I. — Necker fut accueilli comme un sauveur. Il tranquillisa le
Roi. Louis XVI lui aurait dit : Voici bien des
années que je n'ai pas eu un instant de bonheur ; à quoi Necker aurait
répondu : Encore un peu de temps, Sire, et vous ne
parlerez plus ainsi ; tout se terminera bien. Il réussit à rétablir l'ordre pour un temps. A Paris, l'agitation causée par la banqueroute de Brienne se prolongeait. Place Dauphine, la basoche promena le mannequin du ministre congédié, lui fit faire amende honorable, et le brûla. Renforcée par les faubouriens, elle occupa les places et les carrefours, obligeant les habitants à fermer leurs boutiques et à illuminer. Les émeutiers assaillirent le guet, les gardes françaises et les gardes suisses ; il y eut des blessés et des morts les 27 et 28 août. Alors le maréchal de Biron commanda aux gardes françaises et suisses de rendre coup pour coup ; en vingt-quatre heures, le calme fut rétabli. La situation financière inspirait plus de craintes que les
troubles. Les meilleures valeurs subissaient une énorme dépréciation. Les
actions de II. — L'INSURRECTION DES PRIVILÉGIÉS. NECKER n'aimait pas les Parlements ; mais il jugeait
nécessaire de les rétablir pour ramener l'opinion. Il fit repousser par le Conseil,
le 3 septembre, le maintien intégral des édits du 8 mai 1788 et se rallia à
un compromis : sur seize grands-bailliages institués dans le ressort de
Paris, trois ou quatre seulement seraient conservés ; les Parlements
recouvreraient le droit d'enregistrement jusqu'à la réunion des États
généraux, mais la réforme de la législation criminelle serait tout de suite
entreprise. Le Roi annoncerait ces décisions dans un lit de justice le 15
septembre. Mais les parlementaires, réunis chez l'un d'entre eux, décidèrent
de maintenir leur opposition aux édits, même modifiés. Lamoignon fut sacrifié
à la politique de conciliation, le 14 septembre ; il reçut L'idée du lit de justice fut abandonnée. Le Gouvernement amnistia les nobles et les magistrats exilés ou emprisonnés à l'occasion des édits de mai et des troubles qui avaient suivi ; il rétablit les Parlements dans leur état antérieur. Mais il prit un ton belliqueux pour annoncer sa reculade : dans la déclaration qu'il fit lire au Parlement de Paris, le jour de la rentrée en fonctions de cette Cour, le 23 septembre, le Roi affirmait sa volonté de diminuer les frais des procès, de simplifier les formes de la procédure et de rapprocher la justice des justiciables, et il ajoutait qu'il ajournait ses dernières résolutions jusqu'à la tenue des Etats généraux. Il annonça que cette assemblée se réunirait dans le courant de janvier de l'an 1789. Il avait ordonné le silence sur le passé ; mais l'Avocat général Séguier ne laissa pas de prononcer un réquisitoire contre les édits de mai. Après la disgrâce de Lamoignon, dont la réputation d'énergie contenait le populaire, les désordres avaient recommencé plus graves à Paris. Les clercs de la basoche, auxquels s'étaient joints des sans-travail, aigris par la misère, des mendiants, des gens sans aveu, enfoncèrent des devantures, et brûlèrent en effigie l'ancien Garde des Sceaux. Son hôtel, ainsi que celui du ministre Brienne, faillit être incendié. Ils essayèrent aussi de mettre le feu à la maison du commandant du Guet. Le Guet fut attaqué à coups de pierres et à coups de triques ; des guérites de sentinelles et des corps de garde furent brûlés. Les soldats finirent par perdre patience et, après sommations, sabrèrent les émeutiers. Le désordre avait duré deux semaines, du 16 au 28 septembre. Le Parlement avait rendu un arrêt, le 24, pour interdire
les attroupements et les pétards, mais, en même temps, cité devant lui le
lieutenant de police et invité le maréchal de Biron, commandant de Paris, à
venir le lendemain donner des explications à Les Parlements de province firent, en octobre 1788, des
rentrées triomphales, harangués par les délégations des juridictions
inférieures, les avocats, les procureurs, les corps municipaux et les
universités, acclamés par la foule, sous une pluie de fleurs, au son des
cloches et du canon. L'amour était porté jusqu'à
l'enthousiasme et la joie jusqu'au délire. Les Parlements se grisèrent
de ces démonstrations d'affection et de respect. Ils ne comprenaient pas
