LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LES CONSTITUTIONS IMPÉRIALES.

Les actes officiels du prince qui ne sont pas le produit d’une entente avec le peuple ou avec le sénat et qui ne rentrent pas non plus dans le cercle de la législation médiate, sont, au point de vue de la forme, ou des édits portés par la publicité à la connaissance de ceux qu’ils concernent ou des constitutions adressées aux intéressés, pour lesquelles il n’y a pas de publication officielle.

Les premiers sont régis par les formes traditionnelles des edicta. Naturellement le droit commun des magistrats d’adresser au peuple des communications et en particulier des ordres par voie d’affiches[1] ne fait pas défaut au prince. Cette forme a souvent été employée pour porter, d’une manière rapide et générale, à la connaissance de tous les intéressés une constitution individuelle concernant à la fois beaucoup de personnes[2]. D’autres édits rentrent quant au fond dans le domaine législatif[3] et ce ne sont pas seulement des règlements spéciaux[4], mais des dispositions d’ordre général, relatives, par exemple, à l’armée[5], aux recettes fiscales[6], aux subsistances[7], aux aqueducs et aux constructions[8] de la capitale et à beaucoup d’autres choses semblables[9]. Mais, en somme, les empereurs n’ont fait du droit de rendre des édits qu’un usage limité.

L’activité officielle proprement dite du prince se manifeste dans les constitutions impériales, les constitutiones, ou, comme on les appelle encore, les actes impériaux, les acta[10], désignation sous laquelle, au moins dans le langage rigoureux, on n’englobe pas les lois et les sénatus-consultes provoqués par le prince, mais seulement ses actes unilatéraux de magistrat et, en particulier, ceux que le magistrat porte officiellement à la connaissance des seuls intéressés. Pour assurer la constatation authentique de ces actes, de façon que l’on pût par la suite, à un moment quelconque, se reporter à l’acte concret, on avait les procès-verbaux impériaux (commentarii)[11] dans lesquels étaient enregistrés notamment[12] les accusations formées devant l’empereur[13], les décisions rendues par lui[14], les privilèges concédés par lui[15] et les noms des personnes en droit de toucher des traitements impériaux[16]. A cela s’ajoutait encore la correspondance de l’empereur, dans laquelle les instructions adressées aux magistrats (mandata principis) tiennent une place saillante[17]. Ces instructions ont, comme les édits, servi matériellement d’organe législatif, lorsqu’une nouvelle règle de droit était simultanément inscrite dans les instructions de tous les magistrats : c’est ainsi, par exemple, qu’est né le testament privilégié des militaires[18]. Les différentes formes de ces dispositions que relèvent les jurisconsultes, en particulier, les jugements (decreta, interlocutiones) et les écrits (epistulæ, subscriptiones), ne réclament ni ne comportent de lignes de démarcations rigoureuses. La forme extérieure dans laquelle se manifeste la volonté impériale est légalement indifférente.

La validité des constitutions impériales ou, selon la formule employée, le droit et le pouvoir du prince de faire et d’accomplir, dans les affaires divines et humaines, publiques et privées, tout ce qui lui paraîtra conforme au bien et à l’honneur de l’État a été reconnue en faveur d’Auguste et de ses successeurs, à l’imitation des dispositions analogues prises en l’honneur de César et des triumvirs[19] dans la mesure interne et externe la plus large, par une clause insérée dans la loi sur la puissance tribunicienne[20], à laquelle il était en même temps donné un effet rétroactif pour la période intermédiaire entre l’acquisition de l’imperium par le nouveau prince et le vote de la loi d’investiture[21]. La force ainsi donnée légalement à toutes les constitutions impériales, était encore accrue par l’insertion faite à côté des lois, dans le serment prêté le 1er janvier par les magistrats et par les sénateurs[22], des actes du dictateur César[23] et de ceux des princes, en tant qu’ils n’avaient pas été par la suite annulés ou tout au moins exclus du serment[24]. Les actes du prince régnant ont aussi été d’ordinaire compris dans le serment[25] et on a même fini par l’étendre à ses actes à venir[26].

