Les
fonctions pénales de l'Inquisition étaient fondées sur une fiction qui doit
être expliquée d’abord pour qu’on puisse juste- mont apprécier une partie de
son action. En théorie, elle n’avait pas la mission d'infliger dos peines. Sa
mission consistait à sauver des âmes, à les remettre dans la voie du salut et
à infliger des pénitences salutaires à ceux qui cherchaient cette voie, comme
un confesseur à ses pénitents. Ses jugements n'étaient donc pas, comme ceux
du juge temporel, des vengeances exercées par la société sur les coupables,
ou des exemples destinés à empêcher, par la terreur qu'ils inspiraient, la
diffusion du crime ; ils avaient simplement pour objet le bien des âmes
égarées, l'effacement ou le rachat de leurs péchés. Les
inquisiteurs eux-mêmes parlent généralement de leur office dans cet esprit.
Quand ils condamnaient un malheureux à la prison perpétuelle, la formule en
usage, dès que la procédure du Saint-Office fut fixée, consistait en une
simple injonction adressée au coupable de se rendre à la geôle et de s’y
renfermer, au régime du pain et de l'eau qui complétait la pénitence ; puis
on l’avertissait qu’il ne devait pas sortir de prison sous peine d’être
excommunié et considéré comme un hérétique parjure et impénitent. S’il
parvenait â s’enfuir, la demande d’extradition le représentait comme un
insensé, ayant rejeté la médecine salutaire prescrite pour sa guérison et
dédaigne l’huile et le vin au moyen desquels on cherchait à panser ses
blessures[1]... Donc,
en principe, le nombre des peines que pouvait infliger l’Inquisiteur était
très limité, il ne condamnait jamais à mort, mais retirait simplement la
protection de l’Église au pécheur endurci et impénitent, ou au relaps dont la
rechute avait prouvé qu’on ne pouvait se fier à son repentir. Sauf en Italie,
il ne confisquait jamais les biens de l’hérétique, mais constatait seulement
la réalité d’un crime qui, d’après les lois séculières rendait son auteur
incapable de posséder. Tout au plus pouvait-il imposer une amende comme
pénitence, qui devait être employé à de bonnes, œuvres. Son tribunal était
essentiellement spirituel, jugeait les péchés et prescrivait les remèdes de
l'esprit, sous l'inspiration des Evangiles, dont un exemplaire était toujours
ouvert devant lui. Telle, du moins, était la théorie de l’Église et il faut
toujours s’en souvenir si Ton veut comprendre ce qui paraîtrait autrement
illogique et inconséquent — particulièrement en ce qui touche la liberté
laissée à l’inquisiteur dans ses rapports avec les pénitents. Juge des
consciences, il n’était lié par aucun code, par aucune règle ; ceux qu’il
citait à son tribunal étaient littéralement à sa merci et aucun pouvoir, sauf
celui du Saint-Siège, ne pouvait modifier quoi que ce soit de ses arrêts. Il
résultait parfois de là une indulgence qui serait autrement inexplicable,
comme dans le cas des meurtriers de Saint- Pierre Martyr. Pietro Balsamo,
connu sous le nom de Carino, l’un de ces assassins à gages, fut pris en
flagrant délit et son évasion de la prison, obtenue par corruption, souleva
une révolution populaire à Milan. Et cependant, quand on l’eut repris et
qu’il se fut repenti, on lui pardonna et on lui permit d'entrer dans Tordre
des Dominicains, où il mourut paisiblement, avec la réputation d'un beato.
bien que l’Eglise n'ait jamais reconnu à sa mémoire le droit d’un culte
public, il apparaît, sous le nom du bienheureux Accrinus, parmi les saints
Dominicains, dans une des stalles, décorée en 1305, de la grande église sous
le vocable du Martyr à Sant’Eustorgio. Pas un des meurtriers, semble-t-il, ne
fut mis à mort et le principal instigateur du crime, Stefano Confaloniere
d’Aliate, hérétique et fauteur d’hérétiques notoire, ne fut emprisonné pour
le reste de ses jours qu’en 1203, quarante-trois ans plus tard, après une
longue série d’abjurations et de rechutes. Il en fut de même quand, bientôt
après, l’inquisiteur franciscain Pier da Dracciaho fut assassiné et quand
Manfredo di Sesto, qui avait armé le bras des assassins, fut traduit devant
Rainerio Saccone, l’inquisiteur de Milan. Il avoua son crime et d’autres
forfaits commis au profit de l’hérésie, mais reçut seulement l’ordre de se
présenter devant le pape et de s’entendre imposer par lui une pénitence.
Comme il négligeait, dédaigneusement d’obéir, Innocent IV se contenta
d'ordonner aux magistrats de toute l’Italie de l’arrêter et de le retenir en
prison partout où l’on pourrait le saisir. Cependant
cette doctrine qui faisait de l’Eglise une mère aimante, châtiant â regret et
dans leur intérêt seul les désordres de ses enfants, ne servait qu'à rendre
plus impitoyables la plupart des opérations du Saint-Office. Ceux qui
résistaient à ses efforts bienfaisants se rendaient coupables d’une
ingratitude et d’une désobéissance dont rien ne pouvait égaler la noirceur.
C’étaient des parricides indignes de toute clémence, à qui l’on témoignait
encore de la charité en les frappant. Nous avons vu combien peu l’inquisiteur
se préoccupait de la souffrance humaine dans ses tentatives pour découvrir et
pour convertir les hérétiques ; il n’était pas à supposer qu’il se montrerait
plus tendre dans le traitement des âmes malades réclamant de lui l’absolution
et la pénitence. Or, c’était le pénitent seulement, qui, après avoir avoué
son crime et s’être repenti, comparaissait devant le tribunal pour être
châtié. Tous les autres étaient abandonnés au bras séculier. Ce qui
montre combien cette théorie était vaine, c’est que la juridiction
inquisitoriale ne pesait pas seulement sur les hérétiques, sur ceux qui
avaient erré volontairement en matière de foi. Fauteurs et défenseurs des
hérétiques, ceux qui leur accordaient un asile, une aumône, une protection
quelconque, ceux qui négligaient de les dénoncer aux autorités ou de
s'emparer d'eux quand ils le pouvaient — tous ceux-là, quelques orthodoxes
qu’ils pussent être, encouraient la suspicion d’hérésie. Si la suspicion était
violente, elle était aussi grave que l’hérésie elle-même ; si elle était
véhémente ou simple, nous avons vu à quels périls elle exposait encore.
Zanghino enseigne que, si un hérétique se repent, s’il se confesse à son
prêtre, s’il accepte une pénitence et finit par recevoir l’absolution, il
peut sans doute être libéré de l’enfer et lavé de ses péchés aux yeux de
Dieu, mais il ne doit pas être exempté des châtiments temporels et reste
exposé aux poursuites de l’Inquisition. Celle-ci ne voulait donc pas
abandonner sa proie, tout en reconnaissant l’efficacité du sacrement de la
pénitence, et, pour écarter des difficultés de ce genre, ’ défense était
faite aux prêtres de recevoir les confessions d’hérétiques, sujets réservés
aux évêques et aux inquisiteurs. N’est-ce point là encore une preuve évidente
que la conduite du Saint-Office n’était point d’accord avec sa doctrine ? Les
pénitences généralement imposées par l’Inquisition étaient peu nombreuses.
Elles consistaient, d’abord, en pratiques pieuses — récitation de prières,
fréquentation d’églises, usage de la discipline, jeûnes, pèlerinages, amendes
au profit d’œuvres religieuses, toutes choses qu’un confesseur pouvait
imposer à ses pénitents ordinaires, Cela suffisait pour les offenses
d’importance secondaire. Puis venaient les pœnœ confusibiles,
pénitences humiliantes et dégradantes, dont la plus grave était le port de
croix jaunes cousues sur les vêlements ; enfin, la plus sévère punition que
pût infliger Je Saint-Office, le murus ou prison. La confiscation,
comme je l'ai déjà dit, n’était qu’un incident et, comme le bûcher, relevait
des autorités temporelles. En outre, les conciles de Narbonne et de Béziers
prescrivent la peine du bannissement, à perpétuité ou à temps, mais elle
parait avoir été si rarement appliquée qui il est à peine besoin d’en tenir
compte ; cependant elle est quelquefois mentionnée dans les sentences les
plus anciennes et énumérée parmi les pénitences auxquelles les hérétiques
repentants consentaient à se soumettre. Le
crime d’hérésie était trop grave pour être expié par la contrition et le
retour au bien. Quoique l’Église prétendit accueillir avec joie, dans son
sein maternel, ses enfants égarés et repentants, la voie à suivre par le
coupable était dure et son péché ne pouvait être lavé qu’au prix de
pénitences assez sévères pour attester la ferveur de sa conversion. Avant
rétablissement de l’Inquisition, vers 1208, saint Dominique, alors sous les
Ordres du légat Arnaud, convertit un Cathare nommé Pons Roger et lui prescrivit
une pénitence dont la formule s’est conservée. Elle nous donne une idée nette
de ce que l’Église considérait alors comme les conditions raisonnables d'une
réconciliation, à une époque où elle mettait en œuvre toutes ses ressources
pour reconquérir les hérétiques et n’avait pas encore recours, sauf
exception, à la violence. Le pénitent doit être dénudé jusqu’à ia ceinture
trois Dimanches de suite, et fouetté par le prêtre depuis l’entrée de la
ville de Tréville jusqu’à la porte de l’Eglise, il doit s’abstenir à tout
jamais de viande, d’œufs et de fromage, excepté à Pâques, à la Pentecôte et à
Noël ; ces jours-là, il doit manger de ces aliments en signe de renonciation
aux erreurs manichéennes. Pendant quarante jours, deux fois par an, il doit
s’abstenir de poisson ; pendant trois jours de chaque semaine, il ne doit
prendre ni poisson, ni vin, ni huile et même jeûner complètement, si sa santé
et ses occupations le lui permettent. Il doit porter des vêtements
monastiques, avec une petite croix cousue sur chaque pectoral. Si possible,
il doit entendre la messe tous les jours et, les jours de fête, assister aux
vêpres. Sept fois par jour il doit réciter les heures canoniques et, de plus,
le Pater noster dix fois chaque jour et vingt fois chaque nuit. Il
doit observer la chasteté la plus absolue. Chaque mois il doit présenter ce
papier au prêtre, qui doit en surveiller l’observance, et persévérer dans ce
genre de vie jusqu’à ce que le légat croie convenable de l’en affranchir.
Toute infraction à la pénitence imposée fera de lui un parjure et un
hérétique et l’exposera à être écarté de la communauté des fidèles. Ceci
montre combien les formes diverses de la pénitence étaient mêlées au gré du
père spirituel. Le même caractère s’observe dans une sentence très indulgente
portée en 1238 par l’inquisiteur de Carcassonne contre Raymond Maria, qui
avait avoué différents actes d'hérésie commis vingt ou trente ans auparavant
et qui, par d’autres motifs, avait des litres sérieux à l’indulgence. Nous y
constatons aussi l’usage du rachat des pratiques pieuses pour de l’argent.
Raymond doit jeûner depuis le vendredi après la Saint-Michel jusqu’à Pâques et
ne doit pas manger de viande le vendredi ; mais il peut racheter ce jeûne en
donnant chaque fois un denier à un pauvre. Il doit réciter sept fois par jour
le Pater noster et l’Ave Maria. Dans le délai de trois ans, il
doit visiter les sanctuaires de Sainte-Marie de Roche-Amour, de Saint-Roux
d’Aliscamps, de Saint-Gilles de Vauverte, dé Saint-Guillaume du Dézert, de
Saint-Jacques de Compostelle, rapportant chaque fois des attestations du
recteur de chaque église. Comme rachat d’autres pénitences, il doit donner
six livres tournois à l’évêque d’Albi pour l'aider à construire une chapelle.
