LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LA CENSURE.

 

 

C’est la constitution de l’État qui détermine à quelles conditions les citoyens appartiennent à la cité ou, ce qui n’est qu’une autre expression du même fait, à l’une des divisions qui la composent ; c’est aussi la constitution de l’État qui détermine les prestations dues par les citoyens dans l’intérêt public. Mais il faut, quant aux deux points, donner aux règles théoriques une formule d’application pratique. Il faut dresser la liste des membres de la cité et il faut préciser pour chacun la fortune sur laquelle se mesureront ses charges. L’acte officiel, constitué par la confection de cette liste et par cette détermination des charges, faite non pas d’après la rigueur du droit inapplicable à l’évaluation du montant journalier de la fortune, mais avec une équitable liberté, s’appelle l’arbitraire, census[1]. Tandis qu’un créancier, que ce soit l’État ou un particulier, ne peut jamais fonder ses réclamations contre son débiteur que sur le droit et la loi, l’État qui réclame l’impôt demande une contribution fixée par lui à son gré ; et c’est principalement de là[2] que l’acte a tiré son nom. Les individus changent et les fortunes le font également. Il était donc nécessaire de répéter, à intervalles fixes, le relevé des citoyens et la détermination des forces imposables ; en sorte que chaque census est en vigueur seulement jusqu’à ce qu’il ait été confirmé ou modifié par un nouvel acte du même genre. En partant de là, on considère ce règlement des personnes et des fortunes, qui trouve son expression juridique dans l’acte final du lustrum, comme une fondation (condere) périodiquement renouvelée de la constitution du peuple[3]. Il se peut qu’un acte de ce genre ait déjà existé dans l’État patricien. Mais les théoriciens du droit public romain rattachent avec raison le cens et le lustre qui nous sont connus à la formation de la cité patricio-plébéienne postérieure, à la constitution dite de Servius[4].

Lustrum, qui signifie lavage, expiation[5], peut se dire de tout acte de purification religieuse. Il désigne par excellence le sacrifice expiatoire qui, une fois la cité reconstituée par l’acte que les Romains désignent du nom de census, est offert par les magistrats qui ont accompli cet acte pour le peuple réuni tout entier au champ de Mars et disposé selon le nouveau classement. Ce sacrifice expiatoire, des formes duquel il sera question plus loin, a dans le recensement une portée analogue à celle du coup par lequel on fait dans la translation de propriété résonner la balance avec le morceau de métal. II rend le cens parfait. Tous les actes faits par le censeur en vertu de ses fonctions ne sont pas des préliminaires de la lustration ; mais ceux qui ont ce caractère, l’établissement des données matérielles nécessaires pour la confection des listes et l’établissement des listes elles-mêmes, sont légalement nuls, si l’on n’en arrive pas à finir par ce sacrifice expiatoire[6], si l’on n’en arrive pas à cette lustration qui donne la vie à la constitution de l’État[7]. Et, quand la question se présente, c’est de cette lustration que date leur efficacité légale[8]. A partir de là les magistrats que cela concernait doivent s’être servis des nouvelles listes ; ainsi, par exemple, le retrait par les censeurs du droit de suffrage doit avoir produit effet dans les comices à partir du lustre. A ce point de vue, chaque cens apparaît comme un acte juridique isolé, se suffisant à lui-même ; et la compétence des magistrats spéciaux nommés à partir d’une certaine époque pour cet acte se détermine par là. Tandis que les autres magistratures ont en général été constituées pour toute une sphère d’opérations, afin de procéder à une série d’actes officiels de natures diverses, les censeurs, comparables en cela au dictateur[9] et encore mieux aux duumvirs ædi dedicandæ sont principalement chargés de l’accomplissement d’un acte juridique isolé qui s’opère à un moment donné.

Le soin du cens a incombé, dès le principe, à la magistrature supérieure. Le cens a été fait d’abord par le roi, — c’est au dernier des rois réguliers qu’on attribue la fondation de la censure et l’accomplissement des quatre premiers lustres[10] ; — puis par les consuls[11]. Jamais le cens n’a été fait par un dictateur, car cet acte, exclusivement urbain, n’a rien de commun avec l’imperium militiæ[12]. Mais dès le début du IVe siècle, selon les annales qui nous ont été transmises, dès l’an 341, mais probablement seulement depuis l’an 319, — cette fonction a été distraite des attributions du consulat[13]  et confiée à deux magistrats spécialement élus à chaque fois pour la remplir. La séparation ne peut guère avoir été motivée par des intérêts de classes[14] ; elle l’a probablement été par l’impossibilité où l’on s’est trouvé de laisser plus longtemps à la charge des magistrats supérieurs, toujours occupés par les expéditions militaires, cette opération qui exigeait inévitablement un séjour prolongé à Rome et que son caractère d’intermittence rendait particulièrement pénible pour le collège qui devait y procéder[15]. — La séparation opérée entre la censure et le consulat[16] s’étendit aux magistratures ayant la puissance consulaire, en particulier au tribunat militaire consulari potestate ; dans les années de censure, on nomme, à côté des tribuns militaires au nombre de six ou dé moins, deux censeurs spéciaux comme quand il y a des consuls, on les nomme à côté des consuls. La séparation a été faite pour le lustre et les opérations qui s’y rapportent avec la même rigueur que pour la juridiction civile lors de la création de la préture : dans les intervalles des censures, ces opérations sont suspendues[17]. — Sulla n’a pas supprimé la censure lors de sa réforme de la constitution[18]. Mais il l’a pratiquement mise à l’écart en faisant les actes qui incombaient aux censeurs s’accomplir autrement et en permettant à l’administration de fonctionner sans l’intervention de la censure[19]. La suppression de fait n’a pas eu une longue durée ; car des censeurs ont de nouveau procédé au lustre en 684, et il y en a eu tout au moins des nominations à plusieurs reprises jusqu’à la chute de la République. Mais les dispositions qui permettaient de se passer de la censure ont subsisté, et la censure est devenue par là d’une institution régulière une institution d’exception. Elle garda le même caractère sous l’Empire. Auguste ressuscita la censure en rétablissant le régime républicain en 725-726, et, revenant au système primitif de la République, il accomplit le cens en qualité de consul avec son collègue dans le consulat M. Agrippa[20] : pour les deux recensements auxquels il procéda par la suite, le premier seul et le second avec Tibère, ce ne fut pas non plus la puissance censorienne, mais l’imperium consulaire qu’il fit attribuer à lui et à son collègue[21]. Cependant il y a eu, à côté de cela, sous son gouvernement, des censeurs proprement dits qui n’étaient pas en même temps consuls ; et les empereurs postérieurs, au lieu de se conformer à l’exemple d’Auguste, ont de nouveau séparé la censure du consulat[22]. Elle a été ainsi revêtue par Claude et en 74 par Vespasien et Titus. Mais le lustre accompli par Vespasien et Titus a été le dernier. La censure était devenue depuis Sulla quelque chose d’extraordinaire ; Domitien y a mis fin en la revêtant à vie[23], car un de ses éléments essentiels est le lustre qui la divise par intervalles, et le lustre a disparu alors, si bien que la mention de l’acquisition de la censure ne peut s’entendre là que de l’acquisition : de certains pouvoirs des censeurs, notamment de celui de compléter le sénat. Après la chute de l’empereur abhorré, la, censure fut probablement supprimée à jamais, comme l’avaient été la royauté après l’ex-pulsion des Tarquins et la dictature après le meurtre de César ; tout au moins aucun empereur n’a depuis porté le titre de censeur[24]. A la vérité, les pouvoirs que Domitien s’était arrogés en cette qualité, restèrent à ses successeurs[25] et s’ajoutèrent aux nombreux pouvoirs officiels qui appartenaient à l’empereur sans titre spécial. Par ses pouvoirs grandioses comme par son arbitraire sans limites, par sa haute noblesse morale et par l’égoïsme de son patriotisme local, la censure est l’expression parfaite de la République romaine et, elle est par essence incompatible avec le Principat.

Le titre officiel est censor[26], en grec τιμητής[27]. — La loi de la collégialité est naturellement appliquée aux censeurs[28]. Elle a même été observée pour eux avec une rigueur particulière ; car le censeur qui se trouve seul par une circonstance accidentelle quelconque semble avoir été frappé de l’interdiction d’exercer ses fonctions[29], tandis qu’en pareil cas le consul ou l’édile continuait sans objections l’exercice de son pouvoir.

Les conditions d’éligibilité ont probablement été, dès le début, les mêmes que pour le consulat, et par conséquent elles comprenaient alors le patriciat[30]. On ne peut décider avec certitude si la loi licinienne de 387 a seulement ouvert aux plébéiens le consulat, comme le prétendent nos relations, ou si elle ne leur a pas, comme on serait plus tenté de croire, ouvert toutes les magistratures patriciennes[31]. Ce que nous avons remarqué pour la dictature et pour la préture n’est pas moins vrai pour la censure : il n’est question nulle part de la loi qui I’aurait rendue accessible aux plébéiens ; on trouve seulement en 403 la mention de l’arrivée du premier plébéien à la censure[32]. Une des lois Pobliliæ de 415 étendit à la censure la règle déjà portée pour le consulat par la loi Licinia, selon laquelle un des collègues devrait nécessairement être plébéien[33]. Soit la loi de 412 qui confirma l’admissibilité de l’élection de deux consuls plébéiens, soit plus probablement cette loi Poblilia de 415 que nous venons de signaler, permit même d’élire deux plébéiens comme censeurs[34]. Mais la première application pratique faite de cette faculté ne s’est présentée qu’en 623[35]. Le lustre est encore resté réservé au censeur patricien un certain temps après que la censure elle-même avait été ouverte aux plébéiens ; le censeur plébéien a pour la première fois accompli cette solennité en 474[36]. — Nous avons déjà expliqué que l’occupation de la censure n’a probablement jamais été subordonnée par la loi à l’occupation préalable du consulat, mais qu en fait il n’y avait, dans la période récente de la République, que les consulaires à y arriver. Nous reviendrons plus bas sur le rapport de fait des deux magistratures. — Nous avons également déjà remarqué que l’itération a été interdite pour cette magistrature depuis la fin du Ve siècle[37] ; et aussi pareillement que rien ne s’oppose au cumul de la censure avec une autre magistrature curule.

