LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TOME SECOND

LIVRE HUITIÈME. — LA COMMUNE - DU 18 MARS AU 10 AVRIL.

 

 

Comment La Commune est-elle composée ? — L'Internationale y est sans influence sensible. — Proclamation solennelle du nouveau gouvernement sur la place de l'Hô tel-de-Ville. — Le citoyen Beslay, président d'âge ; il trace le programme de la Commune. — Destitution de MM Wurtz et Colmet-d’Aage ; la conscription est abolie. — Décret en faveur des locataires. — Les scellés sont apposés dans les bureaux de cinq compagnies d'assurances. — La délation devient un devoir civique. — Départ de M. Rampont, directeur des postes. — Paris de nouveau isolé. — Dix commissions instituées. Adieu le programme du citoyen Beslay ! — Démissions au sein de la Commune. — Que fait Versailles ? Dépêche de M. Picard. — La guerre civile commence au pont de Neuilly. — Exécutions sommaires du général de Galiffet à Chatou. — Conseils du Père-Duchêne. — Les généraux Eudes, Duval, Bergeret. — Sortie du 3 avril ; mitraillade du Mont-Valérien. — Mort de Flourens. — Déroule de Chatillon. — Duval fusillé par ordre du général Vinoy. — On provoque les représailles. — Cluseret est « délégué à la guerre. » — L'enrôlement forcé. — Décret des otages. — Ce décret est le triomphe de la modération. — Adresse de la Commune « aux départements. » — La conciliation ; l'Union des chambres syndicales ; l'Union républicaine des droits de Paris. — Tentative de M. Ranc, membre de la Commune. — Déclaration de l'Union républicaine. — Conciliation, c'est trahison ! — Les francs-maçons, les délégués provinciaux à Versailles ; déclarations de M. Thiers. — La Commune s'exaspère ; atteinte à la liberté de la presse, a la liberté individuelle, à la liberté de conscience. — Arrestations de MM. Bonjean, Darboy, Deguerry. Les délégués de la Ligue des droits de Paris à Versailles ; les barricades ; le sort en est jeté.

 

La Commune était nommée, constituée. Quels étaient les hommes qu'une maladresse du gouvernement venait de porter au pouvoir ? La plupart étaient inconnus.

On voit parmi eux des hommes politiques, des journalistes connus pour leurs idées très-avancées : Delescluze, Pyat, Vermorel ; des orateurs de clubs, des jacobins, quelques fédéralistes. Peu de membres du comité central ont été élus. On a beaucoup accusé la Société internationale des travailleurs d'avoir eu la main dans le mouvement du 18 mars. La frayeur que cette société inspire a fait commettre ici une erreur. D'abord, dans le comité central, l'Internationale ne comptait que deux membres : Varlin et Avoine fils. Les internationaux sont plus nombreux dans la Commune ; on en compte dix-neuf sur quatre-vingt membres, et ce ne sont pas les plus influents. Les personnages importants de la Commune, ceux qui vont montrer jusqu'au bout une résistance acharnée, Cournet, Delescluze, Eudes, Ferré, Pyat, Ranvier, Raoul Rigault sont des adversaires déclarés de l'Association internationale. Fait encore plus significatif : le président de la Commune, Lefrançois, babouviste déterminé, est notoirement connu pour avoir attaqué dans les clubs l'Internationale et ses tendances. Il n'aurait donc pas été appelé à occuper le fauteuil, si l'Internationale avait eu dans la Commune une influence prépondérante. Venus de divers points de l'horizon, ayant des aspirations différentes et des programmes dissemblables, les membres de la Commune avaient été réunis comme par le hasard.

On peut prévoir, dès le principe, que l'harmonie et l'unité leur feront défaut quand ils sortiront du nuage de la phrase pour mettre leur gouvernement à l'œuvre.

En attendant, la première chose à faire est de proclamer la Commune avec une grande solennité. Le jour de la cérémonie est fixé au 28 mars. Les bataillons fidèles arrivent sur la place de l'Hôtel-de-Ville, tambours en tête, enseignes déployées, au milieu d'une foule immense, plus curieuse que sympathique. C'est en souriant que le peuple de Paris voit arriver le cortège sur l'estrade élevée pour la circonstance. Il ne prend pas encore au sérieux ce gouvernement du hasard, maître pourtant de la capitale, des palais, des ministères et obéi par des milliers de gardes nationaux. Le fond de la pensée de la foule, c'est que tout s'arrangera et que cet appareil théâtral n'est qu'un enfantillage dont il vaut mieux rire que pleurer. Les membres de la Commune prennent les choses plus au tragique. Ceints de l'écharpe rouge, les uns en habit noir et en cravate blanche, les autres en uniforme galonné de gardes nationaux, ils apparaissent sur l'estrade au roulement des tambours, aux acclamations des bataillons dévoués. Le canon tonne, les fanfares éclatent ; mille cris de Vive la Commune ! Vive la République ! fendent l'air. Après quelques courtes harangues sur la victoire du peuple, il est donné lecture du résultat des élections, le nom des élus est proclamé et le citoyen Assi s'écrie : « Au nom du peuple, la Commune de Paris est déclarée. »

Le programme du gouvernement est tracé par le citoyen Beslay, doyen d'âge, dans la séance d'installation. Socialiste proudhonien et l'un des fondateurs de l'Internationale, le citoyen Beslay est un homme d'une honnêteté reconnue. Il est de ceux qui croient qu'une société peut se régénérer au moyen d'une formule magique. Jugeant les autres d'après lui-même, il leur prête généreusement ses propres aspirations. « Citoyens, dit-il, depuis cinquante ans les routiniers de la vieille politique nous bernaient avec les grands mots de décentralisation et de gouvernement du pays par le pays ; grandes phrases qui ne nous ont rien donné. Plus vaillants que vos devanciers, vous avez fait comme le sage qui marchait pour prouver le mouvement ; vous avez marché, et l'on peut compter que la République marchera avec vous ! Paix et travail ! voilà notre avenir ! voilà la certitude de notre revanche et de notre régénération sociale, et ainsi comprise, la République peut encore faire de la France le soutien des faibles, la protectrice des travailleurs, l'espérance des opprimés dans le monde et le fondement de la République universelle. L'affranchissement de la commune est donc l'affranchissement de la République elle-même ; chacun des groupes va retrouver son indépendance et sa complète liberté d'action :

La commune s'occupera de ce qui est local ;

Le département s'occupera de ce qui est régional ;

Le gouvernement s'occupera de ce qui est national ;

Et, disons-le hautement, la commune que nous fondons sera la Commune modèle….. Voilà, à mon avis, citoyens, la route à suivre : entrez-y hardiment et résolument : Ne dépassons pas cette limite fixée par notre programme, et le pays et le gouvernement seront heureux et fiers d'applaudir à cette révolution, si grande et si simple, et qui sera la plus féconde révolution de notre histoire.

 

Le citoyen Beslay était sincère sans doute en résumant le programme de la Commune dans ces deux mots : paix et travail, et en délimitant ses attributions aux affaires locales, de son ressort immédiat ; mais cette double utopie, permise à un pouvoir solidement établi, ne l'était pas à la Commune, constituée par surprise, ayant en face d'elle un pouvoir légal, avec qui la lutte était inévitable à bref délai. Paix et travail, quelle ironie ! Il n'y avait pas moins d'ironie, involontaire sans doute, dans la promesse que la. Commune bornerait son gouvernement aux affaires municipales, à l'administration des intérêts de la cité. Les actes officiels ne devaient pas tarder à montrer au citoyen Beslay qu'il est des courants auxquels on ne résiste pas, des situations dont on n'est pas le maître. Dès le lendemain, la Commune commence la série de ses usurpations. Elle destitue M. Wurtz, doyen de la faculté de médecine, et M. Colmet-d'Aage, doyen de la faculté de droit, pour les remplacer par MM. Naquet et E. Accolas ; elle abolit la conscription ; elle public un décret qui dispense les locataires de payer leur loyer, décret ainsi conçu

Art. 1er. Remise générale est faite aux locataires des termes d'octobre 1870, janvier et avril 1871.

Art. 2. Toutes les sommes payées par les locataires, pendant les neuf mois, seront imputables sur les termes à venir.

Art. 3. Il est également fait remise des sommes dues pour les locations en garni.

Art. 4. Tous les baux sont résiliables, à la volonté des locataires, pendant une durée de six mois, à partir du présent décret.

Art. 5. Tous congés donnés seront sur la demande des locataires, prorogés de trois mois.

 

Le but de la Commune en publiant ce décret était de faire supporter à « la propriété sa part de sacrifices, » attendu que toutes les charges de la guerre avaient pesé principalement sur le commerce et l'industrie. On oubliait d'abord que certains industriels, tels que les marchands de vin et de comestibles, pour ne citer que ceux-là, avaient réalisé de grands bénéfices pendant le siège et se trouvaient par là même en mesure de payer leurs loyers ; on oubliait ensuite que les propriétaires, ne touchant pas le revenu de leurs immeubles, n'étaient pas dispensés pour cela de payer leurs impôts. La mesure était inique, mais les membres de la Commune avaient voulu se concilier l'appui des locataires, beaucoup plus nombreux que les propriétaires, et mettre de leur côté la grande majorité de la population. Toutefois le décret du 29 mars n'entraîna point autant d'abus qu'on pouvait légitimement en attendre. Il n'empêcha pas les locataires honnêtes — la grande majorité — de remplir leurs obligations, sauf à obtenir des propriétaires les délais rendus nécessaires par les circonstances.

