V. — LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE.Après avoir décrit la procédure suivie par les magistrats contre les délits soit dans la forme libre de la coercition, soit dans la forme judiciaire soumise à la provocation, nous passons à celle qui est suivie par eux en vertu des institutions relatives au patrimoine de l’État et qui correspond à la procédure privée non délictuelle du droit civil. Les notions fondamentales du droit du patrimoine, s’appliquent, pourvu que leurs conditions de fait soient réunies, aussi bien à l’État romain qu’au simple citoyen. Pour l’un comme pour l’autre, on rencontre les idées, de propriété, d’affranchissement, de dette, de créance, d’hérédité, de legs. Au droit privé du patrimoine et à la procédure civile correspondent le droit du patrimoine de l’État et la procédure administrative qui s’y rapporte. Cette branche du droit public se distingue nettement de celle qui vient d’être étudiée dans la section précédente, du droit qui appartient à l’État d’exiger une peine à raison d’une infraction. Elle s’en distingue surtout en ce que, dans le premier cas, c’est nécessairement l’État qui joue le rôle de demandeur tandis qu’ici les rapports de droit se présentent en générai comme réciproques ; l’État peut aussi bien avoir à restituer un fonds privé à son propriétaire ou à satisfaire un de ses créanciers qu’à réclamer un fonds qui lui appartient ou quelque chose qui lui est dû. Il y avait un terrain commun entre les deux domaines du droit : celui des corvées, des impôts et des autres redevances, mais, en tant que ces charges ont subsisté, elles ont de plus en plus été retirées du domaine de la coercition pour être transférées et incorporées dans celui du droit privé du patrimoine. Mais, si les notions fondamentales du droit du patrimoine existent tout aussi bien par rapport à l’État que par rapport aux citoyens, leur réalisation est absolument différente, la sphère des droits protégés publiquement est beaucoup plus étroitement délimitée relativement aux citoyens que relativement à l’État. En droit privé, la protection des lois n’est acquise, à l’époque ancienne, que si la volonté a été exprimée dans des formes arrêtées ; il n’y a qu’un droit lié, jus strictum. Dans le droit qui régit le patrimoine de l’État, la volonté des parties, avant tout celle du peuple, qui n’est asservie que par les liens auxquels elle se soumet elle-même, produit dès le principe effet dans sa plus large étendue[1]. Par suite la formule théorique et l’application pratique des divers droits sont si absolument différentes, dans les deux domaines, qu’il n’y a pas une règle que l’on puisse purement et simplement transporter du droit public au droit privé ou réciproquement. L’État peut être propriétaire comme le particulier ; mais les deux principes fondamentaux du droit de propriété privé, l’impossibilité que la propriété soit acquise sans un déplacement de la possession et son acquisition par la simple possession prolongée, sont, inconnus au droit public : la mancipation est ici remplacée par l’adsignation et l’usucapion est exclue. Le droit privé ne connaît ni le mode public d’acquisition de la propriété des biens sans maître par occupation, ni l’occupatio et la possessio des terres publiques[2]. Il n’en est pas autrement pour les droits de créance. L’impossibilité qui s’oppose en droit privé au transport actif ou passif d’une obligation n’existe pas dans le droit du patrimoine de l’État. Le nexum et les procédés de gage et de cautionnement du droit privé né correspondent aucunement aux contrats des publicains et au jus prædiatorium du droit public[3]. La capacité de succéder du peuple est reconnue dès le principe[4], alors que, d’après les règles du droit privé, on devrait le déclarer incapable[5]. — Tout cela ne veut pas dire que l’expression de la volonté n’ait pas pu, dans le droit du patrimoine de l’État, être soumise à des formes arrêtées. L’amende prononcée par le magistrat, l’engagement du soumissionnaire d’une adjudication publique, celui de la caution qui s’obligé envers l’État, l’institution du peuple dans un testament ont sans doute revêtu des formes arrêtées, et une infraction à ces formes a pu entraîner la nullité de l’acte[6], quoiqu’on ne puisse regarder toute pratique établie la comme étant par là même obligatoire et que la main levée par le manceps n’ait certainement jamais joué dans les adjudications publiques le même rôle que le mot spondeo dans les relations privées. Mais la différence de principe n’en reste pas moins certaine : le régime politique le plus ancien n’accorde l’appui de l’autorité aux particuliers que pour des prétentions juridiques établies d’une manière conventionnelle et dont la preuve est fournie par des faits extérieurs ; au contraire, quand le peuple est partie, le droit est reconnu comme existant, des lors que ses conditions matérielles sont réunies. L’État protège là la mancipation et le nexum et ici la propriété et la créance. Si, dans le droit privé postérieur, le second principe gagne de plus en plus de terrain, si par exemple, vers la fin de la République, les contrats réels et consensuels sont munis d’action en l’absence de stipulation, si en général la bona fides prévaut en face du jus strictum, c’est là essentiellement un transfert des règles du droit du patrimoine de l’État dans le domaine du droit privé[7]. A cela correspond la différence de façon dont est administrée la justice dans les deux grands domaines où l’État intervient entre les citoyens en litige et où il agit dans sa propre affaire. Il peut y avoir eu une époque où la pratique juridique était la même dans les deux cas. Tant que la procédure entre deux parties en litige et celle entre le peuple et un citoyen aboutirent l’une et l’autre à la justice royale, il n’a pas pu y avoir de différence de forme entre la procédure civile et la procédure administrative. Les premiers procès étaient peut-être renvoyés plus fréquemment que les seconds à des représentants ; le droit du roi d’instruire, et de statuer lui-même était néanmoins identique dans les deux cas. Les choses changèrent lorsque le magistrat fut obligé de déléguer la fonction arbitrale de l’État à un ou plusieurs jurés : certaines contestations pécuniaires existant entre l’État et un particulier ont