I. — L'ANCIENNE société française a été étudiée au temps de Louis XIV. On a vu qu'elle est divisée en trois ordres — Clergé, Noblesse, Tiers État, — mais que cette division traditionnelle lui donne une fausse apparence de simplicité ; qu'il faut reconnaître l'existence d'un ordre des officiers, voisin de la noblesse, et, dans une certaine mesure, confondu avec elle ; que chacun des ordres, même le mieux organisé, qui est le Clergé, se subdivise en classes ou, si l'on veut, en conditions très différentes les unes des autres ; que le Tiers état est très difficile à définir, et qu'enfin les catégories dont la nation est composée n'ont presque point de communication les unes avec les autres. Or, à la fin du XVIIIe siècle, la société française est demeurée ce qu'elle était au temps de Louis XIV, avec une aggravation de ses défauts. A la fin de l'Ancien Régime, Le nombre des moines avait été depuis un quart de siècle fortement réduit. Après la suppression des Jésuites, l'assemblée générale du Clergé de 1765, craignant quelque attaque contre les réguliers, avait jugé prudent de les réformer pour les mieux défendre. Les philosophes et les économistes s'acharnaient contre les moines, et plus particulièrement contre les contemplatifs, qu'ils accusaient de paresse, d'ignorance et d'inutilité. L'opinion publique leur était si contraire que le recrutement en était arrêté ; dans certains couvents, il n'y avait plus que quelques religieux. Une partie du Clergé était sévère aux ordres mendiants ; l'archevêque de Tours, Conzié, écrivait à Brienne, le 7 juin 1778 : La race cordière (des cordeliers) est en cette province dans l'avilissement. Les évêques se plaignent de la conduite crapuleuse et désordonnée de ces religieux. L'assemblée de 1765 décida de prier le Pape de choisir parmi les prélats du royaume des commissaires chargés de corriger les abus ; mais le gouvernement refusa de faire intervenir Rome dans une question de police ecclésiastique intérieure, et il institua une Commission de réforme, composée de cinq prélats et de cinq conseillers d'État, par arrêts du Conseil du 23 mai et du 31 juillet 1766. Le Clergé régulier et séculier comprenant à peu près 130.000 personnes possédait, d’après les évaluations admises aujourd'hui, et qui ne sont ni ne peuvent être certaines, près de 4 milliards en biens-fonds, qui rapportaient de 80 à 100 millions par an, à quoi il faut joindre la dîme, 123 millions, en tout 200 millions, somme qu'il faudrait doubler pour en avoir l'équivalent aujourd'hui ; outre cela, le casuel et les quêtes[5]. Ce clergé, si riche, se plaignait toujours de sa misère.
Il était parvenu à faire réduire de Cependant le Clergé, tout en se prévalant de son immunité,
soutenait qu'il payait sa quote-part des charges publiques. Il comptait comme
des contributions à l'État ses frais de perception des décimes et
d'administration financière, ses frais d'assemblées et quelques autres
moindres dépenses, comme pensions aux nouveaux convertis, gratifications aux
écrivains religieux, secours aux prêtres vieux et infirmes. Mais ces charges,
qui n'atteignaient pas 10 millions, n'étaient pas à proprement parler des
impositions, puisque l'État n'en touchait que le 9e et, en y ajoutant la contribution
du Clergé étranger[7], que Necker
estime à II. — LE RECRUTEMENT DANS LE haut personnel, séculier ou régulier, se recrutait dans la noblesse. Sur 1.100 abbayes d'hommes et 678 abbayes de filles, plus de 1.000 étaient à la nomination du Roi. Quand il choisit les abbés parmi les moines, ce sont gens de naissance, que leurs parents ont fait entrer au monastère pour leur assurer une riche sinécure. Mais le plus souvent, il ne laisse pas les abbayes à leurs légitimes destinataires, les moines ; il les donne, comme on dit, en commende, soit à des prélats pour augmenter leurs revenus, soit à de simples tonsurés, qui sont presque exclusivement des nobles. D'après l’Almanach royal de 1789, 850 abbayes étaient en commende. Les abbés commendataires prennent la moitié ou les deux tiers du revenu, et laissent le reste aux religieux pour leur entretien. De plus, le Roi alloue à des enfants de grandes familles, qui ne sont pas même tonsurés, des pensions sur les abbayes sans titulaires, dont son Conseil administre les revenus, ou, comme on dit, sur les Économats. Les évêchés sont, comme les abbayes, donnés à Dans la liste des évêques apparaissent les noms
historiques de la vieille France : Montmorency, Rohan, Il y avait des familles épiscopales. Le prince Louis de
Rohan est évêque de Strasbourg, où il a succédé à son oncle ; son cousin le
prince Ferdinand de Rohan est archevêque de Cambrai. Trois Dans les grandes familles nobles, les aînés, destinés à perpétuer la race, portent les armes, acquièrent les dignités militaires, les charges de cour et les gouvernements de provinces ; les cadets entrent ou sont poussés dans l'Église, pour alléger la charge du chef de famille, et maintenir, autant qu'il se peut, l'intégrité du patrimoine ; ils obtiennent des pensions, des abbayes, qui leur assurent une situation indépendante, et quelquefois de si riches revenus qu'ils deviennent la providence des vieilles maisons. Si des aînés sont impropres au service militaire, ils se réfugient dans l'Église. Le jeune d'Osmond est destiné à l'état ecclésiastique parce qu'il a une jambe de trois pouces plus courte que l'autre, et Talleyrand parce qu'il est pied-bot. La vocation vient, quand elle peut, par surcroît. S'il arrive qu'un cadet tonsuré, comme Des Cars, perde son aîné, il quitte le petit collet pour les armes. Tels autres fils de famille, qui se sont dégoûtés du métier militaire ou n'y ont pas réussi, entrent, comme Conzié, évêque d'Arras, dans l'Église, où ils pensent avancer plus vite. Bourdeilles, évêque de Soissons, a été successivement clerc tonsuré, mousquetaire, séminariste à Saint-Sulpice, prêtre et enfin évêque. Les parents font tonsurer les enfants dès le plus jeune âge pour leur assurer des pensions, en attendant les abbayes, que l'on refuse d'ordinaire d'accorder avant le sous-diaconat. Chateaubriand, déjà chevalier de Malte, fut tonsuré en uniforme, l’épée au côté. Un autre chevalier de Malte, Lally-Tollendal, n'ayant pas trouvé en France de prélat assez complaisant, s'en fut en Allemagne se faire tonsurer par l'évêque souverain de Paderborn. Les dignités ecclésiastiques paraissent si bien le partage
