IX. — LE DROIT DE NOMINATION EXERCÉ PAR LE MAGISTRAT SUPÉRIEUR.L’une des propriétés de l’imperium et en même temps l’un des caractères qui le distinguent des compétences limitées des magistrats inférieurs, c’est le droit qu’il comporte pour son possesseur de conférer à autrui les pouvoirs de magistrat. Ce n’est pas au magistrat inférieur qu’il appartient de pourvoir à sa représentation ou à son remplacement, c’est au magistrat supérieur, et c’est également le magistrat supérieur qui lui nomme les auxiliaires dont il a besoin. Au contraire, l’imperium implique l’Autarkie. La magistrature munie de l’imperium se transfère elle-même, se complète elle-même, pourvoit elle-même à sa représentation et nomme elle-même ses auxiliaires. Ces divers aspects du droit de nomination vont être étudiés ici. Nous chercherons d’abord dans quelle mesure le magistrat supérieur ale droit et le devoir de se nommer un successeur. 1. NOMINATIONS DE SUCCESSEURS. D’après la tradition ou plutôt d’après la manière dont les auteurs du droit public romain ont construit la théorie de l’élection du roi, après que le premier roi eut créé la cité en vertu de son imperium propre, les rois suivants furent nommés par un interroi[1]. Le peuple aurait aussi, d’après les mêmes sources, participé dès le principe à l’élection. Mais, quand bien même ce serait vrai historiquement, ce serait la reconnaissance du droit de nomination de l’interroi qui aurait présidé le scrutin ; car toute rogatio est un accord de volontés entre celui qui la fait et ceux à qui elle s’adresse. Au reste, il sera expliqué ailleurs que la participation du peuple aux élections ne date probablement que de l’époque de la République, et que la renuntiatio du roi par l’interroi doit par conséquent, à son origine, être considérée purement et simplement comme une nomination faite par ce dernier. — Quant à la question de savoir si le droit de nommer le successeur du roi n’appartenait qu’à l’interroi ou s’il n’appartenait pas aussi au roi lui-même, on peut argumenter dans le dernier sens de ce que, sous la République, l’interregnum n’intervient pas forcément à tous les changements de magistrats, qu’il y est seulement un expédient pour le cas où le magistrat sortant n’a pas procédé lui-même à l’élection. Il y a encore un autre argument sérieux : c’est que, si le roi ne pouvait pas nommer son successeur, ses pouvoirs seraient inférieurs à ceux qu’avait l’interroi et qu’eut plus tard le consul. Il faut cependant admettre l’opinion opposée. La tradition ne refuse pas expressément au roi le droit de se nommer un successeur. Mais puisqu’elle n’en indique aucune application, qu’elle fait au contraire intervenir l’interregnum à toutes les vacances du trône[2], c’est que la doctrine romaine considère l’interrègne comme ayant été, à l’époque royale, forcément lié au changement de magistrat. Or, non seulement il est dangereux de s’écarter en pareille matière de la solution de nos vieux maîtres ; mais on voit encore l’idée juridique qui est ici prise pour base. Le principe, d’après lequel aucun acte formel ne peut être affecté d’un terme ou d’une condition[3], n’est pas seulement un principe du pur droit civil ; c’est certainement la conception juridique primitive des Romains ; or, si nous l’appliquons à l’hypothèse en question, le roi ne peut être nommé que pour entrer immédiatement en fonctions, c’est-à-dire qu’il ne peut être nommé que par l’interroi, dont les fonctions cessent immédiatement et de plein droit avec la nomination du roi, et qu’il ne peut l’être par le roi, sauf peut-être dans le cas où ce dernier aurait résolu d’abdiquer ses fonctions au moment de l’élection. Les choses ainsi conçues, le roi n’est pas investi de pouvoirs inférieurs à ceux de l’interroi, mais il n’est pas ou n’est pas fréquemment en position de remplir la condition de droit à laquelle l’acte de nomination est soumis, celle de l’abandon immédiat de la magistrature suprême. Le consul n’a pas au sens propre un pouvoir que le roi n’avait pas[4]. Mais on a plus tard admis le terme en matière de désignation, on a modifié une règle de droit[5], et c’est seulement par suite qu’on a ainsi accru les pouvoirs du magistrat. En outre, les pouvoirs électoraux du peuple, qui ne lui furent probablement attribués qu’à l’époque de l’établissement du consulat, diminuèrent l’importance du droit du magistrat de nommer son successeur, et dans le cours des temps la question de savoir sous la présidence de qui aurait lieu l’élection eut de moins en moins d’intérêt. Il est par conséquent permis d’admettre que le droit de se nommer un successeur est bien attaché dès le principe à la magistrature la plus élevée, mais qu’il n’est exercé que par l’interroi et non par le roi. A l’époque historique, le droit du magistrat de se nommer un successeur a été, comme il résulte de ce qui vient d’être dit, à la fois élargi et restreint. Il a été élargi en ce sens que non seulement l’interroi, mais tout magistrat supérieur nomme son successeur. Il a été restreint en ce qu’il se limite au droit de à concourir la rogatio et au droit de renontiatio. Il a déjà été traité plus haut du conflit qui peut se produire à ce sujet entre les collègues et de la comparatio et de la sortitio qui interviennent alors. Il est remarquable pour la notion de l’imperium que, comme il sera expliqué dans la partie de la designatio, le droit de nomination est resté exclusivement réservé à ceux qui ont l’imperium dans sa plénitude, c’est-à-dire au dictateur, au consul et à l’interroi, à l’exclusion du préteur lui-même. Même sur le terrain du droit religieux et sur celui des institutions plébéiennes, le droit de se nommer un successeur est dans une conséquence et un caractère de la puissance la plus élevée : les tribuns du peuple sont élus sous la présidence d’un tribun et la pseudo-élection du grand pontife eut lieu au moins pendant un temps sous la présidence d’un pontife. Le droit de se nommer des successeurs n’a jamais appartenu aux magistrats inférieurs. On applique à ces magistratures les règles qui seront étudiées plus bas sur les nominations d’auxiliaires. 2. NOMINATIONS DE COLLÈGUES. Depuis que l’unité de l’imperium a cessé d’avoir pour expression l’unité de magistrat, le collège de magistrats qui venait d’être nommé ou qui se trouvait déjà en exercice a pu avoir besoin d’être complété, soit parce que la constitution prescrivait ou permettait de le renforcer dans certains cas, soit parce que tous les sièges n’en avaient pas été obtenus dans l’élection qui avait précédé son entrée en fonction, soit parce qu’un de ses membres avait disparu par démission ou décès. Pour les magistrats qui ne nomment pas eux-mêmes leurs successeurs, c’est-à-dire en particulier pour les préteurs, les édiles et les questeurs, le collège est naturellement complété dans la même forme et par les mêmes autorités qu’il est nommé. Il n’y a qu’aux censeurs qu’on appliquait le principe de la collégialité avec une telle énergie, qu’ils devaient constitutionnellement être issus de la même élection ; si bien que le censeur qui se trouvait être élu seul n’était pas renuntiatus[6], et que celui qui restait seul par la mort ou la démission de l’autre était obligé, au moins à l’époque récente, de résigner ses fonctions[7]. Par, contre, les magistrats qui se nommaient eux-mêmes leurs successeurs, avaient en même temps le droit de compléter leur collège en cas de besoin. Cette règle est également appliquée aux consuls du peuple et aux tribuns de la plèbe. Mais elle l’est d’une façon différente pour chacun des deux collèges[8]. La constitution réservait aux consuls le droit de compléter leur collège, en particulier en cas de guerre, par l’adjonction d’un troisième membre ayant un droit plus fort, d’un dictateur. Et à la vérité l’élection populaire n’est intervenue pour la dictature que tardivement et à titre isolé. Le dictateur est nommé par l’un des consuls comme le roi l’était probablement autrefois par l’interroi ; cette nomination royale n’a qu’une barrière : c’est que les consuls et leurs collègues les préteurs restent en fonctions à côté du dictateur[9], bien qu’en cas de conflit ils s’inclinent devant le dictateur. La question de savoir