Made d’élection. Sans doute en considération de ce que le cens constituait, de même que la juridiction, une portion intégrante des attributions de la magistrature supérieure, on a appliqué aux censeurs le mode d’élection des consuls. Ils sont élus par le peuple dans les comices par centuries[38], sous la présidence d’un consul ou d’un magistrat ayant la puissance consulaire. Ils n’ont pas le pouvoir de présider eux-mêmes l’élection ; car ils ne peuvent provoquer de résolution des comices[39]. — La censure étant une magistrature intermittente et l’élection de nouveaux censeurs ne pouvant par suite avoir lieu qu’en un temps où il n’y en a pas, les censeurs entrent en fonctions dans les formes en usage, aussitôt après l’élection, et il n’y avait pas, au moins au temps de la République, de censeurs désignés. — Les élections complémentaires semblaient prêter à objection pour cette magistrature, qu’il n’y eût qu’un candidat d’élu au premier tour ou que l’un des censeurs eût disparu avant l’accomplissement du lustre. C’était probablement moins en vertu de scrupules religieux, que parce que l’unité du cens exigeait la communauté durable d’action des collègues et qu’il ne fallait pas troubler l’entente nécessaire pour chaque acte par l’entrée en fonctions d’un collègue avant l’autre ou par des mutations de personnes. — C’est un trait propre de la censure que la promesse d’obéissance faite par le peuple aux nouveaux censeurs ne leur est pas faite, comme aux autres magistrats, par curies, mais par centuries. — En dehors du serment ordinaire in leges, que les censeurs prêtent comme les autres magistrats, à leur entrée en charges et à leur sortie du pouvoir, on mentionne encore un serment spécial de loyauté qui devait être prêté par eux[40] et dont le caractère était sans doute approprié à celui de la magistrature.

La durée de la censure n’est pas limitée par le terme des pouvoirs des consuls qui ont nommé ses titulaires ; car les censeurs ne sont pas collègues des consuls[41], et par suite la retraite des seconds n’entraîne aucunement celle des premiers, comme elle entraîne celle des dictateurs. Ils exercent même ordinairement leurs fonctions à côté de deux couples de consuls. — La censure n’est pas non plus une fonction annale ni même une fonction qui ait son terme à une date fixe du calendrier ; car la triche des censeurs consiste principalement dans l’accomplissement d’une opération qui implique une préparation plus ou moins longue, mais qui se réalise en un trait de temps et qui se reproduit à intervalles répétés. — Les termes fixés à la censure sont de deux sortes : d’une part, ils concernent l’intervalle qui doit exister entre deux censures ou, ce qui est la même chose, la durée légale de validité des décisions des censeurs ; en second lieu, un terme est fixé aux censeurs, par analogie à ce qui existe pour la dictature, pour l’accomplissement de l’opération dont ils sont chargés[42]. Nous devons ici étudier ces deux délais.

La censure est, dès le principe et de droit, coupée par des intervalles, en ce sens qu’elle ne produit et n’entend produire effet que jusqu’au prochain acte du même genre, en ce sens que des institutions politiques stables ne peuvent être introduites par cet arbitraire. Ce principe simple en théorie soulève des difficultés dans son application pratique. En théorie, l’intervalle est considéré comme égal. En pratique il varie à chaque fois. L’égalité de l’intervalle est de la nature de l’institution. Non seulement le lustre lui-même et encore plus le calcul des lustres[43] ne peuvent avoir de sens et de portée que si on voit là, comme institution première, une période réglée, pour laquelle les olympiades grecques ont probablement servi de modèle[44] ; mais les meilleures autorités considèrent le lustre comme un laps de temps qui devrait être égal d’après les principes et qui est devenu inégal par une pratique irrégulière[45] ; le cens doit avoir lieu quinto quoque anno ; normalement les décisions des censeurs sont quinquennales[46] et les contrats des censeurs expirent dans le même délai[47]. Seulement cette périodicité d’apparence fixe a été altérée. En premier lien, les mots quinto quoque anno ne sont pas à la vérité équivoque ; ils correspondent sûrement, selon des façons de parler anciennes et arrêtées à notre tous les quatre ans[48], mais ils ont de bonne heure été interprétés comme pouvant aussi vouloir dire tous les cinq ans, et c’est cette dernière interprétation qui a fini par prévaloir. Par corrélation, lustrum signifie régulièrement dans les sources que nous possédons, quand il désigne une mesure du temps, un délai de cinq ans, quoique l’usage du mot, dans le sens de délai de quatre ans, n’ait pas entièrement disparu[49]. Il ne peut guère y avoir eu là l’effet d’une véritable confusion. La cause doit plutôt être cherchée dans la tendance inévitable des institutions de ce genre à la prolongation, ensuite et surtout dans le fait que les entrepreneurs privés trouvaient en général leur compte à reculer le plus possible le terme d’expiration de leurs baux des recettes publiques et de leurs marchés d’entretien des choses publiques (car c’est là surtout que la limite chronologique tirée du lustre a de l’importance) ; leur gain se trouvait augmenté par toute prolongation du délai de ces opérations, certainement avantageuses pour eux en dehors de rares exceptions. La manière extravagante dont l’intercalation du mois complémentaire a été faite dans le calendrier romain a, selon le témoignage exprès des Anciens, été principalement provoquée par les avantages et les inconvénients qui résultaient pour les fermiers de l’impôt de la différence de longueur de l’année[50]. Le lustre porte les traces de manipulations pareilles et encore pires. Elles sont loin de se montrer exclusivement dans l’interprétation usuelle des termes de la loi, aussi contraire aux règles de la langue que favorable aux fermiers des impôts, dont nous venons de parler. Elles se manifestent encore plus nettement dans l’extension de l’intervalle effectif des lustres que nous permettent d’apercevoir les débris des fastes. En admettant pour principe que le lustre doit être quadriennal, que par conséquent il doit y avoir entre deux années de magistrats accompagnées de lustration trois années de magistrats sans lustre, on ne rencontre une abréviation d’un an que dans cinq cas, parmi lesquels il y en a trois[51] où nous avons la preuve que l’anticipation de la censure a été commandée par les raisons politiques les plus pressantes et un quatrième[52] est encore irrégulier à d’autres points de vue. Le lustré quadriennal régulier se présente quatre fois[53] et sans qu’il soit jamais motivé par des raisons spéciales. Le lustre quinquennal prédomine de beaucoup : il faut en particulier qu’après la longue interruption des dix premières années de la guerre d’Hannibal, il y ait eu, lors de la réapparition de la censure en 45, une réglementation sérieuse de l’intervalle faite selon ce principe ; car il a été appliqué constamment pendant les cinquante années qui ont suivi. On trouve très fréquemment des intervalles plus étendus tant dans la période antérieure à la guerre d’Hannibal qu’au vue siècle et il est remarquable que plus on remonte dans la liste des cens, plus les lustres se suivent irrégulièrement[54].

Cette divergence de la théorie et de la pratique tire probablement son origine de ce que le lustre devait bien constitutionnellement avoir lieu quinto quoque anno, mais que la constitution ne présentait pas de moyen de contraindre les consuls à y procéder à la date convenable ou plus tard à procéder à cette date à l’élection des censeurs : aussi la règle a-t-elle été appliquée avec un arbitraire qui la supprimait en pratique, tant que la magistrature a conservé sa liberté d’action. Quand ensuite, ainsi que ce fut définitivement réglé pendant la guerre d’Hannibal, le sénat fut devenu le véritable gouvernant et la magistrature fut tombée dans sa dépendance, on ne revint pas à l’ancien principe de la quadriennalité ; mais on a appliqué avec logique le système alors existant de la quinquennalité, les comices électoraux des censeurs ayant lieu désormais régulièrement, comme les nominations de dictateurs, en vertu d’un sénatus-consulte[55], auquel les consuls obéissaient sans résistance. L’immuable stabilité des intervalles des lustres entre 545 et 641 reflète le gouvernement solidement établi du sénat aussi clairement que sa décadence progressive et toujours croissante se retrace au VIIe siècle dans les ajournements toujours plus fréquents et plus étendus du lustre.

L’intervalle lustral normal, qu’il soit de quatre ou de cinq ans, n’est autre chose qu’une prescription administrative ; dans la pratique, le temps qui sépare en fait les deux lustres entre seul en ligne de compte. C’est un point établi pour les rôles quinquennaux du cens et de l’armée ; de même, lorsque des jeux sont promis[56] ou que des contrats sont conclus in insequens lustrum[57], il ne s’agit pas là d’un quadriennium ou d’un quinquennium, ou d’un nombre déterminé d’années quelconque, il s’agit exclusivement des années qui s’écouleront jusqu’au prochain acte de lustration[58].

Le lustre n’a donc, en fait, de délimitation chronologique ni quant à l’année où il commence ni quant à celle où il finit. Il n’en a pas davantage quant aux jours où il commence et où il finit : il peut s’ouvrir n’importe quel jour du calendrier. Et ce principe a certainement été observé pour les rôles du cens et de l’armée. Quand, au contraire, un contrat était conclu par les censeurs pour le lustre, le nombre des années qu’il fallait entendre par là à chaque fois dépendait bien, comme pour les rôles, de l’entrée en fonctions des censeurs suivants, le contrat pouvait rester en vigueur tantôt plus d’années tantôt moins et l’État pouvait à tout moment entraîner l’extinction de tous les contrats en cours par la provocation d’élections de censeurs. Mais il était indispensable que, pour ces rapports juridiques, l’année commençât à un jour fixe ; car les plus importants des contrats faits par les censeurs étaient des locations de terrains et, s’il était possible de les conclure pour un nombre d’années encore indéterminé, il fallait cependant forcément que les années de location fussent des années complètes, que, quand le fermier avait semé, la récolte fut pour lui. En fait il existait pour les contrats des censeurs une année de compte commençant à une date du calendrier arrêtée et parfaitement appropriée aux locations de terres, à la date du 15 mars. L’existence ne peut, à la vérité, en être établie que pour la période récente de la République[59] ; mais elle a probablement existé de toute antiquité. Le commencement fixe de l’année des magistrats les plus anciens, qui se place également au 15 mars[60], est plutôt venu de celui de l’année des censeurs que ce dernier de lui.