de l'aristocratie que le ministre de la feuille, c'est-à-dire le prélat
chargé de proposer au choix du Roi des candidats aux bénéfices, éconduit de
parti-pris les gens de petite et de moyenne noblesse. L'archevêque d'Aix,
Boisgelin, eut beaucoup de peine à faire nommer évêque, en 1784, son
grand-vicaire, l'abbé de Bausset. En Au contraire, Bernis était à peine sorti de Saint-Sulpice, qu'il était sollicité par le ministre de la feuille, Boyer, de s'engager définitivement dans l'état ecclésiastique : Monsieur, lui disait Boyer en lui serrant la main, c'est de la part de l'Église que je vous parle ; sous-diacre, une abbaye ; prêtre deux ans, grand-vicaire, et puis évêque. Bernis ne fut pas ébloui, tant l'offre lui paraissait
naturelle à un homme de sa naissance. 11 prit le temps de réfléchir s'il
ferait sa fortune dans le monde ou dans le Clergé, et, à vrai dire, il trouva
sa voie entre les deux ; poète galant et mondain, que Voltaire appelait Babet la bouquetière à cause de ses grâces et de
ses vers fleuris, il ne se décida qu'à quarante ans, en 1755, à se faire
ordonner sous-diacre ; il fut cardinal en 1758 deux ans avant d'être prêtre,
et, aussitôt les ordres pris, fut nommé archevêque. D'autres grands seigneurs
attendent impatiemment l'épiscopat. Un Les charges de grands-vicaires servaient de stage aux candidats à l'épiscopat. Les grands-vicaires étaient moins les auxiliaires des prélats que des compagnons du même monde, qui leur rendaient plus supportables les séjours dans les diocèses, au fond des provinces. Aussi les évêques, au lieu de s'en tenir à quatre ou cinq auxiliaires, comme le recommandaient les canons, augmentaient-ils à plaisir celte société ecclésiastique ; il y avait dans certains archevêchés jusqu'à quinze ou vingt grands-vicaires. S'ils eussent tous travaillé, ils se seraient contrecarrés, mais généralement ils laissaient la besogne à quelques zélés ou à de petits compagnons. Il y avait en effet quelques roturiers parmi les grands-vicaires : l'abbé Morellet, l'abbé Sieyès, l'abbé Maury, pour ne citer que les plus connus ; mais ils n'étaient pas épiscopables. III. — PUISSANCE TEMPORELLE ET RICHESSE DU HAUT CLERGÉ. LES évêques ont conservé en bien des endroits une part du pouvoir temporel dont jouissaient leurs prédécesseurs au moyen âge, dans les seigneuries ecclésiastiques relevant des sièges épiscopaux. Sur le territoire de ces seigneuries, qui ne concorde pas nécessairement avec celui de leurs diocèses, ils ont encore, malgré les empiétements des officiers du Roi, des droits lucratifs de haute, basse et moyenne justice. Des évêques, en nombre de villes, confirment ou ratifient l'élection des consuls et des échevins. Lorsque Bernis fit sa première entrée dans la ville archiépiscopale et seigneuriale d'Albi, les Consuls, syndic et député de l'Université et cité d'Albi lui promirent et jurèrent de lui être loyaux et francs sujets, de lui garder et procurer ses droits, profits et honneurs, et d'obéir à ses commandements et à ceux de ses officiers. L’évêque de Mende, par une complaisance qu'avait eue Richelieu pour un prélat ami, Marcillac, a gardé presque toutes les prérogatives de l'époque féodale. Il est seigneur et gouverneur de Mende et comte de Gévaudan, suzerain des huit barons de Gévaudan, et, pour mémoire, des comtes de Rodez et des rois d'Aragon. Ses propriétés et ses fiefs s'étendent sur quarante paroisses. Il s'arroge le droit de nommer les consuls de Mende et les syndics ou commissaires du pays aux États particuliers de Gévaudan. Il a sa justice à Mende, comme le roi a la sienne à Marvejols, son bailli d'épée et son lieutenant général. Les trois ordres du diocèse constateront, au mois de janvier 1789, que, par un abus manifeste contre tous les droits naturels et politiques, le siège épiscopal dispose de toute l'administration civile et politique. Dans le Clergé dit étranger,
les prélats sont de véritables princes. L'évêque de Strasbourg est
prince-évêque de Strasbourg et landgrave d'Alsace. Il possède en Alsace des
domaines de 44 lieues carrées d'étendue, peuplés de 25.000 habitants, et qui
rapportent 350.000 florins, environ La prétention de certains sièges à l'antiquité et à la
prééminence apparaît dans leurs titres ecclésiastiques, éclatants et
quelquefois contradictoires. L'archevêque de Rouen s'intitule primat de
Normandie ; celui de Bordeaux, de la seconde Aquitaine ; celui d'Auch, de Des revenus du Clergé séculier, l'aristocratie
ecclésiastique prenait une grosse part. La mense épiscopale des 130
archevêques et évêques de France, abstraction faite de Il y avait des archevêchés moins bien pourvus que les
riches évêchés : Aix, Les titulaires se faisaient, par surcroît, attribuer en
commende des abbayes, et ils obtenaient une mense abbatiale proportionnée à
leur mense épiscopale : aux meilleurs évêchés, les meilleures abbayes.
