Bien
que la confiscation, comme nous allons le montrer, ne 501 fut qu’en petite
partie l’œuvre propre de l'Inquisition, les distinctions qu’on pourrait
instituer à ce propos seraient plutôt nominales que réelles. En effet, là
même où l’inquisiteur ne prononçait pas la confiscation, elle résultait
naturellement de sa sentence. Elle constituait, par suite, une des Peines les
plus redoutables dont l’application relevait de son Autorité et mérite d’être
étudiée avec d’autant plus de soin que ses effets s’en firent plus lourdement
sentir aux populations. L’origine,
ici comme ailleurs, doit être cherchée dans la loi romaine. Il est vrai que
les édits des empereurs contre les hérétiques, quelque cruels qu’ils fussent,
n’allaient pas jusqu’à Punir indirectement les Innocents. Même lorsqu’ils
condamnaient à mort les Manichéens détestés, ils ne poursuivaient la
confiscation de leurs biens que si les héritiers des coupables étaient
également des hérétiques. Les enfants orthodoxes succédaient de droit à leur
parent hérétique, qui ne pouvait, par le fait de son hérésie, ni tester, ni
exhéréder. Il en était autrement dans le cas de crimes ordinaires. Toute
condamnation entraînant la déportation ou les travaux forcés dans les mines
impliquait la confiscation, bien que la femme du condamné pût réclamer son
douaire et tous les dons qu’elle avait reçus avant la perpétration du crime ;
les enfants émancipés de la patria potestas pouvaient en faire autant.
Tout le reste appartenait au fisc. Dans le cas de lèse-majesté ou de
trahison, le coupable pouvait être condamné même après sa mort ; alors on
confisquait ses biens, qui étaient réputés dévolus au fisc du jour où le
crime avait été conçu. Ces lois du Bas-Empire constituèrent l’arsenal où
puisèrent les papes et les rois en vue de rendre attrayante et profitable la
poursuite de l’hérésie. Le roi
Roger, qui occupa le trône des Deux-Siciles pendant la première moitié du
XIIe siècle, semble avoir été le premier à appliquer la loi romaine en
décrétant la confiscation contre tous ceux qui apostasieraient de la foi
catholique, — qu’ils devinssent grecs, mahométans ou juifs. Mais l’Église ne
peut échapper à la responsabilité d’avoir introduit cette peine dans toutes
les législations de l’Europe comme châtiment de crimes d’opinion. Le grand
concile de Tours, tenu par Alexandre III en 1163, ordonna à tous les princes
séculiers de jeter en prison les hérétiques et de confisquer leurs biens.
Lucius III, dans sa décrétale de Vérone en 1184, essaya d’obtenir pour
l’Église le bénéfice des confiscations dont il menaçait une fois de plus les
hérétiques. Un des premiers actes d’Innocent III, en sa double qualité de
prince temporel et de chef de l’Église, fut d’adresser à ses sujets de
Viterbe une décrétale où figure le passage suivant : « Dans
les territoires sujets à notre juridiction temporelle, nous ordonnons que les
biens des hérétiques soient confisqués ; dans les autres pays, nous ordonnons
que la même mesure soit exécutée par les princes temporels, sous peine des
censures ecclésiastiques. Les liions des hérétiques qui renoncent à l’hérésie
ne leur seront pas rendus, à moins qu’il ne plaise à quelqu’un d’avoir pitié
d’eux. Car de même que, suivant la loi, les coupables de majesté sont punis
de mort et que l’on confisque leurs biens, la vie seule étant laissée par
grâce à leurs enfants, de même, et à plus forte raison, ceux qui s’écartent
de la foi et offensent le Fils de Dieu doivent être retranchés du Christ et
privés de leurs biens, puisque c’est un bien plus grand crime d’attenter à la
majesté spirituelle qu’à la majesté temporelle[1]. » Cette
décrétale, qui fut incorporée dans le droit-canon, est très importante, car
elle résume toute la doctrine <le l’Église au sujet châtiment des
hérétiques. A l’imitation de la loi romaine de lèse-majesté, las biens de
l’hérétique étaient censés perdus pour lui du moment on il commettait un acte
d’hérésie. S’il se rétractait, on ne pouvait les lui rendre qu’à titre
gracieux. Quand les tribunaux ecclésiastiques déclaraient qu’il était, ou
qu'il avait été un hérétique, la confiscation s’opérait, pour ainsi dire, d’elle-même
; l’acte de saisie des biens incombait au pouvoir séculier c’est de lui seul
qu'il dépendait d’épargner la fortune du coupable, par une mesure de clémence
qui équivalait à un don. bien de ce qui précède ne doit être oublié si l’on
veut comprendre exactement certains détails qui ont souvent été mal
interprétés. La
décrétale d’Innocent témoigne, en outre, de ce fait qu’au début de la lutte
contre l'hérésie la principale difficulté rencontrée par l’Église en matière
de confiscations consistait à persuader qu’à forcer les puissances
temporelles de faire leur devoir ° n’s’emparant des biens des hérétiques. Ce
fut là une des principales offenses que Raymond Vide Toulouse expia si
durement, comme le lui expliquait Innocent en 1210. Son fils sut échapper a
ce reproche. Dans ses statuts de 1231, en accord avec l’ordonnance de Louis
VIII en 1220 et de Louis IX en 1229, il prononça la confiscation non
seulement contre les hérétiques, niais contre tous ceux qui, d’une manière
quelconque, favorisaient les hérétiques et refusaient d’aider à leur capture
; toutefois, sa politique ne fut pas toujours d’accord avec sa législation et
il fut plus d’une fois nécessaire de stimuler son zèle. Plus tard, lorsque
tout danger de résistance par les armes eut disparu, les princes se
montrèrent, en général, très zélés à accroître leurs maigres revenus par des
confiscations ; et la législation de l'Europe entière consacra le principe de
la spolia' lion des hérétiques. Cependant l’Église éprouvait le besoin di
stimuler parfois le zèle des spoliateurs et de répéter, à l’adresse de l’indulgence
ou de la négligence, ses injonctions et ses menaces habituelles[2]. Les
relations entre l’Inquisition et les biens confisqués varièrent suivant les
époques et les pays. En France, le principe dérivé de la loi romaine était
généralement reconnu ; le titre de propriété revenait au fisc sitôt le crime
accompli. L’inquisiteur n’y avait donc rien à voir. Il constatait simplement
la culpabilité de l’accusé et laissait à l'État le soin d’agir en
conséquence. Ainsi Gui Foucoix traite la question des confiscations comme
tout à fait en dehors des fonctions de l’inquisiteur, qui peut tout au plus
donner un conseil aux autorités séculières ou s’entremettre pour en obtenir
une grâce ; il estime, du reste, que ceux-là seuls sont légalement exempts de
confiscation qui se présentent spontanément et se confessent avant qu’on n’ait
recueilli contre eux aucun témoignage. Conformément à ce qui précède, les
sentences de l’Inquisition française ne font, en général, aucune allusion à
la confiscation, bien que nous connaissions par hasard certains cas,
mentionnés dans les comptes des procureurs des encours, où des
domaines furent vendus au profit du fisc alors que la sentence ne spécifiait
pas la forfaiture. Dans les condamnations portées contre des absents et des
morts, la confiscation est parfois prononcée, comme si l’Etat, en pareil cas,
avait besoin d'un avis ; mais la pratique est loin d’être constante à cet
égard. Dans une sentence rendue par Guillem Arnaud et Étienne de
Saint-Thibéry, le 24 novembre 1241, contre deux absents, leurs biens sont
abandonnés à qui de droit. Le registre de Bernard de Caux (1240-1248) présente, d’une part,
trente-deux cas de contumace où la confiscation est édictée dans la sentence
et, de l’autre, neuf cas semblables où elle est omise. Une sentence de
l’Inquisition de Carcassonne, du 12 décembre 1328, concernant cinq défunts
qui auraient été jetés en prison s’ils avaient vécu, porte a la fin : Et
consequenter buna ipsorum dicimus confiscanda, alors qu’une sentence
antérieure, du 21 février 1325, concernant quatre défunts, ne se termine par
aucun corollaire semblable. En fait
et à parler strictement, on reconnaissait que l’inquisiteur n’avait pas le
droit de remettre des confiscations sans l'autorisation du fisc ; l’usage de
faire grâce à ceux qui se présentaient spontanément et se confessaient était
fondé sur une concession accordée à cet effet en 1235 par Raymond de Toulouse
à l'Inquisition de Languedoc. Aussitôt qu’un individu suspect d’hérésie était
cité ou arrêté, les fonctionnaires séculiers séquestraient ses biens et
notifiaient celte mesure à ses débiteurs. Sans doute, quand la condamnation
s'était produite, l’inquisiteur en donnait avis à qui de droit ; mais, en
général, il ne semble pas qu’on ait tenu note de ces avis dans les archives
du Saint-Office, bien qu’un manuel d’époque ancienne spécifie, parmi les devoirs
de l’inquisiteur, celui de veiller à ce que la confiscation soit opérée. Plus
tard, en 1328, dans le procès- verbal d’une réunion d’experts tenue à
Ramiers, on mentionne la présence d’Arnaud Assalit, procureur royal des
encours à Carcassonne ; cola donne à supposer qu’à cette date le fonctionnaire
en question avait pris l’habitude d’assister aux délibérations, afin d'être
rapidement informé des sentences qui devaient motiver son intervention[3]. En
Italie, il se passa bien du temps avant qu’une règle fixe pût être adoptée à
cet égard. Une bulle d’Innocent IV, en 1252, prescrit aux autorités de la
Lombardie, du Trévisan et de la Romagne de confisquer les biens de tous ceux
qui sont excommuniés en qualité d’hérétiques, d’auxiliaires ou de fauteurs d’hérétiques,
reconnaissant ainsi que la confiscation était de la compétence du pouvoir
séculier. Mais bientôt la papauté réussit à obtenir une part des dépouilles,
même en dehors des Etals de l’Eglise, comme le montrent les bulles Ad
extirpanda d’Innocent IV et d’Alexandre IV, et désormais l’Inquisition
eut un intérêt direct dans les spoliations. Aussi l’indifférence des
tribunaux français ne trouva-t-elle guère d’imitateurs au-delà des monts.