Dans la journée du 30 mars, un acte non moins condamnable est commis par ordre de la Commune Les scellés sont apposés par ses agents dans les bureaux de cinq compagnies d'assurance, la Nationale, l'Urbaine, le Phénix, la Générale, l'Union ; les espèces en caisse sont mises en réquisition. C'était une atteinte bien caractérisée à la propriété privée. C'était assez pour éloigner définitivement du mouvement communal les esprits encore indécis, suspendus entre Paris et Versailles. Il n'y avait rien à faire avec des hommes politiques de ce caractère. Engagés dans une mauvaise voie, ils semblaient condamnés à s'y enfoncer toujours plus. Ils en vinrent, le 31 mars, à recommander la délation comme un devoir civique et à faire de l'espionnage une vertu. Témoin le document suivant, affiché par ordre de la préfecture de police, sous forme « d'avis » :

La plupart des services publics étant désorganisés à la suite des manœuvres de Versailles, les gardes nationaux, sont priés d'adresser par lettres, à la police municipale, tous les renseignements pouvant intéresser la commission de sûreté générale.

Le chef de la police municipale.

A. DUPONT.

Paris, le 31 mars 1871.

 

Cet « avis » qui enrôlait toute la garde nationale dans la police secrète révolta toutes les consciences. Conséquente d'ailleurs avec elle-même, la Commune s'était emparée du service des postes dans la crainte de l'existence d'un cabinet noir. Le délégué qu'elle installa rue Jean-Jacques-Rousseau à la place de M. Rampont trouva le service entièrement désorganisé par le départ du directeur et du personnel rappelés à Versailles par le gouvernement. Paris fut de nouveau sans communication avec le dehors, comme au temps du siège. Cet isolement porta un coup funeste aux opérations industrielles et commerciales qui avaient repris leurs cours depuis la capitulation. C'est en vain que le haut commerce parisien envoya une députation à Versailles pour demander, au nom de ses intérêts, la liberté des correspondances. La délégation fut éconduite sans avoir rien obtenu. Le gouvernement paraissait prendre à tâche de faire expier à la population parisienne son indifférence au 18 mars. Peu s'en fallait qu'il ne lui dise : « Vous avez voulu la Commune, eh bien, vous l'avez, débarrassez-vous-en. » Reproche injuste, qui ne ramenait pas les sympathies au gouvernement. Ces propos aigrissaient les adhérents de la Commune et paralysaient les hommes de bonne volonté. Ce qui donnait à l'isolement auquel Paris était de nouveau condamné un caractère de vexation puérile, c'est qu'on pouvait aller jeter des correspondances à la poste des localités voisines et y retirer les lettres venues de province et de l'étranger. On disait donc : Si le gouvernement redoute la propagande communaliste par voie postale, pourquoi donner aux Parisiens cette facilite ? S'il ne la craint pas, pourquoi ne pas laisser la poste fonctionner librement ?

A peine installée, la Commune s'organise en diverses commissions : commission exécutive, chargée de faire exécuter les décrets de la Commune et tous les arrêtés des autres commissions ; commission militaire, ayant dans ses attributions la discipline, l'armement, l'habillement et l'équipement de la garde nationale : elle remplace le ministère de la guerre ; commission des subsistances, qui veille à l'approvisionnement de Paris ; commission des finances, chargée d'établir sur de nouvelles bases le budget de la ville de Paris, de recouvrer l'impôt, d'examiner les moyens les plus sûrs et les moins coûteux d'assurer la réussite d'un emprunt, si le besoin s'en fait sentir ; commission de la justice, chargée de mettre la justice actuelle à la hauteur des institutions démocratiques et sociales ; commission de sûreté générale : elle doit veiller à la sûreté de la République, au maintien de la sécurité, au respect de la liberté individuelle et de la morale publique et exercer une surveillance sur tous les citoyens ; commission du travail : elle est chargée de la propagation des doctrines socialistes ; elle doit chercher les moyens d'égaliser le travail et le salaire, de favoriser les industries nationales et parisiennes, de développer le commerce international d'échange, tout en attirant à Paris les industries étrangères de façon à faire de cette ville un grand centre de production ; commission des services publics : elle a la surveillance des grands services, postes, télégraphes, voirie ; elle surveille les compagnies de chemins de fer ; elle doit organiser les relations avec les services de province ; commission des relations extérieures : sa mission consiste à entretenir avec les communes de France des relations amicales qui doivent amener la fédération ; elle devra aussi, dès que les circonstances le permettront, accréditer des représentants auprès des divers Etats de l'Europe, surtout auprès de la Prusse, quand on connaîtra l'attitude de cette puissance vis-à-vis de la Commune ; commission de l'enseignement, enfin, chargée de préparer un projet de décret rendant l'instruction gratuite, obligatoire et laïque.

En tout, dix commissions embrassant tout le système gouvernemental. La Commune ne limite pas son action à Paris ainsi que l'a promis son doyen d'âge, M. Beslay, dans son discours d'ouverture ; elle aspire a gouverner la France.

Cette prétention produisit le plus fâcheux effet. Déjà plusieurs membres de la Commune s'étaient retirés. Une seule séance avait suffi pour les désenchanter et leur ôter tout espoir d'imprimer à la révolution du 18 mars une marche sensée. De ce nombre étaient MM. Adam, Barré, Brelay, de Bouteiller, Chéron, Marmottan, Méline, Tirard. D'autres avaient refusé de siéger même une seule fois ; il leur avait suffi de voir les noms de la majorité de leurs collègues pour refuser de pousser plus loin l'expérience. MM. Desmarest, E. Ferry, Nast furent ces démissionnaires de la première heure. Le départ de MM. Loiseau-Pinson, À. Leroy et Bobinet causa un nouvel affaiblissement au sein de la Commune. Pourquoi ces démissions successives ? La Commune mentait à son origine et à son programme. Gouvernement purement municipal à sa naissance, elle était peu à peu sortie de ses attributions pour se substituer au gouvernement légal du pays. Cette attitude imprudente devait fatalement provoquer un grave conflit, car des deux gouvernements en présence, l'un était condamné, soit à l'abdication volontaire, soit à la disparition violente. Les hommes sages s'écartaient ; en minorité dans la Commune, ils ne pouvaient se flatter de l'espoir d'être écoutés. Leur sagesse passait pour de la pusillanimité ; la fraction jacobine leur faisait volontiers de la modération un crime. Gouvernement formé en apparence sous les auspices de la liberté, du grand jour, de la discussion, la Commune n'avait pas voulu que ses séances fussent publiques ; elle fermait ses portes au peuple, elle redoutait les débats en présence de ses commettants. Était-ce haine de la publicité ? non sans doute, mais plutôt crainte du ridicule que les journaux pourraient déverser sur la Commune à cause de l'insuffisance notoire d'un grand nombre de ses membres. On délibérait portes closes, en comité secret. Singulière façon de pratiquer le libéralisme. Cette peur de la publicité fut peut-être plus nuisible à la Commune que tel de ses décrets usurpateurs. L'indifférence devient défiance ; la défiance se change en hostilité.

Cependant il faut pourvoir aux sièges devenus vacants ; les électeurs sont convoqués pour le 16 avril.

Que fait Versailles ? M. Picard, ministre de l'intérieur, télégraphie à la province qu'une portion considérable de la population et de la garde nationale de Paris sollicite le concours des départements pour le rétablissement de l'ordre : « Formez et organisez des bataillons de volontaires pour répondre à cet appel et à celui de l'Assemblée nationale. » Les renseignements du ministre n'avaient aucun fondement sérieux. La population parisienne était inquiète, comment ne l'eût-elle pas été ? mais elle ne sollicitait point le concours des départements pour rétablir l'ordre. Elle croyait encore dans les moyens pacifiques. La province partageait sans doute cet espoir, car elle ne répondit nullement à l'appel du ministre. Les volontaires ne se levèrent pas. L'Assemblée n'était pas de celles qui inspirent les dévouements à toute épreuve. Le gouvernement comptait sur un autre concours pour réduire la Commune. Il obtint du gouvernement allemand une dérogation aux préliminaires de paix qui fixaient à 40.000 hommes les troupes de l'armée de Paris. Il put doubler ce chiffre en rappelant en hâte d'Allemagne les soldats que le traité de paix avait rendu libres. Le chef du pouvoir exécutif écrivait aux départements à la date du 1er avril :

A Paris, la Commune, déjà divisée, essayant de semer partout de fausses nouvelles et pillant les caisses publiques, s'agite impuissante et elle est en horreur aux Parisiens, qui attendent avec impatience le moment d'en être délivrés.

L'Assemblée nationale, serrée autour du gouvernement, siège paisiblement à Versailles, où achève de s'organiser une des plus belles armées que la France ait possédées.

Les bons citoyens peuvent donc se rassurer et espérer la fin prochaine d'une crise qui aura été douloureuse, mais courte. Ils peuvent être certains qu'on ne leur laissera rien ignorer, et que, lorsque le gouvernement se taira, c'est qu'il n'aura aucun fait grave ou intéressant à leur faire connaître.

