LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE PREMIER. — LA MAGISTRATURE.

RESPONSABILITÉ DES MAGISTRATS.

 

 

Les aptitudes politiques peu communes des Romains se révèlent, relativement la responsabilité des magistrats, avant tout à ce qu’en principe ils n’ont point donné aux magistrats de situation exceptionnelle. Ils n’ont pour eux ni aggravé ni adouci le droit commun. En somme, le magistrat est, comme le particulier, soumis aux tribunaux criminels, administratifs et civils ordinaires ; l’institution monstrueuse des cours exceptionnelles de contrôle politique n’a jamais joué chez les Romains le rôle que retracent les annales de tant d’autres pays[1].

Dans l’examen de la responsabilité des magistrats il faut distinguer deus questions : celle de la mesure et des formes ‘générales dans lesquelles elle se produit, et la question essentiellement différente de savoir si elle peut se produire pendant l’exercice même des fonctions ou si elle n’a pas la résignation de la magistrature pour condition préalable.

Relativement à la responsabilité en général, il faut d’abord, en ce qui concerne la responsabilité pénale, avant tout signaler que les crimes ou délits commis pendant l’exercice des fonctions et qui leur sont plus on moins étroitement liés tombent sous le coup des lois ordinaires du pays et sont de la compétence des tribunaux de droit commun. Il y a un ordre de magistrats qui sont en fait soustrait à toute responsabilité à raison de leurs actes officiels. Ce sont les censeurs. Mais c’est parce que la décision des censeurs est, un peu de la même façon que le verdict du jury dans la conception moderne, regardée comme dépendant exclusivement de la conviction intime de son auteur et comme n’étant pas susceptible d’être motivée en droit. Au reste on n’est jamais allé jusqu’à exclure légalement la possibilité des poursuites contre le censeur ; on s’est contenté de les empêcher autant que possible dans chaque cas particulier[2].

Les vieilles institutions romaines ne connaissent pas de tribunal politique spécial aux crimes qui par leur nature ne peuvent être commis que par des magistrats. Le tribunal non permanent qui stature sur la perduellio est bien directement relatif aux crimes contre l’État ; mais sa compétence n’est aucunement restreinte aux crimes commis par des magistrats. La procédure criminelle dirigée par les tribuns qui se développe postérieurement est, selon toute apparence, une procédure politique. Mais elle ne s’applique pas seulement contre les magistrats ; elle s’applique pareillement contre tous les titulaires de fonctions publiques, c’est-à-dire également contre l’officier, le juré, voire même le fermier de l’État ; de sorte qu’elle ne peut non plus être rattachée à la responsabilité des magistrats au sens strict du mot[3].

C’est seulement lors de la réforme de la procédure des quæstiones accomplie par Sulla que les crimes des magistrats ont été visés d’une manière spéciale et compréhensive ; mais l’exposé détaillé de ces institutions rentre dans le droit criminel. Nous verrons, au sujet des anciennes poursuites politiques des tribuns que la quæstio majestatis les a remplacées dans une certaine mesure ; quant aux observations spéciales que réclame l’action criminelle fondée sur le détournement, elles trouveront mieux leur place dans l’étude de la responsabilité civile des magistrats.

La responsabilité civile du magistrat a une double nature, une créance pécuniaire pouvant être invoquée contre lui, soit par un particulier, soit par l’État. Pour le premier cas, les réales posées sur la responsabilité criminelle s’appliquent, et cela présente une d’autant plus grande importance que, dans le droit de la République, les dommages causés injustement par un magistrat à un particulier pouvaient, et même le plus souvent devaient fonder une action civile contre lui beaucoup plus fréquemment que ce n’est le cas sous l’Empire et dans les constitutions modernes. Il n’a jamais été contesté en droit que l’action civile est admissible à raison du furtum au sens large dans lequel l’entend le droit romain, à raison du damnum injuria datum, à raison de l’injuria, c’est-à-dire, en général de toutes les soustractions on détériorations des biens et de toutes les atteintes à l’honneur, quand bien mime ce serait en qualité de magistrat que l’inculpé aurait commis le délit. La procédure repetundarum s’est développée, par un renforcement de procédure, des actions furti intentées par les sujets de home contre les magistrats romains. L’importance du contrôle ainsi exercé sur les magistrats par les tribunaux de Rome ne doit pas être jugée par eue qui se passe aux temps de décadence de la fin de la République. Mais son étude plus approfondie, dans la mesure où elle est possible, ne rentre pas dans le droit public ; elle regarde le droit civil et la procédure civile. — Si la nature des faits le permet, l’action civile et la poursuite tribunicienne peuvent être intentées l’unie à coté de l’autre. C’est une conséquence forcée du caractère illimité de la seconde procédure, quoiqu’il n’en ait pas été fréquemment fait application sous ce rapport.

