LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TOME SECOND

LIVRE SEPTIÈME. — LE COMITÉ CENTRAL, LES MAIRES, L'ASSEMBLÉE.

 

 

Proclamations du comité et du gouvernement. — Aspect de Paris le 18 mars. — On ne croit pas la situation aussi grave qu'elle l'est en réalité. — Allures modestes du comité central ; convocation des électeurs pour le 22 mars ; le comité respectera les préliminaires de paix. — Intervention des maires et des députés. — Première réunion chez M. Bonvallet ; délégation envoyée à l'Hôtel-de-Ville. — Trois membres du comité, Varlin, Jourde et Arnaud, se rendent à la réunion des maires. — Conditions posées par ceux-ci. — L'entente semble établie. — Proclamation des députés, des maires et des adjoints ; proclamation du comité central : elle est conçue dans un esprit diamétralement opposé. — Projet de loi présenté à l'Assemblée par les députés de Paris. — Séance du 20 mars à Versailles. — Allocution de M. Grévy. — Discussion du projet : MM. Clemenceau, Picard et Tirard ; l'urgence est votée. — La nouvelle est annoncée à Paris par les députés. — Protestations de la presse contre la convocation du comité central. — Nouvelle discussion à l'Assemblée : MM. Léon Say, Louis Blanc, Tolain, Saisset, Thiers. — L'Assemblée vote l'ordre du jour. — Manifestation de la place Vendôme. Les maires de Paris à l'Assemblée. Incident orageux. — Nomination de l'amiral Saisset ; sa proclamation. — Le comité ajourne les élections au 26 mars. — Entente des maires et du comité. — Retraite de l'amiral Saisset. — Les élections.

 

Paris est aussitôt criblé de proclamations du gouvernement qui s'enfuit à Versailles et du gouvernement qui arrive à l'Hôtel-de-Ville. Le 19 mars, la stupéfaction est plus grande que la crainte ; on ne comprend rien à la révolution qui vient de s'accomplir ; le départ du gouvernement pour Versailles paraît invraisemblable. Un soleil splendide s'est levé sur Paris : la population, avec sa badauderie traditionnelle et son insouciance souvent coupable, se répand dans les rues, commentant les événements, s'arrachant les journaux et se demandant sous quel gouvernement elle va vivre. On accuse hautement le pouvoir d'abandonner la lutte ; le gouvernement — encore inconnu — de l'Hôtel-de-Ville retire les bénéfices de la sévérité avec laquelle on juge la tentative de Vinoy et la retraite précipitée des troupes sur Versailles. Les assassinats de la rue des Rosiers jettent une ombre sanglante sur la révolution qui vient de s'accomplir ; mais on espère, avec un optimisme qui résulte d'une sorte de lâcheté morale, qu'il n'y aura plus de sang versé, que des deux côtés on se prêtera à des concessions réciproques, que les députés et les maires de Paris continueront plus activement que jamais leur travail de conciliation, et qu'enfin, le patriotisme aidant, le bon sens reprendra ses droits. On ne semble pas fâché que le gouvernement et surtout l'Assemblée aient reçu une leçon ; on s'imagine volontiers que cet échec doit les rendre plus conciliants, quand, au contraire, leur amour-propre est profondément blessé. Quoi qu'il en soit, personne ne veut croire que des Français, appartenant soit à l'Assemblée de Versailles, soit au comité central, auront le courage d'engager la guerre civile sous les yeux des Prussiens.

On lit avidement sur tous les murs une proclamation affichée par le gouvernement et ainsi conçue :

Gardes nationaux de Paris,

Un comité prenant le nom de comité central, après s'être emparé d'un certain nombre de canons, a couvert Paris de barricades et a pris possession pendant la nuit du ministère de la justice.

Il a tiré sur les défenseurs de l'ordre, il a fait des prisonniers, il a assassiné de sang-froid le général Clément Thomas et un général de l'armée française, le général Lecomte.

Quels sont les membres de ce comité ?

Personne à Paris ne les connaît ; leurs noms sont nouveaux pour tout le monde. Nul ne saurait même dire à quel parti ils appartiennent. Sont-ils communistes, ou bonapartistes, ou prussiens ? Quels qu'ils soient, ce sont les ennemis de Paris qu'ils livrent au pillage, de la France qu'ils livrent aux Prussiens, de la République qu'ils livreront au despotisme. Les crimes abominables qu'ils ont commis ôtent toute excuse à ceux qui oseraient ou les suivre ou les subir.

Voulez-vous prendre la responsabilité de leurs assassinats et des ruines qu'ils vont accumuler ? Alors, demeurez chez vous ! Mais si vous avez souci de l'Honneur et de vos intérêts les plus sacrés, ralliez-vous au gouvernement de la République et à l'Assemblée nationale.

Les ministres présents à Paris,

DUFAURE, Jules FAVRE, Ernest PICARD, Jules SIMON, amiral POTHUAU, général LE FLÔ.

Paris, le 19 mars 1871.

 

Cette proclamation respirait une vive irritation, et cela était naturel ; mais elle contenait des inexactitudes qui n'étaient pas de nature à favoriser un rapprochement ; accuser le comité central de l'assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas, c'était, ou faire preuve d'ignorance, ou commettre une injustice évidente ; prétendre que Paris était livré au pillage n'était pas plus juste. On fournissait, sans le vouloir, des armes à ceux qu'on espérait accabler et on amenait les lecteurs de l'affiche à dire que les membres du comité n'avaient pas mérité d'être représentés sous des couleurs si noires. De son côté, le comité porté au pouvoir à l'improviste, et sentant le besoin de ne pas effaroucher les esprits et de se créer des sympathies, publie une proclamation très-mesurée, très-modeste et partant très-habile. Il affecte de ne vouloir pas rester le maître ; il veut faire croire que toute son ambition se borne à convoquer les électeurs dans leurs comices et à donner la parole à Paris pour la nomination d'un conseil communal ; il se vante enfin d'avoir chassé le gouvernement, ce qui n'est pas conforme à la vérité, mais le comité était bien aise de s'attribuer le mérite d'une victoire considérable qu'il avait remportée sans coup férir.

Voici la proclamation du comité au peuple :

Citoyens,

Le peuple de Paris a secoué le joug qu'on essayait de lui imposer.

Calme, impassible dans sa force, il a attendu, sans crainte comme sans provocation, les fous éhontés qui voulaient toucher à la République.

Cette fois, nos frères de l'armée n'ont pas voulu porter la main sur l'arche sainte de nos libertés. Merci à tous, et que Paris et la France jettent ensemble les bases d'une république acclamée avec toutes ses conséquences, le seul gouvernement qui fermera pour toujours l'ère des invasions et des guerres civiles.

L'état de siège est levé.

Le peuple de Paris est convoqué dans ses sections pour faire ses élections communales.

La sûreté de tous les citoyens est assurée par le concours de la garde nationale.