Il doit entendre la messe au moins tous les Dimanches et jours fériés et
s’abstenir de tout travail ces jours-là. Une autre pénitence de même genre
fut infligée à un Chartreux de la Loubatière, coupable de Franciscanisme
spirituel. Il devait ne pas quitter l'abbaye pendant trois ans et ne parler,
ce temps durant qu’au cas de nécessité extrême. Pendant une année, il devait
confesser tous les jours en présence de ses frères que Jean XXII était le
vrai pape et qu’on lui devait obéissance ; par surcroît, il devait se
soumettre à certains jeunes et réciter quelques parties de la liturgie et du
psautier. De telles pénitences pouvaient être variées à l’infini au gré de
l’inquisiteur. Dans
tout ce qui précède, il n’est pas question de flagellation. Mais c’était là
un élément si ordinaire de la pénitence qu’il est souvent sous-entendu
lorsqu’on prescrit des pèlerinages ou la fréquentation des églises. Nous
avons vu Raymond de Toulouse s’y soumettre et quelque répugnante que soit à
nos yeux celle pratique, il faut dire qu'elle ne comportait pas autrefois
l’idée dégradante que nous y attachons aujourd’hui. Les conciles de Narbonne
et de Béziers, en 1244 et en 1240, celui de Tarragone en 1242, mentionnent la
discipline parmi les peines légères prescrites pour les convertis
volontaires, qui se confessent spontanément pendant le temps de grâce.
Toutefois, c'était une peine sérieuse. Nu autant que le permettaient la
décence et la température, le pénitent, une verge à la main, se présentait
tous les Dimanches au prêtre, entre l’Épître et l’Évangile, pendant la
célébration de la messe ; le prêtre le frappait à coups redoublés sous les
yeux des fidèles — singulier intermède du service divin ! Le premier Dimanche
de chaque mois, le pénitent devait, après la messe, se rendre dans toutes les
maisons où il avait vu des hérétiques e| y recevoir le même traitement ; il
devait accompagner, dans le même accoutrement, toutes les processions
solennelles et recevoir des coups à chaque station et à la fin. Même si la
ville était en interdit, s’il était lui-même excommunié, sa pénitence devait
suivre son cours et elle durait tant qu'il plaisait à l’inquisiteur, souvent
jusqu’à la mort du malheureux. Seul, l'inquisiteur pouvait mettre un terme à
une pénitence. Nous possédons une formule de Bernard Gui, vers 1330,
prescrivant la libération des pénitents qui, par leur patience et leur
humilité en prison, avaient mérité une diminution de leurs peines ; une
formule presque identique fut en usage après l’organisation de l’Inquisition. Les
pèlerinages, qui étaient comptés parmi les peines les plus légères, n’étaient
estimés telles que par comparaison avec les autres. Il fallait les accomplir
à pied et le nombre en était généralement si grand qu’ils pouvaient absorber
plusieurs années de la vie d’un homme, pendant lesquelles sa famille était
exposée à mourir de faim. Un des plus modérés parmi les inquisiteurs, Pierre
Colla, prescrit souvent, entr’autres pèlerinages, ceux de Compostelle et de
Canterbury, avec arrêts éventuels à plusieurs églises intermédiaires ; dans
un cas, nous voyons un homme plus que nonagénaire recevoir l’ordre d’aller à
Compostelle pour avoir seulement conversé avec des hérétiques. Ces
pèlerinages n’étaient ni sans dangers, ni sans fatigues, bien que
l’hospitalité accordée sur la route par les nombreux couvents permit aux plus
pauvres de les accomplir. Du reste, les pèlerinages étaient un élément si
essentiel des mœurs du moyen âge et étaient si souvent prescrits dans les
pénitences ordinaires, que l’Inquisition devait naturellement en imposer. À une
époque où l’ardeur pour le salut était telle qu’on vit, dit-on, arriver à Rome
jusqu’à 20.000 pèlerins par jour, pendant le jubilé de 1300, le pénitent qui
se lirait d’affaire au prix de voyages à pied pouvait estimer qu'on le
traitait avec indulgence. Les
pèlerinages pénitentiaux de l’Inquisition étant répartis en deux classes— les
grands et les petits. Dans le Languedoc, les grands pèlerinages le plus
souvent prescrits avaient pour objets Rome, Compostelle, Saint-Thomas de
Canterbury et les Trois Rois de Cologne. Les petits étaient au nombre de
dix-neuf, depuis les sanctuaires locaux jusqu’à ceux de Paris et de Boulogne-sur-Mer.
Lo genre de cas où ils étaient prescrits ressort d’un jugement rendu en 1322
par Bernard Gui contre trois accusés dont le seul crime était celui-ci :
quinze ou vingt ans auparavant, ils avaient vu des docteurs Vaudois dans les
maisons de leurs pères sans savoir qui étaient ces hommes. Pour expier cette
offense, les pénitents devaient, dans le délai de trois mois, accomplir
dix-sept petits pèlerinages entre Bordeaux et Vienne, rapportant, suivant
l’usage, de chaque sanctuaire une attestation de leur présence. Dans ce cas
particulier, il esl spécifié qu’ils ne sont pas obligés de porter des croix
et je pense que cela les dispensait de la flagellation à laquelle les
pénitents avec croix étaient naturellement soumis chaque fois qu’ils se
présentaient à l’une des églises. Nous trouvons un cas, en 1308, où un
condamné est dispensé de pèlerinages à cause de son grand Age et de sa
faiblesse ; on se contente de lui imposer deux visites par an à dos églises
dans la ville même de Toulouse. De pareils exemples d’humanité sont trop
rares dans les annales de l’Inquisition pour qu’on ne les signale pas quand
on les rencontre. Lors
des débuts de l’Inquisition, le pèlerinage que l’on prescrivait aux hommes
était toujours celui de la Palestine, où ils devaient se rendre en qualité de
Croisés. Le légat Romano l’imposait à tous ceux qui étaient suspects
d’hérésie. Mais quand la persécution embrassa tout le Languedoc,' le nombre
de ces croisés involontaires devint si grand qu’on craignit de les voir
corrompre la foi dans le pays même où elle avait pris naissance. Vers 1242 ou
1243, le pape défendit de recruter les Croisés parmi les hérétiques. En 1246,
le concile de Béziers laisse à la discrétion des inquisiteurs le soin de
décider si les pénitents doivent servir eux-mêmes au-delà des mers, ou
envoyer un homme d’armes à leur place, ou combattre pour la foi plus près de
leurs foyers, contre les hérétiques ou les Sarrasins. Les inquisiteurs
pouvaient aussi fixer à leur gré la durée du service. qui était d’ordinaire
de deux ou trois ans, exceptionnellement de sept ou de huit. Ceux qui
allaient en Terre Sainte devaient rapporter des attestations signées du
patriarche de Jérusalem ou d’Acre. Lorsque le comte Raymond se préparait à
accomplir, après de longs délais, son vœu de Croisé, il obtint, en 1247, une
bulle d’Innocent IV, autorisant l'archevêque d’Auch et l’évêque d’Agen à
commuer en pèlerinage d’outre-mer la pénitence des croix temporaires et de la
prison, ou même des pénitences infligées à perpétuité, si l'inquisiteur,
auteur des sentences, y consentait. L’année suivante, la même mesure fut
étendue aux domaines du comte de Montfort. Sous cette impulsion, on vil de
nouveau beaucoup de pénitents servir comme Croisés. Nous possédons une
notification faite parles inquisiteurs de Carcassonne, le 5 octobre 1251,
dans l’Église de Saint-Michel, à ceux qui portaient des croix ou qui avaient
cessé de les porter : on les somme de tenir leur promesse et de faire voile
pour la Terre Sainte avec le premier convoi. Dans le registre de Carcassonne,
l’ordre de partir pour la Croisade est souvent donné à des pénitents. Les
résultats désastreux des campagnes de Saint-Louis et la chute du royaume de
Jérusalem tendirent à faire tomber en désuétude cette forme de pénitence, qui
continua, cependant, à être prescrite de temps en temps. En 1321 encore, nous
voyons Guillem Garric condamné à se rendre au-delà des mers avec le prochain
convoi et à y rester jusqu’à ce que l’inquisiteur le rappelle ; en cas
d’empêchement légitime — ce qui était à prévoir, car il était vieux et avait
moisi en prison pendant trente ans —, il pouvait envoyer à sa place un solide
homme d'armes ; mais s'il négligeait de faire cela ou de partir lui-même, il
serait condamné à la prison perpétuelle. Celte sentence nous offre, en outre,
un des rares exemples de bannissement, car Guillem reçoit l’ordre, s’il
fournit un remplaçant, de fixer sa résidence dans un lieu à désigner, où il
restera tant qu'il plaira à l'inquisiteur. Ces
condamnations n’atteignaient pas le pénitent dans sa situation sociale et
dans sa réputation. Il n’en était pas de même de la peine — beaucoup moins
dure en apparence — qui consistait dans l’obligation de porter des croix. C’était,
par excellence, une peine humiliante, pœna confusibilis. Nous avons vu
que, dès 1208, saint Dominique ordonna aux hérétiques convertis de porter sur
la poitrine deux petites croix, en signe de péché et de repentir. Il semble
contradictoire que l’emblème de la Rédemption, si fièrement porté par les
Croisés et les ordres militaires, soit devenu, pour le converti, une pénalité
presque insupportable ; mais lorsque l’Église en eut fait la marque du péché
et de la honte, il est peu de disgrâces qu’on n’eût pas préférées à celle-là.
Les deux petites croix de saint Dominique devinrent de grandes pièces, de
toile peinte en safran, dont les bras avaient deux pouces et demi de large,
deux palmes et demie de haut, deux palmes de long, l'une cousue sur la poitrine
et l’autre sur le dos (on se contentait parfois de la croix sur la poitrine).