A. THIERS.

 

Le 2 avril, la guerre civile éclate au pont de Neuilly. Les gardes nationaux gardaient le pont. Un détachement de gendarmes est envoyé pour s'en emparer ; sommés de se retirer, les gardes nationaux invitent les gendarmes à faire cause commune avec eux ; sur leur refus, ils ouvrent le feu, et les troupes régulières se replient jusqu'au rond-point de Courbevoie, où les fédérés essayent, mais en vain, de se frayer un passage. Ramenés au pont de Neuilly par la fusillade, poursuivis un moment après par l'artillerie disposée par le général Vinoy, ils sont repoussés jusqu'au rempart de la porte Maillot au milieu d'une pluie de projectiles qui couvre l'avenue de Neuilly. Une grande stupeur régnait dans Paris, d'où l'on entendait distinctement le bruit du canon. Toutes les appréhensions des bons citoyens s'étaient justifiées : le sang avait coulé. Le médecin en chef de l'armée, M. Pasquier, avait été tué par les fédérés au rond-point de Courbevoie, tandis qu'il s'avançait en parlementaire. Ce lâche assassinat, commis sous les yeux des troupes, dissipa toute hésitation dans le cœur des soldats. Dès lors, plus de ces défections qui avaient rendu possible la révolution du 18 mars. Le même jour, l'aile gauche de l'armée régulière, formée par une brigade de chasseurs sous les ordres du général de Galiffet, surprenait dans Chatou trois gardes nationaux, dont un officier, et les passait par les armes sans jugement[1]. Toutes les portes de Paris furent fermées. La générale l'ut battue dans tous les quartiers ; le tocsin fut sonné ; on amène des canons sur les remparts du côté de Versailles. Les gardes nationaux sortaient de leurs maisons en armes au bruit du tambour et se rassemblaient sur les places. Le tumulte était indescriptible. La garde nationale veut marcher contre Versailles. Depuis plusieurs jours déjà les journaux de la Commune jetaient ce mot d'ordre aux fédérés. Le Père Duchêne, très-lu par le peuple, s'écriait : « Ecrasez l'Assemblée ! Cent mille baïonnettes luiront bientôt autour du théâtre de Versailles ! » Les trois généraux Eudes, Duval et Bergeret se rendent auprès de la commission exécutive de la Commune, et se font les interprètes du désir du peuple de marcher contre Versailles. Leur plan d'attaque est tout préparé. Ils divisent la garde nationale en trois colonnes : la première, sortant par la porte de Vaugirard, s'avancera par Issy, Châtillon, Sèvres et Meudon ; la seconde, marchera par Courbevoie, Puteaux et les hauteurs de Buzenval ; la troisième, tournant le Mont-Valérien, doit déboucher sur Versailles par Rueil et Bougival. Les trois généraux ne se préoccupent pas de l'artillerie du Mont-Valérien ; ils se croient sûrs de sa neutralité. La Commune et la commission exécutive écoutèrent l'exposé de ce plan sans élever aucune objection ; au fond, elles ne le croyaient pas sérieux ; les généraux leur paraissaient dévorés d'un zèle excessif. On verrait, on attendrait, rien ne pressait encore ; telle était la pensée intime des membres de la commission exécutive. Il fut convenu qu'avant de tenter une sortie, une seconde conférence aurait lieu et que la décision suprême serait prise dans ce conseil. Mais l'impatience des gardes nationaux était extrême ; ils demandaient à marcher immédiatement. Tous les bataillons sont réunis avec armes et bagages. « En avant ! » à Versailles ! tel est le cri universel, et ce torrent humain se précipite aux portes de Paris, pêle-mêle, au hasard, chaque bataillon se groupant autour du chef préféré, quelques-uns sans vivres, tous croyant marcher à une victoire certaine. Les généraux n'étaient ni moins inexpérimentés, ni moins ignorants que leurs soldats. Plus de 100.000 hommes sortirent follement de Paris pendant la nuit, au désespoir des gens sensés qui prévoyaient les suites de cette criminelle aventure. Duval et Eudes avaient pris le commandement des bataillons massés à Vaugirard, vers les portes de Versailles et de Vanves. Bergeret et Gustave Flourens s'étaient mis à la tête des bataillons de l'avenue de Neuilly.

Vers sept heures du matin, les fédérés conduits par Bergeret — celui-ci en calèche — arrivent au pied du Mont-Valérien sans défiance, quand tout à coup une décharge d'artillerie coupe leur colonne en deux. La panique se met dans leurs rangs. Ils courent et se sauvent, criant à la trahison parce que le Mont-Valérien tire sur eux.

Quelques bataillons repassent la Seine et rentrent dans Paris ; le gros de la troupe continue à marcher dans la direction de Nanterre où, enveloppé par les soldats de Versailles, il est fait en partie prisonnier. Flourens, pendant la débandade, s'était réfugié à Rueil dans la maison d'un marchand de vins, au bord de la Seine. Un seul officier de son état-major l'accompagnait. Des gendarmes apparaissent pour fouiller la maison, Flourens saisit son revolver et tire sur eux. On le saisit, on l'entraine hors de la maison. Le capitaine Desmarest lui fend la tête d'un coup de sabre. Ainsi mourut Flourens, digne d'un meilleur sort. Presque en même temps, l'insurrection perdait un autre de ses chefs du côté de Clamart, le général Duval.

Une des colonnes d'attaque de la Commune devait s'avancer par Clamart et Châtillon.

Les troupes de Versailles l'attendaient sur les hauteurs. Au moment où les fédérés vont pénétrer sous-bois, ils sont arrêtés par un feu terrible de mitrailleuses. Ils prennent la fuite, fous de terreur et se croyant trahis, comme les autres, tant ils étaient convaincus que rien ne s'opposerait à leur marche sur Versailles.

Ils courent, dans un désordre indicible, pendant que les gendarmes et les mobiles les poursuivent à la baïonnette. Le plateau de Châtillon était également tombé aux mains des troupes de Versailles. Quelques bataillons de fédérés firent une résistance sérieuse. Somme toute, ce fut pour les troupes de la Commune une journée désastreuse. Cinq ou six mille prisonniers lurent emmenés à Versailles ; le nombre des morts et des blessés qui jonchaient le terrain était considérable. L'armée insurrectionnelle revint entièrement démoralisée. Les hommes tombaient d'épuisement et de fatigue dans les champs, au bord des chemins. Un très-grand nombre avaient jeté leurs fusils.

Les fuyards étaient rentrés dans Paris en proie à un découragement profond. Cependant les journaux de la Commune publiaient une dépêche ainsi conçue : « Bergeret et Flourens ont fait leur jonction ; ils marchent sur Versailles. Succès certain. »

Le général Duval avait été fait prisonnier à Châtillon avec deux de ses aides-de-camp. Pendant qu'on les emmène à Versailles avec une centaine de fédérés, le cortège rencontre en chemin le général Vinoy. Quand il sait que Duval se trouve au nombre des prisonniers, Vinoy le fait amener en sa présence :

— Quel est, lui dit-il, le sort que vous me réserviez si j'étais tombé entre vos mains ?

— Je vous aurais fait immédiatement fusiller, aurait, dit-on, répondu Duval.

— Eh bien, reprit Vinoy, vous venez de prononcer votre sentence....

Duval ne se fit pas prier. Il ôta sa tunique, se plaça en présence du peloton d'exécution et cria : En joue, feu ! Vive la République !

Il tomba foudroyé. Ses deux aides de camp furent fusillés à ses côtés.

Il est d'usage de rejeter ces exécutions sommaires sur la vivacité de la lutte et de les justifier en quelque sorte par la nécessité où l'on est de « faire des exemples » afin de décourager les rebelles. Triste manière d'excuser des actes barbares, que la justice réprouve, que le péril social ne réclame pas, et dont la civilisation rougit. On s'imagine couper le mal dans sa racine, on ne fait que l'aggraver ; on croit inspirer la terreur, on n'excite que la vengeance, on prépare imprudemment l'heure des représailles ; on inspire aux hommes égarés qu'on espère épouvanter une haine encore plus profonde pour la loi qui semble couvrir de telles cruautés et pour la société qui semble les ordonner. La Commune répondra aux exécutions par la loi des otages ; il y aura des deux côtés un redoublement de fureur, et d'innocentes victimes tomberont, qui auraient été épargnées, si une justice trop pressée et indigne de ce beau nom n'était venue exaspérer les passions.