Le comité central de la garde nationale :

ASSI, BILLIORAY, FERRAT, RABICK, Edouard MOREAU, C. DUPONT, VARLIN, BOURSIER, MORTIER, GOUHIER, LAVALETTE, Fr. JOURDE, ROUSSEAU, Ch. LULLIER, BLANCHET, J. GROLLARD, H. GERESME, FABRE, DARROUD, POUGERET.

Hôtel-de-Ville, Paris, ce 19 mars 1871.

 

Cette proclamation est suivie du décret de convocation des électeurs pour le 22 mars. Par cet empressement à donner la parole au suffrage universel, le comité veut faire croire à son désintéressement. En portant ce décret à la connaissance du public, il adresse à la population une sorte de compte rendu de ses actes : « Vous nous aviez, dit-il, — en s'adressant aux gardes nationaux de Paris, — chargés d'organiser la défense de Paris et de vos droits ; nous avons conscience d'avoir rempli cette mission ; aidés par votre généreux courage et votre admirable sang-froid, nous avons chassé ce gouvernement qui nous trahissait. A ce moment, notre mandat est expiré et nous vous le rapportons, car nous ne voulons pas prendre la place de ceux que le souffle populaire vient de renverser. Préparez donc et faites de suite vos élections communales, et donnez-nous pour récompense la seule que nous ayons jamais espérée : celle de vous voir établir la véritable république. En attendant, nous conservons, au nom du peuple, l'Hôtel-de-Ville. »

Enfin, par une troisième proclamation, qui n'est pas la moins curieuse de toutes, les membres du comité apprennent aux Parisiens qu'ils n'ont pas l'intention de chercher querelle aux Prussiens ; ils sont décidés à respecter les préliminaires de paix votés par l'Assemblée de Versailles. Cette déclaration était sage ; mais on ne pouvait oublier, devant les assurances du comité, que ceux dont il se disait l'organe avaient tonné contre les préliminaires[1].

On le voit, la préoccupation dominante du comité est de rassurer les esprits et d'empêcher un retour offensif, très-invraisemblable d'ailleurs, d'une partie de la garde nationale. Étourdis par leur arrivée au pouvoir, comme certains oiseaux de nuit sont éblouis par la clarté du soleil, les hommes du 18 mars ne songent qu'à se faire prendre au sérieux et à se faire accepter. Pour le moment, leur ambition se borne là ; il n'en sera pas toujours de même.

Le drapeau rouge flottait sur l'Hôtel-de-Ville ; il ne tarda pas à être hissé sur celles des mairies qui étaient occupées par les délégués du comité central.

Paris commençait à se diviser en deux camps bien tranchés et prenait un aspect étrange : quelques bataillons, fidèles au gouvernement régulier, occupaient la mairie de la Bourse et la gare Saint-Lazare. Les rues étaient sillonnées par des bataillons de fédérés, dont l'état-major s'était installé place Vendôme. Tous les trains de voyageurs étaient arrêtés à leur sortie de Paris, notamment à la hauteur de la gare des Batignolles sur la ligne de Versailles.

En l'absence de l'autorité légale, les maires et les députés étaient devenus les intermédiaires naturels entre l'Assemblée et le comité central, d'autant plus que le ministre de l'intérieur, par une décision prise le 19 mars, avait « délégué l'administration provisoire de Paris à la réunion des maires. » Une première réunion a lieu chez M. Bonvallet, maire du IIIe arrondissement. M. Millière, député de Paris, émet l'avis que si les maires tentent une démarche auprès du comité central, celui-ci leur remettra sans difficulté l'Hôtel-de-Ville et leur laissera le soin de convoquer les électeurs pour la nomination d'un conseil communal. Au cours de la discussion, M. Henri Brisson, représentant de la Seine, flétrit avec énergie toute tentative de sédition en présence de l'étranger : « Maires et députés, nous sommes, dit-il, les représentants élus de la population de Paris et nous sommes décidés à rester sur le terrain de la plus stricte égalité. Nous nous ferons volontiers les interprètes des légitimes réclamations de la population auprès du gouvernement ; mais, nous le déclarons ici, jamais, à aucun prix, jamais nous ne consentirons à prêter les mains à l'insurrection. » Une commission est nommée ; les membres qui la composent se rendent à l'Hôtel-de-Ville afin de se concerter avec le comité central. A la suite de longs débats, le comité central parut ébranlé et demanda à délibérer tout seul ; puis il envoya trois de ses membres, Varlin, Jourde, Arnaud, afin d'obtenir l'appui des maires et des députés pour les élections communales.

Les maires et les députés répondent qu'ils ne peuvent donner leur approbation et leur appui aux élections que si l'Assemblée les sanctionne par une loi. Quant aux rapports réciproques des maires et des membres du comité, il est admis que le comité se réserve le pouvoir militaire et que les représentants des municipalités seront maîtres de l'Hôtel-de-Ville. À ces conditions, les députés s'engagent à demander à l'Assemblée de consentir à la convocation des électeurs. L'entente paraissant établie, maires et députés rédigent une déclaration qui est affichée dans la nuit même sur les murs de Paris[2].

De son côté, le comité central publie une proclamation d'un esprit absolument opposé. Elle est adressée au peuple et conçue en ces termes :

Le nouveau gouvernement de la République vient de prendre possession de tous les ministères et de toutes les administrations.

Cette occupation, opérée par la garde nationale, impose de grands devoirs aux citoyens qui ont accepté cette tâche difficile.

L'armée, comprenant enfin la position qui lui était faite et les devoirs qui lui incombaient, a fusionné avec les habitants de la cité : troupes de ligne, mobiles et marins se sont unis pour l'œuvre commune.

Sachons donc profiter de cette union pour resserrer nos rangs, et, une fois pour toutes, asseoir la République sur des bases sérieuses et impérissables !

Que la garde nationale, unie à la ligne et à la mobile, continue son service avec courage et dévouement.

Que les bataillons de marche, dont les cadres sont encore presque complets, occupent les forts et toutes les positions avancées afin d'assurer la défense de la capitale.

Les municipalités des arrondissements, animées du même zèle et du même patriotisme que la garde nationale et l'armée, se sont unies à elles pour assurer le salut de la République et préparer les élections du conseil communal qui vont avoir lieu.

Point de divisions ! Unité parfaite et liberté pleine et entière !