Dans la pratique, il y eut des variations nombreuses. Zanghino nous apprend
qu’autrefois les confiscations étaient prononcées dans les Etats de l’Église
par les juges ecclésiastiques et ailleurs par le pouvoir séculier, mais que,
de son temps (vers 1320),
cette matière relevait, dans toute l'Italie, de la juridiction des cours
épiscopales et inquisitoriales, sans que les autorités séculières eussent
rien à y voir. Il ajoute que la confiscation est prescrite par la loi dans le
cas d’hérésie et que l'inquisiteur n’a pas le droit de la remettre, sinon
dans les cas de convertis volontaires et avec le consentement de l’évêque.
Toutefois, bien que le crime entraîne ipso facto la confiscation, elle
ne devient exécutoire qu’à la suite d’une sentence à cet effet. C’est
pourquoi, dans les condamnations émanant de l’Inquisition italienne, la
confiscation était formellement prescrite et les autorités séculières étaient
avisées de ne point intervenir à moins d’en être priées. De
bonne heure, dans certaines villes, les inquisiteurs italiens eurent la
prétention non seulement de prescrire, mais de contrôler les confiscations.
Vers 1245, l’inquisiteur florentin Ruggieri Calcagni condamne comme relaps un
Cathare nommé Diotainti et lui inflige une amende de cent lires. Ruggieri
accuse réception de celle somme, qui doit être versée au pape ou employée à
la propagation de la foi ; en même temps il concède le reste des liions de
l’hérétique à sa femme Jacoba, affirmant ainsi qu’il se considère comme le
propriétaire de toute la fortune de Diotainti. Toutefois, cette conception ne
prévalut point, car, en 1283, nous trouvons une sentence du podestat de Florence,
aux termes de laquelle l'inquisiteur Fra Salomone da Lucca avait donné avis
que la veuve Ruvinosa, récemment défunte, était morte en état d'hérésie et
que ses biens devaient être confisqués ; sur quoi le podestat ordonne que ces
biens soient saisis et vendus, pour que le produit en soit réparti
conformément aux constitutions pontificales. Avec le temps, cependant, les
inquisiteurs devinrent entièrement maîtres du produit des confiscations. En
1327, les autorités municipales de Florence remettent aux Dominicains une
maison confisquée et l’acte spécifie que cette remise a lieu avec l’assentiment
de l’inquisiteur. Même à Naples, nous voyons le roi Robert, en 1321,
prescrire aux inquisiteurs de payer cinquante onces d’or, sur la part des
confiscations qui lui revenait, au prieur de l’église de San Domenico de
Naples, afin de contribuer à son achèvement. En
Allemagne, la diète île Worms (1321) atteste la confusion qui existait dans l’esprit
féodal entre l'hérésie et la trahison, en autorisant que les terres
allodiales et la propriété personnelle du condamné passent à ses héritiers,
tandis que les fiefs étaient confisqués au profit du suzerain. S’il était
serf, ses biens étaient dévolus à son maître ; mais on déduisait du montant
les frais de l’exécution du propriétaire sur le bûcher et les droits de
justice du seigneur-justicier. Deux ans plus tard, en 1233, le concile de
Mayence protesta contre l’injustice (de bonne heure apparente en Allemagne
comme ailleurs) qui consistait à considérer tout accusé comme coupable et à
traiter ses biens comme ceux d’un condamné. Il prescrivit que les biens des
accusés restassent indemnes jusqu’au jugement, menaçant d'excommunication
quiconque, dans l’intervalle, se permettrait de s’en emparer ou de les
aliéner. Pourtant, lorsque l’empereur Charles IV essaya d'introduire
l’Inquisition en Allemagne (1369), il adopta l'usage italien et ordonna qu’un tiers des biens
confisqués fut remis aux inquisiteurs. Il est
impossible de définir exactement le degré de criminalité qui entraînait la
confiscation. Même dans les États où l'inquisiteur n’avait nominalement
aucune part à celte mesure, le pouvoir souverain dont il disposait à l’égard
de l’accusé le rendait, dans la pratique, maître de sa fortune et la
notification qu’il faisait de la sentence aux autorités séculières équivalait
à une décision sans appel. Il est probable que les usages varièrent avec les
époques et le tempérament des divers inquisiteurs. Nous avons vu qu’Innocent
III prescrivait la confiscation dans tous les cas d’hérésie ; mais il n’était
pas facile de déterminer exactement ce qui constituait l’hérésie. Les statuts
de Raymond prévoyaient la confiscation non seulement pour les hérétiques,
mais pour les fauteurs de l’hérésie. Le concile de Béziers, en 1233, demanda
qu’elle fût appliquée aux dépens des convertis réconciliés qui n’étaient pas
condamnés à porter des croix ; ceux de Béziers, en 1210, et d'Albi, en 1231,
l’ordonnèrent dans le cas de tous ceux à qui les inquisiteurs infligeaient la
pénitence de la prison. Toutefois, dans une sentence du 19 février 1237, par
laquelle les inquisiteurs de Toulouse condamnent vingt a trente pénitents à
la prison perpétuelle, il y a seulement menace de confiscation pour le cas où
les condamnés ne s’acquitteraient pas de leur pénitence. Finalement, les
légistes s’accordèrent à considérer l’emprisonnement comme la condition
suffisante de la confiscation. Saint-Louis
alla même plus loin. Lorsque, en 1259, il atténua son ordonnance de 1229, il
prescrivit la confiscation non seulement pour ceux qui étaient condamnés à la
prison, mais pour ceux qui refusaient d’obéir aux citations, pour les
contumaces, pour ceux dans les maisons desquels on trouvait des hérétiques ;
ses fonctionnaires étaient requis de s'assurer auprès des inquisiteurs, avant
le jugement, si l’accusé méritait la prison, et, dans l’affirmative, de
saisir ses biens. Le saint roi décida ensuite que les héritiers seraient
remis en possession de leurs biens, lorsque l’hérétique aurait offert de se
convertir avant d’avoir été atteint par la citation, ou lorsqu’il serait
entré dans un Ordre religieux et y serait mort pieusement. Ces réserves, qui
parurent l’effet d’une haute clémence, attestent combien la confiscation
était universellement pratiquée et avec quelle impitoyable rigueur on avait
admis le principe qu’un seul acte d’hérésie supprimait tout droit de
propriété. En fait, même à la fin du XVe siècle, c’était une règle reçue que
la confiscation avait lieu de plein droit, tandis que la remise de ses biens
à un pénitent réconcilié était une mesure gracieuse qui exigeait une expresse
déclaration. Donc,
en mettant les choses au mieux, l'emprisonnement d’un converti réconcilié
entraînait la confiscation de ses biens, et comme la prison perpétuelle était
la pénitence ordinaire, la confiscation était générale. Il se peut, toutefois,
qu’il y ait eu des exceptions. Les dix prisonniers mis en liberté par
Innocent IV, en 1218, étaient depuis assez longtemps en prison — quelques-uns
depuis quatre uns et davantage ; et cependant, les larges donations pour la
Terre Sainte qui achetèrent leur grâce montrent qu’eux ou leurs amis
devaient, encore disposer de ressources importantes, à moins que les fonds en
question n’aient été obtenus par une hypothèque sur leurs biens à recouvrer.
De même, quand Alaman de Roaix fut condamné à la prison par Bernard de Caux,
en 1218, la sentence prescrivait le payement d'une annuité à une personne
désignée et d’une indemnité pour les rapines dont il s'était rendu coupable ;
c’est donc, apparemment, qu’il lui restait quelques biens. Mais comme il
avait été, pendant dix ans, en Cuite et à l’état de contumace, on doit
admettre que ces sommes furent perçues sur ses biens qui avaient été
confisqués par l’État. De
telles exceptions, plus apparentes que réelles, peuvent être expliquées et
l’ensemble île la procédure inquisitoriale n’en indique pas moins nettement
que l’emprisonnement e ! la confiscation étaient inséparables. Parfois môme,
dans les sentences concernant les morts, il est dit qu’ils sont jugés dignes
de la prison, à la seule fin de priver leurs héritiers de leur succession. A
une époque postérieure, il est vrai, Eymerich, qui expédie brièvement ces
questions comme si elles ne concernaient pas l’inquisiteur, s’exprime de
manière à faire croire que la confiscation avait lieu seulement lorsqu'un
hérétique ne se repentait pas et ne se rétractait pas avant le jugement ;
mais Pegna, le commentateur d’Eymerich, prouve aisément que c’est là une
erreur. Zanghino considère comme établi que l’hérésie entraine la perte des
biens, et il ajoute que des pénitences pécuniaires ne peuvent pas être
imposées parce que le condamné est privé de toute sa fortune, bien qu’on
puisse user d’indulgence à cet égard avec l’assentiment de l’évêque et que la
simple suspicion d’hérésie ne doive pas être suivie de confiscation. Dans le
premier élan de zèle des persécuteurs, la confiscation n’épargna rien. Mais,
eu 1257, Grégoire IX admit que les dots des femmes catholiques devaient
rester indemnes eu certains cas, et, en 1217, Innocent IV établit la règle
que les dots devaient être rendues aux femmes et ne devaient pas être
comprises dans des confiscations ultérieures, bien que l'hérésie ne justifiât
point le divorce. Saint-Louis admit cette règle en 1258- Toutefois, elle
ôtait sujette à de graves limitations, car, d’après le droit canonique, la
femme ne pouvait rien réclamer si, au moment de son mariage, elle avait eu
connaissance de l’hérésie de son mari et même, d’après quelques auteurs, si
elle avait vécu avec lui après l’avoir reconnue, ou même, enfin, si elle
avait manqué d'informer qui de droit dans les quarante jours après sa découverte.