Relativement aux sommes d’argent et aux choses ayant une valeur pécuniaire remises au magistrat pour le compte de l’Etat, la première remarque à faire est que la caution pécuniaire à fournir à la cité (rem republicam salvam fore), qui est sous le Principat la condition préalable de l’exercice des fonctions municipales se rapportant aux caisses publiques, a été, à toutes les époques, étrangère à Rome. Il faut ensuite distinguer selon que le magistrat n’est obligé qu’à employer ou à restituer les fonds qui lui sont remis, ou qu’il est en outre obligé à justifier de leur emploi par une reddition de compte. La première façon de procéder parait avoir été l’ordinaire, et la reddition de compte semble n’avoir été exigée que des directeurs du trésor public, des questeurs. — Sont dispensés de rendre compte :

1. Le dictateur absolument pour tout[4] ; ce qui fait qu’il ne lui est pas adjoint de questeur.

2. Le consul, le préteur, et en général tous ceux qui ont la puissance supérieure, pour le butin[5], ce qui fait qu’il n’est pas nécessaire que le butin soit, comme les fonds remis au général sur le trésor, soumis à l’administration du questeur.

3. Le censeur, pour les sommes qui lui ont été versées par le trésor en vue de constructions publiques[6].

4. Les édiles, pour les multæ qu’ils ont touchées en vertu de poursuites criminelles[7].

5. Les magistrats obligés à célébrer des jeux, quant aux fonds qu’ils ont reçu de l’Ærarium pour leur organisation[8].

Autant il est incontestable que celui qui recevait ces sommes d’argent ou ces objets ayant une valeur en argent, ne pouvait les employer qu’à la destination prescrite[9] et, à plus forte raison, ne pouvait pas les employer à son usage particulier[10], autant il est difficile de résoudre la question de la voie de droit existant contre les infractions qui pouvaient se produire. On ne peut ni affirmer, ni nier avec certitude que la plus ancienne procédure criminelle les ait englobées dans sa sphère ; il est certain que les poursuites tribuniciennes pouvaient leur être étendues. Mais une tradition digne de fois nous affirme que la première accusation de ce genre qui ait abouti[11] fut celle formée contre L. Scipion en 570[12]. Lorsqu’il y avait eu détournement proprement dit du bien de l’État, furtum pecuniæ publicæ ou peculatus, par exemple, soustraction d’une pièce du butin, il est probable que chaque citoyen individuellement pouvait, comme représentant de l’État, faire rendre le bien détourné par les voies de la procédure prétorienne[13]. Mais ce qui est douteux, c’est l’étendue donnée à l’idée de détournement, c’est en particulier le point de savoir s’il suffisait, pour qu’il y eut péculat, que la destination dans laquelle le versement avait eu lieu n’eut pas été observée, par conséquent si, par exemple, cette action pouvait être intentée contre le censeur qui n’avait, pas dépensé les fonds de construction conformément à leur destination[14]. — On peut conclure de tout cela que, lorsque des deniers publics étaient remis sans qu’il dût y avoir de compte fourni, la responsabilité du magistrat existait bien en théorie, mais ne se manifestait guère en pratique. Très probablement la cause partielle de cet état de choses est que la contrainte morale et politique qui astreignait l’ex-magistrat à employer au bien de l’État, et en même temps à la glorification de son nom, les gains de ses guerres et de ses procès, était assez forte pour empêcher la survenance de grossières indélicatesses[15]. — Dans le cours du VIIe siècle, la législation criminelle a également pris ici, au moins pour le fertum pecuniæ publicæ au sens strict du mot, une forme fixe par la création de la quæstio perpetua, relative au péculat, à laquelle furent désormais déférées les actions tendant a la restitution en nature ou en valeur du bien de l’État.