 

Le contraste de ces deux proclamations saute aux yeux. Les maires et les députés reconnaissent l'autorité du gouvernement de Versailles et de l'Assemblée, puisqu'ils vont invoquer leur intervention ; tout autre est le langage qu'on tient à l'Hôtel-de-Ville. Ici, on parle du « nouveau gouvernement de la République ; » on jette le masque. Le désintéressement du comité central avait été de courte durée. Lorsque MM. Bonvallet et Denizot, délégués des municipalités, se présentent à l'Hôtel-de-Ville pour réclamer l'exécution des engagements pris, on leur répond que le comité, étant responsable des conséquences de la situation, ne peut se dessaisir ni du pouvoir civil ni du pouvoir militaire. Cette réponse inattendue n'empêcha point les députés de poursuivre l'œuvre de conciliation qu'ils avaient commencée. Dès qu'ils furent avertis de ce qui se passait à l'Hôtel-de-Ville, ils soumirent à l'Assemblée un projet de loi portant que les élections municipales seraient faites à Paris dans le plus bref délai ; que le conseil élu se composerait de quatre-vingts membres ; qu'il nommerait lui-même son président avec le titre de maire de Paris. A Versailles, l'irritation allait croissant. Le gouvernement avait invité tous les députés à hâter leur retour pour la séance du 20 mars ; il venait de donner l'ordre à tous les fonctionnaires d'abandonner Paris et de se mettre à la disposition du gouvernement dans le chef-lieu de Seine- et-Oise. En même temps, il adressait à la France une proclamation expliquant les événements accomplis depuis le 18 mars. Ce document n'était pas dicté par un esprit de conciliation. Le comité publiait en même temps une adresse aux départements rédigée par le citoyen Vésinier, dont le but était d'entraîner toutes les grandes villes républicaines dans la voie insurrectionnelle de Paris[3]. Cet appel n'eut aucun effet. Cependant l'Assemblée se réunit à Versailles, frémissante, stupéfaite, irritée au plus haut point contre Paris, qui la déteste et qui a répondu à ses provocations irréfléchies par une coupable insurrection. M. Grévy ouvre la séance par quelques graves paroles inspirées par les circonstances :

Messieurs, dit-il, il semblait que les malheurs de la patrie fussent au comble. Une criminelle insurrection, qu'aucun grief plausible, qu'aucun prétexte spécieux ne saurait atténuer, vient de les aggraver encore.

Un gouvernement factieux se dresse en face de la souveraineté nationale dont vous êtes seuls les légitimes représentants. Vous saurez vous élever avec courage et dignité à la hauteur des grands devoirs qu'une telle situation vous impose.

Que la nation reste calme et confiante, qu'elle se serre autour de ses élus ; la force restera au droit.

La représentation nationale saura se faire respecter et accomplir imperturbablement sa mission en pansant les plaies de la France et en assurant le maintien de la République, malgré ceux qui la compromettent par les crimes qu'ils commettent en son nom.

 

M. Clemenceau, député de Paris et maire de Montmartre, dépose le projet de loi dont il a déjà été question et demande l'urgence. « Sans entrer, dit-il, dans l'examen des causes qui ont produit les déplorables événements de Paris, il est un fait sur lequel tout le monde est d'accord : c'est qu'à l'heure qu'il est, il n'y a pas dans Paris d'autre autorité que celle des municipalités, et cette autorité est chancelante encore. Si vous voulez sortir de cette situation terrible qui m'effraye et doit vous effrayer, puisqu'il s'agit du salut de la France, il faut créer une autorité municipale autour de laquelle tous les hommes disposés à rétablir l'ordre puissent se grouper. Cette autorité ne peut sortir que du suffrage des habitants de Paris même. »

M. Picard, ministre de l'intérieur, répond que s'il s'agissait uniquement de savoir si Paris doit avoir un conseil municipal élu, il ne viendrait pas contredire M. Clemenceau. « Mais, dit-il, il y a dans Paris une insurrection très-grave ; est-il possible de faire des élections sous la présidence des inconnus qui tiendraient les urnes ? A ceux qui demandent pour Paris une autorité issue du suffrage universel, je demanderai : Comment reconnaît-on à Paris l'autorité de ceux que Paris a élus, il y a si peu de temps ? Ils lui demandent de renoncer à une insurrection criminelle ; on ne les écoute pas. »

M. Tirard, député de la Seine, réplique que sans doute les élections doivent être libres, que telle est bien la pensée des maires ; mais il y a nécessité absolue d'agir vite : Paris est livré à lui-même. Le gouvernement l'a abandonné...

M. THIERS. Cela est faux.

M. CLEMENCEAU. Vous avez fait un coup de force qui a manqué. (Bruit.)

M. JULES FAVRE. On n'appelle pas un coup de force l'exécution des lois. (Très-bien ! très-bien !)

M. TIRARD. Les circonstances sont tellement graves que je fais appel à la patience, à la modération de ceux mêmes que j'aurais pu blesser. Je répète que je me borne à constater ce fait que Paris a été abandonné...

M. THIERS. C'est Paris qui nous a abandonnés.

M. TIRARD. Vous reconnaîtrez au moins qu'il n'y avait personne dans les ministères...

M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. L'Assemblée sait que c'est par la force que nous en avons été expulsés, après résistance. (Oui ! oui !)

M. TIRARD. Encore une fois, je me borne à constater un fait, et je ne blâme pas...

Un membre. Et ceux qui égorgent les généraux ?

M. TIRARD. Depuis six mois nous sommes sur la brèche ; depuis six mois nous avons, durant le siège et depuis, donné assez de gages à la cause du devoir, à la cause de l'ordre, pour n'avoir pas besoin, je pense, de déclarer à cette tribune que nous n'avons rien de commun avec les assassins. (Longs applaudissements.)

Il faut savoir en face de quelles difficultés nous nous sommes trouvés depuis six mois, au prix de quels efforts nous avons fait manger à la population de Paris ce que nous lui disions être du pain. Aujourd'hui nous sommes en face d'un péril immense, et si nous pouvions le conjurer au prix de notre vie, pour sauver le pays, nous n'hésiterions pas... Notre vie, il y a longtemps que nous en avons fait le sacrifice, et je suis profondément humilié à la pensée que j'ai à me défendre contre des insinuations... (Vif mouvement d'approbation.)

 

Enfin, M. Tirard termine par ces mots : « Messieurs, lorsque des hommes résolus à faire leur devoir, viennent vous dire : Voilà le moyen de sauver Paris ! croyez-les, et ne craignez pas qu'on vous accuse de pactiser avec l'émeute ! »

Le gouvernement, ébranlé par l'accent de sincérité de l'orateur, déclare qu'il ne s'oppose pas à l'urgence.

L'urgence est votée.

Transportés de joie, les députés de Parie annoncent aussitôt la bonne nouvelle à leurs concitoyens :

Les maires et adjoints de Paris et les représentants de la Seine font savoir à leurs concitoyens que l'Assemblée nationale a, dans sa séance d'hier, voté l'urgence du projet de loi relatif aux élections du conseil municipal de la ville de Paris.

La garde nationale, ne prenant conseil que de son patriotisme, tiendra, à honneur d'écarter toute cause de conflit, en attendant les décisions qui seront prises par l'Assemblée nationale.

Vive la France !

Vive la République !

(Suivent les signatures des maires et adjoints de dix-neuf arrondissements de Paris.)

« Les représentants de la Seine :

« Louis BLANC, V. SCHŒLCHER, A. PEYRAT, Edmond ADAM, FLOQUET, Martin BERNARD, LANGLOIS, Edouard LOCKROY, FARCY, H. BRISSON, GREPPO, MILLIÈRE, Edgar QUINET.

