LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TOME SECOND

LIVRE PREMIER. — SIÈGE DE PARIS, DU MILIEU DE DÉCEMBRE À LA BATAILLE DE MONTRETOUT-BUZENVAL (19 JANVIER).

 

 

La France au commencement de 1871. — Les Prussiens en France : leurs atrocités ; le drame de Vaux. — Paris. — Découragement des membres du gouvernement après la bataille de Champigny. — Séance du 6 décembre à l'Hôtel-de-Ville : MM. Garnier-Pagès, Jules Favre, Simon, Picard, Trochu. — Dépêche de M. Gambetta annonçant les événements de province. — État des subsistances. — Panique du pain. — On fabrique du pain avec un mélange de farine, de riz et d'avoine. — Attaque du Bourget ; intrépidité des marins. — L'attaque échoue. — Explications embarrassées du gouvernement dans le Journal officiel. — Les grands froids. — Séance du gouvernement. — Le général Trochu est jugé insuffisant. — Évacuation du plateau d'Avron. — Irritation de Paris. — Proclamation de Trochu. — Conseil de guerre du 31 décembre : MM. Jules Favre, Trochu, Ducrot, Vinoy, etc. — Acte d'accusation rédigé par M. Delescluze. — L'affiche rouge « au peuple de Paris. » — Proclamation de Trochu : le gouverneur de Paris ne capitulera pas. — Le bombardement. — Attitude de la population. — Préparatifs militaires. — Sortie projetée pour le 19 janvier. — Proclamation du gouvernement, — Bataille de Montretout-Buzenval. — La garde nationale. — Résultats de la journée.

 

Ainsi les projets de départ de M. Jules Favre avaient été déjoués par l'astuce de M. de Bismarck. Le personnage prussien se souciait médiocrement que le ministre français pût paraître à Londres, où il n'aurait pas manqué de ranimer peut-être les amitiés disparues ou hésitantes en retraçant le tableau de la France sous l'invasion. Les Prussiens n'avaient pas attendu le cœur de l'hiver, les souffrances de la mauvaise saison, les durs combats sur les bords de la Loire pour se livrer aux cruautés qui leur sont naturelles, aux rapines que leur pauvreté explique mieux peut-être que leur haine. Dès qu'ils ont mis le pied sur le sol français, leur barbarie éclate ; des exécutions sauvages laissent une longue trace de sang sur leur route. Le gouverneur Vogel de Falkenstein, gouverneur des côtes de la Baltique, poussait les habitants de ces contrées, quand il croyait que les Français allaient débarquer, à leur courir sus : « Chaque Français sera votre proie, » disait-il à ces rudes pêcheurs du nord. Ce fut le mot d'ordre des Allemands. Ils se promirent de ne pas faire la guerre avec humanité, et ils tinrent parole. A Gunstett, des paysans s'étaient réfugiés dans leurs caves pendant la bataille de Wœrth. Les Allemands, après leur victoire, pénètrent dans le village et tirent des coups de fusil par les soupiraux sur ces hommes tremblants qui n'avaient pas touché une arme. Ceux qui, fous de terreur, se sauvent dans la rue, sont fusillés sur le seuil de leurs maisons. Scènes dignes de la guerre de Trente-Ans, que les Prussiens ont essayé d'excuser en accusant faussement le curé et les paysans de Gunstett d'avoir mutilé quelques-uns de leurs soldats blessés. Des massacres plus terribles encore ensanglantèrent les rues de Bazeilles dans cette journée du 1er septembre qui vit la capitulation de Sedan. Les correspondants des journaux étrangers en poussèrent un cri d'horreur ; l'un d'eux a dit qu'autour de Bazeilles on sentait la chair roussie[1]. De Werder incendie comme un Vandale les plus beaux monuments de Strasbourg ; les dames de Cologne et de Mayence, les paysans de la Forêt-Noire prennent des trains de plaisir pour contempler ce spectacle. Dans sa marche sur Dijon, le même de Werder fusille tout paysan qui défend son pays : « Ces détachements, dit le colonel Rustow, livrèrent plusieurs petits combats ; ils firent beaucoup de prisonniers dans la population des campagnes et fusillèrent militairement une foule de gens qui défendaient leur pays. » Quant aux francs-tireurs, nous les traitons, disait M. de Bismarck à M. Jules Favre dans l'entrevue de la Haute-Maison, nous les traitons « comme des assassins. » L'un d'eux fut, en effet, en effet, brûlé vif par les Allemands dans les environs de Besançon. Le délégué des affaires étrangères à Tours, M. de Chaudordy, dénonçait à l'Europe indifférente ces atrocités d'un autre âge : « Alors, disait-il, alors que la nation entière est appelée aux armes, on a fusillé impitoyablement, non-seulement des paysans soulevés contre l'étranger, mais encore des soldats pourvus de commissions et revêtus d'uniformes légalisés[2]. On a condamné à mort ceux qui tentaient de franchir les lignes prussiennes, même pour leurs affaires privées. » Le bombardement des villes ouvertes était devenu un moyen d'intimidation. Aucune sommation, aucun avertissement : les obus éclataient sur les maisons et les incendiaient. On traitait ensuite la ville comme si elle s'était défendue et qu'on l'eût prise d'assaut. On vit les philosophes allemands arroser de pétrole les portes des maisons pour en finir plus vite ; nous les retrouverons plus tard à Saint-Cloud. Le pillage allait avec l'incendie, non pas ce pillage désordonné qui, dans l'histoire des guerres, est le cortège accoutumé du sac des villes, mais un pillage méthodique, organisé, faisant songer à une vaste entreprise de déménagement. Argenterie, bijoux, linge, pendules, pianos étaient entassés dans des chariots qui prenaient les routes d'Allemagne, revenaient chargés de munitions de guerre ou d'approvisionnements, pour retourner encore couverts de butin. Les meubles qui n'étaient pas jugés dignes de faire le voyage étaient jetés au feu ou salis d'ordures. Les caves lestement vidées fournissaient aux orgies[3]. Les plus purs chefs-d'œuvre de la langue française subirent des outrages innommés ; les compatriotes de Schiller et de Gœthe couvrirent d'excréments les œuvres de La Fontaine et de Lamartine. Une haine jalouse des gloires de la France accompagnait ces conquérants. « Partageons cette terre impie, » s'écriait le prince Frédéric-Charles dans un ordre du jour daté de Sens, 1er décembre ; la partager, ce n'était pas assez ; on aurait voulu la bouleverser et en effacer jusqu'au nom. Les contributions dont on frappait les pays envahis étaient monstrueuses. On emmenait de Dijon, de Gray et de Vesoul quarante otages choisis parmi les notables, sous prétexte que nous retenions captifs quarante capitaines de navires, faits prisonniers selon les lois de la guerre. La Prusse alla plus loin encore : elle força de malheureux paysans, sous peine de mort, à élever des travaux de fortification contre les troupes françaises, à préparer la ruine de leur propre pays[4].

Le drame lugubre qui se déroula dans un petit village des Ardennes est le dernier mot de la barbarie allemande.

Une colonne de landwehr prussienne, commandée par le colonel de Kraunn, avait occupé le village de Vaux le 27 octobre. Le lendemain une fusillade s'engage avec les francs-tireurs, et un sous-officier allemand est tué. Le combat fini, l'ennemi prend quarante hommes dans le village sous prétexte que les habitants se sont joints aux francs-tireurs ; on les enferme dans l'église, en attendant qu'un conseil de guerre ait statué sur leur sort. Le conseil se réunit et mande le curé de Vaux. Ce respectable vieillard comparaît, on l'interroge ; il affirme sur sa tête qu'aucun de ses paroissiens n'a tiré sur les Allemands et que ce serait une criante injustice de rendre ces pauvres gens responsables d'une attaque qui a eu lieu à leur insu sur le territoire de leur commune. Le maire du village, appelé à son tour, réitère les assurances du curé ; le conseil lui demande de désigner deux des prisonniers pour qu'ils soient fusillés ; il faut à l'ennemi deux têtes. Le maire refuse, il proteste encore de l'innocence des habitants de la commune et, avant de sortir, il implore leur grâce.

Mais les Prussiens tenaient à leurs victimes[5].

Vers deux heures de l'après-midi un lieutenant-colonel se présenta au presbytère, un écrit à la main, et dit à M. le curé de Vaux, avec une certaine hésitation, qu'il était décrété « que trois des individus enfermés dans l'église seraient fusillés. » Ce dernier protesta de nouveau énergiquement de l'innocence de tous ses paroissiens.

Touché lui-même par l'émotion du curé de Vaux, le lieutenant-colonel s'écria : « Pensez-vous, monsieur le curé, que c'est avec plaisir que j'exécute cet ordre venu de haut ? » Puis il requit son assistance à l'exécution qui allait se faire, pour administrer les secours de la religion aux trois personnes à fusiller. Il lui proposa ensuite « de désigner, s'il le voulait, les trois plus méchants qu'il connaîtrait dans sa paroisse, et qu'on s'en tiendrait à ceux-là. » Le curé reprit avec horreur : « que dans tout pays il y avait du bon, du médiocre et du mauvais, mais que dans la cause présente il n'y avait aucun coupable, et qu'il ne désignerait personne. »

De guerre lasse, le commandant ajouta : « Eh bien ! je ferai tirer les habitants au sort. » Il prépara plusieurs billets qu'il plaça dans sa main, et il partit pour l'église avec plusieurs chefs, quarante soldats et lé curé.

Là, que s'était-il passé ?

Voici le récit du sieur Petit lui-même, le plus compromis d'entre les assignés :

Ce jour-là, 29 octobre, vers dix heures et demie du matin, un commandant ennemi entra dans l'église et dit en français aux malheureux captifs, fatigués par l'insomnie et déchirés d'angoisses, auxquels la soldatesque avait fait toutes sortes de menaces de mort, jusqu'à leur montrer des bottes de paille au bout de leurs fusils, comme si l'on devait les brûler : « Levez-vous, je viens vous apprendre une triste nouvelle ; il faut qu'il y ait trois d'entre vous qui soient fusillés ; il faut que dans vingt minutes vous soyez prêts ; faites votre choix ! » Il paraît même que le commandant ajouta que leur choix devait être fait au temps marqué, sous peine d'être tous fusillés.

Après de grandes hésitations, on se dit : « Allons aux voix ! »

On nomma d'abord deux mobiles blessés, convalescents, en séjour dans le village depuis quarante-huit heures, qui se trouvaient aussi dans l'église et venaient de l'ambulance : Alexandre Thierry, de Châteauroux (Indre), et Arthur Lecointe, du département de la Meuse.

Sur la réclamation du chef du poste allemand, qui a fait observer que ces mobiles étaient militaires, et sur celle des mobiles eux-mêmes, qui se défendaient d'être compris dans cet impôt du sang personnel au village de Vaux, on les laissa tranquilles.

Alors la plupart des habitants, enfermés dans l'église, entrèrent dans la sacristie pour aller de nouveau aux voix. On décida par mains levées sur le sort des trois victimes, et toutes les mains se levèrent, hormis celle de la personne désignée.

Les victimes furent choisies dans l'ordre suivant : 1° Jean-Baptiste Depreuve, âgé de cinquante-sept ans, ancien berger à Vaux ; 2° Louis-Georges, âgé de soixante-trois ans, actuellement berger à Vaux ; 3° Charles-Georges, âgé de vingt-trois ans, non marié.

Ces trois infortunés criaient dans la sacristie : « Qu'ai-je fait ? qu'ai-je fait ? »

Cette élection funèbre dura dix minutes au plus. Puis on rentra dans l'église. Le commandant revint, et, s'adressant au sieur Petit, qu'il connaissait, parce que la veille il l'avait employé à annoncer dans le village la remise des armes dé chasse, il lui dit : « Est-ce fini, est-ce rangé ? » A quoi Petit répondit : « Oui, mon commandant. » Ce dernier ajouta : « Comment avez-vous rangé cela ? » Petit reprit : « Comme vous nous l'avez ordonné, nous avons décidé à la majorité absolue des voix. »

Le chef allemand n'avait nullement imposé d'aller aux voix ; il n'avait proféré aucune menace si l'on ne suivait pas ce mode d'élection.

Comment le commandant a-t-il su quelles étaient les victimes désignées ? La déposition de Petit va nous l'apprendre :

« Lorsque le chef allemand est entré, dit-il, l'ancien berger Depreuve s'est levé. Charles-Georges se rentassait dans son banc, lorsque Morant lui dit : « Avance ! » Maireaux, voisin de Georges, qui était à genoux devant l'autel de la Vierge, dit : « Est-ce moi ? » Morant répondit : « Non, c'est Charles ! » Maireaux dit : « Oh ! que c'est malheureux pour ce pauvre Charles ! » Dogny répliqua : « Tais-toi, ne vaut-il pas mieux pour Charles que pour toi ? » Louis-Georges pleurait et demandait grâce à tout le monde.

« Alors le commandant fit avancer ces malheureux dans le sanctuaire, où le curé les attendait pour les confesser. »

Le curé de Vaux raconte en ces termes le dénouement de cette lugubre tragédie :

« Arrivé devant cette étrange prison (l'intérieur de l'église), j'allai me prosterner sur le pavé du sanctuaire et un, instant après, une voix lamentable se fit entendre, disant : « C'est donc moi ! Oh ! mon Dieu, que va devenir ma pauvre femme ? Elle n'est pas ici ; encore, si elle était ici nous nous ferions nos adieux. Mon Dieu ! quel malheur ! » Un autre s'écriait : « On veut me faire mourir ; mais qu'est-ce que j'ai fait ? » En entendant ces cris éplorés, je me redressai sur mes genoux et, tournant la tête un peu en arrière, je vis les trois innocentes victimes sortir des bancs et venir s'agenouiller sur la marche du sanctuaire. Je leur donnai tour a tour le sacrement de réconciliation et les encouragements que réclamait ce moment suprême. J'accompagnai mes chers patients jusqu'au lieu fatal. Là, je les embrassai successivement, et immédiatement je me rendis au pied d'un arbre où j'étais courbe, tremblant et détournant mes regards de cet horrible spectacle. Quelques minutes après, mes trois chères ouailles étaient foudroyées par les balles allemandes. Au moment de la détonation, je me sentis saisi et soutenu par le lieutenant-colonel, qui, dans la crainte que je ne m'affaissasse au bruit des armes, s'était approché de moi à mon insu. Les trois cadavres furent relevés et transportés dans leurs maisons respectives. Leur inhumation se fit dans un grand deuil. Le lendemain de l'enterrement, j'appris de M. Georges Lefèvre, père du jeune homme fusillé, qui avait été aussi enfermé dans l'église, que l'on n'avait pas tiré au sort, mais que les victimes avaient été désignées par quelques-uns des captifs. »

 

Nous reprenons maintenant notre récit :

On se souvient que le comte de Moltke avait annoncé au gouvernement parisien la défaite de l'armée de la Loire et la perte d'Orléans, en offrant au général Trochu de faire vérifier le fait par les officiers qu'il voudrait bien désigner. Le gouverneur de Paris repoussa l'offre du général prussien et répondit avec dignité à ses avances impertinentes. Toutefois, la nouvelle parut malheureusement trop vraisemblable, et les inquiétudes qu'elle fit naître se reflétèrent dans les délibérations de l'Hôtel-de-Ville. Une rapide analyse de la séance du 6 décembre révèlera les pensées qui s'agitaient au sein du gouvernement peu de jours après la fâcheuse issue de la bataille de Champigny. M. Garnier-Pagès croit deviner dans les termes de la lettre du comte de Moltke qu'une partie seulement de l'armée de la Loire a été défaite. Le général Trochu ne partage pas cette opinion, mais il espère que l'armée de la Loire aura pu se refaire derrière le fleuve. M. Jules Favre pense qu'il faudrait profiter de l'offre du général prussien pour savoir exactement ce qui se passe à l'extérieur. Les grands froids et les brouillards arrêtaient alors les pigeons voyageurs et Paris se trouvait depuis un temps qui paraissait fort long sans nouvelles des départements. L'avis de M. Jules Favre ayant été rejeté, l'examen de la situation continue. M. Picard estime, qu'après les derniers événements militaires, la capitulation de Paris est inévitable. Telle est aussi l'opinion de M. Jules Favre, pour qui la chute de la capitale n'est plus qu'une question de temps. Si l'on ne veut pas, dit-il, envoyer un officier au quartier général prussien pour s'assurer de l'exactitude des renseignements communiqués par M. de Moltke, il faut y dépêcher un représentant avec mission de proposer un armistice à la Prusse ; à la faveur de l'armistice, il serait procédé à la convocation d'une Assemblée nationale, qui déciderait ou la conclusion de la paix ou la continuation de la guerre. MM. Simon, Garnier-Pagès, Le Flô opinent, au contraire, pour une action militaire énergique. M. Picard, moins résolu, ayant alors exprimé la crainte que le peuple de Paris ne vînt demander la paix dans la rue, le général Trochu répond : « La rue demandera la guerre ; c'est dans quelques salons que l'on demande la paix. » Le général est, néanmoins, comme ses collègues, obsédé par le fantôme de la capitulation ; il ne croit pas qu'on puisse y échapper, mais, en attendant, il faut laisser l'opinion publique à ses agitations. Quand on lui a demandé une action militaire immédiate, il a résisté et prononcé ces mots, qui ont fait fortune : « La défense de Paris sans armées de secours est une héroïque folie. » Il n'a pas prêté l'oreille aux suggestions impatientes de l'opinion publique, mais il a créé une armée ; il faut aujourd'hui, comme au début du siège, laisser dire la population et adopter la tactique raisonnable, qui consiste à frapper l'ennemi tantôt sur un point tantôt sur un autre et à le harceler sans cesse. Le gouverneur de Paris ne dissimule pas, d'ailleurs, ses inquiétudes sur l'esprit des officiers supérieurs de l'armée, qui est bien plus mauvais que celui des troupes[6].

La nouvelle officielle des événements accomplis en province arriva quelques jours après à Paris. M. Gambetta annonçait qu'une partie de l'armée de la Loire, commandée par Chanzy, l'homme de guerre de la campagne, avait opéré une admirable retraite de Beaugency à Vendôme et qu'elle s'était mise à l'abri dans le Perche ; que Chanzy donnait à ses troupes quelques jours de repos bien mérités avant de reprendre l'offensive ; que Bourbaki, à la tête de l'autre fraction de l'armée de la Loire, allait quitter Bourges et se jeter dans l'est ; que, dans le nord, Faidherbe était en mouvement ; que rien, enfin, n'était désespéré, malgré la perte d'Orléans et les rigueurs de la saison. " Les Prussiens, ajoutait-il, paraissent las de la guerre. Si nous pouvons durer, et nous le pouvons si nous le voulons énergiquement, nous triompherons d'eux. Ils ont déjà éprouvé des perles énormes, suivant des rapports certains qui m'ont été faits ; ils se ravitaillent difficilement. Mais il faut se résigner aux suprêmes sacrifices, ne pas se lamenter et lutter jusqu'à la mort. »

Le gouvernement de Paris ne partageait point cette confiance. M. Gambetta affirmait la nécessité d'une résistance désespérée, et déjà le fantôme de la capitulation planait sur les délibérations de l'Hôtel-de-Ville. Le général Trochu disait bien que la « tactique raisonnable » consistait dorénavant à frapper sur l'assiégeant des coups répétés, tantôt sur un point de la ligne d'investissement, tantôt sur un autre ; mais il n'agissait pas. Cependant la cité consommait ses approvisionnements et la famine approchait à grands pas. La question des subsistances était devenue pour le gouvernement la question capitale, celle qui obsédait toutes ses pensées et remplissait toutes ses délibérations. Il ne fallait ni parler trop tôt de capitulation, de peur de pousser Paris à un acte de désespoir, car, malgré ses souffrances croissantes, le peuple de Paris s'exagérait la durée probable des approvisionnements renfermés dans les murs de la ville ; ni en parler trop tard, car si l'on attendait d'en être au dernier morceau de pain pour déposer les armes, on exposait deux millions d'hommes à mourir de faim, vu la lenteur des transports provenant du mauvais état des routes. On calculait qu'il ne faudrait pas moins de quinze jours pour faire affluer les denrées dans la grande ville. Ainsi, entamer prématurément des négociations avec l'ennemi, c'était provoquer peut-être une émeute, peut-être aussi se priver de la chance d'être secouru à temps par l'une des armées de province ; et attendre pour traiter avec l'ennemi d'avoir épuisé tous les vivres, c'était menacer Paris des horreurs de la famine. Il y avait donc un intérêt suprême à connaître avec exactitude la quantité de vivres qui restaient dans Paris. A cet égard, le gouvernement ne paraît jamais avoir été bien fixé. On se souvient des dépêches que M. Jules Favre avait adressées à la délégation de Tours : il annonçait que Paris tiendrait jusqu'au milieu de décembre, et l'insistance qu'il avait mise à poser cette date comme la limite extrême de la résistance avait obligé les armées de province à des mouvements précipités, qui restent l'une des causes les moins contestables de nos désastres.