Il n’y a, selon toute apparence, eu d’obligation en forme de reddition de compte relativement aux deniers publics qui leur avaient été confiés, que pour les magistrats directement attachés aux caisses publiques, c’est-à-dire pour les questeurs. Et il faut ici se rappeler que l’Ærarium comprend non seulement les fonds déposés à Rome au temple de Saturne, mais les sommes qui sont versées titre d’avance aux généraux et aux gouverneurs en Italie et dans les provinces[16]. Il n’y a pas de doute que les questeurs mis à la tête de l’Ærarium rendaient au moment de la transmission de leurs pouvoirs un compte en formes et remettaient les livres et les caisses soit a leurs successeurs, sait aux consuls en fonctions, bien que, par une bizarrerie singulière, cet acte ne paraisse jamais être cité. Nous trouvons en revanche des allusions d’autant plus fréquentes au même acte pour les questeurs et proquesteurs attachés aux généraux et aux gouverneurs de provinces[17]. Le compte, qui, d’après la loi Julia de 695, doit être clos et doit être déposé par écrit dans les cieux villes principales de la province avant que celui qui le rédige ne la quitte[18], est remis à Rome aux questeurs urbains, en leur qualité de directeurs du Trésor (rationes ad ærarium deferre), il est accepté par eux et procès-verbal en est dressé (rationes referre)[19]. Il spécifie les sommes qui ont été reçues soit directement de l’Ærarium, sort de sources en dépendant[20], celles qui ont été dépensées et celles qui constituent le reliquat[21].

Le compte, bien que dressé par le questeur, est en réalité fourni en même temps par le gouverneur ; c’est d’évidence, car le questeur ne pouvait en principe faire de paiement que sur l’ordre de son chef direct. Mais ce chef a lui-même été directement mêlé à la reddition de compte ; car postérieurement il lui incomba à lui-même de présenter le compte de son questeur à l’Ærarium[22]. La somme de la dépense de laquelle il n’était pas justifie d’une manière suffisante et qui n’était ni restituée au moment de la reddition de compte ni reconnue comme encore due[23], était judiciairement réclamée comme déficit (pecuniæ residuæ) de la même manière qu’au cas de péculat, et cela, selon les circonstances, soit contre le gouverneur, soit contre le questeur, soit contre tous deux[24].

Passons à la question de savoir dans quelle mesure les magistrats pouvaient être actionnés en responsabilité pendant l’exercice de leurs fonctions.

La magistrature n’apparaît pas aux Romains comme une institution abstraite, distincte du magistrat qui l’occupe ; elle leur apparaît comme incorporée dans ce magistrat. Par conséquent une poursuite devant le magistrat contre lui-même est impossible alors même qu’il y consentirait[25]. La conséquence forcée est que, tant qu’il n’y a eu à la tête de la cité qu’un magistrat viager, il n’a pu dans l’ordre normal des choses[26] jamais être juridiquement actionné en responsabilité[27]. La situation changea avec l’introduction de l’annalité et de la collégialité. La première rendit l’application de la responsabilité après la fin des fonctions possible sans réserves. La seconde rendit possible une poursuite intentée contre le magistrat même pendant qu’il exerçait ses fonctions, pourvu que les règles de la par majorve potestas n’y fissent pas obstacle. Car le principe que le magistrat supérieur ou égal n’a pas besoin de tenir compte de l’ordre du magistrat égal ou inférieur[28], s’applique dans toutes les parties du droit. Ainsi, par exemple, dans le domaine de la justice administrative, le recouvrement forcé des impôts doit avoir été possible au questeur en face de l’édile, mais non pas en face du questeur ni du consul. Dans le domaine de la justice civile, la citation devant le préteur qui, vaut ordre du préteur est incontestablement admissible en droit contre les édiles curules et les questeurs[29], et la citation des édiles plébéiens ne soulevait non plus, au moins en pratique, aucune objection[30] depuis qu’ils étaient devenus des magistrats de l’État ; au contraire, ni les consuls, les proconsuls, les préteurs, et en général tous les magistrats qui avaient l’imperium[31], ni les tribuns du peuple[32] ne pouvaient être contraints à comparaître par le préteur. Les mêmes règles décidaient de l’admissibilité de la justice criminelle et de la coercition des magistrats à l’encontre de magistrats en fonctions : le tribun du peuple peut frapper d’une peine et mettre en arrestation tous les magistrats[33] ; le grand pontife pouvait prononcer des multæ et saisir des gages à l’encontre de tous les magistrats ; le consul pouvait agir contre tous les magistrats à partir du préteur et ainsi de suite. Au contraire le tribun du peuple, tant qu’il est en exercice, ne peut être poursuivi par personne, pas même par un autre tribun[34], et aucun magistrat en général ne peut être poursuivi criminellement devant un inférieur[35]. Lorsque par exception des magistrats ont comparu en justice devant des magistrats inférieurs ou égaux, ou bien ils se sont présentés volontairement, ce qui peut avoir été licite[36], ou bien ils ont été déterminés par la menace de l’intervention de l’autorité tribunicienne à ne pas faire usage de leur privilège[37].

