HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE IV. — LA VIE INTELLECTUELLE.

CHAPITRE II. — LA PHILOSOPHIE ET LES SCIENCES.

 

 

I. — LA PHILOSOPHIE[1].

EN 1778, Voltaire a voulu revoir Paris, après tant d'années d’absence. Chez M. de Villette, rue de Beaune, où il est descendu, il est visité par Turgot, Mme Necker, Franklin, l'ambassadeur d'Angleterre, Lord Stormont, des grands seigneurs, des grandes dames, des écrivains et des acteurs. Un jour qu'il est annoncé à l'Académie des sciences, les académiciens vont en corps au-devant de lui. Le soir où il assista, à la Comédie-Française, à la représentation de sa tragédie d'Irène, l'enthousiasme monta au délire ; les comédiens le couronnèrent de lauriers. Il s'écria : Ah Dieu ! vous voulez donc me faire mourir de plaisir. A l'hôtel de Villette, il recevait, enveloppé d'une pelisse, coiffé d'un bonnet rouge, les yeux brillants comme des escarboucles. Les visiteurs admiraient ses moindres paroles. Voltaire mourut dans la nuit du 30 au 31 mai 1778 ; il avait quatre-vingt-trois ans. Le clergé, qui n'avait obtenu de lui, au lieu d'une confession et d'une rétractation espérées, qu'une déclaration prudente de respect, fit interdire la vente et l'impression de ses ouvrages ; mais l'Académie française mit son éloge en concours, et Maurepas laissa Beaumarchais publier à Kehl, aux portes de Strasbourg, une édition complète de ses Œuvres ; plus tard Galonné autorisera la distribution en France de tous les exemplaires souscrits.

Deux mois après Voltaire, Jean-Jacques Rousseau mourut à Ermenonville. Quand parurent, en 1781, les Rêveries du promeneur solitaire et les six premiers livres des Confessions, ils provoquèrent une crise d'admiration. On relut l'œuvre tout entière du maître. L'influence de Rousseau pénétrait de plus en plus les âmes sensibles à la fin du siècle.

Successivement disparurent : Condillac en 1780, d'Alembert en 1783, Diderot en 1784. Condorcet eut alors la direction du parti philosophique. Jean-Antoine Caritat, marquis de Condorcet[2], entra à vingt-six ans à l’Académie des sciences, dont il devint le secrétaire perpétuel en 1773 ; en 1782, il fut élu à l'Académie française. Savant mathématicien, couronnée Berlin pour une Théorie des Comètes, il se montra, dans ses Éloges académiques, vulgarisateur de premier ordre ; mais rien ne l'intéressait autant que la réforme politique et sociale. Il a soutenu Turgot dans ses Lettres d'un laboureur de Picardie, dans son écrit sur l'abolition des corvées, et dans ses Réflexions sur le commerce des blés. Lors du jugement des roués de Chaumont, il a secondé Du Paty par ses Réflexions d'un citoyen non gradué sur un procès très connu. Il a pris parti pour Lally-Tollendal contre d'Épremesnil, plaidé pour la tolérance dans un Eloge de l’Hospital, et pour l'adoucissement du sort des noirs dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres ; il a réclamé le rétablissement des protestants dans leurs droits civils et politiques dans son Recueil de pièces sur l'état des protestants de France. Il a célébré l’Influence de la révolution d'Amérique sur la paix et la prospérité de l'Europe. Grand partisan des Assemblées provinciales, il a composé un Essai sur leur constitution et leurs fonctions ; il souhaitait une assemblée nationale, non sous la forme ancienne des États généraux, mais sous la forme régulière d'une représentation égale et libre de la nation. Il était persuadé, comme Rousseau, que l'homme est naturellement bon, et que le mal vient de l'ignorance, de la superstition et des institutions qui les entretiennent ; il fallait donc délivrer l'humanité des préjugés du dogme et des entraves de l'absolutisme, et lui rendre ses droits naturels, c'est-à-dire toutes les sortes de libertés. Il a combattu le christianisme avec les ménagements que le temps commandait, mais avec les intentions les plus hostiles, dans son Éloge de Pascal, dans son édition des Pensées et dans les Lettres d'un théologien à l’auteur du Dictionnaire des trois siècles. D’aspect froid, mais volcan sous la neige, au jugement de d'Alembert, profondément humain, Condorcet sera une des lumières et une des victimes de la Révolution.

L'abbé Raynal[3], abbé défroqué, médiocre historien polygraphe, devint tout à coup célèbre par son livre : Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, paru en 1772 et qu'il ne signa qu'en 1780, dans la grande édition qui en fut donnée à Genève. Il y a dans cette Histoire de l'histoire, de la géographie, des statistiques, des renseignements précis sur le commerce et les objets du commerce, entremêlés de tirades contre la guerre, la conquête, l'exploitation des indigènes, les abus du fanatisme et du despotisme. Ce furent ces morceaux d'éloquence ampoulée, où vibraient les passions du temps et les conversations de Diderot, qui firent le succès de l'ouvrage. Raynal eut l'honneur d'être comparé à Montesquieu, présenté à Frédéric II et reçu solennellement à Londres par la Chambre des communes. Pendant vingt ans, l’Histoire philosophique fut la bible des deux mondes : elle passionna les opprimés et les rêveurs ; on en retrouve la phraséologie dans les essais du jeune Bonaparte, comme dans les harangues des assemblées révolutionnaires.