Montazet, archevêque de Lyon, touchait par surcroît C'est qu'en effet la valeur déclarée des revenus
épiscopaux était inférieure à leur valeur réelle de moitié au moins, et
quelquefois de beaucoup plus. L'évêché de Troyes, au lieu de IV — MŒURS ÉPISCOPALES. BEAUCOUP de ces évêques gentilshommes mènent le train des plus grands seigneurs. Ils ont un nombreux domestique et de beaux équipages, ils donnent des fêtes et des réceptions, accueillent à portes ouvertes les passants de marque et les gens notables de la province. Ce sont de grands bâtisseurs ; ils restaurent, agrandissent, transforment les anciens châteaux des évêques féodaux, ou bien élèvent, au milieu des arbres et des jardins, des palais modernes. D'ailleurs ils ont leur hôtel à Paris, pour passer l'hiver, et des maisons de plaisance à la campagne, pour se reposer l’été. Louis-Joseph de Montmorency-Laval, évêque de Metz de 1760 à 1790, habitait à Frascati, aux portes de Metz. Il avait, dit Mme de Boigne, un état énorme, et tenait table ouverte pour l'immense garnison de Metz et pour tous les officiers supérieurs qui y passaient en se rendant à leurs régiments. Les honneurs de cette maison ecclésiastico-militaire étaient faits souvent par la nièce du prélat, la marquise de Laval, que son vieil oncle aimait tendrement en tout bien tout honneur, et dont il payait les dépenses de toilette, quarante mille livres par an. A Brienne, dans le château superbe que l'archevêque de Toulouse et son frère le comte de Brienne avaient fait construire sur remplacement de leur gentilhommière en ruines, l'utile et l’agréable étaient réunis pour le plaisir des hôtes et des visiteurs : Un cabinet d'histoire naturelle,
— raconte un des amis de la maison, l'abbé Morellet, — une bibliothèque riche
et nombreuse. un cabinet de physique et un physicien démonstrateur de quelque
mérite (Deparcieux) venant de Paris et
passant là six semaines ou deux mois pour faire des cours aux dames : tout ce
qui peut intéresser, occuper, distraire, se trouvait là réuni... La
magnificence se déployait surtout aux fêtes du comte et de la comtesse ; il
se trouvait alors au château quarante maîtres, sans compter la foule des
campagnes voisines ; et des concerts, des musiciens venus de Paris, des
danses, des tables dressées dans les jardins, des vers et des chansons par
l'abbé Vanmall, grand-vicaire de l'archevêque, et par moi (Morellet)
; L’archevêque de Narbonne, Dillon, allait tous les deux ans passer, quinze jours à Narbonne, et présidait les États de Languedoc à Montpellier pendant six semaines. Le reste du temps, il vivait à Paris ou dans une propriété de Picardie, Hautefontaine, où il menait, au témoignage encore de Mme de Boigne, sa parente, une vie beaucoup plus amusante qu'épiscopale. La maison était gouvernée par Mme de Rothe, nièce de l'archevêque et qui vivait avec lui depuis longues années dans une intimité fort complète qu'ils prenaient peu le soin de dissimuler. L'archevêque avait marié la fille de Mme de Rothe avec son neveu, le comte Arthur Dillon ; mais, suivant les habitudes du temps si contraires à l’amour dans le mariage, la comtesse Dillon avait une liaison affichée avec le prince de Guéménée, qui passait sa vie entière à Hautefontaine : Il y avait toujours beaucoup de monde à Hautefontaine, on y chassait trois fois la semaine. Madame Dillon était bonne musicienne ; le prince de Guéménée y menait les virtuoses fameux du temps, on y donnait des concerts excellents, ou y jouait la comédie, on y faisait des courses de chevaux, enfin on s'y amusait de toutes les façons. L'archevêque, chasseur passionné, avait le juron facile. Quand l’évêque de Montpellier, Joseph-François de Malide, le seul qui lui imposât par sa vertu, venait à Hautefontaine et suivait la chasse en calèche, Dillon disait aux chasseurs : Ah ! ça, messieurs, il ne faudra pas jurer aujourd'hui. Mais dès que l'ardeur de la chasse l'emportait, il était le premier à piquer des deux et à oublier la recommandation. Le roi des hôtes, c'était le cardinal Louis de Rohan. Il
avait fait relever plus superbe, après l'incendie de 1779, le château des
évêques de Strasbourg, à Saverne, que deux Rohan avant lui avaient orné et
décoré. Il était toujours souriant, attentif aux désirs de ses visiteurs et de
ses hôtes, heureux de plaire. Suadere était sa devise inscrite sur chaque
porte. Il donnait des fêtes magnifiques où l'on venait de Paris, même de Répudier toutes les gènes de la
vie religieuse pour n'en garder que les avantages matériels, en réduire les
devoirs au célibat temporaire et à la célébration de l'office divin, se
débarrasser de la clôture, des trois vœux, de l'habit monastique et de la vie
commune, transformer les cellules en autant de maisons de plaisance disposées
autour du cloître,... faire... d'un couvent de bénédictines un séminaire de
filles à marier,... telle est l’œuvre qu'accomplirent en Lorraine les
religieuses des quatre grandes abbayes de Remiremont, d'Epinal, de Poussay,
de Bouxières-aux-Dames, plus de cinq siècles avant Il est probable que nombre de prélats étaient de
médiocres, et quelques-uns, de mauvais croyants. Rivarol déclare qu'aux
approches de Il se fonde à Besançon en 1788 une Société philanthropique qui, pour expliquer son initiative
bienfaisante, rappelle le devoir impliqué dans le vers fameux de Térence : Homo sum et humani nihil a me alienum puto.