Pour trouver concevable le fonctionnement pratique de cette année de compte, il faut admettre ici par avance un point qui sera prouvé plus loin, à savoir que, selon la coutume, l’entrée en fonctions des censeurs avait lieu au commencement d’une année et la lustration au commencement de l’année suivante, quoique un peu plus tard ; sans doute ordinairement en mai. Si par conséquent le temps semblait venu au sénat de soumettre à une révision les listes et les contrats dressés par les derniers censeurs, les nouveaux censeurs entraient en fonctions à peu près au moment où commençait l’année de location qui était ainsi déclarée la dernière de l’ancien contrat. Leur entrée en charge constituait donc pratiquement une dénonciation générale des contrats actuels du peuple et, ainsi qu’il était équitable, elle était portée à la connaissance des intéressés à peu près un an d’avance. Les censeurs entrés en fonctions au printemps devaient, dans l’espace d’un au ou tout au plus de dix-huit mois, réviser les listes et les contrats et faire le lustre. Ensuite les nouvelles listes entraient en vigueur le jour où la lustration avait lieu en fait ; et les nouveaux contrats, qu’il était nécessaire de faire commencer à un jour fixe de l’année, le 15 mars qui avait précédé le jour de la lustration, date qui, dans le cours ordinaire des choses, ne doit pas s’être beaucoup éloignée de celle de la lustration. C’est ainsi qu’on a pu concilier le jour oscillant de la lustration et l’année fixe des censeurs.

Le cens royal ne peut être conçu comme soumis à un délai dans lequel le roi aurait dû accomplir les actes préparatoires. Mais, lorsque le soin du cens passa aux consuls, ils n’eurent pour délai extrême dans lequel ils pussent y procéder que leur année de magistrature[61] ; car, selon les principes généraux, si les consuls n’arrivaient pas à faire le lustre avant leur retraite, leurs successeurs devaient recommencer intégralement le travail sinon en fait, au moins en droit. Lorsqu’ensuite des magistrats spéciaux furent institués pour cette fonction, il fut indispensable de fixer pour eux un délai analogue, d’après le caractère de leur magistrature un délai maximum, afin que le principe fondamental de la constitution romaine celui des termes de la magistrature ne fut pas ruiné par l’ajournement du lustre. Selon notre tradition, la durée maxima de l’exercice des fonctions de censeurs aurait été, lors de la création de la magistrature en 311, assimilée à celle de la validité des mesures prises par les censeurs, et ce serait seulement neuf ans après, en 320, qu’elle aurait été réduite à dix-huit mois par la loi Æmilia[62]. Mais cette version est peu croyable. La durée maxima des fonctions des censeurs et la limite normale de la force légale des dispositions prises par les censeurs, à la fois différentes en pratique et en théorie, sont là confondues l’une et l’autre, comme si l’auteur de ce récit, étranger aux habitudes de réflexion juridique, n’avait pas clairement aperçu la différence des deux délais. En outre l’intervalle du cens, ce trait si nécessaire de l’institution[63], qui ressort d’une façon si saillante dans la censure consulaire, est abandonné là : selon cette conception, c’est au moment même où une censure est en exercice que la suivante commence à être exercée et peut se substituer à elle. Enfin le passage, comme délai maximum, d’un au à dix-huit mois, est aussi concevable, surtout en face de l’accroissement forcé de l’étendue des fonctions des censeurs, que l’intercalation du délai d’un lustre serait contre nature. Si l’on ajoute à cela les objections sérieuses que soulève la vérité historique de la première censure, on ne pourra que rejeter cette première censure et les anecdotes rattachées à la loi Æmilia, et l’on considérera cette loi Æmilia elle-même comme celle qui a introduit la censure à titre de magistrature distincte et qui, par l’une de ses dispositions, a établi pour elle le délai maximum de dix-huit mois. — Lorsque, après le renversement de la constitution de Sulla en 684, la censure redevint effective, l’ancien délai maximum fut remis en vigueur[64] ; car on peut établir que les censeurs de 684 n’ont pas exercé leurs fonctions au-delà du délai habituel[65] ; et il en a été de même des censures ultérieures des dernières décades de la République et du temps de l’Empire[66].

Bien que l’intervalle soit de l’essence de la censure, une partie des fonctions des censeurs requiert une autorité permanente. Il doit nécessairement toujours être possible d’adjuger des travaux publics ou d’affermer des revenus publics, et avant tout la juridiction administrative, qui est, verrons-nous, essentiellement confiée aux censeurs, ne peut pas être uniquement exercée par intervalles. Nous avons déjà noté comment il était paré à cette nécessité. Le lien primitif de la censure et du consulat était rompu tant que les censeurs étaient en exercice, mais il se renouait en leur absence. Le droit du préteur de remplacer le consul absent s’étendait également à ses attributions censoriennes. Nous reviendrons sur ce point au sujet de la juridiction des censeurs.

La prolongation, exclue pour les magistratures annales qui avaient leur terme à une date fixe du calendrier, n’a, ainsi qu’il se conçoit fort bien en face de la différence de caractère des délais, aucunement paru inadmissible pour la censure ; elle a même été usuelle, sous la forme de concession aux censeurs d’un nouveau délai d’un an et demi après l’accomplissement du lustre pour la réception des travaux affermés par eux[67]. Ce n’est probablement qu’une prorogation de ce genre qui vaut dans notre tradition de si grands reproches au censeur Ap. Claudius[68]. On ne peut déterminer avec certitude la manière dont était formulée la situation occupée par les censeurs pendant cette période. Il faut qu’ils aient été considérés comme magistrats ou promagistrats ; car ils n’auraient pu, en qualité de simples particuliers, procéder à la réception des constructions publiques et exercer l’autorité judiciaire qui s’y liait. La prorogation dont il est question est favorable à l’idée de promagistature. Mais ils n’ont pas porté le titre de promagistrats et ils ont peut-être été considérés comme censeurs jusqu’à l’expiration du délai triennal.

Il n’est jamais question pour la censure d’un jour légalement fixé d’entrée en charge, même à l’époque où il y en a un pour les magistratures ordinaires annales. Mais, d’après tous les vestiges, l’élection et l’entrée en charge des censeurs qui coïncidaient, n’ont guère eu lieu, soit à l’époque où les magistrats qui’ présidaient cette élection entraient en charge le 15 mars[69], soit même depuis la fixation du commencement de l’année des magistratures au 1er janvier[70], à une autre époque qu’au printemps, en règle, semble-t-il, en avril[71]. On s’explique par là pourquoi, lorsque la censure est arrivée là son terme, sans que le lustre eut eu lieu, on n’a jamais nommé d’autres censeurs dans la même année et on a toujours attendu au moins l’année suivante afin de pouvoir mettre l’entrée en fonctions des censeurs dans la même période de l’année. L’intervalle ménagé pour les deux dernières censures de Claude et de Vespasien entre la désignation et l’occupation effective de la magistrature force aussi à admettre que la censure a eu son début attaché, sinon par la loi à un jour fixe, au moins par la coutume à une période fixe.

La durée moyenne du temps occupé par les préparatifs du lustre ne nous est pas indiquée par nos sources[72]. Mais, autant que nous voyons, le lustre n’a jamais eu lieu l’année même dans laquelle les censeurs étaient entrés en charge[73]. Au VIe siècle, pour lequel les annales nous ont conservé des témoignages précis, nous trouvons toujours le lustre mentionné à l’année qui suit l’élection des censeurs[74], en général vers la fin de cette année, c’est-à-dire parmi les événements qui ont eu lieu après le départ des consuls pour les provinces[75], tandis que le contraire est noté une fois[76]. Les années dont il s’agit là sont les années de magistrature de cette époque commençant le 15 mars et le départ des consuls pour l’armée peut avoir eu lieu en moyenne un mois ou deux après leur entrée en charge. Comme l’entrée en charge, le lustre, sans être enchaîné à un jour fixe, avait ordinairement lieu à une même époque : la preuve en est qu’on nous signale une fois qu’il a eu lieu tardivement[77]. Le droit de procéder au lustre était perdu pour les censeurs à l’expiration de leurs dix-huit mois de pouvoir, soit, lorsque leur entrée en charge avait lieu, comme c’était la règle, en avril, dans le mois d’octobre de l’année suivante[78] : ils y procédaient nécessairement d’ordinaire un certain temps avant le terme extrême possible, puisque sans cela il ne pourrait pas être question de son accomplissement tardif. En groupant ces différents termes de solution, on conclura que le lustre doit ordinairement avoir eu lieu au mois de mai de l’année qui suivait l’entrée en fonctions, c’est-à-dire une année du calendrier bien comptée après l’entrée en fonctions.

Les droits essentiels des magistrats supérieurs ont, de tout temps, fait défaut aux censeurs. En particulier, ils n’ont pas :

1) L’imperium, ni l’imperium militaire ni l’imperium judiciaire de la procédure civile, tandis que la juridiction leur est, verrons nous reconnue dans les procès entre le peuple et les particuliers ;

2) Le droit de rassembler le peuple[79] et le sénat[80] ; le premier ne leur a même probablement pas été concédé comme aux édiles pour les instances en provocation ;

3) Le droit de se nommer des collègues par cooptation ou de s’en faire élire, ni le droit de présider à l’élection de leurs successeurs ;

4) L’usage des licteurs (ci-dessous, note 82) ;

5) Enfin, dans l’énumération hiérarchique officielle des magistratures, la censure prend rang au-dessus de l’édilité, mais au dessous de la maîtrise de la cavalerie et de la préture.

D’autre part, les censeurs sont assimilés aux magistrats supérieurs sous les rapports suivants :

1) Les censeurs sont élus dans les comices par centuries, comme les consuls et les préteurs, et exclusivement sous la présidence d’un magistrat ayant la puissance consulaire ;

2) Les censeurs ont, comme ces magistrats, les auspices les plus élevés ;

3) Le censeur ne peut probablement pas être cité à comparaître devant le préteur ;

4) Le droit de procéder à une dédication a, depuis une certaine époque, été accordé aux censeurs[81] ;

5) Le censeur n’a pas, à la vérité, l’éponymie comme le consul et le préteur urbain ; mais cependant nos fastes abrégés eux-mêmes citent les censeurs à côté des consuls et des dictateurs ;

6) Les censeurs peuvent, pour le partage de leurs fonctions, procéder non seulement par voix de tirage au sort, mais par voie d’accord amiable ;

7) Le censeur peut prononcer des amendes, probablement à la vérité en restant au-dessous du taux de la provocation, et il peut saisir des gages ;

8) Le censeur, sauf l’exception indiquée pour les licteurs, a l’usage des appariteurs des magistrats supérieurs[82] ;

9) Les censeurs ont, comme les magistrats supérieurs, le siège curule, et la toge bordée de pourpre, ils ont même l’honneur, refusé à tous les autres magistrats, d’être vêtus de pourpre pour leurs funérailles.