bien pu par exception 8tre attribuées à la justice du préteur, comme nous l’expliquerons à la fin de cette section ; mais, en somme cette justice était exclue lorsque le peuple était partie[8]. L’idée grande et profonde du droit moderne de mettre l’État et les citoyens sur le même pied et par suite un organe de l’État, la justice civile, au-dessus des autres organes de l’État dans les procès qui concernent la fortune publique, est étrangère en principe à la constitution romaine. Les actions relatives aux biens qu’a le peuple contre les particuliers sont en général soumises et celles qu’ont les particuliers contre le peuple sont toujours soumises à la cognitio des magistrats ; c’est-à-dire qu’il n’y a, en pareil cas, ni demandeur ni défendeur et que le magistrat saisi statue à la fois sur les droits du peuple et sur ceux du particulier. A ce droit de l’État de statuer dans sa propre affaire correspond la manière plus libre dont, ainsi que nous l’avons expliqué, sont traitées les actions. Le juge pris pour arbitre ne peut rien sacrifier du droit d’autrui ; celui qui est juge dans sa propre cause ne peut statuer que selon la conscience, et, de même qu’il peut aller plus loin que l’arbitre dans la vole du rejet de la demande, il n’est pas aussi lié que lui aux formes pour son admission. L’obligation qualifiée en droit civil du nom d’obligation naturelle ne donne pas d’action devant la justice arbitrale. Le droit d’agir en matière administrative n’est que l’appel à la conscience de l’autre contractant qui est la base de cette obligation naturelle. Les fonctions arbitrales de l’État se concentrent dans la magistrature supérieure et, depuis la création de la préture, à peu près exclusivement dans la préture. Au contraire la justice administrative va naturellement avec l’administration. A l’origine, elle appartenait seulement à la magistrature supérieure. Plus tard elle se subdivise entre les divers magistrats ayant une compétence spéciale. Dans la mesure où ils ont à leur disposition les moyens d’exécution qui seront étudiés plus loin, ces magistrats, en particulier les édites et les censeurs, ont, de droit, comme portion intégrante de leurs pouvoirs administratifs, la décision des litiges entre le peuple et les particuliers qui rentrent dans leur compétence. Il n’y a pas trace d’un appel au consul en vertu duquel il réforme la sentence rendue ; autant que nous voyons, les magistrats spéciaux, qui sont eux-mêmes des mandataires du peuple romain, statuent toujours en premier et dernier ressort. On ne peut refuser au consul en face de l’édile le droit purement négatif de procéder à l’intercession en vertu de sa major potestas ; mais nous n’en trouvons aucune application et il ne peut pas avoir eu d’importance pratique. Assurément les consuls sont nécessairement restés compétents pour toutes les contestations d’ordre patrimonial qui ne rentrent pas dans une compétence spéciale ; mais la compétence du censeur en particulier est entendue si largement que ces pouvoirs consulaires ne peuvent guère avoir eu d’efficacité pratique. C’est seulement dans la mesure où carmins modes d’exécution sont réservés aux consuls qu’on peut, le cas échéant, avoir recours à ces derniers. Pour exposer complètement l’organisation judiciaire relative à la fortune publique, il faudrait, dans la mesure où nos sources nous le permettent, suivre l’ordre d’exposition employé pour expliquer les différentes parties du droit civil. Un traité de droit publie doit principalement rattacher aux différentes magistratures les renseignements à donner sur cet important sujet et nous .ne pouvons ici que résumer les développements spéciaux dans un court aperçu d’ensemble. Les contestations de propriété entre l’État (publicum) d’un côté et un particulier, (privatum) de l’autre, sont en règle de la compétence du censeur ou du magistrat supérieur qui représente le censeur. — Il faut ajouter à titre d’exception, mais avec une grande importance pratique, les pouvoirs judiciaires des commissaires de partages des terres des Gracques, et des magistrats de même nature institués postérieurement. — Mais on ne peut attribuer à la décision rendue dans un tel litige la même autorité qu’à la sentence rendue par un juré civil. Le principe, suivant lequel cette dernière érige entre les parties le fait en droit, appartient au droit lié, et il doit avoir été légalement possible de renouveler un différend relatif au conflit de la propriété publique et privée, même lorsqu’il avait fait l’objet d’un premier jugement[9]. Relativement aux dettes du peuple, il n’y a pas de procédure de recouvrement forcé qui soit possible. Le soldat auquel on ne paie pas sa solde, le scribe auquel on ne paie pas son salaire, l’édile auquel on ne paie pas l’argent des jeux, le fournisseur ou l’entrepreneur de constructions que l’Ærarium ne satisfait pas à l’échéance se trouvent dans la situation où est le créancier du droit privé au cas d’obligation naturelle. Ils ont bien un droit légalement fondé, mais ils n’ont pas d’action qu’ils puissent intenter légalement. Le magistrat ne peut, en cette qualité, être placé dans la position du défendeur qui succombe de la procédure prétorienne privée[10] ; et il est complètement impossible de suivre l’exécution contre l’État lui-même. Une action contre l’État pratiquement indépendante de l’arbitraire du défendeur apparaît aux Romains comme un non-sens ; pour eux un procès est un appel à une puissance supérieure à laquelle les parties se subordonnent ; en agissant ainsi, l’État abdiquerait[11]. Il ne reste donc au créancier de l’État, pour faire valoir sa créance, d’autre forme que le recours à la cognitio du magistrat. C’est ainsi que le fils de famille n’a droit en face du père, pour les créances de son pécule, qu’à une cognitio et non pas à un procès en forme. En pratique, ce mode de réclamation n’était aucunement dépourvu d’efficacité. Le particulier qui se jugeait lésé se plaignait auprès du magistrat que l’affaire concernait et de ses collègues ou de ses successeurs, et, de même qu’il est du devoir de l’homme honorable d’examiner sérieusement les prétentions soulevées contre lui, il est certainement du devoir du collège que l’affaire concerne de l’examiner avec soin et de la trancher consciencieusement, au besoin même en