Cette œuvre de charité, qui s'inspire de l'amour des hommes et non de l'amour
de Dieu, de la philosophie et non de la religion, compte parmi ses membres un
vicaire général honoraire, six chanoines, deux prêtres attachés au chapitre,
les abbés de Desnes, de Fallétans et de Le Clergé a oublié que le sentiment religieux, qui ne va
pas sans la tristesse évangélique, est le
support de la grandeur de l'Église. Il continue à vivre jusqu'à Un simple prêtre, un curé, doit croire un peu, sinon on le trouverait hypocrite ; mais il ne doit pas non plus être sur de son fait, sinon on le trouverait intolérant. Au contraire, le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l'évêque en rira tout à fait ; le cardinal y joindra son mot. L'attrait de Paris est au XVIIIe siècle aussi puissant que
celui de Je passerai le mois de janvier à la ville (épiscopale), de février en courses et à la campagne. Je ferai encore quelques écarts dans le mois de mars, et je partirai le 13 avril à Paris. Il ne dit pas quand il en reviendra. Au mois de mars 1764,
il y avait plus de quarante évêques présents à Paris, que le Procureur
général du Parlement, conformément aux ordonnances d'Orléans et de Blois,
invita à rentrer dans leurs diocèses ; mais ils revinrent bien vite. L'abus
était si grand que le secrétaire d'État de Les évêques qui ne résident pas laissent la direction du diocèse à quelques grands-vicaires ou même à des suffragants, sorte d’auxiliaires payés à bas prix, que les populations qualifient de garçons-évêques. Ceux mêmes qui résident ne font ni sermons ni prônes. Si, par hasard, l'évêque prêche, les fidèles affluent curieusement, tant le cas est rare. Il y a des évêques qui ne trouvent pas le temps daller ordonner leurs prêtres et qui en commettent la charge à leurs collègues résidants. L'évêque de Rennes, Bareau de Girac, lévêque d'Avranches, Godard de Belbeuf, envoient leurs séminaristes à l'évêque de Dol, Hercé, grand consécrateur, qui, en vingt-trois ans d'épiscopat, ordonna 576 prêtres étrangers à son diocèse. Sans doute Grégoire, le futur évêque constitutionnel,
exagère quand il prétend qu'il était passé en
proverbe en France que ses devanciers avaient
réduit les sept sacrements à six, celui de la confirmation n'étant plus guère
porté que pour mémoire dans les catéchismes ; mais il est certain
que la confirmation était administrée à de très longs intervalles. En une
fois, en Les évêques auraient dû faire, tous les deux ans, des visites pastorales dans les paroisses de leurs diocèses, pour s'enquérir de la conduite du pasteur et du troupeau, inspecter les sages-femmes et les maîtres d'école, examiner les comptes des marguilliers et des syndics des hôpitaux et pourvoir à tous les scandales et abus. Mais peu se résignaient à ces tournées pénibles, par de mauvaises routes, au hasard des mauvais gîtes. Le prélat qui passe pour en avoir fait le plus, Gaston de Partz, évêque de Boulogne, en a fait huit en quarante-sept ans, de 1742 à 1789. Un autre prélat scrupuleux, Lefranc de Pompignan, qui fut évêque du Puy de 1743 à 1774, c'est-à-dire trente et un ans, visita trois fois les paroisses montagneuses du Velay. V. — L'ÉGLISE CONTRE LE JANSENISME, LE PROTESTANTISME ET LES PHILOSOPHES. LES évêques gardent toute leur ferveur contre les ennemis de l’Église. Benoît XIV, supplié de régler la question des billets de confession, avait ordonné, le 26 octobre 1759, de refuser les sacrements aux adversaires notoires et déclarés de la bulle Unigenitus, mais permis de les administrer aux autres en les prévenant qu'ils couraient le risque, s’ils ne se rétractaient pas, de perdre leur âme. L'assemblée générale du Clergé de 1760 accepta ce compromis, mais colle de 1765 retourna aux vieux errements. Le groupe janséniste de Hollande, constitué en Église indépendante, avait tenu en 1763 son premier Concile ; le Clergé de France, craignant l'effet de cette démonstration, renouvela l'engagement solennel d'imposer la signature du Formulaire à tous les ecclésiastiques, et décida de publier une déclaration, pour rappeler aux fidèles l'obligation de se soumettre à la bulle Unigenitus. Quatre évêques seulement, Noé, évêque de Lescar de 1763 à
1790, Beauteville, évêque d'Alais de 17S5 à 1776, Bazin de Bezons, évêque de
Carcassonne de 1730 à 1778, Montazet, archevêque de Lyon de 1758 à 1788,
refusèrent d'adhérer aux résolutions de l'Assemblée. Mais en 1789, de ces
quatre évêques, un seul vivait encore. Le Jansénisme paraissait vaincu. Les
Pères de l'Oratoire, qui avaient succédé dans nombre de collèges aux
Jésuites, les Pères de L'esprit du siècle était absolument contraire au dogme de
la corruption originelle et irrémédiable de l'homme, et pourtant il restait
favorable au parti qui s'y acharnait. C'est qu'il y avait entre le Jansénisme
et le Gallicanisme, surtout le Gallicanisme parlementaire, plus d'un point de
rencontre, et, en particulier, la haine des ultramontains. Aussi le
Jansénisme inspirera aux Constituants de Contre les protestants, l'Assemblée générale du Clergé
continua de réclamer le maintien des anciennes rigueurs. Mais, après la révision
des procès de Calas et de Sirven, le Gouvernement a désarmé : en 1769, il
libère les prisonnières protestantes détenues dans Nous laissons aux ministres des autels et aux magistrats le soin de prononcer sur les liens que vous avez formés avec Mlle Camp, mais il est un tribunal auquel vous êtes comptable des procédés que vous avez mis dans votre conduite envers elle : celui de l'honneur.... Mais le Clergé s'obstinait à demander la fermeture des
temples, la dispersion des assemblées et la persécution des pasteurs. On a vu
qu'en dépit des efforts de Turgot, Louis XVI n'osa pas supprimer, du serment
du sacre, la promesse de faire disparaître du sol français les hérétiques. Le
haut Clergé voulait même un engagement plus précis. Au nom de l'assemblée
générale, le 24 septembre Le Clergé poursuivait l'impiété comme l'hérésie. Depuis l'apparition du premier volume de l'Encyclopédie, en 1751, ses assemblées générales n'ont plus cessé de flétrir et de dénoncer les livres qu'elles jugent contraires à la religion et aux mœurs[10]. Une Déclaration du 16 avril 1757 avait réédité l'ancienne prescription de la peine de mort contre tous ceux qui seraient convaincus d'avoir composé, imprimé ou répandu des écrits tendant à attaquer la religion ; mais une telle rigueur était inapplicable ; aussi l'Assemblée de 1780, protestant qu'à la vue de ces dispositions rigoureuses, ses entrailles paternelles frémissent, demanda une législation moins sévère, mais plus fidèlement exécutée : amendes pécuniaires, et, en cas de récidive, exclusion absolue des emplois, honneurs et privilèges des citoyens, sauf après des récidives multipliées, à traiter le coupable auteur comme une personne attaquée de la contagion. Le Clergé combat les Philosophes avec leurs propres armes.