Si, au cours de son procès, le converti s’était parjuré, on ajoutait en haut
un second bras transversal ; s’il avait été un hérétique par l'ait, une
troisième croix était mise en évidence sur son couvre-chef. D’autres fois
c’était un marteau, que devaient porter les prisonniers mis en liberté sous
caution ; nous avons déjà parlé des langues rouges imposées aux faux témoins,
des lettres infligées comme marque aux faussaires, sans compter les autres
emblèmes humiliants que pouvait imaginer l’inquisiteur. Ces stigmates
devaient être portés aussi bien dans la maison qu’au dehors et, lorsqu’ils
étaient usés, ils devaient être remis à neuf par le pénitent. Pendant la
dernière partie du XIIIe siècle, ceux qui allaient en croisade au-delà des
mers pouvaient quitter leurs croix durant l’expédition, à condition de les
reprendre à leur retour. Au début de l’Inquisition, on fixait généralement,
pour celle humiliation, une durée d’un an à huit ans ; mais, dans la suite, la
peine fut toujours infligée à vie, bien que l’inquisiteur oui pouvoir de la
remettre pour récompenser une « bonne conduite ». Ainsi, lors de
l’auto de fi de 1809, Bernard Gui permit à Raymonde, femme d’Etienne Got, de
déposer les croix qu’elle avait été condamnée à porter, une quarantaine
d’années auparavant, par Pons de Poyet et Étienne de Gâtine[2]. Le
concile de Narbonne, en 1229, prescrivit le port de ces croix à tous les
convertis qui renonçaient volontairement à l’hérésie, comme une preuve qu’ils
détestaient leurs erreurs passées. Apparemment, l’on trouva que la pénitence
était dure et l’on fil effort pour s’y soustraire, car les statuts de
Raymond, en 1234, et le concile de Béziers de la même année, menacent de
confiscation ceux qui refusent de porter ces insignes, ou qui essaient de les
dissimuler. D’autres conciles renouvelèrent cette obligation et l’étendirent
à tous ceux qui se réconcilieraient à l’Église. En 1248, le concile de
Valence décida que les réfractaires seraient impitoyablement contraints de
s'amender et qu’en cas de récidive on les traiterait comme des évadés de
prison, en leur appliquant toutes les peines dues à l’hérésie impénitente. En
1231, un pénitent, se préparant à partir pour la croisade, crut pouvoir
déposer ses croix avant son départ et fut jugé pour ce fait : on le condamna
à venir à Carcassonne, le premier dimanche de chaque mois, pieds nus, vêtu
seulement d’une chemise et d’un pantalon, et à visiter chaque fois toutes les
églises de la ville, en se soumettant à la flagellation. Cette peine ne
devait prendre fin que le jour de son embarquement. Ces
rigueurs montrent à quel point le port des croix paraissait intolérable. Dans
les sentences de Pierre Cella, il n’est prescrit que dans les cas graves et
pour un certain nombre d’années seulement ; plus tard, on l’infligea dans
tous les cas et pour toute la vie. Le malheureux pénitent était l'objet des
railleries de tous et lourdement entravé dans ses efforts pour gagner son
pain. Aux premiers temps de l'Inquisition, alors que la majorité de la
population du Languedoc se composait d’hérétiques et que les porteurs de
croix étaient si nombreux qu’on redoutait leur présence en Palestine, le
concile de Béziers, en 1240, se vit obligé d’avertir le peuple de faire bon
accueil aux pénitents ; il interdit de les tourner en dérision et de refuser
d’avoir commerce avec eux, vu que l’acceptation résignée de la pénitence
devait être, pour tous les fidèles, un sujet de contentement et un motif à
félicitations. Mais bien que les pénitents fussent sous la protection
spéciale de l’Église, elle avait prêché avec trop de zèle la haine de
l’hérésie pour pouvoir modérer les sentiments populaires à l’égard de ceux
qu’elle stigmatisait. En 1232, Raymonde Manifacier fut citée devant
l'Inquisition de Carcassonne pour avoir quitté ses croix ; elle s’excusa en
disant que son manteau s’était déchiré et qu’elle était trop pauvre pour le
remplacer ; quant à la croix sur sa pèlerine, sa maîtresse, chez laquelle
elle était en condition, lui avait défendu de la porter et, lui avait donné
une pèlerine sans croix. Un cas plus significatif est celui d’Arnaud Isarn, déjà
cité ; après une année d’efforts, il avait reconnu qu’il ne pouvait pas
gagner sa vie en portant ainsi les marques de sa dégradation. L’Inquisition
ne se dissimulait pas que la condition des pénitents était cruelle et parfois
elle avait la clémence de l’atténuer. Ainsi, en 1250, à Carcassonne, Pierre
Pelha obtient l'autorisation de quitter temporairement ses croix pendant un
voyage qu'il est obligé de faire en France. Bernard Gui assure que les jeunes
Allés étaient souvent dispensées de les porter, car elles n’auraient pu
trouver de maris. Une des formules de ses Practica, exemptant les pénitents
du port des croix, énumère les divers motifs généralement allégués à cet
effet, tels que l'Age ou l’infirmité — sans doute parce qu’un vieillard ou un
malade n’aurait pu tenir à distance les insulteurs —, ou le fait que le
pénitent a des enfants qu’il ne parviendrait pas à nourrir, des tilles qu’il
ne pourrait pas marier. Plus suggestives encore sont les formules de
proclamations menaçant de poursuivre pour obstacles apportés à l’Inquisition
et de condamner au port de croix ceux qui railleraient des pénitents, les
chasseraient ou les empêcheraient de suivre leur vocation ; d’ailleurs,
l’insuffisance de ces avertissements est attestée par les formules des ordres
adressés aux fonctionnaires séculiers, à qui l’on enjoint de ne pas tolérer
de pareils abus. Il arrivait que des instructions à cet effet fissent partie
de la procédure régulière des autodafés. Tout cela prouve que le port
de la croix, c’est-à-dire du symbole même du christianisme, était un
châtiment des plus durs. Le Sanbenito de l'Inquisition espagnole moderne
dérive du scapulaire avec croix de couleur safran qui était porté par les
condamnés à la prison lorsque, à certaines fêtes, ils étaient exposés aux
portes des églises, afin que leur misère et leur humiliation servissent
d’avertissement au peuple. On se
souvient qu’à l’origine il y eut quelque incertitude sur la question de
savoir si les inquisiteurs pouvaient infliger des amendes. Le vœu de pauvreté
des Mendiants, auxquels était confié le Saint-Office, n’était pas encore
tombé dans l’oubli au point qu’on put se résigner sans scandale à les voir
s’enrichir par l’usage ou l’abus de leur pouvoir presque illimité. Toutefois,
ils ne tardèrent pas à entrer dans cette voie. Nous avons déjà cité la
sentence- de 1237, aux termes de laquelle Pons Grimoardi, converti
volontaire, reçoit l'ordre de payer à l’Inquisiteur dix livres Morlaas.
En 1245, à Florence, un jugement rendu par l’infatigable inquisiteur Ruggieri
Calcagni montre que les amendes y étaient déjà une peine habituelle. Ce n’est
donc lias sans cause que le concile de Narbonne, en 1244, dans ses
instructions aux inquisiteurs, leur enjoignit de ne point prononcer de peines
pécuniaires, tant dans l’intérêt- de l’honneur de leur Ordre que parce qu’ils
avaient de bien autres devoirs à remplir. L’Ordre lui-même sentait que ces
observations étaient justifiées. Comme les inquisiteurs n’étaient pas encore,
en théorie du moins, émancipés du contrôle de leurs supérieurs, le chapitre
provincial de Montpellier avait, dès 1242, essayé de remettre en vigueur les
règles de l’Ordre en défendant aux moines d’infliger à l’avenir des amendes
et de percevoir celles qu’ils avaient précédemment imposées. Mais cette
décision tut peu respectée, témoin une bulle d’Innocent IV, en 1245, par
laquelle le pape, désireux de sauver la réputation des inquisiteurs, ordonne
que toutes les amendes soient versées deux personnes choisies par l’évêque et
par l'inquisiteur, afin que le produit serve à la construction de prisons et
à l'entretien des prisonniers. Pour se conformer à la bulle d’Innocent, le
concile de Béziers, en 1246, abandonna la position prise par le concile de
Narbonne et accorda que les amendes lussent employées pour les prisons et
pour couvrir les dépenses nécessaires de l’Inquisition. Sans doute les bons
évêques prirent cette décision afin d’éviter d’être mis eux-mêmes à
contribution pour ces dépenses qui relevaient de leur juridiction épiscopale.
Dans un manuel inquisitorial de cette époque, la destination des amendes est
précisée dans le sens indiqué ; mais les abus ne tardèrent pas à se produire
et, dès 1249, Innocent IV reprochait durement aux inquisiteurs leurs
exactions au détriment des convertis, à la honte du Saint-Siège et au
scandale des fidèles en général. Cette lettre parait n’avoir pas eu d’effet,
car, en 1251, le pape défendit absolument aux inquisiteurs d’imposer des
amendes toutes les fois qu'un autre mode de pénitence pourrait être employé.
Mais les inquisiteurs finirent par l’emporter et obtinrent le droit
d’infliger des peines pécuniaires à discrétion. Les sommes ainsi
perçues devaient, bien entendu, servir à des usages pieux, y compris les
dépenses de l’Inquisition ; et comme elles étaient versées aux inquisiteurs
eux- mêmes, il est probable qu'elles n’étaient pas détournées de leur but,
mais dépensées « décemment et sans causer de scandale aux laïques », suivant
la recommandation d’Eymerich. Dans les sentences portées par Fra Antonio
Secco contre les paysans des vallées vaudoises en 1387, la pénitence du port
des croix est généralement accompagnée d’une amende de cinq ou de dix florins
d’or pur, payables à l’Inquisition « pour couvrir les frais du procès ».
L’État essaya bien d’en obtenir sa part, mais ses prétentions furent
repoussées lors d’une réunion d’experts tenue à Plaisance en 1276 par les
inquisiteurs lombards, Fra Niccolo da Cremona et Fra Daniele da Giussano.
Pierre Colla, le premier inquisiteur de Toulouse, imposait des peines
pécuniaires dont la destination était plus acceptable : en dehors des
pèlerinages et des autres pénitences, le condamné devait assumer l’obligation
d’entretenir, pour quelques années ou à vie, tantôt un prêtre, tantôt un
pauvre de son pays. A une
époque postérieure, on allégua que le principe des amendes était
inadmissible, car, objectait-on, si l’accusé est un hérétique, tons ses biens
doivent être confisqués et, s’il est Innocent, il ne doit pas être puni. À quoi
les inquisiteurs répondirent qu’en dehors des hérétiques il y avait des
fauteurs, des défenseurs de l’hérésie, des gens dont le seul crime était
d’avoir prononcé une parole inconsidérée ; ces gens pouvaient et devaient
être frappés d’amendes. Ainsi l’abus persista, parce qu’il profitait à
l’Inquisition. On ne
peut guère séparer des amendes les commutations de peines accordées pour de
l’argent. Nous avons dit combien était répandue et lucrative la coutume de «
commuer » les vœux des Croisés ; il était inévitable qu’un abus analogue
entachât les relations de l’Eglise avec les pénitents que l’Inquisition avait
mis sous sa coupe. On trouva bientôt une excuse en alléguant que les sommes
ainsi perçues seraient employées à de pieux usages — et quel usage pouvait
être plus pieux que de satisfaire aux nécessités de ceux qui travaillaient
avec zèle à maintenir la pureté de la foi ? Ici, ce fut le Saint- Siège qui
donna l’exemple. On a vu qu’en 1248 Algisius, pénitencier pontifical, ordonna
de mettre en liberté, au nom d’Innocent IV, dix prisonniers qui avaient
confessé leur hérésie, par la raison qu’ils avaient donné des sommes
considérables pour la Terre Sainte. La même année Innocent autorisa
formellement Algisius à commuer les peines de certains hérétiques, sans
consulter les inquisiteurs, et il donna pleins pouvoirs à l’archevêque d’Auch
de convertir en « subsides » les pénitences imposées à des hérétiques
réconciliés. Raymond préparait alors sa croisade et l'excuse était bonne. Les
hérétiques ne demandaient qu’à se sauver au prix de leurs biens et le projet
semblait devoir être d'un bon rapport. En conséquence, Algisius fut envoyé en
Languedoc (1249),
avec toute latitude de convertir les pénitences inquisitoriales en amendes
destinées aux besoins de l’Eglise et de la Terre Sainte et d’accorder toutes
les dispenses nécessaires, nonobstant les privilèges de l’Inquisition. Un
pareil exemple, comme bien on le pense, ne fut pas perdu de vue par les
inquisiteurs. Dans les cas dont nous avons connaissance, on spécifie
ordinairement une œuvre pieuse à laquelle les fonds doivent être appliqués ;
ainsi, en 1255, les inquisiteurs de Toulouse remirent leurs peines à douze
des principaux citoyens de Lavaur, à la condition qu’ils payeraient certaines
sommes pour la construction de 'église, devenue plus tard la cathédrale de cette
ville ; en 1258, ils agirent de même en faveur de l’église de Najac. Les
ponts étant d’utilité publique, on admit que la construction d’un pont