Mably[4], qui a passé par l'Église et par la politique, avant de devenir historien et philosophe, continua la réaction, inaugurée par Rousseau, contre l'optimisme des Philosophes et des Économistes, et leur confiance béate dans les bienfaits de la civilisation et des lumières. Dans ses Entretiens de Phocion sur le rapport de la morale avec la politique, il démontre la supériorité de la vertu sur l'intelligence. Dans les Doutes proposés aux Economistes sur l'ordre naturel des sociétés politiques, parus en 1768, il soutient que le libre jeu des lois économiques ne produit pas nécessairement l'état social le plus heureux, et qu'il y faut l'intervention du législateur. Poussant à fond les principes de Rousseau contre le droit de propriété, il expose dans sa Législation ou principe des Lois, en 1776, les doctrines communistes et les mesures transitoires qui doivent conduire à l'égalité des fortunes et à la communauté des biens. Mably, qui a beaucoup étudié l'antiquité grecque et romaine, sans toujours la bien comprendre, parce qu'il y cherchait des raisons pour ses idées et ses passions, admirait la république de Lacédémone, Il fut beaucoup lu en France et à l'étranger. Les Polonais lui demandèrent une constitution, et il écrivit pour eux un traité du Gouvernement et des lois de la Pologne.

Bien plus que par les écrits dogmatiques, les doctrines se propageaient par les œuvres littéraires, dont les auteurs, inconsciemment ou de parti pris, traduisaient les idées et les sentiments des Philosophes. Il y a de la philosophie même dans les productions les moins philosophiques du XVIIIe siècle, les contes, les romans, les plaidoyers et les harangues académiques. Marmontel[5], dans ses romans de Bélisaire et des Incas, parus en 1769 et 1778, et dont le succès fut prodigieux, plaide en style déclamatoire et embellit de descriptions voluptueuses la cause de la tolérance et du retour à la nature. Le solennel académicien Thomas développe dans ses Éloges académiques les lieux communs du temps sur la liberté, la justice et la vertu civique. Le comte de Guibert, soldat-philosophe, annonce l'avènement des armées nationales par son Discours préliminaire à l'Essai de tactique en 1773. Le marquis de Chastellux, auteur d'un Essai historique sur la félicité publique, publié en 1772, mêle à quelques aperçus sur les questions économiques des vues généreuses sur la perfectibilité humaine et sur l'avenir prochain d'une ère de paix, de liberté, de tolérance. Ce ne sont là que des exemples pris entre beaucoup.

La guerre à la religion se faisait presque à découvert. Des écrivains, parmi lesquels Naigeon, l'astronome La Lande et le médecin Cabanis, professaient dans les dernières années du règne de Louis XVI les doctrines que Diderot et d'Holbach avaient insinuées : le matérialisme et l'athéisme. Volney rapporte, de ses voyages dans l'Orient tout plein de ruines, l'idée que l'homme a toujours été la victime de l'illusion religieuse, et qu'il retrouvera le bonheur et la paix en redescendant du ciel sur la terre.

L'érudition contribuait aussi, quelquefois intentionnellement, quelquefois par l'interprétation que Ton donnait à ses travaux, à ruiner les croyances traditionnelles[6]. Elle découvrait des civilisations vénérables plus anciennes que le christianisme et le judaïsme, Ameilhon étudiait l'ancienne Egypte ; Dancarville l'ancienne Étrurie ; chez les Jésuites, le Père Grosier et surtout le Père Amiot travaillaient sur la religion de la Perse et la philosophie de Confucius. Anquetil-Duperron, qui avait visité l’Inde de 1755 à 1759, et publié en 1771 une traduction du poème sacré de la Perse, le Zend-Avesta, et une vie du législateur religieux Zoroastre, fît paraître, au temps de Louis XVI, un recueil de lettres écrites par lui aux prêtres de l’Inde, les Brahmes. En 1778, dans son livre sur la Législation orientale ou le despotisme considéré dans la Turquie, la Perse et l'Indoustan, il démontra que, contrairement à l’opinion de Montesquieu, les populations de ces pays ne vivaient pas à l'état d'esclavage, et qu'elles obéissaient à des lois comme les peuples européens. Bailly, membre de l'Académie des sciences, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et de l'Académie française, commença de publier en 1775 une Histoire de l’Astronomie, qui fut achevée en 1787, et fit paraître en 1779 une Lettre sur l’Atlantide de Platon, où il expliqua que la mythologie est inspirée par les phénomènes célestes. Dupuis, avocat au Parlement, publia en 1781 un Mémoire sur l’origine des constellations et sur l'application de la fable à l'astronomie. En 1794, il entreprendra de démontrer, dans l’Origine de tous les cultes, que les croyances et les rites des anciens sont des mythes solaires. Pastoret, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, collaborateur au Recueil des Ordonnances des rois de France et à l'Histoire littéraire, est l'auteur de Zoroastre, Confucius et Mahomet, considérés comme sectaires, législateurs et moralistes... qui parut en 1787. Ces ouvrages étaient lus avec une grande curiosité. En recevant Bailly à l'Académie française, Condorcet lui fit ce compliment : Vos Lettres sur l’Atlantide ont eu un avantage réservé presque uniquement aux pièces de théâtre, celui d'avoir pour lecteurs tous ceux qui savent lire.

La Judée cessait donc d'être l'unique centre de la vie religieuse et morale du monde. Des peuples, en comparaison de qui le peuple juif ne comptait guère, les puissants États d'Asie, avaient eu leurs législateurs, leurs révolutions, leur civilisation et leur foi. On en concluait que le christianisme n'était, comme les religions mortes, qu'une explication de l'énigme du monde, et une forme d'idéal adaptée à une ou plusieurs races et seulement à un certain degré de leur développement. Dès lors, pourquoi l'intolérance et la persécution ?