Ce pouvoir se lie probablement au droit étendu et indéterminé de défendre et d’ordonner que possédaient les tribuns du peuple du temps de la République ; mais il constitue pourtant, dans cette forme et cette application, quelque chose d’essentiellement nouveau et de propre au principat : il pourrait même sembler, à première vue, qu’une interprétation restrictive est inadmissible en face de la clarté du sens des mots et que cette disposition ne fait autre chose que définir le pouvoir absolu. Ce n’est cependant pas le cas. Le prince est autorisé à prendre de son chef toutes les mesures pour lesquelles il n’y a besoin ni d’une loi ni de l’exemption d’une loi. Mais, au cas contraire, sauf dans les cas exceptionnels où le prince a le pouvoir législatif, ses ordonnances n’ont qu’une validité limitée. En premier lieu, elles sont révocables, en second lieu, elles sont restreintes à la durée de son règne, et, par conséquent, elles sont même absolument dénuées d’effet, quand un caractère provisoire serait incompatible avec leur objet. La volonté du prince ne peut rien changer à cela ; non seulement les constitutions qui se présentent expressément ou tacitement comme révocables, mais celles qu’il rend comme irrévocables peuvent, si elles ne rentrent pas dans ses attributions législatives, être révoquées par lui, sans violation du droit, à une époque quelconque et tombent de droit à sa disparition, à moins qu’elles ne soient, expressément ou tacitement, renouvelées par son successeur. Le peuple lui-même n’est pas en état de se lier par une loi et de s’enlever la liberté, d’écarter le lendemain la loi votée par lui la veille : le magistrat lie encore bien moins lui-même et ses successeurs en procédant à des actes qui sont par eux-mêmes révocables ou qui, lorsqu’ils pénètrent dans la sphère législative, exigeraient le concours du peuple ou du sénat. C’est le caractère éminemment individuel des actes du souverain qui ne sont pas couverts par des dispositions exceptionnelles, c’est, en particulier, la régularité avec laquelle ils disparaissent en même temps que leur auteur qui séparent le principat de la monarchie. La doctrine opposée, selon laquelle la volonté régulièrement manifestée de celui qui est au pouvoir est une loi et n’est pas atteinte par sa mort, a bien été préparée en pratique par le principat ; mais elle n’a été définitivement érigée en principe que par la monarchie de Dioclétien.

Le prince n’a donc pas le pouvoir de faire des lois, mais il tient de cette disposition le pouvoir le plus libre et, le plus étendu d’appliquer les lois. Il l’exerce avec une largeur qui empiète assurément sur le pouvoir législatif. Toute application du droit en vigueur faite par le prince à une espèce concrète, reçoit une force générale obligatoire, en ce sens que l’interprétation admise là par le prince (interpretatio) pour le point de droit dont il s’agit, s’impose à toutes les autres autorités judiciaires. C’est principalement en ce sens que les jurisconsultes, partant d’une idée juste, de l’idée selon laquelle la constatation légalement obligatoire de l’existence d’une loi, l’interprétation authentique, comme on l’appelle, est moins un acte interprétatif qu’un acte législatif, ont attribué force de loi (legis vicem) aux décisions spéciales des empereurs (constitutiones) qui, au lieu d’être déterminées par des considérations de personnes[27], tendent exclusivement à appliquer le droit existant[28]. L’application faite par voie d’analogie des règles de ces constitutions, qui ne contiennent pas d’innovation, ou tout au moins qui prétendent ne pas en contenir, n’est pas même, par conséquent, limitée à la vie de leur auteur, et elles ne paraissent pas avoir été atteintes par la rescission de ses acta[29]. Dans la première période, il n’y a guère pu y avoir pour cette interprétation authentique d’autre forme que celle des jugements prononcés par l’empereur ; et tant que le principat s’en est tenu là, son pouvoir d’interprétation a d’autant moins pu exercer sur le système du droit une influence prédominante, qu’à Rome les jugements n’étaient pas accompagnés de considérants. La forme établie, dés le temps de la République, pour l’application de la théorie scientifique aux espèces concrètes, la délivrance obtenue d’un jurisconsulte renommé, d’une consultation sur le côté juridique de la controverse, s’est maintenue sous le principat. Auguste intervint seulement dans ce domaine pour interdire la délivrance de consultations valables en justice aux jurisconsultes qui n’auraient pas reçu de lui une autorisation spéciale[30] ; les princes de la bonne époque, encore en particulier Trajan, s’abstenaient en revanche raisonnablement de délivrer eux-mêmes des consultations[31]. Mais, bientôt après Trajan, l’usage s’introduisit de soumettre l’espèce concrète au prince et de solliciter de lui une réponse écrite (rescriptum) qui, en sa qualité d’interprétation authentique et dans la mesure olé la décision dépendait de la solution d’une question de droit, ne tranchait pas seulement le procès ‘en suspens, mais la controverse juridique elle-même. Ainsi qu’il devait arriver nécessairement, cette interprétation authentique a peu à peu supplanté celle qui tirait sa seule force d’elle-même et a fait prévaloir dans ce domaine l’autorité exclusive du prince. Du reste, ces décrets, et ces rescrits impériaux n’étaient pas soumis au système de la publication[32] ; ils arrivaient à la notoriété seulement comme les autres jugements et les autres responsa, par l’activité privée des auteurs juridiques[33]. Ce n’est qu’à titre privé et dans la période récente de l’Empire qu’on a entrepris de rassembler ces monuments de l’interprétation authentiqué impériale et d’en publier des recueils.