Comme, d’ailleurs, les enfants étaient incapables d’hériter, la femme d’un
hérétique ne gardait la dot que sa vie durant, après quoi elle faisait retour
au fisc. Bien
que la confiscation fût, en principe, l'affaire de l’État, la répartition des
dépouilles n’obéissait pas à une règle invariable. Avant l’organisation de
l’Inquisition, lorsque les Vaudois de Strasbourg furent brûlés, on nous
apprend que leurs biens furent également divisés entre l'Église et les
autorités séculières. Lucius III, comme nous, l’avons vu, essaya d’assurer à
l’Église le bénéfice exclusif des confiscations. Dans les États de l’Église,
ce monopole allait de soi et Innocent IV, dans sa bulle Ad extirpanda
de 1232, montra du désintéressement en consacrant tout le butin de la
spoliation à l’encouragement des persécutions ultérieures. Un tiers était
remis aux autorités locales, un tiers aux fonctionnaires de l’Inquisition, le
reste à l’évêque et à l’inquisiteur, qui ne devaient l’employer qu’à la
recherche des hérétiques. Ces dispositions furent maintenues, dans les
rédactions postérieures de la même bulle, par Alexandre IV et Clément IV. Les
cautions abandonnées revenaient tout entières à l’inquisiteur. Mais on en
vint bientôt à croire que le règlement qui précède s’appliquait seulement aux
Étals indépendants de l’Italie, car, en 1260, nous voyons Alexandre IV
ordonner aux inquisiteurs de Borne et de Spolète de vendre les biens
confisqués sur les hérétiques et d’en remettre le produit au pape lui-même ;
l'année suivante, en 1261, Urbain IV reçoit trois cent vingt livres comme
produit de confiscations faites à Spolète. A la
longue, l'usage s’établit, tant dans les Etats de l'Eglise que dans le reste
de l’Italie, de répartir les produits des confiscations entre la commune,
l’Inquisition et la Chambre pontificale ; les évêques, au dire de Benoit XI,
s’appropriaient la part qui leur était remise en vue de la poursuite des
hérésies et participaient ainsi, quoique indirectement, à la spoliation. Un
document florentin de 1283 montre que ce système était reçu à cette époque et
d’autres actes datant du demi-siècle qui suivit attestent que la République
avait accoutumé de désigner des mandataires pour saisir, en son nom, les
biens confisqués. En 1310, la ville de Florence fit don delà part qui devait
lui revenir pendant dix ans pour la construction de l’église de Santa
Reparata. Les sommes ainsi perçues devaient être considérables ; en 1299, les
inquisiteurs représentent il la République que le Saint 5U Office a besoin
d’argent pour payer ses fonctionnaires et demandent la permission de placer
en biens-fonds les sommes qui reviennent à l’Inquisition, afin d’assurer
l’avenir de l’œuvre. Leur requête fut admise jusqu’à concurrence de mille
livres, avec la réserve qu’il ne serait pas touché à la part de la ville.
Cette précaution témoigne de peu de confiance en l’intégrité des inquisiteurs
et l’on a des raisons de croire que la méfiance A leur égard était justifiée.
A cette époque, les vendeurs s’étaient bel et bien emparés du temple et il
leur était devenu à peu près impossible de rester honnêtes alors que la
persécution s’était transformée, comme nous l’avons vu au dernier chapitre,
en une fructueuse spéculation. Un Franciscain ami de la vérité, Alvaro Pelayo,
évêque de Silva, écrivant vers 1335, reprochait amèrement à ceux de ses
frères qui faisaient fonctions d’inquisiteurs les abus dont ils se rendaient
coupables avec les fonds attribués au Saint Office. U déclarait que la
division du fruit, prescrite par le pape, n’était généralement pas observée ;
les inquisiteurs s’emparaient de tout, dépensaient le fruit des confiscations
dans leur intérêt personnel ou en faisaient don à leurs proches. Le
hasard a conservé, dans les archives de Florence, quelques documents qui
confirment celte accusation. Il semble qu’en 1343 Clément VI obtint la preuve
que les inquisiteurs de Florence et de Lucques fraudaient la Chambre
pontificale du tiers des amendes et des confiscations qui lui revenait ; en
conséquence. il envoya à Pietro di Vitale, primicerio de Lucques, l’ordre
de recouvrer les sommes arriérées et de poursuivre les fraudeurs. La suite de
l’affaire nous échappe, mais la Chambre ec parait pas en avoir tiré grand
profit. En remplacement d’un des voleurs, Pietro di Aquila, Franciscain très
considéré, fut nommé <V Florence ; au bout de deux ans, il avait si bien
adopté les mœurs de son métier qu’il était obligé de prendre la fuite, objet
d’une poursuite du primicerio et d'une autre de la République, qui
l’accusaient d’extorsion de fonds. A
Naples, sous les Angevins, lors du premier établissement de l’Inquisition,
Charles d’Anjou s’assura le monopole des confiscations avec la môme rapacité
que les rois de France. Dès le mois de mars 1270, il écrit à ses agents dans
le Principato Ultra qu’on a récemment brûlé à Bénévent trois hérétiques, dont
il y a lieu d'examiner et d’inventorier les biens. Toutefois, en 1290.
Charles II ordonna que les amendes et confiscations fussent divisées en trois
parts, l’une pour le fisc royal, la seconde pour la propagation de la foi, la
troisième pour l'Inquisition. Exception était faite pour les domaines
féodaux, qui devaient revenir à la couronne ou à leur suzerain immédiat. A
Venise, la convention de 1289 entre la Seigneurie et Nicolas IV, par laquelle
la République autorisait d’introduire l’Inquisition, stipulait que (ouïes les
recettes du Saint-Office seraient dévolues à l’Étal ; ‘il semble que cette
disposition ait été observée. Au Piémont, les confiscations furent partagées
entre l’Etat et l’Inquisition jusqu’à ce que, dans la dernière moitié du \v
siècle, Amédée IX revendiquât le tout pour le fisc, n’accordant au
Saint-Office que le remboursement des frais de la procédure. Dans
les autres États italiens, la Curie pontificale trouva bientôt que sa part
était insuffisante, «lès qu'il ne fut pl" s’nécessaire d’acheter, par
l’abandon d’un tiers des dépouilles, la coopération du pouvoir civil. Les
jurisconsultes ne sont pas d’accord sur l’époque où ce changement s’opéra :
mais il est certain que dans le premier quart du \iv° siècle l’Église réussit
ù accaparer le produit entier des confiscations, qui était divisé également
entre l’Inquisition et la Chambre pontificale. La rapacité avec laquelle
cette source de revenus fut exploitée parait clairement dans un épisode qui
se produisit à Pise en 1304. L’Inquisiteur Angelo da Reggio avait condamné la
mémoire d’un citoyen défunt, Loterio Bonamici, et confisqué ses biens, dont
une partie fut donnée par lui et une autre vendue à des prix que la Curie
pontificale estima insuffisants. Là- dessus, Benoit XI ordonna à l’évêque d’Ostie
de ne pas punir l’inquisiteur, mais de faire librement usage îles censures
ecclésiastiques en recherchant les détenteurs des biens vendus pour les leur
reprendre. Enfin, en 1438, Eugène IV restitua généreusement aux évêques la
part revenant à la Chambre pontificale, afin de stimuler leur zèle contre les
hérétiques. Là où l’évêque était aussi seigneur temporel, les confiscations
devaient être 513 réparties également entre l’Inquisition et lui. Toutefois,
Bernardo di Como, écrivant vers 1300, affirme que tout le produit des
confiscations appartient de droit à l’inquisiteur, qui peut en disposer à sa
guise ; mais il admet ensuite que la question est confuse et incertaine, vu
les contradictions des décisions pontificales et de la jurisprudence dans les
différents pays[4]. En
Espagne, on admit la règle que, si l'hérétique était un clerc ou un vassal
laïque de l’Église, c’est l’Église qui gardait les biens confisqués ;
autrement, ils revenaient au seigneur temporel. Cette
ardeur à spolier les malheureuses victimes de la persécution est
particulièrement odieuse quand l’Église en donne l’exemple, et cet exemple
peut, dans une certaine mesure, excuser les États qui agirent de même là où
ils disposaient d’une autorité suffisante. Les menaces de coercition, d’abord
nécessaires pour stimuler les princes temporels à confisquer les biens de
leurs sujets hérétiques, devinrent bientôt superflues ; ce fut une véritable
curée, et jamais le désir des hommes de tirer profit du malheur de leurs
semblables ne se montra sous un jour plus affligeant, En
Languedoc, l’Inquisition s’efforça d’abord de s’approprier le produit des
confiscations afin de les faire servir à la construction et à l’entretien des
prisons ; mais elle n’y réussit point. Dans le système féodal, les
confiscations devaient revenir au seigneur haut-justicier. La rapide
extension de la juridiction royale en France, pendant la seconde moitié du XIIIe
siècle, finit par faire du roi le bénéficiaire presque exclusif des biens
confisqués. Au début, cependant, il y eut des querelles sur les dépouilles.