rentrait dans la donnée un peu élastique des « œuvres pieuses ». En 1310, à
Toulouse, Mathieu Aychard fut exempté de porter des croix et d’accomplir
certains pèlerinages moyennant une contribution de quarante livres tournois
destinées à la construction du pont de Tonneins. Dans une formule pour des
transactions de ce genre, donnée par Bernard Gui, il est dit que l’absolution
et la dispense de pèlerinages et d’autres pénitences est accordée en
considération du payement de quarante livres pour la construction d’un
certain pont, ou d’une certaine église, ou « pour être dépensées en
œuvres pies à notre discrétion ». Cette dernière clause prouve que les
commutations ne servaient pas toujours à des objets d’intérêt général. Ainsi
nous possédons des lettres de l’inquisiteur de Narbonne, en 1264, qui accorde
l’absolution à Guillem de Puy en considération d’un don de cent cinquante
livres tournois fait par lui à l’Inquisition. La grandeur de ces sommes
montre combien les pénitents étaient désireux de se tirer d’affaire et l’énorme
pouvoir d’extorsion qui appartenait à l’inquisiteur. Si ce dernier était
intègre, il pouvait résister à la tentation ; mais s’il était avide, il
jouissait de facilités presque illimitées pour rançonner les malheureux sans
défense. Ce système fut maintenu jusqu’à la fin. Sous Nicolas V, Fray Miguel,
l’Inquisiteur d’Aragon, offensa mortellement certains hauts dignitaires en se
conformant à des instructions pontificales ; sur quoi ils le maltraitèrent et
le tinrent sous les verrous pendant neuf mois. C’était une atteinte flagrante
à l’Inquisition. En 1458, Pie II ordonna à l’archevêque de Saragosse de
déterrer les ossements d’un des coupables et de les envoyer au Saint-Siège
pour être jugés. Mais il ajouta que l’archevêque pouvait, à sa discrétion,
substituer à cette procédure l’imposition d’une amende, destinée à la guerre
contre les Turcs et devant être versée à la Chambré pontificale. — bien
entendu, la peine de mort ne pouvait jamais être commuée légalement. Lorsqu’un
pénitent mourait avant d’avoir accompli sa pénitence, l’occasion était
particulièrement propice à des transactions de ce genre. La mort ne mettait
pas les hommes à l’abri de la juridiction inquisitoriale et n’affaiblissait
en rien la rigueur de ses poursuites. Dans la pratique, il pouvait y avoir
une distinction entre ceux qui mouraient en accomplissant humblement leur
pénitence, avant de l’avoir entièrement accomplie, et ceux qui avaient
volontairement négligé de s’y soumettre ; mais, légalement, le défaut
d’accomplissement d’une pénitence entraînait la condamnation pour hérésie,
qu’il s’agit d’un vif ou d’un mort. Par exemple, en 1329, l’Inquisition de
Carcassonne ordonna d’exhumer et de brûler les ossements de sept personnes
qui, n'ayant pas accompli les pénitences à elles imposées, étaient mortes en
étal il hérésie ; cela entraînait naturellement la confiscation de leurs
biens et, pour leurs descendants, outre la ruine, certaines incapacités dont
il a été question plus haut. Les conciles de Narbonne et d’Albi enjoignirent
aux inquisiteurs d’exiger une satisfaction des héritiers de ceux qui étaient
morts avant le jugement, s'ils avaient dû être condamnés à porter des croix,
comme aussi de ceux qui s'étaient confessés et avaient été condamnés, mais
n’avaient pas vécu assez longtemps pour commencer ou pour achever leur
pénitence. Gui Foucoix expose l'opinion qu’en pareil cas le pénitent est
admis au Purgatoire et il décide que rien ne doit être exigé de ses héritiers
; mais cette autorité ne prévalut point contre la doctrine plus lucrative des
conciles et un manuel de l'époque prescrit aux inquisiteurs une «
satisfaction congrue ». Il y a quelque chose de particulièrement répugnant
dans la rapacité qui poursuivait ainsi au-delà de la tombe tous ceux qui
s’étaient humblement confessés, qui s’étaient repentis, qui avaient été reçus
dans le giron de l’Église ; mais l'Inquisition était impitoyable et exigeait,
jusqu’au dernier sol. Ainsi l’Inquisiteur de Carcassonne avait prescrit un
pèlerinage de cinq ans en Terre Sainte à Jean Vidal, qui mourut avant de
l'avoir accompli. Le 21 mars 1232, ses héritiers, dûment cités, jurèrent que
tous ses biens se montaient à vingt livres et donnèrent caution qu’ils se
conformeraient à la décision de l'inquisiteur. Celle-ci fut publiée au mois
d’août suivant : on exigeait des héritiers vingt livres, c’est-à-dire toute
la fortune du défunt. Voici un autre cas. Raymonde Barbaira mourut avant
d’avoir accompli certains pèlerinages avec port de croix auxquels elle avait
été condamnée. L’inventaire de ses biens établit qu’ils comprenaient un lit,
des vêtements, une armoire, quelques bestiaux et quatre sols ; le tout avait
été réparti entre ses proches. C’est sur ce pitoyable héritage que
l'inquisiteur, le 7 mars 1256, réclama quarante sols, que les héritiers
durent s’engager, sous caution, à payer à Pâques. l)e pareils détails
éclairent d'une lumière crue l'esprit et les procédés de l’Inquisition, ainsi
que l’oppression qu'elle exerçait sur les malheureuses populations sujettes â
ses caprices. Même lorsqu’il s’agissait seulement de prétendus fauteurs, qui
n’étaient pas des hérétiques, leurs héritiers étaient tenus de subir toute
peine pécuniaire qui avait été infligée aux défunts (1). Une
source de revenus plus légitimes, mais qui, cependant, elle aussi, devint le
prétexte de graves abus, était l’habitude d’exiger des cautions. Celles-ci,
bien entendu, pouvaient être- abandonnées par l’accusé et constituaient ainsi
une forme irrégulière de commutation. Cette coutume datait des débuts ; mêmes
de l'Inquisition et était pratiquée durant toute la procédure, depuis la
première citation jusqu’à la sentence finale — et même après, car il arrivait
que l’on mit des prisonniers en liberté à la condition qu’ils s’engageassent,
sous caution, à revenir. Le converti qui était absous après avoir abjuré
devait aussi donner caution en promettant de ne pas retomber dans ses
erreurs. Ainsi, en 1231, nous voyons un noble Milanais, Lantelmo, obligé de
déposer une somme de deux mille livres, et deux marchands florentins pour
lesquels leurs amis donnent une sûreté de deux mille marcs d’argent. En 1244,
les Baroni de Florence promirent, sous une caution de mille livres, d’obéir
aux ordres de l’Église ; en 1232, un certain Guillem Roger s’obligea, par un
dépôt de cent livres, à s'embarquer pour les pays d’outre-mer par le premier
navire et à y séjourner pendant trois ans. La garantie devait toujours être pécuniaire
et l’inquisiteur avait ordre de ne pas l'accepter des mains d’hérétiques,
dont le crime impliquait la confiscation totale des biens ; mais cette règle
était mal observée et l’on trouvait souvent des amis de l’accusé qui
fournissaient les cautions nécessaires. Une caution abandonnée devait être
versée à l’inquisiteur, tantôt directement, tantôt par l’entremise des
évêques, et servir aux dépenses de l’Inquisition. La forme ordinaire de la
caution engageait foute la fortune du principal intéressé et celles de deux
garants, individuellement et solidairement ; en règle générale, il y avait
toujours lieu à caution, sauf dans le cas où l’accusation semblait trop
grave, ou lorsque le délinquant était incapable de la fournir[3]. Il
était impossible que ces diverses manières de battre monnaie avec les
sentences de l’Inquisition n'engendrassent pas une corruption presque
universelle. Pour être admis à donner caution, il fallait s’assurer le bon
vouloir de l’inquisiteur, dont la procédure était entourée d’un secret tel
qu’il ne risquait rien en mettant à prit sa complaisance. Si l’on considère
que toute personne Agée de plus de sept ans était sujette à la suspicion
d’hérésie, tache indélébile qu’une simple citation suffisait à infliger, on
comprendra quel vaste champ s’ouvrait à la cupidité de l’inquisiteur, de ses
espions et de ses familiers. Nous avons des preuves certaines et nombreuses
que la puissance inquisitoriale devint trop souvent un moyen d'extorsion et
de chantage. En 1302, Boniface VIII écrivit au provincial dominicain de
Lombardie qu’il avait reçu des plaintes affligeantes au sujet des
inquisiteurs franciscains de Padoue et de Vicence, coupables d’avoir extorqué
des sommes énormes à des hommes et à des femmes et de les avoir soumis à
mille vexations. Le pape ajouté naïvement, pour aggraver leur cas, qu’ils
n’ont pas fait servir leurs gains illicites au profit du Saint Office, ni de
l’Église romaine, ni même de leur propre Ordre ; preuve qu’en bien des cas on
fermait les yeux sur ces extorsions, pourvu que le produit en fût
judicieusement distribué. Boni- lace avait envoyé Gui, évêque de Saintes,
pour faire une enquête et, comme les griefs énoncés avaient été reconnus
réels, il ordonna au provincial de remplacer les coupables par des
Dominicains[4]. Ce changement ne profita guère
aux malheureux opprimés, car, dès l’année suivante, Mascate de’ Mosceri,
jurisconsulte de Padoue, en appelait au pape Benoit et lui dénonçait le
nouvel inquisiteur dominicain, Fra Benigno, qui procédait contre lui à seule fin
de lui extorquer de l’argent. En 1304, Benoit fut obligé d’adresser un
avertissement sérieux aux inquisiteurs de Padoue et dé Vicence, en raison des
plaintes qui lui parvenaient touchant de bons catholiques, frauduleusement
poursuivis à l'aide de faux témoins. On conçoit pourquoi les Franciscains
sévères se plaignaient que les inquisiteurs de leur Ordre parcourussent le
pays à cheval au lieu d’aller pieds nus, comme le prescrivait leur règle. À la
même époque, les Dominicains du Languedoc étaient l’objet des mêmes
accusations. Rome fut lente à s’en émouvoir, mais enfin l’enquête instituée
par Clément V le convainquit que les faits allégués étaient exacts. Au
concile de Vienne, en 1311, le pape fit adopter des canons, incorporés dans
le Corpus Juris, dont les termes disent assez clairement ce que les
peuples soumis à l’Inquisition ne savaient que trop : à savoir que l’office
inquisitorial servait souvent à extorquer de l’argent aux innocents et à laisser
des coupables en liberté moyennant finances. Clément proposait, comme
châtiment de pareils méfaits, l’excommunication ipso facto ; Bernard
Gui trouva que c’était excessif, car l’excommunication invaliderait tous les
actes du délinquant, les bons comme les mauvais. Mais le résultat ne justifia
ni les espérances du pape ni les craintes de l'inquisiteur. Les inquisiteurs
continuèrent à s’enrichir et les populations à souffrir de leur tyrannie. En
1338, le pape dut procéder à une enquête sur un marché scandaleux conclu par
la ville d’Albi, qui avait payé à l’inquisiteur de Carcassonne une grosse
somme d’argent pour obtenir la mise en liberté de quelques citoyens accusés
d’hérésie. En 1337, Benoit XII ordonna à son nonce en Italie, Bertrand,
archevêque d’Embrun, de vérifier les plaintes qui, de toutes les régions de
la péninsule, s’élevaient contre les extorsions des inquisiteurs, leur
vénalité, leurs complaisances coupables. Le nonce était autorisé à prononcer
des révocations et la manière dont il usa de ce droit prouve combien le mal
était profond. Mais de pareilles mesures ne produisaient pas d’effet durable. En
1346, la république de Florence s'insurgea contre son inquisiteur, Piero di
Aquila, qu’elle accusait de méfaits divers, entre autres d’extorsions. Il
s’enfuit et refusa de revenir au cours de l’enquête qui fut instituée, bien
qu’on lui eût offert un sauf- conduit. Un seul témoin fit connaître, sous la
foi du serment, soixante-six cas d’extorsion ; suivant une liste partielle
qui nous en a été conservée, les sommes indûment perçues varient de vingt-
cinq dix-sept cents florins d’or. Villani assure qu’en deux ans ce bandit
avait amassé plus de 7.000 florins, somme énorme pour l’époque ; or, il n’y
avait pas alors d’hérétiques à Florence et les délits qui enrichissaient si
rapidement l’inquisiteur étaient l’usure et le blasphème involontaire. En ce
qui touche l’usure, Alvaro Pelayo dit que les évêques de Toscane en donnaient
l’exemple et prêtaient il intérêts les fonds des églises ; mais les
inquisiteurs se gardaient de toucher aux prélats. Quant aux blasphèmes, nous
savons par Eymerich combien il était aisé de découvrir une hérésie dans un
simple juron. Boccace songeait sans doute à Fra Piero lorsqu’il décrivait
l’inquisiteur de Florence qui, pareil û tous ses confrères, avait des yeux de
lynx pour découvrir l’hérésie des riches et qui extorquait une forte somme à
un citoyen coupable d’avoir dit qu’il possédait du vin si bon que le Christ
en boirait. Le cas de Marie du Canech, changeuse d’argent à Cambrai en 1103,
montre avec quelle astuce, lorsque l’hérésie vint à diminuer, l’Inquisition
sut se procurer des ressources en dénaturant les actes les plus simples.
