NOMINATION DES SÉNATEURS. Il n’y a peut-être pas une question aussi importante pour le caractère de la constitution d’Auguste que la question du droit de conférer lés sièges sénatoriaux. Le principe de cette constitution est la dyarchie, le partage du pouvoir entre l’empereur, d’une part, et le sénat, de l’autre. Mais ce principe est illusoire, pour peu que le recrutement du sénat soit livré au prince. Nous devons ici montrer que l’empereur n’a pas eu ce pouvoir jusque vers la fin du premier siècle, et que c’est seulement Domitien qui en a fait un attribut du principat. La République connaît deux modes d’entrée au sénat : l’entrée par la lection du censeur, qui est la voie régulière, et l’entrée par la voie extraordinaire, qui est l’occupation d’une magistrature à laquelle cet effet est attaché par la loi. Sulla voulut probablement supprimer le premier mode, en rendant au moins possible de se passer de la censure ; en tout cas, il a fait du second mode le mode régulier, en attachant le siège sénatorial à la questure et non plus à l’édilité curule et à la préture, et en faisant, par suite de l’augmentation considérable du nombre des questeurs nommés annuellement, un nombre suffisant de nouveaux membres entrer désormais, chaque année, dans le sénat en vertu de l’occupation des magistratures[1]. César a, pendant sa dictature, exercé, à titre extraordinaire, de la façon la plus large, le droit de nomination des sénateurs, non pas en qualité de censeur, mais comme une portion essentielle de ses pouvoirs constituants, et il n’a pas moins altéré le rôle politique du corps, par ses nominations en masse et par ses admissions sans scrupules de personnages sans homogénéité, qu’il n’en a ébranlé le fondement politique par les nominations elles-mêmes. Les triumvirs le suivirent dans cette voie en s’arrogeant la nomination des magistrats et, par conséquent, en créant ainsi indirectement, à leur gré, des sénateurs de toutes les classes hiérarchiques. Auguste trouva les choses en cet état. Dans le système qu’il a établi, il a écarté la procédure introduite par César, et il est essentiellement revenu aux règles établies par Sulla, mais en conservant la censure. Les modes d’entrer au sénat et dans ses différentes classes sont, d’après ses dispositions, les suivants : 1. Entrée par l’occupation des magistratures donnant accès au sénat et dans ses diverses classes hiérarchiques, questure, tribunat du peuple ou édilité, préture, consulat. L’attribution de ces magistratures appartenant, dans le système d’Auguste, au peuple et, dans celui de Tibère, au sénat, le sénat sort, sous le premier, de l’élection populaire et, sous le second, de sa propre cooptation ; à ce point de vue, comme à celui de la monarchie, Tibère a donc d’abord pleinement et énergiquement appliqué le principe de la dyarchie. En ce qui concerne le gouvernement lui-même, nous avons déjà expliqué : en premier lieu, que le prince était mis, par le pouvoir qu’il possédait quant à la fixation des listes électorales du vigintivirat et probablement de la questure, à même d’introduire à son gré dans la carrière politique des jeunes gens possédant la fortune nécessaire et de les présenter au sénat comme candidats à la questure ; en second lieu, que le système légalement établi de la commendatio lui donnait le droit de faire passer, dans certaines proportions, ses candidats des classes inférieures du sénat dans les classes supérieures ; le système de la commendatio a, sans doute, eu pour but politique dominant de permettre au pouvoir de disposer d’une certaine fraction des sièges supérieurs du sénat. Mais les conditions légales d’âge, d’ordre de succession des magistratures, les conditions d’éligibilité en général s’appliquaient même aux élections faites sur commendatio. A la vérité, les dispenses de ces, prescriptions influèrent aussi sur là, condition du sénat : quand il fut permis aux princes de se présenter au consulat sans passer par les magistratures inférieures et sans même respecter le délai fixé pour la questure, cette décision leur ouvrit du même coup la perspective d’entrer dans la première classe hiérarchique du sénat. Mais sous les premiers empereurs ces dispenses émanent du