La tradition rapporte que la censure est partie de commencements modestes, pour parvenir à une considération extraordinaire[83]. Il est sans doute exact qu’il faut, au point de vue de sa compétence légale, la classer parmi les magistratures inférieures et que son importance s’est essentiellement accrue dans le cours des temps. Mais, selon toute apparence, elle a eu, dès le principe ; une influence et une portée plus hautes que ne ferait penser le rang qu’elle occupe dans l’échelle hiérarchique. C’est au moins ce qu’indiquent son mode d’élection et l’observation que, dès l’origine, elle a été fréquemment occupée par des consulaires[84]. La considération de la censure parait avoir reçu un nouvel accroissement au début du Ve siècle ; car depuis elle est occupée non pas seulement souvent, mais régulièrement après le consulat. Par corrélation, la censure apparaît désormais comme plus honorifique, non seulement que la préture et la maîtrise de la cavalerie[85], mais que le consulat[86] ; depuis que les dictateurs ont disparu vers le milieu du Ve siècle, on y vit même pratiquement la première des magistratures de la République[87]. Cette progression de sa considération officielle n’a modifié ni le rang occupé par la censure dans l’échelle hiérarchique, ni les attributions qui en résultaient ; mais elle a cependant exercé une influence naturelle notamment sous les rapports accessoires : ainsi l’admission des censeurs à la dédication et certainement aussi les règles relatives aux funérailles des censeurs sont des innovations faites au cours de ce développement.

Les conflits ont été soigneusement évités entre les censeurs et les magistrats supérieurs, qui sont au sens propre au-dessus d’eux. Si les censeurs sont considérés comme des magistrats supérieurs, mais non comme des collègues des autres magistrats supérieurs, c’est évidemment pour ne pas donner aux consuls et aux préteurs le droit d’intercession contre leurs actes[88] ; et, en effet, il n’y a pas d’exemple de pareille intercession. A la vérité, les tribuns ne pouvaient en leur qualité de titulaires de la puissance la plus élevée se voir dénier le droit d’intercéder contre les censeurs. Mais, en vertu des règles générales de l’intercession, ils ne pouvaient y procéder que contre les décisions judiciaires des censeurs, par exemple contre les ordres de constructions rendus par eux (loc. cit.), tandis que la principale fonction officielle des censeurs, la confection des listes était soustraite à leur action, qu’il ne pouvait là se rencontrer d’autres obstacles que l’obnuntiatio dans l’ordre religieux, et en outre l’opposition ou le simple défaut de concours de l’un des deux membres du collège[89].

Sur le terrain même du droit criminel, le tribun a bien en la forme, contre le censeur, les mêmes droits que contre tous les magistrats supérieurs : il peut le faire arrêter durant ses fonctions[90] et il peut aussi, soit pendant[91], soit après, intenter contre lui une poursuite capitale ou en prononciation d’amende. Mais l’administration romaine a parfaitement senti qu’une pareille juridiction suprême sur les mœurs ne pouvait exister qu’à condition de ne devoir compte de ses jugements à aucun autre tribunal. Il n’y a pas eu, à notre connaissance, une accusation de ce genre qui ait été formée avec succès[92].

Relativement au partage des fonctions entre les collègues, on applique en général à la censure les règles en vigueur pour les autres magistratures ; mais il y a pourtant certaines particularités qui lui sont propres. La censure ayant, plus qu’aucune autre magistrature organisée en collège, pour objet l’accomplissement d’un acte unique et qui, par sa nature, ne pouvait être accompli en commun, l’exercice de la magistrature commençait logiquement par le tirage au sort de celui des censeurs qui procéderait au lustre. Celui pour lequel le sort s’était prononcé occupait aussi la présidence de la première séance. Dans les séances suivantes, la présidence semble avoir alterné suivant un mode de roulement qui ne nous est pas connu. Cependant le sort pouvait ici encore être écarté et l’un des collègues céder le premier rang à l’autre[93]. Pour la révision de la liste du sénat, les censeurs tiraient au sort le droit de désigner le premier nom ; la suite de la procédure ne nous est pas connue. Un point plus important est que la règle générale sur laquelle se fonde le partage usuel des fonctions des magistrats, la règle selon laquelle tout acte accompli par un collègue est valable, si le collègue n’y contredit pas, ne s’applique pas aux censeurs pour là confection de la liste des citoyens et de celle du sénat. Au contraire, il paraît avoir été exigé là, au moins pour la validité de la nota, que l’acte fut accompli d’accord par les deux censeurs[94] ; il leur faut dresser les listes en commun, ou, s’ils le font séparément, comme cela est arrivé pour la liste des personnes notées[95], les listes ne sont valables qu’à condition d’être concordantes. — Sur la répartition des fonctions en matière de tuitio, tout ce que nous savons, c’est que tantôt les censeurs dépensent en commun (in promiscuo) les fonds de construction qui leur ont été alloués en commun et que tantôt, comme c’est, semble-t-il, la règle, ils Ies partagent entre eux, toujours probablement par moitiés égales[96].

Au point de vue du fond, les attributions des censeurs comprennent la lustration et ses actes préparatoires, en particulier la confection des listes des citoyens destinées au recrutement et à la perception de l’impôt ; puis deux actes indépendants du lustre, la détermination de l’actif et du passif du peuple et la confection de la liste du sénat, actes dont le dernier n’a d’ailleurs été rattaché au cens que tardivement. En le laissant de coté, on peut définir les fonctions des censeurs comme se résumant dans le règlement des affaires du peuple pour jusqu’au prochain lustre, puisque, d’une part, ils déterminent les recettes et les dépenses ordinaires du peuple et que, d’autre part, ils règlent pour jusqu’à nouvel ordre les charges du peuple en attribuant aux cavaliers le produit des impôts permanents et en fixant les règles à suivre pour la perception de l’impôt de guerre éventuel et pour le recrutement.

 

 

 



[1] Varron, De l. L. 5, 81, explique tout à fait correctement census par arbitrium. Il dit de même, De vita pop. R. chez Nonius, p. 519 : Quod hos arbitros instituerunt populi, censores appellarunt ; idem (Mss. id.) enim valet censere et arbitriari. C’est aussi pour cela que le verbe est employé à l’actif pour le magistrat et au passif pour le citoyen ; c’est seulement pour le cens des choses qu’on trouve l’actif (Cicéron, Pro Flacc. 32, 80 : Prædia censuisti) employé à côté du passif (Cicéron, loc. cit. : Census es mancipia) pour le propriétaire, parce que ce dernier propose l’évaluation au magistrat. — Censio est aussi employé en langue technique pour les multæ des magistrats, en particulier pour celles des censeurs (Festus, Ep. p. 54, v. Censionem et Censio et les observations de Mueller), parce qu’elles ont précisément l’arbitraire pour essence. — Les créateurs de ce système ont eu le sentiment profond qu’il ne s’agit pas là de droit, mais exclusivement d’opportunité, et par conséquent ils ont imprimé à l’institution les deux caractères d’extrême liberté de celui qui décide et d’extrême instabilité de la décision.

[2] Le même principe régit, à la vérité, aussi le classement ou le non classement de chaque citoyen dans telle ou telle division du peuple, auquel se rattache la juridiction sur les mœurs ; l’arbitraire, un arbitraire conscient et nécessaire, équitable autant que possible, mais efficace, même quand il est contraire à l’équité, c’est lit toute la censure. Mais, en lui donnant son nom, en a probablement pensé surtout à la différence d’origine de la dette de l’impôt et des autres dettes pécuniaires.

[3] Condere n’est jamais appliqué à une autre fête, ni même à une autre lustration qu’à celle qui se lie au cens ; et le mot n’a certainement pas là d’autre signification que dans l’expression condere urbem. Lustrum condere se dit par métonymie pour lustro rem publicam in proximum lustrum condere ; ce qui fait que la langue véritablement technique, en particulier celle des fastes, ne dit pas lustrum condere, mais lustrum facere (lustrum facere, écrit tout au long dans les fastes de Venusia, C. I. L. I, p. 474 ; dans ceux du Capitole ; il y a l’abréviation l. f.).

[4] Tite-Live, 1, 42. Cette conception domine toutes les relations de la constitution des tribus et des centuries serviennes, qui ne sont pas autre chose que des portions intégrantes du cens.

[5] Lustrum est formé de luere, comme rostrum de rodere, rastrum de radere. Les anciens eux-mêmes n’ont pu le méconnaître (Varron, 6, 44) ; leur définition plus précise a luendo, id est solvendo, tirée des baux des censeurs, n’est aucunement heureuse.

[6] Tite-Live, 1, 44. Ce texte unique pris parmi beaucoup d’autres suffit pour mettre en lumière le rapport du cens et du lustre.

[7] Dion, 54, 23. Cela explique l’importance attachée de tous les temps à l’accomplissement du lustrum. Cicéron écrit encore, Ad Att. 4, 16, 14, au sujet du lustre, quod jam desperatum est. Je ne connais pas de preuve que les listes, dressées par des censeurs qui n’avaient pas fait le lustre, aient été considérées comme valables en pratique. Il est impossible de regarder avec Becker (première édition de ce Manuel), les cas mentionnés par Tite-Live, 3, 22. 24, 43, comme des cas dans lesquels le cens soit resté valable malgré le défaut de la fête religieuse finale.

[8] C’est ce que montrent les développements directement relatifs à la manumissio censu du jurisconsulte mis à contribution par Dosithée, § 17. La controverse discutée dans ces développements gravement corrompus, mais pourtant compréhensibles en leur ensemble, est déjà mentionnée par Cicéron, De orat. 1, 40, 183. Elle ne concerne pas le point de savoir si le lustre est une condition de validité pour l’acte dont il s’agit, car c’était un point certain ; mais celui de savoir si, le lustre ayant eu lieu, l’acte produisait son effet depuis le jour où il avait eu lieu ou depuis le jour du lustre, si, par exemple, l’esclave affranchi censu était devenu libre du jour de la déclaration ou du jour du lustre. La dernière opinion, qui était la plus rigoureuse, était aussi la plus logique.

