LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

JURIDICTION CIVILE.

Relativement à la nomination des jurés, la liste générale des jurés dressée par le prince s’applique aussi aux procès civils ordinaires qui se vident à Rome et il a par conséquent sur le choix des jurés la même influence qu’exerçait le préteur urbain à la fin de la république.

Ce qu’on appelle ordinairement la juridiction volontaire, c’est-à-dire le droit de réaliser des affranchissements[1], des adoptions[2] et des émancipations appartient à l’empereur comme à tous les autres magistrats supérieurs.

La juridiction impériale, tout comme la juridiction des consuls et du sénat, se fonde, avons-nous déjà remarqué, sur la même base en matière civile qu’en matière criminelle. Au sens strict, juridiction civile et juridiction criminelle ne sont que l’application du principe de la souveraineté à des cercles différents. La dénomination technique de cette procédure, le terme cognitio est employé pour la procédure civile comme pour la procédure criminelle, et quant à la forme, elles suivent toutes les deux les mêmes lois ; ainsi, en particulier, les délégations portent en général à la fois sur les deux cercles. Le prince a le droit d’évoquer à lui, de même que tous les procès criminels, tous les procès civils, ou plus largement tous les procès non criminels[3] et de mettre son décret propre à la place de celui que devrait rendre ou qu’a déjà rendu le magistrat compétent[4]. La chose peut être amenée par une demande (supplicatio) adressée par la partie au prince au lieu de l’être au magistrat immédiatement compétent, par laquelle elle sollicite sa décision et à la suite de laquelle le prince la donne, s’il lui plaît, par voie de cognitio propre. Cependant cette procédure, suivie avec méthode, aurait concentré toute la justice dans les mains de l’empereur et ne permettait guère d’assurer aux parties en litige une juste et égale possibilité de faire valoir leurs moyens : elle ne fut, précisément par suite de cela, pratiquée, au moins à la bonne époque de l’Empire, que dans une mesure restreinte[5], principalement lorsqu’il s’agissait de mettre à exécution une faveur extraordinaire excédant les pouvoirs du magistrat compétent[6]. Ce moyen d’intervenir en matière de droit civil, dans le cas où les lois existantes étaient insuffisantes, à titre complémentaire et en quelque sorte législatif, n’a pas été négligé par le principat. Des extensions durables du droit civil ont été obtenues par la combinaison de pareils remèdes impériaux, d’abord accordés extraordinairement, avec l’action symétrique des consuls également provoquée par l’empereur, cela s’est produit par exemple pour l’attribution par Auguste aux fidéicommis d’une force obligatoire que ne leur reconnaissait pas le droit de la République et pour la création par Claude d’une autorité supérieure générale en matière de tutelle. Néanmoins il ne faudrait pas assigner une trop haute importance à la supplication dans la procédure civile de la première période de l’Empire.

Le prince peut également être amené à s’immiscer dans la juridiction civile, par une question du magistrat compétent, auquel le point de, droit paraît douteux[7] ou à qui les circonstances semblent nécessiter une dérogation aux règles du droit[8]. C’est là l’origine de la justice rendue par le prince sur une relatio ou une consultatio du magistrat intéressé, qui est devenue si importante au temps de Dioclétien ; mais à notre époque, en particulier tant que les responsa ne furent pas remplacés par les rescrits impériaux, cette procédure parait s’être maintenue dans des limites très étroites. Son application générale aurait encore pleinement supprimé la justice ordinaire.

L’empereur pouvait ainsi, soit appeler à lui une affaire civile pour la trancher lui-même, soit intervenir dans la marche ordinaire de la justice par un décret organisateur d’instance. Mais il a aussi fait la seconde chose en dehors de là dans certaines formes, spécialement à l’époque récente. Nous avons déjà dit, qu’à cette époque une partie pouvait s’adresser à l’empereur au sujet d’une question de droit qui lui semblait douteuse et obtenir de lui une consultation qui, dans la forme matérielle, était semblable aux réponses des jurisconsultes, mais qui liait absolument le juge. L’empereur pouvait aussi inviter le magistrat compétent à se nommer un représentant et aussi sans doute lui indiquer le nom de ce représentant[9]. — On ne peut pas non plus contester, malgré l’absence de témoignages directs, que le droit d’organiser le jury à la place du magistrat qui dirigeait le procès rentrait dans les pouvoirs du prince. Mais le simple appel à l’intervention du prince au cours d’un procès, en quelque forme qu’il ait lieu, ne suffit jamais pour arrêter la marche ordinaire de la justice[10].