Après le traité de Paris (1229), Saint-Louis, en accordant des fiefs dans les territoires
récemment acquis par la Couronne, semble avoir voulu trancher la question en
se réservant les confiscations pour cause d’hérésie. On vit bientôt qu’il
avait été heureusement inspiré. Les maréchaux de Mirepoix, membres d’une
famille d'aventuriers qui avaient suivi Montfort, réclamèrent les biens
meubles de tous les hérétiques pris sur leurs domaines, même si ces biens se
trouvaient sur le domaine du roi ; leur demande lut rejetée, en 1209, par le
Parlement de Paris. Les évêques réclamèrent tous les biens des hérétiques qui
vivaient sous leur juridiction et, au concile de Lille (Comtat
Venaissin), en 1251,
ils menacèrent d’excommunication quiconque les leur disputerait. Le peu de
fondement de celte prétention parait dans un arrangement conclu en décembre
1229, sous les auspices du légat Romano, entre l’évêque de Béziers et le roi
: le droit du roi sur les biens confisqués y est reconnu comme incontestable
et l’évêque stipule seulement qu’au cas où ces biens seraient des fiefs et où
le roi les concéderait à nouveau, ils seraient soumis aux droits seigneuriaux
de l’évêque ; si, par contre, le roi les gardait, l’évêque devait recevoir
quelques compensations pour ses droits de suzeraineté. Ceci témoigne d’un
grief, à tout prendre, légitime, car lorsque des fiefs d’hérétiques étaient
acquis par la Couronne, les évêques suzerains se trouvaient lésés par suite
de leur zèle a poursuivre l'hérésie. Diverses
tentatives furent faites pour mettre les intérêts d’accord, dans cette
question sans cesse renaissante des biens confisqués. Par une transaction
datant de 1251, le roi avait pris l’engagement de se dessaisir de tous les
biens confisqués ù son profit dans le délai d’un an et un jour. Le concile de
Béziers, en 1210. adopta un canon à cet effet, mais il n’en fui pas tenu
compte et enfin, vers 1255, Saint-Louis accepta un compromis, aux termes
duquel tous les territoires soumis aux évêques et confisqués devaient être
divisés en deux parties égales, les évêques ayant le droit de racheter, dans
le délai de deux mois, la part royale, à un prix fixé par des arbitres ; si
ce droit n’était pas exercé, le roi était tenu, dans le délai d’un an et un
jour, de céder ces territoires à une personne de condition analogue à celle
du possesseur précédent et tenue aux mêmes redevances : mais on convint que
tous les biens meubles appartiendraient à la Couronne. Une telle convention
ne pouvait qu’accroître rapidement les biens temporels dépendant des évêchés.
Nous avons vu que les évêques de Toulouse, antérieurement aux Croisades,
vivaient dans un état de pauvreté apostolique ; au cours du siècle suivant,
le pays tout entier s'appauvrit, les villes souffrirent cruellement et
cependant, en 1317, lorsque Jean XXII découpa six nouveaux évêchés dans le
diocèse de Toulouse, il donna comme motif l’énormité des revenus de l’évêque,
qui s’élevaient à 40,000 livres tournois par an, alors que le diocèse avait
déjà été privé de près de la moitié de son territoire par Boniface VIII lors
de la formation du diocèse de Pamiers ![5] Les
évêques d’Albi se montrèrent particulièrement actifs et entendus dans ces
saturnales du pillage. Profilant de la confusion créée par la guerre, ils
usurpèrent différents droits, y compris ceux de haute justice et de
confiscation, ce qui les entraîna à des disputes, qui durèrent trente ans,
avec les représentants de la Couronne. Ils firent preuve d’un zèle
extraordinaire dans la poursuite des hérétiques, qui leur semblait fructueuse
autant qu’utile à la foi. En 1247, l’évêque Bertrand obtint d’Innocent IV des
pouvoirs inquisitoriaux particuliers, sans doute pour appuyer ses
revendications temporelles, et Tannée suivante il fit de brillantes affaires
en vendant à des condamnés et à des hérétiques repentis des commutations de
peine. Ce commerce était d’un bon rapport, mais il était irrégulier ; on le
vil en 1253, lorsqu’Alphonse de Poitiers, essayant de s’enrichir par la même
méthode, fut arrêté net par T archevêque de Narbonne et l’évêque de Toulouse,
qui déclarèrent que ces abus scandalisaient les fidèles et menaçaient de
détruire la religion, Enfin, pour en finir avec les réclamations de l’évêque
touchant les biens confisqués, Saint-Louis, au mois de décembre 1264, passa
une convention avec Bernard de Combret, titulaire du siège d’Albi, qui fut
aussitôt confirmée par Urbain IV. Le prélat devait percevoir la moitié des
biens confisqués dans son diocèse ; la part du roi en biens-fonds revenait à
l’évêque si elle n'avait pas été aliénée dans le délai d’un an et devenait sa
propriété absolue si elle n’avait pas clé vendue dans le délai de trois ans.
C’est pourquoi, dans les comptes des procureurs royaux des encours à
Carcassonne, nous voyons toujours les confiscations en Albi partagées entre
l’évêque et le roi. Bien que la part de l’évêque en argent comptant ne se
soit élevée qu’à 160 livres entre la Saint-Jean de 1322 et celle de 1323, il
y eut des années où les sommes perçues de ce chef furent bien plus
considérables. Vers 1300, l’évêque Bernard de Castanet abandonna
généreusement à l’église dominicaine d'Albi sa part des domaines de deux
citoyens, Guillem Aymeric et Jean de Castanet, condamnés après leur mort ;
celle part dépassait un millier de livres. Comme on se le figure aisément,
les arrangements conclus avec la Couronne donnèrent naissance à de nombreux
conflits. Vainement Philippe-le-Bel, en 1307, insista sur le respect des
conventions et sur la restitution des biens détournés. En 1316, nous voyons
l’évêque d'Albi réclamer des propriétés qui n’avaient pas été vendues dans le
délai de trois ans, à quoi Arnaud Assalit, le procureur, répondait qu’il
avait été empêché de procéder aux ventes par des causes justes et légitimes ;
enfin, le sénéchal, Aymeric de Croso, décida que les empêchements avaient
bien eu ce caractère et que les droits de la Couronne restaient intacts. Ces
questions n’étaient pas les seules auxquelles donnaient naissance ces
spoliations collectives qui fournissaient une ample matière aux avocats. Un
procès intenté par les évêques de Rodez, pour certaines terres confisquées à
des hérétiques et possédées par la Couronne, se prolongea pendant trente ans
et arriva enfin au Parlement de Paris, qui annula simplement toute la
procédure par la raison que ceux qui avaient, soutenu tes droits de la
Couronne n’étaient pas investis de l’autorité nécessaire. Une au Ire affaire
entre le roi et Eléanor de Mont- fort, comtesse de Vendôme, touchant les
biens de Jean Baudier et de Raymond Calverie, fut presque aussi longue et
aussi confuse. La confiscation datait de 1300 : en 1327, le procès suivait
encore son cours ; il devait se terminer par un compromis en 1333. Tous
les prélats n’étaient pas aussi rapaces que ceux d’Albi, dont l’un se plaint
encore, en 1328, des ruses employées par ses victimes pour réserver à leurs
familles un morceau de pain ; mais les princes et leurs représentants étaient
sans pitié quand il y avait quelque chose à prendre. J’ai déjà dit
qu’aussitôt qu’un suspect était cité devant l’Inquisition, ses biens étaient
mis sous séquestre, avis était donné à ses débiteurs qu’ils eussent à verser
au roi toutes les sommes dues par eux. Charles d’Anjou introduisit cette
pratique à Naples, où un ordre royal d’arrêter soixante-neuf hérétiques, en
1269, prescrit également de saisir leurs biens, qui doivent être acquis au
roi. Les fonctionnaires étaient d’avance si convaincus que le procès se
terminerait par une condamnation, qu’ils n’en attendaient souvent pas
l’issue, mais opéraient la confiscation dès l’abord. Cet abus datait de
l’origine même de l’Inquisition. En 1327, Grégoire IX s’en plaignit et
l’interdit, mais en vain ; en 1246, le concile de Béziers le condamna de
nouveau, réserve faite du cas où l’inculpé avait sciemment « adhéré » à des
gens connus pour être hérétiques. Lorsque, en 1239, Saint-Louis atténua les
rigueurs de la confiscation, il prohiba indirectement la saisie précipitée en
ordonnant à ses fonctionnaires, toutes les fois qu’un accusé n’était pas
condamné à la prison, de l’admettre, lui ou ses héritiers, à réclamer les
biens séquestrés ; mais s’il y avait suspicion d’hérésie, ces biens ne
devaient pas être rendus sans une caution garantissant qu’ils seraient acquis
à l’Étal au cas où, dans le délai de cinq ans, la preuve de l’hérésie
viendrait à être faite ; pendant ce laps de temps, ils ne pouvaient pas être
aliénés. Cependant les confiscations préventives continuèrent à être opérées,
si bien que Boni face VIII crut devoir insérer dans le droit canonique une
nouvelle prohibition de ce vol. Mais cela -même ne suffit pas ! L’Inquisition
avait tellement répandu l’idée que tout accusé était coupable, qu’une fois
dans ses mains on ne pouvait en échapper, que les fonctionnaires sc croyaient
à l’abri de tout péril en agissant sur une simple présomption. Nous
connaissons, par différentes sources, un cas de celle espèce, qui est sans
doute le type de beaucoup d’autres. Lors dos persécutions d’Albi, en 1300, un
certain Jean Baudier fut interrogé d’abord le 20 janvier ; il n’avoua rien.
