LA MONNAIE D’EMPIRE. Lors de l’établissement de la constitution d’Auguste, en 727, des droits pleinement égaux ont été donnés aux deux pouvoirs supérieurs, au prince et au sénat, en matière monétaire[1] comme dans toutes les matières non militaires : le prince était, comme l’avaient été tous les généraux sous la République, libre de frapper des monnaies d’or et d’argent avec les ressources de sa propre caisse, et le sénat pouvait aussi émettre des monnaies des deux métaux nobles pour le compte de l’Ærarium. La frappe du cuivre fut alors suspendue peut-être en droit, et certainement en fait. Lorsqu’elle recommença vers l’an 739, le sénat se chargea de la frappe des espèces de cuivre et le prince de celles des espèces d’or et d’argent, et le premier s’abstint désormais d’émettre des monnaies des deux métaux supérieurs, comme le second d’émettre des monnaies de cuivre[2]. Comme toute la politique d’Auguste, cet arrangement aboutit à réduire le sénat à un rôle secondaire ; mais pourtant il ne faut pas omettre de remarquer, que, d’une part, c’était seulement pour le cuivre que le droit de battre monnaie entraînait un profit appréciable, et que, d’autre part, le droit d’émettre des monnaies de cuivre entraînait la possibilité d’émettre de la monnaie fiduciaire en quantité illimitée, la monnaie de cuivre ayant une valeur nominale supérieure à sa valeur réelle et devant être acceptée même pour les gros paiements ; en sorte que sinon le transfert du droit au sénat, au moins la renonciation du prince à son usage impliquait une restriction très sérieuse des pouvoirs du prince[3]. En fait, c’est par suite de cette sage mesure d’Auguste que le droit d’émettre de la monnaie fiduciaire a constamment été exercé sous le principat, et que, cependant, les conséquences fâcheuses qui s’y lient d’ordinaire ne se sont jamais produites dans l’empire romain, tant que le système a subsisté : D’un autre côté, à vrai dire, le système, en admettant deux métaux supérieurs avec un rapport légal fixe, mettait le principat sur la voie de transformer par voie de réduction la monnaie d’argent de monnaie sincère en monnaie fiduciaire ; et, depuis que Néron eut fait le premier pas dans cette voie néfaste, l’altération des monnaies d’argent a suivi une progression constante pour finir, dans le cours du IIIe siècle, par une dépréciation totale. L’instrument qu’Auguste avait volontairement abandonné sous la forme du cuivre fut alors fourni par l’argent ; la différence de cours de monnaies légalement équivalentes et la chute croissante de la valeur de la monnaie, qui en est la suite, fondirent alors sur l’État avec tous les désastres qu’entraîne inévitablement lune monnaie nominale émise par un État sans crédit. C’est une des œuvres les plus grandioses du gouvernement de Dioclétien et de Constantin d’avoir rétabli une -valeur monétaire fixe et commune à tout l’empire ; mais, par une opposition directe à celui d’Auguste, il conserva le droit d’émettre des monnaies de valeur purement nominale et, par suite, la divergence des cours de la monnaie d’or et de la monnaie fiduciaire subsista comme un mal héréditaire dans l’État régénéré. Le droit de battre des monnaies d’or et d’argent étant l’un des droits qui sont personnellement réservés à l’empereur, il ne l’exerce pas par l’intermédiaire des gouverneurs, ni plus largement par celui de représentants de rang sénatorial. C’est une des fonctions de l’administration des finances placée sous les ordres directs de l’empereur. Le chef de cette administration, qui est, au Ier siècle, un affranchi impérial et, depuis le second, un fonctionnaire de rang équestre, a la haute surveillance de la frappe des monnaies[4]. Quant à la direction immédiate, la frappe a aussi été, d’abord dirigée, sinon par des esclaves[5], au moins pareillement par des affranchis de l’empereur[6]. Plus tard, elle a pour chef un procurator monetæ de rang équestre[7]. Le personnel est pris dans la domesticité privée de l’empereur[8]. Dans la première période du principat, nous voyons la frappe essentiellement centralisée à Rome, où la monnaie impériale se trouvait dans la troisième région, non loin de l’amphithéâtre, près de l’église actuelle de Saint-Clément[9]. Les hôtels de monnaie impériaux n’ont pas fait défaut dans les provinces ; mais ils ont frappé peu de pièces au pied de l’empire[10] : ils servaient principalement à la frappe des gouverneurs qui, surtout en Orient ; a longtemps subsisté à côté de celle d’empire. Ce fut seulement lorsque la monnaie d’empire arriva, sous Aurélien, à une prédominance exclusive que Rome cessa, sous ce rapport, d’être le centre de l’administration, et que la frappe faite par les hôtels des monnaies provinciaux reçut la forme[11] arrivée ensuite à un plus large développement sous la constitution de Dioclétien et de Constantin. Le contrôle de la frappe sénatoriale du cuivre, de laquelle nous avons déjà traité, rentre également dans les fonctions du directeur de la monnaie impériale[12]. |
[1] Sur le droit d’avoir son effigie sur les monnaies, entièrement différent de celui de battre monnaie, cf. plus haut, le chapitre La famille impériale, etc.