prenant l’avis d’un conseil. Il est fort possible que cette procédure, défavorable en la forme pour le particulier, fuit en fait beaucoup plus souvent nuisible à l’État qu’à lui ; car l’intérêt personnel à l’affaire qui stimule le défendeur de la procédure civile ne fonctionne pas ici au profit de l’État. Il en est de même pour les créances d’ordre patrimonial du peuple. Il peut s’agir de prestations dues par les citoyens pour lesquelles on peut peser sur la volonté à l’aide des modes de coercition, comme cela a lieu en matière de corvée, d’impôt et d’autres redevances, ou bien la créance, comme toutes celles qui proviennent de contrats ; peut-être de celles qui sont exclusivement soumises aux règles du droit des biens. L’étendue de l’obligation est, en cas de doute, toujours déterminée par le magistrat compétent : en matière de corvées, par le magistrat supérieur à l’origine et plus tard par l’édile ; en matière d’impôt et de contrats, en principe par le censeur ou le magistrat qui le remplace. Nous sommes peu renseignés au sujet du recouvrement direct, qu’il faut nécessairement admettre en matière de corvées et qui a probablement aussi prévalu en matière d’impôts, car ces prestations elles-mêmes ont de bonne heure disparu. Mais, lorsque dans le régime postérieur l’exécution de l’obligation a été réclamée directement il n’a, jamais été statué autrement que par la cognitio du magistrat entre le peuple et les publicains sur l’étendue des droits transférés par le peuple, aux publicains et de l’équivalent dû par ces derniers. La procédure se trouve modifiée au cas d’exercice indirect, quand l’État se substitue un particulier comme débiteur ou comme créancier. La première chose se produit par exemple quand le soldat réclame l’argent qui lui est dû du tribunus ærarius redevable de la solde. La seconde chose constitue la règle pour les taxes dues à raison de la jouissance des domaines publics, pour les droits de douane, pour l’impôt sur les affranchissements ; on use encore du même procédé si des services dus à l’État en vertu de la loi ou du contrat ne lui ont pas été fournis convenablement : un nouveau contrat est alors fait relativement à cette prestation et celui qui se charge du travail est invité à recouvrer la somme qui lui est due par l’État, mais qui doit être remboursée par le premier obligé, de ce dernier. Dans tous ces cas, la condition de la procédure civile, la dualité des parties, existe ; mais le juré du droit civil reste exclu, parce que le droit du peuple est même là le fondement à la procédure et que dans un pareil cas le jugement peut avoir éventuellement à déterminer l’obligation. C’est pourquoi le magistrat compétent, en particulier le censeur, est autorisé à renvoyer l’affaire à des jurés quand il constate que le litige porte non pas sur l’obligation de faire la prestation, mais par exemple sur son accomplissement, ou encore quand il désire et provoque lui-même, par exemple dans des questions incertaines de taxes, sa constatation par des jurés. Si nous connaissions plus précisément le type juridique de la procédure étudiée au sujet de la censure, nous découvririons probablement que les jurys du censeur ont été facultatifs à la différence de ceux du préteur, que la cognitio du magistrat n’a été exclue là que dans les cas et dans la mesure où il l’a voulu. La juridiction prétorienne intervient, autant que nous sachions, beaucoup plus rarement dans de tels cas. Si un particulier a fait usage du droit public de saisir qui lui appartient et que la contrainte indirecte qui résulté de son droit de retenir le gage se révèle comme inefficace, ce créancier gagiste est autorisé à agir devant le préteur contre le débiteur en paiement de la somme moyennant laquelle ce dernier avait le droit de reprendre le gage[12]. Celui auquel incombe, en vertu d’un contrat avec le peuple, l’entretien d’un édifice public peut, si un particulier met cet édifice en danger par ses actes, réclamer de lui la cautio damni infecti, comme s’il était propriétaire, soit en vertu d’une clause expresse du contrat, soit en vertu de son interprétation, d’après l’intention présumable des parties[13]. Si c’est au censeur qu’il incombe spécialement de reconnaître l’existence de la créance de l’État, le recouvrement de la créance ainsi reconnue revient au questeur. En pratique, son rôle est, au moins à l’époque récente, énormément restreint par le système de cession dont nous venons de parler. Le système de perception indirecte met à la place d’un grand nombre de débiteurs petits et en partie peu solides quelques débiteurs ordinairement solvables. Au cas d’insolvabilité, les choses doivent s’être passées en général de même qu’en droit privé : la procédure de liquidation des censeurs, si la chose en demandait une, doit avoir été suivie de l’exécution par les questeurs d’une manière analogue à celle dont la manus injectio suit dans le droit des Douze Tables la res jure judicata. L’exécution contre le débiteur insolvable de l’État a nécessairement eu pour objet, comme celle du droit privé, la personne du débiteur et ses biens ; cependant le questeur n’avait pas plus que le censeur le droit de vendre l’individu comme esclave ; car il n’avait pas la prensio. L’intervention du consul doit avoir été requise pour cet acte extrême d’exécution, et par suite on n’a guère dd aller jusque-là. En conséquence, l’exécution a pris de bonne heure la forme de la vente de la fortune, pour laquelle le questeur était compétent sans autre formalité[14]. Les adoucissements accordés par les Douze Tables au débiteur insolvable du droit privé, en particulier l’ajournement légal de la perte de la liberté, ne doivent pas avoir existé théoriquement au profit du débiteur insolvable du peuple ; à ce point de vue comme aux autres, le droit qui s’applique ici est libre d’entraves. Mais, d’un autre côté, les arrangements conventionnels pris au cas d’insolvabilité et les règles coutumières existant à leur sujet, c’est-à-dire le jus prædiatorium, doivent avoir apporté des règles et une mesure à l’exécution opérée par les questeurs. Dans le système de défense des droits patrimoniaux du peuple que nous avons jusqu’à présent étudié, son représentant se met en face du particulier comme dépositaire de la puissance publique et il crée et réalise