Entendu une seconde fois, le 5 février, il confessa des actes d’hérésie et
fut condamné le 7 mars. Mais ses biens confisqués avaient été vendus dès
le 29 janvier, non seulement avant le jugement, mais avant les aveux de
l’accusé. Guillem Garric, accusé de complicité dans le complot ourdi pour
détruire les registres de l’Inquisition à Carcassonne (1284), ne fut condamné qu’en 1319 ;
mais, dès 1301, le comte de Foix et les officiers royaux sc disputent la
possession de son château confisqué de Monteirat. Un
rapport de Jean d’Arsis, sénéchal de Rouergue, à Alphonse de Poitiers (vers 1233) témoigne éloquemment de la
rapacité féroce avec laquelle celle procédure de spoliation était conduite. L’évêque
de Rodez menait une vigoureuse campagne contre les hérétiques et avait remis
au bras séculier, à Najac, un certain Hugues l’araire, que le sénéchal fit
immédiatement brûler vif ; ses biens confisqués se montaient à plus de mille
livres tournois. Mais d’Arsis, apprenant que l’évêque avait cité à Rodez six
autres citoyens de Najac, s’empressa de se rendre dans la ville épiscopale
pour s’assurer que les droits de son maître ne seraient pas lésés. L’évêque
lui dit que ces six individus étaient des hérétiques et qu'il ferait gagner
au comte cent mille sols par la confiscation de leurs biens ; mais, d’accord
avec ses assesseurs, il priait le sénéchal île permettre qu’une partie de
celte fortune restât aux enfants des accusés. Refus du loyal serviteur.
Là-dessus, l’évêque, mal conseillé et au mépris des droits du comte, s’efforça
d’éviter la confiscation en condamnant les hérétiques à quelques pénitences
légères. Le sénéchal pratiqua sans tarder la saisie des biens, après quoi il
en abandonna quelques miettes aux pénitents et à leurs enfants, ce qui ne
l’empêchait pas, écrivit-il. d’avoir encaissé environ mille livres ; il
termine en conseillant au comte, s’il veut éviter (l’être trompé, de désigner
quelqu’un pour surveiller la suite des opérations de l’évêque. D'autre part,
les évêques se plaignaient que les officiers d’Alphonse permissent aux
hérétiques, moyennant finances, de garder une partie de leurs biens et
condamnassent au bûcher des malheureux qui ne le méritaient pas, afin de
pouvoir s'emparer de leur avoir. Ces infâmes abus devinrent tellement
intolérables qu’en 1251 les officiers d’Alphonse, y compris Gui Foucoix,
essayèrent d’y porter remède en publiant un règlement général ; mais il était
bien difficile de faire disparaître ces scandales, conséquences naturelles de
l’institution. Alphonse, malgré sa cupidité, consentait à partager ses
rapines avec ceux grâce auxquels il les exerçait ; nous connaissons plusieurs
exemples de ses libéralités, dont le désintéressement est d'ailleurs douteux.
En 12(18, il attribue à l'Inquisition un revenu de cent livres par an sur les
biens confisqués d’un hérétique ; en 1270, il autorise la construction d'une
chapelle, sur des fonds de provenance analogue. Naturellement,
les spoliateurs niellaient un zèle extraordinaire à rechercher partout la
matière à confiscation. Le registre des confiscations, opérées de 1302 à 1313
par les procureurs des encours de Carcassonne, nous est parvenu en manuscrit
; nous y voyons avec quel soin on recouvrait les créances des condamnés, même
s’il ne s’agissait que de quelques sous. Dans le cas d'un prisonnier opulent,
Guillem de Fenasse, il fallut huit à dix ans pour réaliser (oui l'actif, y
compris 859 créances dont les plus faibles montaient à cinq deniers. En
revanche, il n’est jamais question du payement des dettes de l'accusé ; on
appliquait ainsi le principe en vertu duquel un hérétique ne pouvait pas
s’engager valablement et l’on spoliait sans pudeur ses créanciers. Les nobles
affirmèrent leur droit de réclamer pour eux toute somme due par un de leurs
vassaux à un hérétique- mais Philippe de Valois, en 1329, décida que lorsque
les dettes étaient payables au domicile de l’hérétique, le montant en
reviendrait au fisc royal, sans considération de la vassalité du débiteur. Un
autre exemple de l’exécrable avidité des spoliateurs est fourni par un procès
qui fut jugé par le Parlement de Paris en 1302. A la mort du chevalier
Guillem Prunèle et de sa femme Isabelle, la garde de leurs orphelins revenait
légalement à leur plus proche parent, le chevalier Bernard de Montesquieu ;
mais ce dernier avait été brûlé, quelques années auparavant, pour hérésie, et
ses biens avaient été confisqués. Le sénéchal de Carcassonne prétendit que la
fortune des orphelins constituait un acquêt posthume de Bernard, et, en
conséquence, il la saisit. Mais un neveu, autre Bernard de Montesquieu,
attaqua cette décision et réussit à la faire annuler. Les
propriétés aliénées n’étaient pas recherchées avec moins de soin. Comme,
d’après la loi romaine de majesté, la forfaiture était contemporaine du crime
d’hérésie, l’hérétique était censé incapable de transmettre un litre, et
toute vente, toute donation faites par lui étaient milles, alors môme que
l’objet aliéné avait passé dans la suite par plusieurs mains. Le détenteur
devait le remettre sans indemnité, û moins que le prix môme de la transaction
ne se trouvât dans les biens de l’hérétique. En 1272, Charles d’Anjou écrivit
de Naples à son viguier et à son sous-viguier à Marseille pour les informer
qu’une certaine Maria Roberta, avant d’être condamnée à la prison pour
hérésie, avait vendu une maison ; ils avaient ordre de la saisir, de la
vendre aux enchères et de faire connaître le prix obtenu. Comme ils
négligèrent d’obéir, ils furent remplacés par d’autres officiers, auxquels
Charles réitéra ses ordres, en les rendant personnellement responsables de
leur exécution. En même temps, il écrivit à son sénéchal pour lui prescrire
de surveiller cette affaire, à laquelle il dit attacher beaucoup d’importance[6]. La
cruauté de ces spoliations était encore aggravée par la manière impitoyable
dont on y procédait. Aussitôt qu’un homme, avait été arrêté pour soupçon
d’hérésie, ses biens étaient séquestrés et remis aux officiers publics, qui
ne devaient les lui rendre que dans l’hypothèse peu vraisemblable où les
preuves de sa culpabilité seraient déclarées insuffisantes. On inventoriait
jusqu'à ses ustensiles domestiques, jusqu’aux provisions qu’il avait au
logis. Ainsi, qu’il fût Innocent ou coupable, sa famille était jetée à la
rue, réduite à mourir de faim ou à s’adresser à la charité d’autrui — charité
bien précaire puisqu'on pouvait être poursuivi et condamné pour avoir
témoigné de la sympathie à un hérétique. C’est dire assez l’effroyable
accumulation de souffrances dont cette procédure seule a ôté la cause ! Dans ce
chaos de déprédations, les exécuteurs des spoliations cherchaient, bien
entendu, à se faire leur pari. En 130i, Jacques de Polignac, qui avait été
pendant vingt ans garde de la geôle inquisitoriale de Carcassonne, ainsi que
plusieurs officiers préposés aux confiscations, furent convaincus d’avoir
détourné quantités de biens, entre autres un château, plusieurs fermes, des
vignes, des vergers et des meubles, qu’ils furent condamnés à restituer au
roi (3). Il est
consolant de se détourner de ces horreurs pour raconter un cas qui éveilla
beaucoup d’intérêt en Flandre, à une époque où l’Inquisition était devenue si
peu active dans ce pays que la pratique des confiscations était presque
tombée dans l’oubli. L’évêque de Tournai et le vicaire de l’Inquisition
condamnèrent à Lille un certain nombre d’hérétiques, qui furent brûlés vifs. Ils
confisquèrent leurs biens, réclamant les meubles pour l’Église et pour
l’inquisiteur, le reste pour le fisc. Courageusement, les, magistrats de
Lille intervinrent, déclarant qu’une des franchises de leur ville stipulait
qu’aucun bourgeois ne pouvait être privé à la fois de sa vie et de ses biens.
Puis, au nom des enfants d’une des victimes, ils firent appel au pape. Les
conseillers du suzerain, Philippe le lion de Bourgogne, réclamaient pour lui
l’ensemble des biens confisqués, tandis que les ecclésiastiques prétendaient
ériger en règle le retour à l’Eglise des biens meubles du condamné. Comme
cette querelle où trois parties étaient intéressées menaçait d’entrainer de
longs et coûteux procès, on s’accorda pour soumettre la cause au duc
lui-même. Celui-ci, avec une rare sagesse, trancha le différent en 1130, aux
applaudissements de tous : il décida que la sentence de confiscation était
non avenue et que les biens des condamnés passeraient à leurs héritiers ; il
ajouta expressément que les droits de l’Eglise, de l’Inquisition, de la ville
et de l’État étaient réservés sans préjudice, dans toute occurrence analogue qu’il
n’y avait pas, d’ailleurs, lieu de prévoir. Mais le duc montra moins de
désintéressement en 1460, lors de la terrible persécution contre les sorciers
d’Arras ; les meubles des malheureux furent réunis au trésor épiscopal et
leurs biens-fonds confisqués par le fisc, malgré les réclamations de la
ville, fondées sur des privilèges reconnus[7]. Non
seulement ces confiscations en masse infligeaient des misères aussi cruelles
qu’imméritées à des milliers de femmes ci d’enfants sans défense, réduits à
la mendicité, mais elles paralysaient la vie publique et tes relations
journalières à un degré qu’il est difficile de concevoir. Toute sécurité
était enlevée aux transactions. Aucun créancier, aucun acquéreur ne pouvait
être certain de l’orthodoxie de celui à qui il avait affaire ; plus encore
que le principe de la perte du droit de propriété par le lait de l’hérésie,
l’habitude de procéder contre les morts après un nombre d’années presque
illimité empêchait qui que ce soit d’être sûr du lendemain, de jouir de sa
fortune acquise ou de celle dont il avait hérité. La
prescription n’était établie, en théorie, contre les revendications de
l’Église romaine qu’au bout d’un siècle, à compter non pas de la perpétration
du crime, mais de l’époque où il avait été découvert. Bien que certains
légistes estimassent que la procédure contre les défunts dût commencer dans
le délai de cinq ans après leur mort, d’autres affirmaient qu’il n’y avait plus
de limite, et la pratique de l’Inquisition prouve que cette dernière opinion
avait prévalu. En matière ordinaire, la prescription à l’égard de l’Église
s’établissait au bout de quarante ans ; mais il fallait, pour l’invoquer, que
le possesseur d’un bien pût établir qu’il n’avait jamais soupçonné d’hérésie
le précédent propriétaire et que ce dernier était mort avec une réputation
intacte d’orthodoxie. Sinon, les titres de propriété étaient sujets à
contestation[8]. Nous
avons vu que les poursuites contre les défunts étaient une parodie de la
justice, où la défense était impossible et la confiscation finale inévitable.
