivant d’Antonin le Pieux (C. I. L. VI, 993. 994) ne s’appellent pas Cæsar.

[30] Vita Marci, c. 12 : Petiit præterea Lucius, ut filii Marci Cæsares appellarentur. Vita Commodi, c. 1 : Appellatus est Cæsar puer cum frater, Vero (cf. Vita Marci, 21). c 21 : Nominatus inter Cæsares IV id. Oct. Pudente et Pollione cos. Eckhel, 7, 83 ; Cohen, Med. imp. 2, p. 608 = 3, p. 169.

[31] Pour Clodius Albinus, il y a sans doute eu en même temps adoption par Sévère, puisqu’il porte le nom de Septimius (Eckhel, 7, 465).

[32] Lorsque le fils de Pertinax fut appelé César par le sénat, le père refusa ce nom pour son fils, jusqu’à ce qu’il ne l’eut mérité (Vita, 6 ; Dion, 73, 7) ; la décision appartenait donc à l’empereur. C’est l’empereur qui donne le nom de César à Marc-Aurèle (Vita, 6) et à Albinus (Hérodien, 2, 15). La création de Gordien III comme César par le sénat (Vita Maximi et Balbini, 3) n’est pas une objection, surtout en face de la situation des Augusti d’alors. Il est dit d’Elagabalus (Vita, 13) : Mandavit ad senatum, ut Cæsaris nomen ei (Alexandro) abrogaretur, mais immédiatement après : Misit et ad milites litteras, quibus jussit, ut abrogaretur nomen Cæsaris Alexandro.

[33] Le titre nobilissimus Cæsar apparaît sur les inscriptions pour la première fois et aussitôt avec une précision technique pour Geta ; sur les monnaies de l’empire, il apparaît pour la première fois pour Philippe le fils (Eckhel, 7, 333).

[34] Puisque c’est nécessaire même pour le successeur qui possède déjà la puissance proconsulaire et tribunicienne, il ne peut y avoir de doute pour le simple possesseur du nom de César.

[35] Dans la lettre de Commode à Clodius Albinus (Vita, c. 2), qui rentre certainement parmi les falsifications de Cordus, Albinus est invité à se déclarer César sous certaines conditions : Ut tibi insigne aliquod imperatorim majestatis adjiciam, habebis utendi coccini pallii facultatem me præsentem et ad me (on attendrait facultatem et præsente et absente me) et cura mecum fueris, habiturus et purpuram, sed sine auro, quia ita et proavue (!) meus Verus, qui puer vita functus est, ab Hadriano qui eum adoptavit accepit. Cette allégation se lie évidemment à l’idée que le système récent des Césars a été introduit à l’adoption de L. Ælius. D’après elle, le César se serait donc distingué de l’Auguste en ce qu’il ne porterait pas la pourpre marine, mais seulement celle de kermès (coccum) ni en aucun cas le costume triomphal brodé d’or proprement dit ; celui qui connaît le caractère de cette source ne fondera pas là-dessus de grandes constructions. Je ne trouve pas d’autres indications semblables. Il n’y a rien à tirer de Dion, 74, 35, au sujet de la réception des visiteurs par le César Marc-Aurèle ; ni de ce qu’il portait la pænula, lorsqu’il paraissait sent en public. — Il est établi pour le IVe siècle que le César y portait la pourpre, tandis que le diadème n’appartenait qu’à l’Auguste.

[36] Par exemple, pour L. Ælius.

[37] Ainsi Commode, César depuis 166, devient consul le 4 janvier 177, à quinze ans.

[38] Commode fait César le 12 octobre 166 adsumptus est in omnia collegia sacerdotalia sacerdos XIII Kal. Invictas Pisone et Juliano cos. (19 septembre 175). Cf. c. 1 : Quarto decimo ætatis anno sacerdotiis adscitus est. Eckhel, 7, 103. — On procéda de même pour Marc-Aurèle (Eckhel, 7, 46) et pour Caracalla. — Les monnaies aux armes des collèges de prêtres qui existent pour de nombreux Césars (Borghesi, Opp. 3, 428. 431 et ss.) se rapportent sans doute toutes à cette cooptation.

[39] Ainsi, le jour d’entrée des empereurs Gaius, Vitellius et Hadrien, n’est pas celui de la mort de leurs prédécesseurs ; et après la mort d’Aurélien, le pouvoir resta vacant pendant six mois (Vita Taciti, 2).

[40] La force rétroactive accordée aux actes du prince, aurait pu être utilisée pour combler cette lacune, au moins en la forme ; mais on ne l’a pas fait.

[41] C’est dans ce sens que Tacite, Hist. 1, 10, met dans la bouche de Galba les mots suivants : Si ce corps immense de l'État pouvait se soutenir et garder son équilibre sans un modérateur suprême, j'étais digne de recommencer la république. Mais tel est depuis longtemps le cours de la destinée, que ni ma vieillesse ne peut offrir au peuple romain de plus beau présent qu'un bon successeur. Je méritais, dit le vieillard, d’être le dernier souverain et de vous laisser la liberté à ma mort prochaine ; mais la nécessité exige un nouveau souverain.

[42] Il faut relever, comme caractéristiques à ce point de vue, les incidents qui suivent la mort de Caligula où les consuls donnent le mot d’ordre à la garnison de la capitale (Josèphe, Ant. 19, 2, 3) et la forme d’abdication de Vitellius qui remet son épée au consul. Lorsque après la mort de Pertinax le sénat refuse son obéissance à Julien, voir la manière dont il se réunit dans Hérodien, 2, 12, 7. Hirschfeld, p. 104, rapporte avec raison à cela la délivrance des lettres de postes par les consuls sans souci des præf. prætorio pendant la période intérimaire entre la mort de Néron et la venue de Galba.

[43] La constitution de Dioclétien et de Constantin elle-même n’est pas, sous ce rapport, différente en principe de l’ancienne. Cependant, on doit remarquer la désignation officielle récente des prédécesseurs de l’empereur régnant du nom de parentes nostri sans limitation aux princes qu’il peut légitimement désigner comme ses ancêtres ; selon laquelle, par exemple, Constantin (Cod. Just. 11, 59, 1) parle de divus Aurelianus parens noster. Elle commence, autant que je sache, et ainsi que me le confirme P. Krueger, sous Dioclétien (Fr. Vat., 270 ; Cod. Just. 2, 13, 1. tit. 36, 3. 5, 17, 5. 6, 49, 4. 9, 2, 11). Justinien (Nov. 47, præf.) fait même remonter sa race à Énée.

[44] Il aurait pu y avoir pour le principat unique une désignation pour le temps de la mort du prince actuel, de même qu’on en trouve en matière de corégence pour Titus et même en matière de gouvernement commun pour Caracalla.