La philosophie accumulait donc les ruines ; mais, si les philosophes Critiquaient l’état social et moral, c'est qu'ils en rêvaient un autre. Le spectacle de la misère, les cruautés judiciaires, les abus paraissaient intolérables à ceux mêmes qu'ils n'indignaient pas. Il y a, dans l'atmosphère du temps, beaucoup de bonté, qui adoucit les relations de la vie. Sans doute, la sensibilité dégénère souvent en sensiblerie ; mais la compassion pour les déshérités, les faibles et les opprimés est sincère. La société de l'ancien régime, en ses derniers jours, sent très vivement ses devoirs envers tous ses membres. Sous les nouveaux noms dont se pare la charité — bienfaisance, philanthropie — il y a une conception toute nouvelle des devoirs sociaux. A ceux qui ne croient plus que l'amour pour ses semblables soit un devoir religieux, commandé d'en haut, il apparaît comme la fonction obligatoire du cœur humain.

Cet amour des hommes s'étend à tous les hommes sans distinction de nationalités. Il excite la jeune noblesse à secourir les Américains opprimés ; il inspire les comités qui poursuivent l'émancipation des noirs. La communauté de lumières et de culture, l'affinité d'idées et de sentiments créent une sorte de patrie intellectuelle et morale, que beaucoup préfèrent aux groupements ethniques, historiques et politiques. Les haines nationales apparaissent comme un restant de barbarie ; Chastellux et Kant recommencent le rêve d'une ère de paix perpétuelle. Une religion nouvelle apparaît ainsi, née de la science, de la philosophie et de l'histoire, ayant pour dogmes la raison, la justice, la bienfaisance, et que la génération révolutionnaire propagera dans toute l'Europe.

 

II. — LES DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES DEPUIS LE MILIEU DU SIÈCLE[7].

LES hommes du XVIIIe siècle admiraient le continuel progrès des sciences ; un grand public s'intéressait aux travaux et attendait les Éloges et les Lectures de l'Académie des sciences, qui, d'ailleurs, étaient écrits pour lui. La vulgarisation des sciences était devenue une branche de la littérature. Les associations pour le travail intellectuel étaient nombreuses. Les académies provinciales s'occupaient de mathématiques et de physique. Des Sociétés d'émulation, fondées pour encourager les sciences et les arts utiles, se recrutaient parmi les gens de qualité, les bourgeois, et même les artisans. Jamais peut-être le désir de s'instruire ne fut plus vif qu'en ce temps-là.

La France a pris une grande part au progrès des sciences mathématiques ; à côté des travaux du Bâlois Euler et de l'illustre famille des Bernouilli, Bâlois aussi, se placent ceux des Français Clairaut, d'Alembert, Maupertuis, qui ont montré toutes les ressources du calcul analytique. Le Piémontais Lagrange[8], d'origine française, appelé à Paris par Louis XVI, publia en 1788 sa Mécanique analytique, où il ramenait toute la mécanique à un seul principe fondamental, celui des vitesses virtuelles. Clairaut[9], qui fut comme Pascal un enfant prodige, élevé chez les Oratoriens de Beaune, professeur à seize ans dans un collège de l'Oratoire, et plus tard à l'École du génie de Mézières, découvre la géométrie descriptive.

L'astronomie continuait à passionner les savants et le public. Newton avait expliqué les attractions réciproques de deux astres supposés isolés ; Clairaut résolut le problème de la relation de trois corps, le Soleil, la Terre et la Lune. Dans toute l'Europe, des savants étaient occupés au calcul de la distance des astres entre eux. Deux grands savants, qui furent aussi deux grands professeurs, allèrent, Lalande à Berlin, et La Caille au cap de Bonne-Espérance, faire des observations astronomiques, d'où ils déduisirent les parallaxes de la Lune, de Mars et de Vénus. Par suite d'un accord international, le premier qui ait été conclu en vue d'une œuvre scientifique — et ce fut en pleine guerre de Sept Ans, — des missionnaires de tous pays allèrent en différents points du monde observer le passage de Vénus sur le Soleil, afin de déterminer, d'après la durée de ce passage, la distance de la Terre à la Lune. Des Français allèrent observer le phénomène à l’île Rodriguez, dans l'Inde et en Californie.

L'exploration du monde stellaire donnait des résultats merveilleux. L'Anglais Herschell découvrit en 1781 une nouvelle planète, qui fut nommée Uranus ; puis deux satellites de Saturne et six satellites d'Uranus. Les astronomes français et étrangers étudièrent la composition du Soleil, cataloguèrent des milliers d'étoiles, décomposèrent la Voie lactée, les étoiles doubles et certaines nébuleuses, et montrèrent, au delà du système solaire, des cieux lointains peuplés de millions d'astres. Plus tard, Laplace[10] coordonnera toutes ces découvertes, et en présentera la synthèse dans deux livres admirables, l’Exposition du système du monde et la Mécanique céleste.

Les révélations de l'astronomie, comme celles de l'érudition, avaient leur répercussion sur les croyances religieuses. Diderot, voyant l'univers s'étendre à l'infini, prononça la parole célèbre : Élargissez Dieu !

La physique fit de grands progrès en France comme en Allemagne et en Angleterre. Lambert, de Mulhouse, inventa la photométrie ; Monge[11] résolut divers problèmes d'optique. On continuait d'expliquer la chaleur, comme le faisait Newton, par la présence d'un fluide impondérable, le calorique, dans les interstices des molécules pondérables ; mais l'Anglais Black découvrit la chaleur latente, et Lavoisier, la chaleur spécifique. Les expériences de Lambert firent entrevoir que les rayons caloriques se réfléchissent comme les rayons lumineux, et que la chaleur est un phénomène analogue à la lumière. Lambert, Laplace et Lavoisier étudièrent la dilatation des liquides et des gaz sous l'action de la chaleur, et ouvrirent la voie aux applications industrielles. Après que l'Anglais Halley eut étudié le premier les phénomènes du magnétisme terrestre, le Français Coulomb mesura l'action magnétique des aimants, et formula la loi des attractions et des répulsions magnétiques.