Il pensionne des gens de lettres, dévoués à sa cause, et des théologiens,
chargés de réfuter les erreurs. En 1770, par exemple, il accorde une pension
de VI. — LE CULTE, L'OPINION accusait Il y a très peu de fabriques en Lorraine, dit le jurisconsulte contemporain Thibaut, qui soient assez riches pour suffire aux réparations, entretien et fourniture des églises paroissiales, en sorte que les pauvres habitants de la campagne sont chargés de la plus grande partie de ces dépenses quotidiennes sous les yeux d'opulents décimateurs, à qui le retranchement d'une partie de leurs revenus ne serait cependant qu'un moyen de remplir plus exactement les devoirs de leur état. Les intendants durent restaurer ou relever beaucoup d'églises qui tombaient en ruines. J'arrivai, dit un curé de Touraine, au mois de juin 1788... Le presbytère ressemblerait à un souterrain hideux s'il n'était ouvert à tous les frimas et à tous les vents. Il est certain que le Clergé fut sensible aux misères des populations ; des évêques donnaient avec une bonté de cœur d'apôtres et une générosité de grands seigneurs. Mais d'autres se conduisaient autrement, et il ne faut pas croire sur parole les érudits diocésains et les hagiographes enclins à surcharger les mérites de leurs héros. Au cours du XVIIIe siècle, une trentaine d'évêques se sont
signalés par la construction d'hôpitaux ou par les dons considérables qu'ils
leur ont faits. Beaucoup de ces bâtisseurs et de ces bienfaiteurs
appartiennent au règne de Louis XVI : Phélypeaux d'Herbault donne L'État ne se désintéressait pas tout à fait de l'enseignement populaire. Une ordonnance royale du 14 mars 1724, qui confirme et complète des dispositions législatives antérieures, règle les programmes, fixe le traitement des maîtres et les rétributions des écoliers. Mais l'État n'a pas de budget de l'instruction publique ; il n'entretient pas les écoles ; il ne paie ni ne recrute, ni ne surveille les maîtres. C'est l'affaire des particuliers, des communautés et des évêques. Le Clergé est juge de la capacité, de la doctrine et des mœurs des maîtres. Il a la juridiction sur les écoles publiques entretenues par les paroisses, et sur les écoles privées entretenues par les pères de famille. Il confère aux instituteurs publics, élus par l'assemblée générale des habitants, comme aux maîtres choisis par la confiance des particuliers, des lettres de régence et le droit d'enseigner. Il aide par ses subventions les écoles des paroisses pauvres ; il en fonde lui-même, et il applique à leur entretien des dons, des legs, des fondations pieuses, ou les paie de ses propres deniers. Il y appelle, surtout vers la fin de l'Ancien Régime, les congrégations enseignantes, qui donnent l'instruction gratuitement, et alors il doit pourvoir seul à leur entretien. Dans certains endroits, à défaut de maîtres, le Clergé donne lui-même l'enseignement. Les maîtresses d'école sont généralement des congréganistes, mais les maîtres sont en majorité des laïques. L'enseignement se bornait le plus souvent à la lecture, à l'écriture, au calcul et au catéchisme. Le Clergé voulait naturellement avant tout qu'on apprît aux enfants les principes de la religion. L'Université d'Orléans estimait suffisant d'avoir pour instituteurs des sujets instruits des vérités fondamentales de la religion et capables d'enseigner au moins les éléments de la lecture et de l'écriture. Les écoles dites dominicales, parce qu'elles ne se tenaient que le dimanche, n'étaient que des catéchismes, où par surcroît on enseignait l'alphabet. Le budget, si l'on peut dire, de l'enseignement primaire
était considérable. En 1792, Romme, rapporteur du Comité de l'instruction
publique, estimait à 12 millions les sommes dépensées pour les petites écoles
et provenant des fabriques, des municipalités, des fondations, — qui étaient
très nombreuses, — de la rétribution scolaire, des versements des parents aux
maîtres privés. A Paris, l’enseignement primaire coûtait de 120 à Il est difficile de savoir le nombre des écoles.
Clairsemées dans tout le sud-ouest, le Béarn excepté, et en Bretagne, elles
étaient beaucoup plus nombreuses qu'on ne le croit communément dans les
provinces du nord et de Test, Ile-de-France, Normandie, Picardie, Artois, Flandre,
Lorraine, Alsace, Bourgogne, Franche-Comté, et dans certaines régions du
sud-est et du centre, Lyonnais, Dauphiné, Cévennes et Comtat d'Avignon.
Cependant beaucoup de cahiers en 1789 signaleront l'insuffisance des écoles
même dans les régions qui passent pour en avoir été le plus abondamment
pourvues. A Paris extra-muros, à Mantes, à Lille, à Lyon, le Clergé demande
qu'il soit établi des écoles partout où il n'y en a pas. Des cahiers du tiers
se plaignent que, dans les campagnes, on ne trouve
aucun secours pour l'éducation des enfants. Nos
enfants croupissent dans la dernière ignorance, disent les cahiers des
environs de Paris, du Pas-de-Calais et d'Auxerre. La proportion des illettrés
était en effet considérable, si l'on en juge par le nombre des électeurs qui,
en 1789, n'ont pas su signer de leurs noms les cahiers des paroisses de
campagne : à Chevreuse 40 sur 75 ; à Sarcelles, 105 sur 161 ; à Chevannes, 37
sur 47 ; à Artigues, 34 sur 120, etc. Les maîtres sont dénoncés comme
incapables et paresseux. Mais ce n'est pas, dit-on, leur faute. De la réforme des collèges après l’expulsion des Jésuites,
il a déjà été parlé. Après la dissolution de Tordre des Jésuites, qui
laissait libres plus de cent collèges, l’édit de février 1763 soumit les
maisons qui n'étaient pas confiées à une congrégation, à un bureau, composé
de deux officiers de justice, de deux officiers municipaux, de deux notables
et du principal, et que l’évêque présidait. En réalité, l’évêque y était le
maître. L'épiscopat sauva bien des collèges que les municipalités voulaient
fermer ; il restaura, subventionna ceux qui périclitaient. Il y appela,