sénat. La hiérarchie traditionnelle des magistratures de la République tenait encore le prince dans ses liens. Il n’avait, ni en fait ni en droit, la libre disposition des places du sénat. En particulier, il devait être pour le prince rien moins que facile, dans la première période de l’Empire, de placer dans le sénat un homme âgé qui ne pouvait guère y entrer en qualité de débutant. A ce point de vue, le corps possédait certainement, dans le système d’Auguste, l’indépendance politique requise par sa position dans l’État. 2. Entrée par le choix du censeur, ou, comme cela s’appelle désormais, par adlectio[2]. C’est un point douteux de savoir si, d’après les institutions de Sulla, même en considérant la censure comme y subsistant, le droit des censeurs de nommer les sénateurs était encore effectif ; car le chiffre normal auquel les censeurs avaient le droit de porter le sénat était probablement atteint, et même en partie, peut-on prouver, dépassé par la simple accession annuelle des quæstorii. Il n’en est pas question dans la période de la République qui suit Sulla. Mais, sous le principat, les nominations de sénateurs par les censeurs ont repris leur cours et les empereurs qui ont accompli la lectio senatus pendant leurs censures, probablement déjà Auguste[3] et certainement Claude[4], Vespasien et Titus[5], ont exercé ce droit, probablement sans être liés par le chiffre normal des membres ; du sénat. En même temps ce droit a changé de caractère et a été renforcé. Les censeurs de la République peuvent avoir eu le pouvoir théorique d’assigner arbitrairement aux sénateurs leurs places dans la liste de vote et même d’inscrire dans une des classes hiérarchiques les plus élevées le sénateur qui n’avait encore exercé aucune fonction[6] ; mais, en fait, cela ne peut s’être présenté que comme une rare exception, dans des circonstances extraordinaires et ils se sont bornés à nommer des sénateurs de la classe hiérarchique la moins élevée. Sous le principat, le pouvoir des censeurs, qu’on appelle l’adlectio par opposition à la lectio antérieure, va jusqu’à leur permettre d’assigner aux non sénateurs choisis par eux, au moyen de la fiction de l’occupation d’une magistrature donnant accès à la curie, non seulement le siège sénatorial ; mais une classe hiérarchique élevée et une place quelconque dans l’ordre des votes[7]. Cette adlection a lieu en général ou inter tribunicios[8], — l’adlection inter ædilicios qui se rencontre rarement[9], se confond avec l’adlection inter tribunicios par suite du groupement du tribunat et de l’édilité en un seul échelon hiérarchique, — ou inter prætorios[10]. Dans les deux cas, les magistratures inférieures sont comprises, c’est-à-dire que l’adlection inter tribunicios entraîne celle inter quæstorios et que l’adlection inter prætorios entraîne celle inter tribunicios et inter quæstorios[11]. On rencontre plus rarement l’adlection inter quæstorios[12], parce que les personnes que leur âge et leur condition désignaient pour la dernière classe hiérarchique, se présentaient en général à la questure en sautant le vigintivirat et qu’on évitait ainsi de donner aux sénateurs un collègue qu’ils n’avaient pas choisi. L’adlection inter consulares s’est présentée au IIIe siècle[13] ; mais elle a été évitée dans la meilleure période du principat et on a dû voir là d’abord, tant qu’il n’a été créé que quatre consuls par an, une restriction aux pouvoirs du prince duquel dépendait au fond l’adlection. Mais la restriction a été. bientôt supprimée, non pas par l’extension de l’adlection à la classe hiérarchique la plus élevée, mais d’une façon bien plus radicale par la multiplication du nombre des consuls de chaque année[14]. Le censeur de l’époque impériale ayant la liberté d’assigner une place à un non sénateur dans l’une quelconque des classes hiérarchiques du sénat, on ne pouvait lui refuser le droit de faire passer un sénateur d’une des classes inférieures en une classe plus élevée par simple décision censorienne, ce qui aboutit pratiquement à une dispense de l’occupation effective des magistratures exigées pour l’entrée dans les classes plus élevées. Mais à la bonne époque la remise du consulat n’a pas plus eu lieu pour les sénateurs[15] que pour les non sénateurs. Au contraire, remise était faite régulièrement de la préture aux princes de la maison impériale, et même, en dehors de là, cet échelon[16], de même que celui du tribunat et de l’édilité[17], a été fréquemment sauté de notre manière. 