En revanche, on parait avoir toujours considéré comme une violation du droit que le prince s’attribuât par voie de cognition un procès de la compétence de jurés[11]. Le prince a sa liberté d’action en face des pouvoirs des magistrats, mais non pas en face de ceux des jurés. Pourtant c’est précisément par cette voie que l’institution du jury a été progressivement anéantie avec le développement de la monarchie[12]. Probablement beaucoup plus à la suite d’empiétements de l’empereur et des magistrats consolidés par la coutume qu’en vertu d’un changement formel du droit, la décision, extraordinaire à proprement parler, des procès civils par la cognitio exclusive des magistrats et par des décrets de magistrats, a de plus en plus supplanté la justice ordinaire par jurés et a fini par l’écarter complètement[13]. Mais l’anéantissement du jury est le point de départ de la monarchie de Dioclétien et de Constantin. Le principat d’Auguste que nous décrivons, reconnaît, au contraire, la sentence du juré, s’il a d’ailleurs dès le principe tendu à lui faire perdre du terrain et même à l’exclure.

La juridiction civile impériale a pour principale expression l’appel ou, comme on l’appelle encore alors, la provocation[14] formée contre un décret de magistrat. Le droit public de la République connaît l’appel contre un décret de magistrat sous deux formes : ou bien du décret du magistrat inférieur au magistrat supérieur, auquel cas il a un effet exclusivement destructif ou bien du décret du mandataire de magistrat au magistrat mandant, en particulier du légat ou du questeur au gouverneur, auquel cas le dernier, lorsqu’il admet l’appel, n’anéantit pas seulement, mais réforme le jugement de première instance. La dernière forme peut avoir servi de modèle à l’appel adressé au prince, dont l’introduction est rapportée peut-être avec raison à un acte de l’an 724[15], et à l’appel évidemment corrélatif aux consuls et an sénat ; car eux aussi sont, comme on sait, des appels en réformation. Les consuls du moment et le sénat, d’une part, et le prince, de l’autre, étant, dans la constitution établie par Auguste, considérés comme les dépositaires, essentiellement égaux en droit ; de la souveraineté du peuple, tout décret d’un magistrat quelconque donnait lieu à appel devant l’une ou l’autre de ces autorités supérieures et à réformation par elle. Une égalité parfaite aurait exigé que les appels fussent divisés entré les deux autorités d’après les circonscriptions soumises à l’administration de chacune ; et dans les courtes périodes où la dualité idéale de souveraineté de la constitution d’Auguste fut réalisée ou parut l’être, dans les commencements des règnes des empereurs Caligula et Néron, tous les magistrats de Rome et des provinces sénatoriales furent, en qualité de mandataires des consuls et du sénat, mis dans leur dépendance et l’empereur seul fut, comme proconsul de ses provinces, excepté de cette subordination. Mais, comme il est vrai de tous les autres systèmes politiques qui ont pour but l’équilibre absolu des facteurs les plus élevés, celui d’Auguste n’a pu arriver à une réalisation complète. Auguste lui-même, et en dehors des deux enfants aux vues peu claires de tout à l’heure, tous ses successeurs ont, au contraire, maintenu comme règle que l’appel des légats impériaux va exclusivement à l’empereur, d’une part, et, d’autre part, que l’empereur, en vertu de son imperium majus, peint aussi recevoir des appels formés contre les décrets des gouverneurs des provinces sénatoriales et des magistrats de home et d’Italie.

La question de savoir si l’appel peut être formé devant le prince contre une décision de jurés, qu’il s’agisse de récupérateurs, d’un juré unique ou des centumvirs, peut être résolue par l’affirmative en un sens : le décret de magistrat qui institue le jury peut assurément faire l’objet d’un appel et, si cet appel réussit, la sentence rendue par le juré en vertu de te décret tombe elle-même. L’appel réformateur du droit de la République, dont nous venons de parler, s’étend, nous en avons la preuve, à ce cas, et nous n’avons pas de motif de douter que cet appel ait pu, sous le principat, être formé contre tout magistrat devant les deux plus hauts degrés de juridiction, devant le tribunal des consuls et du sénat et devant celui du prince. — Mais il faut nier, en règle générale, que l’appel ait été admissible contre la sentence du juré en elle-même[16]. Nous avons remarqué tout à l’heure que le prince n’a pas pu substituer sa juridiction à la compétence des jurés comme à celle des magistrats. La même idée reste vraie à un degré encore plus fort quand on compare la sentence prononcée par un juré au décret rendu par un magistrat. A la vérité, le droit de cassation qui appartenait déjà, selon le droit de la République, au magistrat qui instituait le juré contre la sentence de ce dernier a encore moins pu être refusé, sous le principat, à la plus haute autorité judiciaire. Le magistrat avait le droit et le devoir d’annuler ou, si l’on préfère, de déclarer nulle une sentence qui apparaissait comme entachée de violence, de dol ou de corruption, et de renvoyer l’affaire, pour être jugée de nouveau, soit aux mêmes jurés, soit à d’autres et le prince[17] et la juridiction consulaire et sénatoriale[18] sont également intervenus de la sorte. Mais ces rescisions ne sont rien antre chose qu’une application du droit de restitutio in integrum inhérent à la juridiction dans la notion romaine ; elles sont expressément représentées comme des remèdes extraordinaires, et quand le prince écarte pour d’autres raisons la sentence d’un juré, on voit là un empiétement[19]. Le prince apparaît donc, même en face de la sentence du juré, comme la plus haute autorité judiciaire, mais, quand il n’abuse pas de son droit, c’est seulement pour intervenir dans la jurisdictio du magistrat et non pour intervenir dans le judicium des jurés. — On voit par là clairement l’importance qu’a eu le recul progressif du jury pour la transformation du princeps en dominus. Tant que la procédure civile ordinaire a subsisté avec ses jurés uniques, ses récupérateurs et ses centumvirs, le domaine de l’appel a été relativement restreint ; mais plus le domaine de la procédure ordinaire par jurés a été rétréci par la cognitio du magistrat, plus s’est élargi le cercle de l’appel impérial, jusqu’à ce qu’après la disparition de la procédure par jurés, tout jugement fût soumis à la réformation de l’empereur.