si le droit de nommer un dictateur était compris dans la simple consularis potestas fut primitivement controversée ; mais, d’après les annales, les objections que l’on faisait furent déclarées dépourvues de fondement par les augures, dès l’an 328[10], et le droit fut désormais exercé par les tribuns militaires consulari potestate. L’élection complémentaire de consuls ne doit pas, si elle peut être accomplie par la même autorité qui a présidé la première élection, se distinguer de la nomination d’un successeur[11]. Si au contraire, il n’y a qu’un consul au moment où les consuls doivent entrer en fonctions, c’est-à-dire si un seul consul a été nommé sous la présidence d’un interroi[12] ou si les consuls qui présidaient l’élection ne sont pas arrivés à réaliser la seconde élection[13], comme en outre si une des places se trouve vacante dans le cours de l’année, le consul en exercice peut seul provoquer l’élection d’un second consul et compléter le collège. Nous avons déjà expliqué qu’il y est bien obligé, mais qu’il ne peut être contraint à s’acquitter de cette obligation et que l’omission de l’élection complémentaire n’a pas été rare, spécialement à l’époque ancienne. Mais, si le consul y procède, le concours du peuple a probablement été exigé de tout temps dans la même mesure où il l’est pour l’élection de successeurs[14]. — S’il n’est jamais question de la suffection de tribuns consulaires[15], l’explication est sans doute que pour eux la collégialité subsistait malgré le défaut d’un ou plusieurs collègues et que par conséquent l’obligation de compléter le collège, qui n’est même pas absolument observée pour les consuls, disparaissait là complètement. Le nombre instable des tribuns consulaires peut aussi s’expliquer par là[16]. Le droit de combler les vides de leur collège appartient également aux magistrats supérieurs de la plèbe, aussi bien si les élections n’ont pas fourni le nombre de membres demandé que si des places deviennent vacantes dans le cours de l’année. Cependant ce droit n’est pas ici exercé à l’origine par la provocation d’élections complémentaires ; il l’est à l’aide de la faculté conférée à ces magistrats supérieurs au moment même de l’élection de se coopter le nombre de collègues nécessaire. La formule tribunicienne de rogatio, qui, pour le cas où l’élection donnerait la majorité nécessaire à moins de dix candidats, accordait à la fois aux élus le droit de cooptation et aux tribuns nommés par cooptation l’égalité de droit avec les tribuns électifs, nous a même été conservée[17] ; et on a sûrement procédé de la même façon lorsqu’un tribun venait à mourir ou à faire défaut pour une autre cause durant son temps d’exercice. Mais, comme — nous est-il rapporté[18] — il était plus facile d’exercer une action sur les tribuns pris individuellement que sur la masse de la plèbe et que les patriciens influaient par suite à l’aide de la cooptation sur l’attribution des places de tribuns, la cooptation tribunicienne fut abolie en 306 par le plébiscite Trébonien[19], et elle le demeura, quoique l’on rencontre encore postérieurement quelques essais de la rétablir en dépit de cette loi[20]. Désormais, on suivit ici la même procédure que pour le consulat les tribuns qui présidaient à l’élection avaient, si toutes les places n’étaient pas attribuées au premier tour de scrutin, à provoquer de nouvelles élections[21]. Le droit des magistrats supérieurs plébéiens de nommer leurs collègues n’entrait donc pas en exercice dans ce cas ; mais ils en ont fait sans doute usage, lorsqu’une place devenait vacante entre l’élection et l’entrée en charge ou pendant la durée de la magistrature[22]. Si la magistrature supérieure plébéienne s’écarte à ce point de vue de son modèle patricien, cela tient évidemment à ce que la continuité légale assurée pour le modèle par l’interrègne faisait défaut pour la copie. La vacance du consulat n’entraînait jamais celle de la magistrature supérieure ; la vacance du tribunat entraînait la disparition juridique de la plèbe et ne permettait le renouvellement de l’institution que par le procédé qui avait servi à la fonder, à l’aide d’une révolution. C’est pourquoi on recourut à l’augmentation du nombre des places, à la cooptation plus facile à accomplir qu’une élection, puis, après sa disparition, à la prononciation des peines les plus graves contre ceux qui omettraient de faire élire leurs successeurs ainsi qu’aux dispositions corrélatives sur les délais et l’exclusion de l’intercession, pour assurer la perpétuité du collège aussi solidement que cela peut exister sans une institution organique destinée à cette fin, et le but a été atteint. Autant que nous sachions, jamais un collège de tribuns n’est sorti de charge sans laisser le nouveau collège absolument complet[23]. Lorsque Auguste fit de la puissance tribunicienne une monarchie, il y ramena l’ancien mode de complément du collège : il nommait lui-même ses collègues par cooptation avec le concours du sénat[24], sans doute afin de tracer ainsi une ligne de démarcation entre sa propre puissance tribunicienne et celle de ses collègues. 3. NOMINATIONS D’AUXILIAIRES. Il faut, pour fonctionner, à toutes les magistratures, des auxiliaires et des agents qui agissent en vertu d’un mandat du magistrat duquel ils dépendent, et dont, pourvu qu’ils n’excèdent pas leurs pouvoirs, les actes ont le même effet que les siens propres. C’est dans ce cercle que rentraient primitivement les actes des questeurs, tout aussi bien que ceux des tribuns et des autres officiers militaires ; que rentraient aussi ceux des officiales, licteurs, viatores, scribes et autres employés ; que rentraient encore ceux des jurés, des centurions et des soldats. L’organisme politique a pour condition fondamentale d’existence l’enchaînement de ces rouages multiples dont se compose la puissance publique, et la nomination de tous ces agents, même des agents des agents, revient essentiellement au magistrat le plus élevé ; c’est du magistrat supérieur que tous tiennent, en droit, leur mandat, quand bien même, en fait, il leur viendrait de leur supérieur immédiat. Le droit qui appartient au magistrat de se nommer des auxiliaires est le premier et le plus important de tous, puisque sans lui le magistrat ne pourrait remplir aucune de ses fonctions. Mais aussi les limitations sont ici aussi anciennes que le droit même. Si l’exercice dé ce droit n’était pas réglementé, celui qui le posséderait serait libre de se nommer ou de ne pas se nommer des auxiliaires de toute sorte, d’étendre ou de, restreindre leur nombre à sa guise, de répartir entre eux les attributions à son gré, et tous les systèmes qui lui plairaient pour un moment seraient également légaux. Il y a tout au contraire, à Rome, un cadre arrêté, dans lequel doivent s’enfermer toutes les dispositions prises en matière civile ou militaire ; la préfecture de la ville[25] et la composition de la légion suffiraient à elles seules à l’établir. Et c’est avant tout cette organisation régulière qui, dans la conception générale du monde latino-hellénique, caractérise la respublica, la πολιτέις en face de l’absolutisme barbare ; qui, dans la conception spéciale des Romains faisait déjà de l’autorité royale un imperium legitimum[26]. Les limitations ont probablement eu, à l’époque la plus ancienne, une telle efficacité pratique que, dans un certain sens, l’imperium primitif peut fort bien avoir été moins libre que l’imperium, amoindri dans la forme, de l’époque historique[27]. Il faut seulement se garder d’appliquer aux transgressions de ces règles commises par le chef de l’État l’idée de nullité de forme ; il n’y aurait eu, dans la constitution d’alors, aucun organe pour faire valoir une telle nullité, et, même parla suite, les Romains n’en ont, en matière politique, admis de pareilles que dans une mesure limitée. La décision prise à l’encontre de ces règles fondamentales par le chef de l’État demande l’approbation du peuple et du sénat, si bien que, lorsque cette approbation ne se produit pas, il y a pour ainsi dire, à l’encontre de la nouvelle institution illégale (injustum), un appel permanent adressé du gouvernant en faute tant à lui-même qu’à ses successeurs, et il