3. En dehors des deux modes constitutionnels d’entrer au sénat par l’exercice des magistratures et par le choix censeur, le droit de suffrage sénatorial en général, ou encore le droit de suffrage sénatorial le plus élevé a été concédé directement dans des cas particuliers, alors en général, en même temps avec dispense des conditions d’éligibilité. C’est ainsi que le futur Auguste reçut, en l’an 711, avec le droit de passer par dessus la questure, le droit de suffrage parmi les consulaires ; c’est ainsi que M. Marcellus reçut, en 731, avec le même droit quant aux candidatures, le droit de suffrage parmi les prætorii ; et il est probable que la curie a encore été par la suite ouverte, conformément à ces précédents, aux princes appelés à succéder au trône dès leur sortie de l’enfance[18]. Mais il n’est pas arrivé fréquemment que le droit de vote au sénat fût conféré de cette façon directe[19], et avant tout les concessions extraordinaires n’en ont pas été faites par le prince, comme cela avait eu lieu sous César ; mais par le sénat lui-même, qui est aussi l’unique dispensateur des magistratures nominales voisines (ornamenta consularia, prætoria, quæstoria). On devient donc sénateur ou par l’élection des comices à une magistrature, ou par une décision des censeurs, ou par un sénatus-consulte extraordinaire. Le prince n’a en cette qualité aucune action sur l’attribution des places du sénat[20], sauf l’action qu’il a légalement sur les comices et sauf l’exercice qu’il fait des droits de censeur, quand il se trouve occuper cette magistrature. Les faits ainsi rassemblés, on voit clairement pourquoi Auguste n’a pas fondu la puissance censorienne dans le principat[21] et aussi pourquoi Domitien a revêtu, en l’an 84, la censure à vie. Auguste, en refusant la puissance censorienne, s’enleva le pouvoir de compléter le sénat en tout temps et à son gré, et Domitien revendiqua précisément ce pouvoir ; et il n’y a pas grande objection à faire à celui qui voudrait voir là un anéantissement de la constitution d’Auguste. Elle n’a plus été rétablie. Nerva laissa de côté le titre de la censure perpétuelle ; mais les empereurs postérieurs gardèrent les droits qui y étaient attachés[22], et nous trouvons, à partir de là, les sièges sénatoriaux donnés arbitrairement par le prince dans les formes de l’adlection censorienne proprement dite[23]. Seul, Alexandre Sévère ne les a donnés qu’après avoir consulté le sénat[24]. Il n’est pas invraisemblable que désormais l’adlection impériale au sénat fût fréquemment liée à la nomination impériale aux magistratures, c’est-à-dire que, lorsque l’empereur admettait un candidat à la préture qui n’avait pas encore occupé le tribunat ou l’édilité, il le classait par là même inter tribunicios. On peut même lier l’absence d’adlection inter consulares à ce qu’il n’y avait aucune nomination venant après la nomination au consulat, tandis ‘que cette dernière impliquerait l’adlection inter prætorios. L’ancienne République ne connaît l’exclusion du sénat que sous une forme : le censeur, en reconstituant le sénat, omet le nom de l’exclu[25]. Au VIIe siècle, les droits sénatoriaux sont, en outre, perdus, quand un serment exigé à peine du retrait des pouvoirs de sénateur n’est pas prêté ou quand un crime entraînant légalement l’exclusion, du sénat est reconnu par une décision judiciaire avoir été commis. Auguste entreprit d’abord, autant au moins dans l’intérêt du corps que dans le sien propre, une épuration profonde et une réduction très sensible du sénat accru outre mesure et en partie d’éléments très peu appropriés par César et sous le Triumvirat ; il a, selon toute apparence, réalisé cette réforme principalement dans la grande instruction qu’il ouvrit sur les mœurs publiques en 735 et 736[26]. Dans le système établi par lui, il parait ensuite avoir simplement confirmé le droit d’exclusion des censeurs et ce droit a été appliqué, selon la méthode