Citée devant l’Ordinaire, elle exprima, sans malice, l’opinion qu’elle
n’était pas tenue de témoigner, sous la foi du serment, contre son propre
intérêt et son propre honneur. Pour ce, l’inquisiteur délégué, Frère Nicolas
de Péronne, la poursuivit et la condamna à diverses peines, y compris
l’abandon de son commerce pendant neuf ans et quatre-vingts couronnes d’or « pour
les frais ». La
sévérité avec laquelle on interprétait les canons contre l’usure est mise en
relief par un cas soumis à l’Université de Paris en 1490. La Faculté de
Théologie fut consultée sur un contrat aux termes duquel une certaine église
avait acheté pour trois cents livres une rente annuelle de vingt livres,
fournie par certaines terres, avec le droit de réclamer le prix d’achat à
deux mois d’avis ; une convention particulière reconnaissait au propriétaire
foncier le droit de rachat pour neuf ans. C’est là un des nombreux procédés
auxquels on eut recours, lorsque l’industrie et le commerce se développèrent,
pour tourner la prohibition de prêta intérêt. Ce contrat resta en vigueur
pendant vingt-six ans avant d’être frappé de suspicion et déféré pour examen
à l’Université. On nomma une commission de douze docteurs en théologie, qui
discutèrent la question et décidèrent, par onze voix contre une, que ce
contrat était usuraire et que les payements annuels devaient être considérés
comme autant de remboursements partiels du prix d’achat. Les
abus de l’Inquisition étaient indéracinables. Cornélius Agrippa nous assure
que les inquisiteurs avaient l’habitude de commuer les peines corporelles en
amendes et même d'imposer des redevances annuelles pour prix de leur
indulgence. Résidant dans le Milanais, vers 1515, il fut témoin d’une émeute
causée par la rapacité de ces hommes, qui avaient extorqué de grosses sommes
à des femmes de noble naissance ; quand les maris découvrirent la chose, les
inquisiteurs furent trop heureux d’échapper vifs. J’ai
insisté sur ce caractère de l’Inquisition, parce qu’on en a rarement tenu
compte, malgré tout le mal et toutes les souffrances qui en ont résulté. Le
bûcher n'a fait, comparativement, que peu de victimes. Quelque horribles
qu’aient été les cachots encombrés où l’Inquisition entassait ses martyrs,
elle a fait régner encore plus de terreur et de désespoir par ta perpétuelle
menace de spoliation qu’elle tenait suspendue sur les têtes. D'un jour à
l'autre, une famille pouvait, par elle, être réduite à la mendicité. Rarement
les victimes osaient crier, plus rarement encore leurs cris étaient entendus
; mais nous connaissons assez de cas particuliers pour savoir à quel point le
Saint Office devint, par sa seule puissance spoliatrice, un fléau pour les
populations qui le subissaient. De bonne heure, les riches reconnurent qu’il
était d'habile politique de se concilier le bon vouloir d'hommes aussi
formidablement armés. En 1244, le chapitre dominicain de Cahors dut
intervenir ; il ordonna aux inquisiteurs de ne point permettre à leurs Frères
de recevoir des présents, qui mettaient en péril le renom de l'Ordre ; mais
ces scrupules furent bientôt oubliés et l'on vit un homme d'un caractère
élevé, comme Emmerich, soutenir que les inquisiteurs pouvaient recevoir des
présents, bien qu’ils eussent lieu de refuser, sauf en des ras exceptionnels,
ceux de personnes traduites devant leur tribunal. Comme les comptes de
l'Inquisition n'étaient rendus qu'à la Chambre pontificale, ses
fonctionnaires n’avaient à craindre ni enquête, ni dénonciation. Ils
n’avaient pas davantage à redouter la colère divine, car leurs fonctions
mêmes leur assuraient indulgence plénière pour tous les crimes qu'ils
confessaient et dont ils se repentaient. Ainsi protégés contre toute
sanction, tant dans ce monde que dans l'autre, ils agissaient à leur guise et
sans être retenus par aucun scrupule. Une
seule pénalité purement temporelle était de la compétence de l’Inquisition :
la désignation des maisons qui devaient être détruites comme ayant été
souillées par l’hérésie. L’origine de ce curieux usage n’est pas aisée à
découvrir. D’après la loi impériale romaine, les édifices où les hérétiques
se réunissaient avec le consentement du propriétaire ne devaient pas être
abattus, mais confisqués au profit de l’Église. Cependant, dès que l’hérésie
devient une puissance formidable, on constate que la destruction des maisons
est ordonnée par les pouvoirs séculiers avec une unanimité singulière. Le
premier exemple que j’aie rencontré de cette loi date de 1166 : les Assises
de Clarendon prescrivirent de raser toutes les maisons où des hérétiques
avaient été reçus. Le même ordre fut donné par l’Empereur Henri VI en 1194 (édit de Prato), par Othon IV en 1210, par Frédéric
Il en 1232 (édit de Ravenne), qui compléta ainsi son édit de couronnement (1220), où cette prescription avait
-été omise. Elle avait déjà été adoptée dans le Code de Vérone (1228), pour tous les cas où le
propriétaire, après huit jours d’avis, négligeait d’expulser des locataires
hérétiques. Quelques années après on la trouve dans les statuts de Florence
et elle figure dans les bulles pontificales qui définissent la procédure de l’Inquisition.
En France, le Concile de Toulouse (1229) décréta que toute maison où un hérétique aurait
été reçu devait être détruite et le comte Raymond, en 1234, donna force de
loi à cette décision. Elle reparut naturellement dans la législation des
conciles ultérieurs qui réglèrent la procédure inquisitoriale et fut adoptée
par Saint-Louis. La Castille semble avoir été le seul pays où elle ne lût pas
observée, grâce, sans doute, à l’influence directe du droit romain sur sa
législation ; dans les Partidas, il est dit que les maisons qui ont
abrité des hérétiques doivent être simplement abandonnées à l’Église. Partout
ailleurs, elles étaient rasées et leur emplacement, considéré comme maudit,
devait rester un réceptacle d’ordures, impropre à l’habitation des hommes ;
toutefois, les matériaux, de démolition pouvaient être employés à des usages
pieux, à moins que la sentence de l’inquisiteur n’en eût prescrit la
destruction. Cette sentence était adressée au prêtre de la paroisse, qui
était tenu de la publier pendant le service divin, trois dimanches de suite. En
France, les officiers royaux préposés aux confiscations finirent par
protester contre .la destruction de propriétés parfois considérables, car le
château du seigneur y était exposé’ aussi bien que la cabane du paysan. En
1329, l’inquisiteur de Carcassonne, Henri de Chamay, obtint de Philippe de
Valois la confirmation de la règle et, la même année, dans un auto
tenu en septembre, il oui la satisfaction d’ordonner la destruction de quatre
maisons et d’une ferme, dont les propriétaires avaient été hérétiqués
à leur lit de mort. Mais, un demi-siècle plus tard, une discussion s’éleva à
ce sujet entre les représentants du roi et les inquisiteurs du Dauphiné, avec
un résultat tout autre. Charles V, après avoir consulté le pape, publia, le 19
octobre 1378, des lettres aux termes desquelles la peine de la destruction
des immeubles était abolie. L’esprit
d’indépendance de l’Allemagne du Nord se manifesta de la même manière : le Sachsenspiegel
prescrit qu’aucune maison ne doit être détruite, sauf dans le cas où un viol
y aurait été commis. En Italie, l’usage subsista, parce que les confiscations
n’avaient pas lieu au profil du prince ; maison admit que le possesseur
pouvait conserver sa maison, s'il n’avait pas connaissance du mauvais usage
qu’on en faisait. Toutefois, les jurisconsultes discutaient sur la
prohibition perpétuelle de bâtir au même endroit, — les uns affirmant que la
possession continue du terrain par un catholique, pendant quarante uns, lui
donnait le droit d’y construire une maison nouvelle, les autres maintenant
que la sentence inquisitoriale avait créé une servitude perpétuelle et
imprescriptible. Avec le temps, les inquisiteurs s’arrogèrent le droit de
donner des autorisations de construire sur les terrains maudits, et ils
exercèrent ce droit à leur profit, bien qu'il leur eût sans doute été
difficile d’alléguer une autorité à cet effet. Une
autre peine temporelle peut être citée comme exemple du pouvoir presque
illimité des inquisiteurs en matière de pénitences. Quand, en 1321, la ville
de Cordes, longtemps rebelle à son évêque et à son inquisiteur, lit sa
soumission, la pénitence imposée par Bernard Gui et Jean de Beaune consista
en l’érection d’une chapelle, de dimensions à déterminer, en l’honneur de
Saint Pierre Martyr, Sainte Cécile, Saint Louis et Saint Dominique, avec les
statues de ces saints en pierre ou en bois au-dessus de l'autel ; pour
compléter l'humiliation de la ville, le portail devait être orné des statues
de l’évêque et des deux inquisiteurs, le tout à terminer dans le délai de
deux ans, sous peine d’une amende de cinq cents livres tournois, qui devait
être doublée après un nouveau délai de deux ans. Les gens de Cordes se hâtèrent
de construire la chapelle, mais ils hésitèrent à glorifier ainsi leurs
oppresseurs ; vingt-sept ans plus tard, en 1348, nous voyons les autorités municipales
citées devant l'Inquisition de Toulouse et obligées de donner caution pour
l'achèvement immédiat du portail et l'exécution des statues des inquisiteurs. La
pénitence la plus sévère que pussent imposer directement les inquisiteurs
était celle de la prison. Suivant la doctrine inquisitoriale, ce n’était pas,
en réalité, une punition, mais un moyen pour le pénitent d’obtenir, au régime
du pain et de l’eau, le pardon de ses crimes ; en même temps, une
surveillance attentive le maintenait dans le droit chemin et l’empêchait de
contaminer le reste du troupeau. Bien entendu, cette pénitence n’était
imposée qu’aux convertis. L'hérétique rebelle qui persistait dans la
désobéissance, qui refusait obstinément de confesser son hérésie et affirmait
son innocence, ne pouvait être admis à la pénitence et était remis au bras
séculier, c'est-à-dire au bourreau. Aux
termes de la bulle Excommunicamus de Grégoire IX, en 1220, tous ceux
qui, après arrestation, étaient ramenés à la foi par crainte de la mort,
devaient être incarcérés pour le reste de leur vie et accomplir ainsi la
pénitence appropriée à leur cas. Presque en même temps, le concile de Toulouse
en ordonna de même, ajoutant que les convertis involontaires devaient être
empêchés de corrompre les autres. Le décret de Ravenne de Frédéric II, en
1332, adopta la même règle et en fit une disposition légale durable. Le
concile d'Arles, en 1231, appela l’attention sur les continuelles rechutes
des convertis par force et recommanda aux évêques de veiller sévèrement à ce
que la peine de l'incarcération perpétuelle leur fut appliquée. À cette
époque, les relaps n'étaient pas encore considérés comme perdus sans retour
ni abandonnés au bras séculier, mais jetés en prison pour n’en plus sortir[5]. L'Inquisition
naissante trouva cette' règle établie et l’appliqua avec l'impitoyable
énergie qu'elle apportait dans l’exercice de ses fonctions, ('.'était,
disait-on, une grâce accordée à des gens qui avaient perdu tout droit à la
pitié des hommes. Il ne devait pas y avoir d’exemptions. Le concile de
Narbonne, en 1244, déclara expressément qu’à moins d’une indulgence spéciale
du 5ainl-Siège, un mari ne devait jamais être épargné à cause de sa femme, ni
une femme à cause de son mari, ni un père en considération des enfants dont
il était la seule ressource ; ni l’âge ni la maladie ne devaient être
invoqués en vue de l’adoucissement de la peine. Quiconque ne se présentait
pas dans le délai de grâce pour se confesser et dénoncer ses complices, était
passible de cette pénitence, qui devait toujours être infligée pour la vie.