Dans la séance du 13 décembre, M. Magnin, ministre du commerce, fournil des détails sur les approvisionnements restants. Une panique d'un caractère alarmant venait de se produire au sein de la population. Le bruit avait couru dans différents quartiers que le pain allait manquer : aussitôt la foule se précipite dans les boulangeries, qu'elle met au pillage. On emportait chez soi le plus qu'on pouvait ; une folle terreur s'était répandue de proche en proche, sans que personne pût s'en rendre compte : on se croyait tout à coup menacé de mourir de faim ; on avait la fièvre. Quelqu'un avait dit : « Le gouvernement va rationner le pain comme il a rationné la viande, » et le peuple en avait conclu qu'il n'y avait plus dans Paris ni blé ni farine. Le gouvernement s'empressa de rassurer la population : « On craint, disait-il, le rationnement du pain. La consommation du pain ne sera pas rationnée. Le gouvernement a le devoir de veiller à la subsistance de la population ; c'est un devoir qu'il remplit avec la plus grande vigilance. Nous sommes encore fort éloignés du terme où les approvisionnements deviendraient insuffisants. La plupart des sièges ont été troublés par des paniques. La population de Paris est trop intelligente pour que ce fléau ne nous soit pas épargné... Il est clair, disait encore le gouvernement, que s'il y a quatre pains pour quatre consommateurs et que l'un d'eux en achète trois, il condamne tous les autres à se contenter d'un tiers de ration. Voilà les effets de la peur. Certes, s'il fallait se résigner à de nouvelles privations, plus grandes que celles qu'on s'est imposées jusqu'à ce jour, il n'est pas douteux que Paris y consentît. Mais les approvisionnements existants dispensent de recourir à cette nécessité cruelle. La quantité de pain vendue quotidiennement n'a pas varié depuis le commencement du siège et rien ne fait prévoir qu'elle doive être diminuée. Il n'y aura de différence que pour la qualité. »

On avait eu recours, en effet, pour gagner quelques jours de vivres, à des mélanges de riz et d'avoine avec la farine. Le peuple de Paris mangea ce pain gluant et noir sans se plaindre. Les recherches faites dans les caves et les greniers secrets des marchands n'avaient amené que des résultats sans importance. Des ressources assez abondantes restaient dans les magasins de l'Etat. Dans la séance du 13 décembre, le ministre du commerce présente à ses collègues un relevé des approvisionnements qui peut conduire Paris jusqu'à la fin de décembre ; mais on avait encore pour trente-sept jours de viande. Le problème consistait à équilibrer la consommation du pain avec celle de la viande ; il fut résolu ; mais le pain des derniers jours du siège, noir mélange de paille et de riz, est resté fameux dans le souvenir des Parisiens. Avec ce pain, les assiégés obtenaient 30 grammes de viande de cheval par tête (90 grammes tous les trois jours). Souvent la viande était remplacée par du poisson salé ou des légumes secs. Le 16 décembre, le gouvernement avait mis en réquisition tous les chevaux, ânes et mulets et s'était réservé leur abatage.

Toujours harcelé par l'opinion publique, le général Trochu préparait une attaque contre l'armée assiégeante par la plaine Saint-Denis. Son objectif cette fois était le Bourget, ce village pris aux Prussiens, repris par eux le 30 octobre, et dont la perte, on s'en souvient, avait eu sur Paris un si fâcheux contre-coup. « Le Bourget n'entre pas dans notre système de défense » avait dit alors le général Trochu pour calmer l'émotion populaire. Il va cependant essayer de le prendre. Mais il ne se propose point de percer les lignes ennemies et de rejoindre Faidherbe en mouvement dans le Nord ; son ambition n'est point si haute. Son but est d'attirer l'infanterie allemande en plaine et de se mesurer avec elle. Les Allemands ne sont jamais sortis de leurs retranchements. Trochu va leur offrir-une bataille sur le vaste espace qui s'étend entre Saint-Denis et la forêt de Bondy. Le Bourget, dans cette opération, est la première étape. Ce point enlevé, on marchera contre les ouvrages établis par l'ennemi au-delà de la Morée. Pendant ce temps, à droite, sous la protection des batteries d'Avron, le général Vinoy, avançant par Ville-Evrard, Gournay et Chelles, est chargé de couper les communications de l'ennemi et de le rejeter hors de ses retranchements ; à gauche, une diversion sera opérée contre Montretout, Buzenval et la Malmaison.

Les troupes et la garde nationale sortent de Paris dans la nuit du 20 au 21 décembre pour prendre, de grand matin, leurs postes de combat ; elles se rangent en silence sur les pentes de Romainville et dans la plaine en avant d'Aubervilliers, Bobigny et Bondy. Un brouillard intense et glacial couvrait la plaine. Les bataillons de marche de la garde nationale sortent incessamment de Paris et viennent prendre position dans la plaine en arrière des troupes ; d'autres, suivant les hauteurs de Romainville et de Nogent, se dirigent sur les bords de la Marne. On marche avec entrain sous un ciel sombre et froid. Au jour naissant, des éclairs déchirent la brume épaisse : les forts de l'Est, de Romainville et de Noisy lancent une pluie d'obus sur le Bourget. Des wagons blindés qui se sont avancés sur la voie ferrée mêlent leurs feux à celui des forts. Pendant ce temps, les marins approchent, venant de Saint-Denis. Le Bourget est attaché de plusieurs côtés à la fois ; à l'ouest, le capitaine de frégate Lamothe-Tenet enlève les jardins et les maisons avec ses intrépides marins qui se précipitent sur l'ennemi, le fusil en bandoulière et la hache à la main. Du côté du sud, l'attaque, conduite par le général Lavoignet, rencontre une résistance plus sérieuse. Les troupes ont enlevé les premières maisons et déjà elles pénètrent dans le village, lorsqu'elles se heurtent dans la grande rue à une barricade vaillamment défendue par les Prussiens. Les murs crénelés abritent des tirailleurs dont le feu cause dans nos rangs de sérieux ravages. Le général Lavoignet recule hors du village ; de là, les troupes, mettant à profit les plis du terrain, continuent à tirer sur la barricade qu'elles n'ont pu forcer. Cependant les marins du capitaine Lamothe-Tenet, qui sont restés dans le village, voient arriver des renforts allemands et se trouvent dans une position très-critique. Une batterie d'artillerie amenée à Pont-Iblon couvre d'obus les maisons qu'ils occupent ; ils tiennent quand même, en attendant des secours. Sur ces entrefaites, le général Trochu accouru du fort d'Aubervilliers fait ouvrir le feu d'une batterie d'artillerie contre les murs crénelés du parc, qui couvrent le village du côté du sud ; ces obus vont tomber, pour la plupart, au milieu des intrépides marins aux prises avec des forces supérieures. Canonnés des deux côtés et ne voyant arriver personne à leur aide, ils se retirent en bon ordre et vont se masser dans un pli de terrain vers la Courneuve. Ils avaient tenu trois heures. Les masses ennemies arrivent dans le Bourget ; on ne peut plus songer à y rentrer. Alors les forts et les batteries reçoivent l'ordre de couvrir le village de leurs obus. A trois heures de l'après-midi, les troupes avaient repris leurs cantonnements. Les marins avaient essuyé des pertes sensibles. Une compagnie entière avait été détruite : il n'en resta que six hommes. Son chef, le lieutenant Peltereau, était tué. Nous avions, en outre, deux cent cinquante-quatre hommes hors de combat. Les lieutenants de vaisseau Morand, Laborde, les enseignes Duquesne, Wyts, étaient tués. Les lieutenants de vaisseau Bouisset et Patin, grièvement blessés, devaient, le lendemain, mourir des suites de leurs blessures. Les francs-tireurs de la Presse, qui s'étaient bien battus, avaient perdu environ quarante hommes. A droite, le général Ducrot s'était borné à engager un combat d'artillerie contre les batteries allemandes de Blanc-Mesnil et Pont-Iblon ; il s'était avancé jusqu'à Groslay et Drancy.

Du côté de la Marne, les généraux Malroy et Blaise, sous les ordres du général Vinoy, avaient occupé presque sans coup férir Neuilly-sur-Marne, Ville-Evrard et la Maison-Blanche. Mais la fin de la journée fut marquée par un douloureux incident. Des Prussiens étaient restés dans les caves de Ville-Evrard. Ils en sortent à la nuit, pendant que nos troupes sans défiance veillent autour des grands feux qu'elles viennent d'allumer. Surpris par cette attaque inattendue, nos soldats se troublent, courent au hasard. Le général Blaise s'élance pour les rallier ; il est tué presque à bout portant.

Ce nouveau combat du Bourget n'était donc pas plus heureux que le premier, quoiqu'on s'y fût préparé. Le général Trochu avait fait sortir de Paris des forces considérables : il ne s'en servit pas. Le petit corps commandé par l'amiral La Roncière le Noury supporta seul le choc de l'ennemi. Pendant que les marins se faisaient tuer dans le village en attendant des renforts, le général Ducrot laissait ses troupes au repos et se contentait d'un inutile combat d'artillerie ; les forts de l'Est et d'Aubervilliers jetaient des obus sur le village occupé par nos marins : le désordre du commandement avait été complet. Le général Trochu a écrit depuis que « le village du Bourget, que la marine avec son impétuosité ordinaire avait enlevé en partie, dut être évacué par elle, parce qu'elle ne fut pas suffisamment soutenue[7]. » Mais qui donc avait charge de la soutenir, sinon le commandant en chef, sinon le général Trochu en personne ? Qui doit-il accuser, si ce n'est lui-même ? Le rapport officiel rejeta aussi l'insuccès sur les contrariétés amenées par l'état de l'atmosphère justification dérisoire. Le général Trochu semble avoir voulu se borner à une démonstration militaire : il attendait l'infanterie ennemie dans la plaine Saint-Denis ; elle ne jugea pas à propos de sortir de ses retranchements, et le gouverneur de Paris s'est trouvé tout désorienté par suite de ce mauvais vouloir. Avec cent mille hommes en ligne, il laisse écraser dans le Bourget les braves marins de Saint-Denis ; avec la puissante artillerie que lui a donnée M. Dorian, il ne détruit pas les ouvrages allemands qui arrêtent l'essor de nos troupes. Il avait annoncé que l'attaque du Bourget n'était que le commencement d'une série d'opérations militaires ; les troupes furent ramenées dans leurs cantonnements. Un froid intense s'était déclaré dans la nuit du 22 décembre ; la terre durcie se refusait aux travaux de la pioche. Un grand nombre d'hommes couchés sur le sol avaient eu les pieds gelés. Le moral des troupes était d'ailleurs profondément atteint par ces sorties sans objet. L'extrême rigueur de la température vint en aide au découragement du gouverneur de Paris. Les troupes rentrèrent, les opérations militaires furent abandonnées. Le Journal officiel expliquait aux Parisiens le motif de l'inaction à laquelle on le condamnait. Après avoir exposé le but du combat livré le 21 et constaté l'insuccès de l'opération, le général Trochu ajoutait qu'à partir de ce moment la santé des troupes devait être considérée comme sérieusement atteinte, que les cas de congélation contre lesquels l'activité des travaux entrepris était impuissante s'étaient multipliés dans une proportion menaçante cl que les travaux eux-mêmes avaient dû être abandonnes par suite de la dureté du sol.

« Assurément, disait-il, prévoyant bien les objections, l'ennemi, dans ses positions, est assujetti aux mêmes sévices. Mais ses soldats sont des hommes du nord ; les nôtres, originaires de contrées dont le climat est chaud ou tempéré, en éprouvent des effets plus caractérisés, et leur santé, dans une campagne de plein hiver, réclame des ménagements particuliers. Dans cette situation, et quelque douloureuse que pût être la suspension temporaire des opérations, le devoir de les continuer était primé par le devoir de donner aux troupes un repos cl des soins devenus indispensables. »

Les travaux de cheminement entrepris dans la plaine d'Aubervilliers pour atteindre le Bourget furent donc abandonnés, et les troupes rentrèrent dans Paris. L'irritation contre le général Trochu était au comble : le peuple l'accusait d'incapacité ; l'armée elle-même n'avait plus pour lui le respect qu'on doit à un commandant en chef. L'irrésolution du gouverneur, l'absence de suite dans ses projets, ses talonnements perpétuels étaient devenus le thème ordinaire des officiers. Dans le sein du gouvernement, on agitait la question de son remplacement et de la convocation d'un conseil militaire. Dans la séance du 26 décembre, MM. Garnier-Pagès, Picard et Simon demandent que l'action militaire soit soumise à un contrôle sérieux. Le ministre de la guerre n'est-il pas le supérieur militaire du gouverneur ? La question ajournée est reprise à la séance suivante ; le général Trochu venait de publier la note dont on a donné le résumé, annonçant que, vu les grands froids survenus, les travaux entrepris dans la plaine Saint-Denis devaient être abandonnés. M. Jules Favre estime que si la gelée empêche aujourd'hui de se battre, ce sera demain un autre motif. Restera-t-on dans l'inaction jusqu'au printemps ? M. Arago partage le sentiment de M. Jules Favre. Exprimer publiquement des opinions comme celles du général Trochu, c'est réduire Paris à une capitulation dont il ne veut, lui, à aucun prix ; il préfère quitter le gouvernement. On aura, dit-il, triplé la honte de Bazaine en capitulant avec trois fois plus de troupes que lui.

Voilà pourquoi, dit M. Jules Favre, il faut à Paris une autre direction militaire. Certes il reconnaît le « grand cœur » du général Trochu, mais il n'est pas aussi sûr de ses facultés militaires. Il critique la dernière opération du Bourget, il demande que le gouvernement intervienne et que le gouverneur soit appelé à une réunion où siégeront tous les généraux de l'armée.

Le général Le Flô combat cette proposition. M. Garnier-Pagès l'approuve, au contraire, et se déclare partisan d'une conférence qui couvrira la responsabilité du général lui-même. Ce n'est pas un conseil de guerre que souhaite M. Ferry, mais une conférence militaire ; non pas que les généraux de l'armée de Paris lui inspirent une grande confiance : à part MM. Ducrot et Trochu, M. Ferry tient tous les généraux en complète méfiance. Les généraux Le Flô et Schmitz, présents à la séance, protestent avec vivacité ; établir un conseil de tutelle, c'est, suivant eux, provoquer la dissolution de l'armée. M. Picard fait observer que le général Trochu a exercé pondant trois mois une dictature absolue, et cependant rien n'a marché. Que faire ? Enlever à M. Trochu la direction des affaires militaires et la confier à un autre sous le contrôle du gouvernement.

Le conseil décide que le général Trochu sera convoqué le lendemain et invité à exposer ses vues.

Cette séance offre un intérêt historique.

Le général Trochu se déclare prêt à se retirer, si l'on croit que sa retraite puisse prolonger la durée de la résistance. Si on espère le succès avec un autre chef, il ne faut pas hésiter. Quant à lui, il a craint souvent un grand désastre, qu'il a su éviter jusqu'ici ; cela, il est vrai, ne suffit pas à la foule qui demande des victoires, mais il estime qu'on ne percera pas les lignes ennemies ; il faut s'y résigner. Il engage le conseil à consulter les généraux, en ayant soin de le prévenir que les « plus ambitieux ne sont pas toujours les meilleurs. »

Le général Le Flô est d'avis de continuer la lutte jusqu'au dernier moment ; c'est un devoir, car il n'est pas certain qu'après la chute de Paris la France puisse résister encore. Au dernier moment, il faudra former trois groupes pour essayer de forcer les lignes prussiennes ; il n'admet pas que 300.000 hommes armés, disposant de 300 pièces de canon attelés, puissent déposer leurs armes. Peut-on destituer le gouverneur ? Il ne le pense pas, mais le gouvernement doit prendre part à l'action militaire.

Mis en cause par ses collègues, le général Trochu se défend : il rappelle l'état militaire de Paris au moment de l'investissement : il n'y avait sous ses murs aucune force organisée. Il a créé une armée. L'échec du Bourget vient, dit-il, de ce qu'un régiment s'est débandé[8]. On l'accuse d'avoir manqué d'audace ; mais il a toujours procédé par coups d'audace. L'armée est découragée ; elle se plaint de fournir à la population des représentations militaires. Quant à lui, il s'est usé à la tâche, il le reconnaît, et' il est d'avis d'inviter les généraux à désigner un nouveau commandant militaire. Le système de défense à adopter est, suivant lui, celui-ci : tenir tant qu'une armée en province sera debout, et tant que Paris aura du pain, prendre une attitude expectante. On serait disposé à risquer toute l'armée d'un seul coup ; il s'y oppose de toutes ses forces, il ne veut plus de ces représentations sanglantes dans un but politique. L'armée n'en veut pas davantage. Si l'on persiste, il se retirera.

Le conseil conclut à l'unanimité qu'il n'y a pas lieu d'ôter le commandement militaire au gouverneur, et que celui-ci n'a pas le droit de se retirer sans y être autorisé. Mais il croit qu'il sera utile d'entendre d'autres généraux pour se former une opinion. Les généraux Ducrot, Vinoy et l'amiral La Roncière le Noury seront entendus[9].