« Paris, le 21 mars 1871. »

 

Cette affiche rassérène les esprits, qui étaient très-montés contre la convocation du comité central. Cette convocation, la plupart des journaux parisiens l'avaient déclarée nulle et non avenue, en engageant les électeurs à n'en pas tenir compte[4]. Cet acte courageux, généralement approuvé, irrita le comité ; il y voyait une atteinte à son autorité.

Cependant, un nouveau débat s'engageait dans la séance du 21, devant l'Assemblée, au sujet de la proposition de M. Clemenceau. Celui-ci suppliait le gouvernement de se hâter. « Il n'y a, disait-il, qu'un seul moyen de nous sauver : c'est de faire procéder immédiatement aux élections. Le gouvernement demande du temps ; mais le temps, c'est précisément ce qui nous manque. » Cette opinion était aussi celle de MM. Léon Say, Louis Blanc, Tolain, l'amiral Saisset, qui tour à tour supplient l'Assemblée de ne pas perdre une minute. Trois fois M. Thiers monte à la tribune pour dire que la loi sera faite aussitôt que possible ; que l'Assemblée la votera dès qu'elle le pourra ; que Paris aura ses droits ; « mais, ajoute-t-il, ne nous demandez pas de faire l'impossible, car la loi serait faite, que je vous défierais de la mettre à exécution. » Sur ce discours, l'Assemblée passe à l'ordre du jour, c'est-à-dire qu'elle ferme l'oreille aux propositions conciliantes des hommes qui connaissaient mieux qu'elle les sentiments de Paris. Les représentants de la Seine sortent de cette séance la mort dans l'âme ; ils prévoient l'effet déplorable que ce vote aura sur les esprits ; ils songent avec douleur à tout ce que l'entêtement de l'Assemblée et du pouvoir peut occasionner de désastres. Ils s'efforcent, du moins, d'atténuer l'effet de cette fatale séance en adressant à la population les paroles suivantes :

Paris, 22 mars 1871.

Citoyens,

Nous ne doutons pas que vous n'éprouviez, à la lecture de la séance d'hier, le sentiment dont notre âme est saisie. Il n'a pas dépondu de nous que cette séance n'ait eu un autre caractère et de meilleurs résultats.

Toutefois, nous avons obtenu la reconnaissance formelle du droit de Paris, qui, en conséquence, sera appelé dans le plus bref délai à élire son conseil municipal.

Dans cette situation, vous comprendrez comme nous la nécessité d'éviter les désastres qui naîtraient en ce moment de tout conflit entre les citoyens.

Vive la France ! Vive la République !

Les représentants de la Seine,

Louis BLANC, Edgar QUINET, V. SCHŒLCHER, A. PEYRAT, Edmond ADAM, Charles FLOQUET, Martin BERNARD, LANGLOIS, Ed. LOCKROY, FARCY, Henri BRISSON, GREPPO, MILLIÈRE, CLEMENCEAU, TIRARD, TOLAIN.

 

Ce même jour, se passait à Paris une scène déplorable bien faite pour élargir l'abîme et fermer toute voie à la conciliation. Les « amis de l'ordre, » indifférents ou inactifs jusqu'alors, avaient imaginé de faire dans Paris une grande manifestation pacifique. La veille, ils s'étaient promenés sur le boulevard, portant des drapeaux sur lesquels on lisait : « Société des amis de l'ordre ! » — « Vive l'ordre et vive la paix ! » On s'était donné rendez-vous pour le lendemain, 22. A l'heure indiquée, ces mêmes hommes, dont quelques-uns ont un ruban bleu à la boutonnière, se rassemblent, place de l'Opéra. Il y a bientôt sur le boulevard sept ou huit mille personnes. On se met en marche par la rue de la Paix, comme si l'on voulait aller sur la place Vendôme, siège de l'état-major du comité central. Les manifestants avancent péniblement aux cris de : Vive l'Assemblée nationale !Vive l'ordre ! Les cris de : Vive la République ! sont rares dans leurs rangs. La place Vendôme et la partie de la rue de la Paix comprise entre la place et la rue Neuve-des-Capucines étaient fortement occupées par des gardes nationaux disposés sur plusieurs lignes, entre lesquelles il y avait des pièces de 12. A l'arrivée des manifestants, les hommes de faction croisent la baïonnette et crient : « On ne passe pas ! » Une certaine hésitation se produit dans la colonne des amis de l'ordre. Deux ou trois cents, cependant, plus hardis que les autres, font mine d'avancer. C'est alors au tour des gardes nationaux de fléchir. Tout à coup, du second rang, un coup de fusil est tiré en l'air ; deux autres coups suivent immédiatement ; on se regarde, on hésite : une inquiétude visible agite les rangs des manifestants. D'autres coups de fusil plus serrés éclatent du milieu de la place et tuent indistinctement les « amis de l'ordre » et les gardes nationaux placés au premier rang. En un clin d'œil, la foule se disperse en poussant des cris de terreur et de colère. Il ne reste bientôt plus dans la rue que dix ou douze cadavres et autant de blessés. Cette catastrophe plongea Paris dans la consternation. Les récits publiés par les deux journaux officiels de Paris et de Versailles laissent planer une grande obscurité sur les causes de ce triste conflit. Le journal de Versailles présente la manifestation comme un acte inoffensif ; le journal officiel de Paris lui donne le caractère d'une provocation. A l'en croire, on aurait crié : A bas les assassins ! A bas le comité ! Les gardes nationaux auraient été l'objet des plus grossières insultes : on les aurait appelés assassins, lâches, brigands, on aurait saisi leurs fusils pour les leur arracher ; enfin, on aurait dépouillé un officier de son sabre, et les coups de feu n'auraient été tirés qu'en réponse à cette agression violente.

Le récit de ces événements jeta l'Assemblée dans une irritation profonde. L'occasion de laisser éclater sa colère se présenta le lendemain. Une députation des maires s'était rendue à Versailles pour conférer avec le gouvernement sur les élections. Après avoir vu le ministre de l'intérieur, les délégués expriment le désir d'assister à la séance de l'Assemblée. M. Arnaud de l'Ariège, maire, et député de Paris, communique ce désir à ses collègues et les invite à « s'unir de cœur avec Paris pour ne former avec lui qu'une âme nationale et républicaine. » Les rumeurs excitées par ces paroles sont à peine apaisées que les maires font leur entrée dans une tribune, portant l'écharpe tricolore en sautoir. Ils sont accueillis par plusieurs salves d'applaudissements. Les membres de la gauche se lèvent en criant : Vive la République ! Debout dans la tribune, les maires saluent l'Assemblée et répondent par les cris de : Vive la République ! Vive la France ! Vive l'Assemblée nationale !