son droit. Toute différente est la procédure où un individu représentant le peuple demande justice en son nom aux autorités compétentes pour les procès des particuliers, comme fait le tuteur au nom du pupille. Quoique cela rentre théoriquement dans la justice civile, le mieux sera d’ajouter ici les remarques qu’il faut faire à ce sujet dans cette partie générale de notre ouvrage. Ce mode de représentation de l’État est d’ordre secondaire et exceptionnel. Tel qu’il est organisé non pas comme un mode nécessaire, mais comme un mode facultatif de faire consulter les droits de l’État, il n’a aucune place en matière d’impôts, de taxes, de créances contractuelles. Il n’intervient qu’en vertu de lois spéciales et conserve la caractère d’une intervention extraordinaire, souhaitable dans l’intérêt public, ce qui fait que les primes accordées au demandeur ont de bonne heure été établies dans ces procès. Les cas de ce genre, que nous a transmis le hasard, sont ici énumérés exclusivement à titre d’exemples. Dans la sphère de la protection de la propriété publique, il faut citer la revendication prétorienne admise en matière d’aqueducs publics, dans laquelle la question de la possession intérimaire était toujours tranchée en faveur de l’État[15]. L’action en revendication peut avoir été exercée de même pour le compte de l’État en matière de voies publiques. De nombreux interdits prétoriens poursuivent des buts analogues sous la forme de simples créances privées. Les amendes fixes instituées en faveur de l’État appartiennent absolument à ce domaine. Elles sont sans exception établies par une loi spéciale, qui attache à une infraction déterminée cette conséquence légale qu’une certaine somme dont le montant résulte de la loi même devra être payée à l’État. Il est indifférent que cette somme soit fixée en chiffres par la loi, ou qu’il faille encore un calcul d’estimation, comme c’est le cas pour les peines fixées à une quote-part de la fortune[16], ou bien à la valeur matérielle de la chose, ou à la réparation du préjudice, et à leurs multiples[17]. Il n’est pas rare de trouver, placée dans les lois pénales à côté de la multa fixe, la multa arbitraire, dicta ou inrogata par le magistrat. Cela signifie qu’à côté d’elle le magistrat qui a le droit de coercition est encore invité à user de son droit de prononcer des amendes ; de sorte que les deux procédés juridiques existent concurremment l’un à côté de l’autre, sans pouvoir être cumulés[18]. L’existence des amendes fixes peut être prouvée à partir de la seconde moitié du sixième siècle[19] ; et elles sont, pour certains cas, sans doute beaucoup plus anciennes. Néanmoins, cette forme de peine pécuniaire, qui écarte l’arbitraire du magistrat, apparaît comme la plus récente des deux ; car elle s’étend constamment aux dépens de la multa arbitraire et la remplace de plus en plus. Conformément au développement général de la constitution romaine, dont la tendance invariable est de lier la puissance des magistrats, le droit de coercition du magistrat, qui primitivement était appelé à prononcer l’amende lorsqu’il devait en être infligé une à un particulier, perdit toujours plus de terrain, et finalement ne subsista que dans des peines insignifiantes. La loi spéciale qui organisait la peine était régulièrement accompagnée de dispositions également spéciales sur son mode de recouvrement, et par suite la marche de la procédure présentait les plus grandes diversités. Cependant on peut discerner les principes directeurs. L’amende fixe est considérée comme une multa aussi bien que l’amende prononcée par le magistrat ; elle lui équivaut comme résultat[20] ; mais, quant à sa nature, elle constitue plutôt une créance pécuniaire conditionnelle de l’ærarium contre un particulier : celui qui enfreindra la loi sera obligé à payer cette somme à l’État, comme dit la formule : dare damnas esto. La source délictueuse de la créance est rejetée à l’arrière-plan, tout comme dans les sponsiones conditionnelles et les stipulations pénales du droit privé. Au point de vue de la forme, cette créance de l’État coïncide absolument avec celle qui naît pour lui d’un legs générateur de créance (legatum per damnationem). Par une application logique de cette conception, tandis que la multa prononcée par le magistrat est poursuivie par lés voies du droit criminel et conduit éventuellement à la provocatio ad populum, l’amende fixe n’est jamais réalisée par cette voie[21], et la procédure nécessaire pour vérifier que la condition de laquelle dépend la créance est accomplie[22], c’est-à-dire pour prouver l’infraction, est absolument une procédure civile. Les autorités à la compétence desquelles elle appartient sont, lorsque les lois n’en disposent pas autrement[23], le préteur, et, pour peu qu’il s’agisse d’infractions commises par des citoyens Romains, le préteur urbain[24], et les jurés de la procédure civile[25]. On peut, par conséquent, distinguer la procédure suivie en matière de multæ arbitraires et celle suivie en matière de multæ fixes, en disant que, dans la première, c’est le peuple qui statue, en dernier ressort et que, dans la seconde, c’est le jury. Lorsque les lois les combinent toutes deus, elles laissent donc au magistrat le choix de déférer l’infraction au peuple ou à des jurés. Et la justice du peuple a donc été aussi dans cette matière, comme dans les procès capitaux, progressivement remplacée par le jury. — En général, la procédure parcourt les deux phases de la procédure civile : le préteur instruit l’affaire et le juré ou les jurés, habituellement des récupérateurs[26], rendent leur décision en vertu de la formule qui leur sert d’instruction. Par exception et, à la fin de la République, pour des catégories complètes d’affaires importantes, le préteur a été invité à ne pas seulement instruire le procès, mais à présider les débats et à les diriger, sans d’ailleurs y avoir le droit de vote[27]. Cette forme de procédure le judicium publicum[28] ou la quæstio de la terminologie moderne a par la suite, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, absorbé toute la procédure criminelle. Nous en traiterons d’une manière plus approfondie au sujet de la préture. Le droit d’agir (petitio)[29] appartient à l’État. Le point de savoir qui aurait qualité pour le représenter