qu'on leur faisait fête à cause de leur résistance au ministère et au Roi ;
ils croyaient être admirés et aimés pour eux-mêmes. Cette équivoque ne
pouvait durer longtemps. Le Parlement de Paris, lorsqu'il avait enregistré,
le 25 septembre, La question de la convocation des États généraux commençait à préoccuper le Gouvernement. Il s'agissait surtout de savoir si l'on donnerait au Tiers la double représentation ; Necker en était partisan, mais il était trop préoccupé de ménager tout le monde pour imposer ses préférences, et il imagina de consulter sur cette question les Notables de 1787, qu'il réunit de nouveau à Versailles, le 6 novembre. Au reste, il s'abstint par prudence de déclarer son opinion. Le bureau que présidait le comte de Provence adopta, à une voix de majorité, la solution souhaitée par le Gouvernement ; mais tous les autres furent d'avis de faire élire les députés à raison d'un par ordre et par bailliage. Pour opposer aux classes éclairées les masses ignorantes et dépendantes, ils demandèrent le vote public et le droit de vote sans condition de cens pour les domestiques, valets de charrue et laquais. Cette intransigeance des Notables fut une déception pour Necker, et accrut dans la nation le mécontentement contre les privilégiés. Les privilégiés prirent l’offensive. Le jour de la clôture des Notables, le 12 décembre, le comte d'Artois et les Condé remirent au Roi un mémoire, où ils protestaient contre les nouveaux systèmes, et le suppliaient de ne pas sacrifier et humilier cette brave, antique et respectable Noblesse qui a versé tant de sang pour la patrie. A quoi le publiciste Cerutti riposta : Le sang du peuple était-il donc de l'eau ? Les princes dénonçaient dans le même mémoire un système d'insubordination raisonnée et de mépris des lois de l’État, et déclaraient qu'il y avait lieu de redouter des dissensions civiles... si les droits des deux premiers ordres éprouvaient quelque altération. Cette menace à peine déguisée provoqua la haine du peuple contre les princes. Dans les provinces, l'aristocratie s'opposa partout à la
double représentation et au vote par tête. En Provence, où les États avaient
été rétablis dans leur ancienne forme à la fin de 1787, le Tiers État réclama
contre ce mode de représentation, qui lui donnait cinquante-six députés
contre cent vingt-huit représentants de Les Parlements secondaient de toutes leurs forces les
ordres privilégiés. Un seul, celui de Paris, essaya du rôle de médiateur.
Déjà, dans la séance du 25 septembre, Du Port avait protesté contre
l'aveuglement de ses collègues. D'autres magistrats, qui voulaient poser leur
candidature aux États généraux, Sémonville, Hérault de Séchelles,
Saint-Fargeau, d'Éprémesnil, représentèrent à Mais le Parlement ne retira aucun profit de ce brusque revirement. Le Roi reçut mal ses supplications ; les privilégiés crièrent à la trahison ; les Nationaux se moquèrent des magistrats. Alors, nouvelle palinodie ; le Parlement revient à son système de réaction, dénonce les brochures et interdit les pétitions du Tiers ; il cite à sa barre un des plus fougueux pétitionnaires, le docteur Guillotin. Comme celui-ci se glorifie d'avoir reçu les signatures des six corps de marchands de Paris, un des magistrats s'écrie : De quoi se mêlent donc ces gens-là ? Ne leur suffit-il pas de balayer leurs boutiques ? Mais les patriotes brûlent les arrêts et les réquisitoires du Parlement, et les magistrats, perdant la confiance en eux-mêmes, n'osent plus sévir que par intermittence. Le rôle du Parlement était fini. III. — LE parti National est, vers la fin de 1788, complètement organisé. Né en 1787, il est resté longtemps confondu avec les autres partis d'opposition ; puis il s'est dégagé et il a suivi sa politique propre. Quant l'arrêt du Parlement au 25 septembre et la décision des Notables lui ont démontré l’esprit réactionnaire des aristocrates, il cesse de combattre la prérogative royale et tourne toutes ses forces contre les privilégiés. Il a un comité directeur, le comité des Trente, chez Du
Port, où se trouvent, avec quelques parlementaires, le duc de Les cafés sont plus que jamais des
écoles de démocratie et ses écrits d'insurrection. On y juge et on y
brûle les publications des aristocrates et