Le grand espoir de la Commune s'était évanoui[2] : les troupes de Versailles n'avaient point levé la crosse en l'air. Dès cet instant, la Commune est vaincue et ses jours sont comptés. Elle a vu ses défenseurs refoulés du plateau de Châtillon, elle a perdu en dehors de l'enceinte de Paris toutes les positions stratégiques de quelque importance ; elle tient encore, à la vérité, les forts du sud, mais dominés par les collines environnantes, à la merci du bombardement, ces forts doivent ou se rendre ou voler en poussière. La déroute du 3 avril a jeté une véritable démoralisation dans les rangs de l'armée insurrectionnelle. Qu'espère désormais la Commune ? Le concours des départements ? Rien ne l'autorise à compter sur leur aide. Ce n'est pas son agression insensée du 3 avril qui réchauffera ses partisans, s'il en existe. Il est trop évident désormais que force restera à l'armée régulière et au gouvernement légal. La Commune ne peut nourrir aucune illusion à cet égard. Que fera-t-elle ? Voici son crime et sa honte devant l'histoire : sûre de succomber, elle voudra envelopper Paris dans sa chute ; elle fera de son passage une tourmente d'autant plus violente qu'elle est plus courte. Ces prétendus hommes politiques du 18 mars goûteront une âpre jouissance â succomber avec éclat, après avoir fait beaucoup de mal à la société qui ne s'accommode pas de leur joug. On va les voir se débattre et s'exaspérer dans leur impuissance, tenant pour suspects au même titre les membres du gouvernement et les hommes de bonne volonté qui s'interposent entre les combattants, et osant dire à ceux-ci : « Conciliation, c'est trahison. »

Le 4 avril, tous les pouvoirs militaires passent entre les mains du général Cluseret. Eudes et Bergeret disparaissent de la scène. La marche sur Versailles avait mis leurs rares talents en évidence. Cluseret prend le ministère de la guerre. Il avait fait la guerre en Amérique ; il jouissait d'une certaine réputation, sans qu'on sût pourquoi ; il s'agitait beaucoup. La Commune crut avoir trouvé l'homme dont elle avait besoin pour organiser la défense de Paris. Un des premiers actes du commandant en chef fut de décréter que tous les hommes valides de dix-sept à trente-cinq ans seraient incorporés dans les bataillons de guerre de la garde nationale. Qu'on le voulût ou non, il fallait prendre les armes pour la défense de la Commune et l'exécution des décrets qu'elle rendait en abondance. C'est ainsi que les gouvernants de l'Hôtel-de-Ville entendaient la liberté des opinions. C'est la première fois que, dans une guerre civile, on a vu les citoyens obligés de se prononcer et de s'armer pour l'un des partis en présence. Le général Cluseret fit un pas de plus ; il invita les gardes nationaux fidèles à dénoncer les hommes qui n'obéiraient pas à ses ordres[3]. La délation devint une vertu civique. Le premier effet du décret fut de faire prendre la fuite à des milliers d'individus. Les portes de la ville étaient bien gardées ; les fuyards descendaient la nuit dans les fosses des remparts au moyen de cordes et de poulies. Les autres se cachaient. Dans certains quartiers, les gardes nationaux se livraient à des perquisitions quotidiennes ; les rues étaient cernées, pendant que des patrouilles pénétraient dans les maisons, saisissaient les armes qui leur tombaient sous la main, et emmenaient les « réfractaires. » On vit des jeunes gens traqués dans les rues comme des bêtes fauves. Et la Commune avait aboli la conscription ! Malgré le zèle de ses agents, malgré les dénonciations, le citoyen Cluseret n'eut pas le bonheur de retirer de son décret les avantages qu'il en avait attendus. Mais s'il n'amena pas des soldats à la Commune, il lui fit, en revanche, une foule d'ennemis nouveaux. C'est le propre des certaines iniquités de soulever toutes les consciences.

L'irritation causée à la Commune par la défaite du 3 avril et par l'exécution du général Duval se traduisit par un décret non moins odieux que le précédent. C'est le décret dit des otages :

La Commune de Paris,

Considérant que le gouvernement de Versailles foule aux pieds les droits de l'humanité comme ceux de la guerre ; qu'il s'est rendu coupable d'horreurs dont ne se sont même pas souilles les envahisseurs du sol français ;

Considérant que les représentants de la Commune de Paris ont le devoir impérieux de défendre l'honneur et la vie des deux millions d'habitants qui ont remis entre leurs mains le soin de leurs destinées ; qu'il importe de prendre sur l'heure toutes les mesures nécessitées par la situation ;

Considérant que des hommes politiques et des magistrats de la cité doivent concilier le salut commun avec le respect des libertés publiques,

DÉCRÈTE :

Art. 1er Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d'accusation et incarcérée.

Art. 2. Un jury d'accusation sera institué dans les vingt-quatre heures pour connaître des crimes qui lui seront déférés.

Art. 3. Le jury statuera dans les quarante-huit heures.

Art. 4 Tous accusés retenus par le verdict du jury d'accusation seront les otages du peuple de Paris.

Art. 5. Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l'exécution d'un nombre triple des otages retenus en vertu de l'article 4, et qui seront désignés par le sort.

Art. 6 Tout prisonnier de guerre sera traduit devant le jury d'accusation, qui décidera s'il sera immédiatement remis en liberté ou retenu comme otage.

Hôtel-de-Ville, 3 avril 1871.

 

Une proclamation « au peuple de Paris » accompagnait ce sauvage décret qui ramenait brusquement le dix-neuvième siècle aux pratiques des temps barbares. On cherchait à faire accepter ce retour au système des otages en accusant les « bandits » de Versailles d'égorger chaque jour des prisonniers ; en alléguant que les « soldats vendéens » de Charette et de Cathelineau marchaient contre l'armée de Paris au cri de Vive le Roi !... On disait que le gouvernement de Versailles s'était mis hors la loi et qu'il était temps pour le peuple de Paris d'user de représailles. La proclamation se terminait par ces mots : « Toujours généreux et juste, même dans sa colère, le peuple abhorre le sang, comme il abhorre la guerre civile ; mais il a le devoir de se protéger contre les attentats sauvages de ses ennemis, et, quoiqu'il lui en coûte, il rendra œil pour œil et dent pour dent. »

Ainsi répondait la Commune aux actes de certains chefs de l'armée régulière. C'est avec une profonde irritation qu'on avait appris la mort tragique de Duval et de Flourens, et les exécutions sommaires ordonnées à Chatou par le général de Galiffet. On aura peut-être quelque peine à le croire : mais le décret des otages fut proposé par Delescluze comme une mesure relativement modérée comme un adoucissement aux motions féroces de quelques membres de la Commune. Fous de colère, Pyat, Rigault et Vallès, demandaient qu'on se saisît immédiatement d'un certain nombre de citoyens suspects de complicité avec Versailles et qu'on répondît sur l'heure même aux exécutions sommaires par des exécutions sommaires : œil pour œil, dent pour dent, suivant l'antique loi du talion. Ce ne fut pas sans quelque peine que Delescluze, moins emporté, fit adopter par ses collègues, le décret sur les otages ; c'est ainsi que ce vote put passer encore pour une victoire de la modération. Il fut, dit-on, tacitement entendu que le décret ne serait pas appliqué. Toujours est-il que la formation du jury d'accusation, qui devait être créé dans les vingt-quatre heures, fut différée. Le jour même où la Commune, parodiant la Terreur se jetait dans cette voie déplorable, un appel était adressé par elle aux départements. Dans son isolement, la Commune se croit perdue. Paris se détourne de plus en plus et l'abandonne. C'en est fait d'elle, si la province ne lui donne la main et ne se soulève, à son exemple. On écrit donc aux « départements » :

Vous avez soif de vérité, et, jusqu'à présent, le gouvernement de Versailles ne vous a nourris que de mensonges et de calomnies.

C'est le gouvernement de Versailles qui a commencé la guerre civile en égorgeant nos avant-postes, trompés par l'apparence pacifique de ses sicaires ; c'est aussi ce gouvernement de Versailles qui fait assassiner nos prisonniers, et qui menace Paris des horreurs de la famine et du siège, sans souci des intérêts et des souffrances d'une population déjà éprouvée par cinq mois d'investissement. Nous ne parlerons pas de l'interruption du service des postes, si préjudiciable au commerce, de l'accaparement des produits de l'octroi, etc., etc.

Ce qui nous préoccupe avant tout, c'est la propagande infâme organisée dans les départements par le gouvernement de Versailles pour noircir le mouvement sublime de la population parisienne. On vous trompe, frères, en vous disant que Paris veut gouverner la France et exercer une dictature qui serait la négation de la souveraineté nationale. On vous trompe, lorsqu'on vous dit que le vol et l'assassinat s'étalent publiquement dans Paris. Jamais nos rues n'ont été plus tranquilles. Depuis trois semaines, pas un vol n'a été commis, pas une tentative d'assassinat ne s'est produite.

Paris n'aspire qu'à fonder la République et à conquérir ses franchises communales, heureux de fournir un exemple aux autres communes de France.

Si la Commune de Paris est sortie du cercle de ses attributions normales, c'est à son grand regret, c'est pour répondre à l'état de guerre provoqué par le gouvernement de Versailles. Paris n'aspire qu'à se renfermer dans son autonomie, plein de respect pour les droits égaux des autres communes de France.

Quant aux membres de la Commune, ils n'ont d'autre ambition que de voir arriver le jour ou Paris, délivré des royalistes qui le menacent, pourra procéder à de nouvelles élections.

Encore une fois, frères, ne vous laissez pas prendre aux monstrueuses inventions des royalistes de Versailles. Songez que c'est pour vous autant que pour lui que Paris lutte et combat en ce moment. Que vos efforts se joignent aux nôtres, et nous vaincrons, car nous représentons le droit et la justice, c'est-à-dire le bonheur de tous par tous, la liberté pour tous el pour chacun sous les auspices d'une solidarité volontaire et féconde.

La commission exécutive :

COURNET, DELESCLUZE, FÉLIX PYAT, TRIDON, VAILLANT, VERMOREL.

Paris, le 6 avril 1871.