paraît avoir été tranché distinctement dans chaque loi pénale. En règle, le droit d’agir était accordé ou à tout magistrat ou à tout citoyen[30]. Le principe fondamental semble avoir été, jusqu’à la fin de la République, que les grosses amendes, en particulier celles qui présentaient un caractère politique, ne pouvaient être poursuivies devant le préteur que par un magistrat[31] ; le droit des magistrats de prononcer arbitrairement des multæ se prolonge donc, dans une certaine mesure, dans ce privilège de poursuite en matière de multæ fixes[32]. Pour l’exercice effectif de ce privilège, il faut citer en premier lieu les questeurs, soit parce que les invitations d’agir ainsi formulées d’une manière générale s’adressent probablement en première ligne à la classe la plus inférieure de ceux qu’elles visent dans chaque cas particulier, soit parce qu’il parait à propos que les autorités spécialement affectées au recouvrement des créances liquides de l’État s’occupent aussi de préférence de la liquidation de celles qui ne le sont pas. Nous rencontrons cependant aussi un procès de ce genre intenté par un tribun du peuple, et on peut même se demander si le préteur lui-même n’était pas en droit d’agir soit devant un autre préteur, soit devant lui-même[33]. — Il peut encore être arrivé que non pas tous les magistrats, mais seulement certains fussent appelés à agir ; cependant il n’existe pas pour Rome d’exemple de telle disposition[34]. — Sous le Principat, le privilège des magistrats en matière de poursuite disparut, tout comme disparut, avec la chute de la justice du peuple, la multæ inrogatio des magistrats, à laquelle il était lié par une étroite parenté. Tout citoyen a le droit d’agir à raison des délits commis contre les biens de l’État, en particulier du vol (furtum publicum, peculatus)[35] ou de l’endommagement (damnum injuria datum)[36] de ce qui appartient à l’État. Ces actions rentrent dans celles qui ont pour objet des amendes fixes, même si, comme les actions analogues du droit privé, elles se mesurent sur la valeur de la chose ou du préjudice ou sur leurs multiples ; mais les lois pénales paraissent aussi avoir parlé pour de telles hypothèses d’amendes fixées en chiffres (note 36). Ces actions en indemnité, qui n’excluent point la multa inrogata[37], peuvent fort bien avoir existé dès l’époque la plus ancienne[38], et les primes accordées aux accusateurs dans ces matières non politiques peuvent elles-mêmes remonter à un temps très reculé. — Cette procédure a, par la suite, de plus en plus gagné de terrain. La procédure accusatoire, à laquelle elle correspond, a peu a peu envahi et occupé tout le domaine de la procédure criminelle ; dans le droit du patrimoine de l’État, en tant qu’il concerne les créances nées de délits, c’est également la simple action populaire, parente de la procédure d’accusation, qui domine exclusivement sous le Principat. Le recouvrement de ces sommes elles-mêmes concernait probablement le questeur, lorsque l’exécution n’était pas réglée autrement par des dispositions spéciales[39]. Les voies de droit admissibles contre tous les décrets des magistrats, en particulier l’appel à l’intercession contre le magistrat égal ou inférieur, sont communément applicables dans notre matière. Il y a une difficulté spéciale, dont nos sources ne donnent pas la solution. Elle est relative à la situation des esclaves de l’État au point de vue du droit du patrimoine. La capacité d’agir, qui, d’après la conception du droit romain, est reconnue à l’esclave, est, dans certaines limites, transportée à son maître. L’État lui-même pouvait donc conclure ainsi, dans les formes ordinaires du droit privé, des actes juridiques, par exemple acquérir un droit de propriété par la mancipation que son esclave se faisait faire d’une chose[40], un droit de créance par la stipulation qu’il faisait d’une somme. Il pouvait de cette façon entrer dans presque tous les rapports de droit qu’amènent les relations inter privatos. Or, s’il naissait de ces rapports une contestation, elle ne pouvait être tranchée que par la juridiction prétorienne. Il faut donc qu’il y ait eu une organisation à l’aide de laquelle l’État ait pu, à raison de l’acte de l’esclave, comparaître devant le préteur comme demandeur ou défendeur. Mais on ne sait à qui il appartient, dans de pareils procès, de représenter l’État. Il est possible que les esclaves publics, qui jouissaient, verrons-nous, du droit de tester et de la dualité de nom, aient aussi pu représenter le peuple en justice, lorsqu’un contrat conclu par eux lui donnait le rôle de partie. |
[1] Cela se manifeste de la manière la plus claire dans la façon radicalement différente dont sont traités les rapports de droit privé issus de l’acte du droit civil qui était primitivement une loi votée par le peuple et qui, même après avoir cessé de l’être, garda jusqu’à un certain degré la force législative. Je veux parler du testament. C’est pour cela, parce qu’il est en soi un acte de l’État, que le légataire y acquiert de plein droit la propriété et tes créances, tandis que partout ailleurs le droit civil requiert pour cette acquisition une mancipation ou une stipulation ; c’est pour cela que l’affranchissement direct est possible exclusivement par testament et non pas entre vifs ; c’est pour cela que le terme et la condition sont admissibles seulement dans l’affranchissement testamentaire.
[2] La possessio du droit privé est quelque chose de tout différent, espérons qu’il n’est plus aujourd’hui nécessaire de le dire. Le precarium est, en revanche, assurément la possessio du droit public transportée dans le domaine du droit privé.
[3] Le jus prædiatorium c’est-à-dire la théorie des sûretés personnelles (prævides = pædes) et réelles (prœdia) à fournir à l’État pour ce qui lui est dû, n’est pas compris dans le jus civile, mais a, à ses côtés, une existence distincte, c’est ce que prouve Cicéron, Pro Balbo, 20, 46 (d’où val. Max. 8, 14, 1) : Q. Scævola ille augur (consul en 637) cum de jure prædiatorio consuleretur, consultores suos nonnumquam ad Furium et Cascellium prædiatores rejiciebat. Dans la bibliographie, c’est à ceci que se rapportent les traités de jure fisci et populi, qui, à la vérité, tels que nous les connaissons, gardent le silence sur le jus populi.