suivant ses préférences, tantôt des maîtres séculiers, tantôt des
congréganistes. Des Oratoriens, des Bénédictins remplacèrent en beaucoup d’endroits
les Jésuites, En 1789, il y avait en France 562 collèges fréquentés par 72.747
élèves. L’abbé Montesquiou estimait que VII. — ACTIVITÉ DES ÉVÊQUES HORS DE L'ÉGLISE. L'ADMINISTRATION spirituelle ne suffît pas à l'activité de certains évêques. Ils pensent qu'ils ont autre chose à faire que de rédiger des mandements, de confirmer les enfants, de visiter les curés et d'être, comme disait l'abbé de Vermond, des laboureurs de diocèse. C'est l'intérêt de l'Église de se mêler à la vie publique, d'accroître le bien-être des populations, les ressources et la richesse du royaume. La liste est longue des œuvres surérogatoires auxquelles des évêques donnent leur temps et leur peine : sociétés d'agriculture, sociétés de secours aux incendiés, suppression de la mendicité, bureaux de charité, monts de piété, vaccination, cours d'accouchement. Toute cette action donne l'impression d'un épiscopat intelligent, ouvert aux idées du siècle, et qui aspire à jouer un grand rôle social, comme si les devoirs du sanctuaire lui paraissaient un peu surannés. Le Clergé a fourni sa large part d'économistes : l'abbé
Roubaud, l’abbé Bandeau, l'abbé Morellet, ce grand compilateur de faits et de
chiffres. On a pu dire que Turgot, lorsqu'il étudiait en Sorbonne et
s'appelait l'abbé de Brucourt, avait déjà arrêté ses idées maîtresses sur
l'administration publique. Un grand nombre d'ecclésiastiques s'occupent
théoriquement d'agriculture, de commerce, d'industrie, de douanes
intérieures, de monnaies et de change ; ils publient des mémoires, des
livres, des revues sur la production, la circulation et la consommation des
richesses. Des camarades de Turgot en Sorbonne — dont la plupart furent
évêques — les deux Cicé, Loménie de Brienne, Boisgelin, l'abbé Veri, et, dans
la génération qui suivit, l’abbé de Périgord, qui fut Talleyrand, l’abbé de
Montesquieu, et des roturiers, que Les pays d'États, Languedoc, Bretagne, Artois, Bourgogne, Provence, comté de Foix, Béarn et Navarre, sont pour les évêques un bon théâtre d'activité temporelle. Les prélats président les assemblées de ces provinces, dirigent les débats, inspirent les résolutions, participent au vote et à la répartition des impôts, s'intéressent aux travaux publics. Aussi le jeune Clergé recherche les diocèses en pays d'États, auxquels se trouvait réunie, comme disait Morellet à propos de Brienne, quelque partie d'administration. L'archevêque d'Aix, Boisgelin, président de l'assemblée des procureurs de Provence, et deux autres évêques provençaux, de Bausset, évêque de Fréjus, et Suffren de Saint-Tropez, évêque de Sisteron, dessèchent des marais, creusent des canaux et irriguent des terres arides. L'évêque d'Autun, Marbeuf, président des États de Bourgogne, fait réparer les routes du diocèse d'Auxerre, un pays perdu. L'évêque d'Arras, Conzié, président des États d'Artois, répartit plus équitablement les impôts. L'évêque de Lescar, Noë, président perpétuel des États de Béarn, dénonce au Roi les abus du pouvoir. Mais le Languedoc, avec ses États
généraux et ses vingt-trois assemblées particulières de diocèses, est
le domaine propre des évêques-administrateurs. L'archevêque de Narbonne,
Dillon. président-né des États, éloquent, actif et autoritaire, expédie
rondement les affaires. Sous son inspiration, des routes et des ponts sont
construits et le canal des Deux-Mers joint à Hors des pays d'États beaucoup d'évêques s'appliquent ainsi à des détails d'administration publique. Ils jouent le premier rôle dans les Assemblées provinciales. L'évêque de Rodez, Champion de Cicé, qui devint archevêque de Bordeaux, fut l'organisateur, le conseiller et l'inspirateur de l'Assemblée de Haute-Guyenne. Dans sa correspondance avec les procureurs-syndics, conservée à Rodez, il n'est question que de routes, postes, octrois, haras, navigation des rivières, commerce, jauge des vins, impôts. Mais cette fureur d'administrer inquiétait des âmes chrétiennes. De 1781 à 1783 parurent quatre Lettres secrètes contre le rôle nouveau de l'épiscopat. On y lisait : La maladie d'être homme d'État a gâté les meilleures têtes ; les sollicitudes épiscopales sont teintées aujourd'hui d'une couleur politique : il semble que les sources de l'Évangile sont devenues étrangères à nos prélats. L'évêque-administrateur y est traité de sorte de métis, moitié sacré, moitié profane... un Jacquet ministériel, un ressort secondaire qui s'engrène dans le rouage politique... On lui reprochait de s'abaisser, de déchoir : Prendre des lettres de marque au bureau du Contrôle général pour convoyer les deniers royaux, en diriger le versement, en déterminer l'assurance.... c'est se faire consul de Bas-Empire quand on peut être Empereur chrétien ; c'est se décorer, sous le bon plaisir et par la grâce de Mgr le Ministre des Finances, d'une sorte d'épiscopat in partibus qui dégrade l'autre. L'archevêque de Vienne, Lefranc de Pompignan, interprète
des évêques évangélistes tels que Christophe de Beaumont, Juigné, le cardinal
de La dignité épiscopale dans le royaume est, dit-on, déchue comme ministère spirituel de son ancienne considération. Je ne nie pas que les pernicieux progrès de l'incrédulité n'influent beaucoup sur cette décadence. Le respect pour ¦ l'épiscopat doit baisser dans la même proportion que celui qui est dû à la religion. Mais... convenons de bonne foi que, pour rétablir le lustre de l'épiscopat, il ne faut pas sortir de l'enceinte que Dieu lui a tracée : demeurons-y ; ce rétablissement est entre nos mains. VIII. — LES OPINIONS POLITIQUES DES ÉVÊQUES. LE Clergé, riche, grand propriétaire et premier ordre de
l'État, restait attaché aux traditions, coutumes et libertés de l'Église
