LE DROIT PUBLIC ROMAIN

 

INTRODUCTION GÉNÉRALE DU MANUEL D’ANTIQUITÉS ROMAINES

 

 

La fin de ce siècle paraît marquée en France par un véritable réveil des études de l’antiquité classique, digne de l’époque de la Renaissance. Déjà l’école de la Thémis avait, au point de vue juridique, rappelé les esprits vers l’examen des textes. Les travaux de MM. Blondeau, Demante, Du Caurroy et Jourdan furent suivis d’un nouveau développement de la science historique du droit romain. Il suffira de citer, parmi ceux que nous regrettons, les noms célèbres de MM. Ch. Giraud, Paul Gide, Ed. Laboulaye, Laferrière, Machelard, Massol, Ortolan et Pellat. Ces éminents jurisconsultes ont suscité des émules dignes d’eux en MM. Accarias, Bodin, Bufnoir, Demangeat, A. Desjardins, Gérardin, Glasson, Labbé, etc. Lies concours académiques, tant à Paris qu’en province, et notamment ceux de l’Académie de législation de Toulouse ; les travaux de l’École Normale, ceux de l’École des Chartes, la création des Écoles d’Athènes et de Rome et celle de l’École supérieure des Hautes Études ; en outre les thèses du doctorat des facultés de lettres et de droit ont contribué pour une large part au progrès de la science des antiquités. Enfin, l’histoire, la philologie et l’épigraphie ont suivi le même mouvement progressif sous l’impulsion de MM. J. J. Ampère, Belot, Boissier, Fustel de Coulanges, R. Dareste, A. Dumont, Dureau de la Malle, Victor Duruy, Egger, Garsonnet, Guignaut, F. Guizot, V. Leclerc, Lenormand, Michelet, G. Perrot, L. Renier, Amédée et Augustin Thierry, Tissot, Waddington, Wallon, et de jeunes savants, déjà bien connus du public, tels que MM. Bloch, Bouché-Leclercq, Cagnat, Cuq, Esmein, Girard, Jullian, Lefort, Vigié, etc., sans oublier les rédacteurs du grand Dictionnaire d’antiquités grecques et romaines publié par MM. Daremberg et Saglio. Partout dans nos Facultés on se tient au courant des travaux de la science allemande’ et anglaise ; mais le public regrettait de ne pas voir traduits en français les meilleurs ouvrages d’Outre-Rhin, et notamment le Manuel d’antiquités romaines de Marquardt et Mommsen qui, sous ce titre modeste, forme un véritable répertoire des antiquités publiques et privées de ce grand peuple. C’est cette lacune que nous avons voulu combler.

L’ouvrage dont la traduction commence à paraître aujourd’hui, a la fortune assez rare d’avoir derrière lui un succès de quarante ans, tout en ayant été l’objet de révisions successives, qui ont maintenu au niveau scientifique le plus moderne et le plus élevé.

L’auteur primitif du manuel, M. Wilhelm Adolph Becker, entendait y comprendre, avec une largeur de plan et une étendue de développements qui ne s’étaient pas rencontrés depuis les grands recueils de l’ancienne érudition, d’abord la topographie romaine ; en second lieu, la constitution politique de Rome ; en troisième lieu, l’organisation administrative, financière et militaire ; en quatrième lieu, le culte ; enfin la vie privée.

Le premier volume consacré à la ‘topographie de Rome, parut en 1843, et joua même un mile important dans les polémiques, alors vivement agitées et aujourd’hui un peu vieillies par les découvertes postérieures, sur la disposition de la Rome antique. La première partie du second, relatif à la constitution politique, fut encore publiée en 1844 par M. Becker. Mais il mourut peu après laissant ce second volume inachevé, et ce fut en réalité à son continuateur, à M. Joachim Marquardt, qu’il incomba d’accomplir la plus grosse part du travail interrompu.

M. Marquardt publia, en 1816 et 1846, les deux dernières parties du tome II terminant l’étude de la République et contenant celle de l’Empire ; en 1851, la première partie du tome III, consacrée à l’organisation administrative de l’Italie et des provinces ; en 1864, la deuxième partie du tome III, consacrée aux finances et à l’armée ; et en 1866, le tome IV, relatif au culte. Enfin, en 1867, la publication de la deuxième partie du tome V, dont la première avait paru trois ans auparavant, conclut, vingt-quatre ans après soif début, la publication du vaste travail d’inventaire connu sous le nom de Manuel de Becker-Marquardt. Tous ceux qui depuis lors se sont occupés d’une branche quelconque des antiquités romaines ont largement puis6 dans ce remarquable ouvrage.