A ces cris, tumulte indescriptible sur les bancs de la droite. Cent députés se lèvent criant : A l'ordre, à l'ordre ! Faites respecter l'Assemblée ; faites évacuer la tribune ! Leurs vociférations demeurant sans effet, ces députés se couvrent, bien que le président, debout à sa place, soit découvert. On crie à gauche : A bas les chapeaux ! respectez le président ! Les députés de la droite se retirent ; le tumulte est au comble ; le président déclare que la séance est levée. L'accueil fait à ses maires fut, pour Paris, un grief de plus contre l'Assemblée. Ceux-ci, cependant, ne perdent pas courage, et, le 23, ils annoncent à leurs administrés la nomination de l'amiral Saisset comme commandant supérieur de la garde nationale de Paris ; du colonel Langlois comme chef d'état-major général ; du colonel Schœlcher comme commandant en chef de l'artillerie de la garde nationale. L'amiral Saisset était populaire à Paris pour sa belle conduite pendant le siège ; il était représentant de la Seine ; tout récemment encore, on lui avait fait sur les boulevards une ovation enthousiaste. Sa nomination fui parfaitement accueillie, et l'on crut avoir de sérieuses raisons d'espérer que la crise touchait à son terme, lorsque le document suivant fut porté à la connaissance du public :

AUX HABITANTS DE PARIS.

Chers concitoyens,

Je m'empresse de porter à votre connaissance que, d'accord avec les députés de la Seine et les maires élus de Paris, nous avons obtenu du gouvernement de l'Assemblée nationale :

1° La reconnaissance complète de vos FRANCHISES MUNICIPALES ;

2° L'élection de TOUS LES OFFICIERS de la garde nationale, y compris LE GÉNÉRAL EN CHEF ;

3° Des modifications à la loi sur les échéances ;

4° Un projet de loi sur les loyers, favorable aux locataires, jusques et y compris les loyers de 1.200 francs.

En attendant que vous me confirmiez ma nomination, ou que vous m'ayez remplacé, je resterai à mon poste d'honneur pour veiller à l'exécution des lois de conciliation que nous avons réussi à obtenir, et contribuer ainsi à l'affermissement de la République.

Le vice-amiral, commandant en chef provisoire,

SAISSET.

Paris, 23 mars 1871.

 

Nul ne doutait que le gouvernement n'eût prêté la main à cette combinaison ; les adversaires du comité central avaient enfin trouvé un chef et un centre de ralliement. L'amiral Saisset établit son quartier général au Grand-Hôtel ; il y reçut bientôt de nombreuses députations des gardes nationaux qui lui promettaient leur concours.

Sur ces entrefaites, le comité central ajournait au 26 mars les élections primitivement fixées au 22 ; il avait ressenti un mouvement de mauvaise humeur en voyant la tournure que prenaient les choses ; il sentait le pouvoir lui échapper, et portait contre les maires et les députés des accusations odieuses[5]. Au surplus, le comité reconnut bien vite sa maladresse et il s'efforça d'en atténuer les effets par une proclamation conçue dans un esprit beaucoup plus modéré. D'où venait cette modération aux hommes de l'Hôtel-de-Ville ? Du rapprochement qui s'était opéré dans l'intervalle entre eux et les maires. A la suite de longues et laborieuses délibérations, ceux-ci avaient accepté les élections pour le jour fixé par le comité, dans l'espoir que les résultats du scrutin seraient meilleurs, grâce à leur intervention.

Les maires n'avaient qu'un souci, éviter l'effusion du sang. Le 25, aussitôt après avoir pris la résolution dont il vient d'être parlé, ils envoient des délégués à Versailles pour en donner connaissance au gouvernement. Que répondra celui-ci ? Sans attendre sa réponse, les députés, les maires et les adjoints préviennent les habitants de Paris du parti auquel ils se sont arrêtés :

Paris, le 25 mars 1871.

Citoyens,

Dans Paris, où le pouvoir législatif a refusé de siéger, d'où le pouvoir exécutif est absent, il s'agit de savoir si le conflit qui s'est élevé entre des citoyens également dévoués à la République doit être vidé par la force matérielle ou par la force morale.

Nous avons la conscience d'avoir fait tout ce que nous pouvions pour que la loi ordinaire fût appliquée à la crise exceptionnelle que nous traversons.

Nous avons proposé à l'Assemblée nationale toutes les mesures de conciliation propres à apaiser les esprits et à éviter la guerre civile.

Vos maires élus se sont transportés à Versailles et se sont faits l'écho des réclamations légitimes de ceux qui veulent que Paris ne soit pas tout à la fois déchu. de sa situation de capitale et privé de ses droits municipaux, qui appartiennent à toutes les villes, à toutes les communes de la République.

Ni vos maires élus, ni vos représentants à l'Assemblée nationale n'ont pu réussir à obtenir une conciliation.

Aujourd'hui, placés entre la guerre civile pour nos concitoyens et une grave responsabilité pour nous-mêmes, décidés à tout plutôt qu'à laisser couler une goutte de ce sang parisien que naguère vous offriez tout entier pour la défense et l'honneur de la France, vous venons vous dire : Terminons le conflit par le vote, non par les armes.

Votons, puisqu'en votant nous investirons du pouvoir municipal des républicains honnêtes et énergiques, qui, en sauvegardant l'ordre dans Paris, épargneront à la France le terrible danger des retours offensifs de la Prusse et les tentatives téméraires des prétentions dynastiques

Nous avons dit hier à l'Assemblée nationale que nous prendrions sous notre responsabilité toutes les mesures qui pourraient éviter l'effusion du sang.

Nous avons fait notre devoir en vous disant notre pensée.

Vive la France ! Vive la République !

Les représentants de la Seine présents à Paris,

V. SCHŒLCHER, Ch. FLOQUET, E. LOCKROY, G. CLEMENCEAU, TONIN, GREPPO.

 

En même temps, une affiche signée par les municipalités, par les députés, par le comité central, ne laisse aucun doute sur l'entente qui s'est établie. Le même jour, l'amiral Saisset congédie les bataillons qui s'étaient rangés autour de lui et dont les rangs grossissaient sans cesse, et se retire à Versailles. Ce fut un grand malheur. Le découragement et le dégoût envahirent les hommes qui s'étaient mis avec empressement aux ordres de l'amiral. La garde nationale de l'ordre se trouvait définitivement désorganisée ; les élections eurent lieu le 26[6] ; la Commune entrait en scène.

 

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PIECES JUSTIFICATIVES.

 

I

 

PROCLAMATION DU GOUVERNEMENT A LA FRANCE.

 

Versailles, 20 mars 1871.