D’après cela, les magistrats les plus élevés qui se trouvent pour le moment dans un certain territoire ne peuvent y être poursuivis malgré eux pendant la durée de leurs fonctions et les inférieurs peuvent au contraire être poursuivis même pendant la durée de leurs fonctions. Mais pourtant, pour les derniers eux-mêmes, la poursuite a fréquemment été ajournée à la fin de leurs fonctions, afin qu’ils ne fussent pas distraits par le souci de leur propre défense de l’administration des affaires publiques. Cet usage fonctionne surtout au profit des magistrats occupés par leurs fonctions hors du siège du tribunal[38] ; mais la même considération s’applique même à ceux qui sont présents. Pour la procédure tribunicienne qui nous est mieux connue que l’ancienne procédure criminelle, on peut établir qu’une accusation contre un magistrat en fonctions dans l’intérieur de la ville était bien possible en droit, mais qu’il ne lui était pas facilement donné suite, à moins que le magistrat accusé ne le souhaitât lui-même[39] et il n’est pas douteux que, même dans la procédure civile, les délais ont souvent été reculés pour la même raison.

La poursuite du magistrat devant un magistrat ayant une puissance supérieure était par conséquent légalement possible à l’époque ancienne ; mais elle y constituait en fait l’exception. Pour la procédure des quæstiones du VIIe siècle, on ne fixa pas seulement la règle, certainement déjà suivie depuis longtemps en pratique, selon laquelle l’individu absent pour le compte de l’État était pendant ce temps soustrait aux poursuites[40] ; on proclama en outre sinon pour tous les délits, au moins pour la plupart[41], et aussi à titre général pour des magistratures déterminées[42], la soustraction aux poursuites jusqu’à la fin de la magistrature. Il n’est même pas invraisemblable que, cette immunité étant établie en premier lieu, dans l’intérêt de l’État, on ne peut plus désormais y renoncer à son gré[43].

En règle générale, la magistrature ne protège pas contre la justice des consuls et du sénat, ni contre la justice criminelle de l’empereur[44]. Il n’y a que l’immunité des tribuns du peuple qui ait, même à cette époque, encore été reconnue en principe[45].

 

 

 



[1] Cicéron, De leg. 3, 20, 47, regrette l’absence d’un tel tribunal et propose de rendre la censure permanente, et de faire tout magistrat sortant rendre compte de sa gestion devant les censeurs ; cependant ce jugement préalable (præjuridicium) n’aurait pas de force positive et, lorsque une condamnation paraîtrait indiquée, elle serait provoquée suivant la procédure ordinaire des questions.

[2] Dans ce sens Denys (19 [18], 16), appelle la censure une άρχή άνυπεύθυνος. V. les détails, tome IV, dans la théorie de la censure.

[3] Des développements plus précis sont donnés, tome III, dans la théorie du tribunat du peuple.

[4] Pompée est, d’après Appien (B. c. 2, 23), fait consul sine collega et non, comme il le désirait, dictateur. C’est pour cela que les Grecs appellent fréquemment la dictature άρχή άνυπεύθυνος (Plutarque, Fab. 3 ; De fort. Rom. 12 ; Denys, 5, 70. 6, 38. 7, 56. 8, 81. Suidas, sub eod. v°) ; le droit public romain a malaisément possédé une expression technique correspondante.

[5] Lorsque les papiers relatifs à cette matière sont déposée à l’Ærarium, cela a lieu volontairement (Polybe 24, 9a [23, 14] ; Aulu-Gelle, 4, 18, 9).

