HISTOIRE DE L'INQUISITION AU MOYEN-ÂGE

TOME PREMIER — ORIGINES ET PROCÉDURE DE L’INQUISITION

 

PRÉFACE DE L’AUTEUR.

 

 

L’histoire de l’Inquisition se divise naturellement en deux parties, dont chacune peut être considérée comme formant un tout. La limite qui les sépare est la Réforme, — excepté en Espagne, où la Nouvelle Inquisition fut établie par Ferdinand et Isabelle. J’ai cherché, dans le présent ouvrage, à offrir un tableau impartial de cette institution pendant la première période de son existence. Pour la seconde partie, j’ai déjà réuni beaucoup de matériaux, grâce auxquels j’espère quelque jour en poursuivre l’histoire jusqu’à la fin.

L’Inquisition n’a pas été une organisation arbitrairement conçue et imposée au monde chrétien par l’ambition ou le fanatisme de l’Eglise. Elle a plutôt été le produit d’une évolution naturelle, on dirait presque nécessaire, des diverses forces en action au XIIIe siècle.

Personne n’en peut justement apprécier ni le mode de développement, ni les effets, sans considérer d’abord avec quelque attention les idées qui gouvernaient les âmes vers l’époque où s’élaborait la civilisation moderne. Pour cela, nous avons cru devoir passer en revue presque tous les mouvements spirituels et intellectuels de la fin du Moyen Age et procéder à une enquête sur les conditions de la société à certaines phases de cette période.

Au début de mes études historiques, je me suis rapidement convaincu que le fondement le [dus sur de nos connaissances, pour une époque donnée de l’histoire, n’est autre que l’étude de sa jurisprudence, oii se révèlent à la fois ses aspirations et les moyens, jugés les plus efficaces, de les satisfaire. En conséquence, j’ai exposé avec détail l’origine et le développement de la procédure inquisitoriale, convaincu que, de celle manière seulement, nous pouvons comprendre les opérations du Saint. Office et l’influence qu’il exerça sur les générations postérieures.

Il m’a semblé que les résultats ainsi obtenus permettaient d’éclaircir bien des questions qui ont été mal comprises jusqu’à présent. Si j’ai été amené ainsi à quelques*conclusions différentes de celles qui sont couramment acceptées, je prie le lecteur de croire que ces vues nouvelles résultent d’une étude consciencieuse de toutes les sources originales auxquelles j’ai pu avoir accès. Aucun ouvrage d’histoire ne mérite d’être écrit ni d’être lu s’il n’aboutit pas à une conclusion morale ; mais, [tour être vraiment utile, cette moralité doit se dégager d’elle-même dans l'esprit du lecteur, et non lui être imposée. Tel est particulièrement le cas dans une histoire traitant d’un sujet qui a provoqué les passions les plus ardentes, donnant l’éveil, alternativement, aux instincts les plus élevés et les plus bas.

Je ne me suis pas arrêté, dans mon récit, pour moraliser ; mais si les événements racontés par moi n’ont pas été présentés de telle sorte qu’une leçon s’en dégage, je reconnais d’avance avoir manqué mon but.

Il me reste à exprimer ma gratitude aux nombreux amis et correspondants qui m’ont prêté leur aide dans la réunion des matériaux très variés et en grande partie inédits sur lesquels est fondé le présent ouvrage.

J'acquitte d’abord une dette de reconnaissance envers la mémoire d’un gentleman accompli, feu George P. Marsh, qui, pendant de longues années, représenta dignement les Etats-Unis auprès de la cour italienne. Je n’ai jamais eu la bonne fortune de me trouver en sa présence, mais l’obligeance toujours empressée avec laquelle il a secondé mes recherches en Italie mérite ma plus vive gratitude.

A M. le professeur Charles Molinier, de l’Université de Toulouse, je dois l’expression d’une reconnaissance particulière, pour s’être toujours montré prêt à partager avec moi sa connaissance incomparable de l’Inquisition du Languedoc.

Aux archives de Florence, j’ai eu à me louer de M. Francis Philip Nast, du professeur Felice Tocco el du docteur Giuseppe Papaleoni ; aux archives de Naples, j'ai été aimablement secondé par le directeur, chevalier Minieri Riccio, et par le chevalier Leopoldo Ovary ; aux archives de Venise, le chevalier Teodoro Toderini et M. Bartolomeo Cecchetti m’ont prêté leur obligeant concours ; aux archives de Bruxelles, j’ai eu l’aide précieuse de M. Charles Rahlenbeck. A Paris, M. L. Sandret a dépouillé pour mon compte, avec le plus grand soin, les riches collections manuscrites, particulièrement celles de la Bibliothèque Nationale.

Lorsqu’un travailleur est, comme moi, séparé par des milliers de lieues d’océan des grands dépôts littéraires du Vieux Monde, des collaborations comme celles dont j’ai profité lui sont absolument nécessaires. Je m’estime heureux d’en avoir trouvé d’aussi efficaces et d’aussi persévéramment dévouées.

Si je-suis destiné à remplir le reste de ma tâche, j’espère avoir l’occasion de reconnaître les obligations que j’ai contractées depuis envers beaucoup d’autres savants des deux hémisphères, auxquels je dois beaucoup de matériaux inédits touchant l’histoire ultérieure du Saint-Office.

 

Philadelphie (États-Unis).

 

 

NOTE DU TRADUCTEUR

 

J’ai commencé la traduction du chef-d'œuvre de Lea au mois de juin 1899 et j’y ai travaillé sans relâche. Il m’a semblé, à cette époque tragique pour les consciences, qu’il y avait là un devoir à remplir envers le public français.

Quand j’ai écrit à l'auteur pour solliciter son consentement à une adaptation, il m’a répondu : « Traduisez comme vous l'entendrez, mais, je vous en prie, ne vous départisse pas du ton impartial que je me suis imposé. Les laits doivent parler d’eux-mêmes. »

Ce conseil du grand historien a été suivi. On ne trouvera aucune déclamation, aucune violence de langage, ni dans ce volume, ni dans les suivants. La vérité sans phrases est la seule flétrissure qui convienne aux crimes du fanatisme.

 

S. R.