M. Jules Favre, à cette date, jette le cri d'alarme ; il écrit à M. Gambetta qu'après la journée du 21 le gouverneur a voulu faire des cheminements pour arriver au Bourget ; que, le 23, le froid a commencé à sévir avec une violence inouïe, que les troupes ont beaucoup souffert de l'abaissement de température et qu'il a fallu les cantonner. Puis jetant un regard sur Paris :

« Paris, écrit-il, malgré son enthousiasme et sa confiance, comprend mal ces retards ; nous nous en affligeons et nous pressons le général Trochu qui répond que son armée est fort ébranlée par tant de causes réunies de douloureuses épreuves. Avant-hier cependant, il avait consenti à réunir un conseil de guerre. Mais voici qu'hier matin l'ennemi a ouvert un feu très-vif entre les forts de Rosny, de Noisy, de Nogent et contre le plateau d'Avron... Vous comprenez que cet incident a empêché la réunion du conseil. Cependant on crie de tous côtés qu'il faut agir. L'exaltation de Paris augmente avec sa souffrance, et il s'exaspère d'autant plus qu'il pressent que le moment n'est pas loin où la résistance deviendra impossible. Or, il veut qu'elle soit possible, et il est résolu dans ce but à se porter aux dernières extrémités. Dans cet état violent, nul ne peut prévoir quelle sera la solution. Les clubs s'agitent, prêchent la guerre civile et l'assassinat. Des bandes dévastent les chantiers et les clôtures, pillent les jardins pour en scier les arbres. Nous avons ordonné des répressions sévères : la garde nationale a beaucoup de peine à dominer ce mouvement. » La dépêche se terminait par ces mots : « Si les gens de la Commune n'amènent pas une sédition, nous tiendrons trois semaines encore. D'ici là vous devez nous arriver d'un côté ou de l'autre. »

L'abandon précipité du plateau d'Avron fut pour les Parisiens un nouveau sujet d'exaspération. Ce plateau, situé à l'est de Paris, commande le cours de la Marne ; il était resté jusque dans les premiers jours de décembre un terrain neutre. Les Allemands ne pouvant s'y établir solidement à cause du voisinage du fort de Rosny, s'étaient contentés d'y placer des postes. Quelques jours avant la bataille de Champigny, on avait résolu d'en faire un camp retranché et de le garnir de batteries de marine qui balayeraient d'un côté le Raincy, occupé par les Prussiens, et de l'autre les hauteurs qui couronnent la rive gauche de la Marne, de Bry à Gournay, et de Chelles à Gagny, sur la rive droite. On commença par établir quatre batteries sur le versant sud, en face de Neuilly-sur-Marne, puis deux batteries de gros calibre sur le côté oriental en face de Chelles ; une batterie menaçant Gagny, et à l'extrémité gauche du parc de Beau-Séjour, une batterie destinée à battre les bois de Raincy. Toutes ces batteries furent reliées par des ouvrages. Une vaste tranchée qui descendait jusqu'au cimetière de Rosny était destinée à protéger la retraite, si jamais l'on était chassé du plateau. Tous ces travaux furent accomplis sans plan d'ensemble, et comme au hasard. Les abris blindés faisaient entièrement défaut et les tranchées étaient insuffisantes dans la prévision d'un bombardement à feux croisés du Raincy d'une part, et de Chelles et Gournay d'autre part. Voulait-on garder le plateau, le défendre à outrance ? Il fallait y creuser des abris sûrs où le soldat pût défier les obus. Se proposait-on, au contraire, de l'abandonner à la première attaque ? Alors, à quoi ton y placer plus de soixante-dix pièces d'artillerie et exposer à un feu meurtrier les troupes qui les gardaient ? L'indécision et le décousu furent, ici comme ailleurs, le caractère propre du général Trochu : il ne sut pas ce qu'il voulait faire. Quand l'ennemi commença le bombardement du plateau, le gouverneur comprit l'énormité de sa faute ; mais il était trop tard pour la réparer.

Commencé le 27 décembre de grand malin, le bombardement prit dès le début un caractère alarmant. Les Prussiens tiraient sur le plateau de trois endroits à la fois ; trois batteries à Gagny, trois à Noisy-le-Grand, trois au pont de Gournay, croisant leurs feux avec les batteries du Raincy, sillonnaient Avron dans tous les sens : les troupes s'étaient réfugiées dans les tranchées et dans les plis de terrain ; les batteries répondaient, mais elles étaient pour la plupart d'un trop faible calibre pour lutter avec avantage contre les canons Krupp. Plusieurs pièces prises en écharpe furent démontées, leurs servants tués. Dans la première journée, soixante hommes furent mis hors de combat. Quelques bataillons s'étaient débandés et avaient cherché un refuge dans les localités voisines : la démoralisation était alarmante. Le général Trochu accourut sur le plateau à la nouvelle du bombardement et, jugeant la position intenable, il donna l'ordre de battre en retraite dans la nuit. Les pièces d'artillerie purent, au prix des plus grands efforts, être ramenées en arrière des forts, qui étaient eux-mêmes bombardés avec une fureur indiquant chez l'ennemi l'impatience d'en finir avec une résistance trop longue. Les forts de Nogent, Rosny et Noisy reçurent dans les journées du 30 décembre au 2 janvier une grêle de projectiles[10]. Les marins réparaient pendant la nuit les dégâts faits dans le jour aux ouvrages des forts ; les blindages des poudrières étaient insuffisants contre l'artillerie nouvelle ; ils les consolidaient en les couvrant de sacs à terre. Dans les forts de Rosny, l'artillerie de la garde nationale partageait courageusement ces pénibles travaux et s'exposait sans peur à la mort pour servir les pièces et répondre à l'ennemi.

La nouvelle de l'abandon du plateau d'Avron occasionna dans la ville un grand tumulte. C'était un échec, et rien n'irrite comme un échec que l'on aurait pu s'épargner par de la décision et de la prévoyance. Le général Trochu fut accusé hautement d'incapacité ; quelques-uns murmuraient le mot de trahison. De telles aventures n'étaient pas faites, en effet, pour fermer la bouche aux hommes qui avaient tenté de renverser le gouvernement dans la nuit du 31 octobre. Le peuple patient et patriote qui se résignait sans murmure à toutes les privations commençait à prendre ombrage contre le général en chef qui ne montrait d'énergie que dans ses proclamations. « Qu'il cède, disait-on, sa place à un autre. Nous ne voulons pas être livrés sans combattre ; nous nous soumettons au pain noir, aux rigueurs de l'hiver, aux épidémies, qui moissonnent nos vieillards et nos enfants ; nous faisons ces sacrifices à la patrie et à l'honneur : c'est bien le moins qu'en retour le commandement militaire remplisse son devoir. » Les femmes se montraient encore plus ardentes que les hommes, parce que les souffrances du siège les touchaient davantage. Des groupes se formaient dans les rues et sur les boulevards, l'animation était très-grande, et le général Trochu ne rencontrait plus un seul défenseur. Il essaya de calmer les esprits par une proclamation :

Citoyens, soldats,

De grands efforts se font pour rompre le faisceau des sentiments d'union et de confiance réciproques auxquels nous devons de voir Paris, après plus de cent jours de siège, debout et résistant. L'ennemi, désespérant de livrer Paris à l'Allemagne pour la Noël, comme il l'a solennellement annoncé, ajoute le bombardement de nos avancées et de nos forts aux procédés si divers d'intimidation par lesquels il a cherché à énerver la défense. On exploite devant l'opinion publique les mécomptes dont un hiver extraordinaire, des fatigues et des souffrances infinies ont été la cause pour nous. Enfin, on dit que les membres du gouvernement sont divisés dans leurs vues sur les grands intérêts dont la direction leur est confiée.

L'armée a subi de grandes épreuves, en effet, et elle avait besoin d'un court repos que l'ennemi lui dispute par le bombardement le plus violent qu'aucune troupe ait jamais éprouvé. Elle se prépare à l'action avec le concours de la garde nationale de Paris, et, tous ensemble, nous ferons notre devoir.

Enfin, je déclare ici qu'aucun dissentiment ne s'est produit dans les conseils du gouvernement, et que nous sommes tous étroitement unis en face des angoisses et des périls du pays, dans la pensée et dans l'espoir de sa délivrance.

Le gouverneur de Paris,

Général TROCHU.

 

Ces phrases vides et froides n'exerçaient plus aucune influence ni sur le peuple ni sur l'armée. On était las de ces assurances et de ces promesses toujours démenties par les événements. Le général Trochu n'était, d'ailleurs, pas sincère en rejetant sur de prétendus agitateurs la responsabilité du mécontentement qui éclatait de toutes parts avec une intensité croissante. Si la confiance avait fait place au doute et à la défiance, la faute n'en était pas aux ennemis du gouvernement, mais à ses propres maladresses, à l'incertitude qui régnait dans ses opérations, au décousu de ses desseins, à ses fautes répétées. Le général Trochu était-il plus sincère en niant l'existence des ressentiments survenus entre lui et ses collègues ? On sait ce qu'il en faut penser, quand on a vu ce qui s'était passé dans la séance tenue quelques jours auparavant.

L'émotion était à son comble, quand se réunit le conseil de guerre convoqué par le gouvernement pour savoir ce que les officiers généraux pensaient de la situation. Étaient présents les amiraux La Roncière et Pothuau, les généraux Ducrot, Vinoy, Tripier (du génie), Frébault, de Chabaud La Tour, Guiod (artillerie), Noël, de Bellemare, Clément Thomas (garde nationale), et les membres du gouvernement. Le général Trochu, qui préside la séance, expose le motif de la réunion : il a convoqué tous les officiers présents, ses collaborateurs, afin que le gouvernement puisse interroger directement les hommes qui vivent avec l'armée, qui la connaissent, cl qui savent ce qu'on peut attendre d'elle.

M. Jules Favre, prenant la parole, retrace l'œuvre accomplie depuis le jour où Paris fut investi : on était sans armée et sans artillerie, on a fondu des canons et levé des soldats. L'ennemi n'a pas attaqué : on est allé à lui, on lui a livré des combats partiels qui n'ont pas été couronnés de succès. Cependant Paris demande la lutte à outrance ; il presse le gouverneur et les commandants militaires de tenter une grande sortie afin d'aller rejoindre les armées de province. Le gouvernement est bien obligé de tenir compte d'une volonté si nettement exprimée, sous peine d'être emporté dans une tempête. Les officiers présents croient-ils que des opérations militaires soient encore possibles et qu'on puisse combiner les efforts de l'armée avec ceux de la garde nationale ? Telle est la question sur laquelle le gouvernement appelle la réponse des officiers de l'armée de Paris.

Le général Ducrot, qui prend le premier la parole, répond qu'il n'a jamais cherché à bercer les autres d'illusions qu'il n'a pas. Il ne compte ni sur l'armée de la Loire, ni sur l'armée de Paris ; elles sont l'une et l'autre incapables de percer les lignes prussiennes. Les efforts qu'il a lui-même tentés à Châtillon et à la Malmaison ne lui ont laissé aucun espoir de succès. La sortie en masse que réclame la population lui paraît une folie ; les premiers obus qui tomberaient dans cette multitude inexpérimentée amèneraient une débandade honteuse. C'est tout au plus si l'on pourrait essayer de faire sauver une partie de l'armée en lançant sur la ligne d'investissement des hommes choisis, mais c'est un moyen extrême auquel il faut également renoncer, à cause de la fatigue et du découragement des troupes.

Le général Vinoy constate à son tour la démoralisation de l'armée ; il estime toutefois qu'il ne serait peut-être pas impossible de faire une tentative suprême pour se frayer un passage. Les généraux Noël, Schmitz, de Bellemare, Tripier, Frébault, les amiraux Pothuau et La Roncière expriment tour à tour une opinion analogue : la trouée est impossible, mais, d'un autre côté, on ne peut pas faire déposer les armes à trois cent mille hommes sans combattre ; l'honneur exige donc qu'avant de succomber on livre une dernière bataille.

La garde nationale sera-t-elle engagée dans ce combat suprême comme elle le demande énergiquement ? Le général Ducrot se prononce pour la négative ; on doit donner à la garde nationale le service des tranchées, mais elle n'est ni assez instruite ni assez disciplinée pour combattre en rase campagne. Le général Clément Thomas est d'un avis contraire. On juge la garde nationale, ou plutôt on la condamne avant de l'avoir vue à l'œuvre. Pour savoir ce que vaut son courage, il faut commencer par le mettre à l'épreuve ; c'est ce qu'on n'a pas fait jusqu'à présent, malgré des instances réitérées. Qui sait, d'ailleurs, si la présence de la garde nationale ne stimulera pas l'amour-propre de l'armée et réciproquement ? Cette opinion, combattue par le général Vinoy, est appuyée par le général de Bellemare.

Le conseil de guerre se sépare sans avoir pris aucune résolution importante ; le gouvernement doit décider en dernier ressort. Mais quelle que soit sa décision, toute tentative militaire ne sera plus désormais qu'une sanglante parade ; les chefs militaires sont entrés dans la période du désespoir ; aucun d'eux n'a prononcé le mot de capitulation ; mais le mot était présent à tous les esprits pendant les débats dont l'on vient de lire l'analyse. Il ne restait plus qu'à choisir le jour et le lieu du sacrifice.

Avant de se séparer, le conseil avait approuvé la note suivante qui parut dans le Journal officiel du 1er janvier :

Au moment où l'ennemi menace Paris d'un bombardement, le gouvernement, résolu à lui opposer la plus énergique résistance, a réuni en conseil de guerre, sous la présidence du gouverneur, les généraux commandant les trois armées, les amiraux commandant les forts, les généraux des armes de l'artillerie et du génie. Le conseil a été unanime dans l'adoption des mesures qui associent la garde nationale, la garde mobile et l'armée à la défense la plus active.

Ces mesures exigent le concours de la population tout entière. Le gouvernement sait qu'il peut compter sur son courage et sur sa volonté inflexible de combattre jusqu'à la délivrance. Il rappelle à tous les citoyens que dans les moments décisifs que nous allons traverser l'ordre est plus nécessaire que jamais. Il a le devoir de le maintenir avec énergie ; on peut compter qu'il n'y faillira pas.

 

La grande cité bouillonnait : l'instinct populaire, avec sa merveilleuse clairvoyance, avait deviné le découragement des chefs de l'armée ; on se sentait rouler sur la pente fatale d'une grande catastrophe. Gomme on voyait la garde nationale pleine d'ardeur et prête à tous les sacrifices, on croyait l'armée et la garde mobile animées des mêmes sentiments et le succès paraissait encore possible. Toutefois des indices peu équivoques du découragement des troupes étaient journellement recueillis. Les soldats de la ligne et les mobiles appelaient ironiquement les gardes nationaux les « à outrance » et ne leur épargnaient pas les quolibets, quand ils les voyaient passer. Ils traitaient volontiers leur belle ardeur patriotique comme une flamme éphémère destinée à s'évanouir au premier aspect de l'ennemi. La garde nationale essuyait sans humeur ces plaisanteries inoffensives, bien convaincue que ceux qui la raillaient si volontiers marcheraient avec elle aussitôt que le signal serait donné. Mais qui le donnerait, ce signal ? Est-ce le commandement militaire qui, depuis cent jours de siège, avait montré tant de défaillances ? Une grande partie de la population ne l'espérait plus. Le général Trochu était hautement accusé d'impéritie, Ce n'étaient plus seulement les clubs qui demandaient son remplacement par un chef plus énergique ; c'était la presse presque tout entière ; c'étaient les autorités municipales elles-mêmes. Le gouvernement, en voyant approcher la crise finale, avait pris le parti d'associer plus directement les maires de Paris à la gestion des affaires publiques. Tous les huit jours, ces magistrats, réunis sous la présidence du ministre de l'intérieur, exposaient les besoins, les demandes, les plaintes de leurs administrés. Ils apportèrent bientôt l'expression de l'irritation publique contre le général Trochu. Dans la séance du 5 janvier, M. Delescluze, maire du 19e arrondissement et rédacteur en chef du Réveil, donna lecture d'une adresse ou plutôt d'un acte d'accusation concluant à l'adoption immédiate des mesures suivantes :

Démission des généraux Trochu, Clément Thomas et Le Flô ;

Renouvellement des comités de la guerre et rajeunissement des états-majors ;

Renvoi au conseil de guerre des généraux et officiers de tout grade qui prêchent le découragement dans l'armée ;

Mobilisation successive de la garde nationale parisienne ;

Institution d'un conseil suprême de défense où l'élément civil ne soit plus subalternisé à l'élément militaire ;

Intervention directe et permanente de Paris dans la question de ses propres affaires si intimement liées aux intérêts de la défense ;

Enfin, adoption de toute mesure de salut public, soit pour assurer l'alimentation de Paris, soit pour adoucir les cruelles souffrances imposées à la population de Paris par l'état de siège, et aussi par la regrettable incurie du pouvoir.

 

Le ministre de l'intérieur s'étant opposé à la mise en discussion du programme de M. Delescluze, celui-ci se retira et envoya au gouvernement sa démission de maire. Ses deux adjoints, MM. Quentin et Oudet, suivirent' son exemple. La mairie du 19e arrondissement fut administrée par une commission municipale.

Un autre avertissement, bien plus redoutable, était donné au gouvernement par les meneurs qui avaient tenté de le renverser au 31 octobre et qui épiaient toujours l'occasion de prendre leur revanche. Une grande affiche rouge fut placardée sur les murs de Paris, dans la nuit du 5 au 6 janvier, comme un appel à la guerre civile immédiate :

AU PEUPLE DE PARIS,

Les délégués des vingt arrondissements de Paris.

Le gouvernement qui, le 4 septembre, s'est chargé de la défense nationale a-t-il rempli sa mission ? — Non !

Nous sommes 500.000 combattants, et 200.000 Prussiens nous étreignent ! A qui la responsabilité, sinon à ceux qui nous gouvernent ? Ils n'ont pensé qu'à négocier, au lieu de fondre des canons et de fabriquer dos armes.

Ils se sont refusés à la levée en masse.

Ils ont laissé en place les bonapartistes et mis en prison les républicains.

Ils ne se sont décidés à agir enfin contre les Prussiens qu'après deux mois, au lendemain du 31 octobre.

Par leur lenteur, leur indécision, leur inertie, ils nous ont conduits jusqu'au bord de l'abîme : ils n'ont su ni administrer, ni combattre, alors qu'ils avaient sous la main toutes les ressources, les denrées et les hommes.

Ils n'ont pas su comprendre que, dans une ville assiégée, tout ce qui soutient la lutte pour sauver la patrie possède un droit égal à recevoir d'elle la subsistance ; ils n'ont su rien prévoir : là où pouvait exister l'abondance, ils ont fait la misère ; on meurt de froid, déjà presque de faim : les femmes souffrent ; les enfants languissent et succombent.

La direction militaire est plus déplorable encore : sorties sans but ; luttes meurtrières sans résultats ; insuccès répétés, qui pouvaient décourager les plus braves ; Paris bombardé. — Le gouvernement a donné sa mesure ; il nous tue. — Le salut de Paris exige une décision rapide. — Le gouvernement ne répond que par la menace aux reproches de l'opinion. Il déclare qu'il maintiendra l'ORDRE, — comme Bonaparte avant Sedan.

Si les hommes de l'Hôtel-dr-Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance.

La municipalité ou la Commune, de quelque nom qu'on l'appelle, est l'unique salut du peuple, son seul recours contre la mort.

Toute adjonction ou immixtion au pouvoir actuel ne serait rien qu'un replâtrage perpétuant les mêmes errements, les mêmes désastres. Or, la perpétuation de ce régime, c'est la capitulation, et Metz et Rouen nous apprennent que la capitulation n'est pas seulement encore et toujours la famine, mais la ruine de tous, la ruine et la honte ! — C'est l'armée et la garde nationale transportées prisonnières en Allemagne, et défilant dans les villes sous les insultes de l'étranger ; le commerce détruit, l'industrie morte, les contributions de guerre écrasant Paris : voilà ce que nous prépare l'impéritie ou la trahison.

Le grand peuple de 89, qui détruit les Bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il, dans un désespoir inerte, que le froid et la famine aient glace dans son cœur, dont l'ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang ? — Non !

La population de Paris ne voudra jamais accepter ces misères et cette honte. Elle sait qu'il en est temps encore, que des mesures décisives permettront aux travailleurs de vivre, à tous de combattre.

Réquisitionnement général. — Rationnement gratuit. — Attaque en masse.

La politique, la stratégie, l'administration du 4 septembre, continuées de l'Empire, sont jugées. Place au peuple ! Place à la Commune !

 

Les délégués des vingt arrondissements de Paris,

 

Adoué, Ansel, Antoine Arnaud, J.-F. Arnaud, Edm. Aubert, Babiek, Baillet père, A. Baillet, Bodouch, Ch. Beslay, J.-M. Boitard, Bonnard, Casimir Bonis, Léon Bourdon, Abel Bousquet, V. Boyer, Brandely, Gabriel Brideau, L. Caria, Caullet, Chalvet, Champy, Chapitel, Charbonneau, Chardon, Chartini, Eugène Châtelain, A. Chaudet, J.-B. Chautard, Chauvière, Clamousse, A.Claris, Clavier, Clémence, Lucien Gombatz, Julien Conduché, Delage, Delarue, Demay, P. Denis, Dereux, Durins, Dupas, Duval, Duvivier, R. Estieu, Fabre, F. Félix, Jules Ferré, Th. Ferret, Flotte, Fruneau, C.-J. Garnier, L. Garnier, M. Carreau, Gentilini, Ch. Gérardin, Eug. Gérardin, L. Genton, Gillet, P. Girard, Giroud-Trouillier, J. Gobert, Albert Goullé, Grandjean, Grot, Henry, Fortuné Henry, Hourtoul, Alph. Humbert, Jamet, Johannard, Michel Joly, Jousset, Jouvard, Lacord, I.afargue, Laffitte, A. Lallement, Lambert, Lange, J. Larmier, Lavorel, Leballeur, F. Lomaître, E. Leverdays, Armand Lévy, Lucipia, Ambroise Lyaz, Pierre Mallet, Malon, Louis Marchand, Marlier, J. Martelet, Constant Martin, Maullion, Léo Melliet. X. Missol, docteur Tony Moilm, Molleveaux, Montelle, J. Montels, Mouton, Myard, Napias-Piquet, Emile Oudet, Parisel, II. Piednoir, Pérève, docteur Pillot, Pindy, Martial Portalier, Puget, D-Th. Régere, Retterer aîné, Aristide Rey, J. Richard, Roselli-Mollet, Edouard Roullier, Benjamin Sachs, Sainson, Th. Sapia, Sallée, Salvador Daniel, Schneider, Seray, Sicard, Stordeur, Tardif, Tredlard, Tessercau, Thaller, Theisz, Thiollier, Tridon, Urbain, Viard, Ed. Vaillant, Jules Valles, Viellet[11].