faut qu’il soit test ou tard tenu compte de cet appel par le retrait de la mesure défectueuse et que le gouvernement devenu irrégulier par la faute soit de nouveau rendu régulier. Les règles établies pour la nomination des auxiliaires diffèrent avec les actes dont il s’agit. Il y en a pour le service militaire. Il y en a d’autres pour l’administration de la justice et pour le recouvrement des impôts. Ces diversités ne peuvent être étudiées qu’avec les actes auxquels elles se rapportent. II s’agit ici de montrer les différences de principe qui séparent le droit de délégation sur le territoire urbain et sur le territoire militaire ; car bien qu’il doive ailleurs être question de chacune des différences particulières, ce n’est que par leur rapprochement qu’on peut mettre dans son véritable jour la notion de la puissance publique envisagée dans ses deux grands principes opposés. Il faut à ce point de vue distinguer quatre termes : l’obligation de supérieurs nommer certains auxiliaires et seulement ceux-là ; l’obligation de ne pas accomplir certains actes en personne et de les faire accomplir par des représentants ; l’admissibilité de la délégation intégrale ; enfin la limitation du droit de choisir librement les auxiliaires. L’application combinée de ces procédés a eu pour compétence effet d’exclure de l’administration urbaine, la liberté de délégation aux agents supérieurs qui ont été remplacés par des magistrats inférieurs. Le but ne fut assurément pas atteint d’un seul coup ; mais l’évolution politique, dont la première manifestation fut l’établissement de la République, y tendit avec une invariable persistance, et elle finit par l’atteindre avec une étendue, dont l’utilité pratique est certainement beaucoup plus contestable que la perfection rationnelle. I. Le magistrat de la République est obligé, relativement à l’administration urbaine, à laquelle appartient régulièrement la formation de l’armée elle-même, d’une part, de nommer un nombre déterminé de questeurs et de tribuns militaires, comme pareillement s’il est dictateur, de nommer un maître de la cavalerie et, d’autre part, de s’abstenir soit d’en nommer un plus grand nombre, soit de nommer d’autres agents supérieurs ayant des attributions différentes. Et cette nomination obligatoire est probablement, au moins en ce qui concerne les officiers, antérieure à la fondation de la République. Un cas plus récent de délégations prescrites légalement est celui dés tribunaux locaux qui se rencontrent en Italie depuis le Ve siècle à l’origine, nul citoyen romain ne pouvait être poursuivi civilement ailleurs qu’à Rome devant le tribunal du préteur. Des lois spéciales[28] établirent dans divers endroits de l’Italie, en premier lieu à Cœre et à Capoue, des præfecti jure dicundo qui exerçaient une juridiction limitée quant aux lieux et peut-être quant au fond, mais d’ailleurs semblable à celle des préteurs romains, et qui sans doute doivent être considérés comme des délégués de ces chefs de l’administration judiciaire, c’est-à-dire en première ligne du préteur urbain. Il faut sans doute comprendre de la même façon, comme fondée sur un mandat législativement obligatoire du préteur (VI, 2) la juridiction municipale des cités de citoyens romains[29]. En dehors des hypothèses où la délégation de la juridiction est ainsi réglée pour des circonscriptions déterminées par des lois spéciales, le titulaire de l’imperium judiciaire présent dans son département n’a probablement le droit de le déléguer[30] que quand le délégué a déjà l’imperium judiciaire, et que par conséquent la délégation peut être considérée comme faite entre collègues[31]. Il n’est pas à supposer que la juridiction sur la capitale puisse être arbitrairement déléguée à des particuliers[32]. Le contraire est établi à la fois par la tendance visible de toute la législation romaine à ne pas laisser remplir dans la capitale des fonctions de magistrats par des gens qui ne le sont pas, et par l’absence complète d’exemples spéciaux qui montrent la juridiction exercée par un particulier dans la capitale en vertu d’une telle délégation[33]. La délégation entre collègues, que nous retrouverons au cas de délégation d’un représentant motivée par l’absence du magistrat, peut en revanche avoir été admise, même quand le préteur est présent, sinon de toute antiquité, au moins à l’époque de la République[34]. II. Quant à l’obligation du magistrat supérieur de ne pas accomplir en personne et de faire accomplir par un représentant déterminé certains actes qui, de leur nature, rentrent dans sa compétence, elle se rencontre tout d’abord, depuis l’établissement de la République, pour la magistrature supérieure urbaine relativement à l’ærarium et à la justice criminelle qui étaient administrés par les questeurs pour le compte et au nom des consuls, mais à l’exclusion des consuls. On continua par la suite à détacher ainsi des portions importantes et multiples des attributions du magistrat supérieur, pour les transférer à des autorités moins élevées, par lesquelles la magistrature supérieure était exclue soit d’une manière absolue, soit au moins tant que le fonctionnaire inférieur exerçait ses fonctions. III. La distinction de la puissance supérieure propre ou déléguée est de l’essence de cette puissance et aussi ancienne qu’elle. Mais, selon la constitution primitive, le roi peut, quand il veut, munir un délégué d’une puissance égale en qualité à la sienne propre, il peut transférer sa puissance dans l’intégralité où ü la possède lui-même : le préfet a les faisceaux, quoique sa compétence se fonde sur une délégation tout comme celles du tribun militaire et du juré. Cette faculté de déléguer entièrement sa puissance fut d’abord restreinte, pour la magistrature supérieure de la République, aux cas de nomination de préfet urbain que nous étudierons en leur lieu, et elle, lui fut retirée dans le cours du développement, sauf l’exception motivée par la fête latine, par suite de la substitution de la préture à la préfecture urbaine. A partir de là, la puissance supérieure ne fut -conférée dans l’intérieur de la ville que directement par le peuple. Ainsi s’est formée la notion de la magistrature fondée sur un mandat du peuple par opposition à celle des fonctions publiques fondées sur un mandat d’un magistrat. IV. Le droit du magistrat supérieur de nommer ses agents auxiliaires supérieurs fut admis par la République. On appliqua alors aux consuls et aux questeurs le principe que les magistrats sont nommés par le peuple et les auxiliaires par le magistrat. Le système, d’après lequel le peuple intervient même pour attribuer leurs auxiliaires aux magistrats, fut d’abord introduit pour la questure, probablement lors du rétablissement de la constitution consulaire qui suivit la chute des décemvirs. Pour la censure, l’édilité et un certain nombre d’autres magistratures plus récentes, la nomination par le peuple est aussi vieille que la séparation de ces fonctions de la magistrature supérieure et leur constitution en compétences distinctes. Quant à la juridiction, la nomination des præfecti jure dicunda resta primitivement au préteur urbain ; vers la fin de la République, les plus importants de ces postes étaient dévolus par l’élection populaire. Lorsque les préfets furent supplantés par les autorités municipales, le préteur perdit intégralement le droit de nommer les magistrats qui administraient la justice à sa place, et ces magistrats furent désormais élus par les comices municipaux. Les postes d’officiers ont été traités de la même façon. La première atteinte qui ait été apportée au droit da général de nommer les officiers, l’a été par une suite directe de la suppression du tribunat consulaire, en l’an 392 de Rome, où la nomination d’une partie des tribuns militaires a été transférée aux comices ; cela a ensuite été progressivement étendu à tous les officiers régulièrement nommés de cette espèce et aux officiers correspondants de la flotte[35]. Par suite de la conception de la puissance supérieure comme une délégation des comices, cette extension de l’élection par le peuple à une partie des auxiliaires des magistrats supérieurs eut pour résultat de modifier la notion de la