Le droit du prince de casser et de réformer tout décret de magistrat avait besoin naturellement de limitations essentielles dans l’application pratique. Dès le principe, l’appel n’est probablement pas permis aux non citoyens et il ne l’est aux citoyens que dans des affaires importantes. Il doit, en outre, être formé dans un bref délai après la prononciation du décret et être toujours adressé à l’autorité la plus rapprochée, donc au prince seulement quand il n’y a pas d’autorité intermédiaire. Enfin, lorsque l’appel était permis, la partie appelante encourait une amende si le jugement attaqué était confirmé. Mais nous devons renvoyer au droit civil pour l’étude des règles et des formes de l’appel. Nous devons ici chercher seulement jusqu’à quel point le prince a lui-même exercé cette juridiction en dernier ressort ou de quels représentants il s’est servi pour elle.

Il est dans la nature du principat que l’empereur consacre son activité personnelle à la fois à la juridiction civile et à la juridiction criminelle ; selon qu’il le fait plus ou moins, il remplit plus ou moins sa tâche officielle[20]. Sa juridiction personnelle apparaît principalement, quand l’occupation du consulat le met dans le cas de présider à l’exercice du droit du sénat de statuer sur les appels ; mais elle est indépendante du consulat[21] et a été exercée par lui en tout temps et en toute matière. Ce que nous avons dit des formes de sa juridiction criminelle s’applique ici. L’empereur rend la justice selon les formes ordinaires, mais il n’est astreint à aucune d’elles, en particulier il ne l’est pas à la publicité. Dans la première période de l’Empire, il siège, pour la rendre, le plus souvent sur le Forum ou sans cela dans un lieu public[22] ; depuis Sévère, il la rend en général dans le palais impérial[23]. Mais, comme l’activité la plus énergique n’aurait pu faire face à la masse de ces appels, la juridiction civile impériale a été exercée toujours principalement, et probablement de plus en plus avec le temps, par voie de délégation. Cette délégation se présente dans des formes différentes selon les circonstances.

2. De même qu’en principe tout magistrat peut ou procéder lui-même à la cognitio dont il est chargé ou instituer un juge (judex) pour statuer sur l’espèce concrète dont il s’agit[24], l’empereur a souvent confié par un mandat spécial à un représentant la décision des affaires portées devant lui[25].

2. Lorsque les empereurs ont voulu recourir à un remède juridique général, mais sortant du cercle du droit en vigueur, en particulier en matière de fidéicommis et de tutelle, ils en ont, sans exclure par là leur propre intervention[26], confié l’application, par voie de délégation générale aux consuls, sans aucun doute afin d’associer les seconds titulaires de l’autorité la plus élevée à ces mesures prises par dessus la loi. Cette délégation fut d’abord renouvelée d’année en année, puis elle est devenue permanente. A l’époque récente, les gouverneurs de provinces et des préteurs isolés ont aussi reçu des mandats de même nature[27].

3. L’appel des décrets des magistrats qui rendaient la justice dans la capitale a été renvoyé à nouveau chaque année par Auguste devant le plus élevé d’entre eux, devant le préteur urbain[28], sauf à l’empereur à statuer lui-même sur les appels des décisions de ce préteur, soit en personne, soit par voie de mandat spécial. Plus tard, cela a changé. Au début du IIIe siècle, et peut-être dès un temps antérieur, l’empereur est représenté, comme en matière criminelle, pour les appels civils qui lui sont adressés de home, par le préfet de la ville[29] et tel est resté le principe de l’organisation judiciaire de Dioclétien et de Constantin[30].

