En offrant pour la seconde fois ce traité de droit public romain aux maîtres et aux simples compagnons, comme, aussi à tels amis des études d’histoire romaine qui ne sont pas précisément du métier, je trouve à propos de déterminer, plus nettement que dans la préface de la première édition, la place que, tout au moins d’après la pensée de l’auteur, le travail doit occuper dans l’ensemble de la littérature consacrée à l’étude de l’antiquité romaine. C’est depuis longtemps l’usage, dans l’exposition dés institutions politiques de Rome de consacrer, à côté des,antiquités politiques proprement dites, des traités spéciaux au droit civil, au droit criminel, à la procédure civile et à la procédure criminelle, à l’armée et aux finances, à l’administration municipale et provinciale. On s’est bien demandé si cette division ou plutôt cette dualité d’exposition se justifie quant au fond, et la question exigé assurément une réponse. Il faut reconnaître que les attributions des magistrats, comme celles du peuple et du sénat se trouvent par là décrites à deux reprises différentes ; que, par exemple, le droit de juger les procès est à la fois étudié dans la procédure, civile ou criminelle, et dans le droit public, que, par conséquent, il l’est deux fois dans deux parties distinctes. Ne vaudrait-il pas mieux se borner à une exposition unique ? Je crois qu’il faut répondre négativement et que ceux qui sont venus avant nous ont, en adoptant cette dualité d’exposition, trouvé la bonne voie, quoique peut-être sans se rendre bien compte de leur méthode et en se laissant plutôt guider par leur sujet. Nous ne pouvons en réalité pas plus nous abstenir de cette répétition que l’architecte ne peut éviter de mettre, à côté du plan, la coupe et l’élévation de son édifice. Si l’État est un tout organique ; il nous faut, pour le comprendre, connaître, d’une part, chaque organe pris isolément et, d’autre part, connaître les fonctions résultant de l’action commune de plusieurs organes. Le second résultat est atteint par l’exposition par ordre de matières ; mais le premier est I’objet du droit public. Il ne nous suffit pas de voir le préteur tantôt commandant à la guerre, tantôt rendant la justice dans les procès civils, tantôt présidant aux jeux dans les fêtes publiques ; il nous faut pénétrer la magistrature comme telle dans son unité pour pouvoir comprendre son intervention dans chaque fonction distincte. Le caractère propre de l’État romain où, dans les sphères supérieures, il n’y a pas d’organe particulier développé pour une fonction particulière, dont l’essence est de faire participer toutes les autorités supérieures à toutes les affaires publiques, réclame l’observation de cette méthode avec une nécessité absolue. L’imperium a si bien pour essence d’intervenir simultanément dans des cercles divers qu’on ne peut le faire comprendre clairement ni dans la théorie de l’organisation militaire, ni dans celle de la procédure civile, bien que la guerre et la procédure l’aient toutes deux pour base. L’institution ingénieusement compliquée de la censure fait bien partie intégrante du système militaire et du système financier ; mais toute exposition de l’un ou de l’autre doit la supposer connue, car elle n’est elle-même ni une magistrature militaire, ni une magistrature financière, ni d’une façon générale une magistrature matériellement délimitée. Le droit public trouve par conséquent aussi les bornes naturelles de son domaine au point où ce caractère d’ordre politique général fait place aux règles spéciales. Toute la technique de l’art militaire, qui n’est pas directement régie par des considérations politiques, est étrangère au droit publie. Les différentes espèces d’actions civiles, de procédures criminelles ne peuvent trouver place chez lui, malgré la nécessité où il se trouve de trancher la question de savoir par quels organes l’État intervient dans les divers rapports juridiques. La situation du magistrat investi du commandement et de la juridiction ne peut être comprise que par celui qui a considéré la constitution de l’État dans son ensemble. Mais les attributions du tribun militaire et du centurion doivent être réservées à la partie des antiquités militaires, et la procédure suffit parfaitement pour faire comprendre le rôle du juré. Par conséquent, si les répétitions sont inévitables dans cette double exposition, et si, quant aux points particuliers, des considérations extérieures ou même des circonstances fortuites déterminent sous bien des rapports à franchir la limite dans un sens ou dans l’autre, chaque traité