 

C'était la réponse des partisans de la Commune à la note gouvernementale annonçant aux meneurs que l'ordre serait maintenu avec énergie. Cet appel de gens sans mandat n'exerça d'ailleurs aucune influence sur la population parisienne, dont on essayait perfidement d'exploiter les douleurs. Ces inconnus aspirant à remplacer le gouvernement inspiraient une répulsion profonde : leurs affiches furent lacérées avec plus de dégoût que de colère ; eux-mêmes, pour la plupart, furent arrêtés et traduits devant les conseils de guerre[12].

 

Ces agitateurs avaient cru saisir un moment opportun pour soulever Paris contre le gouvernement de l'Hôtel-de-Ville. La surexcitation et la fièvre avaient atteint leur apogée : les Prussiens foudroyaient de leurs obus la grande cité qui ne leur ouvrait pas ses portes. Cent dix jours de siège semblaient avoir épuisé leur patience. Dans la nuit du 5 janvier, l'état-major allemand commence le bombardement des forts du sud ; l'horizon s'allume, Vanves et Issy sont, comme les forts de l'est, couverts de mitraille ; bientôt un sillon de feu plus allongé traverse le ciel : un obus tombe dans le quartier Saint-Jacques. Les quartiers d'Auteuil, de Montrouge, Saint-Germain et Montparnasse voient tout à coup la sinistre lueur des projectiles qui s'abattent sur les maisons, tuant dans leurs lits les enfants endormis, les vieillards, les malades. Les monuments surmontés de la croix de Genève sont des premiers atteints. Le massacre des malades et des blessés dans les hôpitaux en rendant le bombardement plus horrible doit, — ainsi pensent les Prussiens, — produire sur l'opinion une terreur plus grande et hâter la reddition de la ville. L'hôpital du Val-de-Grâce, objectif des artilleurs allemands, est plusieurs fois atteint. Dans la nuit du 9 janvier, deux soldats blessés sont tués dans leur lits. Une femme est tuée dans l'hospice de la Pitié. Pendant qu'on descend les malades dans les caves, plus de trente obus éclatent coup sur coup sur l'asile. Le 12 janvier, on compte cinq victimes dans l'institution des Jeunes-Aveugles ; dans les hospices de l'Enfant-Jésus et de la Maternité, cinq élèves sage-femmes sont blessées ; un obus éclate dans la salle des malades de l'ambulance établie à l'école normale ; l'hôpital de Lourcine, l'ambulance de Sainte-Périne, l'hôpital Necker, la prison de Sainte-Pélagie, l'Hôtel des Invalides, tous les établissements hospitaliers, en un mot, servent d'objectifs aux soldats du pieux et mystique roi Guillaume. Un seul projectile éclatant dans le dortoir d'une école située rue Vaugirard tue quatre enfants et en blesse cinq autres. Le musée du Luxembourg, qui renferme les chefs-d'œuvre de l'art moderne, ne pouvait pas échapper à la basse jalousie des Teutons : plus de vingt obus y éclatent en quelques heures. Les fameuses serres du muséum, qui n'avaient pas de rivales dans le monde, furent visées par les savants d'outre-Rhin et détruites. L'académie des sciences adopta, dans sa séance du 5 janvier, une inscription destinée à transmettre aux générations futures le souvenir du vandalisme allemand ; elle est ainsi conçue :

« Le Jardin des plantes médicinales, fondé à Paris par édit du roi Louis XIII, à la date du 3 janvier 1636, devenu le Muséum d'histoire naturelle le 23 mai 1794, fut bombardé sous le règne de Guillaume Ier, roi de Prusse, comte de Bismarck chancelier, par l'armée prussienne, dans la nuit du 8 au 9 janvier. Jusque-là il avait été respecté de tous les partis et de tous les pouvoirs nationaux et étrangers. »

Le Panthéon, la Sorbonne, l'école normale, l'école polytechnique, tout ce qui représente ou la gloire de la France, ou la science ou l'art, tout ce qui porte ombrage à la pédantesque et grossière Allemagne est visé par des soudards qui sont la honte de la civilisation. Il y avait dans les hôpitaux menacés un certain nombre de soldats allemands prisonniers et blessés ; on les enferme généreusement dans des abris casematés pour les sauver des obus de l'Allemagne[13].

Les Prussiens ouvraient leur feu à six heures du soir et cessaient à cinq heures du matin. Ils calculaient que le bombardement est plus horrible pendant la nuit et le fracas des obus plus saisissant : l'artilleur qui allume un incendie peut au moins en contempler le spectacle. A Paris, comme à Strasbourg, comme à Toul, on espère frapper les esprits, provoquer les défaillances, exciter les discordes civiles, et voir enfin les portes s'ouvrir. C'est ce que M. de Bismarck appelle, dans sa langue savante, le « moment psychologique. » Pour arriver plus vite à ses fins, l'état-major allemand avait commencé le bombardement sans avertissement préalable, sans sommation, à la façon d'un peuple sauvage affamé de destruction. Le roi de Prusse, les princes allemands, les philosophes éprouvaient une volupté singulière à voir jaillir les gerbes enflammées des monuments consacrés aux arts et aux sciences. Ils battaient des mains quand un projectile éclatait sur un établissement hospitalier plein de blessés et de malades : ils croyaient répandre la terreur, ils n'éveillaient dans les cœurs qu'une sourde colère.

Les habitants des quartiers bombardés fuyaient ou se réfugiaient dans les caves. On voyait, dans le jour, le défilé lamentable de ces émigrants emportant leur mobilier, leur linge, leurs matelas sur les épaules ; on les voyait arracher du milieu des décombres le berceau de l'enfant, les objets précieux de la famille, les souvenirs aimés. Les femmes, admirables de courage et de fermeté, ne pâlissaient pas plus devant les obus qu'elles n'avaient tremblé devant la perspective de la famine. Le morceau de viande de cheval gagné par de longues heures d'attente dans la neige n'avait point abattu leur constance ; elles avaient encore de la persévérance en réserve. Inaccessibles à l'intimidation prussienne, on les vit « faire la queue » sous les obus, exciter les bataillons qui allaient aux remparts. Un grand nombre de familles avaient refusé de quitter leurs demeures : on vit des vieillards affronter la mort plutôt que de s'éloigner des murs où leur existence s'était paisiblement écoulée. La nuit, on descendait des matelas dans les caves. On s'était fait à cette existence souterraine, entrecoupée d'émotions poignantes. Quelques-uns, sous cet ouragan de fer, dormaient ; d'autres, écoutant venir le sifflement des obus, anxieux, se tenaient prêts à éteindre les incendies dont les rouges lueurs arrivaient par les soupiraux. On avait disposé sur le palier de chaque maison, à chacun des étages, des récipients pleins d'eau. Des veilleurs placés dans des endroits élevés signalaient aux pompiers les commencements d'incendie. Au signal convenu, tous accouraient, malgré les bombes. La noble émulation du dévouement animait toutes les classes de la société.

Loin d'abattre le courage de Paris, comme les Prussiens l'avaient espéré, le bombardement ne fit qu'exalter son patriotisme. Le Journal officiel publiait chaque matin le chiffre des victimes de la nuit. Voici quelques-uns de ces chiffres :

Nuit du 8 au 9 janvier, 59 victimes] : 22 morts et 37 blessés ; nuit du 9 au 10 : 48 victimes, 12 morts et 36 blessés ; nuit du 10 au 11 : les quartiers atteints sont ceux des Invalides, de Saint-Sulpice, de la Sorbonne, du Panthéon, du Jardin-des-Plantes : 8 incendies se déclarent, 50 propriétés particulières sont dégradées ; dans la nuit du 11 au 12, les édifices atteints sont l'École normale, l'église Saint-Nicolas, l'Institution des jeunes aveugles où l'on compte cinq victimes, les hospices de l'Enfant-Jésus et de la Maternité. Nuit du 13 au 14 janvier : 2 enfants tués, 2 blessés ; 1 femme tuée, 7 blessées ; 6 hommes tués, 15 blessés ; 103 immeubles particuliers dégradés par les obus. Nuit du 14 au 15 : 4 enfants tués, 2 blessés ; 1 femme tuée, 6 blessées ; 9 hommes tués, 9 blessés. Le bombardement continue dans la journée du 15 avec une véritable fureur. Pendant la nuit, 294 projectiles éclatent dans le rayon compris entre le Jardin-des-Plantes, la Salpêtrière, la manufacture des Gobelins, l'hospice Necker et le Point-du-Jour. Les incendies sont promptement éteints. Les veilleurs établis dans des points élevés avertissent les pompiers aussitôt que le feu paraît dans une maison.

Le bombardement des hôpitaux soulève des protestations que l'histoire doit recueillir pour la honte éternelle de l'armée prussienne :

« Au nom de l'humanité, de la science, du droit des gens et de la convention internationale de Genève, méconnus par les armées allemandes, les médecins soussignés de l'hôpital des enfants malades (Enfant-Jésus) protestent contre le bombardement dont cet hôpital, atteint par cinq obus, a été l'objet pendant la nuit dernière.

« Ils ne peuvent manifester assez hautement leur indignation contre cet attentat prémédité à la vie de six cents enfants que la maladie a rassemblés dans cet asile de la douleur.

« Drs ARCHAMBAULT, JULES SIMON, LABRIC, HENRI ROGER, BORCHUT, GIRALDÈS. »

—o—o—

« Paris, le 13 janvier 1871.

« Nous, soussignés, médecins et chirurgiens de l'hôpital Necker, ne pouvons contenir les sentiments d'indignation que nous inspirent les procédés infâmes d'un bombardement qui s'attaque avec une préméditation de plus en plus évidente à tous les établissements hospitaliers de la capitale. Cette nuit, des obus sont venus éclater sur la chapelle de l'hôpital Necker, remplie momentanément de malades ; c'est le point central et le plus élevé de ce grand hôpital, qui sert ainsi de point de mire aux projectiles de l'ennemi. Ce n'est plus là de la guerre : ce sont les destructions d'une barbarie raffinée qui ne respecte rien de ce que les nations ont appris à vénérer.

« Nous protestons au nom et pour l'honneur de la civilisation moderne et chrétienne.

« DÉSORMEAUX, GUYON, POTAIN, DELPECH, LABOULBÈNE, CHAUFFARD. »

—o—o—

« Paris, le 13 janvier 1871.

« L'Institution nationale des jeunes aveugles, sise boulevard des Invalides, est un vaste bâtiment isolé, parfaitement visible à l'œil nu des hauteurs de Châtillon et de Meudon. Ce bâtiment, hospitalisant deux cents blessés et malades militaires, et surmonté du drapeau de la convention de Genève, a été hier, 12 janvier, vers trois heures de l'après-midi, par un temps clair, visé et atteint par les canons prussiens. Plusieurs projectiles ont d'abord sifflé sur l'édifice et dans le voisinage ; puis, le tir ayant été rectifié, deux obus ont, coup sur coup, effondré l'aile gauche du bâtiment en blessant trois malades et deux infirmiers. Des malheureux atteints de fluxion de poitrine et de fièvre typhoïde ont dû être transportés dans les caves.

« Le personnel médical de l'institution proteste, au nom de l'humanité, contre ces actes de barbarie, accomplis systématiquement par un ennemi qui ose invoquer Dieu dans tous ses manifestes.

« Drs ROMAND, inspecteur général des institutions de bienfaisance, directeur de l'institution ; LOMBARD, médecin en chef de l'institution ; DESORMEAUX, chirurgien en chef ; MENE, médecin traitant ; HARDY, médecin traitant ; CLAISSE, médecin traitant et médecin adjoint de l'institution ; BACHELET, aide-major. »

—o—o—

« Paris, 11 janvier 1871.

« La Salpêtrière est un hospice où sont recueillies en temps ordinaire :

« 1° Plus de 3.000 femmes âgées ou infirmes ;

« 2° 1.500 femmes aliénées, et par surcroît, en ce moment de suprême douleur, les populations réfugiées des asiles d'Ivry et 300 de nos blessés.

« C'est là une réunion de toutes les souffrances qui appelle et commande le respect ; mais l'ennemi qui nous combat aujourd'hui ne respecte rien.

« Dans la nuit de dimanche à lundi, du 9 au 10 janvier, il a pris pour point de mire les hôpitaux de la rive gauche, la Salpêtrière, la Pitié, les Enfants-Malades, le Val-de-Grâce et les cabanes d'ambulance. A la Salpêtrière, nous avons reçu plus de quinze obus. Or, notre dôme très-élevé est surmonté du drapeau international ; il en est de même du dôme du Val-de-Grâce. C'est un acte monstrueux contre lequel protestent les médecins soussignés, et qu'il faut signaler à l'indignation de ce siècle et à celle des générations futures.

« Drs CRUVEILHIER, chirurgien en chef de la Salpêtrière ; CHARCOT, médecin de la Salpêtrière ; LUYS, médecin de la Salpêtrière ; FERMON, pharmacien en chef ; A. VOISIN, médecin de la Salpêtrière ; BAILLARGER, médecin de la Salpêtrière ; TRÉLAT, médecin de la Salpêtrière ; J. MOREAU, de Tours. »

—o—o—

« Les soussignés, médecins de l'hôpital de la Charité (annexe) protestent contre le bombardement dont cet établissement a été l'objet. Huit obus sont tombés sur cet hôpital, qui renferme 800 malades et blessés, tant civils que militaires. Plusieurs autres projectiles ont éclaté dans son voisinage immédiat.

« Drs LANNELONGUE, FÉRÉOL, B. BALL, E. LANCEREAUX, LABBÉ, A. OLLIVIER. »

—o—o—

Les membres du corps diplomatique présents à Paris s'émurent à leur tour de ces inutiles barbaries et adressèrent à M. de Bismarck la protestation suivante :

A S. E. M. le comte de Bismarck-Schœnhausen, chancelier de la Confédération de l'Allemagne du Nord, à Versailles.

MONSIEUR LE COMTE,

Depuis plusieurs jours, des obus en grand nombre, partant des localités occupées par les troupes belligérantes, ont pénétré jusque dans l'intérieur de Paris. Des femmes, des enfants, des malades ont été frappés. Parmi les victimes, plusieurs appartiennent aux États neutres. La vie et la propriété des personnes de toute nationalité établies à Paris se trouvent continuellement mises en péril.

Ces faits sont survenus sans que les soussignés, dont la plupart n'ont en ce moment d'autre mission à Paris que de veiller à la sécurité et aux intérêts de leurs nationaux, aient été, par une dénonciation préalable, mis en mesure de prémunir ceux-ci contre les dangers dont ils sont menacés, et auxquels des motifs de force majeure, notamment les difficultés opposées à leur départ par les belligérants, les ont empêchés de se soustraire.

En présence d'événements d'un caractère aussi grave, les membres du corps diplomatique présents à Paris, auxquels se sont joints, en l'absence de leurs ambassades et légations respectives, les membres soussignés du corps consulaire, ont jugé nécessaire, dans le sentiment de leur responsabilité envers leurs gouvernements, et pénétrés des devoirs qui leur incombent envers leurs nationaux, de se concerter sur les résolutions à prendre.

Ces délibérations ont amené les soussignés à la résolution unanime : de demander que, conformément aux principes et aux usages reconnus du droit des gens, des mesures soient prises pour permettre à leurs nationaux de se mettre à l'abri, eux et leurs propriétés.

En exprimant avec confiance l'espoir que Votre Excellence voudra bien intervenir auprès des autorités militaires dans le sens de leur demande, les soussignés saisissent cette occasion pour vous prier d'agréer, monsieur le comte, les assurances de leur très-haute considération.

Signé : KERN, ministre de la Confédération suisse ; Baron ADELSWAERD, ministre de Suède et Norvège ; Comte DE MOLTKE-HUITFELDT, ministre de Danemark ; Baron BEYENS, ministre de Belgique ; Baron DE ZUYLEN DE NYVELT, ministre des Pays-Bas ; WASHBURSE, ministre des Etats-Unis ; BALLIVIAN Y ROXAS, ministre de la Bolivie ; Duc D'AQUAVIVA, chargé d'affaires de Saint-Marin et Monaco ; H. Enrique Luiz RATTON, chargé d'affaires de S. M. l'empereur du Brésil ; JULIO THIRION, chargé d'affaires par intérim de la république Dominicaine ; HUSNY, attaché militaire et chargé d'affaires de Turquie ; LOPEZ DE AROSEMAHNA, chargé d'affaires du Honduras et du Salvador ; C. BONIFAZ, chargé d'affaires du Pérou ; Baron G. DE ROTHSCHILD, consul général d'Autriche-Hongrie ; Baron Th. DE VŒLKERSAHM, consul général de Russie ; José M. CALVO Y FERUEL, consul d'Espagne ; L. CERRUTI, consul général d'Italie ; J. PRŒNZA VIEIRAI, consul général du Portugal ; Georges A. VUZOS, vice-consul général de Grèce.

Paris, le 13 janvier 1871.

—o—o—

Pendant que cette pluie de feu s'abat sur Paris, le gouvernement est en proie à de mortelles angoisses.

M. Jules Favre écrit à M. Gambetta, le 14 janvier :

Le ciel est décidément contre nous. Depuis dimanche le froid a repris avec intensité et toute espèce d'arrivée de pigeons est impossible. Nous voici donc dans la nuit noire ; et à quel moment ? Quand nous touchons à la crise suprême, qui n'est retardée de quelques jours que par des sacrifices cruels. L'insuffisance et la mauvaise qualité de l'alimentation deviennent chaque jour plus meurtrières. La mortalité s'est accrue de plus du double ; un malade ne peut guérir, un vieillard et un enfant sont directement menacés, et l'hécatombe est croissante. Jusqu'ici ces privations ont été supportées avec une admirable abnégation. Le bombardement auquel nous sommes soumis depuis dix jours et qui ne discontinue pas, n'altère pas la constance de ces vaillants citoyens. Les victimes cependant sont déjà nombreuses : Vaugirard, Grenelle, Montrouge, le faubourg Saint - Germain et le faubourg Saint-Jacques souffrent particulièrement ; Auteuil et Passy ont eu leur part, un peu moindre toutefois. Les Prussiens tirent de préférence sur les drapeaux d'ambulance, sur les églises. Les habitants voient leurs demeures dévastées, ils sont frappés dans leurs lits, et cependant ils ne parlent pas de se rendre.

Paris tiendrait indéfiniment s'il avait des vivres, mais ils lui manquent, et c'est le cœur brisé que nous nous trouvons en face de cette extrémité terrible de la cessation de la résistance.

Je vous ai dit que nous ne pouvions attendre le dernier sac de farine. Nous avons besoin d'un délai de dix jours au moins. Nous sommes donc à notre limite, et rien ne vient, ni du côté de Chanzy, ni du côté de Faidherbe. Le général Trochu attend toujours. L'opinion est fort irritée, et tout cela peut amener une affreuse catastrophe. C'est l'éventualité de ces malheurs qui me retient à Paris[14]. J'avais certainement un grand devoir à remplir à Londres, et je ne l'ai pas tout à fait décliné, mais je l'ai ajourné, ne voulant pas prendre sur moi la responsabilité des malheurs que mes collègues me prophétisaient, moins encore ne pas m'associer à leurs périls. Cependant j'ai réclamé mes sauf-conduits ; si je les reçois à temps, et si mes collègues pensent que je doive en user, je partirai.