[6] Je ne connais pas de témoignages exprès qui établissent qu’il n’y ait pas là de comptabilité (car ce n’est pas à cela que se rapporte la désignation de la censure comme άρχή άνυπεύθυνος) ; mais il n’y a non plus aucun vestige d’une pareille comptabilité.

[7] Dans la loi municipale de Malaca, c. 66, c’est le duumvir qui procède au recouvrement des multæ des édiles.

[8] La conclusion qu’il n’était rendu aucun compte à ce sujet peut être tirée de ce que Dion, 53, 21, raconte, sans y joindre aucun blâme, que l’édile curule M. Egnatius Rufus employa pour le service de l’extinction des incendies τά άναλώματα  τά τή αρχή αύτοΰ προσήκοντα.

[9] La règle ne peut être révoquée en doute, bien que l’on s’en soit écarté dans des cas particuliers tels que ceux mentionnés note 8.

[10] Un général consciencieux éprouvait même des scrupules à faire à son fils servant dans l’armée un présent sur le butin. Val. Maxime, 4, 3, 10. Pline, H. n. 33, 2, 38. La citation de Fabius Pictor faite par Suidas (Peter, p. 39) n’est peut-être qu’une fausse interprétation du passage de Valère Maxime dans lequel il était immédiatement auparavant question d’un Fabius Pictor.

[11] Les tribuns abandonnèrent les poursuites analogues intentées par eux en 563 contre le consul M’. Glabrio (Tite-Live, 37, 57).

[12] Aulu-Gelle, 6, 19 ; voir les détails tome III, dans la théorie du tribunat du peuple, sur la matière de la procédure en redditions de comptes.

[13] Comme je l’ai déjà expliqué Hermes, 1, 178 = Rœm. Forsch. 2, 445, puisque c’est au préteur urbain qu’est signalée l’infraction au moins très analogue commise par le fournisseur M. Postumius de Pyrgi (Tite-Live, 23, 3, 12), il y a lieu de croire qu’il a été poursuivi par une action de ce genre. Enfin le procès qu’Antias, dans Tite-Live, 38, 54, fait intenter contre L. Scipion et autres n’est pas historique selon toute apparence ; mais certainement la description en est faite d’après la procédure du péculat de l’époque : or, précisément, ce n’est pas autre chose qu’un procès civil dans lequel le demandeur agit pour le compte de l’État, dans lequel, si une condamnation est prononcée par le tribunal de récupérateurs qui probablement était organisé pour chaque défendeur, cette condamnation profite à l’État et dans lequel par suite, le condamné doit lui fournir des cautions (prædes) ou est soumis à l’emprisonnement.

[14] Si l’emploi des fonds dans un intérêt public a bien été promis, mais n’a pas été réalisé, c’est finalement la même chose que si on les avait gardés par devers soi. Certainement ce n’était plus la loi qui déterminait quand il en était ainsi, mais l’autorité qui statuait dans chaque cas particulier. Au reste, j’ai discuté Hermes 1, 177 et ss. = Rœm. Forsch., 2, 444 et ss. la question qui ne peut guère se résoudre d’une manière satisfaisante.

[15] L’assertion connut de Polybe, 6, 56, d’après laquelle les magistrats et les ambassadeurs romains s’abstenaient sans titre ni cachet de détourner les deniers publics rentre au moins dons cette ordre d’idées.

[16] Cela est donc étranger au vasarium et aux autres fonds que le gouverneur reçoit à titre d’indemnité.

[17] Il est inexact que, comme je l’ai admis ultérieurement Hermes, 1, 170 = Rœm. Forsch. 2, 433, il soit question dans Cicéron, Verr. 1. 39, 98. 99, de comptes rendus par le préteur urbain ; les comptes rendus par les préteurs Verrès et Dolabella doivent être ceux relatifs à leur administration provinciale, comme le montre le lien établi entre ceux de Verrès et ceux de ses deux questeurs.

[18] Cicéron, Ad fam. 5, 20, 1. Ad Att. 6, 7, 2.

[19] Cicéron, In Pis. 23, 61, oppose la reddition et la réception des comptes. — Il reproduit cette opposition, Ad fam. 5, 20, 2. Cependant rationes referre se dit ordinairement, quand il s’agit de l’opération totale, du magistrat qui rend ses comptes. Cicéron, Verr. l. 1, 44, 37, dit de la manière la plus précise que les comptes sont reçus par les questeurs urbains.