Les deux grands noms de la science française furent ceux de Lavoisier et de Buffon. Lavoisier[12] s'intéressa tout jeune à toute la vie intellectuelle. Il écrivit un drame tiré de la Nouvelle Héloïse, fit des études de droit et fut reçu avocat au Parlement de Paris ; mais les sciences surtout l'attiraient. A vingt ans, il méritait un prix de l'Académie des sciences pour un mémoire sur le meilleur système d'éclairage de Paris ; cinq ans après, il entrait à l'Académie, comme adjoint, après avoir publié un autre mémoire Sur les couches des montagnes. En 1769, il devint fermier général. Ce savant s'intéressait à la vie publique ; on a vu son rôle au Comité d'agriculture ; en 1787, il siégea dans l'Assemblée provinciale d'Orléanais ; en 1791, il publiera une étude sur La richesse territoriale de la France. C'est en 1772 qu'il commença ses grands travaux sur la chimie. D'illustres savants étrangers, l'Anglais Priestley et les Suédois Scheele et Bergmann travaillaient en même temps que lui. Lavoisier fît, de l'ensemble de leurs découvertes et des siennes, qui furent considérables, une science à laquelle il donna sa méthode, l'analyse et la synthèse, et sa langue, la nomenclature chimique. Il a découvert l'oxygène de l'air en même temps que Priestley, fait la synthèse de l'air, celle de l'acide carbonique, signalé l'oxygène comme l'agent essentiel de la vie végétale et animale, expliqué la respiration, la combustion et la fermentation. Lavoisier, a dit J -B. Dumas, a fait une méthode de l'art d'expérimenter, conduisant du premier anneau de la chaîne au dernier... faisant successivement usage du raisonnement qui pose l'alternative et de l'expérience qui la décide, jusqu'à ce que, parti de la plus faible lueur, on arrive à la plus splendide clarté. Pasteur a dit de lui qu'il est l'homme le plus complet, le plus grand peut-être que la France ait produit dans les sciences. Lavoisier savait la valeur des découvertes scientifiques dans l'histoire de l'esprit humain ; son Traité de Chimie, publié en 1789, est d'un philosophe.

Il avait des disciples éminents : Berthollet, qui formula les lois des affinités des corps ; Guyton de Morveau et Fourcroy, qui s'occupèrent particulièrement des applications de la chimie.

Buffon[13] fils d'un conseiller au Parlement de Dijon, membre de l'Académie des sciences à vingt-six ans, intendant du Jardin du Roi à trente-deux, est grand surtout par son génie synthétique. Le XVIIIe siècle, a dit Cournot, est l'âge des naturalistes classiques, de ces hommes qui créent la langue de la science en même temps qu'ils en saisissent les idées maîtresses, et dont le génie peut en embrasser toutes les grandes ordonnances, puisqu'il est encore permis de négliger les détails ou certains détails, sans cesser de compter parmi les savants. Buffon entreprit de coordonner les travaux que les naturalistes ses devanciers et ses contemporains avaient produits, et en y ajoutant les siens, d'écrire une sorte d'Encyclopédie des sciences naturelles. Il poursuivit cette œuvre colossale pendant trente-neuf ans, sans un signe de négligence ou de lassitude, de 1749 à 1788. Il commença son Histoire Naturelle par la Théorie de la Terre, en 1749 ; l’Histoire des animaux fut publiée de 1749 à 1783, celle des Minéraux de 1783 à 1787, et sept volumes de Suppléments s'échelonnèrent de 1774 à 1789. Les Époques de la Nature, son œuvre maîtresse, parurent en 1778.

Sa pensée embrasse l’univers en son ensemble et en saisit le plan général. Il montre la progression ininterrompue des êtres, du zoophyte à l’homme, et l'aptitude des espèces à accommoder leurs organes aux milieux. Il est hostile en principe aux classifications et rejette la fixité des espèces, comme contraire à la continuité de la nature. Il recherche les origines de la vie. S'il imagine à tort des molécules organiques indestructibles, il soupçonne du moins dans les êtres un fourmillement de vies microscopiques. Il a deviné les rapports qui unissent la génération à la nutrition, et devancé, sur ce point, les découvertes de Bichat. En cherchant à déterminer les caractères des races humaines, il a créé l'anthropologie et l'ethnographie. Il fut, en géologie et en paléontologie, un précurseur de Cuvier. Buffon était aussi un grand écrivain ; il sentait profondément la poésie et la majesté de la nature ; certaines parties de son œuvre, surtout les Époques de la Nature, sont des poèmes en prose, où l’on sent comme une inspiration de Lucrèce.

Une équipe de savants en sciences naturelles travaillait en France, avec Buffon ou en même temps que lui. Les principaux collaborateurs du maître furent l'anatomiste Daubenton, le minéralogiste Faujas de Saint-Fonds, les naturalistes Bexon et Guéneau de Montbeillard. Bernard de Jussieu et son neveu Antoine[14] furent deux grands botanistes : le premier catalogua les plantes du jardin botanique de Trianon et publia les Ordines naturales in Ludovici XV horto trianonensi dispositi, et le second, les Genera plantarum secundum ordines naturales disposita, achevés en 1789. Tous les deux classifiaient les plantes selon leurs affinités naturelles, en rapprochant les espèces qui ont en commun le plus grand nombre de caractères, au lieu que l'illustre botaniste suédois Linné basait sa classification uniquement sur les caractères de la fleur. Lamarck[15] fut, pendant cette période, un botaniste célèbre, en attendant qu'il devînt, par ses travaux de la fin du XVIIIe et du commencement du XIXe siècle, un zoologiste de génie.