 

Le 16 janvier, M. Jules Favre écrit encore :

Cette date vous dit assez que nous touchons aux heures suprêmes et que nous devons nous préparer aux derniers sacrifices. Nous avons dépassé de vingt-quatre heures la limite définitive que je vous avais fixée, et nous ne faisons peut-être pas notre devoir en commettant cet acte de témérité. En effet, nous n'avons plus que quinze jours de pain devant nous, tout au plus, et le ravitaillement suppose un délai de dix jours au moins. Il est vrai que nous gagnerons quelque chose par le rationnement auquel nous nous résolvons ; que, d'autre part, la commission de subsistances espère trouver encore un peu de blé ; mais ce sont là des conjectures, et la réalité est ce que je viens de vous dire. La population de Paris ne le soupçonne pas ; notre devoir était de lui garder le secret.

Je ne sais si, quand elle apprendra, et l'heure approche, qu'elle n'a plus de pain, elle ne se laissera pas aller à un mouvement de colère, bien naturel assurément, mais qui pourrait avoir pour conséquence déplorable d'entacher par des excès ce siège de Paris, si admirable par la constance, la calme, la sagesse des assiégés. Nous aurions dû agir la semaine dernière ; mais vainement avons-nous supplié le général : il s'est obstiné à attendre de vos nouvelles. Or, ainsi que je vous l'écrivais, ces nouvelles ne sont pas venues, et voilà le neuvième jour que nous en manquons. Nous attribuons ce désastre au froid intense qui a régné toute la semaine dernière ; il n'a fini qu'hier soir. Aujourd'hui le vent souffle avec violence et la pluie tombe à torrents. Mais viendra-t-il un pigeon ? Ce pigeon nous apportera-t-il des nouvelles favorables ? je me pose cette question toute les minutes, et la réponse ne vient pas. Vous comprenez pourquoi je demandais une action la semaine dernière ; vous connaissez mes résolutions : elles n'ont pas changé. J'avais dit que dix jours avant la date fatale des dix jours je parlerais ; je le ferai, mais j ' aurais voulu qu'on me laissât une marge entre cette révélation terrible et l'action qui doit être indispensablement engagée. Cette action, en effet, nous est imposée par l'honneur, par le sentiment universel de Paris. Dans toutes les classes on répète qu'on ne veut pas finir comme à Metz, comme à Sedan ; on préfère la mort à cette humiliation. Et cependant cette action nécessaire rencontre de grandes difficultés. L'armée, réduite à l'excès par les maladies, les fatigues, le service de garde et de tranchée sur un périmètre de dix-huit lieues, est fort démoralisée. La garde nationale est pleine d'ardeur ; mais tiendra-t-elle dans une sérieuse et grande bataille ? C'est là un inconnu redoutable et plein de périls. C'est là ce qui explique le décousu des opérations et l'hésitation des chefs, et vraiment le parti le plus sage en de telles conjectures eût certainement été, comme quelques-uns le proposent, d'envoyer un négociateur chargé de sonder les intentions de la Prusse, mais ce qu'il y a de sage serait une humiliation et un manquement au devoir.

N'étant pas informés de votre situation, nous devons tenir jusqu'au bout extrême de nos vivres[15].

 

Quinze jours de vivres ; plus de charbon, même pour les ateliers de l'État ; les réquisitions de farine et de blé, malgré les menaces, n'ont presque rien donné. On va décréter le rationnement du pain. Les vivres de l'armée seront épuisés le 5 février. Le peuple affamé et bombardé accuse plus fort que jamais le général Trochu ; on soupçonne la présence de traîtres dans son entourage[16]. On est convaincu que l'armée assiégeante redouble de fureur pour dissimuler des mouvements de troupes contre les armées de province. Pourquoi ne pas se précipiter contre les canons qui vomissent l'incendie et la mort sur Paris ? Se laissera-t-on écraser l'arme au bras ? Quelle honte ! Si le général Trochu manque de confiance, qu'il se retire ! Il a dit qu'il ne capitulerait pas ; que fait-il donc ? qu'attend-il ? à quoi songe-t-il ? Paris frémit d'impatience et de colère. Il veut combattre. Des espoirs insensés illuminent ces heures sombres de l'agonie. Tantôt le bruit court que l'armée du Nord s'est avancée jusqu'à Creil ; les uns ont entendu, au-delà de Versailles, le canon de Chanzy ; d'autres annoncent que Bourbaki va donner la main à Faidherbe, et que tous deux, tombant sur l'ennemi, comme un coup de foudre, sont à la veille de débloquer Paris. Pour ceux-ci, la fureur du bombardement décèle chez les Prussiens une impatience d'en finir, qui est de bon augure ; ils s'éloigneront après avoir épuisé leurs munitions. Pourquoi cet acharnement des obus ? Parce que les Allemands sentent approcher les armées de province. Que ne tentent-ils de prendre Paris d'assaut, que n'approchent-ils des remparts et des forts ? Ils n'osent pas ; eh bien ! qu'on aille les attaquer derrière leurs retranchements ! Paris saura vaincre ou mourir ; tout, plutôt que cette lente agonie, plutôt que cette résignation dérisoire de Trochu sous la pluie des projectiles et quand les vivres vont manquer[17] ! C'est le cri général, l'universelle clameur.

Le gouverneur de Paris, entre une révolution et un coup de désespoir, se décide pour celui-ci. Dans une séance secrète du gouvernement, le 15 janvier, il annonce que la sortie aura lieu sous peu de jours. Dans la séance du 17, l'éventualité d'une capitulation est froidement envisagée. Si la tentative suprême se convertit en un échec — le gouverneur ne se fait aucune illusion à cet égard — la capitulation peut être brusquée, pour peu que l'ennemi montre de l'audace. Qui lui résistera ? quelles troupes seront mises en réserve pour lui barrer le passage ? et s'il faut traiter avec lui, qui signera la capitulation inévitable ? Le général appelle sur cette question l'attention de ses collègues.

M. Jules Favre croit, comme le général, qu'il faut courageusement se mettre en face de la triste réalité. On a poussé la résistance aux extrêmes limites, sinon au-delà. Tout nouvel échec militaire sera fatalement suivi de la capitulation. Aussi, regrette-t-il amèrement l'engagement pris par le général Trochu quand il a dit qu'il ne capitulerait pas.

Le général répond qu'il est le seul lié par sa proclamation ; où sera, d'ailleurs, le déshonneur, si l'on capitule quand on n'aura plus rien à manger ? Au surplus, est-ce que le gouvernement ne sera pas obligé de se substituer un autre pouvoir quand le moment de traiter sera venu ?

M. Jules Favre croit, au contraire, que le devoir du gouvernement est de rester jusqu'au bout et de signer l'acte qui formera pour Paris la seule garantie de sa sécurité. On ne saurait laisser le sort de Paris abandonné ainsi à la dérive, par suite d'une sorte de désertion du pouvoir.

Le général Clément Thomas propose de préparer la population à l'horrible dénouement en lui révélant toute la vérité.

M. Jules Favre estime que cela ne remédierait à rien. C'est en vue de cette extrémité qu'il aurait voulu faire nommer des députés de Paris et associer au gouvernement les maires, représentants naturels des intérêts de la cité. Dans l'état où en sont les choses, le fardeau de la capitulation ne peut retomber que sur le gouvernement. On ne saurait laisser l'ennemi libre de faire tout ce qu'il voudra, sans qu'aucune convention lui assigne les limites de son droit, quant aux personnes et aux propriétés. Tel est aussi le sentiment de M. E. Picard : le gouvernement doit rester à son poste. M. Simon fait observer qu'en rendant Paris, le gouvernement ne saurait traiter pour la France. M. Picard, croit, au contraire, que le gouvernement doit parler de la paix générale, afin d'obtenir des ménagements pour Paris ; sinon, Paris après avoir capitulé se trouverait à la discrétion de l'ennemi.

Quelques membres ne croient pas les choses aussi compromises qu'on semble l'admettre. La bataille à livrer peut avoir, selon M. Garnier-Pagès, une issue douteuse. Si l'échec est complet, il faut s'attendre à ce que l'ennemi reconnaisse le gouvernement, afin de traiter avec lui, de désorganiser par ce moyen la défense nationale et de lui substituer un autre gouvernement. Si la Prusse dit au gouvernement actuel : Je veux un traité de paix, que répondra-t-on ? Pour lui, décidé à continuer la lutte et à ne lier en rien la liberté de la délégation de Bordeaux, il ne peut consentir à écrire son nom au bas d'une capitulation. Après la bataille, il faudra consulter Paris, et, s'il capitule, il devra le faire sans engager la France.

M. E. Arago ne voit pas, quant à lui, dans la capitulation une conséquence nécessaire de la bataille qui va se livrer. La délégation de Bordeaux n'étant qu'une branche du gouvernement, il lui paraîtrait impossible de répondre à la Prusse par la prétention de ne traiter que pour Paris, si elle demandait un traité de paix. Le gouvernement, selon M. Arago, n'a pas plus le droit de traiter pour Paris que pour la France. Paris doit traiter par l'intermédiaire de sa municipalité.

Mais la municipalité voudra-t-elle accepter cette pénible mission ? demande M. Jules Simon. C'est peu probable. On pourrait essayer d'une organisation factice consistant à appeler les maires, à leur exposer la situation et à composer avec le gouvernement, qui se retirerait, une commission destinée à parer aux exigences de la situation. Cette commission déclarerait que le gouvernement n'existe plus, et enverrait M. Jules Favre à Versailles pour traiter au nom de Paris.

M. J. Favre se range à cet avis[18].

Aucun des membres du gouvernement ne croit au succès de la sortie : c'est un sacrifice sanglant qu'on apprête ; c'est inutilement que quelques milliers d'hommes vont arroser de leur sang les plateaux de Buzenval et de Montretout. Seul, le général Clément Thomas, commandant en chef de la garde nationale, a le courage de proposer que toute la vérité soit révélée à Paris ; seul il paraît avoir reculé d'horreur à la pensée de ce carnage, dont une inévitable capitulation sera le couronnement. Le général Clément Thomas était d'autant plus autorisé à tenir ce langage, que la garde nationale devait marcher au premier rang. Valait-il mieux tromper l'ardeur patriotique de Paris par de fausses promesses et envoyer deux ou trois mille braves gens à la mort que de dire toute la vérité, dût-on courir le risque d'une nouvelle émeute ? Toute conscience droite répondra. La bataille de Montretout-Buzenval fut une criminelle parade. Les braves gens qui, de bonne foi, marchèrent au combat, furent les dupes du général Trochu. On ne doit pas se jouer ainsi de la vie de ses semblables. L'insensé qui se complaît dans ces sombres représentations devrait au moins marcher au premier rang et expier sa folie. La bataille du 19 janvier fut un dernier mensonge fait par le général Trochu au peuple confiant de Paris. On ne doit pas dire la bataille, mais bien le crime du 19 janvier[19].

Paris, à la veille de cette grande journée, est transporté de joie. Le voilà donc arrivé ce jour si longtemps attendu ! On va se battre, et sans doute, on va vaincre. Est-ce que quelqu'un songerait à capituler ? Ce n'est certes pas le général Trochu : Le gouverneur de Paris ne capitulera pas ! Les rues retentissent du roulement des tambours ; les bataillons de garde nationale se massent ; les canons et les mitrailleuses nouvellement fondus défilent vers les Champs-Elysées. Les régiments se mettent en marche pleins d'entrain et passent sur toute la longueur de Paris devant une foule émue qui les salue et les suit lentement du regard jusqu'au détour de la route. On lit sur les murs la proclamation suivante :

CITOYENS,

L'ennemi tue nos femmes et nos enfants, il nous bombarde jour et nuit, il couvre d'obus nos hôpitaux. Un cri : Aux armes ! est sorti de nos poitrines.

Ceux d'entre nous qui peuvent donner leur vie sur le champ de bataille marcheront à l'ennemi ; ceux qui restent, jaloux de se montrer dignes de l'héroïsme de leurs frères, accepteront au besoin les plus durs sacrifices comme un autre moyen de se dévouer pour la patrie.

Souffrir et mourir s'il le faut, mais vaincre.

Vive la République !

 

Dans la nuit, les troupes se concentrent à Courbevoie, à Clichy, à Asnières, à Puteaux, à Neuilly et sur les pentes du Mont-Valérien. Elles sont divisées en trois colonnes, composées de troupes de ligne, de garde mobile et de garde nationale mobilisée ; un bataillon de gardes nationaux est encadré dans chaque brigade. Versailles est l'objectif de l'attaque. La colonne de gauche, sous les ordres du général Vinoy, doit enlever la redoute de Montretout, les maisons de Béarn, Pozzo di Borgo, Armengaud et Zimmermann. Au centre, la colonne commandée par le général de Bellemare est chargée de s'emparer du plateau de la Bergerie ; à l'aile droite, le général Ducrot, opérant par Longboyau, doit atteindre la partie ouest du parc de Buzenval pour se porter sur le haras Dupin. Si ces mouvements sont heureusement exécutés, l'armée française sera maîtresse des routes de Versailles. Cette chaîne de hauteurs boisées étant couverte par les Prussiens d'ouvrages défensifs, il importait d'agir avec ensemble, de faire masse et de surprendre l'ennemi par la rapidité de l'attaque. L'opération échoua par la lenteur des mouvements et le défaut de concert.

Au jour naissant, sur un signal donné du Mont-Valérien, l'aile gauche se porte avec vigueur contre la redoute de Montretout. La redoute est brillamment enlevée, et les Prussiens qui la gardaient sont faits prisonniers. Des mobiles et des gardes nationaux s'avancent jusqu'à Saint-Cloud et chassent l'ennemi de la partie haute de la ville. Pendant ces heureux commencements, la colonne du centre, parvenue sur les côtes de la Bergerie, enlève la maison du Curé et occupe les positions qui lui ont été assignées ; mais, n'étant pas appuyé sur sa droite par la colonne du général Ducrot, qui n'est pas encore entré en ligne, le général Bellemare est obligé d'appeler une partie de sa réserve pour se maintenir sur le plateau. Il doit attendre, pour avancer, l'arrivée du général Ducrot, qui a déjà plus d'une heure de retard. Ce retard paralyse les efforts des troupes de Vinoy et de Bellemare. Qu'était-il donc arrivé à la colonne de droite ? Des obstacles imprévus avaient embarrassé sa marche ; des régiments connaissant mal leur route s'étaient heurtés ; une colonne d'artillerie égarée en chemin avait barré le passage aux troupes de Ducrot. Il est onze heures, lorsque ces troupes s'élancent sur la porte de Longboyau après avoir essuyé une vive canonnade en traversant Rueil. Elles rencontrent, une résistance acharnée : cachés derrière des murs et des maisons crénelés qui bordent le parc, les Prussiens arrêtent par un feu nourri l'élan des troupes. Plusieurs fois de suite, Ducrot, l'épée à la main, ramène ses soldats à l'attaque ; ses efforts sont inutiles, il ne peut pas gagner du terrain de ce côté. Pendant que nos troupes sont arrêtées à la porte de Longboyau, l'ennemi prononce un retour offensif contre notre centre et notre gauche ; nos troupes reculent d'abord, puis regagnent le terrain perdu, et les hauteurs sont encore une fois à nous. Un combat acharné se livrait au centre, dans le parc de Buzenval. Les murs extérieurs du parc, ayant été renversés sur plusieurs points au moyen de la dynamite, nos troupes étaient entrées dans le parc, avaient pris le château et s'étaient avancées jusqu'à un mur intérieur bâti obliquement de la porte de Longboyau et suivant les rampes de l'escarpement. A défaut d'artillerie, dont on eut à déplorer amèrement l'absence, nos troupes ne cessèrent de tirer contre ce mur, mais sans résultat. Parfaitement abrités, les Prussiens défiaient nos balles, tandis qu'ils tiraient à coup sûr contre nos soldats, mal protégés par les bois. Deux fois les gardes nationaux se précipitèrent à l'assaut du mur avec la bravoure de vieilles troupes ; ils furent toujours ramenés, jonchant le terrain de leurs morts, désespérés de manquer de canons pour abattre le mur fatal. Il est vrai que les chemins détrempés étaient impraticables pour les pièces d'artillerie, et qu'il eût été difficile, sinon impossible, de mettre des canons en batterie sur cet espace étroit, en pente et couvert de bois.

Le feu dura jusqu'à la nuit. Les bataillons de la garde nationale s'étaient battus glorieusement, tant à Buzenval qu'à Montretout, et ils avaient éprouvé des pertes sensibles. Les troupes de ligne ne raillaient plus ces braves gens qui n'avaient pas marchandé leur vie. Vers huit heures du soir, il fut décidé que toutes les positions occupées pendant le jour seraient évacuées dans la nuit. Les troupes se replièrent sous le canon du Mont-Valérien. Le général Trochu avait fait sortir environ 100.000 hommes ; il n'en employa que 25.000. On pensait que les réserves continueraient le lendemain la bataille et achèveraient la trouée. Le plan du général ne comportait pas une seconde journée de lutte. L'acte de désespoir était accompli. Paris avait livré sa dernière bataille.

La retraite est sonnée ; les divers corps se retirent vers le Mont-Valérien dans une confusion inexprimable. Sur les routes de Rueil et de la Fouilleuse, dans les champs, sur les pentes du Mont-Valérien, le train, les ambulances, l'artillerie sont enchevêtrés ; les gardes nationaux sont mêlés aux mobiles et aux troupes de ligne ; les régiments se cherchent et s'appellent. La démoralisation est complète ; chacun sent que c'est la fin et qu'on vient de jouer le dernier acte de la grande tragédie. Si les Prussiens avaient pu soupçonner l'encombrement et le chaos dont l'armée parisienne offrait la désolante image, ils auraient changé cette retraite en déroute complète. La nuit nous sauva.

Telle fut la dernière bataille de ce mémorable siège de Paris qui restera l'un des plus merveilleux épisodes de notre histoire[20]. Après le 19 janvier, la catastrophe finale se précipite. Nous raconterons bientôt les dernières convulsions de cette sublime agonie.

Le général Trochu s'était transporté de bonne heure au Mont-Valérien et d'heure en heure il envoyait des dépêches, que le gouvernement publiait aussitôt pour satisfaire l'impatience publique. Paris avait la fièvre : la bataille engagée devait décider de son sort et, en outre, ses enfants étaient au premier rang sur le terrain. Le général Trochu écrit à 10 heures du matin que la « concentration des troupes a été très-difficile et laborieuse pendant une nuit obscure. » Il ajoute :

Retard de deux heures de la colonne de droite. Sa tête arrive en ligne en ce moment. Maison-Béarn, Armengaud et Pozzo di Borgo occupées immédiatement.

Long et vif combat autour de la redoute de Montretout ; nous en sommes maîtres.

La colonne Bellemare a occupé la maison du Curé et pénétré par brèche dans le parc de Buzenval. Elle lient le point 112, le plateau 155, le château et les hauteurs de Buzenval. Elle va attaquer la maison Craon.

La colonne de droite (général Ducrot) soutient, vers les hauteurs de la Jonchère, un fier combat de mousqueterie. Tout va bien jusqu'à présent.

A 10 h. 30 :

Un épais brouillard me dérobe absolument les phases de la bataille. Les officiers porteurs d'ordres ont de la peine à trouver les troupes. C'est très-regrettable et il me devient difficile de centraliser l'action comme je l'avais fait jusqu'ici. Nous combattons dans la nuit.