ancienne, dans les censures postérieures[27]. Quant à l’exclusion en vertu de jugements, la transformation de la justice criminelle et en particulier la juridiction d’exception du sénat ont naturellement fait sentir leur influence[28]. Mais il n’y a pas eu de véritable modification de principe. La perte de la qualité de sénateur résultant de la disparition d’une des conditions de capacité exigées par la loi n’était pas davantage une nouveauté ; seulement la règle fut désormais appliquée d’une manière essentiellement nouvelle. Le principat s’attribua le refile de surveiller les sénateurs à ce point de vue et de procéder à leur radiation au cas de perte des conditions légales de capacité. Dans ce but, le tableau des sénateurs était annuellement affiché en public[29] et au moment de cette révision on effaçait les noms, non seulement des morts, mais de ceux qui n’avaient pas voulu prêter le serment de respect des lois et des actes de l’empereur exigé annuellement[30], ou qui avaient perdu quelque autre qualité nécessaire pour l’occupation du siège sénatorial. Parmi ces qualités, une importance particulière appartenait au cens sénatorial introduit par Auguste, les sénateurs qui avaient perdu leur fortune étant par là même exclus de droit. Cela donnait au prince, en pareil cas, le pouvoir important ou d’intervenir par des présents gracieux ou, au contraire, d’inviter le sénateur ruiné à se retirer et, s’il résistait, de l’effacer de la liste[31]. Mais il ne faut pas confondre cette constatation de la persistance de la capacité légale avec le contrôle moral des censeurs. Il est très vraisemblable que Domitien revêtit la censure à vie dans le but direct de pouvoir exclure les sénateurs qui lui déplaisaient avec la même liberté dont jouissaient les censeurs : en tout cas, elle entraînait pour lui ce droit[32]. Il est resté à ses successeurs, malgré la disparition du nom de la censure ; les sénateurs n’ont plus eu désormais de garantie légale contre une déposition arbitraire[33]. Auguste a, toutes les fois que cela a paru nécessaire, créé des triumvirs auxiliaires pour les révisions du sénat rendues indispensables par l’exercice du droit de surveillance impériale[34]. Plus tard, l’administration impériale chargée de l’examen de la fortune des chevaliers, le bureau a censibus dirigé par un membre haut placé de l’ordre équestre, a aussi été employé à cette fonction. |
[1] Ce n’était pas le cas même en fait dans la période antérieure à Sulla ; car celui qui arrivait à une magistrature curule siégeait sans doute en général, dès auparavant, au sénat en vertu de la lectio censorienne (Tite-Live, 23, 23, 6).
[2] L’expression est technique et constante sous le principat (sublectus, C. I. L. III, 552, est une fausse lecture), tandis qu l’époque de la République legere in senatum se dit de tous les sénateurs sans distinction entre ceux conservés et ceux nouvellement admis.
[3] Les inscriptions d’Auguste ne nomment aucune adlection dans le sénat ; mais c’est sans doute seulement parce que cette mention ne s’accorde pas avec le style rigoureux dans lequel le cursus honorum est alors rédigé.
[4] Inscription de Vicence, C. I. L. V, 3117 : A Ti. Cla[u]dio Cæsare Augus[t]o Germanico censor[e a]dlecto in senatum et inter tribuni[cio]s relata ; de Cora, C. I. L. X, 6520.
[5] C. I. L. XIV, 2925 : A[dl]e[eto] inter prmtorios a divis Ves[pasiano] et Tito censoribus. Dans deux autres inscriptions (C. I. L. VIII, 7057. 7058. IX, 5533), le rattachement de l’adlection à Vespasien et à Titus montre qu’elle a été accomplie, non pas par le prince en cette qualité, mais par les censeurs. Le nom de Vespasien mis seul dans une, inscription de Nîmes (C. I. L. XII, 3166) est incorrect. — On trouve aussi la proposition de Vespasien et de Titus indiquée pour la concession des ornamenta à un sénateur par le sénat, acte qui pouvait aisément se lier à la lectio senatus.
[6] Car en doit penser que les censeurs disposaient en droit dans la plénitude de leur liberté sur les modalités du droit de suffrage, encore plus que sur le siège et le droit de vote eux-mêmes et que la libre disposition de l’ordre de vote leur a donc fait défaut d’après l’usage et non d’après la loi.