 

III. — RÉACTION CONTRE L'ESPRIT SCIENTIFIQUE.

LES hommes du XVIIIe siècle, frappés des progrès des sciences, ne voulaient pas admettre d'autres méthodes que les méthodes scientifiques, ni entendre parler de ces raisons que la raison ne connaît pas. Pourtant le siècle de la philosophie a laissé leur part à la crédulité, à l’illusion et au rêve ; il a eu ses illuminés et ses charlatans, dont l'histoire est comme l'appendice d'un chapitre sur les sciences, puisqu'on y trouve une protestation indirecte contre l'orgueil et l'intolérance de l'esprit scientifique.

A la fin du XVIIIe siècle, les illuminés[16] sont répartis en différentes sectes, qui, ensemble, comptent un assez grand nombre d'adhérents. Les Rose-Croix, groupe de francs-maçons tournés au mysticisme, se croient en communication avec les esprits. Le Suédois Swedenborg[17], abandonnant les lettres et les sciences, où il se distinguait, pour de plus hautes spéculations, décrit, comme l'ayant vu de ses yeux, un monde invisible, dont le Christ est roi, peuplé d'êtres faits à notre image, mais bons et purs et engendrant des êtres semblables à eux. Les hommes, créatures déchues, peuvent y rentrer en se régénérant par l'amour divin. Son livre De Cœlo et Inferno ex audilis et visis, traduit en français en 1783 sous le titre de Merveilles du Ciel et de la Terre, fut l’Évangile d'une petite église de visionnaires, qui conversaient avec les anges.

Saint-Martin[18], disciple d'un illuminé, le Juif portugais Pasqualis, enseigne que le sacrifice est la seule rançon capable de racheter l'humanité de la déchéance originelle, et que les innocents peuvent payer pour les coupables. A la vérité, l'effusion du sang n'est plus nécessaire, depuis l'immolation sur le Golgotha de la plus pure des victimes volontaires, et la charité, la justice, la contrition suffisent ; mais, si l'homme aspire à la sainteté suprême, il doit, imitant Jésus-Christ, immoler son être spirituel, se mettre tout entier, avec ses facultés, entre les mains de Dieu, et se sacrifier pour le salut des autres. Cette sorte de religion vague, sans culte et sans prêtres, que Saint-Martin appelait le spiritualisme pur, lui permettait de réunir dans son Panthéon les mages, les prophètes, les alchimistes, Pythagore, Jésus, Leibniz et Pasqualis. Il séduisit la haute société parisienne par la douceur de ses mœurs, l'austérité de sa vie et la gravité de sa parole. Dans sa petite Église, il reçut Bernardin de Saint-Pierre, et faillit attirer Joseph de Maistre, qui n'a pas oublié les idées de Saint-Martin sur le mérite du sacrifice sanglant.

A côté de ces doux apôtres, apparaissent çà et là des esprits violents ; les folies des convulsionnaires recommencent. Près de Trévoux, les frères Bonjour, successivement curés du village de Fareins, insufflent l'Esprit corps à corps, bouche à bouche, à de pauvres filles malades, et les guérissent en les mortifiant à coups de bûches. François Bonjour va même jusqu'à crucifier une femme dans un délire de passion mystique.

D'une autre espèce de fous ou de charlatans sont les thaumaturges comme ce Saint-Germain, un aventurier que le maréchal de Saxe présenta au roi Louis XV et à Mme de Pompadour. Il prétendait avoir vécu dans les temps les plus reculés et posséder un élixir de longue vie ; aussi fut-il courtisé par une foule de solliciteurs. Mais Joseph Balsamo, qui s'intitulait comte de Cagliostro[19], était un charlatan d'une autre envergure. Fils d'un boutiquier de Palerme, il avait mené une vie errante en Europe et hors d'Europe, chercheur et trésors, dessinateur, voleur et faussaire, astrologue, alchimiste et médecin. Il possédait un remède contre les maladies incurables et l'eau de Jouvence contre la vieillesse. Il existait depuis plusieurs milliers d'années et il avait connu le Christ et les patriarches. Les prêtres de l'ancienne Egypte lui avaient appris à lire l'avenir dans les astres. A Paris, où il arriva, précédé de sa renommée, il organisa des loges de rite égyptien et enseigna aux initiés les mystères d'Isis et d'Anubis. Il prédit l'avenir, guérit les malades abandonnés par les médecins, et il eut un succès extraordinaire jusqu'au jour où l'affaire du collier l'obligea à quitter la France.

Mesmer[20], qui avait fait courir tout Paris avant Cagliostro, était au moins un savant. Ce médecin allemand avait repris, en la rajeunissant, la vieille idée de l'influence des astres sur l'homme. Il enseignait que ces grands corps agissent sur nous par un fluide très subtil, qui produit des effets analogues au flux et au reflux de la mer, et qui ressemble à l'aimant, d'où le nom qu'il lui donna de Magnétisme animal. Il croyait possible de le diriger et de le faire servir à la guérison des maladies. A Paris, où il vint en 1778, il réunissait dans une salle obscure, autour d'un baquet rempli de limaille de fer, des malades liés ensemble par une corde et mis en communication avec l'intérieur du baquet par des branches de fer, coudées et mobiles, qui pouvaient être appliquées sur la partie malade. Après un temps plus ou moins long, un patient, presque toujours une femme, était pris de convulsions ; il criait et pleurait ou riait sans pouvoir s'arrêter. Et c'était, par contagion, un débordement de crises. En 1784, Mesmer est en pleine vogue. Il se fonde à Paris une société de l'Harmonie, qui a des affiliations à Bordeaux, à Lyon, à Strasbourg et ailleurs, et répand le mesmérisme. Le marquis de Puységur fait des expériences à Buzancy, près de Soissons, sur les paysans, et son frère, le colonel de Puységur, à Bayonne, sur ses soldats. Le marquis vit les sujets qu'il magnétisait s'endormir, et, dans cet état, répondre à ses questions, interpréter ses pensées, obéir à ses gestes, à sa voix, à sa volonté. C'était la révélation de l'hypnotisme. L'Académie des sciences nomma une commission, dont faisaient partie Franklin et Lavoisier, pour examiner les faits invoqués par Mesmer. Elle fut d'avis qu'ils s'expliquaient naturellement par limitation, ou, comme nous dirions, la suggestion.