Épouvantés par l’activité des inquisiteurs, ceux loi avaient laissé passer
les délais fixés se présentaient en foule, suppliant qu’on les admit à
réconciliation. Cette foule devint bientôt si grande, vu la diffusion de
l’hérésie en Languedoc, que les bons évêques se déclarèrent incapables de
nourrir tant de prisonniers, ni même de trouver assez de pierres et de
mortier pour construire des [irisons à leur usage. On prescrivit donc aux
inquisiteurs de différer l’incarcération des convertis, à moins de péril
d’impénitence, d'apostasie ou de fuite, jusqu’à ce qu’on eut obtenu l’avis du
pape. Apparemment, Innocent IV n’était pas disposé à l’indulgence, car, en
124(1, le concile de Héziers ordonna l’incarcération de tous ceux qui avaient
laissé passer les délais, en conseillant toutefois de commuer la peine-
lorsqu’elle entraînerait péril de mort pour des parents ou des enfants. La
prison devint ainsi la peine ordinaire, excepté dans le cas d’hérétiques
obstinés, qui étaient brûlés. Un seul jugement, rendu le 19 février 1237 à
Toulouse, condamna de la sorte vingt à trente pénitents, qui devaient être
enfermés dans une maison jusqu’à ce qu’il y eût place pour eux dans les
geôles. Dans un fragment du registre des sentences de l’Inquisition de
Toulouse, de 1210 à 1218, comprenant 192 cas, dont 43 concernant des
contumaces, la peine infligée est toujours la prison. Lent vingt-sept
personnes furent condamnées à la prison perpétuelle, six à dix ans et seize à
un emprisonnement de durée indéfinie, suivant qu’il semblera expédient à
l’Église. C’est plus tard seulement qu’on se conforma à la décision du
concile de Narbonne et que la condamnation fut toujours à vie. Dans la suite,
il y eut quelque adoucissement, car tous les inquisiteurs n'étaient pas de la
trempe du féroce Bernard de Caux, qui gouvernait alors le Saint Office à
Toulouse ; mais, jusqu’à la lin, la prison perpétuelle resta la pénitence par
excellence, bien 4S6 que les décrets de Frédéric et les canons des conciles
de Toulouse et de Narbonne ne fussent pas considérés comme applicables à ceux
qui avaient abjuré « de grand cœur » après leur arrestation. Dans
les sentences d'époque plus récente qui nous sont parvenues, il est souvent
bien difficile de comprendre pourquoi un coupable est incarcéré, tandis qu’un
autre, accusé des mêmes méfaits, est remis en liberté avec l’obligation de
porter des croix. Peut-être distinguait-on entre ceux qui se convertissaient
avec joie et ceux dont la conversion paraissait forcée. Un exemple nous
montrera avec quelle cruauté un homme comme Bernard Gui, qui appartient au
groupe des inquisiteurs les plus éclairés, pouvait appliquer la loi terrible
dont l’Église avait armé sa main. Un certain Pierre Raymond Dominique, cité à
comparaître en 1309, avait pris la fuite et été frappé d’une excommunication
; condamné en 1315 comme hérétique contumace, il se présenta volontairement
en 1321, sur la promesse que sa vie serait sauve. Ses actes d’hérésie
n’avaient pas été flagrants et il alléguait, pour excuser sa contumace, qu'il
avait à sa charge une femme et sept enfants, que sa disparition aurait
condamnés à mourir de faim. Il n’en lui pas moins incarcéré pour le reste de
ses jours ! L’austère
Bernard de Caux ne fut pas toujours aussi impitoyable. En 1246, il condamna
Bernard Sabbatier, hérétique relaps, à la prison perpétuelle, mais il ajouta
que le père du coupable étant un bon catholique, vieux et malade, son fils
.pourrait rester auprès de lui sa vie durant et travailler pour le nourrir, à
la condition déporter dos croix. Il y
avait deux régimes pour les prisonniers : le régime strict — murus
strictus, durus ou ardus — et le régime adouci — murus
largus. Mais, dans l’un et l’autre, le captif ne recevait que du pain et
de l’eau ; il était enfermé dans une cellule et ne pouvait communiquer avec
personne, de crainte qu’il, ne fût corrompu ou ne corrompit d'autres.
Toutefois, cette dernière règle ne fut pas sévèrement appliquée, car vers 1306,
Geoffroi d’Ablis signale comme un abus les visites faites aux prisonniers par
des clercs et des laïcs des deux sexes. On permettait aux conjoints de se
voir s’ils étaient emprisonnés l’un et l’autre, ou si l’un des deux seulement
était en prison. Vers la fin du xiv e siècle, Eymerich accorde que des
catholiques zélés peuvent être autorisés à visiter des prisonniers, mais i !
interdit ces visites aux femmes et aux gens simples ; car, ajoute-t-il, les
convertis sont très disposés aux rechutes, très aptes à infecter les autres
et, généralement, ils finissent sur le bûcher. Les
personnes soumises au régime plus doux du murus largus pouvaient, si
elles se conduisaient bien, prendre un peu d'exercice dans les corridors, où
elles avaient quelquefois la facilité d’échanger quelques paroles et de
reprendre contact avec le dehors. Les cardinaux qui visitèrent la prison de
Carcassonne et prescrivirent des mesures pour en atténuer les rigueurs
ordonnèrent que ce privilège fût accordé aux captifs âgés et infirmes. Le
condamné au murus strictus était jeté, les pieds enchaînés, dans une cellule
étroite et obscure ; parfois il était enchaîné au mur. Celte pénitence était
infligée à ceux dont les offenses avaient été scandaleuses, ou qui s’étaient
parjurés par des confessions incomplètes, le tout à la discrétion de
l'inquisiteur. J’ai rencontré un cas, en 1323, ou un hérétique faux-témoin
fut condamné au murus strictissimus, avec des chaînes tant aux mains
qu’aux pieds. Lorsque les coupables appartenaient à un Ordre religieux, la
punition était généralement tenue secrète et le condamné était emprisonné
dans un couvent de son Ordre. Les couvents étaient d’ordinaire pourvus de
cellules à cet effet, où le régime n’était pas meilleur que dans les prisons
épiscopales. Dans le cas de Jeanne, veuve de B. de la Tour, religieuse de
Lespenasse, qui avait participé aux hérésies des Cathares et des Vaudois et
avait prévariqué dans sa confession, la sentence, rendue en 1246, portait
emprisonnement dans une cellule de son couvent, où nul ne devait pénétrer, où
nul ne devait la voir, sa nourriture lui étant passée à travers une ouverture
ménagée à cet effet. C’est la tombe des vivants, connue sous le nom d'in pace[6]. Lorsque
la rigueur envers les captifs n’avait pas d'objet, elle s’atténuait
inévitablement. Ainsi, il résulte de différentes indications éparses dans les
procédures que les prisonniers entretenaient des relations assez suivies,
tant entre eux qu’avec le monde extérieur ; toutefois, on enjoignait aux
gardiens de prohiber toute communication qui fût de nature à endurcir les
détenus ou à les détourner de se confesser complètement. Les
prisons elles-mêmes n’étaient pas de nature à alléger la pénitence de la
détention. Les seigneurs-justiciers et les villes, obligés à les entretenir,
les considéraient comme une lourde charge. Lorsqu’un débiteur était
incarcéré, bien que lu loi limitât à quarante jours la durée de la contrainte
et prescrivit qu’il fût convenablement nourri, ces règles étaient
généralement éludées, car plus on le traitait mal, plus il devait faire
d’efforts pour se libérer. Quant aux criminels, on ne leur donnait que du pain
et de l'eau ; s'ils mouraient de misère, c'était une dépense de moins. Le
prisonnier qui avait de l’argent et des amis pouvait naturellement obtenir d’être
mieux traité ; mais cela était presque impossible aux hérétiques, dont les
biens avaient été confisqués et auxquels il était dangereux de témoigner le
moindre intérêt[7]. Le
nombre immense de prisonniers, à la suite des opérations 489 vigoureuses de
l’Inquisition du Languedoc, posa la question difficile de la construction et
de l’entretien de prisons nouvelles. En principe, cette charge incombait aux
évêques, dont la mollesse à l’égard des hérétiques avait été rachetée par
l’énergie des moines ; les évêques l’admirent en 1229, au concile de
Toulouse, avec cette réserve que l'entretien de l’hérétique riche devait
incomber à ceux qui profitaient de la confiscation de ses biens. Toutefois,
le fardeau devint tellement lourd qu’au concile de Narbonne, en 1244, ils
proposèrent d’employer à la construction et à l’entretien des prisons les
pénitents qui, sans le récent décret du l'ape, auraient été envoyés à la
Croisade. Il était à craindre, disaient-ils, « que les prélats ne
fussent trop chargés de convertis pauvres et incapables de les entretenir vu
leur multitude ». Deux ans après, à Béziers, ils déclarèrent que la
construction et l’entretien des prisons devaient incomber à ceux qui
profitaient des confiscations et qu'on pourrait ajouter à ces fonds le
produit des amendes imposées par les inquisiteurs. Cela était assez
raisonnable, mais les moines ne l’entendaient pas ainsi. En 1219, Innocent IV
affirma de nouveau que c’était l’affaire des évêques ; il leur reprocha de
manquer à leurs devoirs et ordonna qu’ils y fussent contraints. Enfin, en
1251, le concile d’Albi décida définitivement que les détenteurs de biens
confisqués contribueraient au logement et à l’entretien de leurs précédents
possesseurs et que, lorsque les hérétiques seraient sans ressources, les
villes ou les seigneurs sur le territoire desquels on les avait pris seraient
responsables de la dépense et obligés, sous menace d’excommunication, de la
supporter. Néanmoins, la responsabilité des évêques était si évidente que
certains inquisiteurs zélés parlaient de les poursuivre comme fauteurs
d’hérésie pour négligence à faire construire des prisons ; mais Gui Foucoix
déconseille discrètement cette procédure et recommande de soumettre les cas
de ce genre au jugement du Saint-Siège. On
conçoit combien la condition des prisonniers devait être misérable, alors que
leurs oppresseurs et spoliateurs marchandaient sur le prix de leur entretien,
du pain et de l’eau qu’il s'agissait de leur fournir. Saint-Louis, suzerain
des territoires cédés par le traité de Paris, qui bénéficiait dans une très
large mesure des confiscations, reconnut que ces profits lui imposaient des
devoirs. En 1233, il entreprit d’entretenir des prisons à Toulouse, à
Carcassonne et, à Béziers. En 1246, il ordonna à son sénéchal de mettre à la
disposition des inquisiteurs des prisons convenables à Carcassonne et à
Béziers, et de fournir aux détenus leur ration journalière de pain et d’eau.
En 1238, il prescrivit à son sénéchal de Carcassonne d’achever promptement
les prisons commencées ; il sait bien que les prélats et les barons sur les
terres desquels les hérétiques ont été pris doivent assurer leur entretien,
mais, pour éviter des difficultés, il consent à ce que les dépenses
afférentes soient supportées par le trésor royal, quitte à être ensuite
recouvrées auprès des seigneurs. Lors de la mort d’Alphonse et de Jeanne de
Toulouse, en 1272, tous les territoires où sévissait l’Inquisition et, à peu
d’exceptions près, toutes les confiscations revinrent au roi de France. Dès
lors, l’entretien des prisons, y compris les salaires des geôliers, incomba à
la Couronne, excepté peut-être à Albi, où l’évêque, qui avait sa part des
dépouilles, paraît aussi avoir participé aux dépenses. Parmi les demandes de
Henri de Chamay, que Philippe de Valois accorda en 1329, figure celle- ci :
que la prison inquisitoriale de Carcassonne soit réparée par le roi et que
tous ceux qui ont eu part aux confiscations y contribuent pro rata.