garde pourtant son domaine spécial, son domaine exclusivement propre. L’institution du gouvernement de province romain, celle du municipe romain, dans la forme qu’elles prirent à la fin de la République et sous le Principat, ne peuvent être laissées de côté par le droit public, l’énumération des diverses provinces, des diverses cités et de celles de leurs particularités qui ne touchent pas essentiellement aux principes n’y ferait qu’égarer. Il parait par conséquent scientifiquement légitime d’étudier, à côté du droit public en général, les différentes - branches de l’administration dans leurs caractères propres. Quant à la question de savoir quelles sont celles qui rentrent dans le cadre d’un Manuel d’Antiquités romaines ; c’est une question toute différente de nature et dont la solution dépend plus de circonstances extérieures que de nécessités intimes de méthode. Le droit civil et le droit criminel, la procédure civile et la procédure criminelle rentrent absolument dans ce cadre, niais, par suite de la marche qu’a suivie notre développement scientifique, ils ne sont point traités dans les manuels de ce genre. C’est encore essentiellement par des considérations d’opportunité que l’on doit décider quelles portions de, la vie publique comportent ou non, à côté des institutions religieuses et ce qu’on appelle les antiquités privées, une exposition spéciale dans un tel ouvrage d’ensemble. Cette exposition spéciale est incontestablement indispensable pour l’armée et les finances. La question de savoir dans quelle mesure il y aurait lieu d’aller plus loin dans la même voie ne doit être discutée ni ici ni par moi. Je me suis chargé de traiter dans l’ouvrage total la partie dont Becker fixa correctement les limites dans sa Constitution politique de Rome. L’économie collective du Manuel n’est pas mon fait, et je me contente par suite d’indiquer en termes généraux la place que j’y entends assigner à mon travail. Ce qui est donné ici, par référence au titre courant d’Antiquités publiques sous le nom de Droit public romain c’est la partie générale de la description de la constitution Romaine, une tentative de décrire chaque institution tant dans ses particularités comme portion du tout, que dans ses relations avec l’organisme d’ensemble. La grande difficulté d’un tel travail est que l’auteur a toujours besoin à la fois d’une connaissance parfaite des particularités dont il ne traite pas et d’une pénétration complète de l’essence de l’organisme Romain. Mais l’homme ne doit pas amoindrir sa tâche pour se cacher à lui-même son impuissance. Le sentiment de cette impuissance, tant en ce qui concerne les documents qui nous ont été transmis qu’en ce qui concerne mes propres forces, m’est devenu plus clair au cours de mon travail- qu’au moment où je l’ai commencé. Cependant, pour arriver à faire le possible, il faut tenter même l’impossible ; j’ai du moins la conscience d’avoir consacré toutes mes forces de travail et de réflexion à m’approprier tous les matériaux utilisables et à tirer de chaque idée toutes ses conséquences. Si je n’ai pas eu de motif de faire, dans cette seconde édition, de modification de principe, ni quant au fond, ni quant à la forme, l’étude des diverses magistratures que j’ai entreprise dans mon second volume, devait déjà par elle-même influer nécessairement, sous plus d’un rapport sur cette partie générale. Il y a en outre certaines lacunes et certaines défectuosités que j’ai constatées personnellement ou sur lesquelles mon attention a été appelée soit par des critiques publiques, soit par correspondance. J’ai par suite ajouté à l’ouvrage les parties du Consilium et de l’Interregnum. Il y a plusieurs autres parties qui ont été complètement transformées. Il a aussi été fait des remaniements multiples. Ainsi l’Auspicium est maintenant à la place que la préface de la première édition indiquait déjà comme la plus convenable. On trouvera de plus la loi curiate placée parmi les actes d’entrée en fonctions, et la théorie de la représentation mise, il faut espérer, à l’endroit qu’il convient. Je me suis enfin toujours efforcé de compléter les sources et de perfectionner la forme. Ce travail ne sera assurément pas perdu ; car il y a deux choses désormais certaines : c’est qu’il n’y a pas de recherches politiques ou historiques d’ordre élevé qui puissent faire abstraction de Rome, et que l’étude lion pas de la tradition positive ou se donnant pour telle, mais des institutions politiques, est la voie par laquelle on peut arriver à la connaissance de l’histoire Romaine. Berlin, 1er avril 1876. |