Mais le principat s’est arrogé le droit d’appliquer la loi même au-delà des limites dé l’interprétation authentique. Quand le droit formel ne paraissait pas correspondre à l’équité, et que la législation n’avait pas posé et peut-être ne pouvait poser de règles générales, le prince a pris sur lui de faire prévaloir dans l’espèce concrète les exigences de l’équité sur l’iniquité du droit. Cela se manifeste de la façon la plus claire dans la contrainte par laquelle Auguste imposa dans des cas extraordinaires aux héritiers d’accomplir des legs nuls en la forme, des fidei commissa[34]. On retrouve quelque chose de semblable pour les nominations de tuteurs. Des constitutions impériales ont de même créé une série d’autres institutions qui pénètrent, au point de vue du fond, dans la sphère législative, dont nous avons déjà mentionné une partie au sujet des édits et des mandats, et dont nous mentionnerons le reste plus loin. Il est caractéristique qu’Auguste ait fait participer les consuls. à ces violations délicates de droits privés indubitables et en ait par conséquent fait assumer la responsabilité non pas au seul principat, mais à la dyarchie. Le caractère légalement obligatoire de ces constitutions ne pouvait, à vrai dire, être révoqué en doute en face des termes de la loi d’investiture. Elles ne se distinguaient des lois qu’en ce que le prince pouvait les retirer à un moment quelconque sans violation du droit et qu’elles s’évanouissaient de plein droit à sa mort si elles n’étaient pas renouvelées par son successeur. Le droit de rendre des ordonnances devenait là un droit de légiférer ; et le droit de rendre des ordonnances tel que l’avait développé la République offrait déjà l’instrument pour toute espèce de législation, voire même de codification, ainsi que le prouve, par exemple, l’histoire de l’édit prétorien. Mais, en fait, les usurpations du prince dans le domaine de la législation, si elles n’ont pas été sans importance, ont été beaucoup moins étendues qu’on ne devrait s’y attendre et peut-être plus restreintes que celles du préteur urbain sous la République. En premier lieu, la constitution impériale tranche d’ordinaire un point concret, et par conséquent elle se présente directement comme spéciale, même lorsqu’elle a un sens général. En second lieu, elle est ordinairement dépourvue de publication et par suite de la présomption légale de notoriété indispensable au caractère législatif. Ce n’étaient pas là des restrictions légales ; en outre, la première disparaissait pour les instructions uniformes données à tous les magistrats et la seconde elle-même pour les édits impériaux [et les rescrits publiés]. Mais c’est à ces deux points que tient le rôle secondaire joué en matière législative par les constitutions impériales. Sous l’un et l’autre rapport, les empereurs ont pris une position différente de celle des préteurs de la République ; ils ne se sont pas servi des édits de la même façon qu’eux, mais de la même façon que les consuls et ils n’ont utilisé la possibilité d’introduire par cette voie des règles durables qu’occasionnellement et le plus souvent en matière administrative. C’est pourquoi, lorsque le principat souhaite une loi nouvelle, c’est régulièrement le sénat qui y pourvoit[35] ; le pouvoir législatif exclusif du sénat en matière législative a été encore reconnu en théorie immédiatement avant le passage de l’ancien principat à la nouvelle monarchie[36]. Même lorsque le changement de principe se produisit dans la monarchie de Dioclétien et de Constantin et que la fonction législative fut devenue une prérogative du monarque, la loi de cette époque a pris la forme de l’écrit impérial qui introduisait le sénatus-consulte. A la vérité on a alors à côté d’elle utilisé celle de l’édit, et on a tenu désormais pour loi non seulement ce que le prince proposait comme tel au sénat mais tout ce que le prince notifiait à tous par voie de promulgation en forme[37].