[4] Dès l’époque du roi Ancus, la légende fait la riche Acca Larentia instituer le peuple pour héritier (Macrobe, Sat. I, 10, 14 : Populum Romanum nuncupavit heredem ; Plutarque, Rom. 5. Q. R. 33). Si cette légende peut être considérée comme composée en conformité avec les règles du droit, il en résulte que le peuple pouvait être institué héritier par une femme, avant que les femmes n’eussent ailleurs le droit de tester ; car le testament comitial, duquel seul l’existence peut être admise à l’époque royale, exclut les femmes.
[5] La notion de l’incerta persona, telle que la définissent les Romains s’applique à la res publica populi Romani comme à toute autre res publica, Il est remarquable que, dans l’exposé de cette théorie, il ne vient même pas à l’esprit des jurisconsultes Romains de citer le populus Romanis comme exception. Sa testamenti factio appartient pas au jus privatum.
[6] Sans doute, l’exemple cité dans ce sens par Huschke (Multa, p. 14), la citation faite par Varron (dans Aulu-Gelle, 1, 1, 4) des verba legitima de la multa minima et l’observation qu’il ajoute, que, si le magistrat dit unam ovem au lieu de unum, negaverunt justam videri multam, est plutôt une preuve en sens contraire. Un rex injustus, un magistratus non justus (par exemple, celui qui est en fonctions, sans qu’il y ait en de loi curiate : Aulu-Gelle, 13, 15, 4), un bellum injustum existent en droit, bien que contrairement au droit. En violant ainsi les formes, le magistrat commet un délit, qui pourra, par exemple lui faire infliger une multa par un magistrat plus élevé, et, dans ce sens, il est astreint à observer ces farines. Mais la nullité de l’acte, ayant pour conséquence que le questeur ne puisse pas recouvrer une telle amende, ne résulte pas en soi de ce que le magistrat a procédé d’une manière illégale, et, pour de pareilles hypothèses, les vraisemblances générales sont en faveur du maintien de l’acte. Pourtant l’idée des essentialia negotii doit de bonne heure s’être fait jour dans ces matières. Une multa qui excédait le maximum légal était assurément nulle au moins pour l’excédent, et même si on l’avait payée, on devait pouvoir, d’après l’analogie de la condictio indebili, s’adresser pour une réparation au successeur du magistrat. Les simples vices de formes au contraire préjudiciaient peut-être au magistrat qui se trompait, mais non à l’État. La ligne de démarcation difficile à tracer entre la défectuosité et la nullité de l’acte était fixée pratiquement par l’appréciation du magistrat compétent qui décidait toujours en dernier ressort. Cf. Zeitschrift der Savignystiftung, roman. Abth. 6, 270. — Au reste, la distinction des actes défectueux et des actes nuls est non seulement pour l’administration de la justice, mais pour tout le droit public, de l’importance la plus essentielle ; par exemple, le censeur punissait par sa nota le fait de réunir la sénat pendant la nuit (Aulu-Gelle, 14, 7, S) ; mais la résolution prise dans cette séance n’était pas nulle.
[7] J’ai développé cette idée avec plus de détails dans mon étude sur les Origines de la vente et du louage (Zeitschrift der Savignystiftung, roman. Abth., 6, 260 et ss.). Cf. aussi tome IV, la théorie de la Censure.
[8] C’est à ce point de vue que l’organisation de la procédure de Servius Tullius est exposée dans Denys, 4, 96. On ne peut voir dans les άδικήματα κοινά que les judicia publica au sens technique.
[9] L’édit de Tibère Alexandre (C. I. Gr. 4937, lignes 55 et ss.) semble supposer en Égypte la possibilité de revendications publiques répétées.
[10] On ne trouve tout au moins aucune trace que, par exemple, le scribe à qui ses appointements n’étaient pas payés ait pu citer de ce chef le questeur devant le préteur. L’insuffisance possible des ressources de l’Ærarium suffisait à constituer pratiquement un obstacle à l’adoption de cette voie.
[11] Une action privée est possible contre le fisc, à la meilleure époque du Principat ; car le prince n’est pas l’État.
[12] Cette action a sans doute été la raison pour laquelle on comptait la pignoris capio parmi les legis actiones du droit privé, tout en ne se dissimulant point quelle n’y appartenait pas au sens propre (Gaius, 4, 29).
[13] Le redemptor cloacarum demande une sûreté à un constructeur à raison d’une construction nouvelle mettant les cloaques en péril (Pline, H. n. 36, 2, 6). Un cas analogue rapporté dans Cicéron, Verr. I. 1, 56, 146, est étudié, tome IV, au sujet de la Justice des censeurs.
[14] V. tome IV, la théorie de la Questure.
[15] Cela résulte d’un fragment (rapporté dans Festus, v. vindiciæ, éd. Mueller, p. 376) d’un discours du censeur Caton contre L. Furius relatif à une amende pour usage abusif des eaux publiques : ... a prætores secundum populum vindicias dicunt.
[16] Une formule de peine fréquente était : mille as de moins que la moitié de la fortune (mille minus dimidium familiæ multa esto : Caton, dans Aulu-Gelle, 6[7], 3, 37 ; Fronto ad Antoninum imp. 1, 5, éd. Naber, p. 103).
[17] La formule est : Quanti ea res exit, tantam pecaniam (par ex. loi municipale de Malaca, c. 63), ou tantam et alterum tantum (populo) dare damnas esto (par ex. même loi, c. 67).