Le cas de Gherardo de Florence montre à quel point les familles étaient
exposées de ce chef à la ruine. Gherardo, homme riche et puissant,
appartenant à l’une des maisons les plus nobles et les plus anciennes, était
consul en 1218. Secrètement hérétique, il fut hérêtiqué sur son lit de
mort entre 1210 et 1230. L'affaire parut oubliée jusqu’en 1313, époque où Fra
Grimaldo, inquisiteur de Florence, intenta une poursuite contre sa mémoire et
eut gain de cause. Dans la condamnation qui s’ensuivit étaient compris ses
enfants Ugolino, Cante, Nerlo, Bertuccio, ses petits-enfants Goccia, Coppo, Fra
Giovanni, Gherardo, prieur de S. Quirico, Goccino, Baldino et Marco — qui
tous furent privés de leurs biens et frappés des incapacités qui pesaient sur
la postérité des hérétiques. A une époque où de pareilles infamies étaient
saluées comme des témoignages éclatants d’un zèle [lieux, personne ne pouvait
compter sur le pain du lendemain ; pauvres et riches vivaient sous la menace
d’un brigandage perpétuel[9]. Un
exemple un peu différent, mais également instructif, nous est fourni par le
cas de Géraud de Puy-Germer. Son père avait été condamné pour hérésie à
l’époque de Raymond VII de Toulouse, qui restitua généreusement les biens
confisqués. Mais vingt ans après la mort du comte, en 120S, les zélés agents
d'Alphonse les saisirent comme étant encore passibles de forfaiture. Là-dessus,
Géraud en appela à Alphonse, qui ordonna une enquête ; nous ignorons quel en
fut le résultat. Non seulement tout ce qu’un hérétique avait aliéné était
arraché aux acquéreurs, mais les dettes qu’il avait contractées, les
hypothèques et obligations qu'il avait assumées étaient considérées comme
nulles. Même lorsque Saint-Louis atténua la rigueur des confiscations en
Languedoc, tout ce qu’il put concéder fut que les créanciers rentreraient
dans les dettes contractées par les hérétiques avant leur premier acte
d’hérésie ; les obligations postérieures à ce fait, le plus souvent
impossible à dater avec précision, étaient de nul effet. Comme personne ne
pouvait être sur de l’orthodoxie de son voisin, on conçoit à quel point les
transactions les plus simples se trouvaient entravées et paralysées — et
cela, à une époque où l'industrie et le commerce tendaient à reprendre essor en
Europe. L’Inquisition n’a pas seulement étouffé les aspirations
intellectuelles du xiii" siècle : elle en a puissamment retardé les
progrès matériels. C’est cela même qui contribua, avec les horreurs de la
persécution elle-même, à détruire la civilisation si pleine de promesses de
la France méridionale et à transférer à l’Angleterre et aux Pays-lias, où
l’Inquisition était relativement impuissante, cette primauté commerciale et
industrielle qui frayait la voie à la richesse, à la puissance et à la
liberté[10]. Les
intelligentes cités italiennes, à l'époque de leur prospérité naissante, ne
tardèrent pas à s'inquiéter du tort que l’Inquisition leur causait. A
Florence, on chercha un remède en exigeant du vendeur d’un bien-fonds qu’il
donnât une garantie contre la possibilité d'une confiscation inquisitoriale ;
cette garantie était, en général, fournie par un tiers, qui pouvait
cependant, à son tour, être dépouillé pour la même cause. C’était, en somme,
'remplacer un mal par un autre et l’on sentit vite ce qu’une pareille
situation avait d’intolérable. La République s’adressa solennellement à
Martin V, lui représentant les scandales qui s’étaient déjà produits et ceux
qui menaçaient de se produire encore par suite des confiscations de liions
d’hérétiques opérées aux mains d’acquéreurs de bonne foi. Le pape se laissa
convaincre ; par une bulle spéciale du 22 novembre 1283, il ordonna aux
inquisiteurs florentins de s’abstenir de pareilles confiscations à l’avenir. Les
princes qui profitaient des confiscations reconnaissaient qu’ils avaient le
devoir corrélatif de supporter les dépenses de l’Inquisition ; leur intérêt
personnel aurait d’ailleurs suffi à les pousser à maintenir une institution
d’un si bon rapport pour leur fisc. Théoriquement, il était incontestable que
les évêques devaient faire les frais de la guerre à l'hérésie ; les inquisiteurs
du Languedoc essayèrent d’abord d’obtenir d’eux Ifs fonds nécessaires,
demandant du moins que les pénitences pécuniaires en amendes, infligées en
vue d’usages pieux, fussent consacrées à la rétribution des notaires
et des commis de l’Inquisition. Mais ces efforts furent inutiles, car, comme
le disait Gui Foucoix (Clément IV), les mains des évêques étaient tenaces et leurs
bourses serrées. Dans l’Italie du nord et du centre, l’Inquisition, grâce aux
amendes et aux confiscations, faisait largement ses frais. A Venise, l'Etal
payait les dépenses et percevait les bénéfices. A Naples, les monarques
angevins adoptèrent d’abord la même politique ; ils prenaient pour eux les
biens confisqués, mais pourvoyaient à la subsistance des prisonniers et, en
outre, payaient à chaque inquisiteur un augustal — c’est-à-dire le
quart d’une once d’or — par jour pour ses dépenses personnelles, celles de
son collègue, de son notaire et de ses trois familiers (avec leurs
chevaux). Ces
sommes étaient prélevées sur les douanes de Naples qui frappaient le 526 fer,
le goudron et le sel ; les ordres de payement étaient généralement à six mois
et devaient être renouvelés ; mais il ‘ y avait souvent de grands délais et
les inquisiteurs ne s’en plaignirent pas sans motif, bien que les
fonctionnaires royaux fussent menacés d’amende en cas de retard. Je trouve
cependant, en 1272, une lettre adressée à l’inquisiteur Fra Matteo di
Castellamare, qui lui attribue le salaire d’une année entière, payable six
mois à l’avance. Quand Charles II, en 1290, institua, suivant les ordres du
pape, le partage des dépouilles, il n’en continua pas moins à contribuer aux
dépenses, bien que dans une mesure un peu réduite. Par des lettres du 16 mai
1291. il prescrit de payer à Fra Bartolomeo di Aquila la somme de quatre tareni
— un trentième d’une once d’or — par jour et le 7 juillet de la même année il
attribue cinq onces par mois à l’entretien du personnel de l’inquisiteur (1). En
France, il y eut d’abord quelque hésitation. Le droit des évêques était si
clair qu’ils ne pouvaient pas refuser de supporter au moins une partie des
dépenses. Avant l'établissement de l’Inquisition, cette charge consistait
presque uniquement dans l’entretien des convertis emprisonnés. Au concile de
Tours, les évêques consentirent à l'assumer quand les captifs seraient sans
ressources ; en revanche, les prisonniers dont on avait confisqué les biens
devaient être nourris par les princes, bénéficiaires de la confiscation.
Cette proposition, comme celle que fit plus tard le concile d’Albi, en 1234,
entraînait des complications et fut mal appliquée. Les statuts de Raymond, en
1234, entrèrent dans de grands détails au sujet des confiscations, mais ne
firent aucune provision pour doter l’Inquisition nouvelle des ressources
nécessaires. La question resta pendante. En
1237, Grégoire IX se plaint que les officiers royaux ne paient rien pour
l'entretien des prisonniers dont ils ont confisqué les biens. Quand, en 1246,
le concile de Béziers se fut réuni, le cardinal légat d’Albano rappela aux
évêques que c’était leur devoir de financer, conformément aux décisions du
concile de Montpellier dont les procès-verbaux ne nous sont pas parvenus.
Cela ne faisait, pas l’affaire des bons évêques. Comme nous l’avons vu, ils
demandaient que les [irisons fussent construites aux frais des bénéficiaires
des confiscations et proposaient que les amendes servissent à leur entretien
et à l’entretien des inquisiteurs. Mais Saint-Louis ne pouvait se résigner à
voir interrompre une pieuse besogne faute de moyens appropriés. En 1248, il
prend sur lui les dépenses de l’Inquisition dans tous les territoires de la
Couronne ; nous avons vu plus haut comment il sc chargea des frais afférents
aux prisons et à leurs hôtes. En 1246, il ordonna à son sénéchal de
Carcassonne de payer aux inquisiteurs dix sols par jour sur le produit des
confiscations. On peut croire que le comte Raymond contribua sans
enthousiasme à l'entretien d’une institution à laquelle il avait lait
obstacle tant qu'il avait osé lutter pour le salut de ses sujets ; mais
quand, en 1249, Jeanne et Alphonse de Poitiers lui succédèrent, ce dernier
prince, avide et astucieux, trouva son compte à stimuler le zèle de ceux qui
l’enrichissaient de leurs spoliations. Non seulement il paya les dépenses des
tribunaux fixes, mais il ordonna à ses sénéchaux de pourvoir aux besoins des
inquisiteurs et de leurs familiers dans leurs courses à travers ses domaines.