 

 

 



[1] L’édit n’implique pas nécessairement un ordre ; il peut servir à exprimer une simple communication, un conseil, un avertissement. C’est également vrai des édits de l’empereur, ainsi que le montre, par exemple, le langage remarquable d’Auguste sur l’usage légal à faire de la question en matière criminelle, Digeste, 48, 18, 8, pr.

[2] Tels sont, en première ligne, les édits d’entrée en fonction des empereurs récents, par lesquels ils confirment en bloc les beneficia accordés par leurs prédécesseurs et dont nous parlerons dans le chapitre de la Révocabilité des actes impériaux ; en outre, ceux par lesquels des droits individuels sont accordés b. certaines catégories de personnes, ainsi, par exemple, celui de Claude de l’an 46 sur le droit de cité des Anauni (C. I. L. V, 5050) et ceux de Vespasien et de Titus sur le droit de latinité des Espagnols (statut de Salpensa, c. 22. 23). Cf. Gaius, 1, 55. 93.

[3] Au sujet de la condition juridique des θρεπτοί, Trajan fait remarquer à Pline, Ep. 66, qu’il n’y a pas de constitutions générales dans les actes impériaux. On distinguait donc, ainsi qu’il se comprend de soi, les constitutions impériales rendues pour tout l’empire des décisions spéciales, et il n’y avait pas pour les premières d’autre forme concevable que celle des édits.

[4] C’est ainsi qu’un édit d’Auguste (C. I. L. X, 4842) relatif à l’aqueduc de Venafrum règle entre autres points la procédure à suivre dans les litiges qui s’y rapporteront.

[5] C’est ainsi qu’un édit d’Auguste interdit l’exhérédation du fils de famille qui se trouve sous les drapeaux (Digeste, 28, 2, 26). On comprend sans peine que l’idée de la désertion soit définie par un édit du général (Digeste, 49, 16, 4, 13).

[6] Tels sont, par exemple, l’édit de Trajan sur la déclaration spontanée des commissa (Digeste, 49, 14, 13, pr.), celui rendu par Hadrien, à propos de l’impôt sur les successions, sur l’acceptation de l’hérédité (Cod. Just. 6, 33, 3 ; Cod. Theod. 11, 36, 26) ; celui de Marc-Aurèle sur la revendication des choses vendues par le fisc (Inst. 2, 6, 14 ; Cod. Just. 2, 37, 3).

[7] Tels sont l’édit de Claude accordant des privilèges personnels aux marins qui assurent l’importation des grains dans la capitale (Ulpien, 3, 6) et celui de Trajan contre l’usage de faux poids et mesures (Digeste, 47, 11, 6).

[8] Auguste rassembla dans un édit ex commentariis Agrippæ les dispositions prises par Agrippa pour la distribution des eaux (Frontin, De aq. 88. 99). Vespasien (Cod. Just. 8, 10, 2) et Marc-Aurèle (Digeste, 42, 5, 24, 1) rendirent, pour entraver la démolition des maisons, des édits, dont le second a eu une importance en matière de sûretés réelles.