4. Auguste renvoyait les appels des provinces[31] à des mandataires spéciaux préposés à chacune des diverses provinces et pris parmi les consulaires[32]. Ce système parait avoir été maintenu en principe, même par la suite ; tout au moins on rencontre encore sur des inscriptions du me siècle des exemples de judex ex delegatione cognitionum Cæsarianarum, parfois avec l’indication du ressort[33].

5. D’après les principes généraux, la partie a le droit, en face de toute délégation de cognitio, d’appeler du juge délégué au déléguant. Un nouvel appel au prince est donc admissible dans tous les cas que nous venons d’étudier, après que le juge nommé par lui a rendu sa sentence. Et, s’il n’était pas inaccoutumé d’écarter cet appel d’avance au cas de mandat spécial, cela n’arrivait pas au contraire à notre époque pour les mandats généraux[34], et même c’eut été contraire à l’esprit du principat ; car, si le prince pouvait se refuser au nouvel examen de l’affaire sollicité de lui[35], il ne pouvait déclarer une fois pour toutes et d’avance qu’il le ferait ; en effet, lui aussi, était magistrat et, au sens strict, obligé par les devoirs de sa charge à peser personnellement toutes ces affaires. En ce sens toutes les délégations précitées n’empêchent pas la juridiction supérieure du prince de garder un large domaine, et elle dut le conserver jusqu’au moment où l’introduction de la justice sans appel des tribunaux les plus élevés de l’Empire fit de la magistrature supérieure d’Auguste la monarchie de Dioclétien. Le IIIe siècle nous présente un état intermédiaire. Nous avons déjà vu, au sujet de la justice criminelle, que la juridiction personnelle de l’empereur passa progressivement à ses représentants personnels, en particulier aux præfecti prætorio, et leur passa de telle sorte que ces représentants étaient considérés comme parlant moins en vertu d’un mandat de l’empereur qu’en son lieu et place, de telle sorte donc qu’on s’habitua à ne pas plus admettre l’appel à l’empereur de leur décision, que de celle de l’empereur lui-même. On voit là clairement que la juridiction civile et la juridiction criminelle de l’empereur se confondent en principe ; car une juridiction civile des præfecti prætorio, semblable à cette juridiction criminelle, existe dès le temps des Sévères[36]. Selon toute apparence, le tribunal des præfecti prætorio a constitué en fait, au me siècle, au moins pour-les magistrats provinciaux, le degré le plus élevé de juridiction, quoiqu’en droit l’appel à l’empereur lui-même fût admis de ces magistrats. Le præfectus urbi a probablement reçu, à la même époque, la position coordonnée à celle des præfecti prætorio que nous avons signalée plus haut, de sorte que tous les appels des autorités urbaines vont devant lui et qu’on n’appelle pas de lui aux præfecti prætorio, mais nominalement à l’empereur et, en fait, à personne. On comprend, en face de ce système ; comment, lorsque le sénat crut, par la nomination de l’empereur Tacite, avoir brisé le pouvoir du principat, tous les appels, même ceux des provinces, furent soumis au préfet de la ville[37]. La concurrence et la rivalité des représentants les plus élevés de la puissance impériale et du représentant le plus élevé de la ville de Rome, des præfecti prætorio et du præfectus urbi, se continuèrent même sous la monarchie postérieure, parce que la plus haute autorité judiciaire était considérée comme nécessairement inhérente au premier poste et était régulièrement liée au second par une délégation spéciale et qu’en dehors des appels urbains proprement dits, le préfet de la ville était encore parfois chargé de ceux d’Italie et même d’Afrique[38].

La sentence de l’empereur était absolument définitive et exclusive de toute voie de recours. Seul le remède extraordinaire de la restitutio in integrum pouvait intervenir pour elle comme pour la sentence du juré, mais il ne pouvait alors naturellement être accordé que par l’empereur[39].

 

 

 



[1] Si l’empereur affranchit lui-même, il n’est soumis à aucune forme ; mais il n’a sans doute pas permis à d’autres personnes de faire d’affranchissement devant lui sans observer les formes générales prescrites pour cet acte, quoiqu’on ne puisse lui contester le pouvoir d’en dispenser.