magistrature, qui, primitivement, était attachée à la puissance la plus élevée. Il y avait, sous la République, à l’origine, seulement des magistrats et des auxiliaires des magistrats qui n’étaient pas magistrats ; il n’y avait pas de magistrats inférieurs, ni par conséquent, au sens strict, de magistrats supérieurs. Ce principe survécu dans l’interrègne, tant qu’a existé la République : l’interroi n’est pas tant le premier que le seul magistrat de l’État. Mais l’extension de l’élection populaire a fait des autorités qui étaient proprement subordonnées des autorités coordonnées. Il est vrai que, dans la théorie, on maintint le droit de nomination du magistrat supérieur en considérant le résultat du vote seulement comme une proposition obligatoire pour le magistrat et en faisant résider la nomination dans la renuntiatio qui suit l’élection[36]. C’est pour cela que la présidence du scrutin est toujours attribuée à un magistrat supérieur, et, quand le magistrat à élire était antérieurement un agent nommé par un magistrat supérieur, toujours au magistrat qui avait à l’origine le droit de libre nomination. Mais le droit de faire librement les nominations a été, dans l’administration urbaine, si complètement enlevé aux magistrats supérieurs que ; même lorsque par exemple un questeur venait à disparaître, les consuls n’y avaient pas le droit de lui nommer un remplaçant. C’est une solution qui se lie à l’exclusion absolue de la promagistrature dans l’administration urbaine, que nous avons étudiée plus haut. Par rapport aux auxiliaires d’ordre inférieur, la liberté du magistrat a, comme il se conçoit, été moins entravée. I. Il y a aussi, dans l’administration urbaine, une réglementation légalement arrêtée du nombre et des fonctions des agents auxiliaires inférieurs. Il faut surtout — remarquer les règles fixes établies relativement aux appariteurs, particulièrement aux licteurs, desquels le magistrat doit se servir pour la coercition sur ce territoire ; car le droit de demander main forte au reste des citoyens est restreint au cas de force majeure, et il ne peut sous aucun rapport être comparé avec le droit qu’à le magistrat, dans la compétence militiæ, d’employer à la coercition, à côté de ses licteurs, tous les soldats placés sous ses ordres. II. L’exclusion de l’activité propre du magistrat par celle de l’agent auxiliaire inférieur trouve ici une application ; en forme d’une haute importance pratique. C’est la règle que le préteur a non seulement le droit mais le devoir de nommer un ou plusieurs jurés pour chaque procès et n’est pas autorisé à le trancher lui-même par sa propre cognitio. Le caractère essentiel de limitation des pouvoirs du magistrat reconnu à cette règle à son expression dans le fait que la procédure parjurés, en matière civile, est aussi bien que la provocatio ad populum, en matière criminelle, comptée parmi les institutions qui n’existaient pas encore à l’époque royale et qui ne furent établies que sous la République[37]. III. Les comices n’intervinrent que pour des cas isolés dans la nomination des agents auxiliaires inférieurs : l’hypothèse la de nomination plus importante à ce point de Vue est celle du transfert des fonctions de jurés, dans certains procès appartenant quant au fond au droit criminel et dans les contestations relatives à la liberté, aux tres viri capitales et aux decem viri litibus judicandis qui, au moins à l’époque récente, étaient élus par les comices[38]. — Il est arrivé plus fréquemment que les agents auxiliaires supérieurs, une fois devenus des magistrats ayant des pouvoirs propres, se soient arrogés en partie la nomination des inférieurs. Ainsi, par exemple, les appariteurs des questeurs sont, depuis que ces derniers ont conquis leur indépendance, nommés par eux et non pas par les consuls. Il en est particulièrement ainsi pour la formation de l’armée, ou les tribuns militaires assignent leurs rangs aux divers soldats jusqu’au grade de centurion. Cependant il reste très douteux que ce droit de nomination des tribuns puisse être rattaché à la catégorie des délégations forcées, et qu’il soit interdit au général d’intervenir dans ces nominations ; il est plus exact de voir là, comme dans la coercition des tribuns militaires, une délégation habituelle, mais volontaire, qui n’enlève pas au général la liberté d’attribuer ces compétences à tout moment soit en concours avec ses délégués, soit à titre réformatoire, et dans laquelle par suite les pouvoirs du tribun ne sont pas une atteinte au droit du général, mais seulement son exercice. En droit, c’est toujours le magistrat supérieur qui place à son rang le manipulaire aussi bien que le tribun militaire et le centurion. La règle demeure que les agents des agents ne sont pas nommés par eux, mais par le magistrat supérieur. Si nous comparons avec ce régime celui qui fonctionne hors de la ville, la règle que l’imperium ne peut pas être arbitrairement délégué n’y est, il est vrai, aucunement écartée, mais elle ne s’y applique que dans des limites beaucoup plus étroites. I. L’obligation de nommer les agents auxiliaires supérieurs, c’est-à-dire ici les officiers, appartient, comme il a déjà été noté, au premier rang à l’administration demi, et par suite est soumise à des règles arrêtées. Le général doit aussi avoir été astreint, au moins dans une certaine mesure, à respecter les attributions des officiers ainsi nommés : il n’aurait pas eu le droit de déplacer et de faire passer de l’un à l’autre les fonctions attachées à ces postes, d’enlever au questeur la caisse de l’armée pour la confier à un tribun, d’attribuer au præfectus socium le service du tribun, mais cependant il reste là pour la liberté de délégation un tel espace que l’administration urbaine n’offre rien d’analogue. 1. Le général a probablement eu de toute antiquité, et a toujours gardé le droit de placer à titre extraordinaire un officier sous les ordres d’un autre. Aucun général ne pourrait remplir ses fonctions sans cette faculté, et sans elle le général romain le pourrait moins que tout autre ; car le système militaire de Rome n’est pas arrivé, ou n’est arrivé qu’incomplètement à une hiérarchie en forme des grades et de l’ancienneté, et les instructions du général étaient par conséquent d’autant plus nécessaires pour combler cette lacune. Peut-être ne peut-on, pour l’époque ancienne, établir l’existence de mesures de ce genre que relativement à l’exercice du commandement pendant une bataille[39]. Mais assurément leur emploi ne s’est pas limité à cette hypothèse. Avant tout, lorsque, d’après l’organisation de l’armée, le commandement se trouvait exercé par roulement ou par des collègues, comme en particulier pour la légion, le général devait fréquemment écarter par une délégation les inconvénients de ce régime[40]. Et même en dehors de ce cas, il a dû souvent procéder de la même façon, par exemple mettre un préfet des alliés sous les ordres d’un tribun de légion ou d’un autre préfet. Seulement pour ces délégations on respectait assurément, au moins dans une certaine mesure, les règles des grades en ne mettant pas un questeur sous les ordres d’un tribun militaire, un tribun militaire sous ceux d’un préfet des alliés, ni un centurion sous ceux d’un manipulaire. 2. Le droit de conférer à un particulier un commandement d’officier, en dehors des limites et des formes de son droit de nomination des officiers, doit être dénié sans réserve au général pour l’époque ancienne[41]. Spécialement les amis et les compagnons qui le suivent en campagne sont dépourvus de tout caractère officiel, et il ne peut avoir été permis dans les temps reculés d’attribuer un commandement d’officier en forme à quelqu’un qui n’était pas soldat. Mais, au moins à l’époque du développement de la domination du sénat, nous trouvons la règle écartée pour ceux que le sénat place officiellement auprès du général (legati), peut-être même d’une façon générale pour les sénateurs ; il semble que ces personnages, bien que n’étant en droit que des particuliers, étaient traités en fait comme des officiers en disponibilité, et que le général pouvait les employer à son gré, et même mettre les véritables officiers sous leurs ordres, sans violer la hiérarchie[42]. 