[9] Cependant cela ne ressort pas aussi énergiquement chez le dictateur ; car, d’une part, la conduite de la guerre n’a pas, aussi nettement que la lustration ou la dédication, un moment où elle soit parachevée ; et, d’autre part, le dictateur étant un magistrat qui a la plénitude de l’imperium, l’indivisibilité de l’imperium rend impossible la limitation absolue de sa compétence à un acte isolé ; ainsi, par exemple, il a, à côté de sa compétence proprement dite, la juridiction volontaire et le droit d’agir avec le peuple et le sénat.

[10] Val. Maxime, 3, 4, 3. Cf. Censorinus, 18, 13. Le dernier roi ne fit pas de lustres (Denys, 5, 20).

[11] Denys signale des lustres consulaires en 246 (5, 20), 256 (5, 15) et 261 (6, 96) ; ce sont donc les Ve, VIe et VIIe lustres. Les annalistes ne semblent pas avoir rattaché de lustres à la création de la tribu Claudia en 250, ni à celle des 21 tribus en 259 (cf. VI, 1). Selon le témoignage des fastes Capitolins, il n’y a pas eu de lustre dans les années 274 à 279. Ils notent pour les consuls de 280 que [lustr]um f(ecerunt) VIII, et ce lustre est aussi signalé par Denys, 9, 36. Tite-Live, 3, 3, 9, remarque, en 289, sous le consulat de Q. Fabius et de L. Quinctius que : Census deinde actus et conditum ab Quinctio lustrum, qui a donc été le neuvième. Le cens de 294 ne devint pas parfait (Tite-Live, 3, 22, 1) ; au contraire, le lustrum fut accompli en 295 (Tite-Live, 3, 24, 40), et ce lustre a été le dernier lustre consulaire (Denys, 11, 63). — La révision attentive et judicieuse de la table des censeurs contenue dans le travail de De Boor, Fasti censorii, Berlin, 1873, m’a rendu des services multiples.

[12] Les nominations complémentaires de sénateurs faites extraordinairement par un dictateur sont étrangères à notre question, car cet acte n’a rien à faire avec le lustre. Denys, 5, 75, ne constitue pas non plus une objection, car, selon lui, T. Larcius était alors à la fois dictateur et consul ; au reste, les meilleures annales placent la dictature de Larcius en 253.

[13] Tite-Live, 4, 8. La même chose est dite dans la relation mutilée de Denys, II, 63, et dans Zonaras, 7, 19 ; Cicéron, Ad fam. 9, 21, connaît aussi ces censeurs. Cf. Tite-Live, 9, 34, 7. — Toutes les allégations qui placent la création de la censure en 311 remontent à une source commune qui peut ne pas être antérieure à Antias et Macer ; ceux-là seuls le contesteront qui n’ont pas étudié la genèse des falsifications des annales. Les objections soulevées par ce récit et développées en détail dans ma Chronologie, p. 95 et ss., ne se rapportent pas directement à la censure, quoique le terme quinquennal, établi pour les censeurs de 311 et disparu avec eux, soulève des doutes sérieux et que l’attribution aux censeurs de 319 de la construction du local officier de la censure, porte également à penser que ces derniers figuraient dans les meilleures annales en tête de la liste des censeurs. Mais les raisons vraiment décisives tiennent intimement à l’interpolation des fastes consulaires de l’an 310 ; de même que les deux prétendus censeurs de 311 ne figurent certainement dans les fastes comme consuls de 310 qu’en vertu d’une interpolation récente, ils doivent sans doute leur censure de l’année suivante à la même interpolation. Tite-Live le dit positivement en représentant ceux, quorum de consulatu dubitabatur, comme élus censeurs, ut eo magistram parum solidum consulatum explerent ; car il est impossible de ramener plus naïvement les deux assertions à une falsification connexe. Le récit relatif à la censure de 311 me paraît toujours, aujourd’hui comme antérieurement, apocryphe, à quelque point de vue qu’on le considère, qu’on parte de la genèse des annales romaines ou de la notion de l’intervalle des lustres ou des différents termes du récit ; des protestations plus ou moins vives, formulées sans examen de l’ensemble des choses, ne sont pas plus réfutables qu’elles ne sont des réfutations.

[14] Ce que dit Tite-Live, 4, 8, 5, appartient au coloris donné à la tradition et non à la tradition elle-même. On ne peut guère avoir alors attaché une valeur à l’acquisition d’une magistrature dont il peut être établi qu’elle fut à l’origine une magistrature inférieure.

[15] Cette dernière conception est aussi exprimée par les sources, et la longueur sans exemple de l’intervalle qui se trouve dans la suite des lustres entre 295 et 311, ou même 319, en est la meilleure attestation. Il peut y avoir un certain lien intérieur entre la première création de tribuns consulaires patricio-plébéiens en 310 et celle de censeurs patriciens en 311 ; mais seulement en ce sens que l’insuffisance de deux magistrats supérieurs, uniques pour l’expédition convenable des affaires publiques a probablement été le motif commun de la création du tribunat consulaire et de la censure. Au reste, la question de savoir si la censure a été créée en 311 ou 319 ne peut pas, comme on l’a pensé, être tranchée en faveur du premier chiffre en partant de la connexité de l’apparition des deux magistratures ; quand bien même la censure aurait commencé à exister comme magistrature distincte en 319, la première censure, depuis l’introduction du tribunat consulaire, serait la première censure non consulaire.

[16] La censure municipale, la quinquennalité, quoique indubitablement développée sur le modèle de celle de la ville de Rome à l’époque où il y avait déjà à Rome des censeurs distincts, est toujours restée unie à la magistrature supérieure, en sorte que les magistrats supérieurs qui remplissent ces fonctions ajoutent à leur titre ordinaire les mots censoria potestate ou quinquennalis. C’est pourquoi la loi Julia municipalis, lignes 142 et sq., charge du cens municipal celui quei in eis municipieis... maximum mag(istratum) maximamve potestatem ibei habebit ; c’est par une application de ce principe que, dans les lieux où une magistrature inférieure, en particulier l’édilité, est devenue anormalement la magistrature municipale supérieure, la quinquennalité s’adjoint également à cette magistrature (Henzen, Ind. p. 158).

[17] Cela ne s’applique pas aux fonctions du censeur qui ne sont point liées au lustre ; on rencontre des cas de représentation pour la senatus lectio, et, en matière de locations publiques, le consul ou le préteur représente même de plein droit le censeur pendant les intervalles des censures.

[18] Les mots prononcés par Cicéron en 684, peu de temps avant le rétablissement de la censure, Divin. in Cæc. 3, 8, ne portent pas à penser que la censure ait été abrogée formellement. Il ne nous est non plus rien rapporté de l’abrogation d’une loi contraire, qui alors aurait nécessairement dû précéder les élections des censeurs. Cicéron, In Pis. 5, 10, est, en outre, selon la remarque topique de De Boor, contraire à l’existence d’une pareille loi. L’allégation du scoliaste du premier texte des Verrines, p. 384, selon laquelle Sulla aurait supprimé le tribunat du peuple et la censure, est aussi certainement fausse dans sa première partie et semble n’être qu’une conclusion déduite des mots de Cicéron ou regardée comme y étant sous-entendue.

[19] Les fonctions fondamentales de la censure, l’évaluation des fortunes en vue de l’impôt et la confection des listes des citoyens, étaient écartées parla disparition de l’impôt et par la suppression du recrutement fait d’après les classes du cens. Le recrutement complémentaire du sénat était rendu superflu par la reconnaissance du droit des quæstorii au siège sénatorial ; il doit y avoir eu, pour dispenser du recrutement complémentaire des chevaliers, une institution analogue, qui nous est inconnue. Les locations opérées en 614 (Cicéron, Verr. l. 1, 50, 130) et en 619 (op. cit., 3, 7, 18) par les consuls ne peuvent être que les locations ordinaires faites habituellement par les censeurs, d’autant plus qu’elles sont séparées par le délai d’un lustre et que rien n’y indique des mesures extraordinaires. La censure n’a, autant que nous sachions, jamais été, en dehors de là, ainsi remplacée d’une façon générale ; nous verrons au contraire plus bas, que, dans les autres cas où la censure s’est trouvée en fait frappée d’une interruption prolongée, le remède a été trouvé, d’une part, dans la continuation de validité des contrats des censeurs jusqu’au lustre suivant, c’est-à-dire jusqu’à la prochaine censure, et d’autre part, dans des lois et des sénatus-consultes spéciaux. L’apparition périodique des locations consulaires sous Sulla est un sûr témoignage qu’il avait supprimé la censure sans l’abroger en forme ; car la lacune résultant de sa suppression est ainsi comblée.

[20] Il dit lui-même, Mon. Ancyr. 2, 2 ; In consulatu sexto (726) censum populi conlega M. Agrippa egi. Si les fastes de Venusia (C. I. L. I, p. 471) portent : Idem censoria potest(ate) lustrum fecer(unt), c’est que la censoria potestas est regardée là, conformément au système en vigueur dans les municipes, comme une attribution annexe de la magistrature supérieure. — Auguste était également consul en 725 où commença le cens. Nous ne savons si Agrippa ne participa aux opérations du cens qu’à partir du 1er janvier 726, date du commencement de son consulat, ou si l’imperium consulaire lui fut conféré dans ce but pour 725.

[21] Mon. Ancyr. 2, 5. 8 : Consulari cum imperio... lustrum feci, ce qui réfute Dion, 55, 13, où c’est rattaché à la puissance proconsulaire de l’empereur. Tibère reçut ce pouvoir en l’an 13 ap. J.-C. par une loi consulaire spéciale (Suétone, Tibère 21) ; Auguste a probablement aussi reçu par une loi spéciale l’imperium consulaire pour les deux recensements faits par lui depuis la constitution du Principat. — Auguste n’a jamais porté le titre de censor, Suétone (Auguste 27) le relève avec raison. Dion, 54, 2, dit qu’il repoussa en 732 la proposition tendant à le nommer censeur à vie. D’après le même auteur, il reçut en 736 la puissance censorienne pour cinq ans (Dion, 54, 10 ; d’où τιμητεύων, 54,16). Mais il s’agit là de la cura legum et morum, que nous savons aujourd’hui avoir été repoussée par Auguste (voir plus loin le chapitre des Pouvoirs extraordinaires constituants).