 

Cependant, la Commune roule sur la pente fatale : déjà, c'est un crime de parler de conciliation. En dépit de la gravité croissante des malentendus et quoique l'abîme s'élargisse de jour en jour entre Paris et Versailles, les hommes de cœur ne désespèrent pas de suspendre la lutte en taisant entendre aux deux camps le langage de la raison. Se pourrait- il que l'on poursuivît cette guerre fratricide sous les yeux de l'ennemi ? Cette perspective faisait horreur. Des voix s'élèvent de toutes parts en faveur d'une transaction. On dit à la Commune qu'elle doit renoncer à l'espoir de vaincre le gouvernement de Versailles, puisqu'elle est désormais refoulée dans Paris et dans les forts du sud, sans pouvoir se flatter de gagner du terrain, sans pouvoir se faire illusion sur la défaite finale ; et on dit au gouvernement de Versailles qu'il ne peut souhaiter d'enlever Paris de vive force, à cause des immenses malheurs qui en découleraient. Dans cet état de choses, il faut que, des deux parts, on se prête à une transaction. Le commerce et l'industrie de Paris venaient, sous l'empire de ces sentiments, de former une association connue sous le nom d'Union nationale des chambres syndicales. Cette association représentant cinquante-six chambres syndicales et plus de sept mille industriels et commerçants avait quelque droit d'élever la voix au nom des grands intérêts dont elle était l'organe, quand ces intérêts étaient en périls. Le temps pressait. Dans une réunion tenue le 4 avril, l'Union des chambres syndicales nomme une commission chargée de rechercher les moyens de mettre un terme à la lutte qui désole tous les bons citoyens. Les efforts de la commission demeurent infructueux. Presque en même temps, prend naissance l'Union républicaine des droits de Paris, composée d'anciens maires, de représentants du peuple, de républicains connus pour la fermeté de leurs convictions. M. Ranc, membre de la Commune, qui ne partage point l'aveuglement de la plupart de ses collègues, se met en rapport avec les membres de l'Union républicaine. Il est convenu qu'il essayera d'amener la Commune sur le terrain de la conciliation. Cette tentative devait échouer complètement. Les ambitieux de l'Hôtel-de-Ville savaient très-bien qu'une transaction les rejetterait dans l'ombre ; ils étaient trop vaniteux pour reconnaître leur incapacité, trop bornés et trop égoïstes pour faire le sacrifice de leurs appétits au bien public. Le mot de transaction les révoltait. Ils répondirent à M. Ranc qu'ils étaient résolus à aller jusqu'au bout, coûte que coûte. Les membres de l'Union républicaine prirent alors le parti de s'adresser directement à la population parisienne afin de provoquer un mouvement d'opinion tellement puissant, que la Commune se vît forcée de compter avec lui. Ils firent afficher la déclaration que voici :

La guerre civile n'a pu être évitée.

L'obstination de l'Assemblée de Versailles à ne pas reconnaître les droits légitimes de Paris a amené fatalement l'effusion du sang.

Il faut maintenant aviser à ce que la lutte qui jette la consternation dans le cœur de tous les citoyens n'ait point pour résultat la perte de la République et de nos libertés.

A cet effet, il importe qu'un programme nettement déterminé, ralliant dans une pensée commune l'immense majorité des citoyens de Paris, mette fin à la confusion des esprits et à la divergence des efforts.

Les citoyens soussignés, sous la dénomination de LIGUE DE L'UNION RÉPUBLICAINE DES DROITS DE PARIS, ont adopté le programme suivant, qui leur paraît exprimer les vœux de la population parisienne :

Reconnaissance de la République !

Reconnaissance des droits de Paris à se gouverner, à régler par un conseil librement élu et souverain dans la limite de ses attributions, sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement et l'exercice de la liberté de conscience ;

La garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale composée de tous les électeurs valides.

C'est à la défense de ce programme que les membres de la ligue veulent consacrer tous leurs efforts, et ils engagent tous les citoyens à les aider dans cette tâche, en faisant connaître leur adhésion, afin que les membres de la ligue, forts de cette adhésion, puissent exercer une énergique action médiatrice, capable d'amener le rétablissement de la paix et de maintenir la République.

Paris, le 6 avril 1871.

 

Un autre appel, non moins chaleureux et non moins sage était placardé sur tous les murs de Paris. On s'y adressait tour à tour à la Commune et au gouvernement ; à la Commune on disait :

Renfermez-vous strictement dans l'édification de nos franchises municipales. Engagez-vous à déposer votre mandat, sitôt qu'une loi équitable et juste, ayant statué sur la reconnaissance de nos droits, nous appellera à des élections libres et discutées.

 

On disait à Versailles :

Reconnaissez franchement ce que veut l'opinion publique : le temps presse ; votez sans délai des institutions vraiment républicaines, au moins en ce qui concerne la ville de Paris qui par ses votes, depuis vingt ans, n'a jamais varié dans ses aspirations. Pas de projets de loi qui sont autant de brandons de discorde, tels que celui sur l'élection des conseillers municipaux où l'on propose :

Le maire choisi par les conseillers dans les villes jusqu'à 6.000 âmes ;

Le maire imposé par le pouvoir exécutif dans les villes de plus de 6.000 âmes.

Pas de défiance, mais de la confiance, et alors, oubliant les noms de réactionnaires, et de révolutionnaires nous nous tendrons la main ; nous nous souviendrons seulement que nous sommes tous frères d'une même patrie qui est faible aujourd'hui, mais que nous voulons forte bientôt pour des destinées prochaines.

Vive la France ! vive la République.

 

C'était signé « un groupe de citoyens. » Les auteurs de cet appel invitaient leurs concitoyens à se réunir le jour même dans le palais de la Bourse. Là on discuterait librement et l'on aviserait aux démarches à tenter dans l'intérêt de la République et de la paix, soit auprès de la Commune, soit auprès du gouvernement. Rien n'était plus patriotique assurément qu'une tentative de conciliation. Mais la Commune n'en juge pas ainsi. Ce placard lui porte ombrage ; ces hommes qui parlent de pacification sont des ennemis déguisés. La commission exécutive, qui ne s'endort pas et qui tient à faire savoir qu'elle existe, rédige aussitôt l'avis suivant :

Citoyens,

La réaction prend tous les masques : aujourd'hui celui de la conciliation ;

La conciliation avec les chouans et les mouchards qui égorgent nos généraux et frappent nos prisonniers désarmés ;

La conciliation, dans de telles circonstances, c'est la trahison.

Considérant qu'il est du devoir des élus de Paris de ne pas laisser rapper par derrière les combattants qui défendent la cité ;

Que nous savons de source certaine que des Vendéens et des gendarmes déguisés doivent figurer dans ces réunions dites conciliatrices ;

La commission exécutive arrête que la réunion annoncée est interdite et que toute manifestation propre à troubler l'ordre et à exciter la guerre intestine pendant la bataille sera rigoureusement réprimée par la force.

 

« Conciliation, c'est trahison. » Paroles impies qui trahissent l'état d'esprit des membres de la Commune. Ils voient partout des ennemis, des traîtres ; c'est leur terme favori. Tout ce qui s'agite pour épargner au pays le fléau de la guerre civile leur porte ombrage, éveille leurs soupçons, allume leur fureur. On écarte de propos délibéré, comme un conseiller perfide, quiconque s'interpose. Gouvernement contre gouvernement ; armée contre armée, et bataille à outrance ! En vain les francs-maçons organisent-ils une démonstration solennelle et vont-ils planter leurs bannières sur les remparts pour arrêter le feu. Leur longue et grave procession se déroule en vain sur les boulevards. On sent que tout cela est inutile et théâtral. Une députation de francs-maçons ira même à Versailles. Que répond le chef du pouvoir exécutif ? Il exige que la Commune désarme et se soumette. Toute autre base de transaction est chimérique. Mêmes réponses aux délégués envoyés par les grandes villes, profondément émues et bouillonnantes. A ces envoyés, comme aux francs-maçons de Paris, comme aux délégués de tous les corps constitués, M. Thiers répond qu'on a tort de s'effrayer de prétendues menaces dirigées contre la République[4] ; que la République n'est pas en péril ; que les insurgés seuls la compromettent ; que les franchises communales dont Paris est si jaloux seront examinées par l'Assemblée, saisie à cet effet d'une loi dont le gouvernement a pris l'initiative. Il faut donc, avant tout, selon M. Thiers, que la Commune mette bas les armes. Les gardes nationaux qui rendront leurs fusils auront la vie et la liberté sauves ; le solde de 1 fr. 50 c. par jour leur sera servie jusqu'à la reprise du travail. Mais on ne fera pas grâce aux principaux chefs.