[2] Dans la Vita Aureliani, 14, l’adoptant dit au prince : Jube igitur ut lege agatur sitque Aurelianus heres sacrorum, nominis et bonorum totiusque juris Ulpio Crinito... et adoptio ut solebat impleta (est). Il faut remarquer pour les adoptions impériales que, tout au moins dans la conception récente, le magistrat agissant lege pouvait, dans les actes de juridiction gracieuse, être en même temps l’adoptant, l’adopté ou l’auteur de l’affranchissement (Digeste, 1, 7, 3. 4. tit. 10, 1, 2. tit. 18, 2. 40, 2, 5. 1. 20, 4) ; la règle que le prince peut se, délier des lois de ce genre peut, d’ailleurs, aussi intervenir.

[3] L’intervention de l’empereur étend à tout le domaine des décrets des magistrats ; ainsi rien n’est plus ordinaire qu’un appel contre la collation de la tutelle ou d’une magistrature municipale. Bethmann-Hollweg, 3, p. 701.

[4] L’acte par lequel l’empereur, en vertu de son autorité administrative supérieure, invite les magistrats compétents en matière de juridiction à faire leur devoir dans des cas déterminés et leur donne des instructions à ce sujet, comme fit, par exemple, Néron, en l’an 58, pour les procès privés résultant de l’administration des douanes (Tacite, Ann. 13, 51), n’a rien à faire avec sa juridiction.

[5] En dehors du cas dans lequel le magistrat refuse d’accepter l’appel, pour lequel l’institution de la supplicatio doit avoir existé de tout temps (Digeste, 49, 5, 5, 1), la procédure ordonnée de supplication de ta période postérieure à Dioclétien (Bethmann-Hollweg, Civilppozess, 3, p. 92 et ss. p. 338 et ss.) se lie essentiellement à l’introduction de la juridiction sans appel des tribunaux les plus élevés et est étrangère, comme elle, à la première période de l’Empire. Pour la première période de l’Empire, il reste donc principalement la supplication extraordinaire indiquée note suivante, qui n’est devenue une voie, de droit en forme que dans certains cas de délégation.

[6] Un cas de ce genre est rapporté par Paul, Digeste, 28, 5, 93. Un affranchi de Pactumeius Magnus, semble-t-il, avait institué la fille de ce dernier héritière ; puis, croyant faussement qu’elle avait été exécutée avec son père sous l’ordre de Commode (cf. Vita Commodi, 7), il modifia son testament. La fille obtint par une supplicatio adressée à Sévère que le second testament fût écarté, ce que naturellement n’aurait pu faire l’autorité ordinaire liée par la loi. Des motifs politiques ont sans doute là joué un rôle (cf. Vita Severi, 13).

[7] Digeste, 4, 4, 11, 2.

[8] Fronton rapporte un cas remarquable de ce genre dans sa lettre à Marc-Aurèle, 1, 6. Un testament dans lequel on pensait les héritiers ab intestat exhérédés fut présenté au proconsul d’Asie pour être ouvert. Les héritiers ab intestat protestèrent contre l’ouverture en disant L’exhérédation injuste. Le proconsul les envoya en possession et expédia le testament à Rome pour être ouvert devant l’empereur. Fronton blâme cette façon de procéder qui aurait pour résultat de faire envoyer à Rome pour y être soumis à la cognitio de l’empereur les testaments de toutes les provinces ; et il semble avoir raison. — Les décisions d’Auguste et de Tibère en matière de possession d’hérédité rapportées par Valère Max. 7, 7, 3. 4, et Tacite, Ann. 2, 48 peuvent facilement être rendues sur appel du décret du magistrat compétent.

[9] Modestinus, Digeste, 49, 3, 3 : Dato judice a magistratibus populi Romani cujuscumque ordinis, etiamsi ex auctoritate principis licet nominatim judicem declarantis dederint. Rescrit de Marc-Aurèle et Verus, Digeste, 49, 1, 1, 3 : A judice, quem ex rescripio nostro ab amplissimis consulibus acceperas. Cela pouvait arriver, par exemple, si une partie formait devant le prince une plainte contre le magistrat compétent pour causé de partialité ou de lenteur.

[10] Macer, Digeste, 49, 5, 4 : Ejus qui ideo causant agere frustratur, quod dieit se libellum principi dedisse et sacrum rescriptum expectare, audiri desiderium prohibetur.

[11] Suétone, Claude, 15, cite parmi les actes illégaux de Claude qu’il interpellatum ab adversariis de propria lite negantemque cognitions rem, sed ordinarii juris esse, agere confestim causam apud se cœgit. A la vérité, on ne peut douter que le prince ne fût en droit d’agir ainsi, summo jure ; la force légale universelle des constitutions impériales appartiendrait à de pareilles sentences ; cela se manifeste, en outre, dans les motifs par lesquels l’empereur Claude réclame la juridiction pour ses procurateurs : Parem vim rerum habendam a procuratoribus suis judicatarum ac si ipse statuisset (Tacite, Ann. 12, 60). Car nous montrerons dans le chapitre des Finances impériales que les procès du fisc et des particuliers sont, en droit, regardés comme des procès entre particuliers.