[22] Le port du titre de censeur par les empereurs postérieurs suffit à en fournir la preuve ; de même Suétone, Claude 16. Claude et L. Vitellius furent assurément consuls dans la première moitié de l’an 41 ; mais ils ne revêtirent la censure que dans la seconde moitié de cette année (car sur l’inscription Henzen, 5181 = C. I. L. IX, 5959, portant tr. p. VII et par conséquent de 47-48, Claude s’appelle encore censor designatus), et lors de l’accomplissement du lustre en 48 (Tacite, 11, 48. 12, 4), ils n’étaient pas consuls. Vespasien et Titus exercèrent la censure en 73 (car, sur l’inscription de Vespasien, C. I. L. II, 185, portant tr. p. IIII cos. IIII. des. V et qui se place donc entre le 1er juillet 72 et le 30 juin 73, mais qui, à cause de la désignation consulaire, est probablement de 73 et non de 72, il s’appelle encore censor designatus ; cf. l’inscription de Cære, Bull. dell’ inst. 1874, p. 139 = C. I. L. XI, 3605) et en 74, année dans laquelle se place le lustre (Censorinus, 18,14) ; ils ont été consuls dans les premiers jours de la seconde année ; mais ils ne l’ont certes pas été pendant toute la durée de la censure. La censure à vie de Domitien, qui commence en 84, ne concorde pas davantage avec ses consulats.

[23] Domitien porta, depuis la fin de 84 (pas avant le 3 septembre : Eph. ep. V, p. 93) ou le commencement de 85, le titre censoria potestate ou censor perpetuus. Dion, 67, 4. Quintilien, Inst. 4, in. indique que le principal objectif était la note relative aux mœurs.

[24] Sur la prétendue censure de Nerva Orelli, 780 = C. I. L. X, 6824, v. la note d’Henzen. Il n’y a pas à s’arrêter à ce que Trajan est appelé άποτιμητής sur l’inscription de Cythère, C. I. Gr. 1306, pas plus qu’aux formules des biographes impériaux (Vita Valeriani, 2 ; Carini, 19), ou au titre de censor attribué par Constantin à son frère Dalmatius (Chr. pasch. sur l’an 335 ; Tillemont, Hist. des emp. 4, 657).

[25] Dion, 53, 18.

[26] Tite-Live, 4, 8, 1 : Censores ab re appellati sunt. Ce titre se rencontre aussi dans divers municipes (Henzen, Ind. p. 157).

[27] (5) Polybe, 6, 13, 3, etc.

[28] Cicéron, De leg. 3, 3, 7. Zonaras, 7, 19. Tite-Live, 23, 23, 2.

[29] Ce n’est pas dit expressément ; mais on peut argumenter en faveur de cette idée, d’abord de ce qu’il n’y a pas de renuntiatio dans les élections à la censure, quand la majorité n’a été obtenue que par un candidat, puis de ce que, si un censeur vient à disparaître, il ne reste de choix qu’entre une élection complémentaire et la retraite de l’autre, sans que l’on se pose même la question de savoir si ce dernier ne pourrait pas seul achever le cens ; et on ne peut argumenter en sens contraire ni de la prolongation de l’exercice des fonctions d’Appius, ni de ce qu’Auguste solus fecit le lustre de 746 (Mon. Anc. 2, 5).

[30] Tite-Live, 4, 8. Zonaras, 7, 19.

[31] A l’exception de l’édilité curule, pour laquelle il y a des règles spéciales.

[32] Ce fut C. Martius Rutilus (Tite-Live, 1, 22. 10, 8, 8). Son éligibilité ne fut pas attaquée. — Les fastes sont d’accord avec cette donnée des annales ainsi qu’avec celles qui suivent.

[33] Tite-Live, 8, 12, 16. Inexactement Plutarque, Cat. maj. 16.

[34] Si les mots de Tite-Live, 8, 12, 16, nous ont été transmis sans inexactitude, l’élection de deux plébéiens était admissible avant 415 ; et alors cela ne peut avoir été établi pour la censure qu’en même temps : que pour le consulat en 442 Mais il est probable que ces mots ont été corrompus. La suppression de ventum sit, proposée par Madvig, Emend. Liv., 2e éd., p. 194, est préférable à l’intercalation qu’on a proposée de consulem après utrumque ; alors la disposition n’aurait pas été prise en 439, mais en 415 par la loi Poblilia elle-même.

[35] Tite-Live, Epit. 59.

[36] Tite-Live, Epit. 43.

[37] On ne sait pourquoi le collègue de Claude dans la censure L. Vitellius est appelé censor II, sur les monnaies de l’empereur son fils (Eckhel, 6, 313 ; Cohen, n. 12), tandis que le chiffre d’itération ne se retrouve pas ailleurs (ainsi cos. III censor sur les monnaies citées par Eckhel, loc. cit.). Il est possible que le nouvel exercice fait par Vitellius des fonctions de censeur après le lustre (Tacite, Ann. 12, 4) ait été regardé comme une itération (cf. Suétone, Claude 16).

[38] Messalla, chez Aulu-Gelle, 13, 45, 4 : Majores (magistratus) — ce sont, d’après les développements qui précédent, les consuls, les préteurs et les censeurs — centuriatis comitiis fiunt. Tite-Live, 40, 45, 8.

[39] Le caractère intermittent de la censure ne peut en être la raison ; car la désignation des successeurs pouvait aussi bien avoir lieu pour une année suivante plus éloignée que pour l’année prochaine. En outre, l’élection complémentaire tout au moins aurait alors été dirigée par un censeur, quand un des censeurs disparaissait avant d’entrer en charge. On ne peut donc ramener cette règle qu’au défaut du jus agendi cum populo.

[40] Zonaras, 7, 19.

[41] Messalla, loc. cit. : Collegæ non sunt censores consulum aut prætorum.

[42] On ne saurait trop prémunir contre l’assimilation, à la vérité faite par les sources (Tite-Live, 4, 24 ; sur Cicéron, De leg. 3, 3, 7), mais néanmoins fausse de l’annalité des magistrats ordinaires et du délai soit de cinq ans, soit de dix-huit mois de la censure. A posse ad esse non valet comparatio. Celui qui veut non pas seulement converser sur ces questions en profane, mais les comprendre, doit tout d’abord arriver à une notion claire du caractère juridique pleinement différent des deux délais et apercevoir que le terme normal de la censure est le jour du lustrum conditum qui ne peut d’avance être placé à une date du calendrier et à côté duquel la durée maxima des pouvoirs du censeur, attachée à une date du calendrier, ne vient qu’en seconde ligne.

[43] C’est attesté tout spécialement, en dehors des fastes et d’autres preuves, par Censorinus, qui, après les mots rapportés note 45, continue en disant : Nam cum inter primum a Servio rege conditum lustrum et id quod ab imperatore Vespasiano V et T. Cœsare III cos. factum est anni interfuerunt paulo minus DCL (de l’arrivée de Servius au pouvoir en 116 de Rome à l’an 74 après J.-C. les fastes comptent 652 ans ; nous ne savons à quelle année était attribuée l’introduction du cens), lustra tamen per ea tempera non plus quam LXXV sunt facta et postea plane fieri desierunt. Borghesi, Opp. 4, 78 et ss. a changé LXXV en LXXII et il a été suivi en cela par nous-mêmes et par la plupart des modernes, tandis qu’A.-W. Zumpt, Ueber die Lustra der Rœmer, Rhein. Mus. 25, 467, défend la leçon qui nous a été transmise. Cette opinion pourrait, en réalité, être la vraie, quoique la reconstitution de la table des censeurs proposée par Zumpt soit défectueuse. Il est incontesté ou tout au moins il devrait l’être que le lustre de 657 était le 650, qu’il y a eu des lustres dans les sept années 668, 685, 726, 746, 767, 801, 821 et que les deux lustres de 685 et de 726 et les deux lustres de 801 et de 827 se sont suivis immédiatement. Dans les autres intervalles on trouve les trois censures de Cn. Domitius et L. Licinius en 662, de P. Crassus et L. Cæsar en 665 et de Plancus et de Paulus en 732. Et le chiffre de Censorinus est exact si tous ces censeurs ont procédé au lustre. En fait, rien ne s’y oppose. Il n’est pas attesté que les censeurs de 662 aient fait le lustre ; mais, comme l’expose avec raison Zumpt, p. 480, il n’y a pas non plus de témoignage contraire à leur lustration ; le fait que censuram gessere frequentem jurgiis ne prouve absolument rien. — L’accomplissement de la lustration en 655 est positivement attesté par Festus, v. Referri, p. 289, Appien, B. c. 1, 49, et Cicéron, Pro Arch. 5, 11 ; ainsi que l’ont reconnu Zumpt, p. 476, et De Boor, Fasti censorii, p. 51. Les listes entrèrent en vigueur, mais le cens fut matériellement incomplet, en ce qu’aucune des divisions constitutionnelles du peuple, des tribus ou des classes, ne fût complètement organisée à nouveau et qu’on y inscrivît seulement un certain nombre de citoyens à titre complémentaire — car c’est là ce que signifient les mots de Cicéron, nullam populi partem esse censam. — Borghesi considère le défaut de lustration des censeurs de 732 comme démontré par les relations de Velleius, 2, 95, et Dion, 54, 2, et c’est principalement pour cela qu’il déclare le chiffre de Censorinus inadmissible. Mais c’est, à mon avis, sans motif suffisant. Les mauvaises relations des censeurs entre eux et le peu d’utilité de leurs dispositions censoriennes pour l’État peuvent se concilier avec le fait qu’ils soient arrivés à célébrer le lustre. Les écrivains expédient brièvement cette censure de particuliers mise dans l’ombre par les censures impériales ; mais rien ne conduit à admettre qu’elle n’ait pas été parfaite. — La proposition de Zumpt d’intercaler un lustre de Sulla en 674 est en contradiction directe avec Cicéron, Pro Arch. 5, 11.

[44] Rœm. Chronologie, p. 168.

[45] Censorinus, 18, 13 : Lustrum... ita quidem a Ser. Tullio institutum, ut quinto quoque anno censu civium habito lustrum conderetur, sed non ita a posteris servatum.

[46] Varron, De l. L., 6, 93 : Censor exercitum centuriato constituit quinquennalem, pour n’indiquer que le texte fondamental.

[47] Varron, De l. L., 6, 11.

[48] Il suffit de rappeler le tertio quoque die des XII tables. Mais l’ancien usage encore dépourvu d’incertitude est parfaitement avéré pour tous les noms de nombres jusqu’à dis ; il serait d’ailleurs rigoureusement absurde de considérer de pareilles formules employées dans les lois et les contrats comme ayant été dès le principe équivoques. V. des développements plus détaillés dans ma Chronologie, p. 162 et ss. 169, où sont aussi donnés d’autres exemples de pareilles interprétations abusives ou détournées de date bien plus récente.