3. Dans la compétence domi, la délégation entre collègues est admise pour la juridiction ; elle ne peut s’appliquer dans la compétence militiæ, et par suite la nécessité y introduisit, au plus tard vers la fin de la République, un exercice plus libre du droit de délégation, dont, il est vrai, nous ne sommes pas en état dé suivre les débuts. A l’époque de Cicéron, nous voyons le questeur administrer la justice au nom et sur le mandat du gouverneur[43] ; et cette pratique parait avoir été alors habituelle, probablement parce que, s’il n’avait pas de juridiction propre, il avait pourtant des pouvoirs propres de magistrat, et que, par suite= on pouvait voir dans cette délégation une sorte de délégation entre collègues. Mais les mêmes fonctions sont aussi remplies par les légats[44], et même au besoin par des personnes non sénatoriales de la suite du gouverneur[45]. Sous l’Empire, l’usage du questeur pour la juridiction déléguée est abandonné ; nous trouvons employés à cet effet, dans toutes les provinces du sénat[46] et dans quelques provinces de l’empereur[47], des fonctionnaires adjoints distincts, de rang sénatorial, appelés dans les premières toujours legati tout court, et dans les secondes, au commencement du même nom, puis, pour les distinguer des légats provinciaux eux-mêmes, legati juridici ; ils exerçaient, en vertu d’une délégation qui, si elle n’était pas légalement prescrite[48], était cependant permanente de fait, la juridiction aux côtés du gouverneur soit dans la province tout entière, soit dans une de ses circonscriptions (diœcesis)[49]. La délégation arbitraire de la juridiction que nous avons rencontrée, au moins au VIIe siècle, dans l’administration provinciale, fut par là réglementée en quelque mesure. Cependant la délégation faite à des particuliers, que l’on trouve, à l’époque récente de la République à côté de la juridiction des questeurs, se rencontre encore sous le Principat. Nous connaissons une hypothèse du temps de Tibère, où un præfectus fabrum, c’est-à-dire un homme de rang équestre, reçoit la délégation d’une circonscription judiciaire dans la province sénatoriale d’Asie[50] ; et les recueils juridiques permettent également la délégation à un particulier[51]. Il se peut que ces délégations soient intervenues, lorsque le légat, adjoint pour la juridiction au proconsul, faisait défaut dès le principe ou après coup. Mais la délégation de juridiction n’en est pas moins toujours restée ; même sous l’Empire, d’une nature différente et plus libre dans l’administration provinciale que dans l’administration urbaine. Dans la dernière, la délégation n’est, selon toute apparence, admise qu’entre collègues, et par suite le délégué ne s’y produit jamais d’une façon directe. Dans la première, nous ne rencontrons pas seulement des fonctionnaires chargés de la juridiction déléguée qui sont presque des magistrats, nous rencontrons encore, au moins en cas de besoin, des délégations faites librement à des auxiliaires arbitrairement choisis. II. Il va de soi que les fonctions pour lesquelles ont été établis des postes propres d’agents auxiliaires, ne sont, même hors de la ville, pas remplies en règle par le magistrat supérieur. Mais il n’y a guère qu’une catégorie de fonctions qui lui ait été enlevée de cette manière : l’administration des fonds de l’ærarium confiés au général appartient exclusivement au questeur. La liberté ainsi laissée à la délégation de juridiction dans le cercle de la compétence militiæ a eu une grande importance historique ; elle a été l’origine de l’appel en réformation, dont le rôle fut si considérable sous l’Empire et reste encore prépondérant dans notre droit actuel. — Dans la mesure où la délégation n’est pas obligatoire, mais seulement licite, elle peut, au gré du délégant, avoir lieu de deux façons : ou bien le délégant entend n’avoir plus à s’occuper de l’affaire, et les parties devront s’en tenir à la décision du délégué[52] ; ou bien au contraire il se réserve d’examiner la sentence, et, le cas échéant, de l’annuler pour s’occuper lui-même de l’affaire[53], et alors on peut atteindre même une sentence de jurés, car les jurés eux-mêmes disparaissent avec le décret par lequel le délégué les avait institués[54]. La seconde idée parait avoir été prise pour règle relativement aux délégations de juridiction faites par les gouverneurs, et ce fut en s’appuyant sur elle que, lorsque la juridiction déléguée des légats fut soumise à des règles fixes, on admit du légat au proconsul ou, le cas échéant, à l’empereur un appel en réformation qui est devenu le point de départ de l’appel moderne[55]. III. Le droit dé transférer pleinement ses pouvoirs à son mandataire n’est pas enlevé ici au général, comme dans le territoire domi ; il est limité au cas où ce général est regardé comme absent ; le général peut alors, ainsi qu’il sera expliqué au sujet de la représentation, transporter ses pouvoirs sur la tête d’un auxiliaire qui reste présent, seulement il est vrai sous la forme de promagistrature. En dehors du cas de représentation, les pouvoirs des auxiliaires, si étendus qu’ils soient ne comprennent jamais, même dans la compétence militiæ, les pouvoirs de magistrat. Pour aucune magistrature, une magistrature déléguée ou une promagistrature ne peut fonctionner à côté du magistrat ou des magistrats en exercice. IV. La formation de l’armée et le droit de nommer les officiers dépendant de l’imperium urbain, l’imperium militaire ne comprend ici que le droit du général de remplacer les agents auxiliaires qui venaient à manquer par des suppléants nommés par lui et agissant pro magistratu, et de nommer les officiers qui venaient à foire défaut. Les comices ne se sont pas immiscés dans l’exercice de ce pouvoir. Il ne reste que peu d’observations à faire sur les agents auxiliaires inférieurs. I. Quant à la nomination même, il n’y a aucune opposition de principe avec l’administration urbaine. Cependant il a déjà été remarqué que, si la magistrat n’a pas d’autres appariteurs à l’extérieur qu’à Rome, il ne peut dans la ville employer que ces appariteurs pour l’exercice du droit de coercition, tandis que le général a en outre, pour cela, tous ses soldats à sa disposition. II. L’exclusion formelle du concours de l’activité du mandant et de celle du mandataire embrasse toute la sphère de la juridiction contentieuse ; elle s’applique par conséquent aussi au territoire extérieur, dans la mesure où des jurés y sont constitués. III. Quant à la nomination des agents inférieurs par les généraux, qui est d’usage particulièrement lors de la formation de l’armée, il en a été traité plus haut. |
[1] En ce sens, Cicéron, De re p. 2, 13, 25 : Numam.... regem.... patribus auctoribus sibi ipse populus adscivit.... qui.... quamquam populus curialis eum comitiis regem esse jusserat, tamen ipse de suo imperio legem curialam tulit. c. 17, 31 : Mortuo rege Pompilio Tullum Hostilium populus regem interrege rogante comitiis curialis creavit isque de imperio suo.... populum cousuluit curiatim. Toutes les autres indications sont dans le même sens, sauf que Servius n’est pas élu par l’interroi, mais se fait élire lui-même, quelque temps après son arrivée au pouvoir, et présente ensuite la loi curiate (Cicéron, De re p. 2, 21, 33 ; Tite-Live, 1, 41, 6. c. 46, 1. 47, 10, de même aussi Denys, 4, 31. 40). La raison de cette déviation peut être qu’on avait besoin d’un précédent pour l’élection des premiers consuls, qui, comme on sait, émane des comices par centuries organisés par Servius, et que, dans ce but, on fit élire Servius par les centuries. Or l’élection de Servius ne pouvait pas alors précéder son entrée en fonctions, puisque les centuries ne furent organisées que par lui (cf. Rœm. Forsch. 1, 2. 43). Sur la question de savoir en vertu de quel droit Servius régna d’abord et proposa lui-même la rogatio qui le nommait, la seule réponse que l’on puisse peut être donner, c’est que le dernier roi aussi, quoique pour lui l’élection fit absolument défaut, — il n’est au pouvoir neque populi jussu neque auctoribus patribus (Tite-Live, 1, 49, 3. Denys, 4, 80) — est regardé cependant comme rex, mais comme injustus dominus (Cicéron, De re p. 2, 24, 44).