[12] Les débuts remontent sans doute beaucoup plus haut dans le passé. En particulier en matière de délits, par exemple de vol, la procédure devant les jurés civils avait certainement déjà, en grande partie, cédé la place pratiquement à la cognitio du magistrat, dans la période récente de la République.

[13] La constitution de Dioclétien, Cod. Just. 8, 1, 3, confirme qu’à cette époque tous les procès civils étaient regardés comme des judicia extraordinaria.

[14] La cause pour laquelle l’appellatio moderne est presque aussi fréquemment appelée provocatio et les deux expressions rigoureusement séparées dans le droit de la République sont désormais pleinement synonymes, est que la nouvelle institution est un composé de 1’appellatio et de la provocatio de la République. L’appel de la République va du magistrat inférieur au magistrat supérieur et est en règle exclusivement destructif ; la provocation va du magistrat aux comices et n’est pas seulement destructive mais réformatoire. L’appel de l’Empire va du magistrat inférieur au supérieur et, en tant qu’il n’est pas exclusivement déclinatif de compétence, il est réformatoire. — Je ne peux m’associer à la conception de Joh. Merkel (Abhandlungen, II, Ueber die Geschichte der klassischen Appellation, Halle, 1883), en particulier p. 133, selon laquelle l’appel impérial se serait développé sans se rattacher au développement juridique antérieur.

[15] Selon Dion, 51, 19, l’empereur reçut, en 724, donc avant la fondation du principal, le droit de έκκλητον δικάζειν. Merkel rapporte avec raison, p. 46, ces mots (cf. les textes parallèles, 59, 8. 17, 8) à l’appel des décrets du magistrat en général, aussi bien dans les affaires civiles que dans les affaires criminelles, qui sont soumises les unes et les autres au même régime.

[16] Ce principe, fondamental pour la théorie de la juridiction civile et criminelle (car la procédure criminelle ordinaire, la procédure de quæstio est aussi une procédure par jurés), est lui-même si peu hors de doute qu’on admet en général le contraire (par exemple, Bethmann-Hollweg, Civilprozess, 2, 46), et j’ai moi-même antérieurement admis ce dernier système. Ce qui trompe principalement dans cette question c’est le judex datus des compilations juridiques, qu’on est porté à identifier avec l’ancien juré ; mais, ne fut-ce que parce que le judicium ordinarium a partout été écarté de ces compilations par voie de correction, ce judex doit plutôt être le représentant institué à titre spécial par le magistrat pour une cognitio à laquelle il devrait procéder, un judex extra ordinem, ainsi qu’Aulu-Gelle s’appelle lui-même, dont la décision ne rentre pas moins que celle du magistrat qui l’institue dans le cercle des extraordinariæ cognitiones. Le principe décisif est posé par Paul, Digeste, 50, 16, 244. Car l’opposition essentielle de la pœna au sens étroit et de la mulla consiste précisément en ce que la première est fixée par une sentence de juré, que ce soit dans un procès privé ou dans une quæstio, et que la seconde l’est exclusivement par un décret du magistrat. Dans le droit de Justinien, cette opposition a disparu avec l’ordo judiciorum et toute sentence donne lieu à appel, en sorte que les allégations de Paul ne concordent plus avec ce droit. Mais c’est un trait que ce texte a de commun avec beaucoup d’autres. L’explication adoptée, par exemple, par Cujas, selon laquelle il faudrait sous-entendre un aveu et, au cas d’aveu ; l’appel serait admissible contre la peine disciplinaire et non contre la pœna délictuelle, est sous tous les rapports inadmissible.

[17] Suétone, Domitien, 8 : Jus diligenter et industrie dixit, plerumque et in foro pro tribunati : extra ordinem ambitiosas (c’est-à-dire les jugements sciemment faussés par faveur) centumvirorum sententias rescidit ; reciperatores, ne se perfusoriis adsertionibus (les procès de liberté) accommodarent, identidem admonuit. Cf. Vespasien, 10. Ce témoignage, morcelé, dans les éditions courantes, par une ponctuation fausse, distingue clairement la juridiction propre d’une part, et, de l’autre, la surveillance extraordinaire sur les jurés, qui s’exprime soit par des avertissements de mieux remplir leurs devoirs, soit par la cassation des sentences. Les appels fréquemment cités par les jurisconsultes récents en matière de plainte d’inofficiosité (Digeste, 5, 2, 18, 6, 1. 27, 3. 30, 50, 1. 49, 1, 5, 1) se rapportent sans nul doute à des cognitions et non aux verdicts des centumvirs.