[49] Chronol. p. 170.

[50] Censorinus, 20, 6. Chronol. p. 42.

[51] Ce sont la censure de 450 de Fabius et de Decius, destinée à réformer celle d’Appius, et les deux censures de 665 et 668 pendant la guerre sociale. Dans ces trois cas, les nouveaux censeurs entrèrent en charge après des lustres accomplis par leurs prédécesseurs en 448, 663 et 666, en sorte qu’il n’y eut à chaque fois qu’une année sans censeurs.

[52] Après le lustre de 521, de nouveaux censeurs entrèrent en charge en 523, mais ils abdiquèrent comme vitio facti. Au contraire l’entrée en fonctions des censeurs de 454 après le lustre de 451 est, autant que je sache, inattaquable, quoiqu’il n’y ait encore là, entre le lustre et l’entrée des nouveaux censeurs, que l’an 452, l’année 453 ne comptant pas puisque c’est une année de dictateur. — Il s’est glissé, dans le calcul de ces intervalles des lustres que contient ma Chronologie, p. 164, des méprises, que le mauvais état de nos fastes excuse peut-être jusqu’à un certain point.

[53] Un intervalle de trois ans entre deux lustres ou, ce qui est la même chose, un intervalle de deux ans entre le lustre et l’entrée en fonctions des censeurs suivants se rencontre du lustre de 443 aux censeurs entrant en 447 (car 445, étant une année de dictateur, ne compte pas), entre le lustre de 475 et les censeurs entrés en 478, entre le lustre de 479 et les censeurs entrés en 483 ; enfin entre le lustre de 521 et les censeurs entrés en 524.

[54] Si nous n’avions à notre disposition d’autres documents que la table des censeurs, on en conclurait que le lustre n’aurait pas été périodique avant la guerre d’Hannibal.

[55] Tite-Live, 24, 10, 1.

[56] C’est ce qui arriva lors du lustre de 546 (Tite-Live, 27, 33), c’est-à-dire précisément ü l’occasion de la fixation de l’intervalle lustral jusqu’alors irrégulier en fait, et selon toute apparence en ce sens que les jeux devraient être quinquennaux d’une façon permanente. Il est même probable que la fixation dût s’appuyer sur ce que l’on y liait des jeux dont l’ajournement d’un an laissait le public moins indifférent que la prolongation des contrats de l’État en cours.

[57] C’est une chose connue que pour les contrats de l’État on comptait régulièrement par lustres. Cf. par exemple Cicéron, Ad Att. 6, 2, 5. Le lustre est passé de là dans les locations municipales et même dans les locations privées.

[58] Naturellement il n’est question ici que du droit du patrimoine de la période républicaine. Les mises à ferme impériales des publica et municipales des agri vectigales se sont constamment produites tous les cinq ans comme les censures municipales du temps de l’Empire. Cum quinquennium, dit Callistrate, Digeste, 49, 14 3, 6, in quod (Ms. quo) quis populi Romani publico conducto (ou pro publici conductore ; Ms. : pro publico conductore) se obligaret, excessit, sequentis temporis nomine non tenetur, le droit privé du temps de l’Empire (par ex. Digeste, 19, 2, 13, 11) ne connaît donc pas d’autre lustre que celui délimite, selon la théorie désormais passée dans la pratique, à cinq ans.

[59] Loi agraire, ligne 10 : Ex eid. Mart., quæ, posteaquam vectigalia consistent, quæ post h. l. r. primum consistent, prime erunt. Cf. lignes 17, 18. Ce jour est, puisque nous ne savons si la loi de 643 a été proposée avant ou après le 15 mars, le 15 mars 643 ou 644, et il tombe donc au milieu d’un lustre, le dernier ayant eu lieu en 640 et le prochain devant avoir lieu en 646. Alfenus, Digeste, 39, 4, 15 : Cæsar cum insulæ Cretæ colorias locaret, legem ita dixerat : Ne quis præter redemplorem post idus Martias cotem ex. insula Creta fodito. Macrobe, Sat. 1, 12, 7 : Hoc mense (Martio)... vectigalia locabant, a sans doute incorrectement confondu l’acte de mise à ferme avec le terme ; nous expliquerons plus loin que le premier ne peut pas avoir été placé ordinairement en mars.

[60] Cette date a existé de 532 environ à 600. La date postérieure du nouvel an fixée au 1er janvier ne paraît pas être jamais arrivée à s’appliquer dans notre domaine.

[61] Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 17 : Cum census jam majori tempore agendus esset et consules non sufficerent huic quoque officio, censores constituti sunt.

[62] Tite-Live, 4, 24, sur l’an 320 ; 9, 33, sur l’an 444. Il s’appuie sur ce que son élection, qui était elle aussi une loi, comme censor ut qui optimo jure creatus esset (c. 34, 11) aurait dérogé à la loi Æmiila, et il réussit (c. 34, 20, c. 42, 3). Les écrivains postérieurs procèdent de là. Zonaras 7, 49. Val. Maxime, 4, 1, 3. Frontinus, De aquis, 5. — Je ne reproduis pas ici les objections que j’ai faites ailleurs contre la véracité de ce récit, soit au point de vue de l’histoire des Claudii (Rœm. Forsch. 1, 310 = Hist. rom., 4, 393), soit à celui du transfert dans les premiers temps de la République des institutions démocratiques les plus récentes (Chronol. p. 97).

[63] Cela n’est pas spécial à la censure romaine. Dans aucun régime organisé on ne révise de pareils tableaux tous les ans. La difficulté du travail et la possibilité d’utiliser durant un temps plus long les listes une fois dressées s’y opposent également.

[64] Quand Cicéron, De leg. 3, 3, 7, dit des censeurs : Magistratum quinquennium habento, reliqui magistratus annui sunto, cela se rapporte à sa proposition de faire de la censure une autorité chargée de la conservation des lois, contrôlant tous les magistrats à leur sortie de charge et par conséquent permanente (De leg. 3, 20, 47 : Quando quidem eos in re publica semper volumus esse). Le caractère courant qu’avaient à l’époque de Cicéron ces spéculations sur la durée souhaitable de la censure peut fort bien avoir été la source de la quinquennalité fictive de la censure originaire. Zonaras, 7, 19, dit à la vérité positivement : Ήρχον τά μέν πρώτα καί τά τελευταΐα έπί πενταετίαν ; mais De Boor, Fasti censorii, p. 39 et ss., a démontré que la quinquennalité n’est pas admissible pour la censure postérieure à Sulla. Peut-être cette allégation de Zonaras ou plutôt de Dion se rapporte-t-elle uniquement à la potestas censoria d’Auguste représentée comme quinquennale par Dion, 54, 10.

[65] L’élection des deux censeurs de 684 n’avait pas encore eu lieu quand Cicéron parla, à la fin de mai ou au commencement de juin de la même année, dans le procès de Verrés, contré Q. Cæcilius (Divin. 3, 8), et elle avait eu lieu le 5 août où la ville était pleine de monde à cause de la censure et ne devait pas tarder à se vider (Verr. act. 1, 18, 54 rapproché de 6, 7, 15 et beaucoup d’autres textes). Le lustre n’eut sans doute pas lieu en 684 (sic, à savoir ol. 477, 3 : Phlegon, fr. 42, éd. Mueller), mais il n’eut pas lieu postérieurement à 683 (Mon. Ancyr. 2, 3 et mon commentaire p. 22). Cette censure a donc duré tout au plus un an et demi. La chose a été bien jugée par A. W. Zumpt, Rhein. Mus. 25, 496.

[66] Le titre a été porté plus longtemps par les empereurs Claude et Vespasien, ainsi que cela se produit pour le consulat : il y a encore moins a tenir compte des flatteries qui célébraient encore dans le premier une censoria mens (Tacite, Ann. 12, 5) après l’accomplissement du lustre. Les mots de Pline, H. n. 7, 49, 162, selon lesquels Vespasien et Titus ont exercé la censure intra quadrennium ne signifient naturellement pas, suivant la traduction égaiement fausse au point de vue de la langue et du fait qui a souvent été donnée, pendant quatre ans mais quatre ans avant le temps où Pline écrit.

[67] Tite-Live, 45, 15, sur l’an 586. Il faut rapprocher de là ce que rapporte Frontin, De aq. 7, de la construction de l’aqueduc Marcien. Le sénat en chargea en 610 le préteur urbain Q. Marcius Rex, évidemment en sa qualité de représentant des consuls absents pour les fonctions des censeurs ; et quoniam, continue l’auteur, ad consummandum negotium non sufficiebat spatium præturæ, in annum alterum prorogatum. Il résulte de ce qui suit (où il faut lire pro collegio au lieu de pro collega) que la construction n’était pas encore achevée en 614. Une pareille prorogation d’une magistrature urbaine est inconstitutionnelle et sans autre exemple et, dans le fait, cette procédure souleva une opposition qui ne fut surmontée que par l’influence de Marcius ; elle se justifiait cependant jusqu’à un certain point par l’observation que, selon la coutume, les censeurs que Marcius représentait auraient, en pareil cas, obtenu la même prolongation de pouvoirs.

[68] Si l’on retranche de ce récit tous les motifs et toutes les incriminations qui sont habituellement ajoutés aux récits concernant les Claudii, et si l’on considère le fait que les deux censeurs procédèrent au lustre, que l’un d’eux se retira et que l’autre, demeuré en fonctions, accomplit les constructions colossales dont il s’agit (Tite-Live, 9, 29), il devient croyable que les anciennes annales notaient là une prorogation d’une longueur inusitée et que c’est de cette mouche que les annales nouvelles ont fait leur éléphant.

[69] Le sénatus-consulte de 540, qui reproduit probablement une formule constante en pareil cas, invite les consuls à procéder aux élections des censeurs avant leur départ pour l’armée ; et les relations précises des annales concordent avec cette idée en signalant les élections des censeurs parmi les actes accomplis par les consuls avant leur départ pour leurs provinces ; ainsi en 545 : Tite-Live, 27, 11, 7 ; en 555 : Tite-Live, 32, 7, 1 ; en 560 : Tite-Live, 34, 44, 4 ; en 570 : Tite-Live, 39, 40, 41 ; en 575 : Tite-Live, 40, 45, 6 ; en 580 : Tite-Live, 41, 27 ; en 585 : Tite-Live, 43, 14. Le récit n’est divergent que pour l’an 506, dans Tite-Live, 37, 57, où cela tient à sa contamination des sources du procès des Scipions.

