LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LA QUESTURE.

 

 

III. — LES QUESTEURS ITALIQUES.

Enfin la soumission de l’Italie à Rome provoqua, en l’an de Rome 487, l’établissement de quatre[1] nouveaux questeurs, qui semblent avoir porté le nom de classici en qualité de magistrats affectés en premier lieu à la construction de la flotte[2]. Les attributions de ces magistrats ne sont qu’imparfaitement connues. Ce sont encore certainement des auxiliaires des consuls ; ils ont évidemment tiré leur origine de ce que le département administratif des consuls embrassait l’Italie et les pays continentaux limitrophes et qu’il était nécessaire pour la puissance dominante de posséder des magistrats à elle dans les territoires soumis. A ce point de vue, nos questeurs sont les prédécesseurs des futurs questeurs provinciaux et ont nécessairement été, par rapport aux consuls, dans une situation semblable à celle occupée par les questeurs par rapport aux préteurs provinciaux. Mais il y a pourtant une différence essentielle : c’est qu’ils ne sont pas attachés à un consul déterminé et que par suite, ils sont au contraire, sous ce rapport, assimilés aux questeurs urbains. Leurs résidences étaient Ostie[3], Calès en Campanie[4] et la Gaule Padane[5], ce qui doit probablement s’entendre de Ravenne[6]. Le siège du quatrième questeur ne nous est pas indiqué : il n’est pas impossible qu’il s’agisse là de celui résidant à Lilybæum, l’île de Sicile ayant dû forcément, pendant les premières années, être administrée de Rome et n ayant reçu que plus tard des magistrats supérieurs propres[7]. — Les attributions de ces questeurs doivent en général avoir présenté le même caractère que celles des questeurs provinciaux ; sauf qu’en fait, ils agissaient sans doute plus librement par suite de l’absence plus fréquente du général en chef. Leur situation militaire doit avoir été analogue à celle des questeurs des généraux et ils ont exercé le commandement en cas de besoin[8], quoiqu’en général il n’y eut pas de troupes dans leurs circonscriptions. Nous ne savons rien de la part prise par eux à, la juridiction et il est probable qu’ils y ont été étrangers ; car les procès italiques ne sont pas de la compétence des consuls, mais de celle des préteurs de la capitale, en sorte que les consuls ne pouvaient pas, comme les préteurs provinciaux, déléguer la juridiction. Leur rôle principal était sans aucun doute administratif, en premier lieu, la réunion des contingents dus par les alliés en navires[9] et en hommes[10] et, dans la mesure où il y en avait, des redevances dues à Rome[11]. Pour la questure d’Ostie, il fallait ajouter la surveillance du commerce des blés d’outre mer[12]. — De ces quatre questures, celle de Sicile, si elle en a fait véritablement partie, passa parmi les questures provinciales en 527 ; celle de Campanie semble avoir disparu bientôt après l’an 24[13] ; celle de Gaule et celle d’Ostie furent enfin supprimées par Claude en l’an 44, lorsqu’il rendit aux questeurs l’administration de l’Ærarium[14].

En dehors des compétences des questeurs que nous venons d’exposer, nous rencontrons encore confiée à un des questeurs, au moins aux derniers temps de la République, la provincia aquaria, c’est-à-dire probablement la surveillance des aqueducs de la capitale[15]. Nous ne pouvons deviner dans quelle relation était cette surveillance des questeurs avec les compétentes voisines des édiles et des censeurs. Elle n’existe plus sous le Principat.

Il n’arrive guère, en dehors des jeux, que les questeurs agissent en commun. Dans les pseudo-procès relatifs au renvoi de subalternes des questeurs de l’Ærarium, tous les questeurs présents paraissent avoir eu le droit de vote.

La questure a, comme la préture, passé, en qualité de magistrature de la ville de Rome, dans la constitution de Dioclétien et de Constantin, sans doute parce que l’une et l’autre étaient chargées de l’organisation des jeux[16].

 

 

 



[1] Le chiffre résulte de Tacite, Ann. 11, 22 (cf. Tite-Live, Epit. 15, où le nombre manque dans le manuscrit). Si Lydus (note 2) parle de douze questeurs de la flotte, Niebuhr a reconnu là avec raison une corruption de l’assertion rapportée par Tacite selon laquelle le nombre des questeurs fut alors porté de quatre à huit.

[2] La dénomination se trouve seulement chez Lydus, De mag. 1, 27. Les propositions de Niebuhr, Rœm. Gesch. 2, 483 et as.= tr. fr. 4, 159 et ss., de considérer les quæstores classici comme élus dans les comices par centuries et de Huschke, Servius, p. 399, d’y voir les questeurs affectés à l’armée, sont toutes deux aussi arbitraires que superflues : les circonstances historiques (v. ma Rœm. Gesch. 1, 81 éd. 417 = tr. fr. 2, 235) et la résidence des questeurs dans les ports de mer les plus importants ou dans leur voisinage décident également en faveur de l’explication qui est la plus naturelle au point de vue de la langue et qui nous a été transmise. — La date est confirmée par Tite-Live, loc. cit., dont la relation se place entre 487/488 et 490 et par le rapport qu’établit Tacite entre le doublement des questeurs et la soumission de l’Italie. Dion, 55, 4, indique inexactement cette institution comme venant d’Auguste. — C’est à tort que j’ai rattaché à ceci l’έπί τοΰ ναυτικοΰ ταμίας du décret de Lampsaque.