Là-dessus, le sénéchal taxa le comte de Poix de 302 livres, 11 sols et 9
deniers ; celui-ci refusa de payer et fit appel au roi. Ou ne sait comment se
termina cette affaire. D’une décision du Parlement de Paris en 1304, il
appert que la subvention royale pour la nourriture de chaque prisonnier
s’élevait à trois deniers par jour, somme qui semble suffisante, bien que
Jacques de Polignac, qui avait la charge de la prison de Carcassonne, et qui
fut puni pour ses détournements, comptât pour cela huit deniers. Cette forte
dépense ne constitua pas un précédent ; en 1337, nous trouvons de nouveau une
dépense journalière de trois deniers. Pour les accusés en prison préventive
et qui attendaient d’être jugés, c’est probablement l’Inquisition elle-même
qui payait, à moins que l’accusé n’eût des biens sur lesquels on pouvait pourvoir
à son entretien. Toutefois, en 1438, il est question d’un hérétique dans la
prison épiscopale d’Utrecht, qui, étant pauvre, gagnait sa nourriture en
tissant. En Italie, où les confiscations étaient divisées en trois parts,
l'Inquisition faisait ses frais et n’avait pas besoin des princes. À Naples,
c’étaient les' prisons royales qui servaient, mais un ordre royal était
nécessaire pour l'incarcération. Rien
que le régime normal des prisonniers fût le pain et l’eau, l'Inquisition
permettait aux siens de recevoir du dehors d’autres aliments, du vin.de
l’argent ; il est si souvent fait allusion à cette tolérance qu’on peut la
regarder comme un usage établi. Des collectes avaient lieu parmi ceux qui
inclinaient secrètement vers l’hérésie à l’effet d’améliorer la condition de
leurs frères captifs et, quand on songe aux dangers que pouvait faire courir
l’accusation de favoriser l’hérésie, i on ne peut qu’admirer te zèle
désintéressé de ceux qui osaient ainsi tendre la main aux persécutés. Les
prisons étaient naturellement construites de façon à ménager le plus possible
la dépense et la place, sans aucun souci de la santé ni de la commodité de
leurs hôtes. Les instructions pontificales portaient qu’elles devaient se
composer de petites cellules sombres, chacune pour un prisonnier seulement ;
la détention devait être très rigoureuse, mais ne pas mettre en danger la vie
du captif. La description faite par M. Molinier de la Tour de l’Inquisition à
Carcassonne, qui servait de prison inquisitoriale, montre que les
instructions de Rome furent fidèlement suivies. C’était un lieu horrible,
composé de petites cellules, sans air ni lumière, où pendant de longues
années les infortunés pénitents traînaient une vie d’indicible misère, bien
pire que la courte agonie du bûcher. Dans ces séjours du désespoir, ils
étaient entièrement à la merci des geôliers. Leurs plaintes n’étaient jamais
écoulées ; si un prisonnier déclarait avoir été l’objet de violences, son
serment était dédaigneusement écarté, alors que l’on acceptait celui des
fonctionnaires de la prison. Les instructions données, en 1282, par Frère
Jean Galande, inquisiteur de Carcassonne, au geôlier Raoul et à sa femme Bertrande,
jettent un jour singulier sur le régime de ces établissements. On les menace
de renvoi irrévocable si, à l’avenir, ils empruntent de l’argent aux
prisonniers ou reçoivent d’eux des cadeaux, s'ils s’approprient l'argent ou
les effets de ceux qui meurent, s’ils permettent à des prisonniers de
franchir la première porte, s’ils mangent avec eux, s'ils emploient les
serviteurs de la prison à diverses besognes ou à des courses, s’ils jouent
avec eux ou leur permettent de jouer ensemble, etc. Évidemment,
un prisonnier ayant de l’argent pouvait obtenir <les faveurs de l’honnête
Raoul ; mais les instructions que nous venons de résumer passent sous silence
un des abus les plus scandaleux qui déshonoraient les prisons— la
confiscation, par les gardiens, de l’argent et de la nourriture envoyés aux
prisonniers par leurs amis. Naturellement, des fraudes de tout genre
poussaient, comme des champignons, sur ce terrain profondément vicié. En 1304,
Hugolin de Polignac, garde de la prison royale de Carcassonne, fut jugé pour
avoir détourné une partie de la subvention royale, pour avoir maintenu sur
les registres, pendant des années, après leur décès, les noms de certaines
personnes et pour avoir gardé l'argent que leur envoyaient des amis ; mais
les témoignages ne parurent pas suffisants pour justifier une condamnation.
Les cardinaux que Clément Y chargea, peu de temps après, d’enquérir sur les
abus de l'Inquisition en Languedoc, dénoncèrent sommairement les fraudes
habituelles en obligeant les nouveaux geôliers, nommés par eux, à jurer de
remettre à chaque prisonnier les provisions que lui destinait le roi, aussi
bien que celles que lui envoyaient ses amis — intimation confirmée par les
décrétales de Clément V. Le rapport des cardinaux témoigne <le leur
horreur en présence des faits constatés par eux. À Carcassonne, ils
enlevèrent complètement la direction de la prison 493 à l'inquisiteur Geoffroi
d'Ablis et la remirent à l'évêque ; ils ordonnèrent de réparer immédiatement
les cellules de l'étage supérieur afin qu’on pût y transporter les
prisonniers âgés et infirmes. À Albi, ils délivrèrent les captifs enchaînés,
prescrivirent d’éclairer les cellules et d'en construire de meilleures dans
le délai d’un mois. À Toulouse, leur mécontentement ne fut pas moindre.
Partout on se plaignait du manque de nourriture, de l’absence de lits, de la
fréquence des tortures, Les réformes des cardinaux consistèrent surtout à
diviser la responsabilité entre l’évêque et l'inquisiteur, dont l'accord
était nécessaire pour une sentence d’emprisonnement ; chacun d’eux devait
nommer un geôlier, chaque geôlier devait avoir une clef pour chaque cellule et
jurer de ne jamais parler à un captif autrement qu'en présence de son
collègue. Ces remèdes insuffisants, approuvés par le pape Clément, ne purent
guère produire d’effets utiles. Bernard Gui se plaignit amèrement que le pape
eut jeté la honte sur l’Inquisition en déclarant qu'il y avait-de la fraude
et de la violence dans le régime de ses prisons, et il avança que les
nouveaux règlements étaient inapplicables. Bien que la contrainte qu’ils
imposaient aux inquisiteurs fût bien faible, nous pouvons être certains
qu’ils ne lurent pas longtemps appliqués. Peu d’années après, dans les Practica,
Bernard Gui tient pour assuré que le droit de jeter un homme en prison
appartient uniquement à l’inquisiteur ; il cite avec dédain, et par son titre
seulement, le canon clémentin et allègue ensuite, comme si elle était encore
en vigueur, une bulle de Clément IV, qui donnait toute autorité à
l’inquisiteur et ne mentionnait pas l’évêque. En fait, avant la fin du
siècle, Eymerich considérait les canons clémentins comme indignes d’être
insérés dans son travail, parce que, nous dit-il, on ne les observe nulle
part en raison des inconvénients qu’ils présentent. Toutefois, vers 1500, Bernardo
di Como reconnaît que la règle clémentine petit être suivie quand il s’agit
d’une détention pénale après le jugement ; mais, il maintient que
l’inquisiteur a seul le contrôle de la prison et de ses hôtes, avant et
pendant le procès[8]. Avec de
pareils geôliers, il est probable que les évasions assez fréquentes — étaient
le fruit de la corruption. Même les prisonniers enchaînés réussissaient
quelquefois à s’échapper. Mais ce qui mettait le plus souvent un terme aux
souffrances des captifs, était la mort causée par l'effroyable saleté où on
les condamnait à croupir. La mortalité dans ces prisons était énorme.
Cependant, quelques-uns résistaient pendant des années ; nous connaissons
même le cas d’une femme qui fut gracieusement mise en liberté à la condition
de porter des croix, après avoir passé trente-cinq ans dans la prison de
Toulouse. Dans les autodafés, on trouve souvent des sentences
prononcées contre des prisonniers qui étaient morts avant la fin de leur
procès. Lors de l'auto de 1310, à Toulouse, il est question de dix
personnes mortes après avoir confessé leur hérésie et avant le jugement ;
dans l’auto de 1319, on compte huit cas analogues. La prison de
Carcassonne semble avoir été un séjour presque aussi mortel que celle de
Toulouse. Dans l'auto de 1325, il y a des sentences contre quatre
décédés ; on en trouve cinq dans celui de 1328. Comme on ne paraît pas avoir
tenu de registres, c’est, seulement d’après ces indices que nous pouvons nous
faire une idée de l'épouvantable condition sanitaire des prisons (1). La
prison était naturellement la peine que les inquisiteurs infligeaient le plus
souvent. Dans le registre des sentences de Bernard Gui, comprenant ses
opérations de 1308 à 1322, il est fait mention de 636 condamnations, qui se
répartissent comme il suit :
Ce
tableau donne sans douta une idée exacte de la fréquence relative des
châtiments imposés. Il faut
encore noter une particularité des sentences inquisitoriales. Elles se
terminaient toujours par une formule réservant le pouvoir discrétionnaire de
modifier, de mitiger, d'aggraver et de renouveler la peine. Dès 1244, le
concile de Narbonne enjoignit aux inquisiteurs de se réserver toujours ce
pouvoir, et cela devint, avec le temps, une règle invariable. En 1245,
Innocent IV conféra aux inquisiteurs, agissant de concert avec l’évêque du
pénitent, le droit de modifier la pénitence '-imposée. En général, l’évêque
collaborait à ces modifications des sentences, mais Zanchini nous apprend que
son consentement n’était essentiel que lorsqu’il s’agissait de clercs.
L’inquisiteur, toutefois, ne pouvait pas faire remise entière de la peine,
privilège qui n’appartenait qu’au pape. Le crime d’hérésie était tellement
indélébile que seul le représentant de Dieu avait un pouvoir suffisant pour
l’effacer. Ce
pouvoir d’atténuer les sentences était fréquemment exercé. Il servait à
obtenir des pénitents de plus explicites témoignages, preuves de la sincérité
de leur conversion, et peut-être aussi à diminuer l’encombrement des geôles.
Ainsi, dans le registre des sentences de Bernard Gui, on trouve 119 cas de
mise en liberté, avec l’obligation de porter des croix ; de ces 119 libérés,
51 furent exemptés par la suite du port des croix. En outre, il y a 87 cas de
personnes condamnées à porter des croix et à qui remise fut faite de leur
peine. Cette indulgence n’était pas particulière à l’Inquisition de Toulouse.
En 1328, par une seule sentence, vingt-trois prisonniers de Carcassonne
furent relâchés, leur pénitence étant commuée en port de croix, pèlerinages
et autres travaux. En 1329, une autre sentence de commutation, passée à
Carcassonne, remit en liberté dix pénitents, parmi lesquels la baronne de Montréal.
On leur imposa, leur vie durant, le port de croix jaunes et l'accomplissement
de vingt-et-un pèlerinages, touchant à des sanctuaires aussi éloignés les uns
des autres que Rome, Compostelle, Canterbury et Cologne. Ils devaient
entendre la messe chaque dimanche et jour de fête, leur vie durant, se
présenter au prêtre officiant avec des verges et recevoir la discipline en
présence des fidèles ; ils devaient aussi prendre part à toutes les
processions et subir la discipline à la station finale. Dans de pareilles
conditions, l’existence était à peine supportable et la mort devait être une
délivrance. Comme
les sentences de condamnation, ces sentences de mitigation réservaient
expressément le droit de modification et de renouvellement, avec ou sans
cause. Quand une fois l'Inquisition avait posé sa griffe sur un homme, elle
ne léchait jamais prise et sa grâce suprême n’était que l’équivalent de l’exeat
d’un forçai libéré. Jamais il n’y eut de sentence d’acquittement. Le concile
de Béziers, en 1246, et Innocent IV, en 1247, dirent aux inquisiteurs que
lorsqu’ils relâchaient un prisonnier, ils devaient l’avertir qu’au premier
motif de suspicion il serait puni sans pitié et qu’ils devaient se réserver
le pouvoir de l'incarcérer à nouveau sans la formalité d’un nouveau procès et
d’une nouvelle sentence, si l’intérêt de la religion l’exigeait. Ces
conditions étaient observées dans les formulaires et prescrites dans les
manuels. Le pénitent ne pouvait pas ignorer que la liberté dont il jouissait
était soumise à la discrétion et à l'arbitraire d’un juge qui, à tout moment,
pouvait le faire reconduire en prison et charger de chaînes ; dans son
serment d’abjuration, il donnait caution de sa personne et de tous ses biens,
s'engageant à comparaître au premier appel. Si Bernard Gui, dans son
Formulaire, donne le texte d’une décision gracieuse remettant toute peine personnelle,
toute incapacité frappant les héritiers de l’accusé, il avertit que cette
formule ne doit jamais être employée, ou ne doit l’être que très rarement. Lorsqu’il
s’agissait d’une chose importante, par exemple de la capture d’un docteur
éminent de l’hérésie, les inquisiteurs pouvaient promettre pleine et entière
merci à ses disciples pour obtenir qu'ils le dénonçassent. On est heureux
d’ajouter que ces promesses restaient presque toujours sans effet. Si des
pénitences spéciales avaient été imposées, l’inquisiteur pouvait, après leur
accomplissement, déclarer que le pénitent était un homme de bonne vie et de
bonnes mœurs ; mais cela n’effaçait nullement la réserve insérée dans la
sentence primitive. La clémence de l'Inquisition n’allait pas jusqu’au pardon
; elle se contentait d’accorder un délai, dum bene se gesserit, et
l'homme qui avait une fois été l'objet d’une sentence pouvait toujours
craindre d’être rappelé pour la subir à nouveau, ou s'en entendre infliger
une plus sévère. Sa vie toute entière- appartenait désormais au juge
silencieux et mystérieux qui pouvait la briser sans même l’entendre ni donner
de raison. Il était pour toujours soumis à la surveillance de la police de
l'Inquisition, comprenant le prêtre de la paroisse, les moines, le clergé, la
population entière, qui recevaient l’ordre de dénoncer tout relâchement dans
sa pénitence, toute parole ou toute altitude suspecte — en suite de quoi il
était sujet, ipso facto, aux peines terribles édictées contre
l’hérétique relaps. Pour un ennemi personnel, rien n’était plus facile que de
détruire un pareil homme, d’autant plus que le dénonciateur savait que son
nom ne serait jamais prononcé. Nous plaignons à bon droit les victimes du
bûcher et de la prison ; mais leur destin était-il vraiment plus lamentable
que celui de ces multitudes d'hommes et de femmes devenus les serfs de
l’Inquisition, après avoir bénéficié de son hypocrite démence, dont l'existence
sc traînait désormais au milieu d'une anxiété incessante et sans espoir de
repos ? L’Inquisition
n’était même pas désarmée par la mort de ses victimes. Nous avons déjà
souvent parlé de l'exhumation des ossements de ceux qui, par une mort
opportune, avaient semblé préférer la vengeance de Dieu à celle des hommes.