Le gouvernement n'a pas voulu engager une action sanglante, alors qu'il y était provoqué par la résistance inattendue du comité central de la garde nationale. Cette résistance, habilement organisée, dirigée par des conspirateurs audacieux autant que perfides, s'est traduite par l'invasion d'un flot de gardes nationaux sans armes et de population se jetant sur les soldats, rompant leurs rangs et leur arrachant leurs armes. Entraînés par ces coupables excitations, beaucoup de militaires ont oublié leur devoir. Vainement aussi la garde nationale avait-elle été convoquée ; pendant toute la journée elle n'a paru sur le terrain qu'en nombre insignifiant,

C'est dans ces conjonctures graves que, ne voulant pas livrer une bataille sanglante dans les rues de Paris, alors surtout qu'il semblait n'être pas assez fortement soutenu par la garde nationale, le gouvernement a pris le parti de se retirer à Versailles, près de l'Assemblée nationale, la seule représentation légale du pays.

En quittant Paris, M. le ministre de l'intérieur a, sur la demande des maires, délégué à la commission qui serait nommée par eux le pouvoir d'administrer provisoirement la ville.

Les maires se sont réunis plusieurs fois sans pouvoir arriver à une entente commune.

Pendant ce temps, le comité insurrectionnel s'installait à l'Hôtel-de-Ville et faisait paraître deux proclamations : l'une pour annoncer sa prise de possession du pouvoir ; l'autre pour convoquer les électeurs de Paris dans le but de nommer une assemblée communale.

Pendant que ces faits s'accomplissaient, le comité de la rue des Rosiers, à Montmartre, était le théâtre du criminel attentat commis sur la personne du général Lecomte et du général Clément Thomas, lâchement assassinés par une bande de sicaires. Le général de Chanzy, qui arrivait de Bordeaux, était arrêté a la gare d'Orléans, ainsi que M. Turquet, représentant de l'Aisne.

Les ministères étaient successivement occupés ; les gares des chemins de fer envahies par des hommes armés se livrant sur les voyageurs à des perquisitions arbitraires, mettant en état d'arrestation ceux qui leur paraissaient suspects, désarmant les soldats isolés ou en corps qui voulaient entrer à Paris. En même temps plusieurs quartiers se couvraient de barricades armées de pièces de canon, et partout les citoyens étaient exposés à toutes les exigences d'une inquisition militaire dont il est impossible de deviner le but.

Ce honteux état d'anarchie commence cependant à émouvoir les bons citoyens, qui s'aperçoivent trop tard de la faute qu'ils ont commise en ne prêtant pas de suite leur concours actif au gouvernement nommé par l'Assemblée. Qui peut, en effet, sans frémir, accepter les conséquences de cette déplorable sédition, s'abattant sur la ville comme une tempête soudaine, irrésistible, inexplicable ? Les Prussiens sont à nos portes, nous avons traité avec eux. Mais si le gouvernement qui a signé les conventions de préliminaires est renversé, tout est rompu. L'état de guerre recommence et Paris est fatalement voué à l'occupation.

Ainsi sont frappés de stérilité les longs et douloureux efforts à la suite desquels le gouvernement est parvenu à éviter ce malheur irréparable. Mais ce n'est pas tout, avec cette lamentable émeute, il n'y a plus ni crédit, ni travail. La France, ne pouvant pas satisfaire à ses engagements, est livrée à l'ennemi qui lui imposera sa dure servitude. Voilà les fruits amers de la folie criminelle de quelques-uns, de l'abandon déplorable des autres.

Il est temps encore de revenir à la raison et de reprendre courage. Le gouvernement et l'Assemblée ne désespèrent pas. Ils font appel au pays, ils s'appuient sur lui, décidés à le suivre résolument et à lutter sans faiblesse contre la sédition. Des mesures énergiques vont être prises ; que les départements les secondent en se groupant autour de l'autorité qui émane de leurs libres suffrages. Ils ont pour eux le droit, le patriotisme, la décision : ils sauveront la France des horribles malheurs qui l'accablent.

Déjà, comme nous l'avons dit, la garde nationale de Paris se reconstitue pour avoir raison de la surprise qui lui a été faite. L'amiral Saisset, acclamé sur les boulevards, a été nommé pour la commander. Le gouvernement est prêt à la seconder. Grâce à leur accord, les factieux qui ont porté une si grave atteinte à la République seront forcés de rentrer dans l'ombre ; mais ce ne sera pas sans laisser derrière eux, avec les ruines qu'ils ont faites, avec le sang généreux versé par leurs assassins, la preuve certaine de leur affiliation avec les plus détestables agents de l'Empire et les intrigues ennemies. Le jour de la justice est prochain. Il dépend de la fermeté de tous les bons citoyens. Qu'il soit exemplaire ! "

 

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II

 

PROCLAMATION DU COMITÉ CENTRAL AUX DÉPARTEMENTS.

 

Le peuple de Paris, après avoir donné, depuis le 4 septembre, une preuve incontestable et éclatante de son patriotisme et de son dévouement à la République, après avoir supporté avec une résignation et un courage au-dessus de tout éloge les souffrances d'un siège long et pénible, vient de se montrer de nouveau à la hauteur des circonstances présentes et des efforts indispensables que la patrie était en droit d'attendre de lui.

Par son attitude calme, imposante et froide, par son esprit d'ordre républicain, il a su rallier l'immense majorité de la garde nationale, s'attirer les sympathies et le concours actif de l'armée, maintenir la tranquillité publique, éviter l'effusion du sang, réorganiser les services publics, respecter les conventions internationales et les préliminaires de paix.

Il espère que toute la presse reconnaîtra et constatera son esprit d'ordre républicain, son courage et son dévouement, et que les calomnies ridicules et odieuses répandues depuis quelques jours en province cesseront.

Les départements, éclairés et désabusés, rendront justice au peuple de la capitale, et ils comprendront que l'union de toute la nation est indispensable au salut commun.

Les grandes villes ont prouvé, lors des élections de 1869 et du plébiscite, qu'elles étaient animées du même esprit républicain que Paris ; les nouvelles autorités républicaines espèrent donc qu'elles lui apporteront leur concours sérieux et énergique dans les circonstances présentes, et qu'elles les aideront à mener à bien l'œuvre de régénération et de salut qu'elles ont entreprise au milieu des plus grands périls.

Les campagnes seront jalouses d'imiter les villes ; la France toute entière, après les désastres qu'elle vient d'éprouver, n'aura qu'un but : assurer le salut commun.

C'est là une grande tâche, digne du peuple tout entier, et il n'y faillira pas.

La province, en s'unissant a la capitale, prouvera à l'Europe et au monde que la France tout entière veut éviter toute division intestine, toute effusion de sang.

Les pouvoirs actuels sont essentiellement provisoires, et ils seront remplacés par un conseil communal qui sera élu mercredi prochain, 22 courant.

Que la province se hâte donc d'imiter l'exemple de la capitale en s'organisant d'une façon républicaine, et qu'elle se mette au plus tôt en rapport avec elle au moyen de délégués.

Le même esprit de concorde, d'union, d'amour républicain, nous inspirera tous. N'ayons qu'un espoir, qu'un but : le salut de la patrie et le triomphe définitif de la République démocratique, une et indivisible.

LES DÉLÉGUÉS AU Journal officiel.