[3] Cicéron, Pro Sest. 17, 39 (cf. De harisp. resp. 20, 43). Pro Mur. 8, 18. Velleius, 2, 94 (cf. Suétone, Tibère, 8 ; Dion, 53, 28). Dion, 55, 4. Suétone, Claude, 24.

[4] Tacite, Ann., 4, 27, raconte qu’en l’an 24, un soulèvement d’esclaves fut réprimé dans la contrée de Brundisium par les équipages des deux galères qui se trouvaient là fortuitement de passage et à la tête desquels se mit le questeur Curtius Lupus. On voit par là que Brundisium faisait aussi partie de sa circonscription ; c’est probablement le même questeur que nous rencontrons à Formiæ en 695 (Cicéron, Ad Att. 2, 9, 1). Si sa circonscription administrative comprenait toute l’Italie méridionale, Calès était pour elle un chef-lieu bien approprié ; en outre, Calès était la plus ancienne colonie latine de Campanie et sans aucun doute la capitale romaine de la Campanie, lorsque ces questures furent créées.

[5] Plutarque, Sertor. 4. Suétone, Claude, 24.

[6] L’indication du Padus et le rôle postérieur de Ravenne sont favorables à cette idée ; cependant la colonie latine d’Ariminum dans l’ager Gallicus peut avoir été le siège de cette questure comme Calès est celui de la questure de Campanie.

[7] Rœm. Gesch. 1, 8e éd. 545 = tr. fr. 3, 88. En dehors du fait que les préteurs n’ont été nommés qu’en 521 pour la Sicile (romaine depuis 513) et la Sardaigne (romaine depuis 516), on peut invoquer dans ce sens que Tacite (note 1) rattache l’établissement des quatre nouvelles questures, non seulement à la soumission de l’Italie, mais à l’adjonction des provinces

[8] Tacite, Ann. 4, 27.

[9] D’où quæstores classici.

[10] Plutarque, Sertor. 4.

[11] On ne peut assurément point admettre une imposition régulière de l’Italie telle que la suppose Tacite (note 1).

[12] Cicéron, De har. resp. 20, 43 et les textes cités note 2.

[13] Car, à partir de la suppression des questures de Gaule et d’Ostie, il ne resta plus aucune questure italique (note 14).

[14] Suétone, Claude, 24. Dion, 60, 24.

[15] Cicéron, In Vatin. 5, 12 : In eo magistratu (comme questeur), cum tibi magno clamore aquaria provincia sorte obtigisset, missusne sis a me consule Puteolos, ut inde aurum exportari argentumque prohiberes ? sur quoi le scoliaste, p. 316, remarque : Quæstor e lege Titia provinciam tacitam et quietam (ce qui paraît tiré de Pro Mur. 8, 18, v. note 2) : hic igitur Vatinius aquariam sortitus erat, id est ut aquæ curam sustineret. La provincia aquaria ne peut pas, de fait, signifier autre chose et on ne voit pas non plus pourquoi un questeur spécial ne pourrait pas aussi bien être affecté aux aqueducs de la capitale qu’au port d’arrivage de blé de la capitale. L’envoi de Vatinius à Puteoli est évidemment extraordinaire et prouve seulement que le questeur qui administrait la provincia aquaria, s’il remplissait ses fonctions à Rome, n’était pas attaché à la capitale comme les quæstores urbani et pouvait être envoyé en Italie par le consul. La proposition de Nipperdey (sur Tacite, Ann. 4, 21) de l’identifier avec le questeur de Calès, parce qu’il y a des bains à Puteoli, est aussi inadmissible que l’identification habituelle de ce questeur avec celui d’Ostie, parce que cette ville est au bord de l’eau. La vérification de la construction d’un aqueduc, confiée par exception, en 638, aux questeurs, n’empêche pas davantage, quoiqu’en pense Hirschfeld, Verwaltungsgeschichte, 1, 462, d’attribuer à l’un d’eux une participation régulière à l’administration des aqueducs.

[16] [Cf. Neues Archiv, 14, 1888, p. 453, note 1. Des deux inscriptions de Nicomachus Flavianus, C. I. L. VI, 1182. 1183, la seconde nomme seulement les magistratures impériales et parmi elles la questure impériale ; la première nomme en outre à côté d’elle les fonctions de la ville de Rome de quæstor, prætor, pontifex major. Lorsque la questure figure sans qualification sur les inscriptions de ce temps, il s’agit toujours de celle de la ville de Rome.]