Ce brouillard fameux n'enveloppait que le Mont-Valérien, comme par une sorte de malice du sort à l'endroit du général. A Montretout, à la Bergerie, à Buzenval et à Longboyau l'atmosphère était limpide et pure. Cependant Paris était dans la joie à cause de la prise de la redoute de Montretout et du plateau de la Bergerie. A huit heures du soir, on lisait la dépêche suivante du général Clément Thomas :

La nuit seule a pu mettre fin à la sanglante et honorable bataille d'aujourd'hui. L'attitude de la garde nationale a été excellente. Elle honore Paris.

Dans la conviction générale, l'œuvre de la délivrance, heureusement commencée, s'achèverait le lendemain. Cruelle déception ! le général Trochu écrit à 9 h. 50 :

Notre journée, heureusement commencée, n'a pas eu l'issue que nous pouvions espérer.

L'ennemi, que nous avions surpris le matin par la soudaineté de l'entreprise, a, vers la fin du jour, fait converger sur nous des masses d'artillerie énormes avec ses réserves d'infanterie.

Vers trois heures, la gauche, très-vivement attaquée, a fléchi. J'ai dû, après avoir partout ordonné de tenir ferme, me porter à cette gauche, et, à l'entrée de la nuit, un retour offensif des nôtres a pu se prononcer. Mais, la nuit venue, et le feu de l'ennemi continuant avec une violence extrême, nos colonnes ont dû se retirer des hauteurs qu'elles avaient gravies le matin.

Le meilleur esprit n'a cessé d'animer la garde nationale et la troupe, qui ont fait preuve de courage et d'énergie dans cette lutte longue et acharnée.

Je ne puis savoir encore quelles sont nos pertes. Par les prisonniers, j'ai appris que celles de l'ennemi étaient fort considérables.

La stupéfaction fut complète lorsqu'on lut, le lendemain, le document qui suit :

Mont-Valérien, le 20 janvier 1871,

9 h. 30 du matin.

Gouverneur à général Schmitz, au Louvre.

Le brouillard est épais. L'ennemi n'attaque pas. J'ai reporté en arrière la plupart des masses, qui pouvaient être canonnées des hauteurs, quelques-unes dans leurs anciens cantonnements.

Il faut à présent parlementer d'urgence, à Sèvres, pour un armistice de deux jours, qui permettra l'enlèvement des blessés et l'enterrement des morts. Il faudra pour cela du temps, des efforts, des voitures très-solidement attelées et beaucoup de brancardiers. Ne perdez pas de temps pour agir dans ce sens.

Pour copie conforme :

Le ministre de l'intérieur par intérim,

Jules FAVRE.

 

Paris lut cette dépêche avec stupeur. L'exagération était visible : demander deux jours pour enlever les blessés et enterrer les morts, cela parut une grosse exagération. L'esprit du général Trochu était évidemment troublé. On ne pouvait plus compter sur un commandant en chef qui avait perdu tout sang-froid. La garde nationale parisienne avait pris une part glorieuse à la bataille du 19 janvier. A Montretout, à Buzenval surtout, elle s'était battue avec une intrépidité qui étonna les troupes régulières. Les bataillons des quartiers populaires avaient largement payé leur tribut de sang à la patrie. La journée du 19 janvier fut, à ce point de vue, une journée parisienne. La garde nationale comptait parmi ses morts le jeune peintre Henri Regnault, déjà célèbre à vingt-huit ans, le voyageur Gustave Lambert, le vieux marquis de Coriolis, issu d'une ancienne famille de Provence, qui, à soixante-dix ans passés, s'était enrôlé comme simple fusilier, le brave colonel Rochebrune, qui avait pris part à la dernière insurrection polonaise, et tant d'autres morts obscurs qui étaient allés à l'ennemi de bonne foi, ayant au cœur la rage du bombardement et l'espoir de sauver Paris. Tristes victimes dont le trépas assure le respect éternel de Paris à ces collines et à ces bois arrosés de leur sang.

La douleur de Paris fut portée au comble par les nouvelles de la province. M. de Chaudordy écrivait à M. Jules Favre, à la date du 14 janvier, que le général Chanzy, après deux jours de brillantes batailles près du Mans, avait dû se replier derrière la Mayenne. Chanzy ne se montrait pas découragé, ni la France non plus. Mais sa retraite ôtait à Paris tout espoir de secours. Un voile de deuil s'étendit sur la grande cité : l'orage gronda de nouveau dans son sein. Bientôt nous en verrons la redoutable explosion. Mais avant d'aborder la dernière période du siège et les sombres jours de la capitulation, nous devons suivre la fortune de nos armes sur les champs de bataille de province.

 

—o—o—o—o—o—

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES

 

I.

CIRCULAIRE

Adressée par M. de Chaudordy aux agents diplomatiques de la France.

 

Tours, 29 novembre 1870.

Monsieur, depuis deux mois environ, l'Europe épouvantée ne peut comprendre la prolongation d'une guerre sans exemple et qui est devenue aussi inutile que désastreuse. Les ruines qui on sont la conséquence s'étendent sur le monde entier, et l'on, se demande à lu fois quelle peut être la cause d'une telle lutte et quel en est le but.

Le 18 septembre dernier, M. Jules Favre, vice-président de la Défense nationale et ministre des affaires étrangères, se rendit à Ferrières pour demander la paix au roi de Prusse. On sait la hauteur avec laquelle on s'en est expliqué avec lui. Les puissances neutres ayant fait comprendre depuis qu'un armistice militaire était le seul terrain sur lequel il fallait se placer pour arriver ensuite à une pacification, le comte de Bismarck s'y montra d'abord favorable, et des pourparlers s'ouvrirent à Versailles. M. Thiers consentit à y aller pour négocier sur celle base. Vous avez appris quel refus déguisé la Prusse lui a opposé ! On doit reconnaître cependant que les deux plénipotentiaires français ne pouvaient être mieux choisis pour inspirer confiance au quartier général prussien et mener à fin la triste et délicate mission dont ils avaient si noblement pris la responsabilité. La sincérité de leur amour pour la paix n'était pas douteuse. M. de Bismarck savait bien que leur parole avait pour garant le pays tout entier. L'un et l'autre pourtant ont été écartés, et le cours funeste de la guerre n'a pu être suspendu.

Que veut donc la Prusse ? Le souverain auquel il avait été annoncé qu'on faisait exclusivement la guerre est tombé et son gouvernement avec lui. Il ne reste aujourd'hui que les citoyens en armes, ceux-là mêmes que le roi Guillaume déclarait ne vouloir pas attaquer, et un gouvernement ou siègent des hommes qui tiennent à honneur de s'être opposés de toutes leurs forces à l'entreprise qui devait couvrir de ruines le sol de notre patrie.

Que faut-il croire ? Serait-il vrai que nos ennemis veuillent réellement nous détruire ? La Prusse n'a plus maintenant devant elle que la France ; c'est donc à la France mémo, à la nation armée pour défendre son existence, que la Prusse a déclaré celte nouvelle guerre d'extermination, qu'elle poursuit comme un défi jeté au monde contre la justice, le droit et la civilisation.

C'est au nom de ces trois grands principes modernes outrageusement violés contre nous que nous en appelons à la conscience de l'humanité, avec la confiance que, malgré tant de malheurs, noire devoir imprescriptible est de sauvegarder la morale internationale. Est-il juste, en effet, quand le but d'une guerre est atteint, que Dieu vous a donné des succès inespérés, que vous avez détruit les armées de votre ennemi, que cet ennemi lui-même est renversé, de continuer la guerre pour le seul résultat d'anéantir ou forcer à se rendre par le feu ou la faim une grande capitale toute pleine de richesses des arts, dos sciences et de l'industrie ? Y a-t-il un droit quelconque qui permette à un peuple d'en détruire un autre et de vouloir l'effacer ? Prétendre à ce but n'est plus qu'un acte sauvage qui nous reporte à l'époque des invasions barbares. La civilisation n'est-elle pas méconnue complètement lorsqu'en se couvrant des nécessités de la guerre on incendie, on ravage la propriété privée, avec les circonstances les plus cruelles ? Il faut que ces actes soient connus. Nous savons les conséquences de la victoire et les nécessités qu'entrainent d'aussi vastes opérations stratégiques. Nous n'insisterons pas sur ces réquisitions démesurées en nature et en argent, non plus que sur cette espèce de marchandage militaire qui consiste à imposer leurs contribuables au-delà de toutes les ressources. Nous laissons l'Europe juger à quel point ces excès furent coupables. Mais on ne s'est pas contenté d'écraser ainsi les villes et les villages, on a fait main-basse sur la propriété privée des citoyens.

Après avoir vu leur domicile envahi, après avoir subi les plus dures exigences, les familles ont dû livrer leur argenterie et leurs bijoux. Tout ce qui était précieux a été saisi par l'ennemi et entassé dans ses sacs et ses chariots ; des effets d'habillement enlevés dans les maisons et dérobés chez les marchands, des objets de toute sorte, des pendules, des montres ont été trouvés sur les prisonniers tombés entre nos mains. On s'est fait livrer et on a pris au besoin aux particuliers de l'argent. Tel propriétaire arrêté dans son château a été condamné à payer une rançon personnelle de 80.000 francs ; tel autre s'est vu dérober les châles, les fourrures, les robes de soie de sa femme. Partout les caves ont été vidées, les vins empaquetés, chargés sur des voitures et emportés ailleurs, et pour punir une ville de l'acte d'un citoyen coupable uniquement de s'être levé contre les envahisseurs, des officiers supérieurs ont ordonné le pillage et l'incendie, abusant, pour cette exécution sauvage, de l'implacable discipline imposée à leurs troupes. Toute maison où un franc-tireur a été abrité et nourri est incendiée. Voilà pour la propriété !

La vie humaine n'a pas été respectée davantage. Alors que la nation entière est appelée aux armes, on a fusillé impitoyablement, non-seulement des paysans soulevés contre l'étranger, mais encore des soldats pourvus de commissions et revêtus d'uniformes légalisés. On a condamné à mort ceux qui tentaient de franchir les lignes prussiennes, même pour leurs affaires privées. L'intimidation est devenue un moyen de guerre. On a voulu frapper de terreur les populations et paralyser en elles tout élan patriotique. Et c'est ce calcul qui a conduit les états-majors prussiens à un procédé unique dans l'histoire : le bombardement des villes ouvertes. Le fait de lancer sur une ville des projectiles explosibles et incendiaires n'est considéré comme légitime que dans des circonstances extrêmes et strictement déterminées. Mais dans ces cas mêmes, il était d'un usage constant d'avertir les habitants, et jamais l'idée n'était entrée jusqu'à présent dans aucun esprit que cet épouvantable moyen de guerre pût être employé d'une manière préventive. Incendier les maisons, massacrer de loin les vieillards et les femmes, attaquer pour ainsi dire les défenseurs dans l'existence de leurs familles, les atteindre dans les sentiments les plus profonds de l'humanité pour qu'ils viennent ensuite s'abaisser devant le vainqueur et solliciter les humiliations de la nation ennemie, c'est un raffinement de violence calculée qui touche à la torture.

On a été plus loin cependant et, se prévalant par un sophisme sans nom de ces cruautés mêmes, on s'en fait une arme. On a osé prétendre que toute ville qui se défend est une place de guerre, et que, puisqu'on la bombarde, on a ensuite le droit de la traiter en forteresse prise d'assaut. On y mot le feu après avoir inondé de pétrole les portes et les boiseries des maisons. Si on a épargné le pillage, on n'en exploite pas moins contre la cité la guerre qu'elle doit payer en se laissant rançonner à merci. Et même, lorsqu'une ville ouverte ne se défend pas, on a pratiqué le système du bombardement sans explication préalable, et avoué que c'était le moyen de la traiter comme si elle s'était défendue cl qu'elle eût été prise d'assaut. Il ne restait plus, pour compléter ce code barbare, qu'à rétablir la pratique des otages. La Prusse l'a fait. Elle a établi partout un système de responsabilité indirecte qui, parmi tant de faits iniques, restera comme le trait lu plus caractéristique de sa conduite à notre égard.

Pour garantir la sûreté de ses transports et la tranquillité de ses campements, elle a imaginé de punir toute atteinte portée à ses soldats ou à ses convois par l'emprisonnement, l'exil ou même la mort d'un des notables du pays. L'honorabilité de ces hommes est devenue un danger pour eux. Ils ont à répondre sur leur fortune et sur leur vie d'actes qu'ils ne pouvaient ni prévenir ni réprimer, et qui, d'ailleurs, n'étaient que l'exercice légitime du droit de défense. Elle a emmené quarante otages parmi les habitants notables des villes de Dijon, Gray et Vesoul, sous prétexte que nous ne mettons pas en liberté quarante capitaines de navires faits prisonniers selon les lois de la guerre. Mais ces mesures, de quelques brutalités qu'elles fussent accompagnées dans l'application, laissaient au moins intacte la dignité de ceux qui avaient à les subir. Il devait être donné à la Prusse de joindre l'outrage à l'oppression. On a exigé de malheureux paysans entraînés par force, retenus sous menaces de mort, de travailler à fortifier les ouvrages ennemis et à agir contre les défenseurs de leur propre pays. On a vu des magistrats, dont l'âge aurait inspiré le respect aux cœurs les plus endurcis, exposés sur les machines des chemins de fer à toutes les rigueurs de la mauvaise saison et aux insultes des soldats.

Les sanctuaires, les églises ont été profanés et matériellement souillés. Les prêtres ont été frappés, les femmes maltraitées, heureuses encore lorsqu'elles n'ont pas eu à subir de plus cruels traitements.

Il semble qu'à cette limite il ne reste plus dans ce qu'on appelait jusqu'ici du plus beau nom. le droit des gens, aucun article qui n'ait été violé outrageusement par la Prusse. Les actes ont-ils jamais à ce point démenti les paroles ?

Tels sont les faits. La responsabilité en pèse tout entière sur le gouvernement prussien. Bien ne les a provoqués et aucun d'eux ne porte la marque de ces violences désordonnées auxquelles cèdent parfois les armées en campagne. 11 faut qu'on le sache bien, ils sont le résultat d'un système réfléchi, dont les états-majors ont poursuivi l'application avec une rigueur scientifique. Ces arrestations arbitraires ont été décrétées au quartier général, ces cruautés résolues comme un moyen d'intimidation, ces réquisitions étudiées d'avance, ces incendies allumés froidement avec des ingrédients chimiques soigneusement apportés, ces bombardements contre des habitants inoffensifs ordonnés. Tout a donc été voulu et prémédité. C'est le caractère propre aux horreurs qui font de cette guerre la honte de notre siècle.

La Prusse a non-seulement méconnu les lois les plus sacrées de l'humanité, elle a manqué à ses engagements personnels. Elle s'honorait de mener un peuple en armes à une guerre nationale. Elle prenait le monde civilisé à témoin de son bon droit ! Elle conduit maintenant a une guerre d'extermination ses troupes transformées on hordes de pillards ; elle n'a profité de la civilisation moderne que pour perfectionner l'art de la destruction. Et, comme conséquence de cette campagne, elle annonce à l'Europe l'anéantissement de Paris, de ses monuments, de ses trésors et la vaste curée à laquelle elle a convie l'Allemagne.

Voilà, monsieur, ce que je désire que vous sachiez. Nous ne parlons ici qu'à la suite d'enquêtes irrécusables ; s'il faut produire des exemples, ils ne nous manqueront pas, et Vous pourrez on juger par les documents joints à cette circulaire. Vous entretiendrez de ces faits les membres du gouvernement auprès duquel vous êtes accrédité.

Ces appréciations ne sont pas destinées à eux seuls et vous pourrez les présenter librement à tous. Il est utile qu'au moment où s'accomplissent de pareils actes, chacun puisse prendre la responsabilité de sa conduite, aussi bien les gouvernements qui doivent agir que les peuples qui doivent signaler ces faits à l'indignation de leurs gouvernements.

 

Pour le ministre des affaires étrangères,

Le délégué,

CHAUDORDY.

—o—o—o—

 

II

 

RAPPORT MILITAIRE

sur la bataille du 19 janvier.

 

Les rapports des commandants de colonne sur la journée d'hier ne sont pas encore tous parvenus au gouvernement ; il croit cependant devoir donner dès à présent un aperçu général des opérations qui se sont accomplies le 19 janvier.

L'armée était partagée en trois colonnes principales, composées de troupes de ligne, de garde mobile et de garde nationale mobilisée incorporée dans les brigades.

Celle de gauche, sous les ordres du général Vinoy, devait enlever la redoute de Montretout, les maisons de Béarn, Pozzo di Borgo, Armengaud et Zimmermann.

Celle du centre, général de Bellemare, avait pour objectif la partie est du plateau de la Bergerie.

Celle de droite, commandée par le général Ducrot, devait opérer sur la partie ouest du parc de Buzenval, en même temps qu'elle devait attaquer Longboyau, pour se porter sur le haras Lupin.

Toutes les voies de communication ayant accès dans la presqu'île de Gennevilliers, y compris les chemins de fer, ont été employées pour la concentration de ces forces considérables, et, comme l'attaque devait avoir lieu dès le malin, la droite, qui avait un chemin extrêmement long (12 kilomètres) à parcourir au milieu de la nuit, sur une voie ferrée qui se trouva obstruée, et sur une route qu'occupait une colonne d'artillerie égarée, ne put parvenir à son point de réunion qu'après l'attaque commencée à gauche et au centre

Dès onze heures du matin, la redoute de Montretout et les maisons indiquées précédemment avaient été conquises sur l'ennemi, qui laissa entre nos mains 60 prisonniers.

Le général de Bellemare était parvenu sur la crête de la Bergerie, après s'être emparé de la maison dite du Curé ; mais en attendant que sa droite fût appuyée, il dut employer une partie de sa réserve pour se maintenir sur les positions dont il s'était emparé.

Pendant ce temps, la colonne du général Ducrot entrait en ligne. Sa droite, établie à Rueil, fut canonnée de l'autre côté de la Seine par des batteries formidables contrebattues par l'artillerie qu'elle avait à sa disposition et par le Mont-Valérien.

L'action s'engagea vivement sur la porte de Longboyau où elle rencontra une résistance acharnée, en arrière de murs et de maisons crénelés qui bordent le parc. Plusieurs fois de suite, le général Ducrot ramena à l'attaque les troupes de ligne et la garde nationale, sans pouvoir gagner du terrain de ce côté.

Vers quatre heures, un retour offensif de l'ennemi contre le centre et la gauche de nos positions, exécuté avec une violence extrême, fit reculer nos troupes, qui, cependant, se reportèrent en avant vers la fin de la journée. La crête fut encore une fois reconquise, mais la nuit arrivait, et l'impossibilité d'amener de l'artillerie pour constituer un établissement solide, sur des terrains déformés, arrêta nos efforts.

Dans cette situation, il devenait dangereux d'attendre sur ces positions si chèrement acquises l'attaque que l'ennemi, amenant des forces de toutes parts, ne devait pas manquer de tenter dès le lendemain matin. Les troupes étaient harassées par douze heures de combat et par les marches des nuits précédentes employées à dérober les mouvements de concentration ; on se retira alors en arrière, dans les tranchées, entre les maisons Crochard et le Mont-Valérien.

Nos pertes sont sérieuses ; mais d'après le récit des prisonniers prussiens, l'ennemi en a subi de considérables. Il ne pouvait en être autrement après une lutte acharnée qui, commencée au point du jour, n'était pas encore terminée à la nuit close.

C'est la première fois que l'on a pu voir, réunis sur un même champ de bataille, en rase campagne, des groupes des citoyens unis à des troupes de ligne, marchant contre un ennemi retranché dans des positions aussi difficiles ; la garde nationale de Paris partage avec l'armée l'honneur de les avoir abordées avec courage, au prix de sacrifices dont le pays leur sera profondément reconnaissant.

Si la bataille du 19 janvier n'a pas donné les résultats que Paris en pouvait attendre, elle est l'un des événements les plus considérables du siège, l'un de ceux qui témoignent le plus hautement de la virilité des défenseurs de la capitale.