[9] Édits de Claude sur la poste de l’empire ; du même empereur sur l’esclave malade abandonné par son maître (Digeste, 40, 8, 2 ; Cod. Just. 7, 6, 1, 3) ; du même encore, sur la nullité du legs écrit de la main du légataire (Digeste, 48, 10, 15, pr.) ; de Sévère, sur le transport des cadavres (Digeste, 47, 12, 3, 4), etc.

[10] De même que les pesta sont les actes militaires de l’empereur, les acta sont ses actes civils (par exemple, Suétone, Cæs. 23 : Acta superioris anni). Par rapport au magistrat isolé, on peut justifier la théorie de Cicéron, Phil. 1, 7, 18, selon laquelle les acta de chacun comprennent en premier lieu ses leges ; mais ordinairement, et avec encore plus de raison, on exclut les lois et encore plus les senatus consulta, comme ne venant pas du magistrat seul, et on entend par acta ses actes unilatéraux. Le mot est principalement employé pour les généraux qui organisent une province ; ainsi Tite-Live parle, 26, 32, 5 (cf. c. 31, 10), à propos de la soumission de la Sicile de Hiéron, des acta M. Marcelli quæ is gerens bellum victorque egisset. La même chose est rapportée chez Appien, B. c. 1, 97, de Sulla ; et l’on connaît les acta Pompeii, qui soulevèrent en particulier la question de savoir si c’étaient eux ou les acta de Lucullus cassés par Pompée qui étaient valables (Plutarque, Luc. 36 ; Pomp. 31. 38). On pense là surtout, sans pourtant exclure les actes irrévocables, tels que les jugements, aux décrets révocables des magistrats : ainsi les acta d’Asie de Pompée sont définis par Velleius, 2, 40 (cf. 44) comme aut promissa civitatibus a Pompeio aut bene meritis præmia, et par Appien, B. c. 2, 9, comme όσα βασιλεΰσι καί δυνάσταις καί πόλεσιν έδεώκει. Le gouverneur ne pouvait pas accorder de jouissances des biens domaniaux ou d’exemptions d’impôt qui s’imposassent à son successeur : il fallait pour cela que sa décision fût confirmée par un sénatus-consulte ou par une loi. Au point de vue de la forme, on pense, en parlant d’acta, principalement au procès-verbal écrit de décisions orales (cf. par exemple, C. Th. 1, 22, 3 ; C. Just. 10, 48, 2) ; mais cela n’exclut pas les ordonnances écrites, qui étaient, d’ailleurs, aussi insérées dans les procès-verbaux. — Naturellement l’étendue des acta était déterminée par celle des attributions du magistrat. Si les acta impériaux embrassent des affaires privées, — Antonin le Pieux déclara au sénat que la rescission des actes d’Hadrien mettrait en question sa propre adoption (Dion. 70, 1, rapproché de Vita Hadriani, 21) ; lors de la rescission des actes de Macrin, les paiements faits οΐκοθεν furent eux-mêmes annulés (Dion, 18, 18), — cela tient aux nombreux points de contact des affaires privées de l’empereur et de ses fonctions officielles. Cf. Vita Aureliani, 12.

[11] La véritable expression technique est commentarii, ainsi que le montrent les textes cités, dans les quatre notes qui suivent. Quand Suétone, Dom. 20, dit de Domitien que præter commentarios et acta Ti. Cæsaris nihil lectitabat, il parait vouloir désigner par la première expression les propres écrits de l’empereur (comme, par exemple, l’autobiographie de Suétone, Tibère, 61) et par la seconde les procès-verbaux officiels. — Il ne faut pas confondre avec ces procès-verbaux les commentarii diurni (Suétone, Aug. 64) ou l’ephemeris impériale (C. I. L. III, 536 : Procurator ab ephemeride). Lorsque Auguste demandait aux dames de sa cour de ne rien dire ou de ne rien faire qui ne pût être rapporté dans les commentarii diurni, il ne pensait pas à nos procès-verbaux administratifs, mais au journal de la cour (dont celui de Trimalchio dans Pétrone, c. 30, est la charge) où étaient insérées les convocations, etc., qui pouvaient passer de là dans les commentarii rerum urbanarum. Ce journal de la cour a été l’origine d’une littérature spéciale. L’empereur Aurélien provoqua une publication contenant le compte rendu de sa vie quotidienne (Vita, 1, où l’ensemble des idées montre qu’il ne s’agit pas d’un compte rendu officiel, mais d’une publication officieuse) et on rencontre souvent, dans la littérature récente de l’Empire, les epheremides de divers empereurs.