 

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III

 

ÉLECTIONS COMMUNALES DU 26 MARS 1871.

 

1er arrondissement.

11e arrondissement.

Électeurs inscrits, 22.060.

Électeurs inscrits, 42.153.

Adam

7.272

Mortier

21.186

Méline

7.201

Delescluze

20.264

Rochard

6.629

Assi

19.890

Barré

6.294

Protêt

19.780

2e arrondissement.

Eudes

19.276

Électeurs inscrits, 22.838.

Avrial

17.914

Emile Brelay

7.025

Verdure

17.351

Loiseau-Pinson

6.932

12e arrondissement.

Tirard

6.386

Électeurs inscrits, 19.990.

Chéron

6.018

Varlin

9.843

3e arrondissement.

Geresme

8 896

Électeurs inscrits, 28.133.

Theisz

8.710

Demay

9.004

Fruneau

8.629

A. Arnaud

8.912

13e arrondissement.

Pindy

8.095

Électeurs inscrits, 16.597

Murat

5.904

Léo Meillet

6.531

Clovis Dupont

5.661

Emile Duval

6.482

4e arrondissement.

Chardon

4.663

Électeurs inscrits, 32.060.

Frankel

4.080

Arthur Arnould

8.608

14e arrondissement.

Lefrançais

8.619

Électeurs inscrits, 17.769.

Clémence

8.163

Billioray

6.100

Gérardin

8.104

Martelet

3.912

Amourout

7.930

Descamps

3.833

5e arrondissement.

15e arrondissement.

Électeurs inscrits, 21.632.

Électeurs inscrits, 19.681.

Régère

7.469

Clément

3.023

Jourde

7.310

Jules Vallès

4.003

Tridon

6.469

Langevin

2.417

Blanchet

3.994

16e arrondissement.

Ledroyt

5.848

Électeurs inscrits, 10.731.

6e arrondissement.

Marmottan

2.036

Électeurs inscrits, 24.807.

De Bouteiller

1.909

Albert Leroy

5.800

17e arrondissement.

Goupil

5.111

Electeurs inscrits, 26.574.

Robinet

3.904

Varlin

9.356

Beslay

3.714

Clément

7.121

Varlin

3.602

Ch. Gérardin

6.142

7e arrondissement.

Chalain

4.543

Électeurs inscrits, 22.092.

Malon

4.199

Parisel

3.367

18e arrondissement.

Ernest Lefèvre

2.859

Électeurs inscrits, 32.962.

Urbain

2.803

Blanqui

14.953

Brunel

2.163

Theisz

14.950

8e arrondissement.

Dereure

14.661

Électeurs inscrits, 17.823.

J.-B. Clément

14.188

Raoul Rigault

2.173

Th. Ferré

13.784

Vaillant

2.145

Vermorel

13.402

Arthur Arnould

2.114

Paschal Grousset

13.359

Jules Allix

2.028

19e arrondissement.

9e arrondissement.

Électeurs inscrits, 28.270.

Électeurs inscrits, 28.801.

Oudet

10.065

Ranc

8.930

Puget

9.547

Ulysse Parent

4.770

Delescluze

5.846

Desmarest

4.232

J. Miot

5.520

E. Ferry

3.732

Ostyn

5.065

Nast

3.691

Flourens

4.100

10e arrondissement.

20e arrondissement.

Électeurs inscrits, 28.801.

Électeurs inscrits 28.270.

Gambon

13.734

Bergeret

15.290

Félix Pyat

11.813

Ranvier

15.049

Henri Fortuné

11.364

G. Flourens

14.089

Champy

11.042

Blanqui

13.859

Babick

10.934

Rastoul

10.738

 

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IV

 

Le général commandant la garde nationale le 18 mars était, ainsi que nous l'avons dit, Charles Lullier, homme très-intelligent, très-exalté et moins malfaisant qu'il n'en avait l'air. Arrêté dans la suite par ordre du comité central, parce qu'on le soupçonnait d'être trop modéré, il fut enfermé à la Conciergerie d'où il écrivit la lettre suivante, qui dépeint bien l'homme et la situation de Paris au 18 mars. A ce double titre, nous avons cru devoir faire figurer ce document parmi les pièces justificatives :

 

Conciergerie, ce 28 mars 1871.

Gardes nationaux, citoyens,

J'ai pris la barre du gouvernail au milieu de la tempête. Tant que le vent a soufflé en foudre, j'ai donné froidement des ordres, sans m'inquiéter des qu'en dira-t-on de l'équipage.

Aujourd'hui le navire a touché au port ; capitaine, je viens rendre compte de mes manœuvres.

Dans la journée du 18 mars, à peine de retour à Paris, dans cette ville dont m'avait éloigné une insigne fourberie, le comité central me fit rechercher partout et me remit, rue de Barroy, 11, tous ses pouvoirs pour lui assurer le plus rapidement possible, et par tous les moyens que je jugerais convenables, la possession de Paris. Toutes les forces disponibles de la garde nationale étaient, par deux ordres que j'ai encore en main, placées sous mon commandement immédiat.

Parti avec douze gardes nationaux et trois ordonnances seulement du siège du comité, je ralliai tous les bataillons épars sur ma route, et, après avoir perdu deux de mes ordonnances tuées à mes côtés et avoir vu vingt fois ma vie menacée, je m'emparai successivement, dans la nuit du 18 au 19 mars, de l'Hôtel-de-Ville, de la Préfecture de police, de la place de Paris et des Tuileries[7], que je fis occuper aussitôt et où je laissai un commandant militaire.

Nommé le lendemain, par le comité, général de division et commandant en chef de la garde nationale de Paris, je fis occuper le jour même et les jours suivants les ministères et les portes de l'enceinte. L'Hôtel-de-Ville, siège du nouveau gouvernement, fut, par mes soins personnels, transformé en camp retranché et abondamment pourvu d'artillerie et de munitions ; ses trois souterrains furent occupés et ses abords gardés au loin. Les sept points stratégiques de la rive droite et les quatre points stratégiques de la rive gauche furent également mis à l'abri de toute surprise.

Le service des subsistances, organisé par mes soins, mit, dès le 20 mars, 60.000 rations d'excellents vivres de campagne (pain, vin, conserves an-, glaises) à la disposition de la garde nationale et des troupes cantonnées dans les casernes, ayant fait leur soumission au nouveau gouvernement.

Dans cinq jours, j'ai dormi en tout sept heures et demie, pris trois repas, passé vingt-huit heures à cheval et expédié dans toutes les directions près de 2.500 ordres militaires.

Le 24, à une heure du matin, brisé, harassé de fatigue, ne tenant plus debout, je viens dire aux membres de la Commune :

Citoyens, nous sommes maîtres de Paris au point de vue militaire ; je réponds de la situation sur ma tête ; mais agissons avec une extrême prudence au point de vue politique.

Et, pour la quatrième fois, j'ai réclamé l'élargissement du général Chanzy.