De son côté, la Commune est de moins en moins disposée à transiger. Elle a déclaré dans un document officiel que la lutte ne peut finir que par « l'extermination de l'un des partis » : elle ira jusqu'au bout. Plus elle avance, plus elle cède à un entraînement vertigineux ; il ne dépend plus d'elle de s'arrêter. Dans les forts, et aux avant-postes à Neuilly, à Courbevoie, à Asnières, ses soldats font rage, se battent avec l'énergie du désespoir. Dans l'intérieur de Paris, la Commune s'irrite et s'exaspère d'autant plus qu'elle se voit condamnée au mépris et à l'abandon. Elle ne rêve que « chouans et mouchards. » C'est son cauchemar perpétuel. Avec ces deux mots, elle entretient, elle attise les passions irréfléchies de ses défenseurs. Elle sait pertinemment que les Vendéens de Charette et de Cathelineau ne figurent pas à côté des troupes régulières. N'importe ; elle grise ses soldats avec ces mensonges Elle soulève dans les masses les appétits du pauvre contre le riche. « Travailleurs, — s'écrie le comité central dans une proclamation, — ne vous y trompez pas : c'est la grande lutte, c'est le parasitisme et le travail, l'exploitation et la production qui sont aux prises. Si vous êtes las de végéter dans l'ignorance et de croupir dans la misère ; si vous voulez que vos enfants soient des hommes ayant le bénéfice de leur travail, et non des sortes d'animaux dressés pour l'atelier ou pour le combat, fécondant de leurs sueurs la fortune d'un exploiteur ou répandant leur sang pour un despote ; si vous ne voulez plus que vos filles, que vous ne pouvez élever et surveiller à votre gré, soient des instruments de plaisir au bras de l'aristocratie d'argent ; si vous ne voulez plus que la débauche et la misère poussent les hommes dans la police et les femmes à la prostitution ; si vous voulez enfin le règne de la justice, travailleurs, soyez intelligents, debout ! et que vos fortes mains jettent sous vos talons l'immonde réaction ! »

Plus de liberté de la presse : quatre journaux, dont le Journal des Débats et le Constitutionnel, sont supprimés. Plus de liberté individuelle : la Commune ne se contente pas de faire la chasse aux réfractaires : elle arrête les prêtres en masse. Par suite d'une haine niaise contre tout ce qui touche aux églises, on traque les ecclésiastiques comme complices de Versailles et on les emprisonne comme otages[5]. L'archevêque de Paris, M. Darboy, et M. Deguerry, curé de la Madeleine, sont arrêtés. M. Bonjean, le seul membre libéral du sénat impérial, est détenu depuis le 21 mars comme otage. Plus de liberté de conscience : la plupart des églises sont fermées et converties en clubs. On en a emporté les vases et les ustensiles précieux servant à l'exercice du culte. Ces persécutions imbéciles créaient autour du clergé une légende dangereuse ; on croyait détruire son influence et, au contraire, on la fortifiait. C'est ainsi que parfois on va directement contre le but que l'on se propose.

La ligue d'union républicaine des droits de Paris avait, elle aussi, envoyé trois délégués à Versailles afin de présenter au chef du pouvoir exécutif le programme qu'elle avait adopté et dont elle attendait un armistice, en attendant la réconciliation complète. Que répondit M. Thiers ? Que, chef du pouvoir exécutif du seul gouvernement légal existant en France, il n'avait pas à discuter les bases d'un traité, mais que cependant il était tout disposé à faire connaître ses intentions à des républicains sincères. Ces intentions, dont il fut fait un rapport fidèle, se résumaient ainsi :

En ce qui touche la reconnaissance de la République, M. Thiers en garantit l'existence, tant qu'il demeurera à la tête du pouvoir. Il a reçu un État républicain, il met son honneur à conserver cet Etat.

En ce qui touche les franchises municipales de Paris, M. Thiers expose que Paris jouira de ses franchises dans les conditions où en jouiront toutes les villes, d'après la loi commune, telle qu'elle sera élaborée par l'Assemblée des représentants de la France. Paris aura le droit commun, rien de moins, rien de plus.

En ce qui touche la garde de Paris, exclusivement confiée à la garde nationale. M. Thiers déclare qu'il sera procédé à une organisation de la garde nationale, mais qu'il ne saurait admettre le principe de l'exclusion absolue de l'armée.

En ce qui concerne la situation actuelle et les moyens de mettre fin à l'effusion du sang, M. Thiers déclare que, ne reconnaissant point la qualité de belligérants aux personnes engagées dans la lutte contre l'Assemblée nationale, il ne peut ni ne veut traiter d'un armistice ; mais il dit que si les gardes nationaux de Paris ne tirent ni un coup de fusil ni un coup de canon, les troupes de Versailles ne tireront ni un coup de fusil ni un coup de canon, jusqu'au moment indéterminé où le pouvoir exécutif se résoudra à une action et commencera la guerre. M. Thiers ajoute : Quiconque renoncera à la lutte armée, c'est-à-dire quiconque rentrera dans ses foyers en quittant toute attitude hostile, sera à l'abri de toute recherché. M. Thiers excepte seulement les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas, qui seront jugés, si on les trouve. Enfin M. Thiers, reconnaissant l'impossibilité pour une partie de la population, actuellement privée de travail, de vivre sans la solde allouée, continuera le service de cette solde pendant quelques semaines.

La commission exécutive de la Commune avait entendu les délégués qui rapportaient de Versailles les instructions qu'on vient de lire. Elle ne s'en émut nullement et ne daigna pas même les examiner ; encore moins mettre son programme en face du programme de M. Thiers. Elle se contenta de déclarer dans le Journal officiel qu'elle avait écouté, mais à titre officieux seulement, le rapport des délégués de la Ligue et qu'elle n'avait pas besoin d'y répondre. La ligue, disait-elle, a pris librement une initiative à laquelle la commission exécutive, aussi bien que la Commune, sont et veulent demeurer étrangères. On repoussait donc avec une hauteur fort déplacée les propositions dont les délégués étaient porteurs. On voulait la guerre, rien que la guerre. La Commune venait de décréter, pour soutenir le courage de ses soldats, que tout citoyen blessé à l'ennemi pour la défense des droits de Paris recevrait une pension variant entre huit cents et douze cents francs. Elle avait institué une commission des barricades qui commença immédiatement ses travaux sous la présidence du citoyen Napoléon Gaillard, cordonnier de son état, orateur très-écouté de certains clubs pour la violence de son langage.

Des barricades s'élevaient rapidement à l'intérieur de l'enceinte, sur le parcours de la roule militaire et en face des portes de sortie. Ce n'étaient plus, comme au 18 mars, d'informes amas de pavés, mais de solides retranchements constituant de véritables redoutes établies avec beaucoup d'art. Faites avec de la terre amoncelée sur une hauteur de 4 mètres et une épaisseur de 6 mètres, ces barricades, construites sur toute la largeur de la voie, étaient revêtues extérieurement de sacs de terre ; elles présentaient généralement trois embrasures, et elles étaient précédées par un fossé de 2 mètres de profondeur et d'une largeur proportionnée au massif. Cette tranchée mettait à découvert les conduites d'eau et de gaz, ainsi que les égouts. Dans la partie de l'égout comprise dans le fossé devait être placée une torpille, et à 50 mètres en avant de la barricade on devait en mettre une autre, de façon à pouvoir faire sauter le terrain, si c'était nécessaire, sur un vaste périmètre[6].

Le sort en est jeté : c'est la guerre qui l'emporte.

 

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

I

 

DÉCLARATION DE PRINCIPES

de la Commune au peuple français.

 

Dans le conflit douloureux et terrible qui impose encore une fois à Paris les horreurs du siège et du bombardement, qui fait couler le sang français, qui fait périr nos frères, nos femmes, nos enfants écrasés sous les obus et la mitraille, il est nécessaire que l'opinion publique ne soit pas divisée, que la conscience nationale ne soit point troublée.

Il faut que Paris et le pays tout entier sachent quelle est la nature, la raison, le but de la révolution qui s'accomplit. Il faut enfin que la responsabilité des deuils, des souffrances et des malheurs dont nous sommes les victimes retombe sur roux qui, après avoir trahi la France et livré Paris a l'étranger, poursuivent avec une aveugle et cruelle obstination la ruine de la capitale, afin d'enterrer, dans le désastre de la République et de la liberté, le double témoignage de leur trahison et de leur crime.

La Commune a le devoir d'affirmer et de déterminer les aspirations et les vœux de la population de Paris ; de préciser le caractère du mouvement du 18 mars, incompris, inconnu et calomnié par les hommes politiques qui siègent à Versailles.

Cette fois encore, Paris travaille et souffre pour la France entière, dont il prépare, par ses combats et ses sacrifices, la régénération intellectuelle, morale, administrative et économique, la gloire et la prospérité.

Que demande-t-il ?

La reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du peuple et le développement régulier et libre de la société.

L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France, et assurant à chacune l'intégralité de ses droits, et tout Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et travailleur.

L'autonomie de la Commune n'aura pour limites que le droit d'autonomie égal pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l'association doit assurer l'unité française.

Les droits inhérents à la commune sont :

Le vote du budget communal, recettes et dépenses ; la fixation et la répartition de l'impôt : la direction des services locaux ; l'organisation de la magistrature, de la police intérieure et de l'enseignement ; l'administration des biens appartenant à la Commune ;

Le choix pur l'élection ou le concours, avec la responsabilité, et le droit permanent de contrôle et de révocation des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres ;

La garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté du travail ;

L'intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par le libre manifestation de leurs idées, la libre défense de leurs intérêts : garanties données à ces manifestations par la Commune, seule chargée de surveiller et d'assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité.

L'organisation de la défense urbaine et de la garde nationale, qui élit ses chefs et veille seule au maintien de l'ordre dans la cité.

Paris ne veut rien de plus à titre de garanties locales, à condition, bien entendu, de retrouver dans l'administration centrale, délégation des communes fédérées, la réalisation et la pratique des mêmes principes.

Mais, à la faveur de son autonomie et profitant de sa liberté d'action, Paris se réserve d'opérer comme il l'entendra, chez lui, les réformes administratives et économiques que réclame sa population ; de créer des institutions propres à développer et à propager l'instruction, la production, l'échange et le crédit ; à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du moment, le vœu des intéressés, et les données fournies par l'expérience.

Nos ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de vouloir imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et de prétendre à une dictature qui serait un véritable attentat contre l'indépendance et la souveraineté des autres communes

Ils se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de poursuivre la destruction de l'unité française constituée par la Révolution, aux acclamations de nos pères, accourus à la fête de la Fédération de tous les points de la vieille France.