Sa sollicitude s’étendait jusqu’aux détails. En 1208, Guillem de Montreuil,
inquisiteur de Toulouse, l’informe de l’engagement d’un notaire à six deniers
par jour et d’un serviteur à quatre deniers par jour ; Alphonse ordonne que
ces salaires soient payés en son nom. Charles d’Anjou, non moins cupide,
trouvait le temps, parmi ses nombreuses distractions en Italie, de veiller à
ce que ses sénéchaux de Provence et de Forcalquier contribuassent à la
dépense de l’Inquisition d’après les mêmes principes dont s’inspirait le roi
dans ses domaines royaux[11]. Quelque
profit que tirât le fisc de l’industrie des inquisiteurs, ceux-ci étaient
parfois portés à s’en faire une idée trop haute et à engager des dépenses qui
semblaient excessives à ceux auxquels revenait l’honneur de payer. Dès 1242
et 1244, alors que les princes n’avaient pas encore fait de provisions pour
le Saint-Office, alors que les évêques revendiquaient encore énergiquement
les amendes, le luxe et l’extravagance de certains inquisiteurs leur
attirèrent le blâme de leur propre Ordre, comme on le vit aux chapitres
provinciaux tenus par les Dominicains à Montpellier et à Avignon. Assurément
il était injuste d’englober tous les inquisiteurs dans les mêmes reproches ;
mais il est certain que beaucoup d’entre eux les méritèrent et qu’ils avaient
quantité de moyens, légitimes ou non, pour se procurer de l’argent. On
voudrait savoir, par exemple, comment Bernard de Caux, qui présida jusqu’à sa
mort (1232) le tribunal de Toulouse et qui,
en sa qualité de Dominicain, ne pouvait avoir de fortune personnelle, trouva
moyen d’être un grand bienfaiteur du couvent d’Agen, fondé en 12Î0. Alphonse
de Poitiers lui-même finit par se lasser des exigences de ceux qui pourtant
servaient si bien son avidité. Dans une lettre confidentielle de 1208, il se
plaint des énormes dépenses faites par les inquisiteurs de Toulouse, Pons de
Poyet et Etienne de Câline ; son agent devait essayer de les persuader
d’aller à Lavaur, où l'on espérait qu’ils seraient moins extravagants.
Alphonse offrait de mettre à leur disposition le château de Lavaur, ou tout
autre qui semblerait propre à servir de prison en même temps ; le rusé prince
leur écrivait directement, expliquant qu’afin de leur permettre d’étendre
leurs opérations il était prêt à les mettre en possession d’un vaste château
(1). Des
indications très curieuses sur les dépenses de l'Inquisition, de la
Saint-Jean de -1822 â celle de 1323, nous sont fournies par les comptes
d’Arnaud Assalit, procureur des encours de Carcassonne et de Béziers, qui
sont heureusement venus jusqu’à nous. Sur le produit des confiscations, le
procureur payait toutes les dépenses de l’Inquisition, — entretien des
prisonniers, recherche des témoins, poursuite des fugitifs, frais d’autodafé,
y compris les banquets pour l’assemblée des experts et le drap de couleur
safran pour les croix des pénitents. Nous apprenons par-là que le salaire de
l’inquisiteur s’élevait â 130 livres par an et qu’il était très
irrégulièrement payé. Le Frère Otbert, nommé au carême de 1310, n’avait
encore rien touché en 1322 ; mais alors, à la suite d’une lettre du roi
Charles le Bel, on lui paya en bloc son salaire de six années, s’élevant
à-900 livres. Bien qu’à cette époque le rendement des confiscations commençât
à décliner, il était encore considérable. Assalit reconnaît avoir perçu dans
l'année 2,219 livres, sept sols et dix deniers ; pendant le même temps, ses
dépenses, comprenant des frais judiciaires assez lourds et le payement
extraordinaire fait à Otbert, se sont élevées à 1.168 livres. Il sols et 4
deniers, laissant à la Couronne un bénéfice net de 1.050 livres[12]. Il est
incontestable que la persécution, en tant que politique régulière et
continue, reposait essentiellement sur la confiscation. Seule, la
confiscation fournissait des aliments à ce beau zèle pour la foi, qui
languissait misérablement dès que les profits faisaient défaut. Quand le
Catharisme eut disparu sous les coups de Bernard Gui, le déclin de
l’Inquisition commença et ne fil (pie s’accentuer. Les autres hérétiques,
Spirituels, Dulcinistes, Fraticelles, étaient des mendiants, qui avaient la
propriété en horreur ; les Vaudois étaient de pauvres paysans ou des bergers
; c’est tout au plus si un sorcier ou un usurier fournissait de loin en loin
une bonne prise. Néanmoins, jusqu’en 1357, l’office de bailli des
confiscations pour hérésie à Toulouse était encore suffisamment lucratif pour
trouver preneur ; l'année fiscale précédente avait donné un revenu de 640
livres et six sols. L’insuccès
de la première tentative pour introduire l’Inquisition en Franche-Comté
montre bien clairement que le zèle 530 religieux et l’appétit du bien
d’autrui étaient connexes. Jean, comte de Bourgogne, représenta à Innocent
IV, en 1248, que l’hérésie vaudoise se répandait dans la province de Besançon
et supplia le pape d’y porter remède. Jean ne voulut-il pas payer les frais
du traitement, ou bien la récolte opérée fut-elle maigre ? Quoi qu’il en
soit, les moines envoyés en Bourgogne demandèrent à être rappelés, assurant
qu'ils s'étaient épuisés en vains efforts faute d’argent. Alexandre IV agréa
leur pétition en 1255. La même conclusion s'impose quand on constate l’inutilité
des tentatives- pour établir l’Inquisition au Portugal. Quand, en 1370.
Grégoire XI prescrivit à l’évêque de Lisbonne de nommer un inquisiteur
franciscain pour le royaume, il stipula que le titulaire recevrait deux cents
florins d’or par an, à percevoir sur les sièges épiscopaux en proportion de
leurs contributions forcées à la Chambre pontificale. La force d’inertie que
l'on opposa aux instructions du pape fut simplement l’effet du mauvais
vouloir des évêques, qui ne voulaient pas être taxés ainsi ; on peut en dire
autant pour expliquer l'insuccès de Boniface IX, lorsqu’il nomma Fray Vicente
de Lisbonne inquisiteur d’Espagne et ordonna que ses dépenses fussent
supportées par les prélats du pays. La
tentative la plus cynique pour défrayer l’entretien de l’Inquisition fut
celle de l'empereur Charles IV, lorsqu’il essaya, en 13(19, de l'établir
solidement en Allemagne. Les hérétiques n’étaient ni nombreux ni riches et la
confiscation de leurs biens ne promettait qu’un aliment précaire au zèle de
Kerlinger et de ses compagnons. Nous verrons plus loin comment les maisons
des Innocents Beghards et Béguins furent confisquées sommairement afin de
fournir des logements et des prisons aux inquisiteurs ; les villes étaient
invitées à prendre leur part de ces vols, dans l'espoir de capter ainsi la
faveur du peuple. Mais tout échoua devant la répugnance invincible que le
Saint-Office inspirait, en Allemagne, au peuple et aux prélats. Eymerich,
écrivant en Aragon, vers 1375, dit que le mode d’entretien de l'Inquisition
est une question depuis longtemps débattue et qui n’a jamais été résolue
nettement. L'opinion la plus répandue, parmi les hommes d’Église, était que
le fardeau devait incomber aux princes temporels, qui, profitant des
confiscations, avaient le devoir d’accepter les charges ; mais de nos jours,
ajoute tristement Eymerich, il y a peu d’hérétiques obstinés, moins encore de
relaps et presque pas d’hérétiques riches, de sorte que les princes, n’ayant
pas grand’chose à gagner, sont peu disposés à se mettre en frais. Il faudrait
trouver une autre combinaison, mais toutes celles qu’on a proposées se
heurtent à des objections fâcheuses ; sur quoi Eymerich conclut en regrettant
qu’une institution si salutaire et si nécessaire à la chrétienté soit aussi
mal assurée du lendemain. Pendant
qu’Eymerich s’attristait de la sorte, la question se présentait ailleurs sous
son aspect le plus prosaïque. Jusqu’en 1337, les comptes de la sénéchaussée
de Toulouse font état des dépenses pour un autodafé, pour la
réparation des immeubles de l’Inquisition, les salaires de l’inquisiteur et
de ses aides et l'entretien des prisonniers. Mais la confusion et la misère
résultant de la guerre de Cent Ans firent bientôt disparaître ces articles du
budget. En 1375, Grégoire XI persuada au roi Frédéric de Sicile d’autoriser
l’inquisiteur à percevoir les biens confisqués, afin que les ressources ne
manquassent pas à l’œuvre de salut. En même temps, il fit un vigoureux effort
pour exterminer les Vaudois qui se multipliaient dans le Dauphiné. Il y avait
des prisons à construire, des foules de prisonniers à nourrir, et le pape
ordonna que ces dépenses fussent supportées par les prélats qui, par leur
négligence, avaient laissé croître l’hérésie. Mais bien qu’il menaçât les
récalcitrants d’excommunication, les bourses des évêques demeurèrent closes
et bientôt après nous voyons l’inquisiteur réclamer une part des
confiscations, par la raison qu’il n’a pas d’autres ressources pour subvenir
aux besoins de son tribunal. Des officiers royaux insistèrent pour conserver