Au même temps, Gall, l'inventeur de la phrénologie, expliquait les facultés d'un individu d'après la conformation de son crâne, et Lavater, l'inventeur de la physiognomonie, lisait sur les traits du visage le caractère, le passé et l'avenir d'un homme. Celui-ci prétendait être une réincarnation du Christ. Croyants et sceptiques allèrent de France en nombre visiter ce nouveau Messie dans sa petite maison de Zurich.

 

IV. — L’ENSEIGNEMENT ET LES APPLICATIONS DES SCIENCES.

PENDANT qu'opéraient ces mystiques et ces charlatans, l'enseignement scientifique naissait en France, en dehors des universités, incapables de le donner ; car les facultés de droit n'étaient que des magasins de parchemins, qui distribuaient des grades sans exiger des études ; les facultés de médecine s'en tenaient à Hippocrate et à Gallien, et ne voulaient rien savoir des sciences nouvelles ; les facultés des arts étaient remplies de pédants crottés, qui dictaient des cahiers et des thèmes.

Au Collège de France, diverses chaires furent transformées, à partir de 1772, en chaires d'astronomie, de chimie, de mécanique, de physique expérimentale, d'histoire naturelle, dont les cours furent très suivis. Au Jardin du Roi, Buffon organisa l'enseignement de la chimie, de la botanique et de l'astronomie. L'État créa, en 1778, l'Ecole de minéralogie docimastique ; en 1783, l'École des mines. En 1784, il réforma l'École des ponts et chaussées. Dans ces instituts, auxquels il faut ajouter l'École de génie de Mézières, des savants de premier ordre professaient la géométrie, la mécanique et les sciences expérimentales. Les intendants et les gouverneurs établirent des cours dans les principales villes des provinces, pour propager les principes, les procédés et les applications des sciences.

L'initiative privée seconda le Gouvernement. A Paris, la loge maçonnique des Neuf-Sœurs fonda la Société Apollonienne, qui prit bientôt le nom de Musée ; des lettrés, des savants et des amateurs y venaient lire des essais, Mais le Musée scientifique de Pilâtre de Rozier, qui débuta en 1781, eut plus de succès ; avec les souscriptions qu'il recueillit à la Cour et dans la haute société, Pilâtre créa des laboratoires et des collections, et il organisa l'enseignement des mathématiques, de la physique, de la chimie, de l’anatomie, des langues vivantes, de la géographie et de l'histoire. Quand il mourut, dans une tentative pour traverser la Manche en ballon, en 1785, son Musée transformé devint le Lycée, et c'est sous ce nouveau nom qu'il eut sa plus grande action.

La Société royale de médecine, fondée par Lassonne et Vicq d'Azir, réagit contre la routine de la Faculté par ses travaux de physique, de chirurgie, d'anatomie et de chimie médicale,

Les applications diverses des sciences émerveillaient le public.

Les explorateurs achevaient de déterminer l'aspect général du globe[21].

Cassini de Thury acheva la triangulation du territoire de la France, et en dressa la carte au 1/86400 ; on perfectionna les cartes marines ; on construisit des chronomètres de précision, qui permettaient de déterminer exactement les longitudes en mer. Lalande et Méchain continuèrent le Recueil de la Connaissance des temps, qui rendait à la navigation d'incalculables services.

La conquête de l'air commençait. En 1782, un Parisien, Blanchard, avait inutilement essayé de voler avec un appareil muni d'ailes semblables à celles des oiseaux ; mais, l’année suivante, le 5 juin, deux manufacturiers d'Annonay, les frères Joseph et Etienne Montgolfier, réussirent à faire monter dans les airs un globe de taffetas sous lequel ils avaient allumé un feu de paille. Le physicien Charles imagina de remplacer d’air chaud par le gaz hydrogène, beaucoup plus léger, de fermer la machine aérostatique au moyen d'une soupape, et d'en rendre l’étoffe imperméable en l'enduisant d'un vernis. Le 27 août, au Champ de Mars, il procéda au lancement de son ballon. Mais la montgolfière à air chaud passionnait l’opinion. Etienne Montgolfier reçut un prix de l'Académie des sciences ; à Versailles, dans la grande cour du château, il gonfla et lança un aérostat de quarante mille pieds cubes, en présence du Roi et de la Reine, le 16 septembre. Il avait suspendu à l'aérostat, dans un panier, un mouton, une poule et un canard. Plusieurs expériences ayant démontré que les animaux ne souffraient pas de l'ascension, Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlande résolurent de se placer eux-mêmes dans la nacelle, attachée au navire aérien et d'entretenir le brasier, qui le fournissait d'air chaud. Le 21 novembre, ils traversèrent la Seine, et allèrent descendre sur les nouveaux boulevards de Paris. Charles prit sa revanche sur la montgolfière ; il partit le 1er décembre, avec un compagnon, dans un ballon gonflé d'hydrogène et alla atterrir sans accident près de Nesle en Picardie. En 1784, Blanchard traversa la Manche, de Douvres à Calais, et, bien que Palâtre de Rozier et Romain eussent péri en voulant renouveler cet exploit, les expériences aérostatiques se multiplièrent en France et à l'étranger.

Au siècle précédent, Denis Papin avait découvert le rôle de la vapeur comme force motrice. L'Anglais Newcommen en fît la première application industrielle en 1703, par une machine imparfaite ; en 1763, James Watt inventa le condenseur, et, plus tard, le parallélogramme articulé. Cette invention rendit possible la transformation de la métallurgie, de la filature et du tissage, et assura à l'Angleterre la suprématie industrielle.