[2] On s’écarte, il est vrai, de cette règle pour Servius (note 1). Mais ce n’est pas pour rattacher son élection au roi précédent ; c’est, par un véritable contresens, lui-même qui se nomme.
[3] Papinien, Digeste 50, 17, 77.
[4] Il ne serait pas inconcevable que le consul eût été primitivement tenu de procéder aux élections le dernier jour de ses fonctions ou d’en laisser le soin à l’interrex ; mais il n’y en a pas plus de vestige précis que ce c’est vraisemblable en soi.
[5] Cela se rattache peut-être à ce que la nomination du roi était à l’origine un acte du magistrat seulet que plus tard l’acte se fit par une loi ; car le terme et la condition sont admis en principe dans les lois.
[6] Tite-Live, 9, 31, 25.
[7] Tite-Live, 5, 31, 6, sur l’an 361. 6, 27, 4, sur l’an 374. Cf. 9, 35, 17. 24, 43, 4. 47, 6. 19. Plutarque, Q. R. 50. — Il est très douteux que la raison donnée par Tite-Live soit la véritable, d’autant plus qu’il est de toute impossibilité de rattacher à la désidémonie la disposition, évidemment de même nature, rapportée ci-dessus note 6. Probablement en a exigé, à cause de la communauté des actes pins énergique dans la censure que dans toute autre magistrature, un exercice des pouvoirs des tenseurs absolument simultané et par conséquent aussi en particulier une entrée en fonctions simultanée, qui eut fait défaut pour des élections accomplies dans des comices distincts, puisque les censeurs entrent nécessairement en charge ex templo.
[8] J’ai précédemment suivi l’opinion de Mercklin, Cooptation, p. 183, en admettant une cooptation consulaire du même type que celles des tribuns ; mais il n’y a aucun motif de s’écarter là de la tradition.
[9] La coexistence des autorités supérieures respectives et l’inadmissibilité de la dictature sans consulat contemporain réclament l’extension du principe de la collégialité à la relation du dictateur et des consuls. Mais la différence de titre et de puissance l’a encore plus obscurcie là que pour la préture ; au reste la collégialité inégale se supprime jusqu’à un certain point elle-même. C’est pourquoi le dictateur n’est jamais appelé le collègue des consuls et son élection n’est jamais qualifiée du nom de cooptation.
[10] Tite-Live, 4. 31, 4. Zonaras, 7, 19. On trouve déjà un dictateur en l’année 320 où les anciennes annales placent également des tribuns militaires ; mais il y a peu de fonds à faire sur cette allégation ; les annalistes postérieurs admettent l’existence de consuls en cette année, et d’autres raisons portent à placer plutôt en 319 la dictature dont il s’agit (Chronol. p. 96).
[11] Sans doute, je ne trouve pas de preuve que, lorsqu’un consul seulement était nommé dans les comices consulaires, le magistrat qui présidait l’élection ait pu convoquer d’autres comices pour l’élection du second. Mais on ne voit pas pourquoi ce droit lui serait refusé et pourquoi notamment, à l’époque moderne où il y a un long délai entre la désignation et l’entrée en charge, la seconde élection qui pouvait être nécessaire aurait été rejetée à la nouvelle année officielle.
[12] Tel est le cas de l’élection accomplie par un interroi de C. Terentius Varro pour 538. (Tite-Live, 22, 35).
[13] Nous connaissons deux cas de cette espèce. Le consul L. Postumius Albinus élu pour 530 périt antequam ciretur (Tite-Live, 23, 24) et l’élection complémentaire fut présidée par son collègue (Tite-Live, 22, 31). M. Fulvius Nobilior fut élu seul aux élections pour 565 et il présida le jour suivant celle de son collègue (Tite-Live, 37, 47). Dans le premier cas, la nouvelle de la mort d’Albinus peut parfaitement être arrivée à Home assez tard pour que les magistrats de l’année précédente ne pussent plus procéder à aucune élection. Le second, tel qu’il nous est rapporté, est obscur ; mais, si l’on tient compte du postero die, il ne peut s’y agir que d’une entrée en charge ex interregno.
[14] Tite-Live nomme expressément les comices pour les premières suffections qu’il rapporte, celles de 245 (2, 2, 11. c. 8, 3) et de 204 (3, 19, 2). L’opinion d’anciens érudits, encore défendue par Mercklin (Cooptation, p. 191 et ss.), d’après laquelle l’expression collegam dixit, employée pour le magistrat qui préside l’élection, devrait dans Tite-Live, 1, 24, 11. 37, 47, 6, être entendue de la cooptation du second membre du collège, mi manifestement fausse. Le second des textes se rapporte clairement à l’élection par le peuple. Rien n’implique non plus que la nomination de Scipion par Pompée, en 702, ait eu lieu en dehors de comices.
[15] Lange (Zahl und Bedeutung des Cons. Tribunats. p. 13) attire l’attention sur l`absence générale de la suffection et sur l’occasion qu’il y aurait eu d’y recourir en 340 (Tite-Live, 4, 30, 5).
[16] Si, comme nous verrons plus loin, le chiffre normal des tribuns était de six ; cela pouvait parfaitement s’appliquer lorsque la première élection ne donnait pas le chiffre complet. Sans doute il fallait à côté de cela une disposition qui fixât le chiffre des tribuns en fonctions à trois, quatre ou six, à l’exclusion de un, deux et cinq à cause du principe du roulement, par exemple en prescrivant de regarder l’élection comme nulle dans les deux premiers cas et d’exclure un des élus par la voie du sort dans la troisième.
[17] Tite-Live, 3, 64. Lorsqu’il n’est élu que cinq tribuns, le magistrat qui préside le scrutin refuse, en invoquant cette loi, de provoquer l’élection complémentaire de cinq tribuns ; en effet, s’il en avait fait élire cinq autres et que les cinq premiers élus, comme c’était leur droit et leur devoir, en eussent nommé cinq par cooptation, il y aurait eu forcément quinze tribuns.
[18] Des patriciens auraient même été faits tribuns par voie de cooptation sous prétexte que l’exigence du plébéiat se serait rapportée non pas au tribunat lui-même, mais seulement à l’élection au tribunat ; cependant il n’est pas sûr qu’il y ait la autre chose qu’une exemplification juridique. Cf. à ce sujet, toute III, la théorie du Tribunat.