[7] Cet ordre étant en général fixé par l’ancienneté, la relation inter prætorios doit, par exemple, avoir été faite, non pas à titre général, mais relativement au collège d’une année donnée. C’est ainsi qu’il a été procédé dans le cas qui nous est connu le plus exactement, celui du futur empereur Auguste, où, à la vérité, l’adlection n’est pas venue des censeurs, mais d’un sénatus-consulte spécial. Germanicus et Drusus reçurent également du sénat, par exception, le droit de vote prétorien au premier rang, donc immédiatement après les consulaires. Cf. Vita Pertinacis, 6.
[8] On rencontre des exemples pour Claude et pour Vespasien (C. I. L. II, 4130), puis pour les empereurs postérieurs, qui n’ont pas été censeurs, Nerva (C. I. L. V, 2822), Hadrien (C. I. L. IX, 5833 ; C. I. Gr. 4034), Commode (C. I. L. X, 7237). On passe de là à la préture.
[9] Elle se rencontre seulement sur l’inscription de Blera, C. I. L. XI, 3337. Elle est aussi mentionnée dans la Vita Marci, 10. II faut peut-être lire avec Golisch, senibus au lieu de senatibus, ou bien il y a peut-être une dittographie dans senatibus vel senatoribus. La correction equilibus proposée par Peter rompt l’opposition des deux membres de phrase.
[10] Exemples de Vespasien en dehors de ceux de C. I. L. XIV, 2923 et XII, 3166, C. I. L. VI, 1359. VIII, 7057, 7058. IX, 5533, qui rentrent dans cet ordre ; Pline, Ép. 1, 14, 5 ; cf. Suétone, Vespasien, 9. En outre, Orelli, 922, de Trajan.
[11] Allectus a dive Vespasiano [et divo] Tito inter tribunicios, ab isdem [allectus] inter prætorios (C. I. L. IX, 5533) ; allectus inter prætorios tribunicios quæstorios (Sévère : Orelli, 922) ; allectus inter prætorios, item tribunicies (Sévère : C. I. L. II, 4114). Il est explicable que la magistrature la plus élevée soit seule nommée le plus souvent, que la questure se trouve même nommée seulement une fois ; mais il faut sans doute entendre toutes les adlections en ce sens. Hirschfeld, Untersuch. p. 246, est d’un avis différent.
[12] Adlection inter quæstorios après l’occupation du vigintivirat, C. I. L. V, 1812. XIV, 3611. Orelli, 3174 = C. I. L. XI, 376 ; en omettant le vigintivirat, Eph, ep. VII, n. 395 = C. I. L. VIII, suppl. 18270 ; C. I. L. XII, 2453 (cf. VI, 1488). Déjà les triumvirs donnent l’édilité à un candidat à la questure, Appien, B. c. 4, 18. Les adlections anormales du second César en 711 et de Marcellus en 730 sont des adlections inter quæstorios. Remise est faite de la questure à Clodius Albinus par Commode (Vita Clodii, 6). Dans un autre cas un quæstor designatus devient édile eodem anno (C. I. L. VI, 1511. 1512).
[13] L’accomplissement de pareilles adlections à plusieurs reprises par César correspond à son attitude générale avec le sénat. Auguste ne l’a pas fait, ni les empereurs postérieurs, jusqu’à Macrin, et celui-ci lui-même ne l’a pas fait sans rencontrer d’opposition. Dion, 78, 13. Seule la mise à la retraite des prœfecti prætorio est généralement réalisée par ce procédé. Dans la constitution de Dioclétien et de Constantin on rencontre fréquemment l’adlection parmi les consulaires (C. I. L. X, 1125 et Mem. dell’ inst. 2, 302, où ce point est développé plus en détail). [Cf. aussi Neues Archiv, 14, 486.]
[14] Les légations de Germanie et de Syrie ne pouvant, par exemple, être occupées que par des consulaires, l’introduction des consulats semestriels vers le temps de la naissance du Christ et celle des consulats de deux à quatre mois vers le temps de la mort de Néron marquent des étapes dans l’augmentation des pouvoirs du principat.