[12] Nous sommes peu renseignés sur le système d’archives des commentarii. Certainement ils constituent une institution commune à toutes les autorités et qui prend seulement pour le prince des proportions plus considérables. L’image la plus claire que nous en ayons nous est fournie par l’extrait du commentarium cottidianum de la ville de Cære (Orelli, 3787 = C. I. L. XI, 3614. Hermes, 2, 118). C’est un journal ; sur la feuille de titre de chaque tome, se trouve indiqué le jour auquel ce tome commence (et non pas le nouvel an) ; en fait les citations par paginæ et kapita ; il contient les décisions du conseil communal avec indication du nombre des présents, les dépêches qu’elles provoquent et les réponses à ces dépêches. Sans aucun doute il y avait, à côté de ce journal, un autre registre contenant les décisions du peuple et encore d’autres recueils d’actes spéciaux. — Bresslau, Die commentarii der rœmischen Kaiser, Zeitschrift der Savigngsliftung, Romanist. Abtheilunq, 6. 242 et ss. a exprimé la conjecture, très vraisemblable, que les évêques de Rome auraient purement et simplement adopté cette coutume et que les registres des papes tireraient leur origine de commentarii de notre espèce : mais nous ne savons pour ainsi dire rien sur ces registres avant Grégoire Ier, et à partir de là, on ne peut en attendre aucune lumière sur le fonctionnement pratique.

[13] Pour pouvoir agir contre les délateurs en demande à Domitien, en l’absence de Vespasien, ut commentariorum principalium potestatem senatui faceret, per quos nosceret, quem quisque accusandum poposcisset (Tacite, Hist. 4, 40). Gaius commentarios ad matris fratrumque suorum causas pertinentes, ne cui postmodum delatori aut festi maneret ullus metus, convectos in forum... concremavit (Suétone, Gai. 15).

[14] Dans le remarquable document de l’an 139, C. I. L. III, 411, le mandataire de la ville de Smyrne demande à l’empereur Antonin de prendre copie d’une constitution de son père Hadrien concernant les jeux de cette ville, ce que l’empereur accorde (sententiam divi patris mei, si quid pro sententia dixit, — c’est-à-dire, seulement la partie de l’acte qui contient le dispositif de la décision, — describere libi permitto). En conséquence, deux esclaves impériaux sont invités à lui présenter la pièce pour qu’il en prenne copie, et il en est pris une copie certifiée conforme.

[15] Trajan à Pline, 105 : Iis... dedisse me jus Quiritium referri in commentarios meos jussi.

[16] Ils sont transcrits dans le commentarium principes.

[17] L’affranchi d’Alexandre Theoprepes, C. I. L. III, 536, qui nous fait comprendre avec une clarté singulière la carrière d’un valet de la cour, a commencé par être surveillant de la vaisselle impériale, et il a été élevé successivement à la surveillance des harnais, puis à celle de la table impériale, puis à différentes inspections de biens impériaux, ensuite à la direction du bureau des instructions (procurator a mandatis), et de là à celle du journal de la cour, et, enfin, au poste de surveillant de différentes fabriques de pourpre impériales. Cf. sur les mandata, Friedlænder, Sittengeschichte, I, 5e éd., 176.

[18] Il se fonde sur une clause générale et permanente depuis Trajan (exinde mandatis inseri cœpit caput tale) des instructions des gouverneurs (Digeste, 29, 1, 1, pr.). On trouve des instructions semblables en matière de droit d’association (Digeste, 47, 22, 1, pr.), de dardanariat (Digeste, 41, 11, 6, pr.) et ailleurs encore (Digeste, 24, 1, 3, 1. 48, 49, 35). Un décret de Pergame du temps de Trajan (C. I. L. III, suppl. 7086) s’appuie sur un sénatus-consulte et sur un [κεφαλαΐον έκ τ]ν Καίσαρος έντολών ; il était donc permis, le cas échéant, aux intéressés d’en prendre copie.