Ce furent les Français qui, les premiers, songèrent à appliquer la vapeur à la traction. Le chariot construit à Nancy par Cugnot parut, après expérience faite à Paris, impossible à diriger. Mais le bateau à roues du Franc-Comtois Jouffroy d'Abbans[22] navigua une fois sur le Doubs en 1776, et une autre fois sur la Saône, à Lyon. Malheureusement Jouffroy manquait d'argent et il ne put poursuivre ses expériences : l'Américain Fulton recueillit plus tard le bénéfice de ses essais.

Franklin avait trouvé le paratonnerre en 1760. Lui et l'abbé Nollet parvinrent à transmettre le courant électrique au moyen de fils métalliques et combinèrent des interruptions qui, d'après leur durée, correspondaient aux lettres de l’alphabet ; c'était presque découvrir la télégraphie.

Partout, c'était un fourmillement d'activités.

Berthollet, Chaptal, Argant et Quinquet transformèrent l'industrie céramique, l'art de la teinture et l'éclairage. Le Lieutenant de police Sartine remplaça dans les rues de Paris les anciennes lanternes par des réverbères, c'est-à-dire les chandelles par les lampes à réflecteur. En 1786, Philippe Lebon avait trouvé le principe de la fabrication du gaz d'éclairage.

L'hygiène préoccupa les savants et l'administration.

Les cimetières placés dans les églises ou tout autour, les égouts à ciel ouvert, les fosses d'aisances mal construites, les urinoirs installés dans les vestibules des maisons, les abattoirs ou tueries en plein vent, les ateliers d'équarrisseurs empestaient l'air. Les Parisiens n'avaient d'autre eau que celle que vingt mille porteurs allaient puiser à la Seine. On chercha le moyen de couvrir les égouts, on élargit les rues, on débarrassa les ponts de Paris des masures qui empêchaient l'air de circuler. L'Académie des sciences insista sur la nécessité de ne tolérer dans la ville ni abattoirs, ni chaudières pour la fonte des suifs. Le cimetière des Innocents fut converti en marché. Le Gouvernement interdit les inhumations dans les églises et dans l'intérieur des villes. Pour donner de l'eau potable à Paris, il traita avec Dauxiron et Périer, qui se chargèrent d'installer à Chaillot une pompe à feu ; cette pompe éleva l'eau de la Seine et la distribua, canalisée et filtrée. Les savants et les philosophes se réjouissaient de tant de sortes de services rendus à l'humanité :

Il n'est pas indispensable, a dit Lavoisier, pour bien mériter de l'humanité, et pour payer son tribut à la patrie, d'être appelé à ces fonctions publiques et éclatantes qui concourent à l'organisation et à la régénération des empires. Le physicien peut aussi, dans le silence de son laboratoire et de son cabinet, exercer des fonctions patriotiques ; il peut aspirer, par ses travaux, à diminuer la masse des maux qui affligent l'espèce humaine ; à augmenter ses jouissances et son bonheur, et n'eût-il contribué par les routes nouvelles qu'il s'est ouvertes qu'à prolonger de quelques années, de quelques heures même la vie des hommes, il pourrait aspirer aussi au titre glorieux de bienfaiteur de l'humanité.

 

 

 



[1] SOURCES. Œuvres de Condorcet, Paris, 1847-49, 12 vol. ; nombreuses rééditions séparées du Tableau historique des progrès de l'esprit humain. Œuvres complètes de Mably. p. p. l'abbé Arnoux, Paris, 1794-95. 15 vol. ; de Marmontel, Paris, 1818, 19 vol. en 20 tomes. Marquis de Chastellux, De la félicité publique, Paris, 1772.

OUVRAGES A CONSULTER. Les livres sur Voltaire et Rousseau, cités au volume précédent. Espinas, La philosophie sociale au XVIIIe siècle et la Révolution, Paris, 1898. Egger, L'hellénisme en France, Paris, 1869, 2 vol. Villemain, Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle, 5 vol., Paris, 1826-29. Picavet, Les idéologues, Paris, 1891. Lichlenberger, Le socialisme au XVIIIe siècle, Paris, 1896. L. Cahen, Condorcet et la révolution française, Paris, 190V. Alengry, Condorcet guide de la révolution française, Paris, 1904. Guerrier, L'abbé de Mably moraliste et politique, Paris, 1886. Texte, J.-J Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire, Paris, 1890. A. Maury, L'ancienne Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 1864.

[2] Condorcet est né en 1743 et mort en 1794.

[3] Raynal est né en 1713, mort en 1796.

[4] Gabriel Bonnot de Mably, frère de Condillac, est né en 1709 et mort en 1785.

[5] Marmontel est né en 1728 et mort en 1799.

[6] Le travail de l'érudition pure, moins actif que dans la période précédente, a été considérable encore. Les œuvres collectives entreprises par des congrégations religieuses et par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ont été continuées. Parmi les travaux des particuliers, outre ceux dont il a été parlé dans le texte, sont à citer ceux de d'Ansse de Villoison, chercheur de manuscrits en Italie et dans le Levant, et dont l'œuvre la plus estimée est une édition de l'Iliade d'après un manuscrit trouvé par lui à Venise, Homeri Ilias ad veteris codicis veneti fidem recensita, publiée en 1788 ; pour l'histoire de France, les collections de documents relatifs à cette histoire faites en Angleterre par Bréquigny et en Italie par La Porte du Theil. En 1791, ces deux savants publieront les Diplomata, Chartæ Epistolæ et alia monumenta ad res francicas spectantia. Ils étaient membres de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Il est à remarquer que cette Académie invite, par ses concours, les savants à éclairer les questions dont les contemporains se préoccupaient. En 1776 et 1777, elle met au concours des questions sur l'agriculture chez les Romains, que traitent Mongez et Dureau de la Malle. En 1784, au lendemain de la guerre d'Amérique, elle propose ce sujet : Quelle a été l'influence des lois maritimes des Rhodiens sur la marine des Grecs, des Romains, et l’influence de la marine sur la puissance de ces deux peuples. Pastoret remporta le prix. Pour éclairer le travail des géologues, elle invite les érudits à chercher dans l'histoire des renseignements sur les changements survenus à la surface du globe par le déploiement des eaux de la mer. Elle a mis au concours aussi des sujets d'histoire religieuse.