[15] Ce n’était pas encore admissible au temps de Dion, dit-il clairement, 53, 13. Ce que fait Macrin peut également se rattacher à cela. Sur les inscriptions je ne trouve qu’un seul prætorius allectus inter consulares, C. I. L. IX, 1572, sans doute du IIIe siècle. — Auguste, en qualité de censeur, inscrivit parmi les consulaires en 725 deux consuls désignés et non parvenus à l’occupation des faisceaux (Dion, 52, 42) ; mais ce n’est pas la même chose. Les consules designati votent en cette qualité avec les consulaires et Auguste n’a fait là qu’interpréter dans un sens bienveillant la loi existante.
[16] Ajoutez aux exemples cités au tome II, le beau-fils de Corbulo Annius (Dion, 62, 23), et en outre le prætor designatus (Henzen, 3, p. 75) et l’ædilicius (C. I. L. XIV, 2925) que Vespasien et Titus mirent inter prætores. Cas semblables, d’une époque postérieure, C. I. L. II, 3533. VI, 1450. X1V, 3611. C’est sans doute encore ainsi qu’il faut entendre le prœtorius, trib(unus) pleb(is), C. I. L. II, 1262, pour lequel il n’y a donc pas besoin de correction. Quand un quæstorius est admis inter prætorios (C. I. L. X, 1249), il doit être dispensé du second échelon, en sa qualité de patricien.
[17] Déjà Tibère éleva, à titre de récompense, des sénateurs, c’est-à-dire des quæstorii, à la préture (Tacite, Ann. 2, 32). Marc-Aurèle et Commode placent un quæstorius inter tribunicios (C. I. L. VIII, 2582). Cas semblables C. I. L. II, 1426. III, 1458 (?). VIII, 7062. XII, 3163.
[18] Tout au moins on relève pour le fils adoptif d’Antonin le Pieux, le futur empereur L. Verus, qu’il est seulement entré au sénat en qualité de quæstorius (Vita Veri, 3), d’après quoi il faut admettre que Marc-Aurèle est entré au sénat dés son adoption en l’an 139, au moment de sa désignation à la questure (Vita, 5).
[19] La concession faite aux deux fils d’Auguste Gaius et Lucius, Mon. Ancyr. 3, 3, ou, selon l’expression de Dion, 55, 9, et la faveur semblable faite au jeune Drusus avant l’acquisition de la questure (Dion, 56, 17) entraînaient-elles le droit de voter au sénat ou seulement celui d’assister à ses délibérations ? C’est un point douteux. Nipperdey (Leipzig. Abhandlungen, 5, 82) admet la première solution, attendu qu’en dehors de là tous les fils de sénateurs auraient déjà eu le droit d’entrer à la curie. Mais nous ne connaissons pas les modalités de ce droit des enfants des sénateurs et ce sont évidemment deux choses absolument différentes de permettre à un prætextatus d’entrer dans la salle des séances ou de permettre à un jeune homme de prendre place parmi les sénateurs, alors même qu’il ne voterait pas avec eux. La rédaction des textes, en particulier le πρίν βουλεΰσαι de Dion, et le silence gardé sur la classe de vote, qui aurait dû nécessairement être spécifiée au cas de concession du droit de suffrage, me paraissent impliquer la seconde interprétation. On doit avoir voulu que les princes ne votassent pas ou tout au moins ne votassent que parmi les prétoriens. Au reste, la question n’a pas d’importance :générale, parce que la résolution prise en faveur de César en 711 met hors de doute que le sénat pouvait, non seulement conférer un droit de suffrage supérieur à un sénateur, mais en conférer un à un non sénateur.
[20] Ce ne peut être par hasard qu’au temps où la censure existait encore, nous ne trouvons aucune adlection attestée de la part des empereurs qui ne l’ont pas revêtue et nous trouvons, au contraire, fréquemment la censure expressément signalée chez ceux qui l’ont revêtue. En outre, Néron donna aux trois candidats omis dans les élections prétoriennes pour 61, à titre de dédommagement, la légation de légion qui supposait régulièrement la préture (Ann. 13, 28) ; si le prince avait pu alors faire entrer au sénat inter prœtorios, il l’aurait sans doute fait. Il n’est pas en désaccord avec cela que Dion, 54, 13, représente avec raison Auguste comme comblant lui-même les vides du sénat, lors de la révision de 736 ; car l’exposition de Dion elle-même montre qu’il s’agit là de quelque chose de tout à fait extraordinaire.