 

—o—o—o—

 

III

 

Le document que voici est d'un intérêt exceptionnel. Il contient la plus grande partie des noms mis à l'ordre du jour, ainsi que les exploits accomplis par les défenseurs de Paris jusqu'à la fin de décembre 1870. On y verra des noms de gardes nationaux à côté de noms de mobiles de de soldais. L'histoire doit pieusement recueillir ces noms.

 

N° 1.

 

AUX ARMÉES DE PARIS.

ORDRE DU JOUR.

 

Le gouverneur met à l'ordre du jour les noms des défenseurs de Paris appartenant à la garde nationale, à l'armée de terre et de mer, à la garde-mobile et aux corps-francs, qui ont bien mérité du pays depuis le commencement du siège. Plusieurs ont payé de leur vie les services qu'ils ont rendus, tous ont fait plus que leur devoir. Les témoignages de la gratitude publique seront la haute récompense de leur sacrifice et de leurs efforts.

Cet ordre, inséré au Journal officiel et au Journal militaire, tiendra lieu de notification aux divers corps, pour l'inscription des présentes citations sur les états de service des ayants droit.

Général TROCHU.

 

Paris, le 19 novembre 1870.

 

Garde nationale de la Seine, 48e bataillon, carabiniers. — Proust, capitaine. S'est fait remarquer dans la reconnaissance du 21 par son courage et l'intelligente initiative avec laquelle il a conduit sa troupe. — Thibaudier, carabinier. Blessé à la reconnaissance du 21 octobre où la compagnie dos carabiniers du 48e bataillon a vaillamment combattu. — Pachot, carabinier. Blessé à la reconnaissance du 21 octobre où la compagnie des carabiniers du 48e bataillon, a vaillamment combattu.

Éclaireurs de la garde nationale. — Prodhomme. S'est fait remarquer par son courage au combat de la Malmaison où il a été grièvement blessé.

Etat-major général. — Guilhem, général de brigade. Tué à l'ennemi en donnant d'éclatantes preuves de bravoure. — De Montbrison, capitaine de cavalerie auxiliaire, officier d'ordonnance du général Ducrot. A constamment marché à la tête des colonnes d'attaque ; s'est fait hisser sur un mur du parc au milieu d'une grêle de balles pour reconnaître la position de l'ennemi au combat de la Malmaison, le 21 octobre.

Intendance. — Parmentier, sous-intendant de 1re classe. S'est fait remarquer à l'affaire du 19 septembre, en allant au plus fort du combat relever les blessés sous le feu ; a montré le même dévouement le 21 octobre, où il est resté le dernier sur le champ de bataille et a été fait prisonnier.

Division des marins détachés à Paris. — Desaégher, matelot charpentier. Est allé chercher résolument, sous le feu de l'ennemi, un de ses camarades blessé, l'a rapporté, et a été lui-même atteint grièvement d'un coup de feu, le 15 octobre, dans la plaine de Bondy. — Chenot, soldat au 4e régiment d'infanterie de marine. N'a pas hésité à prendre sur son dos un blessé qu'il a rapporté sous le feu meurtrier de l'artillerie ennemie, lorsque nos troupes évacuaient Draney, le 30 octobre.

Artillerie. — 10e régiment. — Bouvet, brigadier. A eu le bras traversé par une balle au combat du 30 septembre, a voulu rester au feu malgré les instances de son commandant, et n'a quitté son poste qu'à la fin de l'action. — 18e régiment. — Bocquenet, capitaine en premier, commandant la 13e batterie. A eu deux chevaux tues sous lui au combat de Châtillon, le 30 septembre. Pendant toute l'action, il a donné le plus bel exemple à ses hommes qui se sont admirablement conduits. — 19e régiment. — Oulhon, canonnier servant. Les chevaux de sa pièce étant tués et les conducteurs et servants hors de combat, il a réuni ses efforts à ceux de son lieutenant pour continuer le feu jusqu'à l'arrivée d'attelages qui ont ramené la pièce. Combat de Châtillon, le 19 septembre.

2e régiment du train d'artillerie. — Sirday, maréchal des logis. Est allé au milieu du feu rechercher un caisson que des chevaux emportés entraînaient dans la direction de l'ennemi, au combat de Châtillon. — Bouquier, cavalier de 1re classe. Est revenu résolument reprendre une pièce sans avant-train qui allait tomber aux mains de l'ennemi, au combat de Châtillon. 35e régiment de ligne. — Gletty. S'est avancé contre trois Prussiens qui le tenaient en joue, et par la fermeté de son attitude les a forcés à se rendre prisonniers, au combat de Bagneux, le 13 octobre. — Le Gouill, soldat. S'est bravement battu au combat de Bagneux, le 13 octobre ; a fait avec ses camarades plusieurs prisonniers. — Kydenou, soldat. Est entré le premier à Chevilly, le 30 novembre ; a fait preuve d'une grande bravoure en tirant a bout portant à travers les créneaux de l'ennemi.

42e régiment de ligne. — Lecca, lieutenant. Officier d'une rare bravoure ; a franchi le premier une barricade au combat de Châtillon et a entraîné ses hommes par son exemple. — Félipon, soldat. A ab ordé avec clan une des barricades de Châtillon, le 13 octobre ; est entré le premier dans une maison occupée par des Prussiens qui ont été faits prisonniers. — Admard, soldat. Blessé deux fois au combat du 30 septembre, s'est fait panser par un de ses camarades et a combattu jusqu'à la fin.

107e régiment de ligne. — Hoff, sergent. A tué, le 29 septembre, trois sentinelles ennemies ; le 1er octobre, un officier prussien ; le 5, en embuscade avec 15 hommes, a mis en déroute une troupe d'infanterie et de cavalerie ; le 13 octobre, a tué deux cavaliers ennemis. Enfin, dans divers combats individuels, il a tué 27 Prussiens.

109e régiment de ligne. — Portais, soldat. Est entré le premier dans le village de l'Hay, en escaladant le mur d'une maison où il s'est barricade ; a donné des preuves de courage qui l'ont fait remarquer de tous ses camarades.

110e régiment de ligne. — Craciot, caporal. Blessé à la main droite au moment où son sous-lieutenant, qu'il emportait, était tué dans ses bras, il a continué à combattre jusqu'à l'épuisement de ses forces (30 septembre).

112e régiment de ligne. — Gérodias, tambour. A eu sa caisse brisée par un éclat d'obus au moment où il battait la charge au combat de Chevilly, le 30 septembre ; saisissant le fusil d'un homme tué à ses côtés, il s'est porte en avant, a été blessé et ne s'est retire qu'à la fin de l'action.

113e régiment de ligne. — Aubé, sergent. Embusqué à quinze pas d'une barricade ennemie, il a tiré avec le plus grand sang-froid pendant plus d'une demi-heure et a fait plusieurs prisonniers, au combat de Châtillon, le 13 octobre.

119e régiment de ligne. — Schoer, sergent. Déjà remarqué pour son énergie au combat de Châtillon, s'est distingué à l'affaire de la Malmaison ou il a désarmé un Prussien qu'il a ramené prisonnier.

128e régiment de ligne. — Chartior, soldat. S'est avancé seul au-devant des Prussiens établis dans les jardins de Pierrefitte et a tué un soldat ennemi presque à bout portant.

Régiment de zouaves. — Jacquot, chef de bataillon. A tourné une batterie ennemie à la tête de la 6e compagnie de son bataillon, a pénétré par une brèche dans le parc de la Malmaison et enlevé sa troupe on se portant en avant, le képi sur la pointe de son sabre. Obligé de rétrograder devant des forces considérables, il a soutenu vigoureusement la retraite et est resté blessé aux mains de l'ennemi. — Colonna d'Istria, capitaine adjudant-major. A toujours été en tête de la colonne à l'attaque de la Malmaison, et, chargé d'une mission pour le général, a réussi à l'accomplir sous une violente fusillade. —Petit de Granville, sergent-major. A franchi le premier la brèche du mur de la Malmaison, est resté le dernier auprès du commandant Jacquot, et a été blessé en cherchant à l'emporter.

Cavalerie, 9e régiment de lanciers. — Buisson, capitaine-commandant. S'est emparé, sous le feu de l'ennemi et après une longue poursuite, d'un cavalier ennemi qu'il a ramené avec ses armes et son cheval, le 16 septembre, en avant de Rosny.

Garde mobile de la Seine. — 11e bataillon : Pasquier, caporal. A montré une grande bravoure à l'affaire du 19 octobre, en allant à vingt pas de l'ennemi enlever un de ses camarades grièvement blessé. — 15e bataillon : Lefranc, garde. S'est offert bravement pour aller reconnaître les travaux de l'ennemi au pont de Bric-sur-Marne, a été grièvement blessé à la cuisse. — 7e bataillon : Tailhan, aumônier volontaire. Blessé à la tête en remplissant son ministère avec un admirable dévouement au combat de la Malmaison, le 21 octobre.

Garde mobile des départements. — (Seine-et-Marne.) Franceschetti, lieutenant-colonel. Par son attitude pleine d'énergie, il a su enlever et conduire résolument à l'ennemi ses troupes, qui voyaient le feu pour la première fois ; a eu un cheval tué sous lui. Combat de la Malmaison, 21 octobre. — (Morbihan.) Le Mohec, sergent. Blessé à la joue, est resté toute a journée à sa compagnie qu'il a enlevée par son entrain et sa bravoure. — (Loire-Inférieure.) De Montaigu, sous-lieutenant. S'est fait remarquer par sa bravoure, son sang-froid et la bonne direction qu'il a donnée aux francs-tireurs sous ses ordres. — (Côte-d'Or.) Narvault, garde au 1er bataillon. Très-solide au feu ; n'a quitté le champ de bataille qu'après des ordres réitérés. Combat de Bagneux, le 13 octobre. — Léautey, garde. Plein de vigueur à l'affaire de Bagneux, le 13 octobre, où il a fait plusieurs prisonniers. — Crucera, capitaine au 3e bataillon. Entré le premier à Bagneux où, seul, il a fait neuf prisonniers. — Terreaux, garde au 3e bataillon. A désarmé un porte-fanion dans la mêlée, l'a fait prisonnier et s'est emparé du fanion. Combat de Bagneux, le 13 octobre. — (Aube.) Périer, capitaine au 1er bataillon. A enlevé sa compagnie avec un entrain remarquable à l'assaut du village de Bagneux, où il commandait aux côtés du commandant de Dampierre. — De Rougé (Henri), lieutenant au 1er bataillon. A fait prouve d'une grande bravoure et d'un sang-froid remarquable au combat de Bagneux en accomplissant une mission périlleuse. — De Dampierre, chef du 2e bataillon. Tué à l'ennemi en donnant d'éclatantes preuves de bravoure.

Corps francs. Tirailleurs de la Seine. — Vannier, tirailleur. S'est porté au feu avec une audace remarquable ; grièvement blessé aux reins au combat de la Malmaison, le 21 octobre. — Demay, tirailleur. S'est distingué par une énergie cl une bravoure dignes des plus grands éloges ; blessure au pied au combat de la Malmaison.

Francs-tireurs de la Presse. — Roulot, capitaine. Brillante conduite à la tête de sa compagnie, le 28 octobre, à la barricade élevée par l'ennemi a l'entrée du Bourget.

 

N° 2.

 

Le gouverneur de Paris met à l'ordre du jour les noms dos officiers, sous-officiers et soldats à qui leur bravoure et leur dévouement ont mérité ce haut témoignage de l'estime de l'armée et de la gratitude publique.

Cet ordre, inséré au Journal officiel et au Journal militaire, tiendra lieu de notification aux divers corps, pour l'inscription des présentes citations sur les étals de service des ayants droit.

 

PREMIÈRE ARMÉE.

Gardes nationales de la Seine. — Roger (du Nord), lieutenant-colonel d'état-major de la garde nationale. A donné, dans les journées du 29 et du 30 novembre, les plus beaux exemples d'activité et de dévouement.

116e bataillon. — Langlois, chef de bataillon. A fait preuve de courage et de résolution dans la mise en état de défense de la Gare-aux-Bœufs, enlevée à l'ennemi le 29 novembre, en avant de Choisy-le-Roi. — De Suzainnecourt, capitaine de la 2e compagnie. Remarqué pour son intrépidité a la prise de la Gare-aux-Bœufs. — Frédaut, garde. S'est brillamment conduit à l'attaque de la Gare-aux-Bœufs.

Compagnie des tirailleurs-éclaireurs. — Bayart de la Vingtrie, éclaireur. Mortellement blessé dans une reconnaissance à Saint-Cloud, pendant laquelle il avait fait preuve d'une ardeur et d'un dévouement remarquables.

 

DEUXIÈME ARMÉE.

État-major. — Baron Renault, général de division, commandant le 2e corps de la 2e armée. Blessé mortellement le 30 novembre en conduisant ses troupes à l'attaque du plateau de Villiers. Doyen des divisionnaires de l'armée française, le général Renault, dans une carrière marquée par des actes d'une éclatante bravoure, avait conquis la plus haute et la plus légitime réputation. — De la Charrière, général de brigade, commandant la 1re brigade de la 1re division du 2e corps. Blessé mortellement à l'attaque de Montmesly, à la tête de sa brigade. Le général de la Charrière, appelé par son âge dans le cadre de réserve, après une carrière aussi laborieuse qu'honorable, avait sollicité avec l'insistance la plus patriotique un rôle actif devant l'ennemi. - De la Mariouse, général de brigade, commandant la 2e brigade de la division de réserve. A donné une excellente impulsion à sa brigade, qui a fait vaillamment son. devoir. Toujours au plus fort de l'action pendant les journées du 30 novembre et du 2 décembre. — Boudet, lieutenant-colonel d'état-major, chef d'état-major de la division de réserve. Mérite les plus grands éloges pour le calme, la vigueur cl la haute intelligence dont il a donné de nouvelles preuves sous le feu nourri de l'ennemi, dans les journées des 30 novembre, 1er et 2 décembre. — Vosseur, chef d'escadron d'état-major, à l'état-major général. A chargé en tête des tirailleurs, les entraînant par son exemple contre les Prussiens qui débouchaient du parc de Villiers. — Franchetti, commandant l'escadron des éclaireurs à cheval du quartier général. Blessé mortellement à l'attaque du plateau de Villiers. Le commandant Franchetti, organisateur du corps des éclaireurs à cheval, avait rendu depuis l'investissement des services de premier ordre ; il laisse à sa troupe, avec son nom, des traditions d'honneur et de dévouement. — De Néverléc, capitaine de cavalerie, officier d'ordonnance du général Ducrot, commandant la compagnie de francs-tireurs du quartier général. Tué à la tête de sa compagnie au moment où il l'entraînait à l'attaque du parc de Villiers.

Etat-major de l'artillerie. — Viel, capitaine à l'état-major de l'artillerie du 2e corps. A donné le plus bel exemple d'énergie et de sang-froid, en restant au feu quoique blessé grièvement.

Artillerie. — Torterue de Sazilly, capitaine, commandant la 13e batterie du 3e régiment. Blessé mortellement en avant de Champigny, à la tête de sa batterie qu'il maintenait par son énergie sous un feu des plus meurtriers. — Trémoulet, capitaine ; Chevalier, lieutenant en 2e, et Matins, sous-lieutenant de la 17e batterie du 11e régiment. Se sont sacrifiés héroïquement et sont tombes en soutenant l'attaque des positions ennemies. — Bureau, sous-lieutenant auxiliaire à la 5e batterie du 10e régiment. S'est fait remarquer de toute sa batterie par son sang-froid et son énergie ; a aidé les servants à enlever à bras une pièce sans avant-train. — Langlois, adjudant à la 16e batterie du 8e régiment. A soutenu le courage de ses hommes en chargeant lui-même une de ses pièces dans un moment critique. — Thurel, deuxième conducteur à la 5e batterie du 22e régiment. Quoique blessé gravement, a ramené sa pièce avec un seul cheval, les trois autres était tués.

Génie. — Delataille, capitaine commandant la 15e compagnie du 3e régiment du génie. Le 30, à la tête de ses sapeurs, a bravement frayé les rampes pour déboucher de Champigny. Le 2 décembre, blessé grièvement en cheminant à travers les maisons de Champigny pour tourner l'ennemi qui avait envahi le village.

35e de ligne. — Schultz, caporal. Très-brave au feu ; s'est distingué à Champigny par son calme et sa persistance à ne quitter la barricade qu'après dos ordres plusieurs fois réitérés. Remarqué déjà au combat de Chevilly, le 30 septembre, où il fît plusieurs prisonniers.

42e régiment de ligne. — Frévault, lieutenant-colonel. Jeune officier supérieur qui donnait à l'armée les plus légitimes espérances. Il devait à sa brillante conduite comme chef d'un bataillon de zouaves le grade auquel il venait d'être promu, et c'est en combattant vaillamment à la tête du 42e régiment qu'il a été frappé à mort. — Cahen, chef de bataillon. S'est signalé le 30 novembre sur le plateau de Chennevières par sa vigueur et son entrain. Contusionné le 2 décembre par un éclat d'obus à la poitrine, il est venu reprendre le commandement de son bataillon après avoir été pansu. Blessé le 30 septembre au combat de Chevilly. — Girouin, capitaine adjudant-major. A dirigé pendant sept heures, le 2 décembre, la défense d'un jardin entouré par l'ennemi. Forcé à battre en retraite, il a fait sortir tous ses hommes par une brèche, et a été frappé mortellement au moment ou, ayant assuré la retraite du dernier de ses soldats, il quittait le jardin pour aller les rejoindre.

103e régiment de ligne. — Faure, soldat de 1re classe. Le 2 décembre, au parc de Petit-Bry, a tué ou blessé trois soldats prussiens ; s'étant avance pour prendre leurs armes, il s'est trouvé en face de quatre autres Prussiens qu'il a sommés de se rendre et qu'il a ramenés prisonniers.

107e bataillon. — Parisot, capitaine. A porté avec la plus grande énergie sa compagnie au secours des compagnies de gauche compromises ; a été tue à bout portant, après avoir abattu deux ennemis avec son révolver. — Dogual, soldat de 2e classe. Au combat du 2 décembre, au moment où, sur la gauche, les Prussiens cherchaient à gravir le plateau, a entraîné plusieurs de ses camarades, a construit avec eux une barricade, a arrêté les progrès de l'ennemi, qu'il a attaque à la baïonnette. — Léonville, soldat de 2e classe. Blessé d'un coup d'épée par un officier prussien au combat du 2 décembre, a désarmé cet officier et l'a tué en le traversant de part en part avec l'épée qu'il lui avait arrachée.

113e de ligne. — Subilton, sergent. A passé la Marne dans une barque avec cinq hommes résolus, s'est jeté dans les vergers et derrière les haies sur les flancs de l'ennemi qui occupait une tranchée, l'en a chassé en lui tuant plusieurs hommes.

122e de ligne. — De la Monneraye, lieutenant-colonel. Blessé mortellement le 2 décembre à la tête de son régiment, en lui donnant l'exemple d'une valeur au-dessus de tout éloge.

123e de ligne. — Dupuy de Podio, lieutenant colonel. S'est fait particulièrement remarquer le 30 novembre par son élan et sa vigueur, a entraîne plusieurs fois son régiment dans des charges à la baïonnette où il a été frappé à mort.

124e de ligne. — Sanguinette, lieutenant-colonel. A eu son cheval tue sous lui en se portant bravement, à la tête des 2e et 3e bataillons de son regiment, à l'assaut de Villiers ; a été tue dans cette charge.

4e zouaves. — Primat, lieutenant. A résisté à un retour offensif avec un sang-froid au-dessus de tout éloge. Incomplètement guéri d'une blessure reçue à Metz, il avait demandé à reprendre du service et a trouvé une mort glorieuse en repoussant, avec sa compagnie, un ennemi très-supérieur en nombre.

Garde mobile. — De Grancey, colonel, commandant le régiment de garde mobile de la Côte-d'Or. Tué à la tête de son régiment qu'il entraînait par son exemple. Officier supérieur d'une bravoure hors ligne, dont il avait déjà donné des preuves éclatantes à l'attaque du village de Bagneux, le 13 octobre.