[20] Cela résulte par analogie d’Asconius, In Cornel., p. 72. Digeste. 48, 13, 11 [9], 3.

[21] C’est au moins ce qui résulte du formulaire donné par Cicéron, Verr. l. 1, 21, 14. Nous ne savons pas clairement dans quelle mesure un compte correct, — celui de Verrès ne l’était pas (cf. Cicéron, Verr. l. 1, 39, 98), — devait être spécialisé et accompagné de pièces justificatives. Cf. Cicéron, Ad fam. 5, 20, 5.

[22] La présentation des comptes de l’Ærarium est du devoir des deux magistrats, ce qui fait que les comptes peuvent aussi bien être rendus par le questeur sans le préteur, que par le préteur sans le questeur, bien que régulièrement ils soient rendus par tous deux en même temps (Cicéron, Verr. l. 1, 39, 99 ; In Pis. 25, 61). Autrefois les deux magistrats procédaient à la collation et à la balance de leurs comptes avant de rentrer à Rome (Cicéron, Ad fam. 5, 20, 1. 2) ; depuis que la loi Julia de 695 eut prescrit aux gouverneurs (et non aux questeurs) de laisser deux exemplaires de leurs comptes déposés dans la province (Cicéron, Ad fam. 2, 17, 4. 5, 20, 2), il fallut que l’entente se fit dés avant leur départ de là.

[23] Digeste, 48, 13, 11[9], 8. Cependant la loi Julia décida que, si la somme portée comme restant due n’était pas payée dans l’intervalle d’un an, elle serait considérée comme un déficit.

[24] L’assimilation au point de vue du droit criminel des residuæ et du péculat ne peut il est vrai être prouvée que pour la loi Julia repetundarum ; mais elle est probablement aussi vieille que la reddition de comptes des questeurs ; car il devait y avoir un peine de droit attachée à la constatation du déficit et on ne peut trouver d’autre mode pour sa répression. Il n’est pas vraisemblable que l’on se soit contenté de poursuivre le coupable comme simple débiteur de l’État, toute rigoureuse que soit au reste la procédure suivie contre les débiteurs de cette espèce.

[25] Dans la procédure civile, cela aurait été facilement praticable, grâce à l’institution du jury, mais cela n’y a jamais été admis.

[26] La répression pouvait du reste intervenir en tant que la disposition de ce magistrat était concevable.

[27] On peut y rattacher le principe d’après lequel le rex sacrorum ne peut être exécuté (Servius, Ad Æn. 8, 646).

[28] Ulpien et Paul, Digeste, 4, 8, 3, 3, l. 4. Dans Tite-Live, 30, 24, le sénat veut faire inviter par le préteur urbain un consul à revenir en Italie.

[29] Aulu-Gelle, 13, 13, d’après Varron. Il ajoute, à la vérité, que, déjà du temps de Varron et encore plus sous l’Empire, ces magistrats se soustrayaient fréquemment en fait à la citation.

[30] On voit par Tite-Live, 3, 55, que, d’après les anciens privilèges de la plèbe, ses édiles étaient sacro-saints comme les tribuns, vrais que la théorie était mise d’accord avec la pratique existante (ædilem prendi ducique a majoribus magistratibus) par une interprétation — en soi certainement critiquable. — Cf. tome IV, la théorie de l’Édilité.

[31] Digeste, 2, 4, 2. 4, 6, 26, 2. cf. 46, 7, 12. 47, 10, 32. 48, 2, 8. Suétone, Cæsar, 18. C’est également pour cela que, lorsque le juré acquiert le même imperium que celui qui eum judicare jussit, le mandat du juré s’évanouit (Digeste, 5, 1, 58).

[32] Appien, B. c. 2, 138. Voir des détails plus approfondis, tome III, dans la théorie du tribunat du peuple, où sont aussi discutées les objections tirées de Val. Max. 6, 1, 7. c. 5, 4.

[33] Sous l’Empire encore il est fait emploi du droit d’accusation tribunicien contre un magistrat en fonctions.

[34] Le récit contraire de Valère Maxime, 6, 1, 7, est discuté à propos du caractère sacro-saint des édiles ; l’accusé, C. Scantius Capitolinus, n’est probablement pas un tribun du peuple, mais plutôt, comme en témoigne Plutarque (Marc. 7), un édile (plébéien).