[18] Le plus ancien exemple de cette amende portée sous une alternative est fourni par le statut du bois sacré de Luceria (C. I. L. IX, 782 = Bruns, Fontes juris, 5e éd. p. 941 : Sei quis arvorsu hac faxit, [in] ium quis volet pro jouticatod n(umum) I [plutôt L] manum inject[i]o estod : seive mag[i]steratus volet moltare, [li]cetod. L’action personnelle du droit civil, dont la forme est la plus rigoureuse, se rencontre donc là comme action populaire à côté de la multa inrogata, cependant le versement de l’amende au peuple y est probablement pensé, mais n’y est tout ou moins pas prescrit expressément. La loi de Bantia, ligne 8 (C. I. L. I, p. 45), menace celui qui y contreviendra, ou d’une amende arbitraire, si un magistrat (ayant le droit de prononcer des multæ) veut bien en prononcer une, ou d’une amende fixée par la loi même, que tout magistrat à qui il plaira pourra réclamer (eam pequniam quei volet magistratus exsigito), en demandant au préteur l’organisation d’un tribunal de récupérateurs et en faisant condamner devant lui le défendeur à l’amende au profit du peuple. La même alternative se retrouve dans la lex Tudertina : ou action en paiement de l’amende fixe, sans doute par la voie civile, ou prononciation d’une amende de chiffre arbitraire avec provocatio au peuple. Le magistrat demandeur avait le choix ; s’il y en avait plusieurs à vouloir agir, le premier qui agissait l’emportait probablement sur l’autre.
[19] Le vieux règlement du bois sacré de Luceria (note 18) et la formule du temps de Caton citée note 16, sont, à ma connaissance, les plus anciens exemples certains d’une multa légale excluant l’arbitraire du magistrat ; car la novi exempli rogatio, de l’an 336, ut, si M. Furius pro dictatore quid egisset, quingentum milium ei multa esset (Tite-Live, 6, 39), qui est au reste anormale en sa qualité de privilegium, peut difficilement dire tenue pour historiquement digne de foi.
[20] Multa est déjà employé par Caton (note 16) et l’est aussi par la lex Tudertina dans le sens d’amende fixe. Mais il semble que, dans la langue légale rigoureuse, on disait alors plutôt populo dare damnas esto.
[21] Huschke (Multa und Sacramentum, particulièrement p. 266 et ss.) n’a pas reconnu cette incompatibilité, également évidente en logique et en pratique, de l’amende fixe et du judicium populi. C’est le défaut capital de sa théorie de cette institution, qui était avant lui absolument négligée et qu’il a d’ailleurs élucidée sous bien des rapports.
[22] Lorsque le montant de la peine n’est pas, dès le principe, fixé en chiffres, cette procédure d’information comprend aussi la détermination en argent du montant de la peine.
[23] L’édit d’Auguste relatif à l’aqueduc de Venafrum (C. I. L. X, 4842) porte contre ses dégradations des amendes fixes et les soumet à un judicium reciperatorium qui sera constitué par le préteur pérégrin. La loi Julia agraire de 695 (c. 55) soumet l’amende de 5000 sesterces qu’elle porte contre le déplacement des bornes placées en vertu de ses dispositions, au curator qui hac lege erit et éventuellement aux magistrats municipaux ; mais cette multa ne tombe pas dans le trésor de Rome, elle tombe dans celui de la cité intéressée.
[24] Cela résulte du caractère civil de l’action ; on peut argumenter dans le même sens de ce que la procédure suivie contre Q. Opimius, qui est de même nature en dépit des divergences de forme, se déroule devant le préteur urbain. Le magistrat compétent n’est nommé nulle part ailleurs ; mais il n’y en a pas non plus d’autre qui soit indiqué nulle part.
[25] Dans la loi Julia agraire, l’amende précitée est formulée comme suit : Is in terminos singulos... sestertium V milia nummum in publicum eorum, quorum intra fines is ager erit, dare damnas esto deque ea re curatoris qui hac lege erit (ou des magistrats municipaux) juris dictio reciperatorumque (pour les magistrats municipaux judicisque) datio addictio esto.
[26] La preuve en est particulièrement dans la loi de Bantia et dans celle de la colonie Genetiva. Cf. note 25. Cette prédominance des récupérateurs est encore un indice de l’origine relativement récente de l’institution.
[27] Cela s’appelle judicium exercere. C’est ainsi que fut conduit le procès contre Q. Opimius (Cicéron, In Verr. I. 1, 60).
[28] Cicéron, Verr. I. 1, 60, 155, appelle ainsi le procès en paiement d’une multa dirigé devant le préteur contre Q. Opimius. Le judicium publicum rei privatæ, établi par la loi Pretoria protectrice des mineurs (Cicéron, De d. n. 3, 30, 74 ; et De officiis, 3, 15, 69) n’est pas autrement connu ; mais il peut facilement avoir été un procès semblable en paiement d’amende. La procédure des grea3tiones, pour laquelle cette désignation est technique (cf. tome III, la théorie de la Préture, sur la présidence des quæstiones) est également une procédure suivie dans un intérêt public devant le préteur et des jurés. Même lorsque faction y est en pratique formée pour des créances privées, comme par exemple en matière de repetundæ, elle est considérée légalement comme intentés pour le compte du peuple : la preuve en est que le montant de la condamnation est recouvré par le questeur. — Judicium publicum et judicium populi semblant, autant que nous pouvons juger, avoir eu, dès le principe, une acception différente. La première expression appartient au droit civil et désigna le procès civil intenté pour le peuple sous la présidence d’un magistrat, la seconde désigne l’instance de provocation de la procédure criminelle.
[29] Petere est l’expression technique pour toute action civile in personam, par conséquent aussi pour la nôtre. Multam petere (Ad Her. I, 11, 20 ; Cicéron, Brut. 34, 131. Verr. I, 60, 153. Pro Cluent. 33, 91. 35, 96. 37, 103) est, par suite, opposée à multam dicere et inrogare. Cependant, de même que la damnatio est qualifiée du nom de multa, la petitio est aussi qualifiée de celui d’accusatio (Cicéron, Pro Cluent. 31, 93, et ailleurs) et en revanche la loi de Todi appelle l’inrogation de l’amende populi judicio petere. Dans les deux cas, le point de vue du fait l’emporte sur les formules juridiques rigoureuses.