[19] Tite-Live, 3, 65. Diodore, 12, 23, sur l’an 304 (cf. Hermes, 5, 239 = Röm. Forsch. 2, 172.) Niebuhr a rapporté avec raison le second texte non pas à la loi Duilla, mais à la loi Trebonia, soit parce que les mots τούς ΐσους ont nécessairement un rôle, soit parce qu’il n’est pas possible de considérer la loi Duilia comme une concession des patres à la plèbe, tandis que cette appréciation s’applique parfaitement à la suppression de la cooptation.
[20] Le droit de cooptation des tribuns du peuple aurait encore été exercé, en 315, de la manière suivante : les dix places auraient bien été attribuées par l’élection populaire ; mais nu onzième tribun, qui aurait même été le rejeton d’une famille patricienne, aurait été nommé par cooptation, Tite-Live, 4, 16 ; Pline, N. h. 13, 3, 15. Tite-Live repousse ce récit, et certainement avec raison, mais il est difficilement exact de considérer cette cooptation comme contraire à la loi Trebonia ; car ce plébiscite ne défendait pas directement la cooptation, mais seulement prescrivait la perrogation, des dix tribuns. La loi est par conséquent tournée et non pas violée. En revanche, deux tribuns furent, en 353, nommés par cooptation, en violation évidente de la loi Trebonia, si le récit de Tite-Live, 5, 10, 11, est correct.
[21] Evidemment la prescription de la loi Trebonia (note 17) n’est exécutable que si le magistrat qui préside l’élection a le droit de provoquer de nouvelles opérations électorales après un tour de scrutin resté totalement ou en partie sans résultat.
[22] Mummius a été ainsi nommé, en 621, à la place du tribun déposé Octavias (Appien, B. c. 1, 14).
[23] Cf. tome III, la théorie du Tribunat du peuple.
[24] Suétone, Auguste, 27 : Tribuniciam potestatem perpetuam recepit, in qua semel atque iterum per singula lustra collegam sibi cooptavit (cf. mon éd. du mon. Ancyr. p. 31). Quand Auguste lui-même, dans le mon. Ancyr. Græc. 3, 21 (cf. Tacite, Ann. 4, 40) dit qu’il a demandé au sénat de lui donner un collègue dans ce poste, cela ne fait que confirmer l’assertion de Suétone en excluant l’élection par le peuple. Auguste lui-même et les princes qui l’ont suivi ont, on peut l’établir, reçu la puissance tribunicienne avec le concours de l’assemblée du peuple. Le sénat ne pouvait concéder cette puissance ni à Auguste ni à son collègue. Mais, dans l’exercice du droit de cooptation, la présentation pouvait être accordée au sénat, d’une manière analogue à ce qui a eu lieu pour la nomination du dictateur. Auguste sent sans doute indiquer qu’il n’a pas usé de son droit dans toute sa plénitude, et qu’il y a apporté une restriction volontaire.
[25] La nomination du præfectus urbi nous apparaît dans la tradition comme aussi obligatoire pour le roi, s’il franchit la frontière, que pour les magistrats de la République, et, à l’inverse, la nomination d’un magistrat ayant les mêmes pouvoirs, lorsque le magistrat supérieur est présent, comme aussi impossible à l’époque royale qu’à l’époque républicaine.
[26] Salluste, Cat. 6 : Imperium legitimum, nomen imperii regium habebant.
[27] Que l’on réfléchisse par exemple aux conséquences pratiques da la plus ancienne organisation militaire qui nous soit connue, à l’armée composée d’une seule phalange (legio) avec ses trois chefs respectifs pour la cavalerie et lés fantassins. Il est évident qu’il y avait là une limitation matérielle très étroite du nombre maximum des soldats à faire entrer dans les cadres.
[28] Festus, v. Præfecturæ : In quas (præfecturas) legibus præfecti mittebantur quotannis, qui jus dicerent.
[29] Cf. en général Bethmann Hollweg, Civilprozess, 3, 68 et ss. Ce n’est qu’en considérant la juridiction municipale comme déléguée par le préteur que l’on peut expliquer ses particularités, que l’on peut notamment expliquer pourquoi les parties de la juridiction qui ne peuvent être déléguées, l’imperium merum et la logis actio lui font défaut ; pourquoi de plus la juridiction municipale est limitée non seulement ratione loci, mais ratione materiæ, si bien que les procès les plus importants restent réservés au préteur, mais, d’autre part, dés extensions de la délégation sont possibles en restant dans les limites qui séparent l’imperium de la jurisdictio (ainsi, Digeste 39, 2, 1, pour la cautio damni infecti). C’est pour cela aussi que, le cas échéant, les autorités municipales referunt ad prætorem (C. I. L. I. p. 263). D’autres points, il est vrai, par exemple la possibilité pour les magistrats municipaux de déléguer leur juridiction, sont des débris anormaux de l’ancienne autonomie de juridiction.
[30] Papinien, Digeste 1, 21, 1 : Quæcumque specialiter lege vel senatus consulto vel constitutione principum tribuuntur, mandata jurisdictione non transferuntur ; quæ vero jure magistratus competunt, mandari possunt. Papinien justifie ce principe en disant que la délégation de la publici judicii exercitio est un abus, puisque la loi Julia de vi porte expressément ut is cui obtigerit exercitio possit eam si proficiscatur mandare : non aliter flaque mandare poterit, quam si abesse cœperit, cum alias jurisdictio etiam a præsente mandetur. Ulpien, Digeste 2, 3, 16 ; 2, 1, 17 ; 1, 21, 2, 1. 1. 3. Ces textes s’appliquent aussi à la délégation faite au cas d’absence et à celle qui est prescrite légalement ; ainsi la délégation d’une species petit très bien être rapportée par exemple a’ la délégation de la cautio damni infecti aux magistrats municipaux. Mais on ne peut pas limiter le droit de délégation à ces deux hypothèses. Ce serait contraire à la rédaction du premier texte, et ce ne le serait pas moins au fait qu’il est permis au préteur de déléguer une affaire parce qu’il y a été mêlé antérieurement comme homme d’affaires.
[31] C’est la conclusion à laquelle conduisent les termes mêmes des textes, ainsi dans la loi 16 (ci-dessus note 30) la finale non sua et de plus, 1, 21. 3 : S prætor sit is, qui alienam jurisdictionem exequitur, non tamen pro suo imperio agit, sed pro eo cujus mandatu jus dicit, quotiens partibus ejus fungitur. On peut encore rattacher à cela qu’un préteur remplissant mal ses fonctions ; l’empereur Marc-Aurèle non abdicare se prætura jussit, sed collegæ jurisdictionem mandare (Vita, c. 12).
[32] La manière dont cette théorie est traitée chez nos civilistes, même encore chez Bethmann-Hollweg (Civilprozess, 2, 100 et ss.), laisse beaucoup à désirer ; en particulier ils négligent la distinction, pourtant fortement soulignée dans le texte fondamental de Papinien (Digeste 1, 21, 1), entre le mandatum absentis régulier et le mandatum præsentis anormal, comme aussi la distinction de la délégation volontaire et de la délégation forcée.
[33] Lorsque on discute si certains individus, sujets au service avaient été injustement enrôlés par les tribuns, les consuls décidèrent : Eorum cognitionem esse debere, quibus dilectus quibusque bellum mandatum esset (Tite-Live, 42, 32).
[34] Les jurisconsultes de l’Empire rattachent cette délégation au mos majorum (Digeste, 1, 21, 1. 2, 1, 5), et aussi à la lex (Digeste 2, 1, 6) ; cela s’accorde parfaitement avec son apparition à la fin de la République.