Si l'accusé mourait après s’être confessé et repenti, son châtiment n’était
autre que celui qu’on lui aurait infligé de son vivant, l’exhumation violente
tenant lieu de l’emprisonnement ; d'autre part, les héritiers du mort étaient
obligés de subir ou de racheter une pénitence légère. Mais si l'accusé ne
s’était pas confessé et qu’il existât des indices de son hérésie, il était
classé parmi les hérétiques impénitents, ses restes étaient livrés au bras
séculier et ses biens confisqués sans recours. Cette dernière disposition
explique pourquoi les exécutions de ce genre paraissent si fréquentes dans la
statistique citée plus haut. Ajoutons que, si les autorités séculières
hésitaient à procéder à l’exhumation, elles y étaient contraintes par la
menace de l’excommunication. La môme
fureur s’exerçait sur les descendants du malheureux. Suivant la loi romaine,
le crime de trahison était puni avec une rigueur impitoyable, et les
dispositions de cette loi sont sans cesse citées par les avocats du droit
canon comme des précédents pour le châtiment de l’hérésie, avec la remarque
que la trahison envers Dieu est mille fois plus horrible qu’à l’égard d'un
souverain temporel. Il était peut-être naturel que l’homme d'Église, dans son
ardeur à défendre le royaume de Dieu, suivît et dépassât l’exemple des
empereurs romains, et cela peut expliquer, sinon justifier, bien des traits
odieux de la procédure inquisitoriale. Dans le Code Justinien, la peine de la
trahison est aggravée par une disposition qui déclare les enfants du coupable
incapables d’exercer des fonctions publiques et de succéder dans la ligne
collatérale. Le concile de Toulouse, en 1229, déclara inéligibles à tout
emploi ceux- mômes des hérétiques qui s’étaient spontanément convertis. Il
était, par suite, naturel que Frédéric II appliquât à l’hérésie la loi
romaine et en étendit faction aux petits-enfants du coupable. Cette
aggravation, comme le reste de la législation de Frédéric, fut adoptée avec
empressement par l’Église. Toutefois, Alexandre IV, dans une bulle de 1237,
plusieurs fois rééditée par ses successeurs, expliqua que cela ne
s’appliquait pas aux cas où le coupable avait fait amende honorable et
accompli sa pénitence ; Boniface VIII alla plus loin et supprima l’incapacité
pour les petits-enfants de la ligne maternelle. Ainsi amendée, la loi de
Frédéric resta inscrite dans le droit canon. L’Inquisition
avait tellement besoin du concours des fonctionnaires séculiers qu’on peut
l’excuser, dans une certaine mesure, d’avoir cherché à exclure des fonctions
ceux qui pouvaient avoir quelque sympathie pour les hérétiques. Mais de même
qu’il n'y avait aucune prescription de temps qui pût l’arrêter dans sa
procédure contre les morts, il n’y en avait pas davantage pour suspendre son
action à l’endroit delà postérité des hérétiques. Les archives de
l’Inquisition devinrent ainsi la source de vexations innombrables dirigées
contre ceux qui, de près ou de loin, touchaient à un hérétique. Personne ne
pouvait être assuré qu’on ne découvrirait ou qu’on ne fabriquerait pas, un
jour ou l'autre, quelque témoignage contre tel de ses parents ou
grands-parents depuis longtemps décédés ; cela suffirait pour ruiner à tout
jamais sa carrière. En 1288, Phi- lippe-le-Bel écrivait au sénéchal de
Carcassonne que Raymond Vital d’Avignon exerçait l’office de notaire dans
cette ville, bien que son grand-père maternel, Roger Isarn, passât pour
avoir été brûlé comme hérétique. Si cola est vrai, le sénéchal doit
priver le notaire de sa charge. En 1292, Guiraud d’Auterive, sergent d’armes
du roi, fut l’objet d’une enquête fondée sur un motif analogue ; Guillem de
S. Seine, inquisiteur de Carcassonne, fournit au procureur du roi des
documents suivant lesquels, en 1230, le père et la mère de Guiraud avaient
confessé des actes d’hérésie ; un oncle de Guiraud, Raymond Carbonnel, avait
été brûlé en 1270 comme hérétique Parfait. Dans ce cas, le pouvoir
royal est invoqué pour obtenir la destitution d'un fonctionnaire ; mais la
doctrine de l’Inquisition attribuait à l'inquisiteur lui-même le droit de
priver de sa charge toute personne dont le père ou le grand-père avait été un
hérétique ou un fauteur d’hérésie. Aussi, quand un pénitent avait accompli sa
pénitence, ses enfants prenaient souvent la précaution d’en obtenir une
attestation formelle, qui leur permettait d’aspirer plus tard à des
fonctions. Dans des cas particuliers, l’inquisiteur avait le droit de lever
les incapacités qui pesaient sur les descendants d’hérétiques ; mais, comme
la remise de la pénitence, ce n’était là qu'une suspension de peine, qui
pouvait être annulée d'un moment à l’autre, au moindre soupçon de tendance
vers l’hérésie. De la sorte, il arrivait que des descendants d’hérétiques
occupassent même des fonctions ecclésiastiques ; Il est question d’un moine
de Cluny qui étudiait à Paris au moment où ses parents furent condamnés pour
hérésie ; il affirma qu’il ignorait leurs erreurs et s’adressa au Pénitencier
pontifical à l’effet d’être admis dans les Ordres. Le prieur fut avisé de
l'admettre à l'ordination si sa vie et ses mœurs prouvaient qu’il en était
digne. Ou and un homme avait été ordonné prêtre et pourvu d'un bénéfice avant
la condamnation de ses parents, la loi n’avait pas d’effets rétroactifs. À la base de toutes les sentences de l’Inquisition, si l'on peut 500 dire, était celle sur laquelle toute sa puissance était fondée : la sentence d'excommunication. En théorie, les censures de l’Inquisition étaient identiques à celles de tout autre ecclésiastique autorisé à priver les hommes de leur salut ; mais le clergé avait donné de tels scandales que l’anathème, dans la bouche de prêtres qui n'étaient ni craints ni respectés, avait perdu, du moins à l'époque où nous sommes, une grande partie de sa force. En revanche, les censurés de l’Inquisition étaient des armes au service d’un polit nombre d’hommes choisis pour leur énergie et à qui personne ne pouvait impunément manquer de respect. D’ailleurs, les autorités séculières étaient tenues de mettre au ban tout individu excommunié par l'inquisiteur comme hérétique ou fauteur d’hérésie, et de confisquer ses biens. Les inquisiteurs se vantaient, non sans raison, que leur malédiction était, pour quatre motifs, plus puissante que celle du clergé séculier : ils pouvaient obliger le pouvoir séculier à mettre l’excommunié hors la loi ; ils pouvaient le contraindre à confisquer ses biens ; ils pouvaient condamner pour hérésie toute personne qui restait excommuniée pendant une année ; ils pouvaient enfin infliger l’excommunication majeure à quiconque entretenait des relations avec les excommuniés. Ainsi l’Inquisition obtenait que l’on obéit sans résistance à ses citations et qu’on se soumit aux pénitences qu’elle imposait. Elle asservissait, pour l’exécution de ses sentences, le pouvoir séculier ; clic balayait les lois et les statuts qui s’opposaient à la procédure ; elle prouvait que le royaume de Dieu, représenté par elle, était supérieur aux royaumes de la terre. De toutes les excommunications, celle de l’Inquisiteur était la plus redoutable et les plus hardis n’osaient la braver, parce qu’ils savaient qu’une vengeance terrible la suivait de près. |
[1]
Dans les sentences de Bernard de Caux, 1246 8, bien que l’emprisonnement soit
traité de pénitence, l’expression est plus impérative que dans la procédure
postérieure (Mss. Bib. Nat., fonds lat., 1992)
[2]
En Italie, les croix paraissent avoir été de drap rouge (Archiv. di Firenze,
Prov. S. Maria Novella, 31 oct. 1327.) — Au XIIIe siècle, il y a une allusion
isolée à une autre pœna confusibilis, qui consiste en un collier de bois
porté par le pénitent. J’en trouve la mention à La Charité, en 1233, niais n’en
ai pas rencontre d’autre exemple (Ripoll, I, 46.)
[3]
Le droit de donner caution, sauf quand on était sous le coup d’une accusation
capitale, était formellement reconnu par le droit séculier. Voir, par exemple,
Isambert, Anc. loix franc, III, 57.
[4]
C’est en 1477 seulement que Sixte IV, à la requête du doge Andrea Vendramino,
révoqua le décret de Bonifaco et nomma inquisiteur ii Padoue et à Vicence le
Franciscain Giovanni du Clugia. (Archivio Vaticano, Sixto IV, Reg. T. I, f°
108.)
[5]
La bulle de Grégoire, introduite dans le droit canonique, condamne à la prison
perpétuelle ceux qui redire noluerint (C. 15, § 1, Extra V. VII) ; ce
dernier mot est évidemment un lapsus pour voluerint, puisque les
hérétiques obstinés étaient livres au bras séculier. Le décret de Ravenne,
publié peu de temps après par Frédéric II, fait observer que l’emprisonnement à
perpétuité des convertis est conforme aux canons de l’Eglise.
[6]
La cruauté du système d’emprisonnement monastique, dit in pace ou vade
in pacem, était telle, que ceux qu'on y soumettait ne tardaient pas à
mourir dans l'agonie du désespoir. En 1350, l’archevêque de Toulouse pria le
roi Jean d'en faire adoucir la rigueur, et celui-ci, en conséquence, rendit une
Ordonnance aux termes de laquelle le supérieur du couvent devait, deux fois par
mois, visiter et consoler le prisonnier ; ce dernier devait, en outre, avoir le
droit de demander, deux fois par mois, la société d'un des moines. Cette légère
atténuation de pratiques barbares parut si scandaleuse aux Dominicains et aux
Franciscains qu’ils s'adressèrent au pape Clément VI pour obtenir qu'on revînt
à l'ancien régime. Le pape les débouta. — Chron. Bardin, ann. 1350
(Vaissette, IV. Pr. 29.) — La loi anglaise de cette époque interdit d'enchainer
les prisonniers (Bracton, l.ib, III. Tract, I. cap. 6.)
[7]
Dans les comptes de la Sénéchaussée de Toulouse pour 1337, on trouve mention de
30 sols dépensés en novembre 1333 pour fournir de la paille aux prisonniers,
afin de les empêcher de mourir de froid pendant l'hiver. D’autres sommes,
montant au total de 83 sols et 11 deniers, sont destinées à réparer les chaînes
et les entraves qui assuraient la rigueur du régime cellulaire. — Vaissette,
éd. Privât, X. Pr. 728-729.)
[8]
Le passage des Practica auquel il
est fait allusion se trouve dans un manuscrit de la Bibl. Nat., fonds lat., n°
14579, fol. 258. L’allusion aux Clémentines manque dans le manuscrit imprimé
par Douais, Paris, 1885, p. 179. — En 1325, l’évêque Richard Ledred d’Ossorv se
prévalut du canon clémentin pour revendiquer le droit de surveillance sur
William Outlaw, qu’il emprisonna dans le château de Kilkenny comme fauteur de
sorciers (il n’y avait pas, semble-t-il, de geôle épiscopale). — Wright’s Proceedings against Dame Alice Kyteler,
Camden Soc., 1813, p. 31.