Dès lors, on n'avait plus besoin de moi. Le lendemain, on m'appela au comité ; on fit verrouiller les portes, on me fit entourer d'une trentaine de gardes, et, sans autre formalité, sous prétexte que j'avais délivré un saufconduit au citoyen Glais-Bizoin, on me fit jeter en prison comme ayant des communications avec Versailles. Le général de brigade du Buisson, mon chef d'état-major général, et le colonel Valigrane, mon sous-chef d'état-major, ont été en même temps arrêtés.

Je ne descendrai pas à me disculper. Mon caractère est au-dessus du soupçon. En face d'un inénarrable outrage, je me recueille, et de ma poitrine gonflée s'échappe un seul cri, une invocation suprême à ceux dont j'ai toujours défendu la cause au péril de ma vie.

Peuple de Paris, j'en appelle à ta conscience. Peuple, j'en appelle à ta justice !

Charles LULLIER.

 

 

 



[1] Voici le texte de ce document :

« Citoyens de Paris,

« Dans trois jours vous serez appelés, en toute liberté, à nommer la municipalité parisienne. Alors, ceux qui, par nécessité urgente, occupent le pouvoir déposeront leurs titres provisoires entre les mains des élus du peuple.

« Il y a en outre une décision importante que nous devons prendre immédiatement : c'est colle relative au traité de paix.

« Nous déclarons, dès à présent, être fermement décidés à faire respecter ces préliminaires, afin d'arriver à sauvegarder à la fois le salut de la France républicaine et de la paix générale.

« Le délégué du gouvernement au ministère de l'intérieur,

« V. GRÉLIER. »

[2] Voici ce document avec les noms de tous les signataires :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

LIBERTÉ, EGALITE, FRATERNITÉ.

« Citoyens,

« Pénétrés de la nécessité absolue de sauver Paris et la République en écartant toute cause de collision, et convaincus que le meilleur moyen d'atteindre ce but suprême est de donner satisfaction aux vœux légitimes du peuple, nous avons résolu de demander aujourd'hui même à l'Assemblée nationale l'adoption de deux mesures qui, nous en avons l'espoir, contribueront, si elles sont adoptées, à ramener le calme dans les esprits.

« Ces deux mesures sont : l'élection de tous les chefs de la garde nationale et l'établissement d'un conseil municipal élu par tous les citoyens.

« Ce que nous voulons, ce que le bien public réclame en toute circonstance, et ce que la situation présente rend plus indispensable que jamais, c'est l'ordre dans la liberté et par la liberté.

« Vive la France !

« Vive la République !

« Représentants de la Seine :

« Louis BLANC, V. SCHŒLCHER, A. PEYRAT, Edmond ADAM, FLOQUET, Martin BERNARD, LANGLOIS, Edouard LOCKROY, FARCY, H. BRISSON, GREPPO, MILLIÈRE. »

 

Il y a un certain intérêt historique à publier également les noms des membres des municipalités, signataires de ce document :

Les maires et adjoints de Paris.

1er arrondissement, Ad. Adam, adjoint ; Méline, adjoint.

2e arrondissement, Tirard, maire, représentant de la Seine ; E. Brelay, adjoint ; Chéron, adjoint ; Loiseau-Pinson, adjoint.

3e arrondissement, Bonvalet, maire ; Ch. Murat, adjoint.

4e arrondissement, Vautrain, maire ; Loiseau, adjoint ; Callou, adjoint.

5e arrondissement, Jourdain, adjoint.

6e arrondissement, Hérisson, maire ; A. Leroy, adjoint.

7e arrondissement, Arnaud (de l'Ariège), maire, représentant de la Seine.

8e arrondissement, Carnot, maire, représentant de la Seine.

9e arrondissement, Desmarest, maire.

10e arrondissement, Dubail, maire ; A. Murat, adjoint ; Degouves-Denuncques, adjoint.

11e arrondissement, Mottu, maire, représentant de la Seine ; Blanchon, adjoint ; Poirier, adjoint ; Tolain, adjoint, représentant de la Seine.

12e arrondissement, Denizot, adjoint ; Dumas, adjoint ; Turillon, adjoint.

13° arrondissement, Léo Meillet, adjoint ; Combes.

14e arrondissement, Héligon, adjoint.

15e arrondissement, Jobbé-Duval, adjoint.

16e arrondissement, Henri Martin, maire et représentant de la Seine.

17e arrondissement, François Favre, maire ; Malon, adjoint ; Villeneuve, adjoint ; Cacheux, adjoint.

18e arrondissement, Clemenceau, maire et représentant de la Seine ; J.-B. Lafont, Dereure, Jaclard, adjoints.

[3] Voir ces deux proclamations aux Pièces justificatives du présent chapitre.

[4] Cette protestation était ainsi conçue :

DÉCLARATION DE LA PRESSE

AUX ÉLECTEURS DE PARIS.

« Attendu que la convocation des électeurs est un acte de la souveraineté nationale ; que l'exercice de cette souveraineté n'appartient qu'au pouvoir émané du suffrage universel ;

« Que par suite, le comité qui s'est installé à l'Hôtel-de-Ville n'a ni droit ni qualité pour faire cette convocation ;

« Les représentants des journaux soussignés regardent la convocation affichée pour le 22 courant comme nulle et non avenue et engagent les électeurs à n'en pas tenir compte.

« Le journal des Débats, le Constitutionnel, le Moniteur universel, le Figaro, le Gaulois, la Vérité, Paris-Journal, la Presse, la France, la Liberté, le Pays, le National, l'Univers, le Temps, la Cloche, la Patrie, le Bien Public, l'Union, l'Avenir libéral, Journal des Villes et des Campagnes, le Charivari, le Monde, la France nouvelle, la Gazette de France, le Petit Moniteur, le Petit National, l'Electeur libre, la Petite Presse.

« Ont adhéré les journaux suivants :

« Vérité, Presse, Avenir libéral, Moniteur universel, Temps Ami de la France, Messager de Paris, Peuple Français, Siècle, la Cloche. »

[5] On en jugera par le document suivant :

« Citoyens,

« Votre légitime colère nous a placés, le 18 mars, au poste que nous ne devions occuper que le temps strictement nécessaire pour procéder aux élections communales.

« Vos maires, vos députés, répudiant les engagements pris à l'heure où ils étaient des candidats, ont mis tout en œuvre pour entraver ces élections que nous voulons faire à bref délai.

« La réaction, soulevée par eux, nous déclare la guerre.

« Nous devons accepter la lutte et briser la résistance, afin que vous puissiez y procéder dans le calme de votre volonté et de votre force.

« En conséquence, les élections sont remises au dimanche prochain 26 mars.

« Jusque-là, les mesures les plus énergiques seront prises pour faire respecter les droits que vous avez revendiqués.

« Hôtel-de-Ville, 22 mars 1871. »

[6] Voir le tableau des élections aux Pièces justificatives.

[7] Ces postes avaient été abandonnés.