[35] Cf. tome IV, le chapitre des Officiers magistrats.
[36] Ce qui se passa, en 544, relativement au droit du consul de nommer le dictateur (Tite-Live, 27, 5), est caractéristique pour le développement juridique qui stérilisa le droit de nomination du magistrat.
[37] Cicéron, De rep. 5, 2, 3 : Nec vero quisquam privatus erat disceptator aut arbiter litis, sed omnia conficiebantur judiciis regis. Ce n’est qu’une autre expression de la même idée, si rétablissement des jurés est ailleurs rattaché à Servius. Denys, 4, 25, c. 36. 10, 1.
[38] Cf. tome III, la théorie de la Préture, et tome IV, les sections des tres viri capitales et du décemvirat litibus judicandis.
[39] Ainsi, à la bataille de Cannes, un tribun militaire, la consulaire Cn. Servilius Geminus, commandait le centre (Tite-Live, 22, 45, 3. c. 49, 16). On rencontre fréquemment des exemples analogues.
[40] Il est expliqué, tome IV, dans le chapitre des Légats, que les légats de légions de César et du Principat ont probablement tiré leur origine dit commandement de légion que l’on rencontre de bonne heure attribué à des tribuns, et qui ne peut être expliqué par le roulement, quand même, contrairement aux vraisemblances, il y aurait eu un roulement entre les deux tribuns qui avaient le commandement.
[41] Le général était sans doute moins libre dans ce cas que lorsqu’il, nommait un représentant, soit de lui-même parce qu’il s’absentait, soit d’un magistrat on à un officier qui venait à manquer. Car il avait le droit et la devoir de taire de pareilles nominations, mais non de créer des emplois extraordinaires.
[42] Les détails plus précis sur ces conditions, qui du reste n’ont probablement jamais été nettement définies, sont donnés tome IV, dans le chapitre consacré aux Légats.
[43] Cicéron, Divin. 17, 56. Verr. 1. 2, 18, 44 : Ceteras δίκας omnes illo fora M. Postumius quæstor sortitus est, hanc solam tu illo conventu reperiere sortitus. Suétone, Cæsar 7 : Quœstiori utterior Hispania obligit, ubi cum mandatu prætoris jure dicundo conventus circumiret Gadesque venisset, etc. Il faut bien distinguer de ceci la juridiction propre, correspondante à celle des édiles, du questeur provincial, dont il sera traité à propos de la Questure.
[44] Cicéron, Pro Flac. 21, 49.
[45] Cicéron, Ad Att. 5, 21, 6 : Q. Volusium misi in Cryprum, ut ibi pauculos dies esset, ne cives Romani pauci qui illic negbtiantur jus sibi dictum negarent, nam evocari ex insula Cyprios non licet. La position personnelle de Volusius n’est pas connue ; mais il n’était pas questeur de Cicéron ; il pouvait être plutôt præfectus fabrum.
[46] Digeste 1, 16, 4, 6. 1. 5. 6. 12. 13. tit. 21, 1, 1. l. 4, pr. Ces legati des proconsuls des provinces sénatoriales sont toujours visés en première ligne, lorsqu’il est question, dans les recueils juridiques, de délégation. Ils ont les pouvoirs de propréteurs, parce qu’ils restent encore ainsi au-dessous des gouverneurs qui ont les pouvoirs de proconsuls.
[47] Il y a de tels legati juridici ou juridici tout court, [aussi appelés ii qui jus dicunt c(larissimi) v(iri), dans le sénatus-consulte sur la réduction des frais des jeux de gladiateurs, de 176-171, ligne 41 ; v. Eph. ep. VII, p. 391, note 4] par exemple pour l’Espagne citérieure dès le temps d’Auguste et pour la Bretagne (Handb. 4, 551). Mais il n’y en a pas pour toutes les provinces impériales. Ils ne se rencontrent que tardivement et rarement pour des cercles plus restreints, comme pour Palmyre, le δικαιοδότης τής μηροκολωνείας de rang équestre (Lebas-Waddington, n° 2606a). La même organisation existait en Égypte. Seulement le fonctionnaire ne s’appelait pas là legatus, car il n’était pas sénateur, mais seulement juridicus Alexandreæ ou Ægypti. Naturellement les legati juridici sont légats de l’Empereur et non du légat mis à la tête de la province ; car ce dernier tient exclusivement ses droits de la délégation de l’Empereur, et, par conséquent ne peut les déléguer à son tour, ce qui revient à dire qu’il ne peut avoir de legati à lui (Digeste 1, 21, 5, pr. 2, 1, 5, 61. Les legati juridici ne sont pas pro prætore, parce que les légats des provinces ayant l’intégrité de l’imperium sont eux-mêmes pro prætore et que les premiers doivent être inférieurs en rang aux seconds. Sur le juridicus pro prætore utriusque Pannoniæ, qui est exceptionnel, cf. tome V, la théorie de la Corégence, au sujet des attributions du proconsulat secondaire.
[48] Ulpien, Digeste 1, 16, 6, 1 : Mandare jurisdictionem vel non mandore est in arbitrio proconsulis. Cela ne signifie pas que le proconsul d’Afrique puisse par exemple omettre de nommer des légats pour les diocèses, mais seulement qu’il peut toujours, s’il le veut, statuer lui-même sur un procès particulier et par suite révoquer la délégation dans cette mesure.
[49] Ainsi, par exemple, le proconsul d’Afrique avait à ses côtés trois legati, desquels l’un présidait ordinairement à l’administration de la justice dans la diœcesis Carthaginiensis et un autre dans la diœcesis Hipponiensis (C. I. L. VIII, p. XVI). L’Espagne citérieure était également divisée au temps de Strabon, (3, 4, 20, p. 167) en trois diocèses, Asturia et Callæcia, Tarraconensis et portion intérieure de la province, ayant chacun un légat à leur tête, et les légats des deux premiers sont souvent nommés sur les inscriptions, avec indication des diocèses (Eph. epigr. IV, p. 224).
[50] Inscription d’Aquinum (Henzen, 6470 = C. I. L. X, 5393) : Præf. fabr. j(ure) d(icundo) et sortiend(is) judicibus in Asia. La mission de Q. Volusius à Cypre a le même caractère.
[51] Paul, (Digeste 1, 21, 5, 1) : Mandata jurisdictione privato etiam imperium quod non est merum videtur mandari, quia jurisdictio sine modica coercitions nulla est.
[52] Digeste 49, 3, 1, 1.
[53] C’est ce que dit probablement l’édit publié par Verrés en Sicile : Si qui perperam judicasset, se cogniturum, cum judicasset, animadversurum (Cicéron, Verr. 2, 13, 33). Il est établi, d’un autre côté, que Verrés faisait, comme cela parait avoir été alors l’usage général, exercer sa juridiction par son questeur ; il est probable que l’édit de Verrés ne concernait les jurés qu’autant qu’ils n’avaient pas été institués par lui-même, mais qu’en bon avocat Cicéron fait abstraction de ce qu’en réalité le questeur seul était contrôlé.
[54] Ainsi Verrés annula une procédure soumise par le questeur à des récupérateurs et arrivée à sa conclusion (Cicéron, Divin. 17, 56). Il y avait là quant au fond plutôt un contrôle des verdicts des jurés que des décrets du délégué ; et, dans ce sens, le blâme adressé par Cicéron à l’édit de Verrés est parfaitement fondé. Mais cette conduite était licite en la forme, la juridiction pouvant être déléguée.
[55] Cf. à ce sujet les chapitres consacrés, tomes III et IV, aux Gouverneurs de province et à la Juridiction civile de l’empereur.