[7] Bibliographie des § II et III :

SOURCES. Buffon, Œuvres complètes, Paris. 1853-55, 12 vol. gr. in-8°. Condorcet, Éloges des académiciens, aux L II et III de ses Œuvres Arago, Éloges historiques, aux t. I et II de ses Œuvres. La plupart des Mémoires contemporains donnent des renseignements sur les savants, l’illuminisme et les grands événements scientifiques. Bailly, Lettre sur l’Atlantide, Paris, 1779, et Histoire de l'astronomie, Paris, 1775-87.

OUVRAGES A CONSULTER. Les Histoires générales des sciences citées au volume précédent. J. Bertrand, L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793, Paris, 1869. A Maury, L’ancienne Académie des sciences, Paris, 1864. Montucla, Histoire des mathématiques, Paris, 1799-1808, 4 vol. Delambre, Histoire de l’astronomie, Paris, 1817. Cuvier, Hist. des sciences naturelles, Paris, 1840-45, 2 vol. Saigey, Les sciences au XVIIIe siècle, Paris, 1878. Berthelot, La révolution chimique, Lavoisier, Paris, 1890. Grimaux, Lavoisier, d'après ses manuscrits, Paris, 1899. Prost, Le marquis de Jouffroy d'Abbans, Paris, 1890. Thurston, Histoire de la machine à vapeur, Paris, 1879. Vivien de Saint-Martin, Histoire de la géographie, Paris, 1870, De Courcel, La Pérouse (Bull. soc de géographie, 1888). Daunou, Cours d’histoire, Paris, 1819-1822, 2 vol. Packard, Lamarck, the founder of Evolution, Londres, 1901.

D’Hauterive, Le merveilleux au XVIIIe siècle, Paris, 1902. Caro, Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin, le philosophe inconnu, Paris, 1852. Bersot, Le mesmérisme, Paris, 1877.

[8] Lagrange est né en 1718, mort en 1813.

[9] Clairaut est né en 1718, mort en 1760.

[10] Laplace est né en 1749, mort en 1827.

[11] Monge est né en 1746, mort en 1818.

[12] Lavoisier est né en 1743, mort en 1794, sur l'échafaud de la Terreur.

[13] Georges-Louis Leclerc de Buffon est né en 1707, mort en 1788.

[14] Bernard de Jussieu est né en 1699, mort en 1777 ; Antoine est né en 1748 et mort en 1836.

[15] Jean-Baptiste de Lamarck est né en 1744 et mort en 1829.

[16] Les Illuminés, que Weishaupt, le premier professeur laïc de droit canonique à l'Université d'Ingolstadt, a soumis comme une congrégation religieuse à la loi d'obéissance, préparent l'avènement d'une société meilleure, d'où le régime de la propriété, cause de tous les maux, serait exclu.

[17] Swedenborg est né en 1688, mort en 1772.

[18] Saint-Martin est né en 1743, mort en 1792.

[19] Cagliostro est né en 1743, mort en 1795.

[20] Mesmer est né en 1734, mort en 1815.

[21] L'aspect général du globe a été déterminé par les explorations maritimes de cette époque, qui ont toutes un caractère scientifique. Plusieurs eurent pour objet de vérifier une opinion très accréditée chez les savants du moyen âge et les navigateurs du XVIe siècle touchant l'existence d'un continent austral, qui était jugée nécessaire pour faire contrepoids à la masse des terres accumulées au nord de l'Équateur. Les Anglais envoyèrent, sous les ordres du capitaine Cook, trois expéditions, 1768-1771, 1772-1775, 1776-1779, dont les deux premières démontrèrent péremptoirement qu'il n'existait pas d'autres grandes terres entre l'Equateur et le 60e degré, et que plus au sud c'étaient la banquise antarctique et les glaces qui s'en détachent. Cook, entre temps, releva les côtes de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie orientale et découvrit nombre d'archipels. Il fut tué aux îles Hawaï par les indigènes, lors de son troisième voyage, au retour d'une tentative faite pour découvrir la route maritime d'Asie en Europe, par le nord de l'Amérique.

Bougainville est le premier officier de la marine française qui ait fait le tour du monde sur un navire du Roi. Il partit de Saint-Malo, en nov. 1766, avec la frégate la Boudeuse, qu'il commandait, et, passant par le cap Horn, coupa droit à travers le monde insulaire du Pacifique. En avril 1768, il visita Tahiti, ou, comme il dit, la Nouvelle Cythère, releva les îles des Navigateurs (Samoa), les Grandes-Cyclades (Nouvelles-Hébrides de Cook). Il découvrit l'archipel de la Louisiade et revint par le cap de Bonne-Espérance à Saint-Malo (novembre 1769). Un autre officier de la marine royale, La Pérouse, explora la côte d'Asie entre le Japon et la mer d'Okhotsk et prouva que Sakhaline était une île, en la contournant (1788). Puis il n'y eut plus de nouvelles de l'expédition : les débris de ses navires ont été retrouvés en 1887 dans le voisinage de Vanikoro, une des Petites-Hébrides. A la fin du XVIIIe siècle, le monde océanien était presque complètement connu. Il ne restait plus à découvrir que l'intérieur des grands continents, Asie, Afrique, Australie.

[22] Jouffroy d'Abbans est né en 1751 et mort en 1832.