[18] Parmi les textes relatifs à l’appel au sénat, quelques-uns montrent (notamment celui de Tacite, qui a privatis judicibus ad senatum appellavissent) que les sentences de jurés y sont tout au moins comprises. Cela ne veut évidemment pas dire que l’appel ait été étendu. Il faut donc sans doute penser aux cas où l’appel pouvait en règle générale être formé contre ces sentences, c’est-à-dire où des jurés étaient attaqués pour corruption ou pour autre acte de partialité. Il ne semble pas s’agir là des appels formés contre le décret organisant le judicium, puisqu’ils sont plutôt formés a magistratibus qu’a judicibus.

[19] Suétone, Claude, 14.

[20] Parmi beaucoup de textes semblables, je cite seulement le jugement de Dion sur Marc-Aurèle, 71, 6, et celui sur Caracalla, 77, 17 (cf. Hérodien, 4, 7, 2).

[21] C’est ainsi qu’il est dit de Claude : Jus et consul et extra honorem laboriosissime dixit et qu’on célèbre Sévère parce que, sauf aux grandes fêtes, il rendait journellement la justice jusqu’à midi (Dion, 76, 17).

[22] Auguste rendit la justice plus d’une fois à Tibur (Suétone, Auguste, 72), quand il fut dans un âge avancé (Dion, 55, 27), s’il était malade, lectica pro tribunali collocata ou encore domi cubans (Suétone, Auguste, 33) ; Tibère au Forum, assis sur le siège curule (Dion, 57, 7) ; Claude (Dion, 60, 4), par exemple a Tibur, devant le temple d’Hercule (Sénèque, Apocol. 7, d’après la belle correction de Buecheler ; Vespasien (Dion, 66, 10) ; Domitien le plus souvent in foro pro tribunati, quoique l’on retrouve aussi dans la prétendue basilique du palais des Flaviens au Palatin la salle de son tribunal (Visconti et Lanciani, Guido del Palatino, p. 105) ; Hadrien (Dion, 69, 7). Il paraît s’agir dans tous ces textes non pas exclusivement (Suétone, Auguste, 33), mais principalement des affaires civiles ; car dans la juridiction criminelle de l’empereur, la publicité est au moins très fréquemment exclue. Le décret du magistrat est, au contraire, comme on sait, toujours rendu pro tribunali dans les cas importants et, même quand il est rendu de piano, il est au moins rendu en public ; et les empereurs ont dal ordinairement se conformer à cet usage. — Le publicus a sedibus Aug(usti) qui se rencontre dans l’inscription de la ville de Rome, C. I. L. VI, 2341, pourrait, d’après l’analogie du publicus a subsel(lio) tribunorum, avoir eu la garde du siège et du reste du matériel nécessaire pour cette juridiction ; ces objets pouvant parfaitement avoir été la propriété du peuple et non de l’empereur, l’emploi d’un publicus est concevable pour eux.

[23] Sévère rendait la justice dans la salle du palais impérial affectée à cet usage (auditorium) (Dion, 76, 11). La victoire est donc avec lui décidée dans ce domaine en faveur des auditoria et tabularia dont Tacite déploie déjà l’effet paralysant sur l’éloquence en visant en première ligne les procès des quæstiones et des centumvirs (Dial. 39 ; cf. Pline, Ép. 2, 14. 6, 33). La procédure n’était pas secrète, au sens propre ; mais la demeure du prince n’était pas ouverte au premier venu, et il n’y avait place que pour un petit nombre de spectateurs.

[24] Aulu-Gelle, 12, 13, 1. Les consuls ne pouvant juger qu’en matière de fidéicommis, de tutelle et d’appels, leur juridiction n’appartient pas au cercle du jus ordinarium ; c’est partout une cognitio ; c’est pourquoi le représentant nommé par eux agit également extra ordinem. Pour la même raison, l’abolition de l’ancien judicium ordinarium n’atteignit pas cette judicis datio. Le judex datus ou, comme on l’appelle encore, le judex pedaneus du droit récent se trouve ainsi expliqué. Il se rencontre encore dans les textes de Modestinus, Digeste, 49, 3, 3, et, en outre, Digeste, 1, 18, 8. 9. 5, 1, 81. 49, 1, 21, 1 l. 23, pr. § 1, tit. 3, 1, pr. et dans les rescrits du IIIe siècle, Cod. Just. 7, 63 [64], 2. 4. 6. Chez les civilistes, il est communément (par exemple, chez Bethmann-Hollweg, 3, 103) confondu avec le juré.