les réquisitoires et arrêts de la magistrature. Au café Foy, au café du
Caveau, des orateurs haranguent l'auditoire ou lisent avec passion les écrits
du jour. Volney publie à Rennes En Languedoc, en Bretagne, en Provence, en Normandie, les
Nationaux poussaient les municipalités à demander que, dans les États
provinciaux, il fût donné une représentation plus équitable au Tiers Etat. En
Dauphiné, les Etats avaient été transférés en septembre à Romans, à vingt
lieues de Grenoble où durait encore l'agitation accusée par A Bordeaux, dans l’église des Jacobins, un orateur
populaire proposa d'adopter en Guyenne les résolutions du Dauphiné. Dans
toutes les provinces, des pétitions pour obtenir le doublement se couvraient
des signatures des corps municipaux et des corporations. Les villes
députaient au Roi et à Necker pour déclarer leur opposition à l'ancienne
forme des États. La lutte entre les classes moyennes et l'aristocratie fut en
certains pays très violente. A Rennes, les nobles ayant poussé leur clientèle
de laquais, d'ouvriers et de fournisseurs à faire contre les idées nouvelles
la manifestation du pain à bon marché, la
jeunesse des écoles attaqua à coups de fusil les gentilshommes qui se
rendaient aux États le 27 janvier 1789, en tua deux, en blessa beaucoup
d'autres et bloqua le reste dans le Palais des États. Un des étudiants, qui
devait être plus tard fameux à divers titres, Moreau, alla chercher, comme
renfort, les étudiants de Nantes. La jeunesse bourgeoise d'Angers se déclara
pour la jeunesse bretonne, et les femmes d'Angers jurèrent de périr plutôt
que d'abandonner leurs époux, amants, fils et frères, préférant, disaient-elles, la gloire de
partager leur danger à la sécurité d'une honteuse inaction. Les villes
correspondirent entre elles et se concertèrent contre les privilégiés. En
Bretagne, en Normandie, en Anjou, elles se fédérèrent ; dans la plupart des
autres provinces, des ligues se formèrent. Les intendants envoyaient à Paris
d'inquiétants avertissements. De Besançon, Caumartin écrivait à Necker que, dans toutes les classes du Tiers État, la fermentation
était à son comble, et qu'une étincelle suffirait pour allumer l'incendie.
Il ajoutait : Si la décision [sur le doublement]
est favorable aux deux premiers ordres, insurrection générale dans toutes les
parties de la province, 600.000 hommes en armes, et toutes les horreurs de Il était impossible au Gouvernement de plus longtemps
tergiverser. Dans un conseil tenu le 27 décembre, en présence du Roi et de 1° Les députés aux prochains États généraux seront au moins au nombre de mille ; 2° ce nombre sera formé autant qu'il sera possible en raison composée de la population et des contributions de chaque bailliage ; 3° le nombre des députés du Tiers État sera égal à celui des deux autres ordres réunis, et cette proportion sera établie par les lettres de convocation. La certitude d'avoir enfin les États généraux provoqua
dans toute |
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SOURCES. Arch.
parlementaires, t. I ; Tablettes de Bernadeau, t. V ; Linguet, Annales
; Meunier, Recherches... ; Necker, Œuvres, t. IX et X, déjà
cités. Interrogatoires des émeutiers arrêtés le 30 août 1788 (Bibl.
Nat., mss. fr. 1100 ; Coll. Joly de Fleury) ; Précis exact des événements de
Bretagne, 1er février 1789 ; Correspondance de la municipalité de
Rennes, décembre 1788, janvier 1789 (Registres du bureau de la ville de
Rennes) ; Journal de Duquesnoy, Paris, 1894, 2 vol. Lettres et
instructions de Louis XVI au comte de Saint-Priest, p. p de Barante, 1845.
De Barentin, Mémoires sur les derniers conseils du roi Louis XVI, Paris,
1844. Montlosier, De la monarchie française depuis son établissement jusqu'à
nos jours, Paris, 1805, 7 vol. Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, 1882.
Beaulieu, Essai sur les Révolutions, Paris, 1796. Mirabeau (Lettres
du comte de) à un de ses amis en Allemagne (Mauvillon), 1786-1790,
Brunswick, 1792. Récit de ce qui s'est passé à Lyon le 3 octobre 1788, Le
despotisme des parlements : La mine éventée ; La passion, la mort
et la résurrection du peuple, brochures de 1788. Servan, Petit colloque
; La régénération de
OUVRAGES
A CONSULTER. H. Carré, Le conseiller d'Éprémesnil ; Charavay,