gallicane. Il substituait au XVIIIe siècle, dans les trois quarts des
diocèses, la liturgie gallicane à la liturgie romaine. Les dogmes, les sacrements, le
culte de la religion sont des biens qui n'appartiennent point aux puissances
de la terre.... Vainement chercherait-on à faire un objet de police de tout
ce que Cela n'empêchait pas le Clergé de France d'être profondément le culte du bol royaliste. L'amour des rois, déclare l'évêque d'Alais, Beauteville, lors de l'avènement de Louis XVI, est pour nous (Français) un hommage immortel, une passion héréditaire dont les liens nous attachent au trône plus fortement que ceux qui nous attachent à la vie. Les mandements épiscopaux annoncent au peuple le mariage
du Roi, les grossesses de Cependant, plus on approche de IX. — LE BAS CLERGÉ. CE bas Clergé comptait 60.000 curés, vicaires et autres
auxiliaires ou habitués, qui touchaient, sur
les revenus de l'Église, de 40 à 45 millions. Parmi ces curés, il y en avait
de bien rentes, surtout dans les grandes villes : ceux de Saint-Leu et de
Saint-Eustache à Paris avaient Conformément à l'esprit de l'Ancien Régime, qui faisait peser l'impôt sur les moins capables de le porter, le haut Clergé se décharge le plus possible sur le bas Clergé des décimes ordinaires et extraordinaires qui sont perçus par décision de l'Assemblée générale du Clergé pour le paiement du don gratuit. Les curés, même à portion
congrue, dit l'avocat au Parlement Gaultier de Biauzat en 1788, sont imposés
à 60, 80 et même Le casuel, très productif dans les villes, ne rapporte presque rien dans les campagnes. Les villageois bardent sur les sacrements et sur l'entretien de l'église et du presbytère. Ce sont des querelles continuelles qui ravalent l'âme du prêtre autant qu'elles l'aigrissent. Des curés affamés quêtent ou mendient, boivent avec leurs paroissiens et leur vendent l'absolution. La dernière classe de l'ordre sacerdotal, écrit en 1789 un capucin, est formée de la balayure des écoles. Les prêtres de charité et de nécessité, c'est-à-dire les desservants et les vicaires, sont aussi grossiers et ignorants que les peuples. Ils se livrent dans la chaire sacrée à d'indécentes familiarités ; quelques-uns, dans la vie privée, à des désordres criminels. Aussi le haut Clergé méprise le bas Clergé. Il ne l'admet pas à ses assemblées générales[13]. Si un curé est appelé aux assemblées diocésaines pour la répartition de la dîme, c'est comme élu de l'évêque, non comme représentant de ses collègues ; d ailleurs, il est un simple figurant. Les curés sont également exclus des Etats provinciaux. En Languedoc, même dans les assemblées de diocèses, il n'en entre que quelques-uns. Ils ne sont pas mieux partagés dans les assemblées provinciales ; on en découvre un dans l'assemblée de Haute-Garonne, un aussi dans celle de Haute-Normandie. Les curés du diocèse de Nancy se plaignent que sur onze ecclésiastiques siégeant à l'assemblée provinciale, il n'y en a qu'un seul des leurs, encore est-il doyen d'un chapitre. Théoriquement, le curé proprement dit est inamovible il ne
peut être déplacé ou révoqué que pour indignité et autres raisons canoniques
; mais, en fait, les évêques s'arrogent juridiction sur les curés comme sur
les vicaires et les simples desservants. Avant de les nommer, ils leur font
quelquefois signer l'engagement de démissionner au reçu du premier ordre. Au
besoin, ils se débarrassent d'eux par lettres de cachet. Un curé des Trois-Valois,
en Lorraine, Lhermite, était d'humeur processive ; Les évêques font trop sentir aux curés de toute catégorie qu'ils sont dune autre race queux. Même des prélats évangéliques dédaignent ces subalternes ; Christophe de Beaumont ne fit jamais de visites pastorales, pour n'avoir pas à rendre aux curés leurs politesses ; il n'en reçut jamais un à sa table. Un évêque, en tournée, s'est montré fort aimable envers les curés ; mais voici ce qu'il écrit d'eux en 1777 : Je visite à présent ces frères, ces tuteurs, ces arbitres du peuple à qui j'ai fait tant de compliments. Il est bon de parler comme Fénelon : mais, en vérité, ces gens à qui l'on peut dire de si belles choses ne peuvent guère les entendre. Ils sont grossiers, malpropres, ignorants, et il faut bien aimer l'odeur empestée de l'ail pour se plaire dans la société des médiateurs du ciel et de la terre. Les curés eurent des défenseurs. En 1776 parut un libelle anonyme : Droits des curés et des paroisses. On y soutenait que les curés sont les maîtres en leurs paroisses, qu'ils devraient partager avec les évêques le pouvoir de définir la foi ; qu'ils ont parle seul fait de leur ordination le pouvoir des clefs, et l'usage de ce pouvoir, sans que les évêques puissent les en priver pour quelque raison que ce soit. C'était une œuvre d'inspiration janséniste ; le parti, abandonné par l'épiscopat, cherchait à s'appuyer sur les curés. Mais les curés étaient surtout sensibles à leur misère. Le curé de Marolles, en Normandie, écrira en 1789 cette plainte violente où l'on sent la haine : Nous, malheureux curés à portions congrues, nous, chargés communément des plus fortes paroisses... nous, dont le sort fait crier jusqu'aux pierres et aux chevrons de nos misérables presbytères, nous subissons des prélats qui feraient encore quelquefois faire par leurs gardes un procès au pauvre curé qui couperait dans leurs bois un bâton, son seul soutien dans ses longues courses par tous chemins. A leur passage, le pauvre homme est obligé de se jeter à tâtons le long d'un talus, pour se garantir des pieds et des éclaboussures de leurs chevaux, comme aussi des roues et peut-être du fouet d'un cocher insolent ; puis, tout crotté, son chétif bâton d'une main et son chapeau, tel quel, de l'autre, de saluer humblement et rapidement, à travers la portière du char clos et doré, le hiérarque postiche ronflant sur la laine du troupeau, que le pauvre curé va paissant et dont il