[25] Vita Marci, 10. Ulpien, Digeste, 49, 2, 1, 4. Digeste, 4, 4, 18, 4. Selon toute apparence, il s’agit là au moins principalement d’affaires civiles.

[26] Vita Hadriani, 22.

[27] Cela est développé avec plus de détails, dans le tome III. L’idée, selon laquelle le fondement juridique des remèdes juridiques extraordinaires a été et est resté dans la puissance dégagée d’entraves du prince, se manifeste surtout clairement en ce que la délégation relative aux fidéicommis d’abord réglés de cette façon fut jusqu’à Claude renouvelée annuellement, ou plutôt a chaque changement de magistrats.

[28] Suétone, Auguste, 33. La conjecture præfecto delegavit urbis qui est devenue courante n’est pas seulement téméraire, elle est certainement fausse : il n’y avait pas, au temps d’Auguste, de préfet de la ville permanent et y en eut-il eu un, la délégation annuelle ne s’accorderait pas avec une magistrature non soumise à l’annalité.

[29] Dion, 52, 21. Un exemple concret est donné par Paul, Digeste, 4, 4, 38 : une demande d’une pupille pour obtenir l’in integrum restitutio contre une vente est débattue une première fois devant le préteur, une seconde devant le præfectus urbi et se trouve en dernière instance devant l’empereur. Une affaire de tutelle est pareillement agitée chez Scævola (sous Marc-Aurèle), Digeste, 45, 1, 122, 5, d’abord devant le judex tutelæ, puis, dans l’instance d’appel, devant le competens judex, et finalement devant le prince ; lorsque le judex tutelæ est le préteur tutélaire, le juge d’appel est le præfectus urbi. C’est pourquoi, un préfet de la ville ajoute sous Gordien à son titre l’addition electus ad cognoscendas vice Cæsaris cognitiones (C. I. L. XIV, 3902).

[30] Dans cette organisation, la qualification de judex sacrarum cognitionum ou vice sacra judicans est, comme on sait, régulièrement donnée à la préfecture de la ville ; mais cependant ce n’est pas comme celle d’une attribution venant de la magistrature elle-même, c’est comme celle d’un pouvoir qui y est lié par un mandat spécial (cf. à ce sujet mes observations, Memorie dell’ inst. 2, 311 et ss.).

[31] Même des provinces sénatoriales, par exemple, du proconsul d’Achaïe, Digeste, 36, 1, 83 [81]. Faute de prestation de la, fourniture d’huile à laquelle a droit la ville d’Athènes, le sénat ou l’ecclesia d’Athènes inflige l’amende, l’appel va à l’empereur ou au proconsul (Hadrien, C. I. Att. III, 38).

[32] Il arrive cependant aussi que l’empereur, à raison de sa confiance spéciale, renvoie de pareils appels au magistrat même qui a rendu le décret, pour un nouvel examen. Dion, 59, 8.

[33] Deux inscriptions de C. Suetrius Sabinus, consul en 214, C. I. L. X, 5178. 5398, rappellent, l’une judex ex dele[g.] cognition. Cæsarian., l’autre [judex ex] delegatu principum in provincia /////// ; Virius Lupus, consul en 278, præf. urbi en 278-280, fut [judex s]acrarum [co]gnitionum [per]... et per Ori[e]ntem (Bull. della Comm. mun. 1887, p. 225) ; Ælius Dionysius, præf. urbi en 301, fut auparavant judex sacrarum cognitionum totius Orientis (C. I. L. VI, 1673). Vers le même temps un cognoscens ad sacras appellationes (C. I. L. VI, 1532). — Dans les institutions de l’Empire récent, ces délégations, peu stables même dans la période antérieure, ont, semble-t-il, disparu et, en dehors des préfets et des vicaires, on ne trouve que les deux proconsuls d’Asie et d’Afrique désignés comme judices sacrarum cognitionum ou vice sacra fudicantes (cf. Memorie dell’ inst. loc. cit.).

[34] Dion, 52, 33. Deux appels de ce genre du præf. urbi sont cités, Dion, 52, 21.

[35] Cela se montre, par exemple, en ce que Tibère n’accepte aucun appel de M. Silanus.

[36] Un procès de prêt (Paul, Digeste, 12, 1, 40) et une affaire de fidéicommis (Papinien, Digeste, 22, 1, 3, 3).

[37] Exemple de pareille restitutio après la sentence impériale, Digeste, 4, 4, 18, 1. Cf. § 3.

[38] Bethmann Hollweg, Civilprozess, 3, 63.

[39] Les lettres insérées dans les biographies impériales le disent. Vita Floriani, 5. Ibid. 6. L’authenticité des documents elle-même est plus que douteuse ; mais, au point de vue du fond, ces notices écrites sous Constantin sont sans doute exactes.