[19] Dion, 44, 6. Appien, 75. Il est probable que la disposition de la loi d’investiture a d’abord été formulée pour les triumvirs et a été empruntée à la loi qui les institua. Le serment connexe relatif aux acta apparaît également dès le triumvirat.

[20] La formule est donnée par la loi d’investiture de Vespasien, ligne 17 : Utique quæcumque ex usu rei publicæ majestate[que] divinarum huma[na]rum publicarum privatarumque rerum esse censebit, si agere facere jus potestasque sit ita uti divo Aug(usto)... fuit. Gaius, 1, 5. Ulpien, Digeste, 3, 4, 1. Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 11. 12. C’est aussi à cette clause que font allusion Suétone, Gai. 14, et Sénèque, De consol. ad Polyb. 7, 2. Les historiens n’en parlent pas. Il n’y a à s’y rapporter que Dion, 58, 28 (cf. 52, 15), sur l’an 730. Seulement le principe de la monarchie absolue qui gagne toujours du terrain intervient naturellement là chez les auteurs récents. La loi elle-même évite de donner à ces dispositions vicem legis, et à bon droit, verrons-nous.

[21] C’est ce que montre la loi d’investiture de Vespasien.

[22] Dion, 53, 28. 58, 17. Tacite, Ann. 4, 42. 16, 22.

[23] Nous avons parlé, tome II, du serment prêté par les magistrats relativement aux acta de César sous sa dictature et sous le triumvirat. Tacite, Ann. 16, 22, dit que, même sous l’Empire, le serment continuait à s’y appliquer.

[24] Nous traitons ce point plus loin au sujet de la révocabilité et de la rescission des actes des empereurs.

[25] Tibère (Tacite, Ann. 1, 72. Dion, 57, 8. 58, 17. Suétone, Tibère, 26. 67) et Claude (Dion, 10, 10), commencèrent par refuser cette prérogative.

[26] Dion, 57, 8.

[27] Ulpien, Digeste, 1, 4, 1, 2.

[28] Fronton, Ad M. Cæsarem, 1, 6, ed. Naber, p. 14. Ce sont ces constitutions, et non pas celles qui introduisent directement de nouvelles règles, que les jurisconsultes ont théoriquement et pratiquement surtout en vue et auxquelles se rapporte le langage selon lequel la constitution impériale legis vicem obtinet.

[29] Tout au moins les jurisconsultes invoquent sans scrupule les décisions de Domitien (Digeste, 48, 3, 2, 1. Tit. 16, 16).

[30] Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 49. Gaius, 1, 7. D’après la suite des explications de Pomponius, il ne parait pas avoir été positivement prescrit par la loi de prendre l’autorisation de l’empereur ; mais celui qui aurait répondu sans avoir cette autorisation aurait fait un acte d’opposition et n’aurait sans doute trouvé ni consultants dans le public ni considération pour ses avis devant les tribunaux. Les paroles de l’empereur Caligula (Suétone, 34) annonçant qu’il supprimerait le métier des jurisconsultes et qu’il arriverait à faire ne quid respondere possint præter rem (ce sont ces deux mots, cf. Ad Herenn. 4, 1, 1, ou præter æquum, cf. Térence, Ad. 1, 1, 39 ; Plaute, Bacch. 3, 3, 14 = 418, qu’il faut sans doute lire au lieu de præter eum), témoignent de la jalousie inspirée aux empereurs par les auteurs de responsa.

[31] Vita Macrin, 13. Au contraire, Tertullien, Apol., 4. [L’interprétation proposée là sur le passage de la vie de Macrin relatif à Trajan est aujourd’hui écartée par M. Mommsen à la suite des nouveaux renseignements qu’a fournis l’inscription de Scaptoparéne, note suivante, sur la publication des rescrits. Il s’agit sans doute dans le texte de la publication des rescrits qui était la condition de leur autorité et l’auteur, parlant selon les habitudes de son temps, non pas des rescrits quelconques, mais des rescrits publiés, veut dire par les mots numquam libellis responderit, non pas qu’il ne répondit jamais aux demandes qu’on lui adressait, ce qui serait un singulier éloge, ni encore moins qu’il ne donna pas de responsa relatifs à des questions de droit, ce qui n’est pas le sens de libellis respondere, mais qu’il ne répondit jamais par voie de propositio, d’affichage, aux demandes qui lui étaient adressées. Cf. Zeitschrift der Savignystiftung, 12, 1892, pp. 262. 263.]