L'unité, telle qu'elle nous a été imposée par l'empire, la monarchie et le parlementarisme, n'est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse.

L'unité politique, telle que la veut Paris, c'est l'association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles en vue d'un but commun, le bien-être, la liberté et la sécurité de tous.

La révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique.

C'est la fin vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres.

Que cette chère et grande patrie, trompée par les mensonges et les calomnies, se rassure donc !

La lutte engagée entre Paris et Versailles est de celles qui ne peuvent se terminer par des compromis illusoires ; l'issue n'en saurait être douteuse. La victoire, poursuivie avec une indomptable énergie par la garde nationale, restera à l'idée et au droit.

Nous en appelons à la France !

Avertie que Paris en armes possède autant de calme et de bravoure ; qu'il soutient l'ordre avec autant d'énergie que d'enthousiasme ; qu'il se sacrifie avec autant de raison que d'héroïsme ; qu'il ne s'est armé que par dévouement pour la liberté et la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant conflit !

C'est à la France à désarmer Versailles par la manifestation solennelle de son irrésistible volonté.

Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu'elle se déclare solidaire de nos efforts qu'elle soit notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par l'idée communale ou par la ruine de Paris !

Quant à nous, citoyens de Paris, nous avons la mission d'accomplir la révolution moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l'histoire.

Nous avons le devoir de lutter et de vaincre !

La Commune de Paris.

Paris, le 10 avril 1871.

 

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II

 

COMMUNE DE PARIS.

Aux travailleurs des campagnes.

 

Frère, on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. Ce que je demande, lu le veux aussi : l'affranchissement que je réclame, c'est le tien Qu'importe si c'est à la ville ou à la campagne que le pain, le vêtement, l'abri, le secours manquent à celui qui produit toute la richesse de ce monde ? Qu'importe que l'oppresseur ait nom : gros propriétaire ou industriel ? Chez loi, comme chez nous, la journée est longue est rude et ne rapporte pas même ce qu'il faut aux besoins du corps. A loi comme à moi, la liberté, le loisir, la vie de l'esprit et du cœur manquent. Nous sommes encore et toujours, toi et moi, les vassaux de la misère.

Voilà près d'un siècle, paysan, pauvre journalier, qu'on te répète que la propriété est le fruit sacré du travail, et tu le crois. Mais ouvre donc les yeux et regarde autour de toi ; regarde toi-même et tu verras que c'est un mensonge. Te voilà vieux ; tu as toujours travaillé ; tous tes jours se sont passés la bêche ou la faucille à la main, de l'aube à la nuit, et tu n'es pas riche cependant, et tu n'as pas même un morceau de pain pour ta vieillesse. Tous tes gains ont passé à élever péniblement des enfants que la conscription va te prendre, ou qui, se mariant à leur tour, mèneront la même vie de bête de somme que tu as menée, et finiront comme tu vas finir, misérablement ; car, la vigueur de tes membres s'étant épuisée, tu ne trouveras guère plus de travail ; lu chagrineras tes enfants du poids de ta vieillesse et te verras bientôt obligé, le bissac sur le dos et courbant la tête, d'aller mendier de porte en porte l'aumône méprisante et sèche.

Cela n'est pas juste, frère paysan, ne le sens-tu pas ? Tu vois donc bien que l'on te trompe ; car s'il était vrai que la propriété est le fruit du travail, Lu serais propriétaire, toi qui as tant travaille. Tu posséderais cette petite maison, avec un jardin et un enclos, qui a été le rêve, le but, la passion de toute ta vie, mais qu'il t'a été impossible d'acquérir, — ou que tu n'as acquise peut-être, malheureux, qu'en contractant une dette qui l'épuisé, te ronge, et va forcer tes enfants à vendre, aussitôt que tu seras mort, peut-être avant, ce toit qui t'a déjà tant coûté. Non, frère, le travail ne donne pas la propriété. Elle se transmet par hasard ou se gagne par ruse. Les riches sont des oisifs, les travailleurs sont des pauvres, — et restent pauvres. C'est la règle ; le reste n'est que l'exception.

Cela n'est pas juste. Et voilà pourquoi Paris, que tu accuses sur la foi de gens intéressés à te tromper, voilà pourquoi Paris s'agite, réclame, se soulève et veut changer les lois qui donnent tout pouvoir aux riches sur les travailleurs. Paris veut que le fils du paysan soit aussi instruit que le fils du riche, et pour rien, attendu que la science humaine est le bien commun de tous les hommes, et n'est pas moins utile pour se conduire dans la vie que les yeux pour voir.

Paris veut qu'il n'y ait plus de roi qui reçoive trente millions de l'argent du peuple, et qui engraisse de plus sa famille et ses favoris : Paris veut que, cette grosse dépense n'étant plus à faire, l'impôt diminue grandement. Paris demande qu'il n'y ail plus de fonctions payées 20.000, 30.000, 100.000 francs ; donnant à manger à un homme, en une seule année, la fortune de plusieurs familles ; et qu'avec cette économie, on établisse des asiles pour la vieillesse des travailleurs.

Paris demande que tout homme qui n'est pas propriétaire ne paye pas un sou d'impôt ; que celui qui ne possède qu'une maison et son jardin ne paye rien encore ; que les petites fortunes soit imposées légèrement, et que tout le poids de l'impôt tombe sur les richards.

Paris demande que ce soient les députes, les sénateurs et les bonapartistes, auteurs de la guerre, qui payent les cinq milliards de la Prusse, et qu'on vende pour cela leurs propriétés, avec ce qu'on appelle les biens de la couronne, dont il n'est plus besoin en France.

Paris demande que la justice ne coûte plus rien à ceux qui en ont besoin, et que ce soit le peuple lui-même qui choisisse les juges parmi les honnêtes gens du canton.

Paris veut enfin, — écoute bien ceci, travailleur des campagnes, pauvre journalier, petit propriétaire que ronge l'usure, bordier, métayer, fermier, vous tous qui semez, récoltez, suez, pour que le plus clair de vos produits aille à quelqu'un qui ne fait rien ; — ce que Paris veut, en fin de compte, c'est la terre au paysan, l'outil à l'ouvrier, le travail pour tous.

La guerre que fait Paris en ce moment, c'est la guerre à l'usure, au mensonge et à la paresse. On vous dit : « Les Parisiens, les socialistes sont des partageux. » Eh ! bonnes gens, ne voyez-vous pas qui vous dit cela ? Ne sont-ils pas des partageux ceux qui, ne faisant rien, vivent grassement du travail des autres ? N'avez-vous jamais entendu les voleurs, pour donner le change, crier : « Au voleur ! » et détaler tandis qu'on arrête le volé ?

Oui, les fruits de la terre à ceux qui la cultivent. A chacun le sien, le travail pour tous.

Plus de très-riches ni de très-pauvres.

Plus de travail sans repos, ni de repos sans travail.

Cela se peut ; car il vaudrait mieux ne croire à rien que de croire que la justice ne soit pas possible.

Il ne faut pour cela que de bonnes lois, qui se feront quand les travailleurs cesseront de vouloir être dupés par les oisifs.

Et dans ce temps-là, croyez-le bien, frères cultivateurs, les foires et les marchés seront meilleurs pour qui produit le blé et la viande, et plus abondants pour tous, qu'ils ne le furent jamais sous aucun empereur ou roi. Car alors, le travailleur sera fort et bien nourri, et le travail sera libre des gros impôts, des patentes et des redevances, que la Révolution n'a pas toutes emportées, comme il paraît bien.

Donc, habitants des campagnes, vous le voyez, la cause de Paris est la vôtre, et c'est pour vous qu'il travaille, en même temps que pour l'ouvrier. Ces généraux, qui l'attaquent en ce moment, ce sont les généraux qui ont trahi la France. Ces députés, que vous avez nommés sans les connaître, veulent nous ramener Henri V. Si Paris tombe, le joug de misère restera sur votre cou et passera sur celui de vos enfants. Aidez-le donc à triompher, cl, quoi qu'il arrive, rappelez-vous bien ces paroles — car il y aura des révolutions dans le monde jusqu'à ce qu'elles soient accomplies : — LA TERRE AU PAYSAN, L'OUTIL À L'OUVRIER, LE TRAVAIL POUR TOUS.

Les travailleurs de Paris.

 

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III

 

ADRESSE DE LA MUNICIPALITÉ LYONNAISE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET À LA COMMUNE DE PARIS.

 

Citoyens,

Délégués du conseil municipal de Lyon, nous n'avons pu voir, sans une profonde douleur, se prolonger la lutte sanglante entre Paris et l'Assemblée de Versailles.

Nous sommes accourus sur le champ de bataille pour tenter un effort suprême de conciliation entre les belligérants.

Où est l'ennemi ? Pour nous, il n'y a parmi les combattants que des Français. Nous intervenons entre eux au nom d'un principe sacré : la fraternité. Nous trouvons en présence deux pouvoirs rivaux qui se disputent les destinées de la France : d'un côté, l'Assemblée nationale dans laquelle nous respectons le principe du suffrage universel ; de l'autre, la Commune, qui personnifie un droit incontestable, celui qu'ont les villes de s'administrer elles-mêmes. Nous venons leur rappeler, à tous deux, une chose plus sainte encore, le devoir d'épargner la France et la République.