Mais, quels que fussent les mérites d’érudition et de clarté, de conscience et de précision de ce livre excellent, la marche du développement scientifique a été trop rapide dans notre siècle, les matériaux se sont trop multipliés pour qu’un ouvrage, dont le premier volume datait de 1843, pût indéfiniment correspondre aux exigences et aux données de l’érudition. Aussi, quand, en 1871, une nouvelle édition en devint nécessaire, se résolut-on à une refonte complète qui, pour une partie, fut même la substitution absolue d’un ouvrage à un autre.

M. Marquardt resta chargé des matières qu’il avait traitées seul dans le premier Manuel, c’est-à-dire de l’organisation administrative de l’empire, des finances, de l’armée, de la religion, et des antiquités privées. Il. en a, à partir de, 1873, fait paraître des éditions intégralement refondues. Le succès de ce livre fut assez rapide pour que de nouvelles éditions de tous les volumes tenues au courant des découvertes et des travaux postérieurs aient encore dû être publiées depuis, pour l’Organisation de l’Empire, par M. Marquardt lui-même en 1877 ; pour les autres parties, après la mort de ce savant regretté, par une série d’érudits en renom : MM. Dessau et von Domaszetvski, en 1884, pour les Finances et l’Armée ; M. Wissowa en 1883, pour le Culte ; M. Mau, en 1886, pour la Vie privée.

Cependant, ce n’est encore là que la moindre supériorité du nouveau Manuel sur l’ancien. Tandis que M. Marquardt revoyait les parties qu’il avait traitées seul dans l’ouvrage primitif, — en écartant du nouveau la portion de la Topographie qui, malgré son intérêt, ne tenait que par un lien assez lâche au reste du sujet —, le savant, que ses travaux considérables et universels mettaient plus que tout autre à même d’embrasser, dans une vue générale, l’ensemble des institutions politiques de Rome. M. Théodore Mommsen se chargeait de reprendre, dans un travail complet auquel il a donné le nom justifié de Droit public romain, les différentes matières comprises dans le second volume du premier Manuel. Nous ne pouvons dire ici, comme il conviendrait, le retentissement dans le Inonde scientifique des deux premières parties du Droit public dont une édition, publiée en 1871-1872, fut, dès 1876, remplacée par une édition encore plus remarquable et plus complète. M. Mommsen, placé depuis longtemps au premier rang parmi les jurisconsultes, les épigraphistes, les numismates, les philologues et les historiens, a trouvé là un terrain sur lequel il a pu mettre en même temps en lumière toutes les faces de son profond et vaste savoir. La publication depuis longtemps attendue de la troisième partie du Droit public complètera heureusement, dans le cours de l’année qui va commencer, ce manuel de Mommsen et Marquardt, déjà célèbre en France avant d’y être traduit, et que nous sommes heureux de mettre enfin à la disposition de tous.

La traduction du Droit public romain, qui ne comprendra pas moins de sept volumes et que l’unité du sujet ne permettait pas de fractionner entre plusieurs personnes, a été confiée à M. Girard, agrégé à la faculté de droit de Montpellier, déjà connu par d’excellentes monographies sur diverses parties du Droit romain.

Nous en publions aujourd’hui le premier volume comprenant la moitié de la première partie consacrée à la théorie générale de la Magistrature. Le second volume contenant la fin de cette théorie est sous presse et paraîtra dans quelques mois. Les autres suivront à bref délai.

Quant aux parties du Manuel dues à M. Marquardt, et dont la publication se continuera d’une manière indépendante, elles ont été traduites ou le seront avant peu : l’Organisation de l’Empire, par MM. Weiss et Louis-Lucas, agrégés à la faculté de droit de Dijon ; les Finances et l’armée, par M. Vigié, doyen de la faculté de droit de Montpellier, lauréat de l’Institut pour un remarquable travail sur les impôts indirects chez les Romains ; le Culte, par M. Brissaud, agrégé à la faculté de droit de Toulouse[1], et la Vie privée, de nouveau par MM. Weiss et Louis-Lucas[2].

L’éditeur a bien voulu nous confier la révision des traductions entreprises par cette savante élite de jeunes professeurs. Nous avons relu avec le plus grand soin tous les manuscrits et les épreuves des volumes en cours d’impression et nous espérons que cette entreprise fera honneur à nos Facultés de droit.

Novembre 1886.

GUSTAVE HUMBERT.

 

 

 



[1] Cette partie, où M. Vigié, retenu par d’autres travaux, a été remplacé, pour la traduction du volume de l’Armée, par M. Brissaud a présentement paru tout entière (Tomes VIII à XIII du Manuel).

[2] MM. Weiss et Louis-Lucas ont été remplacés pour ce travail par M. Victor Henry, chargé de cours à la Sorbonne, de la traduction duquel le premier volume (Tome XIV du Manuel) vient de paraître.