[30] Parmi les lois municipales espagnoles, celle de la colonie Genetiva, qui date de l’époque de César, établit (c. 95, et mon commentaire, Ephem. epigr. II, p. 141) l’une à côté de l’autre la multæ petitio par le magistrat (si IIvir præfectusve es re coloniæ petet) et celle par le simple citoyen (si privatus petet).
[31] La limitation du droit d’agir au magistrat est portée expressément par la loi de Bantia comme par celle de Todi. Elle s’appliquait également à la multa prononcée par la loi de Sulla sur la quæstio inter sicarios ; cela résulte de ce que, dans la poursuite en prononciation d’amende contre C. Junius, le demandeur est un tribun du peuple et ne peut visiblement agir que jusqu’à la fin de ses fonctions (Cicéron, Pro Cluent. 33, 91. 34, 94). Je ne connais pas d’hypothèse où une action analogue ait été intentée par un particulier.
[32] C’est encore un argument pour que, en dehors des délits de droit commun, la multa fixe ne soit pas très ancienne ; car il est étranger à l’esprit de l’ancien droit d’amener un magistrat à agir devant un magistrat, sans parler de ce que cela aboutirait, à l’époque la plus ancienne, à faire agir le magistrat devant lui-même, comme au reste nous le voyons à l’époque récente (note 33).
[33] Il est dit expressément, dans la loi municipale de la colonie Genetiva, que le duumvir peut intenter cette action civile devant le duumvir. On peut entendre cette disposition en ce sens que l’un des collègues jouerait le rôle de magistrat et l’autre celui de demandeur. Mais, dans l’action civile indiquée par Cicéron, Divin. in Cæc. 17, le représentant du gouverneur agit devant lui-même, nomme les récupérateurs et s’envoie en possession après que les récupérateurs ont statué en sa faveur.
[34] La lex coloniæ Genetiva limite l’autorité pénale aux magistrats supérieurs (IIvir præfectusve). Si le statut du bois de Spolète (Bruns, Fontes juris, 5e éd. p. 241), porte : Sei quis scies violasit dolo malo, Jovei bovid piaclum datod et a(sses) CCC moltai suntod : ejus piacli moltaique dicator[ei] exactio est[od], le dicator est probablement le magistrat, auquel appartient, dans le système local, le jus dicandi (cf. tome IV, la section des duo viri ædi dedicandæ), par conséquent sans doute, selon l’analogie de Rome, le magistrat supérieur. L’édit d’Auguste sur l’aqueduc de Venafrum donne l’action fondée sur la dégradation de cet aqueduc au mandataire du conseil de la cité (ligne 65 : Ex decurionum decreto agenti).
[35] Il y a au moins une indication en ce sens dans le fait que les détournements des publicains sont dénoncés au préteur urbain (Tite-Live, 23, 3, 12, rapproché de c. 1, 11).
[36] Cicéron, Brut. 34, 131 : Eodem tempore accusator de plebe L. Cæsulenus fuit, quem ego audivi jam senem, eum ab L. Sabellio multam lege Aquillia damni injuria (le texte qui nous est parvenu porte justitia) petivisset. D’après ce renseignement, la loi Aquillia parait s’être appliquée même aux dommages causés à l’État et les avoir, dans des cas déterminés, frappés d’amendes fixes. Il n’est pas possible que l’expression multa ait pu viser la simple indemnité au double entraînée au cas de négation par l’action de la loi Aquillia.
[37] Un délit privé commis contre le peuple, par exemple un vol des deniers conservés dans le trésor, a naturellement pu être poursuivi au point de vue criminel, comme lésant le peuple. Le concours de la multa inrogata et de l’amende fixe est familier aux Romains. Le préjudice du peuple peut être envisagé des deux façons et les différentes actions peuvent concourir électivement ou cumulativement.
[38] Le procès fait par l’accusator de plebe, que cite Cicéron (note 36), se place vers l’époque de la guerre sociale. Il faut même probablement rapporter à ce point une règle, selon toute apparence très ancienne, bien qu’elle ne nous soit transmise que par Justinien, Inst. 4, 10, pr. (car, d’après la meilleure lecture, Gaius, 4, 83, n’énumère pas les différentes hypothèses) : la règle d’après laquelle la coutume ancienne permettait d’agir alterius nomine pro populo, pro libertate, pro tutela. Il est difficile que cet agere pro populo se rapporte en première ligne aux différentes actions populaires fondées sur des lois spéciales qu’énumèrent les recueils juridiques ; il est probable que la règle fut établie a l’origine relativement aux délits privés de furtum et de damnum injuria commis envers l’État, bien que les renseignements qui nous sont parvenus ne la mettent pas dans un rapport direct avec ces délits.
[39] C’est ainsi que, lorsqu’un tribunal qui siège sous la présidence d’un préteur a reconnu qu’une amende fixe, a été encourue, le recouvrement et, le cas échéant, la vente des biens incombant à ce préteur et non pas au questeur (Cicéron, Verr. I. 1, 60, 156). La loi agraire de César (c. 55, p. 265 de l’éd. des Gromatici de Lachmann) attribue aussi au magistrat qui dirige le procès le recouvrement de l’amende prononcée. Le recouvrement des sacramenta par les tres viri capitales peut encore être rapporté a cela ; car ces sacramenta doivent sans doute aussi être regardés comme des amendes de procédure.
[40] Tacite, Ann. 2, 30 : Tiberius mancipari singulos (les esclaves de Libo) actori publico jubet. 3, 67. On ne sait rien de plus précis sur la situation de ces esclaves publics. Dans les municipes, il y a, à côté des servi actores (Pline, Ep. 7, 18, 2), des magistrats du même nom qu’il ne faut pas confondre avec eux.