A l'Assemblée nationale, nous dirons : « Voici déjà trop longtemps que vous dirigez contre Paris des attaques meurtrières, que vous lui faites une guerre sans trêve. Le sang coule à flots. Après le siège des Prussiens, dont vous avez pris la place, le blocus des Français contre les Français !...

Qu'espérez-vous ? Votre dessein est-il d'enlever Paris d'assaut ? vous n'y entrerez, dans tous les cas, que sur des monceaux de cadavres et de ruines fumantes, poursuivis par les malédictions des veuves et des orphelins. Vous ne trouveriez devant vous qu'un spectre de ville. Elle lendemain d'une telle victoire, quelle serait votre autorité morale dans le pays ? Ouvrez les yeux, il en est temps encore, reconnaissez qu'une ville qui se défend avec cet héroïsme contre toute une armée française est animée par quelque chose de plus sérieux qu'une vaine passion et une aveugle turbulence. Elle protège un droit, elle proclame une vérité.

Ne vous retranchez pas derrière une analogie qui n'est que spécieuse. Dans la guerre civile qui a désolé la grande République américaine, le Sud combattait pour le maintien de l'esclavage ; Paris, au contraire, s'est soulevé au nom de la liberté. Si vous voulez emprunter des leçons à l'histoire, souvenez-vous plutôt des hommes d'état de la Prusse qui, au lendemain des désastres d'Iéna, donnèrent à leur pays meurtri et humilié les mâles consolations de la liberté qui relève et régénère les peuples.

A la Commune, nous dirons : « Prenez-y-garde ; en sortant du cercle de vos attributions, vous vous aliénez les esprits sincères et justes. Rentrez dans la limite des revendications municipales. Sur ce terrain, vous avez pour vous le droit et la raison. N'employez pas, pour défendre la liberté, des armes qu'elle désavoue. Plus de suppressions de journaux ! Ce ne sont pas les critiques, ce sont vos propres fautes que vous devez redouter. Plus d'arrestations arbitraires ! Plus d'enrôlements forcés ! Contraindre à la guerre civile, c'est violenter la conscience. Songez, du reste, aux dangers imminents et terribles que la prolongation d'une lutte fratricide fait courir à la République. Assez de sang répandu ! Vous avez le droit de sacrifier votre vie et votre mémoire ; vous n'avez pas le droit d'exposer la démocratie à une défaite irréparable. »

Notre mission, on le voit, est toute pacifique. Aux uns et aux autres nous crions : « Trêve ! déposez les armes ; faites taire la voix du canon et écoutez celle de la justice. »

Paris réclame ses franchises municipales : le droit de nommer ses maires, d'organiser sa garde nationale, de pourvoir lui-même à son administration intérieure. Qui peut lui donner tort ? Sont-ce les hommes aujourd'hui au pouvoir, qui n'ont cessé de revendiquer pendant vingt ans le gouvernement du pays par le pays ?

Que l'Assemblée nationale veuille bien y réfléchir. Sa résistance se briserait tôt ou tard contre la volonté des citoyens appuyée sur le droit ; car la cause de Paris est celle de toutes les villes de France. Leurs revendications légitimes, étouffées aujourd'hui, éclateraient demain plus irrésistibles. Quand une idée a pris racine dans l'esprit d'un peuple, on ne l'en arrache point à coups de fusil.

C'est donc au nom de l'ordre, comme au nom de la liberté, que nous adjurons les deux partis belligérants de songer à la responsabilité de leurs actes. Derrière le voile de sang et de fumée qui couvre le terrain de la lutte, ne perdons point de vue deux choses sinistres : la République déchirée de nos propres mains et les Prussiens qui nous observent, la mèche allumée sur leurs canons.

BARODET, CRESTIN, FERROUILLAT, OUTHIER, VALLIER.

Conseillers municipaux de Lyon, délégués.

 

 

 

 



[1] Le général de Galiffet fit publier à son de caisse la proclamation suivante :

« La guerre a été déclarée par les bandits de Paris.

« Hier, avant-hier, aujourd'hui, ils m'ont assassiné mes soldats.

« C'est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. J'ai dû faire un exemple ce matin ; qu'il soit salutaire ; je désire ne pas être réduit de nouveau à une pareille extrémité.

« N'oubliez pas que le pays, que la loi, que le droit, par conséquent, sont à Versailles et à l'Assemblée nationale, et non pas à la grotesque assemblée de Paris qui s'intitule la Commune.

« Le général commandant la brigade,

« GALIFFET.

« 3 avril 1871. »

A la suite de cette lecture, le crieur ajoutait :

« Le président de la commission municipale de Chatou prévient les habitants, dans l'intérêt de leur sécurité, que ceux qui donneraient asile aux ennemis de l'Assemblée se rendraient passibles des lois de la guerre.

« Le président de la commission,

« LAUBEUF. »

[2] Le soir, la Commune faisait afficher celle pièce curieuse :

« Les conspirateurs royalistes ont ATTAQUÉ.

« Malgré la modération de notre attitude, ils ont ATTAQUÉ.

« Ne pouvant plus compter sur l'armée française, ils ont ATTAQUÉ avec les zouaves pontificaux et la police impériale.

« Non contents de couper les correspondances avec la province et de faire de vains efforts pour nous réduire par la famine, ces furieux ont voulu imiter jusqu'au bout les Prussiens et bombarder la capitale.

« Ce matin, les chouans de Charette, les Vendéens de Cathelineau, les Bretons de Trochu, flanqués des gendarmes de Valentin, ont couvert de mitraille et d'obus le village inoffensif de Neuilly et engagé la guerre civile avec nos gardes nationaux.

« Il y a eu des morts et des blessés.

« Élus par la population de Paris, notre devoir est de défendre la grande cité contre ces coupables agresseurs. Avec votre aide, nous la défendrons.

« La commission exécutive :

« BERGERET, EUDES, DU VAL, LEFRANÇAIS, Felix PYAT, G. TRIDON, E. VAILLANT.

« Paris, le 2 avril 1871. »

[3] Voici le décret et l'arrêté qui le suivit à deux jours de distance :

MINISTÈRE DE LA GUERRE.

« Les compagnies de marche seront immédiatement réorganisées.

« Les officiers, sous-officiers et gardes entreront en solde à partir du 7 avril

« Les gardes toucheront 1 fr. 30 et les vivres.

« Les sous-officiers, 2 francs.

« Les officiers, 2 fr. 30

« Quand les compagnies agiront en dehors du service, les officiers toucheront la solde de leur grade dans l'armée.

« Les quatre compagnies de chaque bataillon éliront un chef de bataillon spécial.

« Les élections auront lieu le 6 avril.

« La revue sera passée au Champ-de-Mars par les membres de la Commune, le 7 avril, à deux heures de l'après-midi.

« Bureau d'organisation et de renseignements au ministère de la guerre et à la place.

« Font partie des bataillons de guerre tous les citoyens de dix-sept a trente-cinq ans non mariés, les gardes mobiles licenciés, les volontaires de l'armée on civils (A). Les effets de campement seront complétés dans le plus bref délai.

« Paris, le 4 avril 1871.

« Par ordre de la Commune :

« Le délégué au ministère de la guerre,

« CLUSERET.

 

(A) « Considérant les patriotiques réclamations d'un grand nombre de gardes nationaux qui tiennent, quoique mariés, a l'honneur de défendre leur indépendance municipale, même au prix de leur vie, le décret du 5 avril est ainsi modifié :

« De dix-sept a dix-neuf ans, le service dans les compagnies de guerre sera volontaire, et de dix-neuf a quarante obligatoire pour les gardes nationaux, mariés ou non.

« J'engage les bons patriotes à faire eux-mêmes la police de leur arrondissement et à forcer les réfractaires à servir.

« Le délégué à la guerre,

« Général CLUSERET. »

[4] Le chef du pouvoir exécutif disait du haut de la tribune :

« Nous ne voulons que précipiter une chose : la convalescence et la santé du pays. (Vive approbation.) A ceux qui disent que nous voulons renverser la République, je leur donne un démenti formel ; ils mentent au pays et veulent le troubler en disant cela. (Nouvelles marques d'approbation.)

« Nous avons trouvé la République établie. C'est un fait dont nous ne sommes pas les auteurs, mais je ne la trahirai pas. Je le jure devant Dieu. La réorganisation du pays sera notre seule préoccupation, et ils mentent cent fois, les misérables qui osent se servir de cet argument pour troubler le pays. (Mouvement.)

« Savez-vous a qui appartiendra le résultat Aux plus sages. Travaillez ; lâchez de remporter le véritable prix pour gouverner, le prix de la raison et de la bonne conduite. Quant à moi, je ne puis accepter d'autre responsabilité que celle que je prends ici. »

[5] Le citoyen Le Moussu, qui remplissait une fonction quelconque dans le XVIIIe arrondissement, publiait l'ordonnance suivante :

« Attendu que les prêtres sont des bandits et que les églises sont des repaires ou ils ont assassiné moralement les masses en, courbant la France sous la griffe des infâmes Bonaparte, Favre et Trochu.

« Le délégué civil des Carrières, près l'ex-préfecture de police, ordonne que l'église Saint-Pierre-Montmartre sera fermée et décrète l'arrestation des prêtres et des ignorantins.

« Signé : LE MOUSSU. »

[6] Histoire de la Révolution du 18 mars, par P. Lanjalley et P. Corriez, p. 253.