[70] L’élection des censeurs de 684 eut lieu vers le mois de juin, celle de ceux de 699 en avril (Cicéron, Ad Att. 4, 9. 1. Ep. 11, 2. Borghesi, Opp. 4, 44). Cicéron suppose déjà accomplie l’élection de 704, dans une lettre écrite au milieu de juin, tandis qu’en réalité elle paraît avoir eu lieu seulement vers le mois d’août (De Boor, Fasti censorii, p. 94).

[71] On peut spécialement faire remarquer dans ce sens que les consols entrant en fonctions le 15 mars ne pouvaient, en observant le trinum nundinum, présider aux élections des censeurs qu’en avril au plus tôt. L’élection de 684 était un rétablissement de fait de la censure et par suite anormale. L’élection de 704 a été évidemment retardée comme toutes les élections de cette année.

[72] Il résulte de la loi Julia municipalis, lignes 142 et ss., que la confection de listes exigeait au moins quatre mois ; mais l’intervalle pratique qui séparait l’entrée en charge des censeurs et le lustre était sans aucun doute beaucoup plus étendu.

[73] Je ne trouve aucun cas certain de ce genre ; car c’est nécessairement par erreur que Tite-Live, 29, 37, 1, représente les censeurs signalés par les fastes en 550, comme ayant fait le lustre la même année, puisque précisément ce lustre nous dit-on, a eu lieu après le temps (secius). Pour le cens inachevé de 540, Tite-Live rapporte l’élection au début de l’année (24, 10, 11), la mort d’un des censeurs et l’abdication de l’autre à la fin (24, 43).

[74] Il en est particulièrement ainsi des censeurs de 364/362 (Fastes capitolins, — Tite-Live, 5, 34, 6), — 388/389 (Fastes Cap. — Tite-Live 1, 1, 7), — 454/455 (Fastes Capit. C. I. L. I p. 566, — Tite-Live, 10, 9, 14), — 460/461 (Fastes Capit. — Tite-Live, 10, 47, 2), — 489/490 (Fastes Capit. — Tite-Live, Ep. 46), — 545/546 (Tite-Live, 27, 44. c. 36, 6), — 560/561 (Tite-Live, 34, 44, 4. — 35, 9, 1), — 565/566 (Tite-Live, 37, 51, 9. — 38, 36, 10), — 575/576 (Tite-Live, 40, 45, 6. — Ep. 41), — 580/581 (Tite-Live, 41, 27.- 42, 10, 3), — 585/586 (v. plus loin) — 639/640 (Tite-Live, Ep. 62.63) — 684/685 (v. note 65). Il est bien d’accord avec cela que les censeurs entrés en charge en 540 soient encore en fonctions le 10 décembre de la même année, mais qu’ensuite le lustre n’ait pas lieu par suite de la mort de l’un d’eux (Tite-Live, 24, 43). — Dans la table des fastes, les censeurs sont sans exception cités à l’année de leur entrée en charge, ainsi, par exemple, parmi ceux nommés plus haut, ceux des années 560, 565, 575, 580, 585, si bien que l’addition lustrum fecerunt est au sens rigoureux dérangée de sa place et se rapporte é l’année suivante. Il faut, en conséquence, se servir avec précaution de nos tables des censeurs qui indiquent parfois la première année et parfois la seconde. — Il n’y a sans doute jamais eu de censure s’étendant sur trois années successives ; car alors l’entrée en charge aurait dû avoir lieu en automne : si Tite-Live, relate l’élection d’Appius sous la date de 442 (9, 29) et l’expiration de ses pouvoir en 444 (9, 33), c’est par négligence.

[75] Dans Tite-Live, les lustres se trouvent d’ordinaire parmi les événements urbains qui terminent la relation de l’année, par conséquent parmi ceux dont il est question au sénat après le départ des consuls. Le 20 janvier 694, Cicéron, Ad Att. 1, 18, 8, parle du lustre qui termina le cens de 693-694, comme d’un événement prochain, mais non pas immédiatement imminent.

[76] Tite-Live, 38, 36, 10, sur l’an 566 : Lustro perfecto consules in provincias profecti sunt.

[77] Tite-Live, 29, 37, 4, sur l’an 550 : Lustram conditum serius.

[78] C’est à cela que Borghesi, Opp. 4, 45, rapporte avec raison les paroles de Cicéron, Ad Att., 4, 16, 14, qui sont dans une lettre écrite en juillet (et non en septembre) 700, et selon lesquelles on désespère d’arriver au lustre.

[79] A la vérité Zonaras, 7, 19 dit le contraire. Mais Varron, 6, 93, qui reconnaît au censeur comme au consul et au dictateur le droit de réunir l’exercitus urbanus, le reconnaît au premier, quod exercitum centuriato constituit quinquennalem, cum lustrare et in urbem ad vexillum ducere debet, et aux autres pour rassembler les comitia centuriala. Pline, H. n. 31, 17, 197, le confirme. Ensuite on ne trouve pas un exemple d’une loi censorienne ; car celle cité par Salluste, Hist., éd. Dietsch, 4, 35, peut aussi bien venir du consul Cn. Lentulus que du censeur. Les censeurs ne semblent même pas avoir proposé eux-mêmes la confirmation de leurs pouvoirs aux centuries. Enfin le droit corrélatif de convoquer le sénat fait défaut aux censeurs.

[80] C’est indubitable ; car on ne rencontre aucun cas de pareille convocation et les censeurs sont absents de la liste de Varron, dans Aulu-Gelle, 14, 7. Ils ont, comme tous les magistrats, le droit de siéger au sénat et d’y prendre la parole.

[81] Cf. la section des II viri ædi dedicandæ.

[82] Zonaras, 7, 19. V. les témoignages relatifs aux prætores et aux viatores, tome Ier.

[83] Tite-Live, 4, 8. S’il désigne plus loin la censure comme une res operosa ac minime consularis, c’est là un trait faux. Ces fonctions avaient jusqu’alors été exercées par le roi et par les consuls et elles apparaissent sûrement aux hommes pratiques du ive siècle sous un tout autre jour qu’au rhéteur du temps d’Auguste.

[84] Dans la mesure on les fastes censoriens du IVe siècle, qui sont excessivement défectueux, notamment sous le rapport dés identifications, permettent un jugement, les premiers censeurs, tout au moins ceux de 319, sont déjà des consulaires, et il en est de même pour la plupart. A la vérité, d’autres censeurs anciens ne sont pas arrivés ou ne sont arrivés que plus tard au consulat et au tribunat consulaire, ainsi M. Furius Camillus en 351, L. Papirius Cursor en 361, Sp. Servilius Priscus et Q. Æmilius Siculus en 316, C. Sulpicius Peticus en 388.

[85] Zonaras, 7, 19.

[86] Zonaras, 7, 19. C’est pourquoi les empereurs qui ont été censeurs, ainsi Claude, Vespasien et Titus, mentionnent cette magistrature dans leur titre impérial, ce qui ne se fait pour aucune autre magistrature républicaine sauf pour le consulat.

[87] La censure est appelée par Cicéron, Pro Sest. 25, 53, sanctissimus magistratus, chez Denys, 4, 22, ή ίερωτάτη άρχή, cf. Plutarque, Flam. 18, Cat. maj. 16, Paull., 38, Camill. 14 rapproché de 2 ; Suidas, v. Τιμητής.

[88] Le consul et le préteur n’étaient en face du censeur ni major potestas, puisque lui aussi était élu maximis auspiciis, ni par potestas, puisqu’il était élu sous d’autres auspices.

[89] Cicéron, Pro Cluent. 43,122. Tite-Live, 40, 51, 1 ; 42, 10, 4 ; 45, 15, 8. Appien, B. c. 1, 28. Dion, 37, 9. — Ce n’est pas là une application du droit d’intercession dont le nom n’est jamais prononcé en pareil cas, mais une conséquence de la coopération des collègues, exigée dans sa portée la plus large, avons-nous remarqué dans le Ier tome.

[90] Tite-Live, 9, 34, 24. Plutarque, Q. R. 50.

[91] Tite-Live, 24, 43. 43, 16.

[92] Une tentative de ce genre est rapportée par Tite-Live, 29, 37, en 550. D’où avec une exagération rhétorique Valère Maxime, 7, 2, 6. Denys, 19 [18], 16, appelle dans le même sens les censeurs οί τήν άνυπεύθυνον έχοντες άρχήν οΰς ήμεΐς τιμητάς καλοΰμεν.

[93] La preuve que l’accord amiable était possible résulte de ce que, si les plébéiens n’arrivèrent que si tard à faire le lustre, c’est évidemment parce qu’ils y renoncèrent volontairement pendant longtemps. On tenait aussi compte du privilège de l’âge. Le tirage au sort constituait sans doute la règle, puisque le schéma de Varron ne cite pas l’accord amiable.

[94] Il était indifférent que l’acte même eut lieu après accord préalable des censeurs ou non. Le censeur Gracchus est loué, quod insciente collega in censura nibil gessit (Cicéron, De inv. 1, 30, 48) ; la chose était donc possible. Ce qui importait, c’était que l’acte fut reconnu par tous deux dans leur déclaration finale au moment et au moyen de la déposition des listes.

[95] Tite-Live, 29, 37. Les textes cités note 89, en particulier Tite-Live, 45, 15, permettent aussi de conclure à l’existence d’une double liste du sénat. Pour la liste générale, ce peut avoir été possible légalement ; mais cela n’a certainement pas eu lieu en pratique : si la liste n’était pas livrée en commun, le dernier venu des collègues adoptait la liste dressée par son collègue en y modifiant le cas échéant des points particuliers.

[96] Tite-Live, 40, 51, distingue les constructions que les censeurs font ex pecunia attributa divisaque inter se et celles auxquelles il est pourvu avec l’argent qu’in promiscuo habuere, 44, 16, 8 : Ad opera publica facienda cum eis dimidium ex vectigalibus ejus anni attributum esset, Ti. Sempronius ex pecunia, quæ ipsi attributa erat, ædes... emit. Le titre de l’an 639 (C. I. L. VI, 3824 = Eph. epr. II, p. 199) sur lequel nous reviendrons plus loin, qui vise les opera loca[ta in censu]ra Cæcili, suppose aussi un partage des deniers.