le tout et il en résulta une chaude querelle qu’fut soumise au roi Charles le
Sage. Ce monarque conféra avec le Saint Siège et, en 1378, publia une
ordonnance par laquelle il se réservait tout le produit des confiscations et
attribuait a l’inquisiteur un salaire annuel de 190 livres tournois — le même
qu’aux tribunaux de Toulouse et de Carcassonne —, sur lequel devaient être
payées toutes les dépenses de l’Inquisition. Le roi ajoutait que si ce
traitement n’était pas régulièrement payé, l’inquisiteur pourrai ! se payer
lui-même sur les confiscations. Au milieu <lu terrible désordre
auquel-donna lieu la folie de Charles VI, cette convention cessa d’être
observée. En 1409, Alexandre V laissa à son légat le soin de décider si
l’inquisiteur du Dauphiné devait recevoir trois cents florins d’or par an, à
lever sur les Juifs d’Avignon, ou dix florins par an de chaque évêque de sa
vaste province, ou, enfin, si les évêques devaient être obligés de
l’entretenir, lui et ses gens, pendant ses tournées dans le pays. Mais l'invasion
et la guerre civile eurent bientôt tari toutes les sources de revenus. En
1432, le Frère Pierre Fabri, inquisiteur d’Embrun, ayant été convoqué au
concile de Bâle, répondit qu’il ne pouvait pas venir, tant à cause des
embarras que lui créaient les Vaudois que de son indicible pauvreté : « Je ne
touche jamais un sol de l’Eglise de Dieu et je ne reçois aucun salaire
d’ailleurs. » Bien entendu, il serait injuste de dire que l’avidité et la soif du pillage aient été les moteurs originaires de l’Inquisition ; mais il est impossible de nier que ces basses passions en assurèrent l’extension et la durée. Qu’on se souvienne des plaintes formulées, au nom des intérêts du fisc, contre l’immunité promise fi ceux qui se présenteraient à confession pendant le délai de grâce ; qu’on se rappelle la réponse de Bernard Gui, alléguant que les pénitents étaient obligés de dénoncer leurs complices et que, par suite, avec le temps, l’indulgence devait tourner au profit du fisc. Ceux qui poussaient à la persécution n’en ont jamais perdu de vue les bénéfices. Sans ce stimulant du pillage, l’Inquisition n’aurait pas survécu à la première poussée du fanatisme qui lui donna naissance ; elle aurait pu durer pendant une génération, puis disparaître jusqu’à ce qu’une recrudescence de l’hérésie la fît revivre. Ainsi soumis à des attaques intermittentes, le Catharisme aurait pu échapper à une destruction complète. Mois, par la vertu des lois de confiscation, les hérétiques devinrent les artisans de leur propre ruine. L’avidité et le fanatisme se donnèrent la main et fournirent pendant un siècle la force motrice à une persécution féroce, continue, impitoyable, qui finit par accomplir ses desseins et par s’éteindre faute de victimes à dévorer. |
[1]
C’est probablement en obéissance au canon de Tours que les biens de Pierre
Maurau de Toulouse furent confisqués en 1178 au profit du comte ; on lui permit
de les racheter au prix d’une amende de 500 litres d’argent (Roger Hoveden. Annal,
an». 1178.) — Le décret d’Àlonso II d'Aragon contre les Vaudois, en 1194
(Pegnæ Comment. 39 in Eymeric., p. 281), prononce la confiscation contre
les fauteurs d'hérésie, mais il n’y a pas de trace qu’on l’ait appliqué, non
plus que les canons subséquents du concile de Gérone en 1197 (Aguirre, v.
102-3). On peut en dire autant des édits d’Henri VI, en 1194, renouvelés par
Othon IV en 1310 (Lami, Antich. Tosc., p. 484).
[2]
La confiscation, au moyen âge, était une ressource ordinaire des budgets. En
Angleterre, depuis le temps d'Alfred, la trahison entraînait la perte de la vie
et des biens (Alfred’s Dooms 4 — Thorpe I. 63), double peine qui resta
dans la loi jusqu'en 1870 (Low and Pulling’s Dict. of English history,
p. 469). En France, le meurtre, le faux témoignage, la félonie, l’homicide et
le viol étaient punis de mort et de confiscation (Beaumanoir, Coutumes du
Beauvoisis, XXX, 2-5). D'après la loi féodale allemande, un homme, pouvait
perdre son fief par suite de diverses offenses, mais il y avait une distinction
: si l'offense atteignait le seigneur, le fief lui était dévolu ; s'il
s’agissait d’un simple crime, il passait aux héritiers du coupable (Feudor.
lib. I. tit. XXIII-XXIV). En Navarre, la
confiscation était de droit en cas de suicide, de meurtre, de trahison et même
de coups et de blessures, lorsque l’attentat s'était produit -dans un lieu où
demeuraient la reine et les enfants royaux. On rapporte le cas d’un homme dont
tes biens furent confisqués parce qu'il avait frappé un autre homme à Olite,
localité située à une lieue de Tafalla, ou la reine résidait par hasard à ce
moment (Ci. B. de Lagrèze, La Navarre française, u. 335).
[3]
En 1460, lorsque l’Inquisition de Franco, alors presque éteinte, fut ravivée
pour la poursuite des sorciers d'Arras, la confiscation fut un des châtiments
prononces. — Mém. de Jacques du Clerc, liv. IV, ch. I.
[4]
Dès 1387, dans les sentences d’Antonio Secco contre les Vaudois des vallées
alpines, on déclara que les confiscations doivent revenir exclusivement à
l’Inquisition (Archiv. Storie. Italiao, n° 38, p. 29, 36, 50.) — Il faut
dire, au crédit de Benoit XI, qu’en 1304 il autorisa Fra Simone, inquisiteur de
Rome, à restituer les biens injustement confisqués par ses prédécesseurs et à
atténuer les peines infligées par eux s’il les considérait comme trop sévères
(Grandjean, n° 1174).
[5]
Malgré les sentiments d’équité que manifesta généralement S. Louis, il ne fut
nullement indifférent à des acquisitions justifiées par l’esprit de son époque.
Lu 1246 eut lieu une sorte de razzia, dirigée contre les Juifs de Carcassonne,
qui furent jetés en prison. Au mois de juillet, S. Louis écrit à son sénéchal
qu’il veut tirer de ces Juifs le plus d’argent possible ; ils doivent, par
suite, être tenus fort h l’étroit, et le roi demande h être informé de la somme
qu’on peut exiger d’eux. Au mois d’août, il écrit que la somme proposée est
trop faible, et le sénéchal est chargé d’extorquer autant d’argent qu’il
pourra. — Vaissette, éd. Privât, VIII, 1191-2.
[6]
La loi anglaise sur la félonie était également rétroactive, et toutes les
aliénations postérieures au crime étaient réputées nulles (Bracton, lib. III,
tract. II, cap. 13, n° 8). — En Espagne, Maestro Jacopo de las Seves, dans ses Flores
de las Leyes, dédiées à Alphonse X, établit comme une règle de simple
équité que les biens confisqués doivent être pris avec la charge des dettes {Memorial
historico esjpañol, 1851, t. II, p. 219).
[7]
A Arras, une charte de 1335, confirmée par Charles V en 1369, protégeait les
bourgeois contre la confiscation dans le cas d’une condamnation pour crime par
un tribunal compétent. — Duverger, La Vauderie dans les Etats de Philippe le
Bon, Arras, 1883, p. 60.
[8]
Quelque sévère que fût, à cette époque, la loi anglaise contre la félonie, elle
avait du moins cela d'équitable qu’elle exigeait la condamnation du félon de
son vivant ; s’il mourait avant d’avoir été condamné, on épargnait ses biens
(Bracton, Lib. III. Tract. II, cap. 13, n° 17).
[9]
Lami, Antich. Tosc. p. 437, 536-7. — Il est vrai que lorsque Henri de
Chamay, inquisiteur de Carcassonne, envoya en 1335 à la cour pontificale les
dépositions contre la mémoire de dix-huit personnes accusées d’actes hérétiques
commis entre 1284 et 1290, le pape répondit qu’il n'y avait pas lieu d’attacher
d’importance à des bavardages contradictoires de personnes qui répétaient des
propos tenus bien des années auparavant. Les mêmes individus ayant été
précédemment l'objet de trois enquêtes sans résultat, les conseillers
pontificaux crurent devoir ne pas insister. — Vaissette, éd. Privât, IX. 401. —
En 1217, Guillem Pierre de Vintrou se plaignit à S. Louis que le sénéchal de
Carcassonne avait saisi les biens qu’il tenait de sa mère, parce que son grand-
père, dix-sept ans après sa mort, avait été accusé d’hérésie. Un pareil fait en
dit long sur l’application qu’on faisait de ce système. S. Louis ordonna que le
cas fût examiné et qu’on lui en lit un rapport. — Vaissette, éd. Privât, VIII.
1196.
[10]
Il y a toutefois un cas, datant de 1269, où le créancier de deux hérétiques
s’adresse à Alphonse de Poitiers pour être remboursé sur les biens des
condamnés ; Alphonse ordonne une enquête sur les circonstances du prêt. —
Vaissette, éd. Privât, VIII 1682.
[11]
Le soin avec lequel Alphonse réclamait les produits des confiscations paraît
dans une lettre de lui à son sénéchal, Jacques de Bois, auquel il demande des
comptes (25 mars 1268, Vaissette, éd. Privât, VIII, 1274.)
[12]
Coll. Doat, XXXIV. 189. — En 1317, les profits avaient été bien moindres. Nous
possédons le reçu du trésorier royal de Carcassonne, Lothaire Blanc, délivré à
Assalit le 24 septembre 1317 ; les recettes nettes, déduction faite des
salaires et autres dépenses, n’avaient été que de 495 livres, six sols, onze
deniers.