ne lui laisse que la crotte et le suint[14]. A plusieurs reprises, pendant le XVIIIe siècle, les curés s'étaient réunis çà et là, sans autorisation de leur évêque, pour tâcher d'améliorer leur sort. Les Parlements avaient quelquefois approuvé, et le Conseil d'État toujours condamné ces assemblées. Sous Louis XVI, ils recommencèrent, des curés provençaux et dauphinois se syndiquèrent en 1779 pour obtenir une augmentation de portion congrue. On lit dans un rapport de l'agence générale du Clergé : Ils établirent des syndics, ils arrêtèrent des délibérations ; ils présentèrent des mémoires ; ils nommèrent des députés à Paris, un syndic général, un receveur des contributions ; ils formèrent un Comité permanent qui devait être le centre de la correspondance ; et leurs assemblées furent autorisées par les arrêts des Parlements de Provence et du Dauphiné. Le haut Clergé obtint du Roi Les curés voulaient davantage. Des laïques leur conseillaient presque l'insurrection. Servan, ancien avocat général au Parlement de Grenoble, leur disait dans une Exhortation pressante aux trois ordres de la province du Languedoc : Ne cesserez-vous pas de trembler, prosternés devant vos évêques.... Réveillez-vous et devenez libres sous l'égide des lois. Jamais je ne pourrai croire que des hommes qui ont lu seulement quelques pages sur les droits du citoyen puissent supporter sans colère l'idée de voir fouler, écraser leurs têtes par des poignées d'hommes étrangers à la province, quelquefois étrangers au royaume, tous choisis par l'intrigue à Versailles et consacrés par l'avarice à Rome. Des curés avaient certainement lu des pages sur les droits du citoyen ; il en est, par exemple, qui disent, en 1788, dans un Mémoire pour les curés de France touchant la convocation des États-Généraux, qu'ils sont la substance du Clergé, et demandent une représentation à eux, librement élue aux États généraux. Et on lit dans une brochure, Les curés du Dauphiné à leurs confrères les recteurs de Bretagne : Les évêques sont les chefs de la hiérarchie ecclésiastique, mais... en matière civile et politique, ils ne sont que des citoyens comme nous !... Qu'ils nous laissent le droit d'avoir des sentiments à nous... L'intérêt du peuple et celui des curés sont inséparables. Si le peuple sort de l'oppression, les curés sortiront de l'avilissement dans lequel le haut Clergé les a plongés. L'antagonisme entre le haut et le bas Clergé devait avoir
des conséquences graves. Le haut Clergé ne s'en est pas inquiété ; il a
méprisé et affamé la démocratie cléricale, ne soupçonnant pas quelle put un
jour prendre sa revanche. Ces évêques n'étaient pourtant ni sans mérites ni
sans vertus. Ils avaient les défauts de la classe sociale où ils se
recrutaient, mais ils en avaient aussi les qualités. Légers, insouciants et
mondains, la plupart étaient intelligents et instruits. Plus encore que
l'aristocratie, dont ils sortaient, ils étaient capables d'organiser et de
diriger un self government provincial
exercé par les hautes classes et à leur profit, et même de siéger dans la
chambre haute d'un Parlement. Ils ne prévoyaient pas une révolution rudement
égalitaire. Il semble qu’à l'approche de |
[1]
SOURCES. La
plupart des Mémoires du temps, notamment ceux de Talleyrand, d'Augeard,
de l’abbé Georgel, de Weber, de Mme de Boigne, du marquis de Ferrières, de la
baronne d’Oberkirch, de l'abbé Morellet, de Besenval ;
OUVRAGES
A CONSULTER. Taine (L'Ancien Régime), de Tocqueville, Boileau,
déjà cités. Sicard, L'ancien clergé de France, 2 vol. Paris, 1893-94.
Méric, Le clergé sous l'ancien régime, Paris, 1892. De Crousaz-Crétet, L'Église
et l'État, ou les deux puissances au XVIIIe siècle (1715-1719), Paris,
1893. J. P. Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pendant
le XVIIIe siècle, Paris, 1853-57, 7 vol. Wallon, Le clergé de
quatre-vingt-neuf ; le Pape, le Roi, la nation ; fin de l'ancien régime,
Paris, 1876. Chassin, Les cahiers des curés, Paris, 1882. Menuisier, Les
cahiers de l'Église de France (État de l'Église de France en 1789),
Paris. 1891. De Pressensé, L'Eglise el la révolution française, 3e éd.,
1890. Mathieu (cardinal), L'ancien régime dans la province de Lorraine et
Barrois (1698-1789), nouv. éd, Paris, 1907. Dictionnaire des ordres
religieux (1847, 4 vol.), et Dictionnaire des abbayes (1856), dans
l’Encyclopédie de Migne. Maury, Les assemblées da clergé de France,
Revue des Deux Mondes, 1878. Maulouchet, De ultimo generali conventu cleri
gallicani anno MDCCLXXXVIII habilo, Le Mans, 1900. Theiner, Histoire du
pontificat de Clément XIV, trad. de Geslin. Paris, 1852. Crétineau-Joly, Le
pape Clément XIV, Paris, 1862. Bourgeois (abbé), Histoire des évêques de
Cambrai, Cambrai, 1875. Ricard, L'abbé Maury (1740-1791), Paris,
[2]
Il y avait un 136e évêque, celui de Bethléem, dont le siège était Clamecy, mais
il n'avait pas de diocèse. L'Etat de
[3] Taine, L'Ancien Régime, éd 1906, t. I, p. 320-21.
[4]
Ce sont les chiffres donnés par Gérin, dans son Étude sur
[5] Taine, L'Ancien Régime, éd de 1906, t. I, p. 22.
[6]
Boileau, État de
[7] Le Clergé étranger était celui des pays annexés depuis le Contrat de Poissy.
[8] Taine, L'Ancien Régime, t. I, p. 330-332.
[9] Abbé Sicard, L'ancien clergé de France, t. I, p. 112.
[10]
Le Procès-verbal de l'Assemblée du Clergé de 1774 (t. VIII, 2e partie, col.
2219-2224 de
[11]
L'abbé Allain, qui a écrit un bon ouvrage d'ensemble, — le seul d'ailleurs que
nous ayons — sur l’Instruction primaire en France avant
[12] Cité par Chassin, Les cahiers des curés, p. 67.
[13] Le second ordre, ainsi qu'on appelait le bas Clergé dans ces assemblées, n'était représenté que par les gros bénéficiers, les abbés et les chanoines, à l'exclusion des cures fit des vicaires. Le bas Clergé est en fait un troisième ordre, un tiers état de l'Eglise.
[14] Cité par Taine, L'Ancien Régime, I, p. 118-119.