37e régiment de la garde mobile (Loiret). — Botard, soldat. Est resté pendant cinq heures sous le feu, dans un lieu découvert, pour surveiller les mouvements de l'ennemi et ne pas laisser surprendre les tirailleurs de sa compagnie.

34e régiment de la garde mobile (Morbihan). — Tillet, lieutenant-colonel. Le 30 novembre, à la tête de quarante hommes de son régiment, a pris et gardé une position dont tous les efforts de l'ennemi n'ont pu le déloger.

 

TROISIÈME ARMÉE.

Division des marins. — Salmon, capitaine de vaisseau. A dirigé les deux opérations du 29 et du 30 novembre, en avant de Choisy-le-Roi, avec un entrain et une vigueur remarquables. — Desprez, capitaine de frégate. Officier supérieur du plus grand mérite, mortellement blessé, le 30 novembre, en opérant une audacieuse reconnaissance sur Choisy-le-Roi, après avoir puissamment contribué à la prise de la Gare-aux-Bœufs. — Lelièvre, capitaine d'armes. Est allé relever, sous une grêle de balles, son commandant mortellement blessé.

112e régiment de ligne. — Jacquet, sergent. A vigoureusement chargé, à la tête de quelques hommes, un groupe ennemi qui tentait de s'emparer du lieutenant Boutellier, gravement blessé, et l'a tenu longtemps en respect.

Garde mobile. — Champion, lieutenant-colonel d'infanterie, commandant une brigade de garde mobile. À vaillamment enlevé, à la tête de sa brigade, sous un feu plongeant et meurtrier, la maison crénelée de la route de Choisy.

Garde mobile du Finistère. — L'abbé de Mariallach, aumônier du régiment du Finistère. S'est toujours porté aux postes les plus périlleux sur la ligne la plus avancée des tirailleurs, où, avec un calme et un sang-froid admirables, il a prodigué ses soins comme prêtre et comme médecin aux nombreux blessés de l'attaque de l'Hay.

 

CORPS D'ARMÉE DE SAINT-DENIS.

135e régiment de ligne. — Perrier, capitaine. Conduite héroïque à l'attaque d'Épinay ; a eu ses deux officiers tués à côté de lui ; est entré le premier par un trou laissant passage à un seul homme, dans le grand parc d'Épinay, énergiquement défendu ; a été acclamé par ses hommes. — Roux, sergent. Signalé une première fois à l'attaque du Bourget ; s'est emparé avec dix hommes, dont cinq ont été mis hors de combat, d'une maison vigoureusement défendue par onze Prussiens qu'il a faits prisonniers. — Thenaysi, soldat de 2e classe. Brillant soldat d'un très-grand courage, a abordé à la baïonnette la sentinelle d'un poste prussien, l'a tuée et est entré dans le poste qui s'est rendu.

 

 

 



[1] Lettre du duc de Fitz-James, insérée dans le Times du 15 septembre 1870.

Le général von der Tann, qui commandait les Bavarois à Bazeilles, a essayé, la guerre finie, de justifier les troupes allemandes des horreurs qui leur étaient reprochées. S'appuyant sur un rapport rédigé par le maire de Bazeilles, il a prétendu : 1° que le nombre total des morts, blessés ou disparus parmi les habitants de ce village n'était que de 39 ; 2° que les incendies allumés dans Bazeilles ne l'avaient point été par les Allemands rendus furieux par une résistance désespérée, mais uniquement par les obus.

L'abbé Domenech, aumônier de la 2e ambulance du 12e corps français, a répondu en ces termes au général de Tann :

« Paris, 21 juillet 1871.

« Le général von der Tann a publié dans l'Allgemeine Zeitung une lettre reproduite par plusieurs journaux, et dont il est un devoir, dans l'intérêt de la vérité historique, de relever l'inexactitude et même la mauvaise foi.

« M. le commandant Lambert, chargé le 31 août au soir, parle général de Vassoigne, d'occuper Bazeilles et de mettre ce village en état de défense, se prépare à réfuter la lettre du général von der Tann, dans laquelle on lit le passage suivant :

« La plus grande partie devint la proie des flammes, par suite de la canonnade dirigée sur ce point des deux côtés pendant deux jours, et du meurtrier combat de rues et Je maisons soutenu six heures durant contre le 12e corps français, notamment contre la division d'infanterie de marine, combat dans lesquels mon corps perdit 2.000 hommes tués ou blessés. »

« Le matin, à quatre heures vingt, le commandant Lambert fut attaqué par l'ennemi qui, pendant toute la nuit, avait passé la Meuse sur deux ponts de bateaux.

« Après avoir défendu le village maison par maison, le commandant Lambert fut pris dans la dernière, quand il n'eut plus de cartouches pour prolonger la défense.

« M. von der Tann ne récusera pas le témoignage de ce commandant, qui lui fut amené, devant le prince royal de Saxe, le 1er septembre, à trois heures du soir, et dont il n'a certes oublié ni le souvenir, ni ce que lui avait coûté l'héroïsme de cet officier et de ses braves soldats.

« Le commandant Lambert, n'oubliant pas que nous avons encore bien des prisonniers en Allemagne qui sont plus que jamais maltraités, depuis qu'ils n'ont plus leurs officiers pour les défendre, attend leur délivrance pour publier un récit des atrocités commises à Bazeilles par les Bavarois, et pour dévoiler l'astuce et le mensonge qui règnent dans toute la lettre du général von der Tann.

« En attendant cette publication, et sans faire aucun cas des complaisances plus ou moins volontaires de M. Bellomet, maire de Bazeilles, comme des assertions du commissaire allemand, je me contenterai de prier M. von der Tann de parcourir l'Ullustrirte Kriegs-Chronick (Chronique illustrée de la guerre), imprimée à Leipzig : il y trouvera, page 173, un dessin allemand représentant une vue de Bazeilles et quantité d'habitants attachés et fusillés dans les rues. Dans une autre livraison de ce journal, il verra des Bavarois poursuivant des femmes et des enfants, et les tuant comme des bêtes fauves. En outre, je le prierai d'aller à l'hôpital d'Ingolstadt ; il y trouvera un officier bavarois devenu fou à la suite des horreurs qu'il a vu commettre à Bazeilles par ses compagnons d'armes.

« Non-seulement je maintiens tout ce que je dis dans mon Histoire de la campagne de 1870-1871, relativement à l'incendie de Bazeilles et aux pertes énormes subies par les Bavarois dans ce village, mais je puis affirmer que le général von der Tann sait pertinemment que sa lettre est un chef-d'œuvre de duplicité. En effet, n'est-ce point lui, son état-major, la musique et un bataillon de la garde royale qui formaient le cortège des officiers que j'ai enterrés à Bazeilles ? N'ont-ils pas tous vu comme moi, en traversant les rues de ce village, les Bavarois mettre le feu, dans la matinée du 2 septembre, à la mairie, aux usines et aux maisons qui n'étaient point encore brûlées ? N'ont-ils pas tous vu comme moi, dans cette même matinée, les groupes d'hommes, de femmes et de soldais qu'on allait fusiller du côté de la Meuse et de Remilly ?

« Dans la quatrième édition que je prépare de mon livre, j'espère citer les noms des seize soldats de l'infanterie de marine qui ont été fusillés avec le lieutenant Vatrin et le sous-lieutenant Chevalier, qui s'étaient rendus après avoir épuisé leurs munitions et ne pouvant plus se battre.

« Je citerai bien d'autres assassinats de ce génie, et si le général tâche de se laver les mains de tout le sang répandu en dehors des lois de la guerre, je lui dirai :

« Général, mettez des gants, car le sang restera sur vos mains, comme il reste sur votre conscience, si vous en avez une.

« EMMANUEL DOMENECH,

« Aumônier de la 2e ambul., 12 corps d'armée. »

[2] Il est instructif de comparer les ordonnances du roi de Prusse à son peuple en 1813, quand l'Allemagne était envahie, et ses instructions en 1870 contre nos volontaires et nos francs-tireurs :

PROCLAMATIONS ET ORDONNANCES DU ROI DE PRUSSE (FÉVRIER-AVRI 1813.)

— A l'approche de l'ennemi, les habitants des villages doivent quitter leurs maisons, après avoir détruit ce qu'ils ne pourront emporter. Le vin des tonneaux sera répandu, les moulins et les bateaux seront brûlés, les ponts coupés, les moissons incendiées. Dans les villes occupées par l'ennemi les fêtes et les mariages sont interdits.

— Le combat auquel tu es appelé (c'est au peuple que l'on s'adresse) sanctifie tous les moyens. Les plus terribles sont les meilleurs. Non-seulement lu harcelleras l'ennemi sans trêve, mais tu anéantiras les soldats isolés et les maraudeurs.

— Tout citoyen est tenu de combattre l'ennemi avec les armes dont il peut disposer, et de faire obstacle à l'exécution de ses ordres par tous les moyens.

— Le landsturm a le devoir, en cas d'invasion, de livrer bataille à l'ennemi, s'il y a lieu, ou de couper ses communications.

— Le landsturm se lève partout où pénètre l'ennemi.

— Tout citoyen qui n'appartient pas à la landwehr fait partie du landsturm.

— La défense du pays légitime tous les moyens, ceux qui servent le plus efficacement la cause sacrée sont les meilleurs.

— Le landsturm a pour mission, en résumé, de couper les routes de l'ennemi, d'arrêter ses courriers, ses convois, ses renforts, de le fatiguer le jour et la nuit. L'Espagne et la Russie nous ont donné l'exemple.

 

PROCLAMATIONS ET RÈGLEMENTS DU ROI DE PRUSSE OU DE SES LIEUTENANTS (AOÛT-SEPTEMBRE 1870.)

— Sera punie de mort toute personne qui, sans appartenir à l'armée française, détruira les ponts, les canaux, rendra les chemins impraticables ou prendra les armes contre les armées allemandes.

— Les communes où le crime aura été commis payeront une amende équivalente à leurs impôts annuels.

— Les habitants devront pourvoir à l'entretien des troupes.

— Sera punie de mort toute personne qui aura occasionné un incendie, une inondation ou tenté de vive force, avec des armes ou des instruments dangereux, une attaque contre le gouvernement général ou les délégués des autorités civiles ou militaires, ou leur aura opposé de la résistance.

— Sont passibles de la peine de mort : les personnes, ne faisant pas partie de l'armée française, qui lui servent de guides, ou qui égarent les troupes allemandes ; les personnes qui tuent, blessent ou volant des individus appartenant à l'armée allemande ou à sa suite.

— Sont abrogées toutes les dispositions des lois du pays contraires à ce règlement.

Etc., etc.

 

— Dans l'Eure, le colonel de Rosemberg écrit (23 novembre) : « Tout individu habillé en civil qui sera surpris armé, ne sera pas traité en soldat, mais en assassin, et puni de mort. »

[3] « Ce n'est point une honte à leurs yeux de passer le jour et la nuit tout entière à boire. » Tacite, Mœurs des Germains.

[4] Voir à la fin du livre la circulaire adressée aux agents diplomatiques de la France par M. de Chaudordy, le 29 novembre 1870.

[5] Nous empruntons ici textuellement les termes de l'instruction judiciaire commencée sur la demande de la veuve d'une des victimes du drame de Vaux, qui intenta une action en responsabilité contre ceux des prisonniers qui avaient désigné son mari comme devant être fusillé. Ce document a été publié par la Gazette des Tribunaux (janvier 1873).

[6] Voir les procès-verbaux des séances du gouvernement publiés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

[7] Page d'histoire, page 122.

[8] On sait ce qu'il faut penser de cette assertion.

[9] Procès-verbaux du gouvernement de la défense nationale, publiés par l'Assemblée de Versailles. Rapport Chaper.

[10] Dans son Mémoire sur la défense de Paris, M. E. Viollet-le-Duc, ex-lieutenant-colonel de la légion auxiliaire du génie, a calculé le nombre d'obus lancés sur les forts de l'Est : « Du 30 décembre au 2 janvier, dit-il, 3.100 obus atteignirent les deux forts de Rosny et de Noisy, leurs avancées, les deux redoutes et couvrirent le plateau entre ces deux ouvrages. Le feu ne discontinua pas jusqu'à la signature de l'armistice excepté pendant les jours de brouillard intense et les nuits, où il cessait presque complètement. Ce nombre de projectiles ne causa pas cependant aux deux forts des dommages qui fussent de nature à diminuer la valeur de leurs défenses. On peut supputer que 1.000 coups ont été tirés en moyenne par vingt-quatre heures ; en déduisant les journées de brouillard intense, du 30 décembre au jour de la signature de l'armistice, on compte vingt-trois jours ; ce sont donc 23.000 obus envoyés. Chacun d'eux tiré représente une valeur argent de 73 francs. Ce tir, rien que pour la valeur des projectiles et charges, atteint donc en argent le chiffre de 1.723.000 francs. »

L'auteur du Mémoire conclut que le résultat n'est pas évidemment on rapport avec la dépense, et que l'on peut admettre, au point de vue militaire, que les Prussiens abusent du bombardement.

[11] La plupart de ces noms, obscurs alors, reparaîtront plus tard, quand nous arriverons à l'histoire de la Commune. Il nous a paru utile de les citer dès maintenant, pour établir la filiation des événements.

[12] Le général Trochu publia en réponse à l'affiche rouge cette proclamation trop fameuse :

« Aux citoyens de Paris.

« Au moment où l'ennemi redouble ses efforts d'intimidation, on cherche à égarer les citoyens de Paris par la tromperie et la calomnie... On exploite contre la défense nos souffrances et nos sacrifices.

« Rien ne fera tomber les armes de nos mains ! Courage, confiance, patriotisme !

« LE GOUVERNEUR DE PARIS NE CAPITULERA PAS !

« 6 janvier 1871. »

[13] Le 11 janvier, le décret suivant parut dans le Journal officiel :

« Le gouvernement de la Défense nationale,

« Considérant que les devons de la République sont les mêmes à l'égard des victimes du bombardement de Paris qu'à l'égard de ceux qui succombent les aimes à la main pour la défense de la patrie,

« Décrète :

« Tout Français atteint par les bombes prussiennes est assimilé au soldat frappé par l'ennemi.

« Les veines de ceux qui auront péri par l'effet du bombardement de Paris, les orphelins de pères ou de mères qui auront péri de même, sont assimilés aux veuves et aux orphelins des soldats tués à l'ennemi. »

[14] On sait que M. Jules Favre était pressé par M. Gambetta d'aller à la conférence de Londres.

[15] Gouvernement de la défense nationale, par M. Jules Favre. Tom II, p. 323 et suiv.

[16] Le Journal officiel publia la déclaration suivante du général Trochu :

« Une trame abominable dont les fils sont entre les mains de la justice tend à accréditer dans Paris le bruit que des officiers généraux et autres sont ou vont être arrêtés pour avoir livré à l'ennemi le secret des opérations militaires. Le gouverneur s'est ému de cette indignité, et il déclare ici que c'est lui qu'on a atteint dans la personne des plus dévoues collaborateurs qu'il ait eus pendant le cours de ces quatre mois d'efforts et d'épreuves.

« Entre les divers moyens qui ont eu quelquefois pour but et toujours pour effet de compromettre les intérêt sacres de la défense, celui-là est le plus perfide et le plus dangereux. Il jette le doute dans les esprits, le trouble dans les consciences, et peut décourager les dévouements les plus éprouvés. Je signale ces manœuvres à l'indignation des honnêtes gens ; je montre les périls où elles nous mènent à ceux qui vous répètent, sans réflexion, de si absurdes accusations, et j'en flétris les auteurs.

« J'interviens personnellement, moins parce que j'ai le devoir de protéger l'honneur de ceux qui, sous mes yeux, se consacrent avec le plus loyal désintéressement au service du pays, que parce que j'aime la venté et que je hais l'injustice.

« Général TROCHU. »

[17] Voici un aperçu du prix des denrées dans la première semaine de janvier :

Un poulet 40 fr. ; Un lapin 35 ; Le mouton la livre 25 ; Le veau la livre 30 ; Le chevreau la livre 18 ; Le bœuf la livre 15 ; L'éléphant la livre 25 ; Une oie de 110 à 120 fr. ; Une dinde de 200 à 220 ; Un faisan 70 ; Une boite de sardines 10 ; Un œuf 2 ; Le lait le litre 1,80 ; La viande de cheval la livre 8 ; Le fromage de Hollande la livre 23 ; Andouille la livre 5,75 ; Côtelette de chien 1,23 ; Un chat entier 20 ; Un rat 4 ; Beurre frais 40 ; Beurre salé 26 ; Moineau pris à la glue 3 ; Goujon de Seine 0,20 ; Un pied de céleri 1 ; Un chou 10 ; Un boisseau de pommes de terre 30 ; Une botte de carottes 12 ; Un petit oignon 0,30 ; Un poireau 0,23 ; Choux de Bruxelles le litre 3 fr.

[18] Rapport la commission d'enquête sur les délibérations du gouvernement de la Défense nationale.

[19] Dans la séance de l'Assemblée nationale du 14 juin 1871, le général Trochu a donné sur la bataille du 19 janvier les explications qu'on va lire. Il prétend avoir fait son devoir, mais il ne le démontre pas.

« .... Je pensais, dit-il, que le siège de Paris devait être couronné par une dernière entreprise que j'avais annoncée de tout temps à mes collègues du gouvernement de la Défense nationale et que j'appelais l'acte du désespoir. Je me rappelais ce mot traditionnel du bailli de Suffren : « Tant qu'il vous reste un coup de canon, tirez-le ; c'est " peut-être celui qui tuera votre ennemi. »

« Je voulais, messieurs, épuiser les efforts ; je crois que mon devoir était là, et quoique, sur ce point, j'aie été souvent attaqué, je persiste à croire que tel était mon devoir. (Très-bien ! très-bien !)

« Pour la première fois, je réunis autour de moi mes officiers généraux ; je leur dis : « Je vous propose de diriger une attaque sur le plateau de Châtillon ; c'est plein de périls, je le reconnais ; mais si, par fortune, nous percions sur ce point les lignes prussiennes, toutes les défenses de Versailles seraient tournées, et nous aborderions cette ville par le sud. » Il y avait là vingt-cinq officiers généraux ; un seul fut de mon avis. Je recueillis alors les opinions de tous, et, à l'unanimité, ils me proposèrent d'attaquer Versailles, mais à la condition que je prisse pour point de départ et comme base d'opérations la forteresse du Mont-Valérien.

« Telle est, messieurs, l'origine de la bataille de Buzenval, dans laquelle j'introduisis, mêlés à mes troupes, quatre-vingts bataillons mobilisés de la garde nationale de Paris. Cette garde nationale de Paris montra là, je dois le dire, un très-grand courage : il se produisit dans ses rangs des exemples de dévouement incomparable. Le colonel de Rochebrune périt devant ses troupes, et son souvenir est resté dans ma pensée comme le souvenir d'un des hommes les plus braves au feu que j'aie vus de ma vie, et là périt encore ce vieux marquis de Coriolis qui, à soixante-huit ans, alla se faire tuer dans les lignes ennemies. (Très-bien ! très-bien ! — Applaudissements.)

« Mais, pour la guerre, le courage ne suffit pas, et c'est là ce que la garde nationale de Paris, par des raisons que j'expliquerai tout à l'heure, n'a pas su juger. Généralement parlant, elle se battait avec beaucoup de courage, avec autant de courage que les troupes ; mais, dans son inexpérience, elle arrivait à la bataille courbée sous le poids des vivres et des appareils de campagne ; c'était un spectacle pénible à voir. (Mouvements divers.) Dans le combat, manquant d'ensemble, ne rencontrant pas habituellement dans le commandement le point d'appui, la direction qui sont nécessaires, chacun opérait à peu près pour son compte, et voilà comment il se fait que je suis fondé à évaluer qu'un huitième des morts et des blessés que j'ai eus à la bataille de Buzenval, — et c'était en tout à peu près 3.000 hommes, — a péri par le fait de la garde nationale.... »

[20] Voir à la fin du livre le rapport officiel.