[32] [Cette conception, jusqu’à présent à peu prés unanime, se trouve aujourd’hui réfutée par l’inscription de Scaptoparéne publiée et commentée par M. Mommsen, Zeitschrift der Savignystiflung, 12, 1892. Romanist. Abth. pp. 246-267. Cette inscription contenant un rescrit de Gordien adressé en 238 aux habitants de la ville thrace de Scaptoparéne atteste expressément qu’elle le publie d’après une copie prise sur un registre officiel des rescrits publiés par voie d’affichage : Fulvio Pio et Pontio Proculo cons. XVII kal. Jan. descriptum et recognitum factum ex libeo libellorum rescriptorum a domino nostro imp. Cæs. M. Antonio Gordiano Pio Felice Aug. et propositorum Roma : in porticu thermarum Trajanarum in verba q(uæ) infra) s(cripta) s(unt). Cet affichage, auquel se rapportent sans doute la mention proposita et les mentions voisines mises avant la date à la fin des constitutions dans les codes, a dû être le critérium auquel se reconnaissait la force législative des rescrits ainsi affichés et enregistrés dans le liber libellorum rescriptorum et propositorum par opposition à ceux délivrés directement sans publicité au destinataire. C’est probablement à lui qu’il faut rapporter les indications d’après lesquelles les rescrits n’auraient commencé à fonctionner qu’à partir d’Hadrien ou tout au plus de Trajan (Vita Macrin, c. 1), c’est-à-dire n’auraient acquis force législative qu’à partir du système de publicité introduit alors. D’autre part, la suppression de l’autorité législative des rescrits prononcée par Constantin a dû trouver son expression toute simple dans la suppression de l’affichage. La pratique révélée par l’inscription de Scaptoparéne nous explique encore comment la commodité de ce procédé, qui dispensait de vérifier l’identité ou la qualité des destinataires de la constitution, a pu le faire suivre à l’administration pour nombre de constitutions simplement confirmatives du droit commun ou dépourvues d’intérêt juridique, qu’on s’étonnait de trouver insérées dans les recueils. Elle nous fait enfin connaître dans les registres précités la source où les jurisconsultes et les auteurs de recueils ont pu aisément se procurer une si grande quantité de rescrits adressés à des habitants de toutes les parties de l’empire.]

[33] [v. la note précédente.]

[34] L’intention d’Auguste n’était aucunement de rendre le legs dépourvu de formes absolument obligatoire, quoique sa réforme ait finalement abouti à cela. Si tel avait été son but, il aurait proposé une loi dans ce sens. Ce qu’il voulait, c’était un remède extraordinaire de droit pour des cas extraordinaires, et une pareille pensée ne pouvait être formulée dans une loi.

[35] Ainsi Tibère dit pour le mariage par confarréation : Medendum senatus decreto aut lege (Tacite, Ann. 4, 16). Cas analogues dans Tacite, 12, 7. 60. C’est aussi à cela que se rattachent les délibérations du sénat dans la maison de l’empereur autorisées pendant la vieillesse d’Auguste.

[36] Vita Probi, 13. Secundum orationem (c’est-à-dire dans une allocution en formes) permisit patribus, ut... leges, quas Probus ederet, senatus consultis propriis consecrarent.

[37] La constitution connue de 426 (Cod. Just. 4, 44, 3) définit la lex, de telle sorte qu’on doit entendre par là une ordonnance impériale désignée comme étant un edictum, ou adressée à l’un des deux sénats, ou expressément déclarée avoir une portée générale. Les deux premières formes, — la troisième n’en est pas une, — sont évidemment l’ancien édit impérial et l’ancienne oratio ad senatum ; cette dernière est déjà, du temps des Sévères, en partie rédigée de telle sorte (Digeste, 27, 9, 1, 1) qu’elle sonne comme un ordre et non comme une motion.