[2] Cf. sur ce point et sur ce qui suit les détails plus étendus donnés par moi R. M. W. p. 742 et ss. = tr, fr. 3, p. 4 et ss.
[3] On remarquera à ce point de vue l’usurpation temporaire de la frappe du cuivre par Néron (R. M. W. p. 745 = tr. fr. 3, p. 11), qui a certainement la même tendance que sa réduction du pied de l’argent.
[4] La frappe de la monnaie n’est pas omise par Stace dans son énumération des pouvoirs de ces trésoriers. Cf. Hirschfeld, Untersuch. p. 92.
[5] Le renseignement selon lequel César employait là des esclaves (Suétone, 76) porte plutôt à conclure qu’Auguste ne le fit pas.
[6] La supposition de Hirschfeld, p. 94, selon laquelle les maîtres monétaires magistrats auraient surveillé la frappe des monnaies impériales, est en contradiction avec le caractère des finances impériales. Le maintien du titre sans modification ne prouve naturellement rien quant au maintien des attributions.
[7] Orelli, 3570 = C. I. L. VIII, 9990, du temps de Trajan. 2453 = C. I. L. VI, 1607. Henzen, 6642. Hirschfeld, p. 93.
[8] C. I. L. VI, 42. 43. 44. 791, dédications collectives des officinatores monetæ aurariæ argentariæ Cæsaris n(ostri) de l’an 115 ap. J.-C. Les officinatores isolés qui nous sont connus sont réunis R. M. W. p. 747, note 24 = tr. fr. p. 41, note 1, et dans la Zeitschrift de Sallet, 14, 36, ainsi que chez Hirschfeld, p. 95 et ss. Sur le soulèvement des ouvriers monétaires sous Aurélien, voir R. M. W. p. 799 = tr. fr. 3, 96.
[9] Rossi, Bull. di arch. cristiana, 1863, p. 28 ; Jordan, Topographie, 2, 115.
[10] Selon Strabon 4, 3, 2, p. 192, les empereurs romains frappaient en Gaule à Lugudunum des monnaies d’or et d’argent et on y a trouvé l’inscription d’un esclave de Tibère æquator monetæ (Orelli, 3228), comme on a trouvé ailleurs celle d’un mil. coh. XVII Luguduniensis ad monetam (Allmer, Revue épigraphique, I, p. 95). Mais cet hôtel monétaire auxiliaire a sans doute bientôt disparu (R. M. W. p. 685 = tr. fr. 2, p. 271 ; p. 747 = tr. fr. 3, p. 13). La preuve que la frappe n’était pas du tout liée par elle-même à la capitale résulte des nombreuses monnaies des empereurs non reconnus à Rome ; mais la frappe régulière avait encore exclusivement lieu à Rome sous Philippe (P. Brock, dans la Num. Zeitschrift de Sallet, 2, 229).
[11] On peut aujourd’hui considérer comme démontré que l’établissement d’hôtels de monnaie d’empire hors de Rome remonte à Gallien et coïncide avec la dégradation disproportionnée de la qualité et l’augmentation corrélative de la quantité des monnaies d’empire qui se présentent sous lui. La frappe de monnaies d’empire à Antioche sous Decius et Gallus, qui se révèle notamment aux monnaies hellénisantes d’Hostilien de l’an 251 (pas plus tard) indubitablement frappées à Antioche, en a été l’introduction (Eckhel, 7, 353 ; Brock, dans la Num. Zeitschrift de Sallet, 3, 62 et ss.) ; mais c’est seulement sous le règne exclusif de Gallien en 260 et ss. que commencent les émissions générales et systématiques faites dans toutes les parties de l’empire (Brock, loc. cit. ; Markl, dans la Num. Zeitschrift de Vienne, 1884, 375 et ss.). On ne trouve de mention certaine des hôtels de monnaies que sous Aurélien ; les deux inscriptions C. I. L. VI, 1641 : [Proc.] monetæ Triverice et C. I. L. VIII, 822 : [Proc. Sa]cræ monetæ pi... paraissent se placer peu avant Dioclétien. Dioclétien a, comme je montrerai ailleurs, organisé un système de frappe monétaire adapté à la division en diocèses. Cf. Hirschfeld, p. 97.
[12] Car à la tête des officinatores monetæ aurariæ argentariæ Cæsaria se trouve l’exactor auri argenti æris.