LE DROIT PUBLIC ROMAIN

 

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION

 

 

En publiant l’ouvrage dont le premier volume est ici livré au public, j’exécute un engagement pris de grand catir, peut-être même d’un cœur plus léger il y a déjà bien des années celui de refaire, si jamais la nécessité venait à s’en produire, le second volume du Manuel de Becker. C’est par lui-même et non par une préface que ce livre, comme tout autre, doit justifier son droit à l’existence. Il convient pourtant d’indiquer en quelques mots la position prise par mon travail en face du Manuel de Becker.

Le présent ouvrage est bien destiné à remplacer le second volume du Manuel d’Antiquités romaines relatif à la constitution politique de Rome, commencé, de 1844 à 1846, par M. A. Becker et terminé après sa mort, en 1849, par J. Marquardt. Mais c’est un ouvrage nouveau et indépendant qui n’a que le surjet de commun avec le premier. La valeur du traité de Becker est connue, et ceux qui, comme moi, l’ont eu pour livre d’études, seront moins tentés que personne de la contester. Mais nous serions de tristes élèves s’il ne nous avait pas appris à le dépasser à notre tour. C’est le sort des Manuels de vieillir encore plus rapidement que les autres travaux scientifiques. Il n’est pas douteux que si l’auteur existait, il remplacerait son premier ouvrage par un ouvrage nouveau, et je peux moins encore agir autrement. Quart au respect dû à sa mémoire, je crois mieux l’observer en remplaçant le vieux Manuel par un neuf qu’en faisant de pièces et de morceaux, à coups de corrections et de remaniements perpétuels un ouvrage qui ne serait ni ancien ni nouveau. Si cette tâche est accomplie par moi et non par celui qui y semblait personnellement appelé, par le continuateur de Becker, par M. Marquardt, j’ai pour seule défense de l’avoir acceptée sur les propres instances de M. Marquardt.

Je n’ai tenu compte du lien qui rattache mon travail à celui de Becker que pour reprendre avec soin, de quelque façon qu’elles tiennent à mon plan d’ensemble, toutes les matières traitées dans son ouvrage et pour veiller à ce qu’on ne cherche pas inutilement dans ce livre des explications que l’on trouvait chez lui. Il ne peut, par la force même des choses, y avoir de délimitation rigoureuse entre ce traité de droit public et d’autres parties du Manuel, par exemple celle de l’Italie et des Provinces et celle de l’Organisation militaire. Alors même que toutes ces parties émaneraient des mêmes auteurs, des répétitions seraient inévitables. Je me suis efforcé de restreindre ces répétitions dans la mesure du possible, mais je me suis aussi tout spécialement efforcé de ne pas tomber dans le défaut contraire et de ne pas laisser chercher vainement une théorie dans les deux endroits où elle pourrait être.

Pour l’ordre des matières, je suis parti de l’idée qu’eu droit publie l’exposition est dominés par les concordances de fond comme elle l’est en histoire par la chronologie ; l’essai de faire suivre dans un travail de ce genre le cours du développement historique doit nécessairement échouer et ne peut que rendre l’orientation plus difficile ; je ne l’ai pas tenté. On ne trouvera pas ici la division courante en époques de la Royauté, de la République et de l’Empire. Chaque institution sera étudiée en elle-même, selon la méthode qui est déjà depuis longtemps suivie dans les traités de droit privé. Cette première partie traite de la Magistrature en général. La seconde sera consacrée aux différentes magistratures, la troisième au peuple et au sénat. La théorie générale de la magistrature a reçu ici des développements beaucoup plus étendus que dans Becker et les autres auteurs, et elle contient bien des choses qui ne se trouvaient pas ou ne se trouvaient pas réunies dans les ouvrages antérieurs. Mais j’espère que l’expérience établira l’utilité de cette méthode. En droit privé, le progrès scientifique a consisté à dégager les principes généraux pour les exposer systématiquement en dehors de leurs applications particulières et au-dessus d’elles. Le droit public que le droit privé distance aujourd’hui de si loin tant sous le rapport des travaux de recherches et d’exposition que sous celui des documents, n’arrivera dans quelque mesure à marcher de pair avec lui que lorsqu’il aura fait l’objet d’un travail analogue, lorsque, de même que les principes des Obligations dominent les théories de la Vente et du Louage, le Consulat et la Dictature ne seront considérés que comme deux aspects particuliers de l’idée générale de Magistrature. Je cite comme exemples la théorie de l’exercice des fonctions par roulement ou en commun et celle de l’intercession. Il est bien impossible d’exposer clairement la première en répartissant Ies détails qui s’y rattachent entre les diverses magistratures ; et, en exposant, selon la méthode ordinaire, la, théorie de l’intercession à propos des pouvoirs des tribuns, l’on en fausse absolument la physionomie.

Quant à l’ordre d’exposition des différents points, il a plus d’une fois été déterminé, contrairement aux règles d’une logique rigoureuse, par des considérations pratiques. En droit, les auspices auraient dû être placés en tête des pouvoirs généraux des magistrats : ils constituent une partie préliminaire spéciale parce qu’il attrait été insuffisant de n’étudier cette théorie difficile que dans ses rapports directs avec la magistrature. Des raisons tirées du fond du mon sujet m’ont également forcé à n’étudier les conditions d’éligibilité, la désignation et l’entrée en fonctions qu’après la magistrature elle-même.

J’aurais souhaité pouvoir encore plus longtemps prolonger la préparation de ce difficile travail, j’aurais spécialement voulu pouvoir utiliser d’une manière plus complète les ouvrages déjà existants. Le système du droit public romain doit, bien qu’il ne l’ait pas encore, arriver à avoir le’ même caractère que tout système de droit, une méthode d’exposition rationnellement circonscrite et s’appuyant, comme sur des bues inébranlables, sur des principes fondamentaux appliqués avec logique. Or une telle méthode ne laisse place, dans les développements systématiques, à aucune polémique contre les conceptions qui partent de principes opposés, et ce qui m’est connu parmi ces conceptions ne comportait guère d’autre genre de réfutation. Mais s’il fallait laisser de côté ce genre d’ouvrages, il n’en était pas de même des monographies qui d’ailleurs font beaucoup plus défaut qu’on ne pourrait croire en contemplant de loin le mouvement qui se fait sur le chantier archéologique, sans savoir combien de gens affairés s’y passent les uns aux autres les poutres et les moellons, qui rie sont capables ni de contraire, ni de multiplier les matériaux. On verra que j’ai soigneusement tenu compte des grands travaux, vraiment importants parus depuis Becker, par exemple de ceux de M. Hofmann et de Nipperdey. Je n’ai pas voulu citer les ouvrages d’où il n’y a rien à tirer. Mais il peut assurément, surtout parmi les ouvrages moins volumineux m’avoir échappé des études dignes d’être mises à profit. On remarquera que le Manuel était épuisé depuis des années et que c’est ce qui m’a déterminé à accélérer le plus possible la publication de mon travail.

 

Berlin, octobre 1871.