[21] C’est sans doute aussi par suite de sa réserve prudente qu’Auguste a si rarement procédé au cens. Il serait aussi, d’après cela, fort possible qu’il eût pensé à établir pour lui une périodicité de vingt ans ; pourtant le cens de 732 est en contradiction avec cette idée.
[22] Dion, 53, 17, cite les droits généraux du principat. Il indique, 52, 19. 25, les principes qu’il convient d’observer relativement au rang et à la naissance.
[23] Le fils d’Hérode Atticus, probablement celui qu’il a eu de sa première femme Ti. Claudius Atticus Herodianus, a été admis dans le sénat, sur la demande de celui-ci, par Antonin le Pieux (C. I. Gr. n. 6185) ; ce ne peut avoir été qu’une faveur extraordinaire, s’il s’agit là d’une adlection et non pas des ornamenta ou de l’entrée ordinaire au sénat en qualité de quæstor candidatus.
[24] Vita, 19 : Senatorem numquam sine omnium senatorum qui aderant (ce qui suffit dans les séances impériales du sénat) consilio fecit, ita ut per sententias omnium crearetur (Ms. : curaretur). Il ne peut s’agir là que des adlections. Cf. Vita Elagabali, 6.
[25] Au reste, le pouvoir arbitraire du président a certainement toujours subsisté.
[26] Cf. mes développements, Res gestæ, 2e éd. p. 35. Dion relate l’épuration du sénat sous la daté de l’an 736 (54, 43. 44) et attribue l’importance décisive à celle laite alors, ce que confirme Suétone, c. 37. Un renouvellement en a eu lieu en l’an 757 (Dion, 55, 43). Au contraire, la courte notice sur l’an 743 de Dion, 54, 35, parait apocryphe. L’épuration du sénat ne peut pas non plus avoir été absente des trois censures de 725-726, 746, 766-767, en particulier de la première (Dion, 52, 42. 53, 1. Suétone, Auguste, 35) ; mais elle s’y est probablement maintenue dans les limites ordinaires. Auguste a aussi, comme nous verrons, fait des révisions annuelles du sénat et procédé à des exclusions annuelles. — Au reste les épurations d’Auguste n’ont, en aucun cas, exercé une influence déterminante sur la constitution des pouvoirs ordinaires du prince en face du sénat.
[27] Claude : Dion, 60, 29. Tacite, Ann. 12, 4. — Vespasien : Suétone, Vesp. 9. Victor, Cæs. 9, 9.
[28] Lorsque le sénat exclut un de ses membres (Pline, Ép. 2, 12, 2 ; Tacite, Ann. 4, 31. 12, 59. 13,11. 14, 59 rapproché de 6, 3), ou il y a eu indubitablement une affaire criminelle jugée par le sénat, ou tout au moins rien n’empêche de rapporter l’exclusion à cette cause. Je ne trouve nulle part trace d’un droit général d’exclusion du sénat.
[29] Dion, 55, 3, sur l’an 745. C’est là l’album senatorium chez Tacite, Ann. 4, 42, et encore chez Corippus, De laud. Justini, 4, 142.
[30] Tacite, Ann. 4, 42. Cf. 16, 22.
[31] Dion, 57, 10. Tacite, Ann. 2, 48. Suétone, Tibère, 35, et Tacite, Ann. 1, 75. 2, 37. 38, racontent des cas concrets. Les relations de Dion sur les élections du sénat de 742 (54, 26) et 757 (55, 13) se rapportent évidemment à la même chose ; de même, les renseignements sur les sénateurs, quorum tenus explevit (Augustus), Mon. Ancyr. 6, 42 et les textes cités là.
[32] Suétone, Domitien, 8. Dion, 67, 13.
[33] Dion, 53, 17.
[34] En 757 Auguste conféra, d’après Dion, 55, 43, cette épineuse fonction à trois hommes de confiance tirés au sort sur dix sénateurs choisis par lui ; ce sont les tres viri legendi senatus de Suétone (Auguste, 37) qui, tout comme les tres viri turmis equitum recognoscendis voisins, étaient institués quotiensque opus esset.