[35] C’est pourquoi le préteur César fait arrêter le juge instructeur de la quæstio de vi pour avoir accueilli une dénonciation contre une major potestas (Suétone, Cæsar, 17).

[36] La logique et la rédaction des textes cités note 28, sont dans ce sens.

[37] On ne rencontre que deux exceptions de ce genre : la poursuite du tribun ou plutôt de l’édile C. Scantius Capitolinus par un édile curule (note 34), et celle du tribun du peuple L. Cotta devant le préteur dans une affaire civile (Val. Max. 6, 5, 4). L’explication rend compte des deux cas : seulement il faut ajouter pour le second que les collègues de Cotta répondirent à sa menace de coercition par une menace d’intercession. — Il faut joindre à ces exceptions celles établies par des lois spéciales, ainsi les XII Tables.

[38] Lorsque César, après avoir résigné le consulat et avant de partir pour la Gaule en qualité de proconsul, se trouvait encore ad urbem, un tribun du peuple l’accusa, mais il échappa à l’accusation à l’aide de l’intercession tribunicienne (Suétone, Cæsar, 23).

[39] Dans deux actions criminelles intentées par des tribuns du peuple contre des censeurs, les autres tribuns intercèdent, la première fois (Tite-Live, 24, 43), parce que les accusés sont en fonctions, et la seconde fais (Tite-Live, 43, 16), les censeurs répondent volontairement à l’action. Dans ce dernier cas, ils interrompent l’exercice de leurs fonctions jusqu’à la conclusion du procès, de sorte que, même dans cette hypothèse, l’accusation vint mettre de la perturbation dans les affaires publiques. Voir d’autres détails, tome III, dans la théorie du tribunat du peuple. — Les multæ prononcées par le grand pontife font peut-être exception ; du moins il n’y aucun procès de cette catégorie intenté devant le peuple où oit s’occupe de ce que le défendeur est en charge.

[40] Il est fait allusion, à propos du procès d’inceste de 640, à une lex Memmia, quæ eorum qui rei publicæ causa abessent recipi nomina velabat (Val. Max. 3, 7, 9). Dans la procédure criminelle récente, c’est une règle générale.

[41] La loi repetundarum, ligne 8 (C. I. L. I, p. 58) défend, pour tous les magistrats en descendant du dictateur, semble-t-il, de les accuser en vertu de ses dispositions pendant qu’ils seraient en fonctions. Le principal motif de Clodius pour se présenter à l’édilité, c’était d’échapper à une accusation de vi (Dion, 39, 7). Un préteur résigne, ses fonctions afin qu’une accusation de majesté puisse être immédiatement formée contre lui (Dion, 57, 21). Il existait probablement des dispositions du même genre pour la totalité ou la plupart des questions ; mais il n’y a pas eu de disposition générale à ce sujet, tout au moins avant la loi Julia sur les judicia publicu.

[42] Cicéron, De leg. agr. 2, 13, 34, dit des décemvirs de la loi agraire de Servilius : Judicare per quinquennium vel de consolibus vel de ipsis tribunis plebis poterunt (ils recevaient donc un imperium majus par lequel la règle posée, note 31, était écartée) : de illis interra nemo judicabit, magistratus iis petere licebit, causam dicere non licebit.

[43] Le préteur repetundarum ne pouvant déjà pas an dehors d’elle forcer les magistrats supérieurs à comparaître, son insertion dans la loi repetundarum, ne peut s’expliquer que par cette supposition à laquelle la rédaction de la disposition est favorable.

[44] Les preuves s’en rencontrent en grand nombre. Si Domitien auctor tribunis plebi fuit ædilem sordidum repetundarum accusandi judicesque in eum a senatu petendi (Suétone, Dom. 8), le motif peut en être que, lorsque l’accusé était magistrat, il semblait convenable que l’accusateur eut une puissance de magistrat plus élevée. Mais l’action contre un édile pouvait aussi sans doute être intentée devant le consul ou le sénat par un particulier.

[45] Sous l’Empire encore des poursuites dirigées contre des tribuns pour des faits d’adultère (Dion, 55, 10) on de meurtre (Tacite, Ann. 13, 44), dont ajournées par le sénat au moment où finiront leurs fonctions.